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La valeur apologétique des miracles du Christ

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La valeur apologétique des miracles du Christ

Grégory Woimbée

Les spécialistes du christianisme du premier siècle, toutes écoles confondues, reconnaissent en Jésus un thaumaturge1. Les récits évangéliques nous rapportent des guérisons, des exorcismes accomplis par lui comme résultats d’une force divine passant à travers lui. Ces œuvres de puissance sont présentées dans le sillage de celles que rapportent les livres historiques de l’Ancien Testament, comme signes de la foi et de l’accomplissement du plan divin de salut. Elles sont intrinsèquement liées à la prédication de Jésus portant sur le Règne de Dieu2. Qu’il fasse des miracles et qu’il prêche la venue du Royaume constituent une seule et même chose, ce qu’une analyse précise de la structure générale du Nouveau Testament démontre amplement3. Les miracles ne sont pas un additum ou un decorum, ils ne viennent pas ajouter du dehors un surcroît d’autorité à la prédication du Royaume, ils font corps avec l’enseignement messianique. En outre, ils ne sont pas extérieurs à l’itinéraire intérieur du croyant et à un acte de foi à la fois ecclésial et personnel4. En dépouiller le texte revient à vider la prédication de Jésus. Cela revient, en outre, dans la mesure où cette révélation verbis ac gestis porte indissociablement sur la personne et l’œuvre de Jésus (sa mission et son identité), et leur coïncidence, à vider de son objet la foi en Jésus5. Les miracles ne sont pas des fictions ultérieures venant, dans le cadre d’une mentalité qui les recevrait sans difficulté, appuyer la prédication ou la reconnaissance de sa divinité.6

L’apologétique a changé dans sa manière d’envisager la place de ces « œuvres de puissance »7 dans sa demonstratio christiana, c’est-à-dire, sa manière d’établir l’origine divine du Christ. Elle les a longtemps perçus comme des créances, des signes tangibles (bien que non contraignants) en vue de l’acte de foi, des preuves de sa crédibilité8. Autrefois, elle défendait avec

1 L’activité thaumaturgique de Jésus représente, par exemple, dans l’évangile selon saint Marc, 31% du texte total, et même 40% des récits. Toutes les sources chrétiennes, juives et païennes attestent en outre qu’il accomplissait des miracles. Cf. Salvador Pié-Ninot, La Teologia fondamentale, Brescia, Queriniana, 2002, p. 362-363 ; Fernando Ocàriz & Arturo Blanco, Fundamental Theology, Woodridge Illinois, Midwest Theological Forum, 2008, p. 236-244. 269-272 ; Michel Quesnel, Jésus, l’homme et le fils de Dieu, Paris, Flammarion, Champ Essais, p.107-111 : « Les miracles font partie du tissu narratif des Evangiles, ils sont même, en dehors des récits de la Passion, la principale forme littéraire du récit que l’on peut y trouver. […] Ils présentent les miracles comme signes du Règne de Dieu et non comme appui pour dire l’habileté du thaumaturge » (p.107).

2 « Basiléia tû Theû » correspond à l’expression hébraïque « malkhût Adonaï ». YHWH est le Seigneur, roi d’Israël, sa volonté salvifique est la loi fondamentale qui constitue son peuple. Cette expression salvifique a un double caractère :

performatif comme invitation à construire le règne de Dieu par la victoire sur le mal, communautaire comme lien qui

établit la paix entre les hommes. Cf. Böttigheimer, Christoph, Comprendere la fede. Una teologia dell’atto di fede, Brescia, Queriniana, 2014, p.32.

3 Pour les Synoptiques : Conzelmann, Hans, Théologie du Nouveau Testament, Paris, Le Centurion/Genève, Labor et Fides, 1969, p.149-152 ; pour saint Jean : Grob, Francis, Faire l’œuvre de Dieu. Christologie et éthique dans l’Evangile de Jean, Paris, Puf, 1986, p.46-74.

4 Vermes, Geza, Christian Beginnings. From Nazareth to Nicea, AD 30-325, London, Penguin Books, 2012, p. 32-38. 5 Les miracles du Christ font partie de l’objet matériel de la foi, ils reçoivent donc de la part du croyant un assentiment de foi divine.

6 Rahner, Karl, Traité fondamental de la foi, Paris, Le Centurion, 1983, p.288 : « Dans les récits des évangiles concernant la vie de Jésus, nous sont rapportés des œuvres de puissance, des signes, des miracles. L’on peut présupposer ici qu’une critique historienne de ces œuvres de puissance de Jésus ne saurait, à tout prendre, les éliminer simplement de la vie de Jésus comme des fictions ultérieures. Jésus fut, dans une certaine mesure, un thaumaturge qui, dans ses actions, avait en vue un signe de ce ce que par lui une proximité nouvelle du Royaume de Dieu est advenue. Mais la question pour nous est celle-ci : quelle signification ont ces « miracles » pour notre relation de foi à Jésus comme Celui qui apporte absolument le salut ? »

7 Miracles dans la nature, par distinction des prophéties (miracles dans l’histoire) et de la sainteté (miracle dans la personne).

8 Cf. Concile Vatican I : la légitimation qu’élève Jésus à notre foi en lui comme Messie et comme irruption définitive du règne de Dieu est donnée dans ses miracles et sa résurrection (DH 3009). Cependant, ses miracles ne constituent

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2 les miracles, aujourd’hui elle doit défendre les miracles – c’est-à-dire montrer d’abord leur possibilité – bien consciente du fait qu’ils sont intrinsèques au contenu de la foi et que leur fragilisation affecterait non seulement sa démonstration, mais encore la foi elle-même. La notion technique – et restrictive du point de vue de la notion biblique – de miracle comme « exception aux lois de la nature » s’est affaissée dans la culture commune. Depuis le philosophe anglais Hume, le miracle est davantage une épreuve, difficilement une créance.

Il ne nous sera pas possible en quelques lignes de faire un état complet de la question, de présenter toute la production apologétique relative au miracle. Nous avons dû opter pour un objet beaucoup plus restreint qui vise à poser le problème apologétique du miracle en réévaluant l’apport spécifique à cet égard de la méthode dite classique et qui constitue, dans le magistère catholique, la voie ordinaire et toujours valable du théologien pour appréhender la question. Après une série de remarques préliminaires qui nous conduiront jusqu’à l’exposition de cette méthode (1), nous chercherons à montrer l’actualité de cette via classica, qui présente aussi l’intérêt œcuménique d’avoir profondément stimulé le monde protestant anglais et américain (2).

I – Prolégomènes

1 – Fondement existentiel et développement notionnel

L’apologétique est une discipline théologique qui vise à établir la crédibilité de la Révélation chrétienne, comme divine, publique et historique9. Au service d’une théologie de la Révélation et de l’acte de foi, elle entend favoriser l’accès à la foi chrétienne comme orthodoxie doctrinale et relation personnelle et ecclésiale au Dieu vivant et vrai.

Dans la démocratie athénienne, un procès judiciaire se devait d’être contradictoire : après le discours d’accusation, l’accusé (ou son représentant) était invité à prendre la parole dans le prétoire et à réfuter les charges qui venaient d’être portées contre lui, autrement dit à produire une apologia. C’est ce sens de discours de « défense » ou de « « réfutation » que l’on donne aux dix-sept occurrences néotestamentaires du nom apologia ou du verbe apologeomai. Le contexte initial de l’apologia est donc « existentiel », celui d’une personne ou d’un groupe de personnes accusées et, ici, à cause de l’Evangile. C’est, comme le souligne Paul Ricœur, une particularité du fidèle du Christ que de témoigner « pour » et « que », et du témoin que d’être politiquement et socialement non à barre des témoins, mais sur le banc des accusés.10 De fait, le martyr est la forme suprême d’apologia christiana, puisque la vie du disciple est alors en complète conformité et cohérence avec l’Evangile, à la fois comme message et comme messager, à cause duquel il vit ce qu’il vit et pour lequel il accepte de donner sa vie.11 L’adresse de l’apôtre Pierre, qui constitue la magna carta de ce

jamais une preuve contraignante ou suffisante. La foi en lui oblige à croire à ses miracles, non ses miracles à croire en lui. Le miracle est avant tout un signe de la foi accessible à tous (DH 3013s, 3033). L’homme appelé à croire ne croit pas exclusivement par des signes extérieurs, mais surtout par le secours de la grâce intérieure (DH 3009) ; Vatican II : le Décret Dignitatis humanae sur la liberté religieuse, n.11, rappelle que les miracles furent réalisés pour susciter et fortifier la foi des auditeurs, et non pour exercer une coercition sur eux.

9 Woimbée, Grégory, Leçons sur la foi, Lethielleux, Paris, Leçon III, p.86-87. L’objet matériel est la Révélation chrétienne (ce qui requiert une théologie de la Révélation), l’objet formel quod est la crédibilité de cette Révélation, l’objet formel quo est le double regard de la foi et de la raison.

10 Cf. Ricœur, Paul, « L’herméneutique du témoignage », dans Le témoignage, Actes du colloque du Centro Internazionale

di Studi humanistici e dall’Istuto di Studi Filosofi, tenu à Rome en 1972 (dir. E. Castelli), Paris, 1972, p.35-61.

11 Phil 1, 16-18 : « Ceux qui agissent par amour, ils savent que je suis ici pour la défense de l’Evangile. Ceux-là, c’est par esprit de rivalité qu’ils annoncent le Christ. Leurs motifs ne sont pas purs ; ils pensent rendre ma captivité encore plus pénible. Mais qu’importe ? Il reste que de toute manière, avec des arrière-pensées ou dans la vérité, Christ est annoncé. » (TOB)

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3 qui deviendra une discipline académique spécifique, est elle aussi prononcée à l’occasion de la persécution des fidèles du Christ12.

Issue d’un contexte existentiel, celui de Chrétiens prenant la place du Christ sur le banc des accusés, tout comme il avait pris la leur sur le gibet de la croix, professant ainsi publiquement leur foi, l’apologia connaît un développement notionnel au IIe siècle. Des écrivains chrétiens publient sous ce nom, sur le modèle de Platon et de son Apologie de Socrate, des traités justifiant les croyances et pratiques chrétiennes, contre les accusations d’illégalité, de déloyauté et de dangerosité. L’apologie devient alors une défense circonstanciée du christianisme. L’apologétique, dont le mot ne s’établit qu’à la fin du XVIIIe siècle, désigne l’ensemble des principes utilisés pour défendre le christianisme, établi au terme d’une longue histoire, au moment d’une profonde remise en cause des autorités de la Révélation chrétienne.13 Nous entendons donc par apologétique la théorie qui réfléchit sur les moyens de produire un discours de défense et de justification du christianisme et de réfutation des arguments portés contre lui, en remplissant trois fonctions14. La fonction défensive vise à établir sa prétention à être vrai (son origine divine), la fonction de justification vise à présenter sa vision du monde et de l’histoire (son offre de sens), la fonction de réfutation vise à montrer la fausseté des accusations et des attaques portées contre lui.

2 – Horizon culturel

Non pas seulement telle apologie, tel discours de défense, mais aussi telle théorie apologétique dont nous parlions plus haut, sont liées à l’horizon culturel dans lequel elles sont produites. Par horizon culturel, on entend cet ensemble de variations liées à l’époque, aux lieux, aux mentalités dominantes, aux conditionnements, ainsi qu’aux différentes formes qu’elles prennent dans les trois grands publics auquel s’adresse l’apologiste : l’académie, l’Eglise et le grand public. L’apologétique ne doit pas seulement exprimer un sens à travers des significations, elle doit veiller à la significativité de ce qu’elle exprime dans une culture donnée et pour ceux auxquels elle s’adresse.

L’apologétique que nous connaissons est issue de la modernité tout en s’étant formée contre elle. Des années 1740 aux années 1960, la culture occidentale, appelée communément aujourd’hui « modernité » construisit sa révolution intellectuelle, politique, économique, sociale et culturelle sur le dogme (prémisse indémontrable à laquelle on croit), non pas qu’il existe une raison humaine universelle commune à tous les peuples de tous les temps (la raison naturelle),

12 1 P 3, 14-16 : « Bien plus, au cas où vous auriez à souffrir pour la justice, heureux êtes-vous. N’ayez d’eux aucune crainte et ne soyez pas troublés ; mais sanctifiez dans vos cœurs le Christ qui est Seigneur. Soyez toujours prêts à justifier votre espérance devant ceux qui vous en demandent compte. Mais que ce soit avec douceur et respect. » (TOB)

13 On distinguera de même entre l’herméneutique (la réflexion sur les principes de l’interprétation) et l’exégèse (l’application de ces principes à tel texte).

14 Du point de vue disciplinaire, qu’on l’appelle apologétique ou partie apologétique de la théologie fondamentale, il y a toujours deux choses à distinguer avec soin : la méthode (in actu signato) et sa mise en œuvre (in actu exercito), sans parler des réajustements méthodologiques qui proviennent de la mise en œuvre. La méthode réfléchit à l’itinéraire qui sépare le defensor fidei de son objet qui est la crédibilité du christianisme et qu’il ne peut emprunter qu’en inquisitor

veritatis. Si tout le monde s’accorde à dire que l’apologiste « défend » la foi chrétienne contre l’accusation de fausseté,

d’inconsistance ou de crédulité et qu’il entend ad intra affermir la foi de ceux qui croient déjà et ad extra favoriser l’accueil de l’Evangile par ceux qui n’y croient pas encore, la manière de remplir ces tâches varie selon sa théologie de la Révélation et de l’acte de foi, selon sa manière de penser le rapport entre nature et grâce, selon l’anthropologie qui sous-tend sa théologie…etc. Les approches apologétiques mettent l’accent tantôt sur l’unicité de l’expérience chrétienne de la grâce divine, sur la théologie naturelle, sur le contenu de la Révélation divine. Sur un état des lieux méthodologique, voir Steven B. Cowan (ed.), Five Views on Apologetics, Counterpoints Exploring Theology, Zondervan, 2000 ; Kenneth D. Boa & Robert M. Bowman Jr (ed.), Faith Has Its Reasons. Integrative Approaches to

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4 mais que cette raison naturelle est ordonnée à une connaissance purement nomologique, seule capable de donner accès et sens aux structures profondes de la réalité et du monde. Elle a cru pouvoir redonner à l’humain sa prééminence sur les organisations et les institutions politiques et religieuses par l’établissement d’un système total d’explications selon un principe unique. Le rationalisme est l’idéologie de la modernité, la clef lui servant pour comprendre, la clef nous servant pour la comprendre. Une idéologie étant par définition le tout substitué au réel, il est difficile de dialoguer avec le rationalisme sans aller sur son terrain et risquer d’être rationaliste. Le propre d’une idéologie, c’est qu’elle ne peut survivre hors de son biotope et qu’il est difficile d’y échapper au-dedans.

Dans une Weltanschauung rationaliste, on passe de la conception théiste du monde produite par le christianisme à une conception panthéiste ou déiste dans un premier temps, puis athée dans un second. L’apologétique chrétienne se focalise donc sur la production d’arguments logiques et exprime la crédibilité de la foi de manière à montrer la rationalité du christianisme. Cette apologétique logicienne, sans les oublier totalement, néglige les aspects relationnel, imaginatif et existentiel de la foi. Pascal se plaint dès le départ d’une approche unilatéralement notionnelle de la foi. La raison n’atteint pas par ses propres forces toutes les raisons. Il est des raisons qu’elle ne peut établir et qui font pourtant crédit à l’acte de foi. Rendre la foi plus accessible à la raison ne signifie pas qu’on la rende plus accessible tout court, bien au contraire. Si on adopte l’idée d’une réduction possible du christianisme à un ensemble de propositions acceptables du point de vue logique, on construit une théologie ou une morale naturelles sans caractère théologal ou spirituel. L’apologétique ne doit pas être une version religieuse de l’idéologie qu’elle combat, ni une version sécularisée de la religion qu’elle défend. Comme l’écrit l’apologiste Alister Mc Grath : « Le danger des formes d’apologétiques qui répondent au rationalisme est qu’elles finissent souvent par importer le rationalisme dans le christianisme, plutôt que d’exporter l’évangile dans une culture rationaliste15. »

Le XXe siècle a montré que l’idéologie rationaliste était intrinsèquement irrationnelle. Et si la foi chrétienne est attachée à la raison, c’est plutôt à une raison sapientielle et métaphysique, une raison qui cherche la vérité, qui s’intéresse aux significations humaines, au sens, c’est-à-dire à l’origine, au fondement et à la fin ultime de ce qui est, et qui pose la question de Dieu comme crédible et comme féconde. Le rationalisme n’est jamais qu’une forme fanatique de raison humaine déifiée et incréée, qui a peu à voir finalement avec la raison elle-même. Si le rationalisme des Lumières est obsolète du point de vue de la raison, il ne l’est pas encore du point de vue de la culture actuelle où un néo-scientisme d’origine biologique et neuroscientifique lui redonne les couleurs qu’il avait perdu dans les tranchées et les camps de concentration des panthéismes et athéismes de tous bords16.

L’apologétique ne doit pas oublier son caractère d’urgence : si elle a beaucoup de temps au regard de l’histoire du christianisme, elle n’en a pas au regard de ceux auxquels elle s’adresse hic et nunc. Elle s’intéresse davantage aux personnes auxquelles elle veut annoncer l’Evangile qu’aux idées qu’elle veut combattre. Elle fonde son activité sur le désir d’un dialogue présent basé sur des arguments que partagent ses interlocuteurs. En ce début de XXIe siècle, nous nous trouvons dans un contexte plus complexe et moins binaire (d’un côté les Lumières et la raison, de l’autre les ténèbres et la foi). Si le mot « postmoderne » apparaît dès 1917 pour désigner le monde

15 Alister E. Mc Grath, Mere apologetics, how to help seekers & skeptics find faith, Grand Rapids / Michigan, Baker Books, 2011, p.29.

16 Groupe de quatre auteurs anglo-américains – Richard Dawkins, Sam Harris (scientifiques), Christopher Hichens (journaliste) et Daniel Benett (philosophe) – ayant publié entre 2004 et 2007 une série de best-sellers. A des degrés divers, ils disent que les religions doivent être activement combattues. Leur critique est principalement, pour ne pas dire exclusivement, et viscéralement antichrétienne. De fait, cet athéisme n’a rien de nouveau et ne fait que reprendre des arguments philosophiques des XVIIIe et XIXe siècles, sous couvert de science. Ils utilisent leur statut de scientifiques pour créditer une argumentation qui, elle, n’a rien de scientifique.

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5 déshumanisé et défiguré par la première révolution industrielle, puis le mot « postmodernisme » en 1971 à propos de la nouvelle architecture, la postmodernité est associée au moment culturel que nous traversons. Dépassement de la modernité pour les uns, crise pour les autres, elle sert à désigner la fin du mythe fondateur de la raison triomphante. Elle ne signifie pas que le rationalisme est mort, mais que le rationalisme comme voie unique, comme grille de lecture exclusive du réel est mort. Nous vivons probablement une seconde phase de la modernité, plus complexe et moins euphorique, éclectique, consumériste et global, revenue des idéologies politiques, mais plus intensément plongée dans la bureaucratie et les technologies. Modernité totale mais totalement désabusée. Si la modernité est désenchantement du monde, la postmodernité est-elle désenchantement de la modernité ? Et si oui, faut-il y voir un retour du religieux ? Et si oui, faut-il considérer ce retour comme un bien pour le christianisme qui est non seulement religieux mais surnaturel ?

Saint Augustin regrettait l’époque où le christianisme dominait et soutenait l’Empire, saint Bernard de Clairvaux regrettait l’époque du christianisme de saint Augustin. Le passé qui n’est plus est facilement idéalisé par ceux que le présent aliène ou déracine, le futur qui n’est pas encore peut donner lieu à toutes les fictions créatives et aux utopies que nulle épreuve du réel ne vient briser dans l’œuf, avant qu’il ne soit trop tard. Le présent incertain est la seule chose certaine et c’est le temps de l’apologétique. L’apologiste n’est ni un nostalgique ni un rêveur, il doit faire face aux défis du présent en utilisant tout ce que l’histoire lui a laissé, et en ne considérant pas les approches apologétiques du passé, c’est-à-dire « pré-modernes » comme précritiques ou dépassées.

Si l’apologétique rationaliste est obsolète, eu égard au fait qu’elle n’a jamais été pertinente, l’apologétique classique ou prémoderne ne l’est pas, non parce que nous serions revenus à la prémodernité, temps qui n’existe pas, mais parce que nous devons promouvoir une apologétique authentique fondée sur l’effort d’une raison authentique. Le nouveau contexte n’impose pas un « retour », il révèle l’actualité de cette démarche fondée sur l’union de la foi et de la raison. L’apologétique classique est une ressource inestimable.

3 – La méthode dite « classique »

L’apologétique « classique » est une méthode caractérisée par l’accent qu’elle met sur la corrélation de la raison et de la foi. Elle doit ses lettres de noblesse à saint Thomas d’Aquin. Elle présente le christianisme comme « conforme à la raison » selon une gnoséologie qui considère que la connaissance naturelle de Dieu est inséparable d’une connaissance surnaturelle de Lui, et s’appuie sur le principe qu’il existe des arguments favorables au christianisme qui sont accessibles à tous indépendamment de leur option religieuse, tout en découlant de l’option religieuse chrétienne comme étant ce qui la prépare et la confirme.

Cette démarche s’enracine dans la tradition chrétienne la plus ancienne. Dans ses premiers écrits, l’Evêque d’Hippone s’appuie sur les preuves philosophiques de l’existence de Dieu pour prouver ensuite que Dieu s’est révélé lui-même en Jésus-Christ comme l’attestent ses miracles et ses prophéties rapportés par le Nouveau Testament, ainsi que l’extraordinaire développement de l’Eglise catholique, donnant ainsi la structure de l’apologétique classique. Au second millénaire, la théologie de la quaestio et de l’université systématise cet ensemble argumentaire sous la forme d’une foi humaine et philosophique, clairement distinguée de la foi surnaturelle et théologale. Saint Anselme élabore son argument a priori en faveur du théisme tout en précisant qu’il ne peut ni équivaloir ni conduire logiquement au Verbe incarné et rédempteur, la foi devant être placée en Dieu et sa révélation et non en ses arguments. Saint Thomas lui un préfère un argument a posteriori (les cinq voies), tout en précisant, avec la même conviction, qu’il ne pouvait servir de socle ou de substitut à la foi ni conduire à une connaissance – bien qu’adéquate – suffisante, c’est-à-dire salvifique. En outre ces arguments philosophiques ne

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6 constituaient pas un rempart face à l’athéisme mais une base commune pour les hommes de bonne volonté, c’est-à-dire concrètement à l’époque d’autres théistes, savants juifs et musulmans.

Au XVIe siècle, Mélanchton est une exception dans la ligne du dernier Luther, mais suffisamment notable, pour que l’apologétique classique survive et se développe hors du catholicisme. Face au déisme et au scepticisme se développant dans le monde savant du XVIIe siècle, des calvinistes rejoignent le club. Ce front « commun » donne naissance à une « théologie naturelle » dont le premier objet est la défense du théisme et de sa conception du monde sur la base d’arguments rationnels.17 Cette défense devient au XIXe siècle définit l’opposition d’un christianisme confessant à un christianisme libéral, l’affirmation de son caractère surnaturel18. Le vrai christianisme est révélé historiquement et publiquement, Jésus-Christ en est le « médiateur et la plénitude » comme l’exprime le magistère catholique dans Dei Verbum 2. Le protestantisme orthodoxe va développer des apologétiques marquées par les principes de la réforme, sola scriptura et sola fide, qui l’orientent par fidéisme, à une certaine forme de fondamentalisme. Cependant, il est remarquable de constater que l’héritage thomiste y trouve des survivances là où la pensée continentale européenne l’abandonne.

L’apologétique classique est une démarche en deux étapes : philosophique et historique. Avant de discuter des preuves historiques ou matérielles, on doit établir l’existence d’un Dieu unique, personnel et transcendant, établir le cadre dans lequel les miracles comme faits historiques19. Sans ce contexte théiste, aucun événement historique ne peut être compris comme un signe divin. Les miracles ne peuvent pas prouver Dieu, Dieu seul peut prouver les miracles. C’est seulement avec l’évidence première de l’existence de Dieu que le miracle est possible. Qu’il soit possible n’établit pas la vérité de tel ou tel miracle, et donc requiert une enquête spécifique.

Elle commence donc par établir la crédibilité philosophique du christianisme (vérité de l’existence de Dieu et possibilité d’en avoir une certaine connaissance adéquate). Elle se poursuit en établissement la crédibilité historique des Saintes Ecritures et l’origine divine du christianisme. A partir du moment où le rationalisme philosophique est importée en théologie, les arguments traditionnels alors en vigueur en faveur de l’existence Dieu tout comme les arguments en faveur de la fiabilité historique des Saintes Ecritures qui en découlent, sont rejetés. Et le fidéisme ou l’existentialisme sont les seules portes de sortie, c’est-à-dire une sortie du christianisme dogmatique.

Il faut distinguer entre « savoir » que le christianisme est vrai et « montrer » que le christianisme est vrai. Si la raison, en produisant des arguments et des preuves, joue un rôle essentiel pour « montrer » que le christianisme est vrai, elle joue un rôle secondaire pour « savoir » qu’il est vrai. Notre connaissance de la vérité du christianisme est l’œuvre intérieure de l’Esprit Saint, à la différence de notre effort pour ouvrir le cœur des non-croyants et les conduire à répondre aux raisons que nous leur présentons.

Dans cet effort, on estime que l’exposition d’une théologie naturelle, c’est-à-dire d’un cadre théiste de connaissance doit précéder le recours aux miracles et aux prophéties. Pourquoi ? Parce que, comme le montre C.S. Lewis, il faut d’abord adopter la seule conception du monde dans laquelle le miracle telle qu’il est conçu dans l’Ecriture Sainte est possible : le théisme. Toute

17 Hugo Grotius peut être considéré comme le père de l’apologétique moderne avec son De Veritate Religionis

Christianae qui met en place son argumentaire traditionnel : théologie naturelle (existence de Dieu et arguments en

faveur du théisme), théologie historique (vérité et fiabilité du Nouveau Testament). On peut également citer William Paley (1743-1805) et son Natural Theology et son A View of the Evidences of Christianity.

18 Benjamin Breckinridge Warfield (1851-1921), professeur de théologie au Princeton Theological Seminary de 1871 à sa mort, publie de nombreux ouvrages défendant l’orthodoxie chrétienne face à la théologie libérale. La théologie libérale conteste le caractère normatif et définitif des enseignements bibliques. L’orthodoxie protestante, malgré sa rupture avec la tradition ecclésiastique, avait conservé l’interprétation dogmatique que les conciles œcuméniques avait fait de l’Ecriture Sainte. Il accuse le protestantisme libéral ses options naturalistes et moralistes.

19 Ce qui ne signifie pas « historiens », en ce sens que la science historique pourrait les démontrer ; « historiques » comme « vrais et réellement arrivés », et non comme « faits que la science historique peut établir ».

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7 enquête historique doit être précédé par un cadre philosophique, dans la mesure où le cadre philosophique communément adopté par les savants rend la notion de miracle obsolète ou impossible.

II – Valeur apologétique des miracles 1 – Possibilité des miracles

C.S. Lewis (1898-1963), plus qu’aucun autre, popularisa l’apologétique classique au XXe siècle20. Universitaire, spécialiste de littérature anglaise médiévale, né chrétien, il passe de l’athéisme philosophique à l’orthodoxie chrétienne. Anti-libéral, il engage la réfutation philosophique du naturalisme qui fut le sien et qui dominait l’université anglaise : un Créateur, incréé, personnel, moral existe duquel nous sommes tous redevables et qui est intervenu dans les affaires humaines à travers des signes, dans l’espace (les miracles), dans le temps (les prophéties), dans la personne (la sainteté) au premier rang desquels est la personne même de Jésus-Christ, Verbe incarné.

En pleine seconde Guerre mondiale, il réalise pour la BBC trois séries d’émissions dans lesquelles il réfute l’athéisme, le naturalisme et le dualisme21. Il fait partie de ceux qui pensent que l’abandon du dogme chrétien conduit à une perte irrémédiable de vitalité et du principe de la vie théologale, de participation à la vie même de Dieu ici-bas. Un christianisme qui ne tient plus la divinité du Christ, sa préexistence, sa sacramentalité n’est plus authentique, n’est plus vivant. S’il reconsidéra à la fin de sa vie l’importance de la démonstration philosophique de l’existence de Dieu et s’orienta directement vers les faits concernant Jésus et attestant de sa divinité sans passer par cette démonstration, il reconnaissait qu’elle convenait pour les athées dogmatiques comme lui l’avait été.

Le théisme est une croyance philosophique (tout comme le déisme, le panthéisme, l’agnosticisme ou l’athéisme) qui n’implique pas l’acceptation de soi des miracles ou de tel miracle, mais dont découle l’idée que les miracles peuvent arriver22. Si les miracles sont acceptés par la foi, il s’agit alors d’interpréter convenablement les textes qui en font le récit. Si le théisme établit que Dieu existe, les miracles révèlent qu’il est un Dieu qui offre le salut gratuitement. Si les miracles sont des « créances », ils ne le sont pas du Dieu unique, mais du Dieu sauveur, c’est-à-dire du Dieu biblique en tant qu’ils orientent le regard vers la médiation salvifique de Jésus-Christ. S’ils contribuent à révéler que Dieu est sauveur et que Jésus-Christ est médiateur du salut, ils concernent nécessairement l’identité du Christ, comme envoyé du Père, comme Messie, comme Seigneur et Fils de Dieu. Ils ne valent pas « seuls » indépendamment du Christ, ils sont le Christ se présentant lui-même et s’attestant comme témoin du Père ne faisant qu’un avec Lui.

Qui dit, comme dans l’option existentielle qui relativise la dogmatique chrétienne (comme l’a fait avant elle l’option libérale), croire en Dieu comme une affaire de foi et non de fait dit que pour lui l’existence de Dieu n’a pas de réalité objective, il est donc formellement athée, même s’il ne l’est pas matériellement. « Dieu » n’est alors qu’une interprétation que les hommes donnent à l’univers de même que « Christ » n’est qu’une interprétation que les Chrétiens donnent à Jésus de Nazareth. Dès lors, aucun miracle, dont au premier chef l’incarnation et la résurrection, ne sont des événements historiques, c’est-à-dire indépendants de la foi de celui qui les professe. Cet

20 40 millions d’exemplaires écoulés jusqu’en 1988. Apologiste chrétien le plus lu au 20e siècle et dans toute l’histoire du christianisme.

21The Case for Christianity, Christian Behaviour et Beyond Personality. Ces trois livres viennent à n’en former qu’un seul sous le titre Mere Christianity, que la version française traduit par « Fondements du Christianisme ». Il s’agit des éléments qui constituent pour l’auteur la doctrine d’un christianisme réellement chrétien.

22 Si elle l’impliquait, les miracles seraient des données accessibles par déduction logique, alors qu’ils sont accessibles moyennant l’adhésion à la Révélation divine, et il faudrait alors accepter tous les récits de miracles de toutes les religions, au moins que tous les monothéismes sont également vrais).

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8 existentialisme chrétien se trompe sur les attendus du théisme (sur sa conception de Dieu) et ceux de la Révélation chrétienne (sur son rapport à l’histoire).

Le théisme ne consiste pas seulement à croire en un Dieu unique, il croit que Dieu a créé tout ce qui est selon un ordre qui lui donne une certaine intelligibilité.23 C’est seulement dans un monde où la loi naturelle opère habituellement que nous pouvons reconnaître son intervention. A titre d’exemple, c’est seulement dans un univers où les bébés sont habituellement conçus d’une certaine manière qu’une naissance virginale peut être reconnue comme un acte spécial du Créateur24.

Le théisme croit en un Dieu incréé et créateur qui a la possibilité d’intervenir dans le créé. Il ne pense pas une transcendance sans l’immanence, ou une transcendance dans l’immanence, mais une action providentielle de l’Être transcendant. C’est la raison pour laquelle le théisme n’est pas pensable à l’état séparé de la Révélation divine. Le théisme produit un cadre ou un concept du mon qui permet l’idée d’une intervention divine, c’est-à-dire la présence en ce monde d’un ordre surnaturel comme ordre invisible, qui sans détruire l’ordre naturel, s’y rend visible.

Le théisme ne doit pas être confondu avec une conception magique du monde. Dans une conception magique, « les choses impossibles arrivent tous les jours ». Le monde théiste n’est pas le monde de Ma Sorcière bien-aimée, ni celui d’Alice au Pays des Merveilles. Ce n’est pas un arrière-monde. Seul Dieu peut intervenir, et lorsqu’il intervient plus directement, c’est pour accomplir son plan de salut.

Les objections a priori à cette conception ontologique du miracle qui le tient pour objectif, reposent sur des conceptions erronées du monde et se donnant faussement pour scientifiques. Aucune hypothèse scientifique, qu’il s’agisse d’un résultat ou d’une loi, ne peut la rejeter a priori. Ce rejet repose sur le fait de mettre Dieu et l’homme sur un même plan. Les lois scientifiques décrivent comment la nature fonctionne, elles ne peuvent dire ce qui doit toujours arriver ni légiférer sur celui qui a institué ces lois. Elles ne peuvent dire ce que Dieu peut ou ne peut pas faire. Mettre Dieu sur le même plan que la nature, sous l’effet d’un naturalisme panthéiste, fait du miracle un événement contra naturam, alors qu’il est conçu par le théisme comme extra naturam. Dieu n’abolit pas des lois que lui seul peut, dans l’ordre du salut, surpasser. Pour que les lois de l’univers ne puissent pas être surpassées, il faudrait le concevoir comme un système clos, hermétique à toute influence extérieure au continuum espace-temps. Or cette conception de l’univers est non scientifique ou physique, mais métaphysique. L’idée déterministe et mécaniste de l’univers n’est pas un résultat ou une hypothèse scientifiques, mais une prémisse métaphysique, comme l’est celle du théisme.

Dans une conception théiste, les miracles bibliques peuvent être des arguments en faveur du christianisme, c’est-à-dire de la prétention du Christ, puisque le christianisme est ce théisme qui voit en Jésus-Christ l’accomplissement de la révélation divine. « Peuvent » : en effet, la réalité de l’existence de Dieu prouve seulement que les miracles peuvent arriver, non qu’ils le sont. Si tel était le cas, tout miracle devrait être accepté a priori. Ne pas refuser a priori ne signifie pas accepter a priori. L’enquête philosophique doit être suivie d’une enquête historique portant sur les miracles eux-mêmes pour discerner le vrai ou faux. Le théisme ne consiste pas à accepter les miracles d’une manière non critique, mais à ne pas les refuser d’une manière non critique au nom d’un droit à la critique ! L’existentialisme, l’anti-surnaturalisme et l’anti-dogmatisme qui le

23 Dans une conception athée ou naturaliste, les miracles sont impossibles par définition parce qu’il n’y a rien au-delà de l’univers physique pour rendre le « miraculeux » effectif. Dans une conception panthéiste ou panenthéiste, le divin est réellement une fonction ou un aspect de l’univers, et les miracles sont non sans objet puisque tout est « miraculeux » par définition, c’est-à-dire manifestation du divin. Le miracle comme « intervention divine » est donc non avenue lorsqu’il n’y a pas de divin ou que tout est divin. Pour le déiste, Dieu est un Être purement transcendant, sans relation, non personnel, purement principiel, au point qu’une intervention dans le monde est impossible. Pour le panthéiste, Dieu est purement immanent au point qu’une intervention dans le monde est insignifiante, puisque le monde est lui-même tout entier l’expression du divin. Le déisme et le panthéisme ne se passent pas du divin, mais ils se passent d’un ordre surnaturel distinct, l’un par séparation, l’autre par confusion.

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9 caractérisent, n’est pas la réponse adéquate à la critique moderne, c’est une impasse fidéiste qui répond au rationalisme après l’avoir accepté sans l’admettre.

2 – La fiabilité du miracle

L’enquête philosophique est n’est pas un en soi, elle n’est qu’un préalable qui consiste à articuler théisme et le Dieu biblique, en refusant le déisme et le panthéisme comme dieu philosophique, comme question philosophique de Dieu. La suite va consister à montrer l’actualité, c’est-à-dire la consistance, des miracles bibliques comme attestation de la double prétention de messianité et divinité de Jésus de Nazareth à partir des témoignages sur lui.

La thèse est la suivante : les Ecritures affirment que Jésus dit être Dieu et Jésus parle et agit de manière à être reconnu comme tel. Comme il est exclu qu’il sache qu’il n’est pas ce qu’il prétend être (menteur) ou qu’il ne sache pas qu’il n’est pas ce qu’il prétend être (fou), Jésus est réellement celui qu’il prétend être (le Seigneur). La seule manière de s’en sortir revient à dire que Jésus n’a pas prétendu être Dieu ou qu’il l’a entendu dans un sens figuré ou mystique, si ce qu’on lit dans l’Ecriture Sainte n’est pas une prétention divine de la part de Jésus.

Nous avons un quintillemma :

Soit la proposition : le Nouveau Testament rapporte que Jésus fait cette double prétention Soit c’est vrai, soit c’est faux (légende)

Si c’est vrai, alors :

Soit Jésus l’entend littéralement, soit Jésus l’entend d’une manière figurée ou selon une conception du divin autre que celle du monothéisme juif (lama)

Si Jésus l’entend littéralement, alors :

Soit c’est faux et soit il sait que c’est faux (c’est un menteur, liar), soit il ne sait pas que c’est faux (c’est un fou lunatic)

Soit c’est vrai et il est le Seigneur (Lord)

Nous avons bien cinq propositions (Légende, lama, menteur, fou, Seigneur) et, procédant à la manière de Sherlock Holmes, selon la méthode inductive de l’enquête policière, en éliminant les positions de la plus improbable à la moins improbable, nous devrions en conclure que l’hypothèse la plus probable est celle de sa Seigneurie.

De fait, le trilemma (menteur, fou, Seigneur) est le plus simple. Il n’est pas non plus très compliqué d’invalider l’idée que Jésus aurait défendu une conception non-juive de la divinité et présente dans les religions orientales25. Il est clair que Jésus n’était ni un menteur ni un fou ni un lama. L’objection véritable porte sur la fiabilité historique des récits évangéliques (Jésus était-il bien celui dont témoignent effectivement les hagiographes) ? Autrement dit, Jésus a-t-il réellement dit être Dieu ? Et sur ce point les miracles jouent un rôle important, dans la mesure où ils sont indissociables de la prédication de Jésus.

Dire des récits qu’ils sont fiables, c’est montrer que les hagiographes ont eu accès aux propres et aux faits qu’ils rapportent, autrement dit montrer qu’ils sont des témoins crédibles. Veulent-ils être crus comme ayant raconté des faits historiques ? La réponse est oui. Peuvent-ils être crus comme ayant raconté des faits historiques ? C’est donc à cette question qu’est renvoyée l’enquête historique. Dire ensuite que ces récits sont authentiques, c’est montrer que les textes

25 Jésus n’aurait pas dit être Dieu au sens juif. Quand Jésus parle ou agit comme s’il était Dieu, ce serait pour être compris dans un sens mystique, panthéiste et oriental. Jésus aurait prétendu réaliser ce qui est potentiellement à la portée de tout homme (sagesse orientale), à la manière du lama ou du gourou. Jésus serait comme Bouddha, divin au sens où il a réalisé son unité avec le divin et a essayé de transmettre aux autres le fruit de cette expérience. Cf. Kreeft, Peter – Tacelli, Ronald, Handbook of Christian Apologetics, Downers Grove Illinois, InterVarsity Press, 1994, p.169 : « Jésus était Juif pas thibétain ! Faire de Jésus un gourou c’est aussi correct que de faire de Marx un capitaliste. »

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10 dont nous disposons sont conformes aux versions originelles. Autrement dit, l’enquête historique ne doit pas s’en tenir aux hagiographes, elles doit s’intéresser à l’authenticité des versions dont nous disposons. L’archéologie en particulier et la science historique en général ne suffisent donc pas, il faut aussi le recours aux sciences herméneutiques et à la critique littéraire. Rien évidemment ne prouve que les apôtres de Jésus aient été des menteurs ou des fous, la question n’est donc pas celle de savoir s’ils étaient honnêtes et sains d’esprit, mais ce que nous pouvons dire des récits dont nous disposons aujourd’hui, la Bible étant inséparable de ses traditions. Là encore, le rejet a priori de leur fiabilité et de leur authenticité ne tient pas la route.

Le nœud du problème est donc celui de la fiabilité historique des récits bibliques, car les récits eux-mêmes ont un sens littéral qui ne permet pas l’ambiguïté. Dire que les passages en question seraient des ajouts mythiques ou légendaires qui ne correspondent pas au vrai Jésus repose sur l’idée d’un hiatus entre celui que présentent les sources chrétiennes et celui qu’il a été vraiment. Les miracles font alors partie d’un attirail visant à construire le Christ de la foi et ces récits ne peuvent être reçus comme des faits historiques. Ce sont des données purement théologiques. Ainsi ils ne peuvent avoir le statut de « créance ».

Ainsi, le miracle n’est pas au premier plan, doublement, attaché d’une part à la démonstration du théisme, attaché d’autre part à la démonstration de la fiabilité historique des récits bibliques les concernant. Il est clair qu’en voulant arriver au miracle, on risque de se perdre en route. L’image du miracle-créance ou lettre de créance risquent de conduire à concevoir le miracle comme une preuve purement extérieure à l’acte de foi et, par conséquent, en réaction, à le considérer comme une preuve purement intérieure à l’acte de foi. La catégorie qui, dans l’Ecriture elle-même, permet de penser une réalité à la fois intérieure et extérieure, est celle de signe, le signe étant l’union d’un signifié et d’un signifiant et la médiation d’un sens. Le sens qui est donné à l’origine, la signification qu’on en donne, la significativité du signe en tant qu’il a du sens pour moi, requiert non pas de renoncer au statut ontologique du miracle, mais d’en tirer tout le parti possible pour concevoir le miracle comme une offre de sens dont la portée est universelle et peut atteindre celui qui n’a pas encore la foi, ou permettre à celui qui a déjà la foi de l’approfondir. Si le miracle se rapporte au sens, c’est indéniablement au sens en tant qu’il m’atteint, qu’il me touche, qu’il rend tangibles à mes yeux les promesses de Dieu.

3 – La significativité des miracles

La parole de Dieu, parce que Dieu s’adresse aux hommes, doit être en quelque manière confirmée pour être crue26, et par des faits, dans la mesure c’est l’amour de Dieu qui leur est révélé.

26 St Thomas, Summa Theologiae, IIa IIae q.178 (le charisme des miracles), a.1 (Y a-il un charisme des miracles ?),

respondeo quod : « L’Esprit Saint pourvoit suffisamment son Eglise de tout ce qui est utile au salut, et tel est le but des

charismes. Or, s’il est nécessaire que la transmission de la vérité divine soit assurée par le don des langues et la grâce du discours, ainsi convient-il que le discours soit confirmé pour devenir croyable (Necesse est quod sermo prolatus

confirmetur, ad hoc quod sit credibilis). C’est à cela que vise l’opération des miracles, comme on le dit en S. Marc (16, 20) :

« Leur discours fut confirmé par les signes qui suivirent. » Et cela à juste titre. Car il est naturel à l’homme de saisir la vérité intelligible au moyen des effets sensibles. C’est ainsi que l’homme, conduit par sa raison naturelle, peut parvenir à une certaine connaissance de Dieu par le spectacle de la nature ; de même, à la vue de certains effets surnaturels qu’on appelle miracles, il sera amené à une connaissance surnaturelle des vérités à croire. C’est pourquoi l’activité miraculeuse fait partie des dons gratuits ou charismes. » ; Contra Gentiles, III, chap.154 – Des dons de grâces « Gratis datae » ; et à leur propos : de la divinisation des démons : n.4 : « Un enseignement requiert confirmation pour se faire accepter, à moins qu’il ne soit évident de soi ; or les vérités de foi sont cachées ) la raison humaine. Il fut donc nécessaire que la parole des prédicateurs de la foi fût confirmée de quelque manière. Elle ne pouvait l’être par le recours à des principes de raison, comme dans une démonstration, puisque les vérités de la foi dépassent la raison ; elle dut en conséquence l’être par des signes auxquels elle apparaissait manifestement venir de Dieu ; telles étaient les œuvres accomplies par ces prédicateurs : guérison des infirmes et autres prodiges propres à Dieu seul. C’est pourquoi le Seigneur, envoyant ses disciples prêcher, leur dit : « Guérissez les malades, ressuscitez les morts,

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11 La vérité d’une parole, d’autant plus qu’il s’agit d’une promesse et donc d’un objet portant sur un accomplissement à venir, doit être confirmée par des actes qui en donnent un avant-goût, qui attestent la volonté salvifique de Dieu. Comme nous le rappelle le docteur angélique, nous ne pouvons pas attendre d’une analyse purement intellectuelle des contenus du message chrétien qu’elle nous conduise à la conclusion définitive qu’il est vrai. Quand bien même nous parviendrions à montrer sa cohérence, sa conformité avec les résultats scientifiques que cela ne suffirait pas pour en conclure qu’il est raisonnable de croire.

Dans la Révélation divine, les faits et les paroles forment une polarité constitutive du message, chaque pôle s’éclairant mutuellement. Les faits « confirment », c’est-à-dire prouvent à l’intérieur du message et font connaître ce que les paroles signifient27.

Les miracles ont un caractère théologique en ce sens qu’ils viennent de Dieu, comme dons qu’il fait aux hommes pour manifester son action et inspirer leur foi en lui. Ils appartiennent à l’économie du salut, achevée en Jésus-Christ, verbe incarné et continuée dans l’Ecclesia Christi. Les miracles ont donc un caractère christologique en ce sens que Jésus récapitule en lui-même tous les signes de la foi. Il est en lui-même le miracle, signum fidei. Les miracles ont enfin un caractère ecclésiologique en ce sens que l’Eglise, comme signum Christi, comme premier témoin, corps mystique et épouse du Christ, atteste par elle-même ce qu’elle a charge d’annoncer et de montrer28.

Ces faits relatifs à Dieu, au Fils de Dieu et à son Eglise ont une triple dimension ontologique, psychologique et sémiologique. L’aspect ontologique désigne la dérogation aux lois de la nature, non pas contra naturam, mais extra naturam, c’est-à-dire « praeter ordinem naturae », en ce sens que Dieu seul peut faire des miracles29. L’aspect ontologique renvoie toujours à l’origine divine du miracle, le miracle attestant ensuite l’origine divine de l’action. C’est la raison pour laquelle il faut considérer l’aspect psychologique du miracle qui renvoie à son destinataire, à celui qui doit y reconnaître l’irruption de Dieu dans l’histoire : cet aspect désigne ce qui dépasse l’horizon de nos attentes et nous permet d’entrer intérieurement dans celui des attentes de Dieu30. Par le miracle, Dieu prend l’homme par surprise allant au-delà de ce qu’il pouvait espérer et lui montrant que rien n’est impossible pour lui. Comme le dit saint Augustin : « A travers ces merveilles temporelles qui pouvait être vues, la foi pouvait être construite sur des choses qui ne l’étaient pas31. » Cet aspect psychologique est insuffisant pour reconnaître un miracle, mais il met en

purifiez les lépreux, chassez les démons ». Et il est dit : « Et eux s’en allèrent et prêchèrent partout, le Seigneur travaillant avec eux et confirmant leur parole par les miracles qui l’accompagnaient ».

27 Vatican II, DV 2 : « Il a plu à Dieu dans sa sagesse et sa bonté de révéler en personne et de faire connaître le mystère de sa volonté grâce auquel les hommes, par le Christ, le Verbe fait chair, accèdent dans l’Esprit-Saint, auprès du Père et sont rendus participants de la nature divine. Dans cette Révélation, le Dieu invisible s’adresse aux hommes en son immense amour ainsi qu’à ses amis, il s’entretient avec eux pour les inviter et les admettre à partager sa propre vie. Pareille économie de la Révélation comprend des événements et des paroles intimement unis entre eux, de sorte que les œuvres, réalisées par Dieu dans l’histoire du salut, attestent et corroborent et la doctrine et le sens indiqués par les paroles, tandis que les paroles publient les œuvres et éclairent le mystère qu’elles contiennent. La profonde vérité que cette Révélation manifeste, sur Dieu et sur le salut de l’homme, resplendit pour nous dans le Christ, qui est à la fois le Médiateur et la plénitude de la Révélation. »

28 Vatican I, Dei Filius, n.3 (DH 3012) : « Pour que nous puissions satisfaire au devoir d’embrasser la vraie foi et de persévérer constamment en elle, Dieu, par son Fils unique, a institué l’Eglise et l’a pourvue de marques évidentes de son institution afin qu’elle puisse être reconnue par tous comme la gardienne et la maîtresse de la Parole révélée. » 29 Saint Thomas, Summa Theologiae, Ia, q.110 (La primauté des anges sur les créatures naturelles), a.4 (Les anges, bons ou mauvais, peuvent-ils faire des miracles ?), respondeo quod : « Il y a miracle à proprement parler quand quelque chose est produit en dehors de l’ordre de la nature. […] Dieu seul peut le faire. » ; Contra Gentiles, III, chap.100 (Comment l’action de Dieu en dehors de la nature n’est pas contre la nature).

30 Saint Augustin : « Quidquid insolitum supra spem vel facultatem mirantis apparet » (ce qui est insolite et qui apparaît comme allant au-delà de ce qu’on peut espérer). Cf. De utilitate credendi 16, 34 (PL 42, 90) : « J’appelle miracle tout ce qui, étant difficile et inhabituel, surpasse les attentes et les capacités du spectateur. C’est pourquoi le spectateur est émerveillé. »

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12 évidence l’aspect sémiologique bien décrit par Maurice Blondel à l’époque de la crise moderniste dans sa Lettre d’apologétique de 1896 : « Les preuves de faits, écrit-il, ne valent que pour ceux qui sont intimement prêts à les accueillir et à les comprendre ». Autrement dit, si le miracle sert à comprendre la parole qui vient de Dieu, il faut aussi que la parole serve à le comprendre, à saisir ce qu’il signifie. L’essence du miracle est d’être un signe, tout comme la prophétie.

Comme le dit saint Thomas32, ces miracles que Dieu seul peut accomplir sont de trois types. Le premier désigne les « œuvres divines que la nature ne peut jamais faire » (passer la mer à pieds secs). Le deuxième désigne les « œuvres de Dieu, possibles à la nature mais non dans cet ordre » : « Qu’un animal vive, voie, et marche, c’est une œuvre de la nature, mais qu’il vive après être mort, qu’il voie après être aveugle, que le paralytique marche après avoir perdu sa force, la nature ne le peut faire ». Le troisième type désigne des « œuvres normales dans la nature, mais que Dieu accomplit sans l’action des principes naturels, ainsi la guérison d’une fièvre, à la portée de la nature, opérée par la vertu divine, et encore une pluie qui tombe sans l’action des principes naturels. »

Comment se fait-il que Dieu ne respecte pas ou transgresse l’ordre qu’il a lui-même établi ? Pour qu’il y ait miracle, il faut à la fois ordre et transgression de cet ordre par celui qui l’a établi. Pour saint Thomas, Dieu n’a pas établi un ordre contraignant pour lui, et intervenir en cet ordre de manière à y être reconnu, ne consister pas à aller contre lui. Il est créateur et provident. Créer n’est pas pour Dieu s’enchaîner ou enchaîner sa création à un ordre, mais renoncer à être la totalité de ce qui est. La création permet au créé d’être non à enchaîner l’incréé33. L’intervention divine loin de remettre en cause l’ordre naturel créé, le requiert, au risque de ne pouvoir se rendre manifeste aux hommes. En effet, la finalité des miracles est de faire connaître aux hommes le Christ comme Verbe incarné pour leur salut34. Si Dieu a créé l’univers, il a pu créer l’humanité du Christ, sa présence réelle dans l’Hostie ou multiplier les pains, elles-mêmes indémontrables et irréductibles à des explications rationnelles.

Karl Rahner essaie d’actualiser cette position35. Selon notre expérience moderne et l’interprétation du monde qui en découle, toute dimension de la réalité est construite de bas en haut, du plus vide et indéterminé au plus complexe et accompli. La couche inférieure est ouverte à la supérieure et la supérieure implique elle-même l’inférieure comme son propre moment, qu’elle dépasse sans pour autant en détruire les lois propres. Le niveau supérieur n’est seulement la complexif ication du niveau inférieur, mais il est l’irruption d’une nouveau radicale par rapport à lui, par exemple l’homme rationnel par rapport à l’ordre biologique et physico-chimique. Il y a donc une dimension proprement humaine du biologique et du physico-chimique, et une dimension proprement biologique et physico-chimique de l’humain. La liberté humaine n’est pas réductible au physico-chimique, mais elle n’en abroge pas les lois propres. Le matériel conserve

32 Contra Gentiles, III, chap.101 (Des miracles) : « On a coutume d’appeler miracles ces œuvres accomplies par Dieu en dehors du cours normal des choses : en effet, nous admirons quelque chose, quand voyant l’effet nous en ignorons la cause. Et comme une unique et même cause est susceptible d’être connue des uns et ignorée des autres, il arrive que devant un effet les uns sont dans l’admiration mais non les autres. […] Ces miracles sont de degrés et d’ordre divers… »

33 Saint Thomas, De potentia, q.6, a.1.

34 Saint Thomas, Summa Theologiae, IIIa, q.44 (Les diverses catégories des miracles du Christ), a.4 (Sur les créatures dépourvues de raison), respondeo quod : « Les miracles du Christ étaient ordonnés à faire connaître que la vertu de la divinité

était en lui pour procurer le salut des hommes. Or il appartient à la puissance divine que toute créature lui soit soumise. Et

c’est pourquoi il fallait qu’il fasse des miracles sur toutes les catégories de créatures, et non seulement sur les hommes, mais aussi sur les créatures dépourvues de raison » ; De potentia, q.6, a.2 ad.9.1 : « L’incarnation du Verbe est le miracle des miracles, comme les saints l’ont dit, parce qu’elle est plus grande que n’importe quel miracle, et que les autres miracles sont ordonnés à elle. C’est pourquoi elle ne nous conduit pas seulement à croire entre d’autre choses, mais les autres miracles contribuent à ce que nous puissions croire en l’incarnation. »

35 Traité fondamental de la foi, Paris, Le Centurion, 1983, p.288-297 (Les miracles dans la vie de Jésus et leur valeur en théologie fondamentale).

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13 son ordre lorsqu’il est intégré au spirituel. Face à ce qui est simplement biologique, l’homme accomplit le miracle. Pour Rahner l’ordre biologique ne peut s’élever par lui-même à l’ordre rationnel, a fortiori, l’ordre rationnel ne peut s’élever par lui-même à l’ordre surnaturel. Pour lui, l’homme est déjà un miracle de la nature, parce qu’il est un saut qualitatif, une discontinuité. Dieu créé un monde différent de lui, mais il est aussi la dynamique suprême et ultime de ce monde qui n’est pas lui. Il n’a pas créé le monde comme l’horloger produit la montre, au moyen d’une chiquenaude initiale. La montre ne vit pas en dehors du mécanisme horloger, puisque son seul objet est de donner l’heure, tandis que l’horloger vit en dehors du mécanisme, car son but n’est pas donner l’heure, mais de fabriquer la montre. La création vient de Dieu et va à lui. Dieu est donc non seulement l’origine, il est aussi la fin. Sa révélation divine est donc le centre même de l’histoire des hommes et du monde. Dès lors, les lois de la nature sont ordonnées au plan salvifique de Dieu et la grâce de Dieu apparaît, sans le détruire, dans l’ordre naturel qu’il a créé, sans rompre ses lois propres, mais en les suspendant ponctuellement pour interpeller l’humanité et diriger son attention sur son action salvifique.

Autrement, Jésus le thaumaturge, l’homme des guérisons et des exorcismes est au service de Jésus le Verbe, de Jésus le miracle ou le signe. Il en va de même pour la prophétie, miracle dans l’histoire et pour la sainteté, miracle dans la personne. Tout concourt à tourner le regard vers le Verbe incarné. Des miracles qui ne feraient que se produire sans vouloir rien dire à personne, des miracles dans lesquels Dieu se contenterait en quelque sorte de transgresser le cours des choses, sont une représentation inadéquate36. Les miracles sont au service du salut qu’il faut accueillir et auquel il faut décider de participer.

Conclusion

D’une part, la critique philosophique de ces œuvres de puissance qu’on nomme « miracles » ne permet pas de conclure à leur impossibilité, et la critique historique de ces œuvres de puissance ne permet pas d’en faire de simples fictions ultérieures. Il est donc établi 1) Que les miracles sont possibles, 2) Que les récits de miracles associés aux Christ dans le Nouveau Testament sont bien documentés et crédibles.

D’autre part, le miracle est scientifiquement inaccessible, religieusement significatif et surnaturellement causé. 1) Il est irréductible à l’ordre naturel et l’ordre naturel ne l’exclut pas a priori, 2) il concerne le plan divin de salut, 3) il fait corps avec la Parole de Dieu. Il est 1) un signe d’intervention surnaturelle, 2) d’interpellation salvifique, 3) de confirmation historique.

La question qui a dominé les discussions à propos des miracles bibliques dans l’apologétique des deux cents dernières années est la suivante : « Les miracles servent-ils comme éléments d’une apologétique chrétienne ou sont-ils des handicaps qui requièrent une apologétique spécifique ? » Il faut répondre oui et oui, autrement dit produire une théologie du miracle qui conserve au miracle son caractère objectif et historique, sans en faire une réalité extérieure à la Révélation divine qui viendrait qui suffirait à prouver la vérité du christianisme. Le miracle conserve une double valeur apologétique : pour ceux qui croient déjà, le miracle est un itinéraire d’approfondissement vers le Sauveur, pour ceux qui ne croient pas encore, et résistent même à l’idée d’un Dieu provident ou d’un Dieu tout court, les miracles sont des épreuves salutaires et nécessaires à l’itinéraire qui conduit au vrai Dieu, l’occasion de se confronter à leurs obstacles intérieurs.

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