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ARTheque - STEF - ENS Cachan | La construction des stéréotypes sociaux sur le corps : la télé-réalité

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A. GIORDAN, J.-L. MARTINAND et D. RAICHVARG, Actes JIES XXVI, 2004

LA CONSTRUCTION DES STÉRÉOTYPES SOCIAUX

SUR LE CORPS : LA TÉLÉ-RÉALITÉ

Fabienne MARTIN-JUCHAT Université de Bourgogne, LIMSIC

MOTS-CLÉS : NORMES – MÉDIAS – CORPS – INTERACTIONS – AFFECTS – REPRÉSENTATIONS – TÉLÉ-RÉALITÉ

RÉSUMÉ : Les émissions télévisuelles du genre télé-réalité mettent en scène des normes de comportements corporels, relationnels et affectifs qui nourrissent les valeurs et les aspirations de notre société hypermoderne. Nous allons analyser ces mises en scène de mise en scène de corps en interaction qui prescrivent et performent du social. Nous esquisserons, entre autres, les raisons sociétales qui font de ces émissions des succès, mesurables par les résultats de l’audimat.

ABSTRACT : TV Programmes and in particular real-TV shows tend to rely on a certain type of non-verbal communication. The new type of behaviour they are based upon (whether it be physical or emotional) is the reflect of the values and aspirations of our hyper modern life style. We analyse the different modes according to which the body is being exhibited, the interaction between body and mind, body and body, and the way in which all these interactions influence social life. We shall also hint at the different reasons why these shows appeal to so wide an audience.

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1. INTRODUCTION

Il y a maintenant plus de cinq ans, des émissions dites de télé-realité (reality-show en anglais) sont apparues sur les chaînes de télévisions françaises. Loft story, diffusé à partir de 2000, en est un exemple mythique. En France, elle a été la première émission diffusée explicitement sous cette appellation accrocheuse de télé-réalité. À partir d’une explicitation des notions associées au genre

télé-réalité, nous allons observer que ce dernier a tendance à envahir l’espace médiatique. Les

shows télévisés (Talk Show en anglais) et certains pseudo-documentaires sont construits sur les mêmes objectifs interactifs (au sein de l’espace médiatique et avec le téléspectateur) que ceux de la

télé-réalité.

L’ensemble de ces produits médiatiques met en scène des interactions affectives qui répondent à des normes, des valeurs ou encore des aspirations sélectionnées et valorisées par notre société. Plus en avant, les protagonistes/participants, choisis par casting selon des critères sélectionnés (Roux, Teyssier, 2003), sont filmés dans des interactions plus ou moins provoquées par des scénarios. Ces situations relationnelles nous rappellent les rites fondateurs de notre société : la mise à mort en public, le jeu du bouc émissaire (Girard, 1984).

Dans un premier temps, nous présenterons le type d’approche qu’il est possible de construire afin d’étudier les émissions dites de télé-réalité. Nous constituerons une carte de l’offre médiatique autour du concept de télé-réalité. À partir de ce travail de définition et de positionnement, nous présenterons successivement les valeurs et les aspirations hypermodernes (Lipovetsky, 2004) qui nourrissent ces produits médiatiques. Dans un premier temps, nous aborderons la version contemporaine du dandysme qui se caractérise par une aspiration collective à vouloir faire de son corps en œuvre d’art. Dans un second temps, nous développerons des valeurs relatives à l’extimité, pour reprendre l’expression de Tisseron (2002). L’extimité se manifeste par une exposition de la vie affective individuelle, de couple ou familiale. Puis, nous appréhenderons comment la recherche d’un bouc émissaire est actuellement valorisée par les émissions de télé-réalité et les shows télévisés. Enfin, nous nous interrogerons sur la recherche d’extrêmes corporels, qu’ils soient physiques ou psychologiques, sensoriels ou émotionnels, manifeste dans certains spectacles.

2. LA TÉLÉ-RÉALITÉ : UN APPROCHE ET UN OBJET À DÉFINIR

À partir d’une interrogation sur ce qui est mis en scène dans les émissions de télé-réalité, et sur le type d’interaction médiatique qui est engendré, nous en sommes arrivée à définir les émissions

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En reprenant les termes de Goffman (1984), nous considérons ces émissions comme des mises en scène de mise en scène de corps en interactions engagées dans des pratiques. Ce qui nous intéresse dans ces émissions relève moins de ce qui est énoncé intellectuellement que de ce qui est mis en scène affectivement par le para et le non-verbal. D’ailleurs, il se dégage de sondages auprès de lycéens et d’étudiants - Enquête menée à l’Université de Bourgogne, dans le cadre d’un cours d’introduction à la recherche en anthropologie de la communication - que de nombreux téléspectateurs regardent ces émissions en coupant le son.

Or, le corps est un média affectif privilégié de la communication entre genres et entre sous cultures. Le corps est le support d’expression et de transmission de normes affectives (Cosnier, 1984). Plus en avant, le corps performe des normes de comportements affectifs, non seulement dans les interactions interpersonnelles, mais aussi dans la relation aux objets ou encore aux décors. Aussi, ces émissions performent plus de non-dits que de dits. Le téléspectateur n’assiste pas à des débats d’idées mais à des débats affectifs non-verbaux entre des acteurs, engagés dans des pratiques. Cependant ces débats affectifs relèvent de modèles pré-formatés car ils correspondent à « des constructions de personnalités en fonction de normes sélectionnées aux castings ». (Roux, Tessier, 2002, Jost, 2002).

En opposition avec l’idée fréquemment répandue que ces émissions n’ont et ne génère pas de sens, nous défendons l’idée qu’elle génère du lien par des affects ressentis ensemble. Ces corps en interaction mettent en scène des affects que sont vécus par les protagonistes et par les téléspectateurs lors d’un processus d’identification projective. Ces affects, ressentis par procuration, font sens pour le téléspectateur. Aussi, nous nous situons dans une perspective dite de sociologie compréhensive (Heinrich, 2001). Il nous importe d’essayer de démontrer que les représentations affectives véhiculées par les corps en interaction, génèrent du sens et du lien social pour les protagonistes et les téléspectateurs.

3. CARTOGRAPHIE DE L’ESPACE MÉDIATIQUE

Les émissions qui répondent aux principes de la télé-réalité peuvent être catégorisées en trois grands groupes, en fonction des caractéristiques du dispositif technique sur lequel elles s’appuient. Le premier type d’émission, considéré comme étant au cœur du concept de télé-réalité, peut être défini en reprenant les termes de P. Blanchard et de ses collègues. Ce sont des « mises en scène

contemporaine de l’autre normal dans un espace anormal parfois exotique » (2002). Ils considèrent

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Huit Clos (Reality Show) Types de dispositif scénique Plateau télé (Talk Show) Type Documentaire Fogiel Ardisson Delarue Dumas Bataille et Fontaine

On a échangé nos mamans Vis ma vie Les 11 commandements Jackass Streap-Tease Confessions Intimes En direct sur Ed TV Koh Lanta Le chantier Gloire et Fortune La ferme Star Ac Loft Story Co- Locataires Bachelor Gregle Millionnaire Marjolaine Opération Séduction L’île de la tentation En Souligné : Participation du public

caractéristique de ces pratiques consiste à exposer des individus, enfermés dans un espace clos, en vue d’observer leurs comportements interactionnels.

Le second type d’émissions se caractérise par son genre documentaire. Des gens, soi-disant comme tout le monde, se font suivre toute la journée, par une caméra qui filme leurs interactions quotidiennes. Enfin, le troisième type d’émissions est basé sur la mise en scène de l’intimité d’un individu sur un plateau télévisé. L’invité est sollicité par un animateur qui le pousse à parler de son vécu affectif.

Il est également possible de différencier les émissions précédemment catégorisées en fonction du type de cadre participatif (Goffman) qui est préconstruit. Les émissions exhibent : soit une seule personne et sa vie affective ; soit des relations intimes (familiales ou amicales) ; soit enfin des interactions de groupe. Les produits se différencient aussi par le degré d’implication du téléspectateur. Dans certaines émissions, le téléspectateur peut décider du devenir des participants et du gagnant, par un vote à distance.

À partir de l’ensemble de ces critères différenciateurs, il est possible de faire une cartographie des émissions françaises de télé-réalité et de celles qui lui sont associées.

La cartographie ci-dessus reprend l’ensemble des émissions qui répondent aux principes de la télé-réalité (depuis Loft Story, première émission diffusée en 2000). Sur les axes verticaux se différencient les émissions sans finalité lucrative pour les protagonistes (en bas de l’axe) et avec une finalité lucrative (en haut de l’axe). L’axe horizontal différencie les types d’émissions selon leur

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l’objectif est de mettre en scène le vécu affectif d’une seule personne. Il s’agit des plateaux télés tels que : On ne peut pas plaire à tout le monde de M. O. Fogiel, Tout le monde en parle de T. Ardisson et Y’a que la vérité qui compte de P. Bataille et L. Fontaine, etc. Les émissions de type

documentaire (une caméra suit les participants dans leur vie quotidienne) mettent en scène le vécu

d’une seule personne (En direct sur Ed TV, Confessions intimes, Strip Tease), d’une famille (Vis ma

vie, On a échangé nos mamans) ou d’un groupe (Jackass). Ces émissions ne permettent pas aux

participants de gagner de l’argent.

Les seules émissions à finalité lucrative où le téléspectateur peut voter et participer au choix du gagnant constituent le cœur de la télé-réalité. Il s’agit de La ferme, Star Ac, Loft Story,

Co-Locataires. Enfin, un dernier groupe d’émission met en scène en huit clos des relations de couple,

en interactions duelles ou en groupe : Opération Séduction, Bachelor, Greg le Millionnaire,

Marjolaine, L’île de la tentation.

4. ASPIRATIONS ET VALEURS HYPERMODERNES

Dans les émissions de télé-réalité, les corps expriment des valeurs, des aspirations ou plus précisément des types des rapports du monde ou attitudes qui caractérisent une société hypermoderne dominée par les médias. « En sacralisant le droit à l’autonomie individuelle, en promouvant une culture relationnelle, en célébrant l’amour du corps, les plaisirs et le bonheur privé, les médias ont été des agents de dissolution de la force des traditions et des anciennes étanchéités de classe, des morales rigoristes et des grandes idéologies politiques » (Lipovetsky, 2002 : p. 93). Le corps est le moyen privilégié d’observation des pratiques hypermodernes. Les valeurs de notre société se manifestent sous la forme de comportements que sont : l’extimité, la recherche d’extrêmes corporels, une forme de dandysme hypermoderne et enfin le jeu du bouc émissaire. 4.1 Le dandysme hypermoderne

Les corps sélectionnés dans les émissions de télé-réalité qui mettent en scène des rapports de couple et de séduction (en particulier dans le Bachelor, Greg le Millionnaire, Marjolaine, Opération

Séduction, L’île de la tentation) véhiculent des aspirations collectives faites de perfection corporelle

désincarnée, tout en promouvant une sensualité et une sexualité paradoxale. Cette esthétique et ces attitudes corporelles nous rappellent le dandysme de la fin du siècle dernier, avec cependant quelques adaptations propres à notre siècle. Le dandy était au XIXe siècle « le modèle d’une beauté masculine combinant force et délicatesse, vigueur et fragilité » (Vigarello, 2004). La philosophie de vie du dandy se manifestait par des pratiques animées par la recherche de perfection.

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De nos jours, le corps est sur-investi du rôle d’incarner une création personnelle, selon des critères d’excellence et d’exception. Conquérir la notoriété par la télévision permettrait de se transformer en œuvre d’art selon les critères sociaux d’une réussite, évaluée par l’apparence et par l’image. Le corps du dandy romantique se distingue aussi de celui de notre époque car il n’entretient pas le même rapport à la sexualité et à la séduction. L’individu hypermoderne construit son identité sexuelle en l’exposant sur la scène publique.

4.2 L’extimité

Selon Tisseron, la scénarisation, la mise en scène de l’intime ne relève plus de l’intime. L’intime relève du non-dit, du secret, du mystère et, lorsqu’il bascule dans le dit, se transforme en récit de l’intime. L’exposition de la vie privée des participants est un des objectifs qui transparaissent de l’ensemble de l’offre médiatique autour du concept de télé-réalité. Les talk-shows (Fogiel, Ardisson, Dumas) et les émissions de type documentaires (En direct sur Ed TV, …), au même titre que la télé-réalité en huit clos, sont essentiellement basés sur des récits de vécus affectifs. L’exposition des passions, des émotions et des sentiments satisfait à la fois les énonciateurs et les téléspectateurs. Dans les termes de G. Tarde (1892), cet attrait, cette attirance pour ces comportements relèvent de ce qu’il nomme les lois de l’imitation. Le besoin de s’identifier à des modèles collectifs ou bien, être soi-même le modèle qui fascine, est un besoin social constitutif de la vie en société. Il ne relève donc pas d’une attitude voyeuriste, correspondant à un comportement sexuel déviant selon la psychanalyse, mais bien d’un besoin social. 95% des adolescents regardant les émissions de télé-réalité cherchent à voir leurs aînés gérer les alliances et les conflits avec l’autre sexe (Tisseron, 2002).

4.3 Le jeu du bouc émissaire

La télé-réalité médiatise un autre fondamental, constitutif de notre société : posséder le pouvoir de décider du sort d’autrui, de stigmatiser un individu et, par des rituels collectifs, de le transformer en bouc émissaire. La mise à mort en public consiste à laisser la foule décider du sort du condamné. Ces pratiques courantes à l’Antiquité, au moyen âge, par temps de guerre ou de dictature, sont volontairement re-jouées par les émissions précédemment énumérées qui les prévoient dans leurs scénarios. Ces rituels sont explicites dans les émissions où les téléspectateurs, par leurs votes, choisissent le ou les gagnants. Gloire et Fortune, adaptation d’une émission américaine Joe Schmo

Show, est clairement basée sur ce principe du pigeon, du dindon de la farce. Stigmatiser l’autre,

l’étranger, l’emprisonner pour le montrer (Bancel, 2002), génère de la cohésion et du lien social. Se rassembler tous contre un donne l’illusion de faire partie d’un groupe, aide à surmonter ses peurs et

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aussi les sacrifices (Girard, Le Bon). Selon Girard, le sacrifice du bouc émissaire apaise les pulsions agressives des hommes. Le premier rite sacrificiel apaise la violence du collectif dans une violence du tous contre un.

4.4 L’Xtrème

La recherche d’extrêmes corporels est clairement identifiée par les sociologues. D. Le Breton (2002) la définit comme caractéristique des conduites à risque. « L’expression conduite à risque appliquée aux jeunes générations, s’impose de plus en plus pour désigner une série de conduites disparates, dont le trait commun consiste dans l’exposition de soi à une probabilité non négligeable de se blesser ou de mourir, de léser son avenir personnel ou de mettre sa santé en péril » (Le Breton, 2002, p. 61). Ces rites individuels ou collectifs font office de rites d’initiation, de rites de passages. Cette recherche de sensations et d’émotions fortes peut sembler paradoxale par rapport à cette autre tendance, manifestée par une quête de perfection désincarnée. Cependant, peu importent les extrêmes, ce sont bien toujours le corps et surtout la chair qui sont inlassablement interrogés.

BIBLIOGRAPHIE

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Références

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