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Serge Tousignant : jeux d'espaces, jeux de regards : le catalogue

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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SERGE TOUSIGNANT

JEUX D'ESPACES, JEUX DE REGARDS

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Sophie Bertrand / Dounia Bouzidi / Rachel Brideau / Marie-Eve Chamberland / Gabrielle Côté / Carla Cruz / Pascale Deschambault / Camille Dombrecht / Ivy Fernandez / Sandrine Héroux / Mylène Lachance-Paquin / Justine Lacombe / Coline Marchand / Adèle Melot / Andréanne Neveu / Meriem Rial / Mathilde

Saint-Jean / Dominique Trudeau / Daniella Zanetti

AUTEURES

Serge Tousignant

Jeux d'espaces, jeux de regards

ÉQUIPE DES ÉTUDIANTES  

Rédaction des textes 

Sophie Bertrand, Dounia Bouzidi, Rachel Brideau, Marie-Ève Chamberland, Gabrielle Côté, Carla Cruz, Pascale Deschambault, Camille Dombrecht, Ivy Fernandez, Sandrine Héroux, Mylène Lachance-Paquin,

Justine Lacombe, Coline Marchand, Adèle Melot, Andréanne Neveu, Meriem Rial, Mathilde Saint-Jean-Boucher, Dominique Trudeau, Daniella Zanetti

 

Édition numérique du catalogue  Gabrielle Côté

Conception de l’identité visuelle (exposition) Ivy Fernandez et Justine Lacombe

Révision des notices bibliographiques Rachel Brideau

 

Vidéogramme - en complément du catalogue 

Dominique Trudeau (réalisation), Vincent Papineau (tournage et montage), Guillaume Coutu-Dumont (musique)  

FORMATION PÉDAGOGIQUE, RECHERCHE EN MUSÉOLOGIE ET HISTOIRE DE L’ART  

Expertise des auxiliaires d’enseignement pour le séminaire « Histoire de l’art et muséologie » Christine Blais, M.A., candidate au Ph. D., Histoire de l’art (pour la formation en édition numérique) Marion Riberolles, M.A., Muséologie (pour la formation avec le logiciel SketchUp)

 

Soutien à la recherche bibliographique

Marie-Ève Ménard, bibliothécaire Histoire de l'art, BLSH, Université de Montréal  

Commissariat général 

Christine Bernier, professeure au Département d’histoire de l’art et d’études cinématographiques et

responsable du Programme de maîtrise en muséologie, Faculté des arts et des sciences, Université de Montréal

REMERCIEMENTS 

Toute l’équipe tient à exprimer sa reconnaissance à Marie-Josée Rousseau, directrice de la Galerie

La Castiglione, pour son accueil des étudiantes lors du tournage du vidéogramme et pour l’hébergement du catalogue sur le site Web de la galerie.

Mai 2020

CRÉDITS

Œuvres en couverture (de haut en bas, de gauche à droite) :

Réflexion intérieure, 3 variations (1983), Lecture no 3 (1996-97), Ruban gommé sur coins d’atelier : 9 points de vision

(1973-74), Laissez-faire les sphères (1975), Pliage pour Pinces vertes (1967), Totem (1977), La cour de récréation de

l’École Saint-Clément-de-Viauville où j’ai fait ma première année scolaire en 1948 (2015), Quatre coins de ma chambre (…d’atelier) (1972-73).

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TABLE DES MATIÈRES

Capter l’anamorphose   Camille Dombrecht

Entrainer notre regard pour en aiguiser la vision Dominique Trudeau

Cosmogonie d’une photographie Sophie Bertrand

Un livre qu’on a lu est un livre qui nous appartient Marie-Eve Chamberland

Shop Art : La mise en sac citationnelle Mylène Lachance-Paquin

(Dé)composition hybride Carla Cruz

Le jeu sous toutes ses formes Rachel Brideau

Reflet de l’artiste dans son œuvre photographique Parallèle jaune 2-22/VOX

Gabrielle Côté Capter l’intangible Mathilde Saint-Jean

L’ADN des étoiles n° 3 - Une entrée dans l’intimité de la création

Dounia Bouzidi Liste des œuvres Bibliographie collective Vidéogramme 48 52 56 62 68 72 78 82 88 91 95 97 103 Avant-propos Introduction

Bottin téléphonique : entre lyrisme et géométrie Adèle Melot

Perfectionner les illusions Justine Lacombe

Sculpture, peinture, gravure : Givre vert à la croisée des médiums

Ivy Fernandez

Sculptures réflectives : Les illusions de la matérialité  Andréanne Neveu

Quatre coins de ma chambre (… d’atelier). Un saut dans le médium photographique : jeux de lumière et de perception Sandrine Héroux

Ruban gommé sur coin d’atelier : 9 points de vision - Jeux de lignes et de perceptions

Daniella Zanetti

Voir et percevoir - trompeuse réalité Coline Marchand

Création, sculpture, art : La théorie des trois arbustes Meriem Rial

Serge Tousignant et l’éternelle géométrie Pascale Deschambault iii 1 4 8 12 18 22 28 32 38 42

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Ce catalogue numérique a été conçu pour accompagner l’exposition intitulée Serge Tousignant. Jeux d’espaces, jeux de regards, qui devait se tenir au Carrefour des arts et des sciences de l’Université de Montréal, du 8 avril au 12 juin 2020, et qui s’annonçait comme une superbe exposition. La crise de la COVID-19 a malheureusement rendu sa tenue impossible. Démontrant que l’art et la connaissance sont des moteurs essentiels de la résilience, toutes les personnes qui étaient derrière ce projet se sont mobilisées pour donner une nouvelle vie au travail qui avait été accompli afin de produire ce magnifique catalogue numérique que nous vous présentons aujourd’hui.

Ce catalogue numérique est le fruit du travail de recherche de dix-neuf étudiantes de la maîtrise en histoire de l’art et en muséologie. Il a été réalisé dans le cadre du séminaire Muséologie et histoire de l’art, sous l’excellente supervision de la professeure Christine Bernier du Département d’histoire de l’art et d’études cinématographiques. Je tiens à souligner la qualité du travail des étudiantes : elles n’ont peut-être pas eu l’occasion  d’habiter notre Carrefour, mais elles nous prouvent qu’elles en incarnent l’esprit.

Pensé pour accueillir les démarches interdisciplinaires et les projets audacieux, le Carrefour des arts et des sciences est un lieu où se fécondent les connaissances

Serge Tousignant. Jeux d'espace, jeux de regards. | iii Serge Tousignant. Jeux d'espace, jeux de regards. | iv

Mot du Doyen de la Faculté des arts et des sciences

AVANT-PROPOS

formalisées et les connaissances appliquées. Nous sommes au cœur de la mission de la Faculté : assurer une solide formation disciplinaire tout en s’ouvrant avec conviction aux transgressions frontalières et aux métissages.

Sont ici réunies dix-neuf œuvres de Serge Tousignant, artiste québécois de renommée internationale, professeur honoraire et cofondateur en 1974 du programme d’arts plastiques au Département d’histoire de l’art de l’Université de Montréal. Les œuvres présentées, qui vont de 1964 à 2019, constituent un corpus représentatif de la démarche de l’artiste depuis les années 1960.

Je veux féliciter toute l’équipe d’étudiantes commissaires, dont vous pouvez admirer le travail aujourd’hui. Avant ce catalogue, nous savions déjà que vous étiez brillantes, mais nous avons maintenant la preuve que vous êtes aussi capables de faire briller les autres. Ceci nous donne foi en l’avenir et en notre relève en histoire de l’art et en muséologie pour faire face aux mutations qui transformeront peut-être notre accès à l’art, mais pas notre appétit vital pour celui-ci. Enfin, je veux remercier sincèrement Christine Bernier pour son engagement constant auprès de nos étudiantes et étudiants, ainsi que Serge Tousignant pour son aide précieuse dans la réalisation de ce projet.

Frédéric Bouchard

Doyen de la Faculté des arts et des sciences Université de Montréal

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Serge Tousignant. Jeux d'espace, jeux de regards. | v Serge Tousignant. Jeux d'espace, jeux de regards. | vi

muséologie qui m’a permis de vivre ce beau moment dans un contexte pédagogique des plus enrichissants. Et merci à Christine Bernier la responsable du Programme pour son invitation au projet et pour son enthousiasme dans l’élaboration de ce stimulant projet d’étude qui ouvre la porte à une toute nouvelle génération d’auteurs-es et d’intervenants-es dans le domaine des arts.

Serge Tousignant Artiste tel qu’il se manifeste maintenant. Une

approche explicitée de façon intelligente et déterminée dans un excellent travail d’analyse et d’écriture.

Une originale bande vidéo accompagne l’exposition. Des prises de vue vivantes rehaussées d’une trame musicale toute aussi originale qui donne un rythme décontracté et envoutant au déroulement des séquences montées en détails inédits dans mon atelier du boulevard Saint-Laurent à Montréal et en gros plans à la Galerie La Castiglione lors d’une exposition à laquelle je participais récemment.

 

Grand merci à toutes et à tous pour l’intérêt porté à mon œuvre.

 

J’aimerais aussi remercier l’Université de Montréal d’offrir ce Programme de

Mot de l'artiste

AVANT-PROPOS

D’intéressants textes qui témoignent de belle façon des œuvres sélectionnées pour l’exposition et viennent les situer pertinemment dans les périodes de production qu’elles occupent dans mon parcours d’artiste – montrant avec discernement comment elles sont devenues par phases consécutives le fil conducteur de mon expression artistique depuis les années 1960 jusqu’aux pièces finalisées récemment.

De nouveaux regards sont posés sur les projets réalisés au cours des années, sur les références historiques et les acquis biographiques, sur les questionnements, les œuvres en cours ou inédites et les projections d’un travail soutenu par une recherche picturale multidisciplinaire (souvent expérimentale) étalée sur plus de 50 ans mettant (et remettant) en situation la notion d’œuvre d’art et celle du processus de création dans le temps, dans l’espace culturel et dans la société en général.

Ainsi, l’œuvre choisie par chacune des étudiantes selon ses affinités esthétiques et ses intérêts de recherche met en proximité les circonstances qui l’ont motivée et l’ont définie antérieurement pour en donner une version adaptée aux nouvelles dispositions du monde culturel J’ai lu avec plaisir les textes des 19

étudiantes-commissaires impliquées dans le projet d’exposition monographique de mon œuvre, intitulé Jeux d’espaces, jeux de regards et organisé dans le cadre du Programme de muséologie de l’Université de Montréal / UQAM, piloté adroitement par Christine Bernier, la responsable du programme.

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Cette publication numérique témoigne d’un travail de recherche réalisé par dix-neuf étudiantes à la maîtrise en histoire de l’art et en muséologie, dans le cadre du séminaire Muséologie et histoire de l’art. Elle a été conçue pour accompagner l’exposition intitulée Serge Tousignant. Jeux d’espaces, jeux de regards, prévue au Carrefour des arts et des sciences de l’Université de Montréal, du 8 avril au 12 juin 2020. Sont ici réunies dix-neuf œuvres de Serge Tousignant, datées de 1964 à 2019, qui constituent un corpus représentatif de la démarche de l’artiste. Depuis le 14 avril, la nécessité de confinement en contexte de pandémie a paralysé l’organisation d’expositions  

trimestre. Les étudiantes ont contribué à ce projet avec la mise en commun de divers horizons académiques et elles se sont aussi impliquées dans toutes les étapes de production de ce qui s’annonçait comme une superbe exposition. Aussi, je tiens à souligner la qualité du travail des étudiantes qui n’auront pas eu la chance de faire un montage des œuvres dans la salle du Carrefour et de vivre le plaisir d’un vernissage.

Enfin, je remercie sincèrement l’artiste Serge Tousignant, pour son aide précieuse dans la réalisation de ce projet. De plus, sa conférence donnée à l’Université de Montréal, le 15 janvier 2020, a profondément enrichi la qualité de la

Serge Tousignant. Jeux d'espace, jeux de regards. | 1

UNE HISTOIRE (DE L’ART) QUI FINIT BIEN :

UN CATALOGUE NUMÉRIQUE EN LIGNE - À DÉFAUT D’UNE

EXPOSITION EN PÉRIODE DE PANDÉMIE

Christine Bernier

Si la crise que l’on vit actuellement

apporte son lot de stress et

d’incertitude, elle confirme aussi le rôle prioritaire du numérique pour s’en sortir. Elle peut s’avérer également une occasion de s’investir dans des projets mis de côté faute de temps, de revoir son modèle de gestion ou d’acquérir de nouvelles compétences pour s’outiller face aux changements professionnels majeurs qui nous attendent.[1]

[1] https://www.musees.qc.ca/fr/professionnel/actualites/la-smq-prepare-des-formations-a-distance. Consulté le 24 avril 2020. «  physiques  » dans le monde de l’art

contemporain. Retenons toutefois cette sage remarque publiée par la Société des musées du Québec :

Le séminaire avait pour objectif la diffusion publique de travaux de recherche sur Serge Tousignant, menés pendant un

Serge Tousignant. Jeux d'espace, jeux de regards. | 2

recherche de ces étudiantes en histoire de l’art et en muséologie. J’exprime aussi ma gratitude à la Galerie La Castiglione, qui a généreusement accueilli mes étudiantes pour un tournage et pour une publication sur son site Web.

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BOTTIN TÉLÉPHONIQUE :

ENTRE LYRISME ET GÉOMÉTRIE

Bottin téléphonique, 1964

Encre et acrylique sur pages de l’annuaire téléphonique de Montréal, édition 1964

4 dessins de 23 cm x 28 cm chacun Serge Tousignant. Jeux d'espace, jeux de regards. | 4

Adèle Melot

Franz Kline. En effet, cette personnalité majeure de l’expressionisme abstrait avait, au cours de la première moitié des années 1950, donné forme à ses multiples expérimentations picturales sur les pages retirées d’un annuaire tléphonique[2]. Or, si Kline utilise ce type de papier en raison de sa grande disponibilité à moindre coût, il n’en constitue pas moins un espace de création intéressant. Les oppositions inhérentes au support  peuvent être exploitées : positif-négatif, noir-blanc, clarté-obscurité. Ainsi, il offre la possibilité à Tousignant de jouer des contrastes lumineux.

Par ailleurs, les blocs de texte sur petit format sont aussi un cadre dans lequel le geste peut se déployer. L’artiste se voit obligé de contrôler l’action, en apparence spontanée, de son pinceau. Néanmoins, cette contrainte ne nuit pas au dynamisme des images obtenues. Au contraire, elles peuvent s’avérer d’autant plus puissantes car révélatrices d’une grande maîtrise.

Sur ces quatre pages prélevées du bottin téléphonique de Montréal, de l’encre et de l’acrylique sont appliquées avec grande énergie par Serge Tousignant. Ces dessins font partie d’une série réalisée en 1964 et sont représentatifs de ses débuts, alors qu’il pratique la peinture et la gravure. Jusqu’en 1965, il privilégie dans ses créations un langage plastique extrêmement libre, véhicule de l’émotion individuelle. Cette écriture gestuelle le rapproche de l’automatisme — voie suivie par plusieurs peintres québécois dans les années 1940 — mais également de l’expressionnisme abstrait américain, ou encore de l’abstraction lyrique européenne. Puis, après 1965, ses œuvres deviendront plus minimales, davantage géométriques. Il s’orientera alors vers d’autres médias  : les pliages, la sculpture ou la photographie[1].

Cette série qui, au total, compte 28 éléments, est intitulée Bottin téléphonique en référence au support utilisé. Ce matériau permet une mise en regard avec certains travaux du peintre américain

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D’autre part, la monumentalité et le dynamisme du geste libéré se confronte au mode d’expression discipliné qui s’incarne dans les lignes uniformes de l’annuaire. Serge Tousignant utilise la méthode du palimpseste, n’hésitant pas à raturer ou à recouvrir vigoureusement les minuscules lettres ou chiffres du support imprimé. À l’encre, il trace un nouvel alphabet, à l’échelle transformée  : celui apparaît beaucoup plus énergique, il est frénétique et empreint de mystère. Son déchiffrement est laissé à l’appréciation du regardeur. Face à cette façon de procéder, certains ont pu entrevoir les prémices d’un art conceptuel, qui valorise le processus intellectuel au détriment de l’aspect esthétique — en raison de la relation de correspondance qu’entretiennent les différents éléments graphiques[6].

Finalement, la série Bottin téléphonique laisse transparaître le bonheur pris à créer en lâchant prise dans le but de laisser s’exprimer son inconscient. Rétrospectivement, Serge Tousignant se souvient d’ailleurs avoir été particulièrement heureux en réalisant ces œuvres gestuelles, qu’il trouve belles et vibrantes[7]. Aujourd’hui, c’est nous qui prenons plaisir à regarder ces dessins, véhicules d’émotions. 

[1] Conférence de l’artiste Serge Tousignant lors de sa communication à l’Université de Montréal dans la salle de classe le 15 janvier 2020.

[2] Museum of Modern Art, « Franz Kline », Art and Artists MoMA, consulté le 15 février 2010,

https://www.moma.org/artists/3148#works]

[3] Marie J. Jean, dir., Serge Tousignant : exposés de recherche (Montréal : VOX Centre de l’image

contemporaine, 2018), 11. [4] Ibid.

[5] Gilles Hénault, « Serge Tousignant » dans Cinq attitudes / 1963-1980, dir. Musée d’art contemporain de Montréal (Montréal : Musée d’art contemporain de Montréal, 1981), 94.

[6] Eve-Lyne Beaudry et Marie Fraser, Art contemporain du Québec : guide de collection (Québec : Musée national des beaux-arts du Québec, 2016), 28.

[7] Conférence de l’artiste Serge Tousignant lors de sa communication à l’Université de Montréal dans la salle de classe le 15 janvier 2020.

Serge Tousignant. Jeux d'espace, jeux de regards. | 5

Les dessins de Tousignant témoignent de l’amplitude et de la malléabilité des gestes effectués. Mais ils révèlent aussi une certaine précision, quasiment calligraphique — si l’on prête attention à la finesse et à complexité des traits réalisés à l’encre. Par ailleurs, on peut remarquer que Tousignant a réemployé la grille typographique du bottin : c’est à partir d’elle qu’est formé le quadrillage ayant servi à la composition des dessins. On peut en deviner les lignes, horizontales et verticales, tracées à l’encre ou en peinture, qui compartimentent, ordonnent la surface du papier. Si les dessins de cette série peuvent à première vue paraître isolés dans la pratique de Tousignant — parce que stylistiquement éloignés d’autres œuvres qui suivront et qui bénéficient d’une plus grande couverture médiatique — ils sont plutôt symptomatiques d’une démarche en évolution.

Comme évoqué précédemment, on retrouve le motif de la grille, autour de laquelle s’organise l’espace. Or, cette structure formelle fait figure de constante dans les recherches de Serge Tousignant. Cela peut sembler paradoxal mais, ici, l’approche lyrique — qui favorise la spontanéité, les mouvements aléatoires —

n’empêche pas sa présence. Une telle division permet une répartition harmonieuse et équilibrée des signes graphiques et produit des renvois formels[3]. La géométrie, qui caractérise ses œuvres postérieures, n’est donc pas totalement absente dans Bottin téléphonique. En plus de la grille, on peut déceler des carrés, et on croit même y reconnaître un cube similaire à ceux de Ruban gommé sur coins d'atelier. Cette répétition des formes quadrangulaires établit un rythme visuel : la circulation du regard sur l’ensemble de la surface est encouragée. Mais, soumis à un effet centrifuge, le regardeur est également invité à en sortir, pour en assurer la continuité dans l’espace[4]. La force de Bottin téléphonique réside donc dans sa réalité binaire. En effet, deux écritures, a priori opposées, sont ici superposées. La première, lyrique, repose sur le hasard, la spontanéité tandis que la deuxième obéit à une logique géométrique[5]. Leur association génère une impression de profondeur. Cette sensation est renforcée par la succession de plans colorés et les contrastes de valeurs liés à l’emploi du noir et du blanc — qui permettent aussi d’apprécier la capacité de Tousignant à maîtriser la lumière.

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PERFECTIONNER LES ILLUSIONS

La carrière de Serge Tousignant est marquée par plus de cinq décennies d’œuvres multiformes et pluridisciplinaires. En expérimentant avec les supports, les formes et les couleurs, l’artiste réussit facilement à créer une multitude d’illusions et de trompe-l’œil qui permettent au spectateur de remettre en question sa perception du monde qui l’entoure. Pliage

pour Pinces vertes, créée en 1967,

représente dans une certaine mesure la genèse de la démarche de l’artiste.

 

C’est lors de son année d’étude à la Slade School of Fine Arts du University College of London, grâce à l’octroi de la bourse

Leverhulme Canadian Painting Scholarship, que Serge Tousignant expérimente avec les pliages. Après avoir travaillé l’estampe, la lithographie et la gravure, notamment dans l’atelier d’Albert Dumouchel, l’artiste met à l’épreuve le support avec lequel il crée ses œuvres. Il constate en effet qu’en pliant le papier, il est possible d’obtenir différents effets[1]. Tousignant souhaite donner à ses œuvres une forme géométrique colorée, mais en éliminant la gestuelle. Ainsi, Pliage pour

Pliage pour Pinces vertes, 1967

Sérigraphie sur papier, découpe, pliage

40 x 45 cm Serge Tousignant. Jeux d'espace, jeux de regards. | 8

Justine Lacombe

Pinces vertes est composée d’une feuille de papier vierge au recto et de couleur verte au verso. La découpe d’une bande au centre et pliée par la suite crée une forme géométrique. L’impression d’une couleur par procédé sérigraphique produit un aplat de couleur résultant de l’effet visuel recherché, soit la perte du geste de l’artiste[2].

Dans la carrière de Tousignant, la période de travail avec les pliages a donné lieu à la série Papiers pliés à laquelle il a consacré les années 1967 et 1968[3]. De pliages relativement simples, comme Pliage pour Pinces vertes, l’artiste expérimente vers des structures de plus en plus complexes, manipulant le papier pour créer une multitude de formes et intensifier les couleurs[4].

Pliage pour Pinces vertes fut produit la même année que la sculpture Pinces vertes que nous pouvons aisément mettre en relation non seulement par le titre, mais également par leur forme et leur couleur

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semblables. Dans Pliage pour Pinces vertes, on retrouve la même figure triangulaire trouvée dans la sculpture. Avec Pinces vertes, le miroir posé sur le sol donne l’illusion que les bandes vertes pénètrent le sol[5]. De même, la bande de papier plié semble elle aussi entrer dans l’œuvre, mais de manière différente  : elle disparaît derrière le papier, comme si l’œuvre se repliait sur elle-même. Les deux œuvres jouent également sur la perspective et l’illusion. Le miroir au pied de la sculpture crée l’illusion d’une autre dimension  : il en est de même pour la forme géométrique du pliage.

Les deux œuvres furent présentées en 1968 à la galerie Godard Lefort lors de l’exposition Sculptures & papiers pliés, où furent exposés les pliages au mur et les sculptures au sol[6]. À l’époque, l’exposition reçut beaucoup d’attention en démontrant une pratique sculpturale qui produisait des effets d’optique et qui sollicitait la participation du visiteur, en plus d’y faire connaître une nouvelle approche d’œuvres sur papier. Cette exposition eut des répercussions importantes pour l’artiste pour qui, bien que déjà remarqué sur la scène artistique nationale et internationale malgré sa jeune carrière, Sculptures & papiers pliés marqua un coup d’envoi[7].

Serge Tousignant. Jeux d'espace, jeux de regards. | 9

Pliage pour Pinces vertes s’inscrit dans la démarche de Tousignant marquée par l’ambigüité de perception. Le pliage, formant pourtant un relief simple, donne l’impression d’une surface plane. Ce sont les jeux des ombres qui nous indiquent la structure de l’œuvre[8]. Ainsi, les formes tridimensionnelles sont suggérées alors que le procédé reste bidimensionnel. Pliage pour Pinces vertes s’avère un croisement entre la peinture et la sculpture[9]. La couleur verte donne un effet de profondeur par rapport au blanc qui compose l’autre partie de la forme géométrique. Le spectateur a donc l’impression que la forme ressort considérablement de la feuille de papier, effet intensifié par l’ombre portée de la bande pliée. La perspective est dès lors remise en cause de même que notre propre perception de la réalité et des dimensions. Pliage pour Pinces vertes peut être associée au mouvement artistique minimaliste des années 1960. Éliminant toute gestuelle, les œuvres minimalistes étaient composées de formes géométriques précises et unitaires ainsi que d’une petite sélection de couleurs – voire d’une seule[10]. Pliage pour Pinces vertes s’inscrit dans ce mouvement : une feuille blanche forme la majorité de la création, au centre, une bande de papier découpée et pliée. Le blanc et le vert sont

les seules couleurs présentes. De plus, comme pour les œuvres minimalistes des années 1960, l’importance est donnée à l’expérience du spectateur face à l’œuvre. La relation entre les différentes composantes de l’œuvre lui permet de remettre en question sa perception de la réalité dans l’espace-temps, et ce, en étant en mouvement autour de l’œuvre[11]. Pliage pour Pinces vertes est le fruit du travail d’un artiste dont les expérimentations permettront par la suite de toujours perfectionner les illusions.

[1] Marilyn Laflamme, Un artiste, une œuvre : Serge

Tousignant, Musée national des beaux-arts du Québec,

03:23, 2016, https://vimeo.com/183039040

[2] Marie J. Jean, dir., Serge Tousignant : exposés de

recherche (Montréal : VOX Centre de l’image contemporaine,

2018), 13-14.

[3] Jean-Pierre Latour, Serge Tousignant : indices : études et

maquettes, Centre d'exposition de l'Université de Montréal ;

Signalements : œuvres formelles et géométriques, Galerie Graff, Montréal (Montréal : Éditions Graff, 2000), 10. [4] Conférence de l’artiste Serge Tousignant lors de sa communication à l’Université de Montréal dans la salle de classe le 15 janvier 2020.

[5] Musée national des beaux-arts du Québec, « Pinces vertes – Tousignant, Serge │Collections│MNBAQ », Collections MNBAQ, 2019,

https://collections.mnbaq.org/fr/oeuvre /600033336 [6] Ibid.

[7] Jean, Serge Tousignant, 13-14.

[8] Gilles Hénault, « Serge Tousignant » dans Cinq attitudes /

1963-1980, dir. Musée d’art contemporain de Montréal

(Montréal : Musée d’art contemporain de Montréal, 1981), 104.

[9] Latour, Serge Tousignant, 10.

[10] Guggenheim, « Minimalism », Collection Online, 2020, https://www.guggenheim.org/artwork/movement/minimalism [11] Tate Modern, « Minimalism », Art Term, consulté le 28 février 2020,

https://www.tate.org.uk/art/art-erms/m/minimalism

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SCULPTURE, PEINTURE, GRAVURE :

GIVRE VERT À LA CROISÉE DES MÉDIUMS

C’est le regardeur qui fait l’œuvre.

Marcel Duchamp[1]  

Je tenais [...] à ce qu’il y ait une double lecture à ce que je fais. Qu’on voie une image et que par la suite on découvre ce qui se cache dans cette image-là.

Serge Tousignant[2]

Ivy Fernandez

Serge Tousignant. Jeux d'espace, jeux de regards. | 12

Givre vert est une œuvre d’illusion, de réflexion et de participation, cristallisant en elle-même une convergence entre peinture, gravure et sculpture. Elle s’inscrit dans la période de création de Serge Tousignant qui correspond à un questionnement, une exploration des formes et des médiums. En effet, après des œuvres picturales et un court séjour à Londres pour y approfondir la technique de la lithographie, Tousignant retourne en 1966 à Montréal, où ses préoccupations pour la spatialité émergent de ses pliages et de ses œuvres bidimensionnelles, qui flirtent avec la troisième dimension. Ses recherches aboutissent à une série de sculptures qu'il réalise entre 1966 et 1969 et qui explorent l'illusion optique et le trompe-l'œil. Formées de modules  Givre vert, 1967

Peinture fluo sur toile argentée, métal 51 x 31 x 4 cm

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d’un tissu satiné blanc qui a la particularité de donner un reflet argenté, lisse, qui a un pouvoir de brillance et qui transmet une texture particulière. N’absorbant pas la lumière comme un support traditionnel le ferait, il induit un reflet sur lequel la peinture verte peut venir s’accrocher. Une bande de métal plate, aux motifs rappelant l’effet des cristaux de glace formant le givre sur une fenêtre, vient envelopper le milieu de la toile dans sa longueur, de haut en bas. Sa position centrale vient séparer à première vue la toile en trois  bandes verticales. Cependant, au dos de l’élément métallique est appliquée une peinture verte fluorescente, qui se reflète dans la toile satinée. À la ligne droite coupante du métal vient répondre en symétrie la ligne vaporisée de la peinture fluorescente. Les matérialités différentes de l’œuvre permettent un jeu d’espaces et de luminosité qui créent une illusion perceptive. Nous avons déjà mis en avant l’utilisation de couleurs vives des sculptures de Tousignant, mais la fluorescence de Givre vert fait figure d’exception. Son utilisation perspicace rend concrète l’illusion, et brouille la perception du visiteur en permettant l’effet d’une immatérialité qui se matérialise pour créer un espace organique qui est la bande verte. «  La sculpture dépasse les limites matérielles de

Serge Tousignant. Jeux d'espace, jeux de regards. | 13

cubiques, certaines intégrant un miroir, ces sculptures sont « tournées vers ces problématiques d'effets de perspectives anamorphiques et d'illusions perceptuelles [...] »[3] et offrent « une réflexion sur la nature de l'objet esthétique dans ses rapports avec la perception du spectateur  »[4]. Ce dernier point est particulièrement saillant pour comprendre la démarche de l'artiste, qui cherche à créer des œuvres participatives où le spectateur joue un rôle actif[5].

Dans ses sculptures, les matériaux métalliques prédominent, ainsi que l’utilisation de miroirs et de couleurs fortes et contrastées  : noir, blanc, vert, rouge, aune. Givre vert, pourtant, se détache par certains aspects de ces œuvres et annonce un retour à la bidimensionnalité, qui se réalisera lorsque Serge Tousignant élira dès les années 1970 la photographie comme nouveau médium d’expérimentation artistique, qu’il adoptera dorénavant.

L’ambiguïté de Givre vert réside dans le fait que l’œuvre se situe à la croisée des espaces  et des médiums : peinture, gravure, sculpture, elle n’est aucune et toutes ces choses à la fois. Haut-relief, elle est cependant composée d’une toile et d’un format propre aux tableaux, et a également

été exposée comme tel dans le passé[6]. Elle suit de près Pliage pour Pinces vertes (1967), avec qui elle est en dialogue à la fois par le choix chromatique, par le jeu de l’apparition et disparition des lignes ainsi que par le titre. Comme pour le pliage, Givre vert accueille également des éléments qui en font ressortir un autre. Les deux œuvres se trouvent dans une situation de « tension entre profondeur et effet de surface (...) »[7]. De plus, la suggestion de l’espace tridimensionnel du pliage est concrétisée dans Givre vert. Le Pliage est lui-même intimement relié à la sculpture Pinces vertes (1967)  : on ne pourrait nier la parenté qui relie ces différentes œuvres. En effet, dans sa démarche, Serge Tousignant considère que chaque œuvre en annonce une autre : il y a donc un lien essentiel entre ces productions. Ce lien se traduit également par les espaces que les œuvres explorent, chacune par un médium différent[8]. La tridimensionnalité qui s’échappe du Pliage s’amorce dans Givre vert, avant de se concrétiser dans les sculptures, comme Pinces vertes ou Multiple noir et blanc (1968), sculptures autour desquelles le spectateur peut cette fois circuler[9].

Les matérialités, les couleurs, et la composition de Givre vert sont particulièrement intéressantes. Montée sur une planche de bois, la toile est composée

Serge Tousignant. Jeux d'espace, jeux de regards. | 14

son espace »[10] : à la troisième dimension créée par la présence de la bande de métal vient se glisser une quatrième dimension dans le reflet provoqué par la fluorescence de la peinture. Le procédé d’application de la peinture, par vaporisation, renferme déjà en lui-même un phénomène d’apparition et d’évaporation, qui se concrétise lorsque le spectateur se positionne en face de l’œuvre et que la bande colorée s’efface entièrement. Il y a là un jeu intéressant entre le procédé technique (vaporisation) et le résultat (le fait que la peinture ne soit visible que sous un certain angle). En effet, dans la vaporisation il y a déjà en partie l'idée du présent et du non-présent, qui se matérialise encore plus ici par la présence-absence de la bande verte. C’est donc une quatrième dimension ambigüe, qui apparaît ou disparaît selon les déambulations du spectateur. Celui-ci devient alors partie intégrante de l’œuvre, puisqu’il la modifie à sa guise au fil de ses déplacements spatiaux dans l’espace d’exposition. Comme l’exprime l’artiste :

En ayant recours aux phénomènes de réflexion pour produire l’illusion artistique, je peux créer de nouveaux espaces. [...] Je peux changer la couleur d’un objet ou la projeter sur un autre objet ; cela ne dépend que de l’endroit où se placent les visiteurs ou de la façon dont ils se déplacent[11].

(13)

Malgré ses dimensions réduites, Givre vert accroche le regard du visiteur et lui tend un défi : le spectateur se demande si la couleur est directement appliquée à la toile, ou si elle n’est qu’un reflet. Il cherche alors à voir l’œuvre sous différents angles afin de découvrir ce qu’il en est vraiment, et c’est ainsi que l’œuvre devient participative. Elle représente une volonté d’impliquer le spectateur dans le processus même de sa construction  : en bougeant autour de l’œuvre, il en modifie l’espace et la couleur[12].

Givre vert offre bien plus de lectures que celle permise par l’agentivité qu’il incarne. En effet, c’est également une nature morte géométrique aux influences minimalistes. À la brillance organique du tissu se présente par contraste la brillance inorganique du métal, pour créer quelque chose de nouveau  : une quatrième dimension que l’œil humain perçoit, construit et déconstruit. Les tons froids de l’œuvre sont marqués également par leur présence dans le titre, qui souligne encore cet élément, ainsi que par la cohérence de la propriété du métal, matériau froid à l’apparence argentée. Les lignes verticales répétées, à peine adoucies par la courbe légère du métal qui merge puis quitte la toile, offrent une géométrie épurée, minimaliste.

Serge Tousignant. Jeux d'espace, jeux de regards. | 15

Éléments géométriques, chromatiques et naturels ainsi que jeux de perceptions, d’illusion et de réflexions viennent ponctuer la production de Serge Tousignant dans toutes les formes artistiques qu’il explore. Cela est l’indice d’une grande continuité et d’une «  remarquable constance de la pensée de l'artiste »[13]. En portant un regard sur l'ensemble de sa production artistique, certains éléments paraissent constituer un fil rouge qui traverse ses œuvres tout au long de sa carrière. Ce sont des œuvres qui établissent une forme de jeu avec le pouvoir d’agentivité du spectateur, qui jouent avec sa perception. Des préoccupations au sujet « de la forme, de la couleur et du volume  »[14], qui se traduisent par la lumière, l’espace, la matérialité, les éléments géométriques et les phénomènes optiques. Exceptionnelle à certains égards, Givre vert s’intègre cependant harmonieusement dans la démarche de l’artiste et dans ses productions, qu’elles se concrétisent par le médium de la peinture, de la gravure, de la sculpture ou de la photographie.

[9] À propos de Pinces vertes et de la correspondance entre la gravure et la sculpture, voir Marilyn Laflamme, Un artiste, une œuvre : Serge Tousignant, Musée national des beaux-arts du Québec, 03 :23, 2016,

https://vimeo.com/183039040

[10] Belisle, La beauté du geste, 178. Traduction personnelle de l’anglais : « (...) the sculpture extends beyond the material limits of its space ». À propos de la charge immatérielle des œuvres de Serge Tousignant, voir aussi Sylvain Campeau, Chambres obscures. Photographie et installation (Laval : Éditions Trois, 1995), 59-75.

[11] Pierre Théberge, dir., 7 sculpteurs de Montréal (Ottawa : La Galerie nationale du Canada, 1969), 2-3. [12] Conférence de l’artiste Serge Tousignant lors de sa communication à l’Université de Montréal dans la salle de classe le 15 janvier 2020. Thématique aussi présente dans Latour, Serge Tousignant, 10.

[13] Parent, Serge Tousignant, 3.

[14] Gilles Toupin, « Serge Tousignant : un "trip" de coins et de petits cubes » La Presse, 25 janvier 1975, 179.

Serge Tousignant. Jeux d'espace, jeux de regards. | 16

[1] Cité par Serge Tousignant dans : Anna Lupien, Serge Tousignant : Les lieux habités, Musée d’art contemporain de Montréal, 08 :29, 2017, https://vimeo.com/194556494 [2] Propos de l’artiste, Ibid.

[3] Jocelyne Lupien, dir. Anamorphoses, arcimboldesques et images spéculaires (Montréal : Galerie de l'UQAM, 1997), 3. À propos des illusions perceptuelles, voir aussi : Josée Belisle, dir., La beauté du geste. 50 ans de dons au Musée d’art contemporain de Montréal (Montréal : Musée d’art contemporain de Montréal, 2014), 178 et Jean-Pierre Latour, Serge Tousignant : indices : études et maquettes, Centre d'exposition de l'Université de Montréal ;

Signalements : œuvres formelles et géométriques, Galerie Graff, Montréal (Montréal : Éditions Graff, 2000).

[4] Alain Parent, dir., Serge Tousignant : dessins, photos, 1970-74 (Montréal : Musée d’art contemporain de Montréal, 1975), 3.

[5] Ibid, 5-11 ; Francine Couture, dir., Les arts visuels au Québec dans les années soixante. L’éclatement du modernisme (Montréal : VLB éditeur, 1993), tome II, 227-275.

[6] L’ouvrage dirigé par Marie J. Jean, Serge Tousignant : exposés de recherche (Montréal : VOX Centre de l'image contemporaine, 2018), 181 nous renseigne sur la

description de l’œuvre, qui se présente comme suit : « Givre vert, 1968, peinture fluorescente sur métal, toile argentée sur bois, 51 x 31 cm ». La troisième dimension étant absente, l’on comprend que l’œuvre a été considérée davantage comme un tableau que comme une sculpture. De plus, sur une photo de l’exposition, l’on voit Givre vert accrochée comme un tableau, en face d’une série photographique située sur le mur adjacent avec qui elle entre en dialogue.

[7] Ibid, 49.

[8] Jean-Pierre Latour (Serge Tousignant, 2000, 10) note par ailleurs que « sa sculpture traite de questions picturales en termes sculpturaux », ce qui contribue à créer une continuité entre les différents médiums. En 1968, Serge Tousignant lui-même déclarait que « [...] la sculpture n’est pas une sculpture : c’est une mise en forme d’une idée qui n’a pas au départ une optique sculpturale et qui ne se précise que dans l’élaboration » (Norman

Thériault, « Dialoguer avec le spectateur » La Presse, 23 novembre 1968, 38).

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SCULPTURES RÉFLECTIVES :

LES ILLUSIONS DE LA MATÉRIALITÉ

Multiple noir & blanc, 1968

Acier émaillé, acier inoxydable poli

20 x 19 x 14 cm Serge Tousignant. Jeux d'espace, jeux de regards. | 18

Andréanne Neveu

C’est selon une démarche artistique similaire que Tousignant réalise Multiple noir et blanc (1968), une sculpture, représentant deux cubes bicolores, noir et blanc. Les cloisons, réalisées en acier inoxydable, sont séparées par un triangle rectangle en acier émaillé. La surface de ce triangle est polie, ce qui confère au matériau un effet miroir. Les compartiments sont peints de manière à reproduire les couleurs contraires de l’un et de l’autre.

L’expérience du visiteur consiste à se déplacer autour de la sculpture afin de trouver l’angle de vue donnant l’illusion que le reflet du cube placé, en avant-plan, complète parfaitement le second cube en arrière-plan. La teinte grisâtre de l’acier poli donne l’impression que le triangle est translucide, qu’il laisse entrevoir le second cube, mais il n’en est rien  : l’illusion est parfaite. Cet effet optique est davantage explicite en l’œuvre Gémination (1967) où l’artiste utilise le même arrangement formel afin de mettre en relation deux cubes de

Récipiendaire d’une prestigieuse bourse canadienne, Tousignant perfectionne, entre 1965 et 1966, ses techniques de lithogravure à la Slade School of Fine

Arts  de l’Université de Londres. En

manipulant ses estampes sur papier, l’artiste en vient à les plier, à les déplier et effectue des impressions superposées de formes géométriques de manière à explorer, par le biais de l’illusion optique, une dimension tridimensionnelle. De ces explorations découle la mise en espace de

Pince Verte (1967), une sculpture réalisée

en acier inoxydable représentant une bande d’acier verte pliée à trois intervalles surplombant une plaque d’acier polie reflétant le centre de l’œuvre. En l’observant sous un certain angle, le regardeur peut avoir l’illusion que celle-ci «  pince  » le sol. Le reflet de la sculpture confère des propriétés bidimensionnelles et tridimensionnelles à l’œuvre et évoque la sérigraphie sur papier Pliage pour Pinces

vertes réalisée durant la même période.

L’artiste joue ainsi avec le passage des représentations tridimensionnelles vers le bidimensionnel en vue de remettre en question la matérialité de l’espace.

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Multiple noir et blanc constitue ainsi une sorte de synthèse formelle et conceptuelle de plusieurs recherches artistiques qui constituent aujourd’hui l’héritage artistique de Tousignant. Ses sculptures minimalistes, normalement installées à même le sol, permettent une certaine proximité avec les visiteurs. Ce dernier peut, de cette manière, contourner l’œuvre, et même s’en rapprocher afin de constater l’illusion optique. Dans le cas de Multiple noir et blanc, la dimension de l’objet implique que le regardeur se penche afin d’observer les reflets produits par le triangle. Cela permet un rapport expérientiel plus intimiste à l’œuvre. Il s’agit là de toute la démarche personnelle de l’artiste soit l’étude de la matérialité et de l’immatérialité de l’objet. Selon Céline Mayrand, il y a, chez Tousignant, « cette observation critique de l'art, une sorte de scientificité de l'image combinée à l'érudition visuelle de l'artiste qui regarde le monde à travers le prisme de ses passions »[3].

En conclusion, Multiple noir et blanc constitue une œuvre charnière dans la production artistique de l’artiste puisqu’elle expérimente les dimensions médiales des matériaux industriels dans l’espace. Tousignant joue ainsi avec les illusions et l’espace, en vue de questionner les particularités intermédiales propres à

Serge Tousignant. Jeux d'espace, jeux de regards. | 19

couleurs contraires (rouge et vert). Les cônes optiques de l’œil tentent de dissocier les couleurs, mais le cerveau, quant à lui, tente de rallier la forme, ce qui provoque une brève distorsion entre les perceptions cognitive et visuelle.

L’artiste dira  lui-même : «  Les formes proposées deviendront alors tridimensionnelles, ou demeureront de surface si on se laisse prendre ou non par des perspectives illusoires qui nous sont suggérées  »[1]. C’est ainsi que l’œuvre se produit, en quelque sorte, à travers la contemplation du spectateur, dans la mesure où l’œuvre se construit et se déconstruit à travers le regard et les déplacements du visiteur de l’exposition. Cette expérience peut s’apparenter à la démarche artistique de Tousignant qui consiste en l’étude des principes de l’optique et des perceptions visuelles  : le mouvement crée un moment fortuit où un réseau complexe de lignes se rencontrent et constituent des formes cubiques.

Par exemple, l’œuvre Géométrisation solaire, 4 variations, réalisée en 1979, reprend sensiblement cette même démarche artistique. Comme avec Géométrisation solaire, la lumière nous permet d’effectuer une photographie

mentale afin de rendre l’expérience visuelle intemporelle. L’intemporalité constitue ainsi la double lecture des œuvres conceptuelles de l’artiste  : un mécanisme interne des œuvres de Tousignant. En effet, l’emploi du miroir évoque une perception illusoire universelle et intemporelle. «  Je pense qu’autant les gens dans les années 60 que ceux qui vont voire la sculpture maintenant, vont voire d’abord et avant tout cette l’illusion là et vont s’attarder à ce phénomène  »[2]. Autrement dit, toute personne, peu importe sa temporalité, peut être amené à faire la même expérience optique. Nous ne sommes ainsi pas dans un art de pure contemplation, mais dans une réalisation artistique qui se veut cognitive. L’intention de l’artiste est donc de faire vivre une expérience visuelle au regardeur.  Faire réfléchir son interlocuteur, l’amener à entrer en relation avec l’œuvre afin de questionner les dimensions de la perception visuelle, de la matière et de la mise en espace.

La présence des cubes, des formes et des couleurs employées par l’artiste ne sont pas sans rappeler ses productions artistiques postérieures telles que : Quatre coins d’atelier (1972-73), Ruban gommé sur coins d’atelier   : 9 points de vision (1973-1974) et Totem (1977). L’œuvre

Serge Tousignant. Jeux d'espace, jeux de regards. | 20

ses sculptures. Multiple noir et blanc est propre à la démarche artistique de Tousignant  : ses réalisations sculpturales sont ainsi une sorte de passage obligé de l’artiste qui lui permettent, plus tard, de sculpter l’espace autrement, par le biais de la photographie d’installation.

[1] Alain Parent, dir., Serge Tousignant : dessins, photos, 1970-74 (Montréal : Musée d’art contemporain de Montréal, 1975), 1.

[2] Marilyn Laflamme, Un artiste, une œuvre : Serge Tousignant, Musée national des beaux-arts du Québec, 03:23, 2016, https://vimeo.com/183039040

[3] Céline Mayrand, «  Faraway, so close / Domiciles conjugués, de Sophie Lanctôt et Serge Tousignant. Maison de la culture Côte-des-Neiges, du 14 septembre au 15 octobre 2006  », Spirale, no 213 (2007)  : 7, https://id.erudit.org/iderudit/10427ac.

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QUATRE COINS DE MA CHAMBRE (… D’ATELIER).

UN SAUT DANS LE MÉDIUM PHOTOGRAPHIQUE :

JEUX DE LUMIÈRE ET DE PERCEPTION

Quatre coins de ma chambre (…d’atelier), 1972-73     

Photographie par procédé électrostatique

52 x 66 cm Serge Tousignant. Jeux d'espace, jeux de regards. | 22

Sandrine Héroux

Le volume abstrait des coins d’atelier

La série des Coins d’atelier marque les tout débuts de Tousignant en photographie. Issue d’expérimentations en atelier, elle se caractérise par l’utilisation de l’espace environnant et habité comme sujet de l’œuvre, qui deviendra, dans la démarche de l’artiste, de plus en plus évidente[2]. Des montages photographiques agencés par une grille dans laquelle des images des coins de chambre dans l’atelier de Tousignant viennent se multiplier et se positionner selon une composition modulaire. Altérés par le changement d’éclairage, les coins prennent l’apparence d’un cube : l’œil est en effet trompé par les arêtes des murs et du plafond qui se rencontrent et donnent l’illusion d’un volume. La série est montée en cinq étapes progressives  : un coin, deux coins, quatre coins, neuf coins et, finalement, dix-huit coins se succèdent[3]. Ces premières expérimentations sont jumelées à la série Ruban gommé sur coins d’atelier[4], qui se

Au cours des années 1960, Serge Tousignant touche successivement à une multitude de disciplines  : dessin, gravure, peinture, pliage, sculpture et art d’installation. C’est en 1972 qu’il choisit de se tourner vers la photographie expérimentale qui devient, dès lors, son principal moyen d’expression. Pour l’artiste, il s’agit là d’une occasion de poursuivre ses réflexions entourant les questions de perception et d’illusion déjà bien entamées dans ses œuvres sculpturales, mais cette fois par le biais d’un instrument capable de donner l’illusion de formes ou de volumes grâce à des jeux de lumières. Chez Tousignant, l’appareil photographique agit à titre d’intermédiaire, l’objet référentiel étant mis à distance,  et permet ainsi l’obtention d’une perspective inédite qui présente la réalité telle que fixée par la caméra[1]. La série des Coins d’atelier, réalisée entre 1972 et 1974, donne l’élan à cette réflexion plastique.

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d’ailleurs récurrents dans les expérimentations photographiques de Tousignant : « L’une des grandes particularités de la photographie est de permettre de capter la lumière et de montrer de quelle façon cette lumière envahit les lieux, comment elle s'accroche et se dépose sur les objets pour ainsi dévoiler les choses dans des contextes plus ou moins équivoques »[7], explique-t-il. La lumière projetée sur les arêtes des coins de chambre laisse donc percevoir momentanément une forme cubique virtuelle et abstraite. Le mirage optique est ici d’une simplicité et d’un minimalisme remarquable  : quatre coins de chambre sont investis de lumière et, conséquemment, d’une illusion géométrique. Les vues multiples des coins ainsi découpées, fragmentées et reconstituées en dans la grille participent à l’illusion puisqu’elles dématérialisent l’espace initialement représenté et le rend plus ou moins intangible. Le noir et le blanc des photographies viennent par ailleurs accentuer cette impression[8].

Le coin : fragment d’architecture sensible

Dans les Coins d’atelier, l’artiste prend le pari présenter des fragments architecturaux d’une simplicité presque désarmante  : les coins de sa propre chambre d’atelier. L’œil qui s’attardera sur

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décline selon les mêmes principes et dans laquelle l’idée d’un cube est cette fois tracée à l’aide d’un ruban adhésif, collé sur les angles des mêmes coins de chambre. Le cube fictif se transforme selon les angles de prise de vue et semble flotter dans l’espace[5]. Ces deux séries sont d’ailleurs au cœur de l’exposition Dessin-photos, 70-74 consacrée à Tousignant et présentée au Musée d’art contemporain de Montréal en 1975.

Quatre coins de ma chambre (… d’atelier) 

Quatre coins de ma chambre compte parmi le corpus d’œuvres présentées dans le cadre de l’exposition monographique Serge Tousignant. Jeux d’espaces, jeux de regards, au Carrefour des arts et sciences de l’Université de Montréal. À l’instar des autres œuvres constituant la série Coins d’atelier, il s’agit d’un assemblage modulaire de photographies obtenues par procédé électrostatique. Elle a été réalisée entre 1972 et 1973 dans la chambre d’atelier de l’artiste, au troisième étage d’un logement de la rue Chateaubriand à Montréal[6]. 

Les photographies en noir et blanc sont construites en système de grille (2 x 2) et chacune d’entre elles représente un coin précis de l’atelier de Tousignant. Les

prises de vues sont rapprochées et se concentrent sur la rencontre des angles des murs et du plafond de la chambre. Chaque photographie se distingue par ailleurs significativement des autres par des jeux d’ombre et de lumière différents, artificiellement imposés par l’artiste. Le coin supérieur gauche laisse quant à lui percevoir de légères imperfections dans le plâtre du mur. Or, ce qui frappe au premier regard et ce que ne manquera pas d’observer le spectateur, c’est bel et bien l’illusion cubique dessiné par la lumière  projetée sur les angles muraux : l’espace présenté ainsi altéré est difficile à saisir au premier regard et la forme d’un cube, ou du moins l’idée d’un cube, tend à s’imposer.

Le cube : une illusion de lumière dépouillée et minimaliste

Comme les autres œuvres de la série, Quatre coins de ma chambre met la table et amorce la réflexion esthétique de Tousignant concernant les enjeux de perception à l’aide du médium photographique. Le concret (le coin familier d’une chambre) et l’illusion (la forme géométrique du cube) s’enchevêtrent, et ce, grâce au travail de la lumière effectué par l’artiste en amont de la captation par l’appareil. Cette impression de volume est avant tout redevable aux jeux d'éclairage,

Serge Tousignant. Jeux d'espace, jeux de regards. | 24

cette œuvre percevra à coup sûr la réalité de ce qui a été véritablement capturé par la caméra. Très vite, les images convexes se permuteront en images concaves. Or, si le titre attribué à l’œuvre indique bel et bien que les coins représentés sont ceux de son propre environnement de travail, rien dans les photographies ne laisse pourtant deviner à quel lieu appartiennent ces espaces découpés et tronqués. Effectivement, les coins de Tousignant sont dénués de toute référence à son atelier ou à son travail  : on n’y aperçoit aucun outil, aucun matériau[9]. Seul le titre vient donc expliciter la nature du sujet capté par l’appareil. Il est toutefois à noter que dans les œuvres formant la suite de la série (Neuf coins d’atelier et Dix-huit coins d’atelier[10]) certains éléments référentiels viennent réinscrire les images dans le contexte réel de la chambre d’atelier  : moulures et embrasures de portes viennent situer et différencier les coins représentés et permettent de saisir les dimensions réelles de l’espace[11]. Cependant, les Quatre coins sont dépouillés de tout élément littéral et concret, renforçant ainsi l’illusion de volume initiale, mais n’empêchant cependant pas qu’une double lecture puisse être effectuée.

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poursuit également les concepts déjà chers à l’artiste (l’atelier, la nature morte, le système de grille et l’illusion), qui seront récurrents dans son travail postérieur[15]. Ainsi, non seulement Quatre coins de ma chambre s’inscrit parmi les œuvres les plus emblématiques du travail de Tousignant, mais elle jette aussi les bases réflexives sur lesquelles se construira le travail photographique de l’artiste.

Serge Tousignant. Jeux d'espace, jeux de regards. | 25

La grille : juxtaposition de perceptions

Conformément aux autres œuvres constituant la série des Coins d’atelier, l’œuvre ici présentée est organisée en fonction d’un simple système de grille, caractéristique du travail photographique de Tousignant des années 1970. De la sorte, les images des coins de chambre s’accumulent et laissent voir la diversité des possibilités d’un même système optique[11]. Selon les déplacements de l’artiste à travers la pièce lors de la captation des photographies et selon les effets de lumières imposés, les coins – ou les cubes - se singularisent. En outre, les images semblables ainsi mises l’une à la suite de l’autre s’accumulent dans une séquence  : les formes représentées interagissent dès lors avec l’une et l’autre dans une structure cohérente et harmonieuse. Au sujet de la série Coins d’atelier, Tousignant s’exprime d’ailleurs en ces termes  : « La juxtaposition de photographies me permet de composer une grille dans laquelle je fais courir des modulations de pâle et de foncé, au travers de la surface globale de l’œuvre, et propose parle fait même une lecture additionnelle »[12].

Quatre coins sensibles

En définitive, pour Tousignant, les Coins d’atelier sont l’occasion d’introduire une certaine douceur et une certaine sensibilité à un sujet somme toute assez froid. Les coins soumis à des jeux de lumière et d’illusion, de même que la reproduction en série d’une même image organisée en modules, viennent assurément stimuler le regard. Pour l’artiste, cette transformation opérée sur les coins de chambre « réside […] en un adoucissement des angles, en un raffermissement des volumes doux, corrélativement ; et accomplit par l’introduction d’une douceur et d’une sensibilité qui lui appartient, la métamorphose du hardware en software » [13]. L’œuvre se caractérise d’ailleurs par la possibilité d’une triple lecture  : le coin de l’atelier, le cube illusoire et l’accumulation érigée en système de grille.

Bien qu’elle marque un point de rupture en raison de l’adoption soudaine du médium photographique, l’œuvre demeure en parfaite continuité avec les réflexions artistiques déjà amorcées par Tousignant dans les années 1960, notamment en ce qui concerne la nature de l’objet esthétique et les rapports de perception et d’illusion[14]. La série des Coins d’atelier

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[1] Manon Lapointe, « Serge Tousignant : le regard photographique », ETC, nº 6 (1988) : 30,

https://id.erudit.org/iderudit/36329ac.

[2] Anna Lupien, Serge Tousignant : Les lieux habités, Musée d’art contemporain de Montréal, 08:29, 2017, https://vimeo.com/194556494. Voir, par exemple, Réflexion intérieure (1983).

[3] Pierre Dessureault, dir., Serge Tousignant : parcours photographique = phases in photography (Ottawa : Musée canadien de la photographie contemporaine, 1992), 32. [4] Voir à cet effet Ruban gommé sur coins

d’atelier : 9 points de vision (1973-74).

[5] Gilles Hénault, « Serge Tousignant » dans Cinq

attitudes / 1963-1980, dir. Musée d’art contemporain de Montréal (Montréal : Musée d’art contemporain de Montréal, 1981), 97.

[6] Gilles Toupin, « Serge Tousignant : un “ trip ” de coins et de petits cubes » La Presse, 25 janvier 1975, 179.  [7] Lapointe, « Serge Tousignant », 31.

[8] Dessureault, Serge Tousignant, 13.

[9] Jean-Pierre Latour, Serge Tousignant : indices : études et maquettes, Centre d'exposition de l'Université de Montréal ; Signalements : œuvres formelles et géométriques, Galerie Graff, Montréal (Montréal : Éditions Graff, 2000), 7.

[10] Pour voir Neuf coins d’atelier, consulter Musée national des beaux-arts du Québec, « Tousignant, Serge –  Neuf coins d’atelier », Collections MNBAQ, consulté le 24 février 2020, https://collections.mnbaq.org/fr/oeuvre /600039757. Pour voir Dix-huit coins d’atelier, consulter Musée national des beaux-arts du Québec, « Tousignant, Serge – Dix-huit coins d’atelier », Collections MNBAQ, consulté le 24 février 2020, https://collections.mnbaq.org/ fr/oeuvre/600039759

[11] Dessureault, Serge Tousignant, 32.

[12] VOX Centre de l’image contemporaine, « Serge Tousignant. Biographie », Artistes et chercheurs, Centre Vox, consulté le 3 février 2020,

http://centrevox.ca/artiste/serge-tousignant/ [13] Dessureault, Serge Tousignant, 32.

[14] Alain Parent, dir., Serge Tousignant : dessins, photos, 1970-74 (Montréal : Musée d’art contemporain de Montréal, 1975), 3.

[15] Ibid.

[16] Jean-Pierre Latour, Serge Tousignant : indices : études et maquettes, Centre d'exposition de l'Université de Montréal ; Signalements : œuvres formelles et géométriques, Galerie Graff, Montréal (Montréal : Éditions Graff, 2000), 8.

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RUBAN GOMMÉ SUR COIN D’ATELIER : 9 POINTS DE VISION 

JEUX DE LIGNES ET DE PERCEPTIONS

Ruban gommé sur coins d’atelier : 9 points de vision, 1973-74   

Photographie par procédé électrostatique     51 x 66 cm

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Daniella Zanetti

cubique flottant à l’intérieur de l’espace. Serge Tousignant a réalisé chacune des neuf images selon une prise de vue différente, permettant au spectateur d’assister aux différentes transformations des cubes. Les photographies sont disposées dans une grille en 3x3, ne manquant pas de rappeler l’importante règle des tiers, un principe de composition bien connu dans la pratique photographique. La juxtaposition des images suggère une logique progressive dans laquelle se révèle une séquence imposée par l’artiste. Effectivement, en balayant le regard de gauche à droite, le spectateur s’aperçoit que le cube apparait toujours plus isolé, jusqu’à se retrouver complètement seul dans le cadre. Les premières photographies qui laissaient voir des éléments référentiels typiques d’une chambre (la porte, par exemple), disparaissent graduellement pour finalement laisser le spectateur sans aucun repère familier qui lui permettrait

Pour Serge Tousignant, l’année 1970 est marquée par l’adoption de la photographie, un médium qui s’avèrera déterminant dans la pratique future de l’artiste. Au cours de cette période, Tousignant s’intéresse particulièrement aux effets optiques créés par la lentille de l’appareil. Les expérimentations de l’artiste découlent de sa fascination pour la prétendue neutralité qui se dégage du procédé photographique. Les expériences de Tousignant révèlent les déformations qu’est capable de créer un appareil sur l’image, selon l’angle de prise de vue et la lumière émise sur le sujet. Ainsi, entre 1973 et 1974, Serge Tousignant réalise une série de photographies intitulée

Ruban gommé sur coin d’atelier  : 9 points de vision, qui marque en quelque sorte

l’aboutissement de ses recherches d’alors sur le caractère trompeur de ce médium. La série est composée de neuf clichés en noir et blanc qui prennent pour sujet différents coins de son atelier sur lesquels l’artiste a apposé des morceaux de rubans autocollants noirs. Ceux-ci sont placés de façon à créer l’illusion d’une forme

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lignes intermédiaires qui, en se joignant à des points individuels, se transforment en une figure géométrique. Les fuyantes du cube sont d’ailleurs parallèles entre elles, formant ainsi une perspective cavalière, habituellement utilisée pour représenter un objet en trois dimensions sur une surface plane. Or, il est intéressant de constater que Tousignant fait usage de ce type de perspective à l’intérieur d’un espace tridimensionnel (l’atelier). Dans ce contexte, l’efficacité de l’axonométrie dépend toutefois de l’angle de prise de vue. En effet, la dernière rangée de la série montre des cubes à la perspective «  ratée  » puisque les fuyantes n’apparaissent pas parallèles aux yeux du spectateur. L’intégration des photographies où le cube semble déformé renvoie à la période d’essai-erreur à travers laquelle a dû passer l’artiste dans le cadre de ses recherches afin d’arriver à la prise de vue parfaite.

À la lumière des observations faites sur Ruban gommé sur coin d’atelier : 9 points de vision, il est possible de constater que cette œuvre est le résultat de recherches complexes sur la photographie en tant que médium. Cette série constitue une pièce emblématique de l’œuvre de Serge Tousignant puisqu’elle représente l’intégration d’un nouveau médium qui deviendra central dans sa pratique artistique.

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de saisir l’espace[1]. En effet, malgré les quelques indices que concède Tousignant, le regardeur arrive difficilement à comprendre l’environnement des photographies. En jouant avec la perspective, l’artiste réussit à contrôler les aberrations créées par la caméra de manière à établir un univers où les surfaces apparaissent à la fois convexes et concaves aux yeux du spectateur. Un rapport conflictuel émerge donc à l’intérieur même des clichés, puisqu’en dépit de la planéité du médium photographique, Ruban gommé sur coin d’atelier déclenche un effet tridimensionnel illusoire.  Se trouvant face à un espace indéchiffrable, l’œil de l’observateur attarde son attention sur l’élément inhabituel de l’image (le cube), l’empêchant ainsi de tomber dans une appréciation passive de l’œuvre. Le spectateur se voit donc obligé de participer s’il souhaite comprendre le sens des images. De cette manière. Serge Tousignant investit l’observateur dans ses recherches plastiques et l’invite à se questionner sur les ambigüités de la perception et la faillibilité du processus photographique.

L’utilisation de la série photographique s’avère d’ailleurs particulièrement logique dans le cas de Ruban gommé sur coin

d’atelier. C’est effectivement de manière sérielle que l’œuvre prend tout son sens puisqu’elle rend compte des nombreuses expérimentations effectuées par l’artiste. En variant les valeurs de cadre, Tousignant est en mesure d’explorer visuellement plusieurs aspects du sujet (le cube), et le mettre en relation avec son environnement. L’unité de lieu dégage une homogénéité qui permet de focaliser l’attention du spectateur sur les transformations que le cube subit selon les angles de prise de vue. La série dynamise l’œuvre et crée un effet de mouvement malgré le caractère statique du médium photographique.

L’atelier de l’artiste s’avère également une composante importante dans l’œuvre de Serge Tousignant. Dans Ruban gommé sur coin d’atelier, cet espace de création constitue aussi le matériau de l’œuvre. L’artiste utilise plus précisément les trois lignes des murs formant le coin de la pièce. Il appose sur celles-ci des rubans gommés qui deviennent à leur tour des lignes dans la composition. L’importance du trait dans l’œuvre est d’ailleurs évoquée à l’intérieur même de son titre qui ne mentionne pas le cube, mais bien les rubans. D’autre part, l’intérêt porté à la ligne ne manque pas de rappeler les théories de Paul Klee sur les fondements de la forme. Tousignant a recours – comme le désigne Klee – aux

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[1] Pierre Dessureault, dir., Serge Tousignant  : parcours photographique = phases in photography (Ottawa : Musée canadien de la photographie contemporaine, 1992), 32.

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