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ARTheque - STEF - ENS Cachan | Les mots devenus choses : la difficile cohabitation de l'imprimé avec l'oral

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Academic year: 2021

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LES MOTS DEVENUS CHOSES : LA DIFFICILE COHABITATION

DE L’IMPRIMÉ AVEC L’ORAL

Célestin RAZAFIMBELO, Judith RAZAFIMBELO

École Normale Supérieure, Université d’Antananarivo. MADAGASCAR

MOTS-CLÉS : LANGUE – ÉCRITURE – IMPRIMERIE – HISTOIRE – TRADITION – ENSEIGNEMENT – MISSIONS PROTESTANTES – MADAGASCAR.

RÉSUMÉ : Il s’agit ici de faire une analyse rétrospective de l’usage des mots dits et des choses imprimées à Madagascar au 19e siècle, à l’ouverture des premières écoles. Le livre et tout produit imprimé étaient sacrés pour la majorité de la population. Ainsi, les mots une fois fixés par l’écriture et, mieux, par l’imprimerie prenaient une essence magique. La mission protestante avait mis en œuvre une politique du livre pour faciliter leur travail. Mais cette situation n’incite pas toujours à l’apprentissage de l’écriture et de la lecture.

ABSTRACT : This study aimed to have a retrospective analysis of words use, oral and writing, in Madagascar. In the last 19th century, books and printed writings were considered by a major part of people as sacred. Therefore, when words were fixed by writing and printing, they take a magic sense. This situation did not lead to a need of learn of writing and reading.

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1. INTRODUCTION

À Madagascar, l’histoire de la chose imprimée et du livre est associée à la pénétration des « religions du livre » : l’Islam dès le 13e siècle et le christianisme au 19e siècle, contexte de rareté des produits écrits, mais aussi sacralisation et monopole du savoir par une minorité afin d’asseoir sa prééminence. Il est intéressant de voir comment la chose écrite a fait son chemin dans ce contexte traditionnel de la parole.

2. MISE EN CHOSES DES MOTS : GENÈSE DE L’ÉCRIT À MADAGASCAR

Très tôt, du 11e au 13e siècle, les « Arabes » qui connaissaient bien la côte orientale africaine, installent des comptoirs sur la côte nord-ouest et sud-est de l’île. Ils amènent avec eux l’écriture (le

sorabe), le support (le papier antemoro) et la technique de fabrication. Ce contact entre Islam et

tradition autochtone a donné naissance à une civilisation métissée sur la côte est africaine et à Madagascar. Ce métissage débouche vers une récupération de l’Islam par les chefs locaux et c’est ainsi qu’on explique la constitution des premières formations monarchiques. Ces Islamisés ont réussi à s’imposer aux groupes locaux, sûrement par la force des armes à leur début, ensuite par le monopole du sacré où l’écrit prend une place centrale. En effet, l’Islam semble avoir été présenté comme la religion du livre. Dans ce cadre, le livre est pris dans sa matérialité. Il est encore difficile de savoir à partir de quel moment à Madagascar, le Coran a été remplacé par le Sorabe, quelques versets du Coran et un recueil de traditions orales en malgache dialectal, écrit en caractères arabes. Ces Sorabe retracent l’histoire des lignages dominants et de leurs ancêtres « arabo et silamo ». Ils sont conservés jalousement et leurs gardiens constituent un groupe restreint de savants, considérés par toutes les ethnies voisines comme les maîtres de la sagesse et les meilleurs stratèges (militaires et politiques !). Tout contact avec le livre est ritualisé, réglementé et la chose écrite est elle-même sacrée et considérée comme ayant des vertus magiques. Ses prescriptions les plus usuelles consistent à porter sur le cou des formules magiques écrites sur du papier local antemoro. L’écrit confère à son auteur prestige et pouvoir : ce qui facilitera les actions des missionnaires. L’initiation à la science de l’écriture est réservée à un groupe de spécialistes, les katibo. Radama, roi d’Imerina (1810-1828) et fondateur du royaume de Madagascar s’est initié à cette écriture. Quand les missionnaires (qui ont d’autres objectifs !) arrivent et lui annoncent qu’ils viennent pour faire apprendre l’écriture et la lecture, Radama accepte avec joie.

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3. L’ÉCRIT ANNEXÉ PAR LE POUVOIR

Ainsi, Radama devenu roi de Madagascar en 1820, accueille les missionnaires de la Mission de Londres (LMS) à Tananarive. Il interdit la conversion de ses sujets au christianisme, mais encourage la création d’écoles. Les buts des deux parties étaient quelque peu différents : les missionnaires escomptaient faciliter les conversions par un travail préliminaire d’alphabétisation. Le roi, de son côté, pensait déjà à l’école pour administrer le pays qu’il vient de conquérir (Raison-Jourde, 1991, p. 119). La circulation d’ordres écrits s’imposait ainsi que la tenue d’une comptabilité pour les douanes et les affaires commerciales du royaume et les impôts. Enfin, il fallait gérer les garnisons dispersées dans toute l’île : état des vivres, des munitions, des soldats. L’écrit apparaissait donc comme l’instrument de gestion d’un état qui prenait corps, qui se créait un appareil, qui se bureaucratisait, et tout cela, dans un pays où la masse restait dans l’ignorance sous le contexte faussement immuable de la tradition. Les officiers devaient être alphabétisés ainsi que l’appareil du gouvernement central qui tient la chancellerie. L’autorité politique appartient au souverain, mais c’est la mission qui détient les moyens financiers et techniques. Dans le courant des années vingt du 19e siècle, l’école observe un réel succès en Imerina, succès qui s’explique par le caractère obligatoire de la scolarisation et la stratégie des groupes statutaires de rang inférieur qui espèrent l’utiliser comme moyen d’ascension sociale. En Imerina, le statut social est défini par la corvée, censée être un devoir envers la communauté le fokonolona, (devenu un devoir envers le souverain au 19e). La corvée, en principe, est une affaire d’adultes, mais avec l’introduction de l’école, les enfants ont également leur part de corvée : celle d’aller à l’école. Quand la reine Ranavalona met définitivement fin aux travaux de la mission, elle avait scolarisé près de 15 000 enfants.

Mais l’école, c’est aussi un contenu : les premiers missionnaires (D. Jones, Griffiths, Johns) vont, pour les besoins de l’orthographe, créer une grammaire (l’orthographe étant basée sur la phonétique). Le roi intervient personnellement en prenant position sur la transcription phonétique, beaucoup plus simple, comparée à l’écriture mouvante du traitant français Robin. Cette intervention du roi donne la paternité de l’écriture au roi et les missionnaires ne sont que ses commissionnaires. Dans ce royaume, l’écriture ne peut émaner que du fanjakana, de l’État, instance unique de décision. La parole du roi ne se discute pas, elle est sacrée.

Certes, à ses débuts, l’école constituait déjà un nouveau mode d’émergence des élites au service de l’état. Mais elle devient un instrument idéologique au service du souverain : le roi attend de l’école la sagesse unique (des ancêtres !), une morale de l’obéissance et le respect au souverain. Pour Radama, le « Charlemagne malgache », l’école doit jouer un rôle essentiel dans la formulation de

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L’école se doit de diffuser auprès des enfants merina l’esprit de conquête et se donne comme mission de les encourager à adhérer vers cette entreprise. Mais en fait, pour tout le 19e siècle, l’école et l’écrit, restent associés au fanjakana : celui qui est mahay taratasy incarne le pouvoir, ou au moins est près du pouvoir.

Si cette nouvelle orientation idéologique a suscité contestations et manifestations surtout de la part des mères indignées de voir leurs enfants sitôt embrigadés dans le cycle de fanompoana (corvée), le mécontentement populaire fut contenu après de tragiques répressions. Puis après, il fut dilué par la croyance installée dans le pouvoir magique du livre, croyance acquise avec la fréquentation des

ombiasy qui vendent des amulettes faites de formules écrites, présumées magiques. L’écrit

occidental accède aussi au rang de talisman et devient un ody parmi tant d’autres bien que son pouvoir soit attendu pour être supérieur à ses rivaux locaux ! C’est l’opinion des élèves en voie de conversion, mais également des adversaires de l’école, ainsi que de l’ensemble de la population, observateur attentif des faits et gestes des missionnaires qui ne subissent rien après avoir transgressé mille tabous ! Et la croyance populaire place les élèves au même rang que les missionnaires : ceux qui sont en contact avec les livres, sont immunisés contre les puissances du mal.

4. LE LIVRE REMPLACE LES IDOLES

Les missionnaires, malgré les interventions répétées du roi qui maintient l’interdiction à toute conversion et ne voit en l’école que son aspect pragmatique, vont jouer sur le contenu de l’enseignement : ils ont calculé le coût de l’équipement et ont décidé de faire venir une presse à Antananarivo en 1827. Ce sont les parties traduites de la Bible qui servent de livre de lecture ! Paroles de Dieu écrites sur du papier, la Bible s’oppose aux fomba, les coutumes ancestrales assimilées à des superstitions et enfantillages (finoanoam-poana) par les missionnaires. L’autorité de la Bible, écriture sacrée, transformée en livre de lecture, fait de cet exercice un rituel, une initiation au pouvoir encore mal défini mais perçu comme immense des missionnaires. D’autre part, la conversion et l’adhésion au christianisme reste associé au savoir lire et écrire dans ces premiers temps de conversion. L’expérience de la Mission de Londres est originale à beaucoup d’égards : contrairement à l’héritage historique du protestantisme, la conversion en Imerina ne s’est pas faite à l’échelle de l’individu mais de tout un royaume. Comportements ambigus qui ne s’expliquent que par la logique d’une monarchie de droit divin, avec des groupes et des strates dont le souverain constitue les seuls repères dans tout acte social et religieux. Ces convertis ignorent tout du christianisme et il faudra agir à ce que, conformément à l’éthique protestante, l’adhésion soit

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personnelle, voulue et en connaissance de cause. De là, la nécessité d’alphabétiser. Le rapport individuel aux Écritures Saintes est au centre de la réflexion des Églises reformés : il est évident ici que le savoir lire et bien lire est une des exigences pour chaque croyant. Les missionnaires de la seconde génération qui arrivent après 1861 vont surtout centrer leurs travaux sur une vulgarisation du livre et sa diffusion. Une nouvelle presse arrive à Antananarivo en 1862. Des typographes sont formés sur place parmi les meilleurs élèves. Les produits sont variés : bibles, tracts bibliques, livres scolaires…La production est importante à l’échelle de Madagascar à la fin du 19e : de 1870 à 1880, 64 762 Bibles, 400 000 manuels de leçons élémentaires ont été édités, chiffres deux fois supérieurs au nombre d’élèves. Malgré tout, le bilan de l’alphabétisation reste bien en deçà de ces chiffres ! Les résultats sont décevants par rapport aux investissements et aux travaux fournis.

Une des causes de cet échec de l’imprimé vient de son prix : les missions qui doivent s’autofinancer ont rejeté la distribution gratuite de peur de dévaloriser l’imprimé. Souvent, les livres achetés ne sont pas lus, mais conservés jalousement dans un coin de la maison et nombreuses sont les familles qui achètent sans savoir lire la Bible. Beaucoup de gens achètent des livres qu’ils ne liront jamais. Cet état des faits ne peut être attribué qu’à la persistance des représentations autour de la chose écrite. Ceux qui ont la chance de pouvoir lire, racontent ce qu’ils ont lu à un auditoire attentif qui partagera plus tard à d’autres ce qu’il a entendu. Économie de lecture et de livre, mais rapidité de diffusion. Et c’est de cette manière que le Pilgrim’s progress est devenu un conte malgache (sans oublier les contes de l’enfant abandonné au fil de l’eau – l’histoire de Moïse – et beaucoup d’autres contes malgaches du 19e siècle.)

À l’avènement de la période coloniale, certains faits attribués aux Menalamba, une révolte paysanne contre l’armée coloniale montrent encore combien le sacré de l’écrit (ajouté au cachet) constitue une permanente dans les représentations sociales paysannes.

5. CONCLUSION

« Les politiques d’alphabétisation, quelles qu’elles soient, gardent un optimisme pédagogique inébranlable : elles ne connaissent qu’une modalité universelle de la lecture, celle qui par sa transparence, laisse le livre, pur message, transformer la cire molle qu’on imagine être le lecteur. En ce sens, apprendre à lire à un groupe social jusque-là analphabète, c’est l’offrir au pouvoir, en droit infini du livre. Lui seul, pense-t-on, « pourra détruire les modèles anciens de croyances, les superstitions, au cœur même des cadres sociaux qui en assurent la permanence ». Cet optimisme

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période de l’histoire de l’éducation est plutôt idéalisée, et mise en opposition avec la période coloniale. La force de la Mission de Londres réside dans la clarté de sa vision globale de l’éducation : langue d’enseignement, politique du livre, et formation des formateurs. Une recherche sur la formation des missionnaires avant leurs envois serait intéressante à plusieurs égards.

GLOSSAIRE

Antemoro : groupe ethnique du Sud Est de Madagascar

Fanjakana : état, l’administration, l’autorité administrative

Finoanoampoana : superstition

Fokonolona : communauté villageoise autocentrée Fomba : coutumes, traditions, usages, manières Mahay taratasy : lettré, instruit

Menalamba : mouvement de résistance primaire contre la colonisation (1896-1898)

Merina : Habitants des Hautes-Terres Centrales, groupe dominant au 19ème siècle.

Ombiasy : devin

Sorabe : manuscrit en caractère arabe malgachisé Silamo : musulman

BIBLIOGRAPHIE

KENT R. (1970). Early kingdoms in Madagascar, 1500-1700, New York.

CHAPUS C. S. (1925). Quatre-vingts années d’influences européennes en Imerina. Bulletin de

l’Académie Malgache ns vol VII.

FERRAND G. (1902). Les musulmans à Madagascar et aux Comores. Paris.

RAISON-JOURDE F. (1991). Bible et pouvoir à Madagascar au XIXe siècle : Invention d'une

identité chrétienne et construction de l'État. Paris : Karthala, 839p.

RAZAFIMBELO C. (1984). Les origines de l'implantation chrétienne en pays sihanaka.

Contribution à l'histoire des mentalités locales. Antananarivo, 184p..

Références

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