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Texte intégral

(1)

ECOLE

D E S MIRACLES

0 0 LES

ŒUVRES DE Lft PUISSANCE ET DE Là GRACE DE JÉSIB-CBRIST,

FILS DE DIEU ET SAUVEUR DU MONDE,

PAR LE P. VENTURA,

ex-général des Théatina;

OUVUAGE T R A D U I T DE L ' I T A L I E N

P A R If

1

A B B É IJ A C H A T .

TOME 1U.

PARIS,

CHEZ LOUIS VIVES, LIBRAIRE-ÉDITEUR.

JlUB CASSETTE, 2 3 .

i857.

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http://www.liberius.net

© Bibliothèque Saint Libère 2008.

Toute reproduction à but non lucratif est autorisée.

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H O M É L I E S

SUR LES

PRINCIPAUX MIRACLES

VINGT-NEUVIÈME HOMÉLIE.

(Sainf Jeattj

chap. ix, 1-41.)

Populus, qui ambulabat in tenebris, vi- dit lucem magnam. Sedentibus in regione umbrœ mortis, lux orta est eis.

(ISA.

IX, « . )

La lumière qui, de toutes les choses inanimées, est la plus belle, la plus agréable, la plus gracieuse, est en même temps la plus importante et la plus nécessaire. Que serait, en effet, le monde sans la lumière ? rien autre qu'une prison ténébreuse où

(1) CE miracle magnifique de Notre-Seigneur, qui n'est raconté que?*

par saint Jean, arriva la môme année et le jour même où, après avoir pardonné au repentir de la femme adultère (voyez II v o l . , honu-L.

x v h i ,

note 1 , pag. 108), Jésus révéla clairement aux Juifs dans LE temple sa propre divinité.

D E JÉSUS-CHRIST.

L'Aveugle-né (1).

IIL

(10)

les hommes et les animaux, rendus immobiles et comme emprisonnés dans les entraves de ténèbres profondes, s'ignorant les uns les autres, ne pourraient m vivre, ni se reproduire. Ce serait donc en vain, dit saint Ambroise, que Dieu les aurait créés, s'il ne leur avait accordé le don de la vue ; et c'est pour ce motif qu'il a commencé, par la lumière, la série magnifique de la création (1).

Il n'eu est pas moins vrai que cette créature ad- mirable, très-importante, fut en même temps une créature mystérieuse et prophétique, puisque, au moyen de cette lumière matérielle que Dieu fit briller sur le monde au commencement delà création, il voulut, d'après saint Paul, figurer une lumière beaucoup plus noble et plus précieuse, la lumière spirituelle de la science de Dieu, qu'il devait faire également resplendir dans le monde au début de la rédemption (2), Et de même, selon la belle expres- sion de saint Ambroise, que la lumière naturelle qui éclaire les corps est comme le reflet de la face du Dieu créateur (3) ; de même, ajoute encore saint Paul, la lumière surnaturelle qui éclaire nos intelli- gences est le reflet de la face très-sainte du Dieu rédempteur (4). Or, le prodige de cette lumière

(1) Unde vox Domini debuit inchoare, nisi a lumine? frustra *nim esset mundus, si non videretur {Hexamer.).

(2) Deus, qui dixit de tenebris lumen splendescere, ipse illuxit in tordibua nostris, ad illuminationem scientiœ claritatis Dei.

(3) Deus vidit lucem, et vultu suo illuminavit.

(4) Ad illuminationem scienti* claritatis Dei, in faeie Christi Jeau,

(11)

spirituelle et divine qui devait, au moyen de la prédication évangélique , éclairer le inonde, était prophétisée par Isaïe, quand il disait : « Un temps viendra où le peuple des Gentils, retenu maintenant dans la région des ombres de la mort, et s

1

agitant au sein d'une nuit ténébreuse, verra tout-à-coup la clarté d'une lumière immense briller à ses yeux (1).»

En effet, saint Matthieu, mentionnant le début de la prédication de Notre-Seigneur à Capharnaùm, pays limitrophe des Gentils (2), affirme que ce fut alors que s'accomplit réellement la prophétie d'Isaïe citée plus haut (3). Il est manifeste qu'il voulut donner, dans la guérison subite de l'aveugle-né» une image anticipée de tous les autres effets de sa venue dans le monde, effets produits par la prédication apostolique. Examinons donc ce prodige étonnant où Notre-Seigneur donne la vue corporelle à un aveu- gle-né, particulièrement dans son rapport avec le prodige plus grand encore par lequel il nous accorde la lumière de l'âme, la vraie foi, afin que nous en appréciions toujours davantage le bienfait, que nous en accomplissions mieux les œuvres, que nous en acquérions les fruits.

(1) Populus, qui habitabat in tenebris, vidit lucem magnara. Sedenti- bus in regione umbra» mortis, lux orta est eîs (ha. ix).

(2) Exinde cœpit Jésus prœdicare.

(5) Ut adimpleretur quod dictrnn est per Isaiam propheiam : Popu-

lus, qui ambulabat.

(12)

Le Sauveur venait de parler au peuple, dans le temple, de son origine éternelle et en avait révélé la divinité dans les termes les plus clairs et les plus formels. Au lieu de recevoir avec reconnaissance l'avantage insigne de cette révélation divine, les Juifs obstinés s'en révoltèrent au point de le me-

nacer de lapidation. Or, selon la remarque de l'é- vangéliste, ce fut précisément dans cette circons- tance et sous les yeux de ce même peuple, que Jésus-Christ, à sa sortie du temple, passa sur la voie

publique, afin de donner la vue à l'aveugle-né (!) ; c'est-à-dire, comme le font remarquer saint Chry- sostome et Eulhymius, qu'il voulut, par un mi- racle aussi frappant, qui n'avait jamais été opéré jusqu'alors, confirmer par un fait la vérité de ses paroles, et donner une preuve solennelle et publi- que de sa divinité (2). Oh ! combien nous vous re- mercions, Seigneur, d'avoir voulu, par ce prodige, rendre les Juifs inexcusables, et établir toujours da- vantage, sur une base solide, la foi des chrétiens, en rattachant aussi admirablement vos révélations à vos prodiges et en confirmant, par les prodiges de votre puissance, la vérité de vos enseignements. Bien que l'Evangile ne nous le dise pas, nous savons

(l)Exiit de templo, et praeteriens vidil cœcum a nativitate (Joan. i x , i ) , (2) Confirmando quod dixeraî, fidemque fuciens quod Deus esset exiens de templo, statim veuit ad miraculum maximum, ad id temporis

iiuiiquam faetum (Chrysost., Bomil. T.5 m Joan.; Euthym., Exposit.)

(13)

gle-né dont nous nous entretenons aujourd'hui, s'ap- pelait Sidoine. Mais si l'évangéliste nous a laissé igno- rer le nom de cet aveugle, il n'en a point fait de même par rapport à sa naissance vile et à sa profes- sion de mendiant (1). Théophylacte nous apprend que ce silence avait pour but de nous montrer la bonté ineffable avec laquelle Notre-Seigneur accueil- lait les personnes pauvres et méprisées, et de nous apprendre à nous-mêmes à ne point les dédai- gner (2). C'est précisément dans cette intention, dit également saint Jean Chrysostome, que la clémence admirable de Notre-Seigneur fit éprouver la partia- lité de sa providence compatissante non aux grands, aux nobles, aux riches, mais au malheureux, et, parmi ces malheureux, aux mendiants, rebut du monde : c'est à eux qu'il prodigua une tendresse particulière (3).

Voyez, en effet, avec quelle bouté Notre-Seigneur s'approche de Sidoine, assis sur la voie publique ; avec quel intérêt il le considère, avec quelle ten- dresse il lui compatit ï

Au rapport de saint Chrysostome, ce sont toutes

( t ) Mcndicus erat.

(2) Non temere adnotavit Evangelista quod mendie us fuerit, ut o s - tendat ineffabilem Dei niîsericorriiam, qua? se ad infhna usque dimil- lit, ne nos minimos contemnamus (Exposit.).

(S) MiraliiUs Dei cleimntia non prseclaros, non nobilcs, non indi-

gnes, sed îçnobiles sua diguos. ducebat nroviilcUia, et eos qui au'udi-

cabant summadcTOtiouc curobat (Loco cit.).

(14)

ces circonstances que saint Jean a voulu nous révéler

(

en disant que Jésus-Christ considéra cet aveugle infortuné (1).

Est-il possible, nous dit saint Grégoire, d'envisa- ger cet aveugle, enseveli dans les ténèbres au milieu de la lumière du jour, privé d'yeux, couvert de haillons, assis sur une pierre dans la voie publique, solitaire au milieu de la foule qui l'environne, souillé, affamé, désolé; car personne ne s'intéresse à lui, personne ne le regarde, nul ne vient à son secours ; et de ne pas y voir l'image vivante du genre humain tout entier, pauvre aussi lui-même, dénué de tout bien spirituel, privé de la lumière de la vérité divine, et qui, selon la peinture du prophète, après s'être agité en vain dans les ténèbres les plus profondes

de l'erreur, dénué de tout secours, fatigué et aban- donné,, s'était assis dans la région des vices, dans les horreurs de la mort, en proie à son propre désespoir et à sa propre douleur (2) ? Est-il possible de ne pas voir dans Jésus-Christ, qui s'approche de Si- doine avec tant de bonté, afin de le guérir, sans même en avoir été prié; est-il possible, dis-je, de ne pas voir ce même Jésus-Christ qui, dans la per-

sonne et au moyen de ses apôtres, est venu nous chercher, tandis que nous ne le cherchions point, afin de nous donner la vue de l'Ame et de nous éclairer, au moyen de la prédication évangélique,

(1) Vitlit cœcum; id est, ad eum accessit, studiose respexit (Ibid.},

(2) Populus, qui habitabat in regione umbrœ mortis.

(15)

gustin assure également que l'aveugle-né est la figure la plus parfaite de l'état malheureux du genre hu- main, eu qui le péché du premier homme étant de- venu naturel, était aussi naturellement aveugle d'es- prit. Tout homme n'est-il' pas aveugle-né, puisqu'il natt aveugle selon F intelligence (2)?

Les Juifs, ayant la connaissance du vrai Dieu, la croyance en un médiateur futur, avaient vu briller l'aurore du salut, et étaient moins aveugles et moins ignorants que les Gentils, plongés dans l'idolâtrie et

dans l'infidélité. L'aveugle-né était donc, selon Cor- neille de Lapierre, la figure particulière, vive et fidèle des Gentils (3). De là vient que Jésus, chassé du tem- ple, allant donner la vue à un mendiant aveugle, si- gnifie, selon l'interprétation de Bède, Jésus-Christ qui, chassé du cœur des Juifs, s'en va éclairer les Gentil»

qui mendiaient depuis tant de siècles le paiu de la parole divine, privés de la lumière de la vérité (4).

Les apôtres, voyant leur divin Maître considérer Sidoine avec tant de compassion et tant de bonté*

lui disent : « Seigneur, pourquoi donc ce malheu-

(1) Cœcus quippe estgeuus huinanum, quod, in parente primo clu- rîtatcm supernae lucis ignorans, damnationis s u s tenebras patitur; scd tameu per Redcmptoris sui prœsentiam illumlnatur [In Evang.).

(2) Caecus sigaificat humanum geuus, in quo csecitas naturalis, quia, peccante primo homme, vitium propter naturam iuolevit ; unde, secun-

dum mentent, omuis homo caecus natus est {Tract. 44 in Joan.) (5) Cœcus a nativitale dénotât Genliics in c«ca infidefitate nalos.

(4) Postquam expulsus est ex cordibus Judajoruin, transivit ad nupu

lumGantiuin (Comm. in Joan.).

(16)

feux est-il aveugle ? Est-ce à cause de ses péchés

f

ou bien à cause des péchés de ses parents (1 ) ? » Les apôtres demandaient si la cécité de Sidoine était le châtiment de ses péchés, vu que, dit saint Jean Chrysostome, ils se souvenaient que, lorsque Jésus- Christ guérit le paralytique de la piscine, il leur avait déclaré que sa paralysie était le châtiment de ses fautes, et que le péché, véritable maladie de Fâme* est souvent la source des maladies du corps (2).

Ils lui demandent également si c'était la faute de ses parents, vu qu'ils savaient, par l'Ecriture que Dieu châtie souvent les pères dans leurs enfants, dont ils ont fait une occasion de luxure. Saint Tho- mas ne nous apprend-il pas que la licence avec la- quelle les parents abusent du mariage est la cause naturelle, nécessaire des générations vicieuses, qui produisent fréquemment des enfants qui naissent aveugles, difformes, rachitiques, monstrueux?

Il constate que Sidoine n'était pas né aveugle pour aucune de ces causes honteuses. Aussi Jésus-Christ répond-il aux apôtres ; « La cécité de cet infortuné n'est ni l'effet, ni la punition d'aucun péché des hommes ; elle a été préparée, selon une providence

admirable, pour la manifestation de la puissance ef de la plus grande gloire de Dieu (3).» C'est-à-dire*

(1) Rabbi, quis p e c c a v i t , bic aiU parentes ejus, ul eœcus nascerelur Joan. ix, 2)?

(2) Interrogavcrunt, quia prius curans paralyticuni clixerat : « Kcce sanus factus e s ; jara amplius noli peccare. >•

(5) Neque hic peccavit, neque parentes ejus; sed ut mauifcstcnliH

epera Dei in illo (Joan. î x , 5 ) .

(17)

co;ume le font observer les interprètes, afin que, guéri instantanément par Jésus-Christ lui-même, il

fût à la fois et une preuve sensible de sa divinité, et une prophétie magnifique de la façon merveilleuse par laquelle ce même Seigneur devait donner plus tard, au moyen de sa grâce et de sa doctrine, la lumière de l'intelligence .à tous les hommes (1). Le Sauveur ajoute cependant : « Pendant que dure le jour du siècle présent, pendant la nuit de l'é- ternité, alors que rien ne sera plus créé , il faut que j'accomplisse les œuvres de mon Père qui m'a en- voyé (2). » Voulant nous apprendre ainsi, selon saint Ghrysostome, cette sentence remarquable : Je dois opérer de manière à rendre manifeste que ce que fait mon Père, je le fais également en lui et avec lui (3). Le Seigneur ajoute au surplus : « Pendant que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde (4). » Or, cependant, ce que nous dit saint Augustin indique tout le temps que durera le siècle présent (5). Paroles admirables ! révélation impor- tante ! Jésus-Christ a été et sera toujours, jusqu'à la fin des siècles, la lumière du monde ; il le fut

(1) Ut csecum illuminando, se Filium Dei osienderct (Gloss.). Ut significaret se simili modo hommes illuminaturum iu mente per suant doctrinain et gratiam (A Lap.).

(2) Me oportet operari opera ejus qui me misit, douce dies est. Vc- niet nox, quando nemo potest operari.

(5) Opera quae manifestent me cadem cum Pâtre facieuiem (Loco u t . h (4) Quandiu sunt in mundo, lux sum mundi.

(5) Dies pnesentiœ Chrisli usque ad cctuuminationcin srocuïi e x t c i -

dittr.

(18)

avant de venir corporellement sur la terre, puis- qu'il donna au premier homme la loi naturelle, qu'il instruisit plus tard les patriarches, éclaira les pro- phètes et donna la loi écrite ; il Test bien davantage depuis sa venue, puisqu'il maintient dans son Église, en vertu de son assistance, une lumière toujours vive, intacte et pure, la lumière de toutes les véri- tés, la splendeur de toutes les vertus. Otez la lu- mière qui descend de lui, on cesse de connaître aucune vérité, comme sans sa grâce on ne fait plus rien de bon et de vertueux. Quiconque soupire après la vérité, quiconque recherche la vertu, est forcé de recourir à cette clarté divine qui brille toujours pure dans l'Eglise, et hors de laquelle tout est ténè- bres, obscurité, vices, erreurs. Lui seul, en effet, est la lumière de la lumière, lumière qui éclaire tout homme en ce monde (1 ).

En s'exprimant de la sorte et en donnant la lumière à un corps, Notre-Seigneur voulait prouver la facilité avec laquelle il donnerait la lumière aux intelligences humaines. Il laisse tomber par terre de ses lèvres très-pures un peu de salive ; puis, se-baissant, il la mélange avec la poussière du chemin, en forme un peu de boue et en frotte l'orbite des yeux de Sidoine avec son doigt divin (2). T avait-il donc nécessité d'oindre l'aveugle avec de la boue, pour celui qui pouvait le guérir par le commandement de sa seule

(1) Quandiu (ut supra)»

(S) Haec cum dixisset, expuit in terrain, et fecit lutum ex sputo, et

Jinivit lutum super oculos ejus (Joan. îx, 6 ) .

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(1) Nisi aliquid significaret, quid necesse fuit ut lutum faccret, cui solum sufficiens crat dieerc : îpse enim dixit, et facta sunt (Bxposit.).

parole? IN

1

est-ce pas une parole seule qui a créé tous les êtres ? Il est donc impossible que cette circonstance, si légère en apparence, et néanmoins racontée et répétée plusieurs fois par l'évangéliste avec un air de grande importance, ne renferme pas un grand mystère (1) ! Les rationalistes modernes (la secte la plus coupable et la plus téméraire, en qui l'hérésie de Luther est venue aboutir et se confon-

dre), qui, à force d'absurdités, veulent donner aux miracles consignés dans les Ecritures une explication naturelle et humaine, afin de ravir à ce code au- guste tout ce qu'il a de surnaturel et de divin, les rationalistes se sont prisa dire que Jésus-Christ n'é- tait qu'un savant empirique ; que la boue avec la- quelle il guérit Sidoine n'était qu'un Uniment dont il avait le secret, et que cette guéiïson ne fut en aucune façon miraculeuse. Hélas ! ce blasphème in- sensé n'a pas même le triste avantage de la nou- veauté. Les ariens, ennemis de la divinité de Jé- sus-Christ, et pères naturels des hérétiques mo- dernes, pensaient et déliraient ainsi dès le temps de saint Ambroise. Que dites-vous ? leur répliquait ce grand docteur. Quoi ? parla raison que le Sauveur employa un peu de boue détrempée instantané- ment par lui-même, sous les yeux de la foule, afin de donner la vue à un aveugle-né, il ne fit pas

autre chose qu'un prodige et non point un médica-

(20)

ment (1). IN'cst-il pas vrai que, chez les aveugles-nés, rorgane de la vue est non-seulement offensé, mais que le plus souvent ils en sont totalement privés ? Au surplus, l'homme qui naît avec des yeux sains et parfaits ne voit point pour autant d'une manière subite les objets à la distance voulue et distincts les uns des autres ; il les voit, au contraire, tout confondus, il lui semble les avoir tous sous les yeux;

ce n'est qu*à l'aide du tact et au bout d'une année presque entière qu'il apprend à les distinguer et à déterminer les distances. Jésus-Christ donc, en don- nant à l'aveugle-né la faculté instantanée de voir aussi distinctement et clairement qu'un homme qui a toujours vu, dut lui créer non-seulement des yeux avec toutes les parties admirables qui les consti-

tuent, en illuminer les paupières ; il dut non-seu- lement créer ces organes avec la perfection et la grandeur relative à l'âge d'un homme fait, les pla- cer dans leur orbite ; mais il dut encore lui accorder instantanément l'exercice, l'aptitude de vorr, qu'on n'obtient qu'avec le temps et l'usage. Ce ne fut donc point là un miracle, mais un ensemble de mi- racles. Insensés et impies que vous êtes ! un en- semble de miracles faits avec un peu de boue n'est plus le médicament d'un homme, mais le prodige

d'un Dieu (2).

Laissons, pour le moment, ces imposteurs stupi- des, condamnés de Dieu, pour leur orgueil infernal,

(1) DcJit

bHuiiutcui,

non mcdiciium exerçait.

ri) Quod lulum huiwl, non artis est, H V ! p o t e s ' a ! i s iCaltn.)

(21)

à errer dans les ténèbres des plus lourdes absurdités, des contradictions les plus manifestes, à ne point voir la lumière divine qui brille dans les livres saints.

Prêtons l'oreille aux Pères, à ces hommes grands autant par leur génie que par leur humilité, et pour

laquelle Dieu leur accorda de discerner, dans les circonstances les plus difficiles, les mystères divins les plus élevés. Observons, avec saint Augustin, que Jésus-Christ emploie la boue dans la création des

yeux de Sidoine, précisément pour nous apprendre qu'il est ce Dieu même qui avait créé avec de la boue l'homme tout entier (1). Ohl quel n'est pas l'é- clat de ces belles paroles ! quel éclaircissement n'apportent-elles pas à ce mystère ? Qui pourrait

contempler Jésus-Christ, formant de ses doigts di- vins, avec un peu de boue, des yeux h Sidoine, les mettant à leur place avec une bonté infinie, sans songer à l'amour, à la bienveillance infinie avec laquelle ce même Verbe prit autrefois de la boue et en forma le corps entier du premier homme,

non plus, nous dit saint Grégoire de Nysse, avec le ton d'un maître, mais avec la bonté d'un ami (2).

Il est constant, par les Ecritures, que Dieu employa souvent les choses les plus abjectes pour figurer les mystères les plus élevés. La salive, dit TEmissène, descend de la tête dans la bouche, et figure ainsi le Verbe éternel, qui est engendré et qui descend

( 1 ) Voluit docere se ipsum esse creatorcm qui iu principio ad homi- Tiis formationem usus est luto.

(2) Non impérial! verbo, sed familîari manu.

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de l'intelligence divine ; elle figure la divinité de Jésus-Christ, qui a dit de lui-même dans les livres saints : » Je suis la sagesse qui suis sortie de la bouche du Très-Haut.» Cette salive précieuse, ajoute saint Augustin, tomba par terre, alors que le Verbe divin descendit dans la terre vierge et sainte, dans le sein très-pur de Marie ; ce fut avec elle qu'il forma une boue ineffable, de fabrication divine, au moyen de quoi le Verbe se fit chair (1). 0 vous donc qui at- tribuez ce miracle au médicament, vous n'avez peut- être pas grand tort de tenir ce langage : vos paro- les insensées contiennent une vérité sublime et pré- cieuse ! Le voici, dit Corneille de Lapierre, ce Uni- ment précieux qui éclaire les aveugles, c'est la divi- nité du Verbe unie à l'humanité dans Jésus-Christ.

Quiconque n'est pas oint de ce mélange divin, de ce baume préparé par l'Esprit-Saint dans les entrailles de Marie, demeure à jamais aveugle, vu que c'est la foi pure et sincère en l'Homme-Dieu qui confère la vue aux hommes (2). Oui, répète le même com- mentateur, cette boue employée par Jésus-Christ est le vrai Uniment qui guérit le genre humain, c'est- à-dire, le sentiment de sa bassesse, le souvenir d'a- voir été tiré de la fange. C'est ce Uniment qui

(1) Saliva, trace naturaliter ex capite defluit, Christi divinitas est; est sapientia quas ex ore Altissimi prodivit. Saliva base in terram decidit, quia Verbum in Virginem descendit; et faclum est lutum, quia Verbum caro factum est (Glots., Emiss., Àng.).

(2) Hoe est igitur medicamen quo caeci illuminantur. C»ci sunt qui

hoc lutonon tanguntur; tanguntur vero qui Christum Deura et homiuem

credunt (In Joan.).

(23)

guérit le grand mal de l'orgueil, lequel nous aveu- gle ; et c'est pour nous instruire que Dieu nous a dit dès le commencement du monde, et que l'Eglise nous répète incessamment : Souviens toi, 6 homme, que tu es terre, et que tu redeviendras terre (1).

Revenons à Sidoine. Il y avait près du temple, et dès le temps du prophète Isaïe, une fontaine ; et comme, dès-lors, Isaïe prophétisait la vie de Jésus- Christ dans ses moindres circonstances, et qu'il était

l'évangéliste anticipé du Messie, ainsi cette fontaine que le même prophète fit, par ses prières, jaillir à l'improviste, prit dès cette époque le nom de Celui que le prophète annonçait par ses paroles, et fut

appelée Siloé, qui, selon l'explication du même saint Jean, signifie envoyé. De cette sorte, nous disent les interprètes, c'est 1k le nom du Messie que le Père nous a envoyé sur la terre (2). Saint Augustin nous apprend que, sans ce divin Messie, nul péché ne pou- vait être remis (3). En conséquence, Jésus-Christ, après avoir oint de boue, ou après avoir créé avec de la boue les yeux de Sidoine, lui ordonne d'aller se laver h cette fontaine mystérieuse, afin que, ajoute saint Chrysostome, comme la pierre du désert, d'a- près saint Paul, représentait Jésus-Christ; ainsi, cette

(1) Eece collyrium quo ungitur genus humanum, scilicet cogitatfo s u s vilitatis, quod ex luto factum sit ; et per eam superbia curatur, qua illud excœcavit ; unde : Mémento, honio, quia pulvis es, et in pulvcrem rererteris.

(S) Siloe est Messie nomen, qui missus est a Pâtre.

(5) Nisi enim ille fuisset missus, nemo esset ab iniquitaie dimissus.

(24)

fontaine étant un symbole permanent du même Messie, Sidoine apprit que, dans cette fontaine, ré- sidait la vertu de Celui dont elle portait le nom, et qu'il devait recouvrer la vue par les mérites, par la vertu et pour la gloire du Messie (1), Nous apprenons encore par là le sens de cette lotion évidemment non nécessaire à la perfection du pro- dige, mais nécessaire h la manifestation du mystère.

Siloé était la figure de Jésus-Christ, non-seulement par le nom, mais encore par la chose. Quoi de plus propre en effet, nous dit Corneille de Lapierre, qu'une fontaine intarissable, pour figurer Jésus-Christ, source éternelle de toutes les grâces, et particulière- ment son baptême, que l'on confère avec l'eau et qui achève d'éclairer les esprits qui ont commencé à voir par l'enseignement évangélique? C'est pour ce motif que les Grecs appellent le baptême tt£wp«, c'est-à-

dire illumination (2). Sidoine obéit sans balancer â l'ordre qu'il venait de recevoir ; se laver les yeux dans la fontaine, y voir ne fut qu'un même instant.

Qui pourra jamais expliquer l'étonnement, la sur- prise, la stupeur de la foule qui, depuis tant d'an- nées, connaissait Sidoine pour aveugle et mendiant en ce lieu, lorsqu'elle le vit revenir de la fontaine avec des yeux brillants et vifs, et annonçant par leur

(1) Sicut Apostolus dixit quia petra erat Chriatus; sic et Siloe : in Siloo erat virlus Cfcristi, qui omnia operabalur.

(2) Siloe, typus Christi, quia ipse fons est graiiarum; et Baptisrao

Cnristi» quo homines illuminantur et ideo Graeci Baptisma vocant flpti-

Tiffpct, id est Ulumiuationem.

(25)

(1) Hic est qui sedebat et mendicabat.

(2) À15i autem : Non ; sed similis est ei.

(5) Me vero dicebat : quia ego sum.

(i) Quomodo aperti sunt tibi oculi ? (5) Ille homo qui dicitur Jésus.

(6) Lutum fecit, unxit oculos meos et dixit mini : Vade ad natatoria loe, et lava. Et abii, lavi, et video (Joan. ix, 1 1 .

III. 2

expression la joie que le guéri éprouvait dans son coeur ! Plusieurs sont tellement étonnés du miracle, qu'ils en croient à peine à leurs yeux ; et tandis que le peuple entier disait : « C'est lui-même, c'est bien

lui, Sidoine l'aveugle, le mendiant, qui a reçu ce bienfait (1); d'autres disaient : C'est impossible ; celui-ci est un pauvre qui lui ressemble (2). » Mais Sidoine, entendant ces derniers poser en doute l'i- dentité de sa personne, et par conséquent l'opération du prodige : « Quelle étrange pensée n'avez-vous pas, leur dit-il ? C'est moi, c'est bien moi, Sidoine l'aveugle, que, depuis tant d'années, vous avez vu

mendier sur cette même place (3). — E t comment, lui demandent-ils, se fait-il qu'à cette heure tu y voies(4)?—Comment? répond Sidoine : cet homme, qui s'appelle Jésus ( parole qui signifie Sauveur), ce lui qui a la vertu et la puissance de Sauveur, comm il en a le nom (5), est celui qui a oint mes yeux d'un:

peu de boue, en m'ordonnant de me les laver dans

la fontaine de Siloé : j'y ai été, je me suis lavé, et j'y

vois (6). » 0 belles paroles, ô généreuse confession,

s'écrie Théophylacte ! U n'a point honte de confes-

ser son ancienne cécité, il ne redoute point la haine

(26)

d'un peuple ennemi de Jésus-Christ, pourvu qu'il fasse connaître et qu'il prêche son bienfaiteur (1).

Arrêtez-vous aux expressions que lui inspire le trans- port de sa reconnaissance ; remarquez le style ad- mirable dont il se sert pour raconter le fait et qui

se réduit à trois mots : j'y ai été, je me suis lavé, j'y vois (2), voulant ainsi, par la rapidité du langage, faire connaître l'instantanéité, la grandeur, la perfection du prodige 1

Un miracle aussi frappant, opéré sous les yeux de tout un peuple, provoqua naturellement une rumeur immense dans Jérusalem tout entière. Chacun se le ra-

conte l'un & l'autre, chacun s'en entretient ; en sorte que le bruit en parvient aux oreilles des Pharisiens, Ames les plus scélérates qui aient jamais habité un corps humain, âmes remplies d'une haine infernale contre Jésus-Christ ; aussi en demeurent-ils pâles et

frémissants de jalousie. Voilà donc ces méchants obstinés qui s'agitent, qui redoublent d'efforts pour affaiblir et jeter le doute sur la vérité du prodige, ou pour en empêcher la diffusion au milieu <Jè leurs concitoyens. Mais qu'y gagnent-Us ? Malgré tous les doutes provoqués, toutes les preuves réunies, tous les témoignages entendus, tout le contrôle exercé contre ce même Sidoine, contre ses parents et leurs connaissances, ils n'aboutirent qu'à mettre les deux extrêmes du miracle en plus grande évidence : la

(1) Nec pristinam cœcitatem erubescit, necpopulum timet; sed bene- factorem prsdicat.

(2) Abîi, luvi, et video.

(27)

cécité de Sidoine remontant à sa naissance, et sa gnérison subite et parfaite. Toute leur méchanceté, dit Corneille de Lapierre, servit, sans le savoir, les desseins de Dieu, qui voulait que les ennemis mêmes de Jésus-Christ, par les moyens qu'ils mirent en usage pour éclipser le prodige, le rendissent incontestable, authentique, public, solennel, inattaquable, et qu'ils fussent eux-mêmes, contre leur gré, contraints de le

reconnaître et de le proclamer comme vrai(l).

En effet, dans le sanhédrin même des priuces des prêtres, des sénateurs, des interprètes de la loi, réunis sur-le-champ en très-grand nombre pour se prononcer sur un fait qui causait au dedans et au

dehors de la yille une si grande rumeur, il y en eut qui disaient : « Il ne saurait être l'homme de Dieu, celui-là qui ne respecte point la sainteté du sabbat et qui n'observe point la loi (car ce fut un samedi que Notre-Seigneur opéra ce miracle) (2). « D'autres, {dus sincères et plus droits, répliquaient ; « Ayez pa- tience ; comment croire qu'un pécheur puisse en- fanter de tels prodiges (3)? » En sorte que la diver- sité des jugements, la séparation manifeste de l'as- semblée en deux parties (4), ne retombèrent point

(1) Consilio Dei factum est, ut miraculum fieret testalissiwum et ee- eberrimum, et iltad Pharisasi negare non possent.

(2) Non ebt hic homo a Deo, qui sabbatum non custodit.

(5) Atii aulem dicebant : Quomodo potest homo peccator bac signa facere ?

(4) Et schisroa erat inter illos.

(28)

sur la vérité du miracle, que nul n'osa contester, mais sur la sainteté de son auteur.

Dans cette circonstance, Sidoine, traduit devant le grand conseil, offre aux yeux de la foi le spec- tacle le plus édifiant et le plus délicieux. 0 vous ! vils hypocrites du vice et de l'incrédulité, plus vils que les hypocrites de la foi et de la vertu, qui, pour

plaire a une beauté profane, ou pour échapper aux sarcasmes d'une réunion d'Ames corrompues, affec- tez dans vos discours une licence de sentiments que vous n'avez pas dans le cœur ; qui vous effor- cez de paraître plus licenciés et plus dissolus que

vous ne Têtes dans votre conduite ; âmes viles, je le répète, dominées par un misérable respect humain qui vous enchaîne et vous empêche de vous procla- mer chrétiens; venez, oui venez apprendre, au milieu de la synagogue, d'un misérable mendiant, la vraie liberté d'esprit dans la confession de Jésus-Christ.

Le sanhédrin se composait de tout ce qu'il y avait de plus élevé et de plus remarquable dans la nation juive. On y voyait le souverain pontife et les princes des prêtres, les soixante-dix sénateurs, juges de la vie et de la mort, les scribes ou interprètes de la loi, les Pharisiens entourés d'une nuée de satellites insolents et d'officiers armés. Dans leurs discours,

comme dans leurs desseins, ces conseillers du démon

ne respiraient que le venin, la haine, le mépris

contre Jésus-Christ et contre ceux qui en disaient

du bien ; la conspiration infâme ourdie pour amener

sa mort était dès-lors connue de tout le monde ; ils

(29)

avalent déjà lancé l'excommunication publique con- tre tout homme qui oserait dire qne Jésus-Christ était le Messie (1). Aussi le peuple craignait-il de se montrer le partisan du Sauveur. De là vient que les parents de Sidoine, cités devant ce conseil afin d'at- tester la cécité naturelle de leur fils, osent à peine dire en tremblant : « Sidoine est notre enfant ; il est vrai qu'il est né aveugle : comment voit-il actuel- lement ? C'est ce que nous ne saurions vous expli- quer. Demandez-le à lui-même ; il est en âge de pouvoir vous rendre raison par lui-même de ce qui le regarde (2).» Telle fut leur déposition : quant à Jésus-Christ qui venait de guérir leur enfant par un aussi grand prodige, ils n'osent pas même pro- noncer son nom, tant ils redoutent le sanhédrin (3) !

Oh ! combien le langage tenu par le fils est opposé à celui de ses parents l Au lieu de trembler comme eux devant des juges aussi injustes que cruels, devant la force armée ; il se tient en leur présence avec tout le courage d'un confesseur intrépide de la vérité (4). Ces méchants demandent à Sidoine ce qu'il pense de Jésus-Christ qui l'a guéri (5), et Si-

(1) Jam enim conspiraverant Judœi, ut si quis eum confiteretur esse Christum, extra synagogam fieret.

(2) Scimus quia hic est films noster et quia cœcus natus est. Quo- modo autem mine videat, nescimus : ipsuin interrogate; œtateui habet : ipse de se loquatur.

(5) Haec dixerunt parentes, quoniam timebant Judseos.

(4) Imbecilliores erant filio, qui testis aderat intrepidus veritatis (Theoph.).

(5) Tu autem quld diris de illo qui aperuit libi oeulos?

(30)

( ! ) Ille autem dixit quia propheta est.

(2) Caeeus iste confitebatur, et frangebantur corda impioni'.n (.S. Aug ) . (5) Da gloriam Deo : nos scimus quia hic homo peccator est,

f4) Quis ex vobis arguet me de peccato (Joan. v m j ?

\$) Ecce annuntiator factuh est gratiœ ; ecee evangehzat.

doine leur répond, sans hésiter : « Moi, je le tiens comme un prophète et un grand prophète (1). A cet aveu, le cœur de ces impies se remplit de confu- sion, de dépit et de douleur (2), dit saint Augustin.

Néanmoins, contenant leur rage, ils tâchent, par des paroles adoucies, d'entraîner Sidoine dans leur opi- nion ; ils lui proposent, comme un acte de religion agréable à Dieu, de convenir et de confesser avec eux-mêmes que Jésus-Christ est un pécheur; et l'as- semblée tout entière, d'une voix unanime, le dé- clare pécheur devant tout le peuple (3). 0 miséra- bles I comment et par où savez-vous que celui qui est venu expier le péché est lui-même un pécheur ? Calomniateurs déboutés ! si vous aviez pu découvrir la tache la plus légère dans la vie de Jésus de Na- zareth, vous n'auriez pas manqué de la lui jeter à la face, hier même, lorsqu'il vous provoquait, chacun

en particulier, à l'accuser et à le convaincre de la moindre faute (4). En entendant Jésus traité de pé-

cheur, lui dont la vie était si pure et la doctrine si

sainte, Sidoine est saisi d'une sainte indignation. Il

se retient cependant encore, afin de pouvoir plus

commodément, nous dit saint Augustin, défendre

son bienfaiteur, annoncer ses grâces, proclamer sa

sainteté (5). Il leur répond enfin : « Si Jésus-Christ est

(31)

on pécheur, je l'ignore ; je ne sais qu'une chose, c'est que j'étais aveugle, et, grâce à lui, maintenant je vois (1).» Il voulait dire, d'après saint Chrysostome : Je ne veux point discuter avec vous si Jésus-Christ est pécheur ou s'il est saint : tout ce que je pour- rais vous dire en sa faveur, par mes discours, serait moins concluant que le fait de ma guéris on, qui est sans réplique (2). Mais ces méchants, s'obsti- nant à vouloir connaître de nouveau toutes les cir- constances du miracle, dans l'espoir de découvrir quelques moyens de l'attaquer, Sidoine reprend ainsi : « Je vous ai déjà raconté plusieurs fois fidè lement ce qui touche à ma guérison ; pourquoi don*

recommencer avec tant de zèle à me questionner sur ce fait ? Auriez-vous aussi vous-mêmes, par hasard, l'envie de devenir ses disciples (3)? » Mais pourquoi cette expression vous aussi ? Parce, dit saint Augus- tin, qu'elle signifie ceci : Youlez-vous aussi devenir ses disciples, comme je le suis déjà moi-même (4). O courage véritable d'une âme libre, d'un cœur intré- pide, s'écrie Théophylacte! ne pas craindre la fureur armée, se moquer de la folie cruelle des chefs du peuple, en s'avouant disciple de Jésus-Christ en face

( 1) Si peccator est, nescio, hoc unum scio, quod, caecus cum essein, modo video.

(2j Voluil Christum rei testimonio, non sua voce, ab accusations vin- d i c t e ,

(5) Jam dixi vobis. Quid iterum vulti» audire? Numquid cl vos vultis discipuli ejus fieri?

(4) Et vos; id esf, «eut et eço jam sum (S. Aug.)?

(32)

des ennemis si puissants et si implacables de Jésus- Christ (1)1

Effectivement! l'aveugle Sidoine provoque le cour- roux de ces méchants hypocrites ; ils se lèvent, poussent des clameurs en signe d'horreur et de scan- dale et s'écrient : « Sois maudit (2). » Heureux Si- doine, de se voir maudit pour avoir confessé géné- reusement son Sauveur ! Te voilà sûr de l'éterûelle félicité 1 Dès cet instant, tu entres en possession de ces biens ; car Jésus-Christ a dit : « Vous serez heu- reux quand les hommes vous maudiront, quand ils taxeront votre nom d'infamie, à cause de votre fidé- lité à confesser votre Sauveur. Votre récompense

sera riche et abondante dans les cieux (3).» Puis- sious-nous, Seigneur, puissions-noua aussi, s'écrie l'Emissène, nous voir maudits à notre tour pour votre amour; que le monde, que la chair, que le démon nous maudisse ; que les hommes nous méprisent, nous insultent, nous haïssent, nous persécutent pen- dant cette vie 1 nous serons trop heureux, si, à cette condition, nous possédons la gloire, l'amour, la bé- nédiction de Dieu pendant l'éternité (4).

La malédiction prononcée, ils n'en continuèrent

(1) Quod fuit animas libéra et intrepidae, illorum non curantis insa- niam.

(2) Maledixerunt ergo eï.

(5) Beati eritis cum malcdixerint vobis homines et exprobraverint no- men vestrum tanquam inalum propter Filium hominis! Ecce merces vealra copiosa est in coeio.

(A) Beati illi super quos cadit ista maledictio ! utinam super nos ma-

lediclio ista descendatï

(33)

(I) Tu discipulus ejus sis; uus autem Moysi discipuli sumus. Nos sWnnu quia Moysi locutus est Deus; hune autem nesciinus unde sit,

pas moins à parler de cette sorte à Sidoine : «r Malheu- reux, quel blasphème ne venez-vous pas de proférer?

Oser nous supposer les disciples de cet homme ? Soyez-le vous-même, quant à nous, nous ne voulons avoir d'autre maître que Moïse ! Nous sommes assu- rés du moins que Dieu lui a parlé : pour cet homme, nous ignorons ce qu'il est et d'où il vient (1).JOO lan-

gage propre à des âmes orgueilleuses et coupables!

Quelle indifférence, quel mépris n'indique-t-il pas pour tout ce qui concerne la personne adorable de Jésus-Christ ! Ils l'appellent cet homme ; ils af- fectent de ne pas même oser prononcer son nom.

0 misérables ! vous renoncez donc aujourd'hui so- lennellement à être les disciples de Jésus-Christ. Eh

bien ! vous ne les serez point» Séparés de sa. société, vous n'aurez aucune part à la grâce de sa rédemp- tion. Sidoine, au contraire, aura l'héritage que vous lui souhaitez avec imprécation ; sa part sera d'être disciple de Jésus-Christ ; en partageant ses ignomi- uies ici-bas, il partagera aussi sa gloire dans le ciel.

Pour vous, qui vous vantez d'être les disciples de

Moïse, si vous Tétiez réellement, vous reconnaîtriez

celui que Moïse vous a ordonné de reconnaître et

d'écouter. Jésus l'a déclaré devant vous : « Moïse a

écrit de moi, et, au jour du jugement, Moïse lui-

même vous accusera d'infidélité auprès du juge

éternel. » Celui que vous proclamez comme votre

(34)

maître en ce jour, ne sera plus alors que YOtre ac- cusateur. La frénésie des Pharisiens n'épouvante aucunement Sidoine, ce généreux confesseur de Jésus-Christ. Rendu, au contraire, plus intrépide, à mesure que ceux-là se montrent plus furieux, voici cet homme sans lettres, ce mendiant ignorant et grossier qui se met à faire de Jésus-Christ, avec un ton ferme et tranquille, l'apologie la plus éloquente et la plus magnifique. « Chose étrange, dit-il, oui, chose étrange, que vous ne sachiez pas ce qu'est Jésus ! il m'a cependant donné miraculeusement la vue. C'est pourquoi il me semble que ce serait de votre devoir de chercher à connaître ce qu'il est et d'où il vient (1). (Test en vain que vous voulez me persuader qu'il est un pécheur : nous savons que Dieu ne les exauce point, mais qu'il n'écoute favo- rablement que ceux qui pratiquent son culte et qui accomplissent ses lois. Jamais, depuis que le monde est monde, on n'a ouï dire que quelqu'un ait donné la vue à un aveugle-né. Si donc Jésus a opéré un aussi grand prodige, lequel ne pouvait s'opérer que par Dieu, il n'est plus un pécheur, mais un saint ; ce n'est plus un simple homme, mais il vient de Dieu, et Dieu est en lui et avec lui (2). »

(1) In hoc enim mirabile est, quia vos neschis unde ait, et aneruit eculos meos.

(2) Scimus autem quia peccatores Deus non audit; sed si quis Dei cultor est et voluntatein ejus facit, hune exaudit, A weculo non est au-

ditum quia quis aperuit oculos cseci nati. Nisi esset hic a Deo, non po-

terat facere quidquam.

(35)

Langage magnifique, s'écrie ici Euthymius! défense triomphante ! Il est aisé de voir que le Seigneur, en donnant à Sidoine les yeux du cofps, lui a également ouvert ceux de l'âme (1).

Qui ne voit pas ici l'accomplissement littéral de la promesse faite par Jésus-Christ à ses martyrs, de leur donner le Saint-Esprit, qui devait leur suggérer les paroles, quand il disait aux apôtres : a Vous serez traînés devant les trônes et les tribunaux pour rendre témoignage de moi. Ne vous mettez point en peine, en ce temps, de ce que vous devrez dire et ré- pondre ; la grâce vous suggérera les paroles. Yous ne parlerez point alors de vous-mêmes ; mais ce sera le Saint-Esprit qui parlera en vous et par vous. » En effet, Sidoine, homme illettré, ignorant, grossier, mendiant, a parlé en apôtre zélé et en théologien éclairé. Il déclare que, pour être un véritable ami de Dieu et pour participer à ses grâces, il ne suffit pas de lui rendre un culte sincère, mais qu'il faut accomplir sa volonté (2). Par là, nous dit Théophy- lacte, il proclame la nécessité de joindre les œuvres à la foi ; il condamne les faux dévots, la fausse re- ligion des Pharisiens présents (non moins que celle des faux chrétiens futurs), qui se donnaient pour des personnages religieux, agréables à Dieu, vu qu'ils

étaient exacts, jusqu'au scrupule, à accomplir les rites de la religion, tandis qu'ils ne songeaient pas

(1) ViJe conieUurara : quomodo mirabiliter argumentatur ! Vere non piterinribus tantum oculis, sed et interioribus est illurcinatus.

(2» Si quis Dei cti'tor est et l i m i t a i e n t ejus facif, hune exaudit,

(36)

même à en pratiquer les vertus ; prodigues d'adora- tions envers la majesté de Dieu, ils ne se mettaient point en peine de se conformer à sa volonté et de pratiquer ses lois (1).

Mais, que venez-vous dire, ô Sidoine ! dit en l'in- terrompant saint Augustin? Pendant que, par vos dis-

cours, vous faites triompher la sainteté du Fils de Dieu, vous glacez d'effroi les enfants des hommes.

Vous venez de prononcer que Dieu n'écoute pas les pécheurs (2). Ah! s'il en était ainsi, qu'en serait- il de nous tous qui sommes pécheurs? Dieu ne nous écoute donc point? Il est donc inutile de le prier?

Nous n'aurons plus qu'à mourir désespérés dans nos péchés (3)? Sidoine, vous nous attérez; venez donc ici au milieu de nous, vous, ô bon publicain! racon- tez-nous ce que vous avez fait, ce qui vous est arrivé dans le temple ; rendez-nous l'espérance et convain- quez Sidoine d'erreur (4). Ecoutez-le donc, ô Si- doine! ce bon publicain. C'était un pécheur, et comme pécheur il a prié (5). Dieu n'a pas laissé de l'exaucer : il était justifié au sortir du temple (6).

Comment pouvez-vous donc soutenir que Dieu n'exauce pas les pécheurs devant l'exemple de ce

(1) Muhi enim Dei cultores surit, et Dei volunlatem non fuciunt;

onortet autem ulrumque adesse, et fidem et opera.

(2) Deus peccatores non audit.

(5) Quid faeient carnales? peribunt? Deum non rogabaut?

(4) Veni, pubhcune; sla in medio; ostende luam spem , ne iulirm amittant spem.

(5) Propitius esto mihi pecratori.

(6) Peccalor erat, et exauditus est et justificatu».

(37)

pécheur exaucé de Dieu (I)? Quel que soit le lan- gage de Sidoine, ô TOUS qui êtes pécheurs 1 ne ces- sez jamais de prier ; confessez humblement vos fautes devant Dieu, et suppliez sans cesse avec hu- milité et ferveur, afin qu'elles vous soient pardon- nées (2). Souvenez-vous que, parmi les choses que le Seigneur nous a recommandé de demander à Dieu vous devez vous figurer également celle-ci : Par- donnez-nous nos offenses. En priant de la sorte, vous entrez dans le temple, débiteurs de Dieu, et vous en sortez acquittés (3).

Eh quoi! reprend Théophy lacté, l'aveugle-né et le publicain ne laissent pas que d'être d'accord, malgré une apparente contradiction, et tous deux disent la vérité. Il y a des imposteurs, tels que les hérétiques, qui cherchent les miracles pour confirmer leurs er- reurs, leurs mensonges, leur hypocrisie ; il y a des pécheurs qui demandent la santé, les richesses, les honneurs, pour persévérer dans leurs péchés. C'est de ceux-là que Sidoine entend parler ; et, pour ceux- là, il est très-vrai que Dieu ne les exauce point.

Quant aux pécheurs comme le publicain, par là même qu'ils demandent grâce et pardon de leurs fautes,

(1) Quid ergo dixisti : Deus peccatores non audit? Ecce peccatorem Deus audivit.

(2) Incumbite ergo orationibus, peccatores, confitemini peccata res- tra, orate ut depellantur.

(3) Inler caetera quse jussit orari, et hoc proposuit : Dimitte nobis débita nostra. Debitores intrant, et exeunt absoluti (Senn. 4 3 , lib.

quinquagint. Homîl.).

(38)

ils ont déjà un commencement de repentir ; ils sont entrés dans la catégorie des pénitents, et Dieu, en leur pardonnant, les exauce comme pénitents qui

commencent et non plus comme pécheurs qu'ils, ont cessé d'être (1).

Toute réplique au langage de Sidoine, langage plein de force et de vérité, devenait impossible.

Aussi les Pharisiens, sans ressource pour le réfuter, en viennent aux insultes et aux injures ; refuge or- dinaire à employer par tous les ennemis de la vé- rité, lorsqu'ils ne peuvent plus en nier l'évidence ou

en éluder la force. Et vous, disent-ils à Sidoine, vous, misérable, pétri d'iniquités et de péchés, maudit de Dieu avant de naître, car c'est pour cela que vous êtes né aveugle ; au sein de cette suprême assem- blée, en notre présence, vous osez parler ainsi de

cet homme? Indigne d'être notre disciple, vous osez nous faire la leçon (2)? Allez, sortez d'ici, miséra- ble. Vous êtes excommunié, vous n'êtes plus juif (3).

Telle fut la conduite des enfants du mensonge con- tre le confesseur généreux de la vérité. Mais insen- sés, s'écrie l'Emissène, en croyant le punir, ils ne firent que lui assurer la récompense glorieuse de sa confession et de son courage. En le rayant du ta-

(1) Cum peccatores veniam implorant de commisses translati sunt a gradu peccantïum ad statum pœnitemîum. Cum Deus eos audit, non ut peccatores, sed ut pœnitentes audit.

($) In peccatis natus es lotus, et tu doces nos?

(5) Et ejecerunt eum extra synagogam. Ejecerunt fllii mendacii con-

fessorem veritatis.

(39)

bleau des Juifs, ils lui frayèrent le chemin au chris- tianisme : ne fallait-il pas sortir de la Synagogue pour entrer dans l'Eglise et retrouver Jésus-Christ (1)?

Effectivement, Sidoine, repoussé par les Juifs avec une souveraine injustice, est accueilli par Jésus- Christ avec le plus tendre amour, déclare saint Au- gustin (2). Peu après, Jésus étant allé le rejoindre dans le temple et l'ayant accosté avec l'air de la bonté qu'il avait mise à le guérir de l'aveuglement

du corps, lui dit : a Sidoine, voulez-vous croire au Fils de Dieu (3)?— Et qui est, où est, Seigneur, ce Fils de Dieu? répondit Sidoine : je désire vivement le connaître, et je suis prêt à le croire sur le té- moignage de votre parole (4).» Alors Jésus-Christ lui dit avec la plus grande familiarité et la plus parfaite douceur : « Homme fortuné ! vous le connaissez déjà, vous le voyez, vous l'avez devant vous, ce Fils de Dieu : c'est moi, Sidoine, moi qui parle avec vous (5). » Pendant que la voix de Jésus-Christ fait retentir ces belles paroles aux oreilles de Sidoine, sa grâce fait briller un rayon de lumière divine dans son esprit, et produit dans son cœur fidèle un sentiment de foi vive, d'ardente charité : « Oui, oui, s'écrie-t- il, je vous crois, ô Seigneur, le Fils de Dieu ; et, se

(1) Muîtum profuit quod foras fjecerint; uisi enira de Synagoga exeant, non possunt Judsei Jesum videre.

(2) Illi expellebant, Chrislus excipiebat (S. August.).

(3) Credis in Filium Dei ?

(4) Quis est, Domine, Filius Dei, ut credam in eum?

(5) Et vidisti eum, et qui loquitur tecum, ipse est.

(40)

jetant par terre, se prosternant à ses pieds, il l'a- dore profondément (1). » Et de même que tous ces faits eurent lieu dans le temple, de même le Verbe incarné reçut alors pour la première fois, conformé- ment aux prophéties, le culte de latrie, l'adoration publique qui lui était due comme Dieu et Seigneur du temple. Heureux Sidoine! d'avoir reçu la vue du corps et de pouvoir ainsi contempler la sainte humanité du Sauveur ; mais bien plus heureux en- core d'avoir reçu la vue de l'âme et de connaître et de croire ainsi la Divinité! Heureux celui qui re- çoit de Jésus-Christ ces yeux et cette lumière ! Heu- reux celui qui, après l'avoir reçue, la conserve et l'augmente !

S E C O N D E P A B T I E .

A peine Sidoine achevait-il son adoration, que le Seigneur s'adresse au peuple et aux Pharisiens qui l'entouraient, et d'un ton propre au Seigneur et à Dieu, il leur dit : « Apprenez, par ce que vous voyez de vos propres yeux, que je suis venu dans le monde pour y exercer un discernement mystérieux, un ju- gement important (2) : pour que les aveugles ac- quièrent la vue, et que ceux qui voient, deviennent aveugles (3). » Choqués de ces paroles, les Pharisiens l'interrompent en disant: « A qui et de qui enten-

(1) At ille dixit : Credo, Domine. Et procidens, adoravit eum.

(2) In judicium \eni in hune mundum.

(5) Ut qui non vident, videant ; et qui vident, caeci fiant.

(41)

dez-vous parler? Serions-nous peut-être ceux qui, de voyants, sont devenus aveugles? — Oui, oui, ré- pliqua directement le Sauveur, je parle de vous et avec vous. Oh! combien vous seriez moins malheu- reux s i , étant véritablement aveugles, vous saviez que vous Têtes! votre aveuglement serait alors sans péché. Mais parce que, étant aveugles, vous vous glorifiez de voir, votre aveuglement est coupable,

et vous y demeurerez plongés (1).»

Paroles à la fois terribles et consolantes! Le Sei- gneur, en transportant ainsi tout-à-coup son discours de Tordre sensible à Tordre spirituel, nous a donné lui-même le sens allégorique de son miracle. Il nous a clairement indiqué qu'en guérissant Sidoine de la cécité corporelle, il a voulu nous apprendre com- ment il guérirait un jour les Gentils de la cécité spi- rituelle; comment il leur donnerait la lumière de la vérité divine qu'il devait dter aux Juifs obstinés. De là vient que saint Augustin assure que le discours de Notre-Seigneur se réduit à ceci : l'humilité devait éclairer dans la vraie foi les Gentils étrangers aux choses de Dieu. L'orgueil devait, au contraire, aveu gler les Scribes savants et les retenir dans les ténè- bres de l'infidélité (2).

Outre la révélation de ce mystère, le Seigneur, par ces paroles, nous a donné une instruction très-

(1) Si csci essetis, peccatom non haberetis. Nune autem dicitis quia videmus : peccatum teslrum manet.

(J) Humilitas gentes insipientes fide illaminaTit ; superbia serinas et apientes infidelitate expœcavît.

III. 3

(42)

importante, bonne pour tous les temps et pour tous les lieux ; c'était dire, en effet : Je suis venu dans le monde pour séparer les croyants des incroyants,, les bons des méchants, les pieux des impies (1).

Je suis venu apporter la lumière de la vraie foi à ceux qui, sachant qu'ils sont dans les ténèbres de *

Terreur, la cherchent avec humilité d'esprit et sin- cérité de cœur (2) ; tandis qu'il en sera tout autre- ment pour ceux qui, pleins de présomption et d'or- gueil, croient se suffire à eux-mêmes, de discerner mieux que les autres les choses divines et sans l'as- sistance de mon concours spirituel : ces faux voyants resteront dans les ténèbres (3). Chaque jour voit l'accomplissement de cette double sentence. Dans cet instant même où nous parlons, les envoyés de l'Eglise, en évangélisant les contrées idolâtres, por- tent à des peuples entiers la lumière de la vérité.

Le prodige annoncé par Isaîe, figuré par la guérison de Taveugle-né, se renouvelle au milieu d'eux. Ces peuples, gisant depuis tant de siècles dans les ré- gions des ombres de la mort, acquièrent la vue de Tâme et ouvrent les yeux à la lumière vraie de T&

vangile (4). Les aveugles voient; Jésus-Christ con- tinue, du haut des cieux, au moyen de ses ministres, la mission qu'il exerça personnellement sur la terre et pour laquelle il y était venu (5)..

(1) In judicium veni in mundum.

(2) Ut qui non vident, videant.

(3) Et qui vident, cœci fiant.

(4) Populus, qui habilabat in tenebris, vidit lucem magnan»

(5) Ut qui non vident, videant.

(43)

Tandis que le philosophe orgueilleux qui, fier de ses prétendues lumières, de son génie, de ses étu- des, s'imagine voir assez bien pour juger de la vé- rité des dogmes et de la sainteté des lois du chris- tianisme ; que l'hérétique obstiné qui, idolâtre dé sa propre raison, rejette ou admet, selon son caprice, avec l'Écriture, les dogmes et les lois de la véritable Eglise, persuadé qu'il voit mieux que le reste des hommes, ne sont en réalité que des aveugles, ils n'a- perçoivent ni les vérités les plus consolantes, ni les dogmes les plus lumineux contenus dans ces Ecri- tures qu'ils ont sans cesse entre les mains. C'est en eux que Jésus-Christ accomplit le mystère de justice, qui consiste à aveugler ceux qui présument voir (l).

1

Combien il serait moins malheureux d'être entière- ment aveugle, au lieu de voir mal! d'ignorer tota- lement le christianisme, que de le défigurer! d'igno- rer l'Évangile, que de l'interpréter conformément à leurs rêves et à leurs passions ! Ils seraient cou- pables devant la loi naturelle ; ils ne le seraient pas devant la révélation positive. Comme celui des Gen- tils, leur péché serait moindre, en reconnaissant leur aveuglement : la grâce de Dieu les guérirait comme elle éclaire tant d'autres nations; ils se-

raient enfin excusables de tout péché (2). Mais, en connaissant l'Église qu'ils calomnient, les dogmes chrétiens qu'ils répudient ; en se vantant de connais

(1) Ut qui vident, cœci fiant.

(1) Si cœci essetis, peccatum non haberetia.

(44)

(1) Nunc autem dicitis quia videmus : peccatum vestrum maaet.

tre mieux le christianisme que l'Eglise elle-même, d'en savoir plus que tous les docteurs catholiques, pendant qu'au fond ils ne se lient qu'à la témérité'

et à la méchanceté de leur cœur, ils ne sont que de véritables aveugles ; jamais ils ne seront guéris de cette cécité volontaire; ils y demeureront en- sevelis comme dans un péché grave ; la cécité reste en eux comme un châtiment terrible (I).

Cette même sentence s'accomplit d'une autre ma-

nière sur ces catholiques qui, présomptueux à raison

de leur ignorance des choses sacrées, appuyés sur

la science du collège, sur la théologie des philosophes

profanes, sur la doctrine des romans, sur l'érudition

des almanachs, s'imaginent voir mieux que les ecclé-

siastiques instruits, que les hommes pieux, que les

personnes dévotes, en matière de religion : ils trai-

tent l'Évangile aussi légèrement qu'on traite la my-

thologie, et ils se mêlent de l'apprécier; ils trouvent

les dogmeB trop abstraits, les mystères trop élevés,

la morale trop sévère; ils condamnent l'abstinence,

ils plaignent le célibat, ils discréditent la profession

religieuse, ils ridiculisent les pratiques de piété, ils

se moquent de la pudeur, de la charité, de la dévo-

tion. Malheureux! ils parlent et agissent de la sorte,

parce qu'ils s'imaginent savoir beaucoup, tandis qu'ils

ne savent rien ; de voir, tandis qu'ils sont aveugles,

mais aveugles volontaires, puisqu'ils vivent au milieu

des splendeurs de la foi ; aveugles inexcusables, mais

(45)

aveugles plus coupables que les hérétiques eux- mêmes. Aussi leur aveuglement, tout à la fois péché et punition de leur orgueil, sera éternel (1).

Voyez, en effet, ce qu'est leur foi, malgré leurs prétendues lumières : une foi .languissante, faible, mourante, si elle n'est point morte ; une foi qui tient à un fil et qui doute d'elle-même, parce qu'ils ne savent eux-mêmes s'ils croient ou s'ils ne croient point, s'ils sont chrétiens ou non ; enfin une foi obs- curcie, enveloppée dans les ténèbres d'un cœur cor- rompu ; ténèbres beaucoup plus épaisses que les in- certitudes et les ténèbres d'un esprit errant.

Hélas! si,rentrant en nous-mêmes, nous découvrons que ce sont là les vices de notre foi; si le spectacle d'une foi aussi faible, aussi froide, aussi inefficace, en comparaison de la foi des âmes vraiment chré- tiennes, si simple mais si vive, si forte et si fervente,

si tranquille et si efficace, si combattue et si heu- reuse; si ce spectacle nous humilie, nous confond, Jésus-Christ nous a découvert aujourd'hui le moyen de la raviver, de la rallumer. Ce fut par l'humilité que nos pères reçurent la vue de l'âme, la lumière de la foi : c'est par l'humilité seule que nous pou- vons conserver ce précieux héritage ; c'est par l'hu- milité que nous pouvons l'accroître. La science de Dieu ne commence à briller dans nos cœurs, dans notre esprit, qu'au moment où nous renonçons à la science des hommes. Où la raison cesse de discuter,

(i ) Nu ne autem

(46)

'a foi commence à éclairer. La grâce commence où rorgueil est éteint; et, dès que l'homme s'est rejeté lui-même, il commence à être rempli de la sagesse divine. A l'école de Jésus-Christ, à l'aide de la science du salut éternel, l'âme apprend à connaître sa propre misère, sent le besoin de prier, s'élève en Rabais- sant, s'agrandit en se rapetissant; elle apprend d'autant plus qu'elle est plus humble, et d'autant plus vite qu'elle est plus soumise. Trop heureux si

nous nous attachons à cet enseignement ; si, rabais- sant notre orgueil, renonçant aux misérables pré- tentions de la vanité, nous savons nous humilier de- vant Dieu et devant les hommes, comme Sidoine, nous trouverons Jésus-Christ dans le temps. Il achè-

vera, par sa grâce, l'œuvre de la révélation qu'il a commencée en nous; il nous en donnera l'intelli- gence, la connaissance pratique ; nous apprendrons à l'adorer en esprit et en vérité; nous deviendrons

ses enfants affectueux, ses disciples zélés, ses imi-

tateurs fidèles; et, après avoir conservé sa foi, ac-

compli ses ordonnances, nous partagerons sa béa-

titude et sa gloire. Ainsi-soit-il !

(47)

S u r L'Eucharistie.

LA RÉVÉLATION ET L A PROMESSE.

(S. Jean, chap. v i . )

Ecce positus est hic i n ruinani et in r e - surrectiouem multorum i n Israël; e t in aignum cui contradicetur. (LUC.II,34.)

Quelle diversité de jugements, quelle contrariété de sentiments, quelle promptitude de châtiments et de récompenses ne nous offre pas l'Evangile de ce jour (Dont. Pa$s.)l Un grand nombre de Juifs avaient cru en Jésus-Christ, après avoir écouté sa divine pa- role (1). Or voici, en présence de ces âmes dociles qui croient Jésus-Christ Fils de Dieu, un peuple or- gueilleux et arrogant qui le blasphème, en l'appelant samaritain et possédé (2); voici, eu présence de tant d'âmes religieuses qui l'adorent, un peuple impie et cruel qui saisit des pierres pour le lapider (3). Mais

(1) Haec îllo loquentc, multi crediderunt in eum (Joan. vin, 50}.

(â) Samaritanus es tu, et daunonium habes (Ibidem, 48).

(3) Tuleraiu ergo lapides ut jaccrent in eum (Ibid.^ 5,0).

(48)

voici pareillement que, dans le même temps, les uns obtiennent la récompense de leur foi dans la pro- messe que leur fait Jésus-Christ de les délivrer de la mort éternelle, pourvu qu'ils conservent fidèle- ment le dépôt précieux de ses instructions (I), tan- dis que les autres reçoivent le châtiment de leur obstination et de leur fureur. Eu effet, Jésus-Christ se sépare d'eux, abandonne leur temple, les laissant en proie à leur aveuglement (2). C'est ainsi que s'est accompli en ce jour, dans le temple de Jérusalem, le grand oracle prononcé trente-trois ans aupara- vant par le saint vieillard Siméon, quand il dit de Jésus-Christ encore enfant : « Voici que Lui, devenu

en Israël signe de haine et de contradiction pour les uns, de foi et d'amour pour les autres, sera l'occasion, pour ceux-ci, de ruine et de mort, et pour ceux-là, de résurrection et de vie (3). »

Ce que le prophète avait prédit, ce qui s'est ac- compli aujourd'hui en la personne de Jésus-Christ, n'a point cessé d'avoir lieu concernant sa doctrine et sa religion. Cette religion et cette doctrine, motif de résurrection et de vie pour quelques-uns, de ruine et de mort pour quelques autres, a toujours rencon- tré et rencontre sans cesse des amis qui la recher- chent et des indifférents qui la méprisent, des disci- ples qui la professent et des adversaires qui la com-

(1) Si quis sermonem servaverit, mortem non videbit in aternum J 6 M . , 5 1 ) .

( î ) Jésus autem abscondit se et exivit de temple {lbid.

t

5 9 , .

(3) Ecce positus... (V, épig.).

(49)

battent, des panégyristes qui la célèbrent et des dé- tracteurs qui la rabaissent, des martyrs qui la con- fessent et des tyrans qui la persécutent. A travers les acclamations des uns et les blasphèmes des autres, aimée et haïe, honorée et avilie, comme il en fut de son divin auteur, elle n'en fournit pas moins sa car- rière sur la terre, laissant périr ceux-ci dans l'en- fer, transportant ceux-là avec elle dans la vie éter- nelle (I).

Parmi tous les dogmes de la doctrine de Jésus, parmi tous les mystères de sa religion, cet oracle prophétique reçoit un accomplissement particulier dans le dogme ineffable, dans le grand mystère de l'Eucharistie. Tandis qu'il est l'objet de l'adoration et du culte, le symbole de l'unité, l'espérance, la vie, l'amour, les délices de la véritable Eglise, il est aussi l'objet des contradictions, des sarcasmes, des insultes, des blasphèmes de l'hérésie; pour un grand nombre de chrétiens, il est une occasion de schisme et de perdition ; en sorte qu'on peut dire particu- lièrement de Jésus-Christ caché dans ce mystère de

sa puissance et de son amour : Ecce, etc. (2).

Vous avez sûrement compris que je veux vous en- tretenir aujourd'hui de la divine Eucharistie. Com- ment, dans l'explication que nous avons entreprise des principaux miracles de Jésus-Christ, passer sous silence celui qui est le plus tendre, ]e plus déli-

(1) In r u i n a m . . . (Ibid.).

(t) Ecce positus... {Ibid. \

(50)

deux et en même temps le plus grand et le plus ma- gnifique?

Et comme il serait impossible de donner dans un seul discours l'idée de ce profond mystère, qui est un abrégé de toute la religion, nous en ferons le su- jet de plusieurs instructions. En commençant aujour-

d'hui par la révélation et la promesse que Jésus-Christ en a faites, avant de l'accomplir, au moyen de figures et de paroles, nous verrons dans les divers prépara- tifs qui renferment cette promesse et cette révélation, la représentation vivante de l'injustice, de la culpa- bilité de ces chrétiens qui l'attaquent, même aujour- d'hui; nous verrons la vertu et la gloire, la félicité de ceux qui y croient, afin que, nous fortifiant tou- jours davantage dans la foi d'un aussi consolant

mystère, tandis qu'il est un signe de contradiction chez les hérétiques, il devienne toujours davantage pour nous un signe de vénération et d'amour ; et que là où ces malheureux trouvent un motif de se perdre, nous trouvions un gage, un moyen assuré de nous sauver (I).

P R E M I È R E P A R T I E .

Il est des hommes qui font grand bruit de ce que saint Jean, disciple chéri de Jésus-Christ, soit le seul parmi les évangélistes qui n'ait point parlé de là cène eucharistique, où le Sauveur opéra le plus tendre

( \ ) Positif e s t . . . {Ibid.}.

(51)

et le plus grand de ses miracles. Il est loin cependant d'en être ainsi ; le grand théologien, le grand évan- géliste de l'amour, ne l'a point passé sous silence.

En effet, si saint Jean a laissé dans l'ombre le mode dont ce mystère fut institué, ce fut parce qu'il avait manifesté suffisamment la manière dont il fut révélé et promis par Jésus-Christ. D'ailleurs, aucun évan- géliste n'a, plus que saint Jean, offert de preuves pour anéantir les difficultés que l'orgueil des héré- tiques y oppose ; aucun d'eux n'a établi la vérité de ce grand mystère mieux que saint Jean ; il est aisé de s'en convaincre en lisant le chapitre vi

c

de son sublime Évangile. Tâchons donc de l'expliquer, ce

chapitre si important; voyons-y le mystère eucha- ristique révélé et promis dans les termes les plus clairs, avec les expressions les plus tendres ; con- templons-le disposé, enchaîné avec les dogmes fon-

damentaux de toute la religion.

Voici la narration de saint Jean : Le lendemain du jour où le Seigneur avait rassasié environ douze

mille personnes avec cinq pains; pendant que les Juifs étaient encore sous l'impression de la stupeur produite par ce miracle ; pendant qu'ils avaient en- core, pour ainsi dire, dans la bouche la saveur de ce

pain miraculeux, Jésus-Christ, les voyant marcher à sa suite et décidés à ne point se séparer de lui,

leur dit : « En vérité, je connais d'où vient votre

empressement pour moi : il est tout intéressé et

terrestre. Vous me recherchez, non plus parce que

les miracles que vous m'avez vu opérer vous ont

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