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Architecture et rhétorique édilitaire

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Academic year: 2021

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To cite this version:

Philippe Bataille. Architecture et rhétorique édilitaire. Lieux Communs - Les Cahiers du LAUA,

LAUA (Langages, Actions Urbaines, Altérités - Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Nantes),

1998, La Présentation publique du projet, pp.61-81. �hal-03174397�

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PHILIPPE BATAILLE

Rezé 1 9 5 0 -1 9 9 5 : si la ville ne se confond pas

avec les discours qui la décrivent, force est de

constater, comme I' é crit Italo Calvino1, qu’entre

la ville et ces discours il y a un rapport. C’est ce

ra p p o rt que nous tenterons d’explorer à p a rtir

de la pratique édilitaire dans le champ de l’action

architecturale et urbaine. Plutôt que d’opposer

l’idéel et le m atériel, nous tenterons d’en mon­

t r e r ce rta in e s a rticu la tio n s to u t en c e n tra n t

• • • 1. Italo Calvino, Les Villes invisibles (Le Città invisibili), Paris, Seuil, 1974 ; Réédition, Points, 1996.

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l’objet spécifique de cette contribution sur les discours de l'action2. En ce sens, du point de vue des villes et de leur affirmation identitaire, l'architecture et plus globale­ ment le projet urbain3 apparaissent notamment comme un levier médiatique dont plu­ sieurs édiles se saisissent au cours des années 8 0 en écho à une certaine politique nationale des grands travaux et à la dynamique d'affirmation concurrentielle qu’indui­ sent, à la faveur d'un contexte de crise économique, tant la décentralisation que la construction européenne. L'architecture et le projet urbain se révèlent alors supports de communication en soi, mais ils sont aussi vecteurs de communication au sens où ils donnent lieu à la production d'un discours sur la ville en général. Contrairement à une approche convenue situant cette production dans le domaine idéologique pour mieux l'ignorer, nous la considérons ici comme un objet méritant une investigation spécifique. C'est ce que nous tenterons de montrer et d'illustrer à travers la pratique discursive de l'action édilitaire sur l'espace d'une ville de la banlieue nantaise, Rezé. Nous exposons d’abord le cadre théorique d'interprétation dans lequel nous inscrivons notre propos.

Images de la ville

Du s ta tu t des re p ré s e n ta tio n s dans l’in te rp ré ta tio n du réel.

Dans le champ de la sociologie, comme dans celui de la géographie où nous ancrons plus précisément notre approche, une certaine conception tend à faire de la sphère re­ présentationnelle une dimension non-opératoire du réel. Sans nier, bien au contraire, l'espace géographique dans sa matérialité, nous souhaitons m ontrer que le discours sur l'action, qui emprunte des formes à la fois textuelles et iconiques, non seulement permet d'analyser l'action mais est action. Cela conduit à ne pas le considérer unique­ ment comme une modalité de justification de l’action, à caractère explicatif ou propa­ gandiste, mais aussi comme une pratique structurante du réel qui dans le domaine considéré participe pleinement de la construction du sens du territoire communal ou urbain. Une telle position renvoie à ce que la linguistique pragmatique a mis en évi­ dence. Au fondement de cette approche, la démonstration d’Austin4 est connue. L'auteur s'attache à montrer que parler est une forme d'action. Il oppose les énoncés constatifs, qui décrivent un événement, et les énoncés performatifs qui non seulement décrivent une action du locuteur, mais dont l'énonciation signifie accomplissement de l’action. Il

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précise cependant que des formes non performatives peuvent participer à modifier le réel, ce qui rend difficile l'établissement d'une frontière entre énoncés performatifs et énoncés non-performatifs. D’où la tentative de découpage entre acte locutoire, possé­ dant une signification, acte illocutoire, où le fait de dire a une certaine valeur, et acte perlocutoire, qui induit certains effets par la parole. La critique de Pierre Bourdieu5 est également connue. Il lui revient d’avoir souligné, à propos des analyses d’Austin et plus largement des linguistes, le fait qu'elles isolent la langue des conditions de sa production, de sa reproduction et de son utilisation en ignorant la position sociale du locuteur comme celle du récepteur au cœur de l’économie des échanges linguistiques. Cette critique n’invalide pas pour autant le caractère performatif du langage, mais invite à considérer, à la suite d’ailleurs de Benveniste et des travaux ultérieurs de la linguistique pragmatique, la production du discours dans son contexte d’énonciation, au-delà du seul cadre linguistique.

Le discours édilitaire considéré ici, loin de se circonscrire au maire, même si celui-ci y tient un rôle essentiel, s’inscrit dans une communication politique locale. Celle-ci ne peut être réduite à la seule dimension du marketing publicitaire; elle vise à créer du sens collectif. Elle est donc une pratique mais pas seulement. Elle doit être considérée comme une forme de l’action : « Les collectivités locales ont découvert, récemment, mais pleinement, que la communication est un instrument de pouvoir. Elles commen­ cent à découvrir que la communication est une forme de l’action, qu’elle est de l’action sur le registre symbolique, non moins efficace, parfois, pour la gestion des services collectifs, que les financements, les travaux, les décisions6. »

C’est précisément en s’appuyant sur les travaux de Lucien Sfez sur la critique de la

• • • 2. La rédaction de cet article a bénéficié de la contribution critique de Jacques Moreau et de la relecture tout aussi critique de Bruno Duquenne.* • • 3. Nous prenons ici le projet urbain dans un sens volontairement large, non seulement d’action urbanistique mais aussi de dynamique locale plus ou moins collective et négociée. Nous n’ignorons pas cependant l’ambivalence de la notion de projet urbain à la hau­ teur de son emploi généralisé. L’explicitation nécessaire du terme ne peut être entreprise dans le cadre restreint de cet article et elle n’aurait, par rapport au propos développé, qu’un intérêt secondaire. Le lecteur pourra toutefois se référer à l’une des rares contributions explicatives sur le sujet que constitue l’article de Philippe Genestier, “ Que vaut la notion de projet urbain ?". Architecture d'Aujourd’hui, n° 2 8 8,

septembre 1 9 9 3, pp. 4 0 4 8. * • • 4. Jean-Louis Austin, Quand dire c'est faire, Paris, Seuil, coll. L’Ordre philosophique, 1991. Le titre anglais, How to do Things with Words, est encore plus explicite.* • • 5. Pierre Bourdieu. Ce que parler veut dire, Paris, Fayard, 1982. * • • B. Lucien Sfez (dir.), Dictionnaire critique de

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décision, que Michel Lussault a tenté de montrer que toute action urbaine est à envisager comme une pratique multirationelle. Contribuant au renouvellement des problématiques de la géographie urbaine, il a mis en évidence l'insuffisance de la prise en compte des seules logiques fonctionnelles d’une politique locale et la nécessité d'analyser les rationalités des instances idéelles investies dans l'action. Les travaux qu'il a menés sur les images de la ville et sur les politiques urbaines7 ainsi que les références théoriques mobilisées à cette fin nous serviront ici de viatique. Empruntant au-delà de la multirationalité du récit développée par Lucien Sfez, il s'appuie sur l'ana­ lyse ricardienne de la mise en récit, pour montrer la capacité du récit d'une part « à m ettre en intrigue cohérente, organisée finalisée, l’hétérogénéité, la complexité de l'événement» et, d'autre part «à faire surgir du langage, de "l'inédit", c’est-à-dire cette faculté de révéler le sens social profond des choses» et notamment donc des choses urbaines. L'image de la ville, entendue «comme structure complexe de représenta­ tions [...], composée de champs principaux, eux-mêmes complexes inter-reliés, en

cohérence» devient «un composant central des politiques de la ville qui, en retour, 6 4 mises en intrigue, forment un ingrédient essentiel de celle-ci. Étudier la première sans

aborder sa performativité — sa capacité à rentrer dans la multirationalité de l'action — est aussi peu satisfaisant que l'examen des secondes sans prendre en compte celui de leur imaginaire et de leurs représentations8. »

Les récits de l ’action édilitaire à Rezé

Cette problématique trouve à Rezé, seconde ville de l'agglomération nantaise par le nombre d'habitants, un support empirique très riche et dont l'intérêt réside dans des spécificités qui caractérisent géographiquement et politiquement cette commune. Sans entrer dans une description détaillée, nous en soulignerons trois, essentielles à notre propos : — Rezé est une ville de la périphérie qui se présente elle-même comme une ville de banlieue ; — elle possède une continuité politique marquée à gauche puisqu'elle est socialiste depuis 1 9 2 5 9 ; — la municipalité a conduit depuis le début des an­ nées 8 0 et tout au long de la décennie une politique architecturale affirmée et simul­ tanément remarquée du point de vue médiatique, politique inscrite dans le mouve­ ment national de requalification des banlieues.

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Si toute ville est marquée par la figure de son maire, celui de Rezé a occupé un certain nombre de responsabilités dans les domaines de la ville et de l'architecture tant au plan national10 qu'au plan local11. De sorte qu'au-delà de ces fonctions, il s’est fait une image de passionné de l'architecture et de la ville qui lui a valu d’être le premier invité d'une rubrique que la revue AMC consacrait aux maîtres d’ouvrage12. Rezé apparaît ainsi comme le condensateur d'un certain nombre de phénomènes et de processus significatifs à nos yeux et capables de donner à la recherche monographique son intérêt car elle excède le seul élément local, bien que le local comme tel fasse partie des thèmes qui nous intéressent.

Si nous pouvons, sans prétention et au risque de l'hérésie, nous autoriser une analo­ gie, Rezé nous est apparu du point de vue des politiques locales sur l'espace de la ville un peu comme, pour Edgar Morin, Plodémet13 pouvait être un lieu privilégié de l'irrup­ tion de la modernité en ce que «le microcosme plodémétien concentre dans son originale diversité de multiples problèmes que sa singularité et son excentricité posent de façon radicale. » Si, par l'action menée, Rezé offre un intérêt au chercheur dans la période récente, pour autant notre recherche14 visait une temporalité plus longue. Il nous est en effet apparu que l’action municipale récente, aussi novatrice qu’elle soit — c’est-à-dire présentant une différence marquée par rapport à la période antérieure — n'est compréhensible qu'à l'aune d'une perspective historique moins restreinte. Du

• • • 7. Nous nous référons ici en particulier à ceux portant sur les villes de Tours et de Blois. Cf. Michel Lussault. Tours: images de la ville et politique urbaine. Tours, Eidos, coil. Sciences de la ville. n° 3, 1993, et Michel Lussault, "L'autre de la ville", dans Michel Constantini (dir.), Blois: la ville en ses images, Tours, Eidos, coll. Sciences de la ville n° 6, 1993, pp. 109-147. Plus largement, nous renvoyons à son travail d'analyse sur la question des politiques urbaines : Michel Lussault, L'espace en actions : de la dimension spatiale des politiques urbaines, diplôme d'habilitation à diriger des recherches en géographie, vol. 1 et 2, université François-Rabelais, Tours, 20 décembre 1996.» • • 8. Michel Lussault, op. c it, supra, note 7, p. 351.» • • 9. Le changement des années 49-55 qui voit un maire RPF prendre la tête du conseil municipal ne constitue pas véritablement une rupture en raison de la composition proportionnelle de ce conseil.» • • 10. Jacques Floch, maire de Rezé, a notamment été président fondateur de l'Association des maires de villes de banlieue ; membre du comité Europan, administrateur de l'Institut français d'architec­ ture ; chargé de différentes missions ministérielles sur les agréés en architecture et sur l'enseignement de l'architecture.» • • 11. Il est depuis longtemps président de l’Agence d'urbanisme de l'agglomération nantaise (Auran).» • • 1 2 . "M aîtrise d'ouvrage, Jacques Floch, maire de Rezé", AMC. n° 20. avril 1988. • • • 13. Edgar Morin, La Métamorphose de Rozevet. commune en France, Paris, Fayard, 1967, réédi­ tion, Le livre de poche, 1984. Plodémet était le pseudonyme que fauteur avait souhaité utiliser pour Plozevet lors de la parution initiale de fouvrage et qui, s'il ne figure plus dans le titre de la nouvelle édition, reste utilisé dans le corps du texte.» • • 14. Cf. Philippe Bataille avec la collaboration de Jacques Moreau, L'architecture comme expression et médiation de l'identité urbaine d'une banlieue, LAUA, PCA, 1995.

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point de vue des récits de l'action édilitaires ici considérés, nous nous référons à des modalités variées de l'expression et de la présentation publique des projets par la sphère municipale. Si le corpus mobilisé pour l'investigation est, au début de la période considérée, essentiellement constitué de discours inauguraux, de comptes rendus de conseils municipaux et d'articles de presse, il s'enrichit sur la période récente des nombreux supports de la communication municipale. Le premier bulletin d’information municipale apparu en 1960, la création d'un office municipal d'information en 1971 et la création d'un service "communication, presse, information" en 1979 sont autant d'événements qui ont marqué l'émergence d'une stratégie municipale dans le domaine des récits de l'action. Le magazine municipal devenu trimestriel depuis 1971 et dif­ fusé désormais sous la forme d’un "news”, constitue un vecteur essentiel de la mise en récit de l'identité urbaine. L’architecture et la dimension urbaine y jouent un rôle important, comme elles suscitent de nombreux autres documents de publicisation de l'action15 qui prolongent cette mise en récit. S'agissant des conditions d'énonciation

des discours édilitaires, il convient de mettre en évidence, au-delà de la périodisation 6 6 liée à l'apparition de la communication municipale, deux éléments importants pour

notre propos. D'une part sous le term e de discours édilitaire, la période récente (depuis le milieu des années 80] montre que sa production ne relève pas seulement du maire, ou de son équipe municipale, mais qu’elle émane tout autant du service communication de la ville qui apparaît comme un moteur structurant de la mise en récit. D'autre part, le discours est autant justification a posteriori ou en cours de l'action que présentation du virtuel, c'est-à-dire temporalité future de l'action et parti­ culièrement de l’action urbaine. Prendre, pour cette action urbaine, l'hypothèse que la période récente n'est pas seulement l'expression d'un phénomène conjoncturel de marketing urbain mais bénéficie de la continuité politique, nous conduit à une double remarque. Tout d'abord, il faut souligner que l'action rezéenne se distingue de celle menée par d'autres villes engagées dans des processus communicationnels de ce type. Non seulement, les conditions de possibilité de la politique rezéenne résident dans l’héritage des municipes antérieurs mais le récit présent de l'action s'y réfère de manière récurrente, même implicitement. Ceci la distinguerait déjà de villes comme Montpellier ou Nîmes (pour ne citer que deux exemples notoires de politique com­ municationnelle des villes) où les conditions d'émergence de cette pratique renvoient à une alternance politique. Mais l'autre distinction d’importance tient dans les situations

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socio-géographiques: les villes qui se sont manifestées sur la scène de la promotion publicitaire sont toutes des villes-centre et des pôles d’importance régionale alors que Rezé est une ville périphérique qui tente de s’affirmer par rapport à la ville-centre tout en essayant d’inverser la réputation négative de la banlieue en général. Par ailleurs, si cette hypothèse est établie, ce qui apparaît c’est la place toujours centrale de l’archi­ tecture et de la forme urbaine, mais une place variable selon le sens dont elle est investie. Nous retiendrons précisément comme fil conducteur de notre propos ce qui relève de la permanence et du changement en montrant comment s'articulent les continuités et les ruptures de l’action édilitaire dans le champ considéré.

Entre patrimoine et modernité

R écit de l’a ctio n co m m e c o n s tru c tio n d ’un sen s du te r r ito ir e

Le repérage des modalités de l’énonciation édilitaire nous conduit à faire une lecture en cinq tableaux de l'histoire de la commune. La mise en récit ou plus exactement les mises en récit que nous mettrons ainsi en évidence, au-delà des différences induites par le contexte énonciatif propre à chaque période, mobilisent variablement texte et imagerie, mais aussi bien sûr édifices et espaces matériels, traces perma­ nentes de l'action édilitaire et référents de la narration, même quand cette matéria­ lité n’est que virtuelle, le récit ayant alors vocation à en assurer la présentation (et la représentation] publique.

T ableau 1 . Du ru ra l à l'u rb a in . Commune de 1 6 0 0 0 habitants environ en 1947, Rezé passe de 19 5 0 0 habitants en 195 4 à 3 6 0 0 0 en 1 9 7 5 18. La période de l'après- guerre est donc celle d’un développement urbain considérable, unique dans l’histoire

• • • 1 5 . Cette production s'est développée de manière exponentielle voire inflationniste dans la période récente à travers différents documents de promotion de la ville tels que catalogues, plaquettes, dépliants, cartes postales, etc. Ces documents s'ajoutent non seulement à ceux déjà cités mais aussi à d'autres plus directement liés à la production opérationnelle (enquêtes, études préliminaires, programmes de concours) dans le corpus que nous avons constitué pour ce travail.» • • 1 6 . Depuis 1975 le nombre d'habitants

s'est stabilisé autour de 33 CX30. La population est très majoritairement ouvrière. En 1968, 48 % de la population active étaient des ouvriers et 19% des employés. En 1990 la proportion s'est modifiée sans incidence sur la sur-représentation des classes populaires avec 30,2 % d’ouvriers et 36,2 % d'employés.

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de la commune à la fois quantitativement et qualitativement. La persistance du tracé urbain, entre le cadastre de 18 3 0 et le plan de la ville contemporaine, comme la pré­ sence, toujours visible, de certains bâtiments ruraux, permettent d’imaginer ce que Rezé, au lendemain de la dernière guerre, devait encore à l'espace rural. Si l'activité municipale se caractérise d’abord par la viabilisation du territoire et le développement des équipements publics, le passage à l'urbain se lit aussi dans le développement des deux initiatives archétypiques que sont la "Maison radieuse" de Le Corbusier et le lotissement auto-construit des Castors à la Balinière17. La Ville n’a ici aucune initiative directe sinon celle d'encourager ces deux formes antinomiques de l'habiter car dans un cas elle cautionne l'emprunt nécessaire et dans l’autre, elle assure la viabilisation des terrains du lotissement simultanément au versement d'une subvention.

Mais si, le maire de l'époque affirme bien lors de son inauguration10 que «l'immeuble Le Corbusier» comme il est nommé «est une œuvre gigantesque et grandiose qui datera dans les annales de Rezé», l'opération marquante de cette période est bien «la

création d'une zone d'habitation sur les terrains entourant le château de Rezé», c'est- 6 8 à-dire le grand ensemble dit du "château". «L’architecte d'avant-garde, Monsieur Le

Corbusier», comme le qualifie le maire dans son discours d'inauguration, ne sera d'ailleurs pas sollicité pour cette importante réalisation municipale.

Le grand ensemble alors en gestation ne correspond pas du tout à une quelconque extension périphérique comme dans nombre de cas mais bien à la création d’un quar­ tier nouveau dont les élus ambitionnent qu'il soit le centre de la commune: «Le châ­ teau de Rezé, de par sa position centrale et dominante, constitue avec sa réserve boisée, ses grands espaces, l’emplacement idéal pour créer dans la ville de Rezé-lès- Nantes un ensemble architectural d'espaces verts, de zones résidentielles et de cen­ tre administratif communal.» Cette perspective est alors pensée dans les termes suivants : «le programme d'utilisation de ce terrain doit prévoir le développement d'un centre administratif communal en utilisant notamment les vestiges du vieux château de Rezé. C'est ainsi que le passé sera associé à la vie active actuelle. Indépendamment de ce centre administratif, il y a lieu de prévoir la construction d'édifices collectifs et de bâtiments commerciaux qui accompagnent nécessairement le centre d'une ville en pleine extension et qui doit atteindre prochainement 2 5 à 3 0 000 habitants19. » Les intentions édilitaires sont toutes là : l'aspiration à une ville nouvelle et moderne qui, préservant le passé, serait le centre du Rezé futur, capable de répondre à l’augmentation

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prévisible et espérée de la population, en offrant de l'habitat collectif et individuel. L’architecture ne suscite que peu de débats, si ce n'est au détour de la question d'un élu— qui n'est autre que le futur maire — sur la raison de l’extrême régularité du rythme des constructions que l'architecte envisage et justifie par la logique technico- économique du chemin de grue. Ce qui en suscite, au nom d'une stricte séparation du laïc et du religieux, c'est la place du lieu de culte qui finalement se trouvera implanté, après bien des propositions, à la marge du grand ensemble. Ce lieu de culte est l'église Saint-André, future médiathèque Diderot.

Lancée dans le cadre du secteur industrialisé, mêlant du logement locatif social et du logement en accession à la propriété, la réalisation du grand ensemble s'effectuera à partir de 1961 pour s'achever vers 1967-1968. Deux intentions initiales ne seront en revanche jamais concrétisées. D'une part, le grand ensemble ne sera pas le centre de la commune, malgré l'illusion longtemps entretenue. Pour autant, la question de la centralité continuera de hanter la politique urbaine municipale jusqu'à la période ac­ tuelle. D'autre part, lié pour partie à l’affirmation de cette centralité, l'hôtel de ville, inclus dans celui de "centre administratif et culturel”, ne verra jamais le jour, pas plus que ce dernier. Cette dénomination est révélatrice également d'une vision de la ville et des modalités d'une gestion qui privilégie la comptabilité au détriment de l'identité. Le projet d'hôtel de ville qui apparaîtra au milieu des années 80, après moultes versions différentes, s'affiche au contraire comme un vecteur identitaire majeur.

Tableau 2 . La fin de l’expansion e t l'a ffirm a tio n id e n tita ire . Le nouvel hôtel de ville, qui ne sera construit qu’une vingtaine d'années après la naissance du grand ensemble, renvoie aux transformations des représentations dont ce dernier est l'objet localement, dans un contexte national de rejet de cette forme archétypale de l'urba­ nisme moderne. Le début des années 8 0 voit ainsi l'émergence d’une préoccupation sur la forme urbaine et la qualité architecturale posée en d'autres termes. Elle se concrétise par un premier projet, Les Mahaudières, confié à l'architecte Roland

• • • 1 7 . Sur cette confrontation, le lecteur pourra se référer à l'article de Daniel Pinson dans Villes en parallèle. n° 14, Laboratoire de géographie urbaine, université Paris-X-Nanterre.» • • 18. Georges Bène- zet, "Allocution du maire à l'occasion de l'inauguration des nouveaux groupes scolaires et de l'immeuble scolaire Le Corbusier, le samedi 2 juillet 1955", document manuscrit, archives municipales de Rezé, fonds Bênezet. • • • 18. Séance du conseil municipal du 2 avril 1955.

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Castro, co-leader du mouvement Banlieues 89, pour la réalisation d'un ensemble de logements sociaux. Le maire en fait un projet manifeste pour inverser le stéréotype HLM et son image négative: «rompre avec les cubes», «faire beau sans être plus cher que ce qui est laid», sont quelques-unes des affirmations récurrentes des diffé­ rents discours auxquels donne lieu la présentation du projet. L'inauguration de cette réalisation coïncide avec le lancement de l'Association des maires des villes de ban­ lieue, levier politique de Banlieues 89, et dont Jacques Floch sera le président fonda­ teur. L'affirmation urbaine de Rezé, illustrée par ce projet, s'inscrit dans un combat pour la reconnaissance des villes de banlieues : «Reconquérir la ville en se donnant le droit à l'expression. Reconquérir la ville pour que ses habitants la reconnaissent comme telle et qu’elle soit restituée à ceux qui l'habitent, pour qu'ils y vivent, qu'ils aiment y vivre... Sans complexe, avec un brin d'impertinence, nous voulons devenir des villes de banlieue suffisamment envahissantes pour que personne n'ait l'audace ou le désavan­ tage de nous oublier20. »

Cette perspective tient lieu de fil conducteur à l'action édilitaire sur Rezé et le territoire 7 O communal devient un lieu privilégié de présentation de sa mise en œuvre. Le projet

des Mahaudières sert ainsi d'illustration au niveau national pour la couverture de la plaquette d'appel à contributions pour la treizième session du PAN21 "Construire la banlieue22". L’étude exploratoire menée sur la partie nord de la commune par l'archi­ tecte Dominique Perrault, alors jeune lauréat de la douzième session du PAN23, cons­ titue la majeure partie du panneau présenté par la Ville lors de la première exposition nationale de Banlieues 89 en 1984. Une perspective aérienne de la commune y illus­ tra it l'idée d'une reconquête urbaine des bords de la Loire ainsi que la création d’une “ porte urbaine" destinée à résoudre la coupure entre le Nord et le Sud de la com­ mune. Sans connaître de suites concrètes immédiates, à l'exception d’une petite opé­ ration de logements24, ces thèmes restent présents dans la réflexion urbaine conduite par les élus, en particulier celui de la façade fluviale de la ville ainsi que la recherche d'une unité urbaine de la commune. Par-delà l’affirmation d’une architecture de qualité pour le logement social, le projet-manifeste des Mahaudières tentait également de signifier une volonté de recomposition urbaine: «Les Mahaudières: 20 logements pour établir un tra it d'union entre le bourg, le château et la Cité radieuse25. » Ce titre d'un quotidien de la presse locale reprenant les déclarations édilitaires, renvoie comme un curieux écho à un article paru dix ans plus tô t: «Il manquait à cette cité suburbaine

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de Nantes, un cœur, une âme, assurant une liaison permanente entre les différents quartiers. [...] Cette fantastique opération du "château" a permis une heureuse jonc­ tion entre les hameaux de jadis et Rezé est passé en une dizaine d'années, de la commune dortoir à une cité vivante où il fait bon vivre, que l'on soit jeune, adulte ou appartenant au troisième âge26. » La réalisation d‘un nouvel hôtel de ville engagée au début des années 8 0 est au cœur de Ib question de l'unité territoriale et de la centralité

qui la symboliserait.

T ableau 3 . L 'em b lém atiq u e du nouvel h ô te l de ville. Le projet d'un nouvel hôtel de ville montre en lui-même et à travers les choix opérés la continuité et l'évolution de la réflexion édilitaire. S'il est investi d'une charge communicative vers l'extérieur proche (agglomération) et lointain (niveau national), il est aussi fortement pensé comme pou­ vant cristalliser l'identité rezéenne. La décision de construire dans le vieux bourg, au lieu d'implantation de l'hôtel de ville du siècle dernier, et en rupture avec le choix initial du grand ensemble du château, y participe. Confortant le poids historico-symbolique du bourg, cette implantation vise aussi â renforcer son existence économique et sa cohérence morphologique. Le programme du concours pose comme exigence l'inté­ gration de la centralité et des éléments patrimoniaux : « Le projet de renforcement du bourg passe par la prise en compte des éléments les plus marquants du bâti : l’église, "l'Unité radieuse" de Le Corbusier et le cœur historique de Saint-Lupien. C'est à partir de cet ensemble, dont la portée culturelle, l’impact, la force symbolique ne peuvent échapper, que l'on propose d’articuler la trame urbaine des secteurs d'extension, ceux qui vont venir conforter l'urbanisation du bourg actuel. Le principe préconisé est le suivant: un système d'axes de composition permet de mettre en relation les éléments forts du bâti, structure le centre et facilite la découverte et la perception de ces trois ensembles architecturaux spécifiques. »

• • • 20. Villes en banlieue. La ville reconquise, Livre blanc des maires des villes de banlieues des grandes villes de province, La Documentation française, 1985.» • • 21. Programme architecture nouvelle, concours d'idées à l'initiative du Plan construction et architecture (PCA) et du ministère de l'Équipement sur différen­ tes thématiques. Ouvert aux jeunes architectes ce concours facilite pour les lauréats l'accès à la com­ mande publique. Il est étendu, depuis quelques années, au niveau européen avec l'Europan.» • • 22. PAN 13, "Construire la banlieue", règlement 1983-1984, Plan construction et habitat, Paris,198 3.» • • 23. PAN 12, 1982, "Architectures: du logement aux équipements de quartier".• • • 24. Résidence des Cap-Horniers, 4 0 logements, maître d'ouvrage, SA d'HLM La Nantaise d'habitations, architecte Domini­ que Perrault.» • • 25. Ouest France, octobre 1982.» • • 26. Ouest France. 14 janvier 1972.

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C'est donc bien l'idée d'une centralité qui continue de se jouer à travers le projet: l'hôtel de ville est censé marquer l'unicité d’un territoire encore largement caractérisé par une grande diversité de 'quartiers'' issus des villages ou pôles urbains que l'on retrouve avec permanence dans l'histoire de la commune depuis sa création à la fin du xviiie siècle par la réunion des différents villages précisément. Le concours internatio­ nal, qui met en concurrence cinq équipes, indique la valeur symbolique que les élus attachent à cette réalisation. La sélection de quelques grands noms de l'architecture et la dimension internationale constituent par ailleurs un indice de la volonté médiati­ que édilitaire. Il aboutit à la désignation comme lauréat de l'architecte italien Alessandro Anselmi dont le projet «établissait la meilleure relation avec la Cité radieuse27.» En assurant la mise en relation d'un élément totalement a-contextualiste — incongru di­ raient certains28 — avec le vieux bourg, la proposition illustre, à partir de ce projet particulier et à l'appui d'un dessin faisant de la "Maison radieuse' le point focal de la perspective, l'idée de reconstitution du tissu urbain disparate de la ville. Le nouvel

édifice municipal se veut également l'expression de toute une symbolique d'affirmation

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tant par le mur courbe — qui enveloppe les bâtiments existants et dont l'élancement

final se veut "beffroi de la nouvelle mairie de Rezé” — que par un recours important à la gravure de signes dans le béton [photo page précédente], déjà pratiquée par Le Corbusier et qui perpétue la tradition allégorique et décorative des mairies dont Mau­ rice Agulhon analyse la disparition avec les réalisations contemporaines29.

Un an avant son inauguration en 1989, alors que le nouvel hôtel de ville était encore en chantier, la plaquette célébrant les dix années du mandat de Jacques Floch comme maire évoquait sur une double page l'audace architecturale du projet et sa contribu­ tion jugée décisive à l'image de Rezé: «Évidemment, nous aurions pu retenir une esthétique plus banale, moins inventive. Mais nous avons choisi l'audace et la mo­ dernité: elles correspondent à l'avenir de Rezé et à son image de marque. L'œuvre d'Anselmi peut choquer, fasciner, mais elle ne laisse personne indifférent et nous sommes certains qu'en peu de temps elle deviendra 'classique". Déjà, journalistes, chercheurs, architectes et esthètes se pressent sur la place Daviais pour la visiter: c'est un signe qui ne trompe pas ! Bientôt, le public viendra de loin pour voir les bords de Sèvre, Trentemoult, la “ Maison radieuse” du Corbusier, les fouilles gallo-romaines et l'hôtel de ville. Ce bâtiment hors du commun est déjà l'une des signatures archi­ tecturales de Rezé!30» L IE U X C O M M U N S N '

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T ableau 4 . A rc h ite c tu r e e t p a trim o n ia lis a tia n , le cas de la m é d ia th è q u e . Par l'association du nouvel hôtel de ville à un certain nombre d'autres marqueurs spatiaux du territoire communal, ce texte rend compte d’un mouvement alors naissant et qui ira en s'affirmant. S'instaure ainsi ce que nous avons nommé un «procès de patrim o nialisation» qui structure l'action et le discours de l’action édilitaires et qui associe, dans leur diversité de statuts, une hétérogénéité d'objets architecturaux et d'ensem­ bles urbains en les constituant comme des "hauts-lieux31 Certains bénéficient déjà d’une reconnaissance importante — comme la "Maison radieuse" ou le village de Trentemoult — et l’intervention municipale consiste à accompagner cette situation pour la conforter et la développer.

D'autres sont des interventions plus directement municipales comme tout ce qui tou­ che aux fouilles archéologiques, la municipalité cherchant à valoriser au mieux un sous-sol particulièrement riche de ce point de vue. Au début des années 80, à la faveur d'un accord de coopération avec la Direction régionale de l'action culturelle (DRAC), on engage l'exploration du site de Saint-Lupien pour comprendre la trame antique de la ville. Au-delà du souci scientifique, la démarche sert à fonder une sorte de légitimité historique de la commune et le lieu est aménagé pour en permettre la visite: «Après les fouilles et l'analyse scientifique de leurs résultats, nous pouvons m ettre à la portée de chacun tout le savoir acquis sur "notre histoire”. Ce savoir n'est pas figé, il évoluera au rythme des campagnes futures, mais il donne une idée crédible de ce qu'était Ratatium, il y a 2 0 0 0 ans. Cette plongée dans le passé urbain de Rezé ne correspond pas au seul plaisir de l'histoire : le schéma de la cité antique est encore repérable aujourd'hui et ses grandes lignes interfèrent sur celles de notre déve­ loppement actuel. Ratatium n'est pas morte : elle offre une nouvelle lecture de notre ville contemporaine32. » La conjugaison du passé et du présent est une dimension

• • • 27. AMC, Architecture, mouvement, continuité, n* 15, mars 1987.» • • 28. Nous renvoyons ici au commentaire de Julien Gracq sur la Maison radieuse: «Au milieu de cette plantation pavillonnaire assez diluée, la Cité radieuse de Le Corbusier à Rezé dresse son bloc enfumé, qui semble moins une "résidence", que plutôt une réplique égarée en zone résidentielle, de la centrale électrique toute proche de Chevirê. », Julien Gracq La Forme d'une ville, Paris, José Ccrti, 1987, réimpression, 1990.» • • 29. Maurice Agulhon, "La mairie, Liberté, Égalité, Fraternité", dans Pierre Nora [dir.). Les Lieux de mémoire, tome 1, Paris, Gallimard, 1984, pp. 184-185.» • • 30. 10 ans avec Jacques Floch, Ville de Rezé, s.d. (1988 ?), p. 31. • • • 31. Cf. André Micoud, [textes rassemblés par] ; La Production symbolique des lieux exemplaires, dossiers des séminaires TTS, Paris, ministère de l'Équipement, février 1991.

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récurrente de la mise en récit. S’appuyant sur leur proximité physique, le maire dans ses déclarations ne manque ainsi jamais de mettre en rapport ce témoin du fonde­ ment historique de la ville que constitue le site de Saint-Lupien avec le symbole de l'architecture moderne représenté par la “ Maison radieuse" de Le Corbusier. Nous reviendrons dans le dernier tableau sur cette articulation de la mémoire et du futur (Cf. infra, tableau 5], mais ce qu’il nous importe de souligner ici c'est la manière dont la production contemporaine est patrimonialisée. Certes, la réalisation de Le Corbu­ sier bénéficie depuis longtemps de ce statut patrimonial dans la mesure où dans le cadre de l’action menée par André Malraux pour la reconnaissance de l’architecture du xx° siècle, la "Maison radieuse" avait fait l’objet dès le milieu des années 6 0 d’un classement de ses façades à l’inventaire supplémentaire des Monuments histori­ ques. Si l’action édilitaire et la mise en récit confortent cet acte de légitimation initial, dans d'autres cas elles contribuent à instituer une nouvelle légitimité à des bâtiments jusqu'alors méconnus voire rejetés.

Le cas de l’ancienne église Saint-André, implantée en limite du grand ensemble du 7 6 château, est exemplaire d’un procès de patrimonialisation qui vise à inverser la valeur

accordée à certaines réalisations. Conçue dans un cadre de référence corbuséen au début des années 60 par l’architecte Jean Chénieux, son existence comme lieu de culte sera brève puisque au milieu des années 70, suite à un orage un peu violent le to it s’écroula. L’accident provoqua la désaffection du lieu. Après de nombreuses trac­ tations, la ville se porta acquéreur du bâtiment avec l’intention d'y faire un équipement public, en l’occurrence une médiathèque pour satisfaire le développement de la biblio­ thèque municipale. Cette décision nous apparaît comme un double coup de force. D'une part, il consacre un bâtiment récent et surtout très faiblement reconnu jusque là au titre d'élément patrimonial. D’autre part, contrairement à l’hôtel de ville, il y a une modification radicale de la commande publique puisque c’est une commande de gré à gré, se jouant dans la stricte relation maire et architecte. Ce double coup de force est l'objet d’une mise en récit tout à fait extraordinaire : «Hiver 1987, Jacques Floch fait visiter sa ville à Yves Dauge, alors délégué interministériel à la ville et à Massimiliano Fuksas, un architecte italien qu’il avait déjà rencontré à Rome. Parcours obligé: le Corbu, Trentemoult et les Cap-Horniers de Perrault, les bords de Loire et de Sèvre, le château... Avant de partir, le petit groupe passe devant l'ex-église Saint-André, ce “bunker" étrange bâti par Jean Chénieux en 1 963 et désaffecté en 1 97 8 suite à un

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sinistre. Le bizarre du bâtiment attire immédiatement Fuksas qui demande à le visiter. Le maire explique son projet de médiathèque. Immédiatement, l'architecte italien se passionne pour le défi : comment construire un tel bâtiment avec des murs opaques?33» L'architecte répond au défi de l'opacité en installant à l’intérieur du volume de béton une boîte de verre et des parois réfléchissantes sur les murs existants qui diffusent la lumière naturelle venue du toit et celle artificielle fournie par une série de projecteurs. Mais parallèlement à la réponse architecturale, une double série d'enjeux est simulta­ nément posée à travers la transformation d'un lieu cultuel en lieu culturel lié au grand ensemble par son implantation mais intéressant la totalité de la ville par son statut. D'un côté, elle illustre comment la patrimonialisation légitime certains lieux en hauts- lieux donnant ainsi valeur urbaine à la banlieue et à certains de ses quartiers généra­ lement dépréciés dans l'opinion commune. De l'autre, la médiatisation qu’opère la mise en récit n'est pas sans ambivalence. Elle montre, avec l'exemple de la médiathè­ que, une sorte de déréalisation de l'objet par rapport à son contexte d'implantation, comme en fera le constat l'équipe sollicitée pour la mise en place d’un dispositif de développement social urbain (DSU) en diagnostiquant une absence de relations entre le bâtiment et son environnement.

Quoi qu'il en soit, ce bâtiment, second édifice public majeur de la décennie, marque en quelque sorte la clôture d'une période. Forte de ses hauts-lieux, la Ville s'expose et accueille des visiteurs, édite les réalisations marquantes en cartes postales, les re­ vues d'architecture publient les oeuvres et s'intéressent aussi, comme nous l'avons vu avec l'hôtel de ville, au maire comme maître d’ouvrage. L'action municipale et les récits édilitaires de l’action poursuivent ultérieurement ce mode de présentation de la com­ mune mais le procès de patrimonialisation, après avoir été fortement orienté sur les monuments — en particulier ceux de la modernité architecturale — et les lieux recon­ nus, s'élargira à d'autres registres plus mineurs. Un important travail de recension est réalisé à la demande de la commune et le maire explique, lors de la présentation des résultats, le sens de cet élargissement patrimonial : «Cet inventaire est terminé et il concerne non seulement les bâtiments “prestigieux”, mais également tous les témoins

• • • 32. "De Rezé à Ratatium" dans Archéologie, mémoire de la ville, dépliant édité par le service communication de la Ville de Rezé, janvier 1999. Le texte est extrait de l'éditorial signé du maire et du conseiller subdélèguê à la culture.» • • 33. Rezé Magazine, n° 33, juillet-août 1991, p. 4.

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Extrait d'un document d'information municipale présentant le nouveau logo de la Ville créé par Graphie Identité, Nantes.

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de l'histoire populaire de Rezé: les maisons de la Loi Loucheur, première initiative du logement social individuel en France, les Castors de la Balinière, les anciennes fer­ mes, les moulins, les vieilles maisons de tisserands ou de vignerons, etc.34» Avec la patrimonialisation de l’architecture ordinaire, récente ou plus ancienne, rurale ou ur­ baine, se poursuit un travail de construction du sens du territoire par la mise en récit édilitaire. Le nouveau logo dont se dote la commune en 1992 s’inscrit dans cette ten­ tative et cristallise par son objet même les différentes modalités de la mise en récit.

T ableau 5 . La p ro d u c tio n d’un nouveau logo. Déjà, dès le moment du concours, le nouvel hôtel de ville avait été constitué en emblème de la ville. Simplifié par Alessandro Anselmi, le dessin du plan masse fait la couverture du magazine municipal, avec le sous-titre "La ville dont la mairie sera un signe”. La vocation de l'édifice et la stylisation du dessin suffiraient à rendre crédible une telle perspective mais il n'en sera rien. Même si le premier monument municipal possède une valeur emblématique que ré­ percute sa mise en photographie officielle par la reprise à l’identique du cadrage de la perspective du concours, la municipalité choisit de se lancer dans la production d'un nouveau logo. Une telle initiative reste en soi banale tant la concurrence des villes rend extrêmement abondante la diffusion icono-médiatique. Ce qui la distingue c'est préci­ sément qu'elle donne lieu, à l'occasion de sa présentation publique auprès des habi­ tants par l'intermédiaire d'un dépliant, à un récit très construit et articulé de la ville qui fonde le logo et que celui-ci est censé résumer dans la mesure où «un logo est une image qui remplace un long discours. » Ce récit reprend très largement d'autres récits antérieurs et propose un cadre aux récits futurs.

Les raisons du nouveau logo sont présentées comme liées aux changements de la commune : « Depuis la création de son premier logo bleu et vert, Rezé a beaucoup changé. (...] En moins de dix ans, Rezé est passée du statut de ville tournée vers le sud-Loire à celui d’une cité au cœur de l'agglomération. » Il n'est pas anodin que ce premier argumentaire fasse d'abord référence aux éléments de transformation de Rezé dans l'agglomération plutôt qu'à une transformation de la ville elle-même. Il indi­ que ce faisant comment les évolutions conduites sur la ville et qui fondent sa dynami­ que d'affirmation identitaire restent pensées dans la perspective d'un développement

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d'agglomération. Le nouveau logo vient donc marquer pour ses protagonistes cette transformation de Rezé devenue «la vraie rive gauche d'une agglomération réunie. » Si la décision renvoie au cadre communautaire d'agglomération, les auteurs n'oublient pas pour autant les spécificités de la ville qu'ils ont tenté d'identifier et d’inscrire dans la nouvelle représentation iconographique. Comme l'indique d'emblée le document de présentation, «le nouveau logo réunit trois éléments indissociables : le carré, la main et le tra it bleu. » Le carré renvoie à l'élément de base de la trame urbaine de la ville gallo-romaine (Ratatium) et à la maison correspondante : «le carré évoque la fonda­ tion de la cité, ses origines, la stabilité de ce qui dure, la croissance maîtrisée et l’harmonie que toute ville voudrait atteindre. » Inspirée du dessin "la main ouverte” de Le Corbusier, la main, élément central du motif, en même temps qu'elle est "une référence discrète" au célèbre architecte, est investie d'une multitude de significa­ tions: amitié, solidarité, dessin et construction de la ville. Elle prend en charge l'incon­ ciliable corbuséen : le coup de chapeau aux Castors rezéens qui ont construit leurs

maisons de leurs mains et le "village vertical”, l'un des cinq prototypes d'unité d'habita- 8 O tion dont la "Maison radieuse" de Rezé fait partie « qui est d'ailleurs la seule à vivre

selon l'esprit de sa conception et (...) la seule à conserver sa maternelle sur le toit.» La main ressemble aussi, pour les auteurs, à un oiseau (envol, dynamisme ...) et à un bateau qui évoque les origines du port antique, la proximité de l'Atlantique. Le tra it bleu enfin, sur lequel «toute la composition graphique repose» est «une image de l'eau: du fleuve (la Loire) et de la rivière (la Sèvre), de l’océan grâce auxquels Rezé existe. » Lié à la symbolique de la main, ce «trait bleu résume le destin passé, présent et à venir de Rezé, ville d'estuaire et de confluence. »

Le nouveau logo apparaît comme un récit de ville condensé ou plus exactement comme une mise en récit de plusieurs récits antérieurs. De sorte qu'au-delà d'une performance iconographique qu'il ne nous appartient pas de mesurer ici — à savoir sa capacité à rendre compréhensible pour les habitants le discours qu'il est censé symboliser — c'est le discours émis à l'occasion de sa fabrication qui nous inté­ resse. Indissociable des nouvelles conditions de production que caractérise le ren­ forcement de la communication municipale au cours de la dernière décennie, cette mise en récit se présente comme une tentative de fondation du sens qui articule la spatialité et la socialité rezéenne dans ses dimensions historiques et mémoriales ainsi que le fu tu r de son développement. Tous les éléments de la permanence, de

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l'unité et de la similitude qui fondent la construction identitaire rezéenne sont contenus dans le méta-récit que constitue le nouveau logo ; ils « résument les points fo rts de l'identité rezéenne et les lignes de son développement. » En dégageant des mar­ queurs socio-spatiaux, le récit édilitaire rezéen fonctionne comme matrice unifiante du territoire et de son histoire, par delà les continuités et les ruptures.

S'intéresser à la mise en récit édilitaire de l'action spatiale soulève deux axes d’inter­ rogation que nous évoquerons en guise de conclusion ouverte. D’une part, une telle perspective peut présenter le risque que le chercheur participe ainsi à son insu à la production du récit municipal. Sans prétendre résoudre la question en quelques mots, il apparaît néanmoins que ce risque est commun à toute recherche et renvoie aux rapports du chercheur à son objet. D’autre part, il resterait naturellement à apprécier la performativité de ce récit sur les habitants35 mais aussi à connaître les récits émis par les eux, c'est à dire la production secondaire et la production pri­ maire de récits par les habitants.

• • • 35 . Cet aspect a donné lieu à une première approche dans le cadre de notre recherche sur Rezé. Cf. Philippe Bataille, Jacques Moreau (collab.), L'Architecture comme expression e t médiation de l'identité urbaine d'une banlieue, op. cit., note 14 supra, seconde partie.

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