• Aucun résultat trouvé

Informalité et dynamique intersectorielle de l'économie haïtienne : une analyse dans le cadre d'un modèle d'équilibre général calculable

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "Informalité et dynamique intersectorielle de l'économie haïtienne : une analyse dans le cadre d'un modèle d'équilibre général calculable"

Copied!
106
0
0

Texte intégral

(1)

INFORMALITE ET DYNAMIQUE INTERSECTORIELLE DE

L'ÉCONOMIE HAÏTIENNE : UNE ANALYSE DANS LE CADRE D'UN

MODÈLE D'ÉQUILIBRE GÉNÉRAL CALCULABLE

Mémoire présenté

à la Faculté des Études Supérieures de l'Université Laval dans le cadre du programme de maîtrise en Économique pour l'obtention du grade de Maître es sciences (M. Se.)

DEPARTEMENT D'ECONOMIQUE FACULTÉ DES SCIENCES SOCIALES

UNIVERSITÉ LAVAL QUÉBEC

2010

(2)

Au terme de ce travail, je suis infiniment reconnaissant de l'appui et de l'accompagnement de mon directeur de recherche M. Bernard Decaluwé. Son soutien inconditionnel et ses conseils judicieux ont permis de surmonter bien des obstacles. Des remerciements particuliers pour ses conseils vont également à l'endroit de Mme Véronique Robichaud. Ses commentaires avisés auront servi à améliorer la qualité de notre travail. J'aimerais étendre ces remerciements aux responsables de l'ACDI et de l'AUCC qui, par le biais du programme canadien de bourse de la francophonie, ont assuré le financement de mes études à l'université Laval. Il me revient également d'exprimer cette même gratitude envers les membres du Réseau Politiques Économiques et Pauvreté (PEP) de l'Université Laval, envers professeurs et étudiants du département d'économique. Dans les temps forts de la rédaction, leur support moral a été tout aussi méritoire et déterminant dans la réalisation de ce document. Et enfin, la patience et la compréhension que m'ont témoignées ma famille et mes proches sont à placer aux côtés des ressources utiles dont j'ai bénéficiées pour réaliser ce mémoire.

(3)

Remerciements 2 Liste des tableaux et figures 5

Liste des abréviations 6

Résumé 7 Chapitre 1. Introduction 8

Chapitre 2. Revue de Littérature 13

2.1 Concepts et méthodes 13 2.1.1- Secteur informel : un débat conceptuel controversé 13

2.1.1.1-Genèse du concept 13 2.1.1.2- Faits saillants et développements théoriques 15

2.1.1.3- Le rôle de l'informel et ses liens avec le formel 17

2.1.1.4- Bilan théorique ou demi- certitudes 19 2.1.2- Secteur informel : les récentes approches théoriques 21

2.1.2.1. Des critères d'approche plus objectifs 21 2.1.2.2. Motivations, typologies et mesure du secteur informel 24

2.2 Modèles analytiques pour étudier une économie duale 28 2.2.1- modèles de mobilité et dynamique du marché du travail 28 2.2.2- modèles intersectoriels et dynamique du marché des biens 30

2.2.3- modèles EGC et dynamique du secteur informel 32 Chapitre 3. Données et Structure de l'économie haïtienne 36

3.1 -Cadre global 36 3.2 - Les activités de production 39

3.3 - Le commerce extérieur 40 3.4 - Les finances publiques 42 3.5 - Les facteurs de production 43 3.6 - Source de revenus, consommation et épargne 44

(4)

Chapitre 4. Le modèle E G C théorique utilisé pour la simulation 53

4.1- Une Matrice de Comptabilité Sociale (MCS) pour Haïti 53 4.2- Présentation du modèle et les différentes équations 56

4.2.1- Intégration de la branche informelle 56 4.2.2- Le chômage dans le modèle 58

4.2.3-Production 59 4.2.4- Revenu et Épargne 62 4.2.5- Demande 68 4.2.6- Commerce international 70 4.2.7- Bloc prix 73 4.2.8- Condition d'équilibre 74 4.2.9- Équilibre macro-comptable de la MCS 76 4.2.10-Calibrage 77 Chapitre 5. Simulations et Résultats 81

5.1-Simulation 1 82 5.2- Simulation 2 85 5.3- Simulation 3 86 5.4-Tableau agrégé des résultats 87

Chapitre 6. Conclusion 91

Bibliographie 93

Annexe 95 Annexe A : Description mathématique complète 95

Liste des équations Variables et Paramètres Variables exogènes

(5)

Tableau 1.- Estimations de l'économie informelle 23 Tableau 2.- Part des valeurs ajoutées sectorielles 38 Tableau 3.- Contribution des secteurs à la production et à la valeur ajoutée 39

Tableau 4.- Commerce International 42 Tableau 5.- Finances Publiques 43 Tableau 6.- Rémunération des facteurs de production et Valeur ajoutée sectorielle 44

Tableau 7.- Utilisation du revenu par le ménage 45 Tableau 8. - Importance des transferts dans la macroéconomie haïtienne 46

Tableau 9.- Répartition des emplois selon la taille des établissements 49

Tableau 10.- Structure des segments d'emploi par branche 50 Tableau IL- Structure des segments d'emplois par catégorie socio- professionnelle 51

Tableau 12.- Équilibre macro-comptable de la Matrice de Comptabilité Sociale 75

Tableau 13.- Valeurs des paramètres du modèle à la situation de base 77 Tableau 14.- Résultats des chocs de simulation sur le modèle EGC 88

Tableau 15.- Matrice de comptabilité sociale X

Figure 1.- Évolution du taux de croissance du PIB/habitant 35 Figure 2.- Taux d'inflation (indice des prix à la consommation) 36 Figure 3.- Évolution du taux de croissance démographique 36

Figure 4.- Évolution des exportations 40 Figure 5.- Évolution des importations 40 Figure 6.- Représentation Schématique de la fonction de production emboitée 61

(6)

BID : Banque interaméricaine de développement BIT : Bureau international du travail

BM : Banque Mondiale

BRH : Banque de la République d'Haïti (Banque Centrale) CAMEP : Centrale autonome métropolitaine d'eau potable

CEPALC : Conférence économique pour l'Amérique Latine et les Caraïbes CES : Contant elasticity substitution (Fonction)

CET : Constant elasticity transformation (Fonction) CPO : Condition du premier ordre

EDH : Électricité d'État d'Haïti

EEUPAUP : Enquête sur l'emploi urbain (Port-au-Prince) FAO : Food and Agriculture Organization

FMI : Fonds monétaire international

IFPRI : International Food Policy Research Institute ONA : Office national d'assurance (vieillesse) OAVCT : Office des assurances véhicules contre tiers PED : Pays en développement

PEP : Politiques économiques et pauvreté (Réseau) PIB : Produit intérieur brut

PME : Petite et moyenne entreprise PMI : Petite et moyenne institution

PNUD : Programme des nations unies pour le développement PPA : Parité du pouvoir d'achat

(7)

Cette étude examine globalement la dynamique intersectorielle de l'économie haïtienne et plus précisément l'ajustement macroéconomique du secteur informel, analysé à l'aide d'un modèle d'équilibre général calculable. Inspiré du modèle PEP base1, nous implémentons comme spécificités importantes : un taux de salaire différencié par secteur et un mécanisme de mobilité entre travailleurs ruraux et urbains formels. Et de manière tout à fait novatrice, nous incorporons l'autoconsommation, une modalité incontournable dans la structure de consommation des ménages ruraux. Nous considérons que les produits formels et les produits informels sont non parfaitement substituables. Soumis à un durcissement de la contrainte de financement extérieur, nous montrons que l'économie haïtienne rentre en récession (tous les indicateurs sont au rouge), avec toutefois deux révélations surprenantes : premièrement le commerce informel joue le rôle de secteur refuge pour atténuer la montée du chômage urbain et dans certains cas peut avoir un comportement anti-cyclique, deuxièmement les exportations agricoles bénéficient de la compétitivité-prix en période de récession.

Abstract

This paper globally examines the inter-sector dynamics of the Haitian economy, more specifically the macroeconomic adjustment of the informal sector, analyzed through a CGE model. Inspired by the PEP base model, we implement some specificities like a different wage rate by sector and a mechanism to assure mobility between rural and urban formal workers. In an innovative way, we incorporate a self consumption element, given its importance in the consumption structure of rural households. We also consider that formal products and the informal ones are not perfect substitutes. Faced with a tightening of foreign financing, the Haitian economy falls into recession (all the macroeconomic indicators flash red), however we note two surprising results: the informal sector acts as a refuge that softens the increase in urban unemployment, and in some cases it reacts contra cyclically; Secondly agricultural exports may benefit from increased price competitiveness during a recession period.

' Décaluwé, Lemelin, Maisonnave et Robichaud, August 2009, PEP 1-1 standard PEP model single country, static version, PEP network

(8)

Avec un PIB par habitant de 4502US$ en 2005, Haïti est catalogué sur la liste des pays les moins avancés (PMA) de la planète soit 149emc sur 177 pays (Rapport annuel PNUD, 2005); il est d'ailleurs l'unique pays du continent américain à se retrouver à ce niveau dans ce classement. Son économie très faiblement capitalisée, avec des ressources naturelles quasi inexistantes, est dotée d'une main d'oeuvre abondante, non qualifiée en grande partie. Le pays détient cependant un fort potentiel touristique compte tenu de l'avantage climat, de sa situation géographique et de la valeur de son patrimoine historique.

Pendant longtemps, le gros des revenus était tiré principalement de l'exploitation des ressources agricoles, mais on constate que les autres secteurs, industrie et services, s'étendent et gagnent un poids économique de plus en plus important. Les performances de cette économie sont extrêmement faibles. En effet, ce pays semble s'enfermer dans un cycle d'échec et de pauvreté interminable. Le PIB réel per capita représente aujourd'hui à peine 70% de celui de 1980. Les statistiques socioéconomiques sont accablantes : une forte incidence de la pauvreté (55% de la

population vivant avec moins de 1$PPA par jour, 76% vivant avec moins de 2SPPA par jour) — une

espérance de vie parmi les plus faibles de la région (52 ans) - un taux d'analphabétisme très élevé (49%) - des déficits énormes dans le domaine de la santé et des carences importantes dans la consommation alimentaire (DSRP-I3, septembre 2006). Ce pays demeure aujourd'hui non seulement un échec mais aussi un défi en termes de développement humain.

Au cours des années 90, vu la persistance des grands déséquilibres macroéconomiques et le doute qui planait sur la solvabilité d'Haïti à rembourser sa dette externe, le pays a eu sa dose d'ajustement structurel. Les résultats de ce programme néolibéral demeurent jusqu'ici mitigés, aucune étude scientifique sérieuse n'a pu évaluer adéquatement ses impacts économiques et sociaux. Il reste que la plupart du temps les analystes sont très durs envers cette politique de déréglementation et de libéralisation des marchés en termes de son bilan social.

À la fin de la décennie 90, le bilan global du programme d'ajustement structurel, en incluant bien entendu les aspects macroéconomiques, est quand même maigre voire désastreux. Le taux de

2 FAO Statistical Yearbook/Country Profiles

(9)

représentaient 17.5% du PIB en 1990, elles ne constituent que 12.3% en 2000. Le déficit de la balance des paiements s'est creusé davantage (-260 en 99-00 et -270 en 2005). La dette externe a augmenté alors que les investissements directs étrangers ont baissé (flux nets IDE : de 13 à 10 entre 2000 et 2005)4.

Ainsi donc ce pays est entrain de vivre à la fois une paupérisation croissante de sa population mais également un affaiblissement accéléré de ses forces productives. Ceci étant, la question clé à se poser est la suivante : Comment la survie quotidienne est-elle donc assurée au sein de cette population dont le nombre ne cesse de croître? Une simple analyse des statistiques socio-économiques ne saurait nous faire comprendre certains éléments essentiels dans la dynamique de survie entretenue dans cette société.

En jetant un regard critique sur la structure et l'environnement économique du pays on peut identifier et retenir principalement deux éléments qui vont motiver notre étude; il s'agit d'abord de l'importance de l'économie informelle comme paramètre souvent négligé et deuxièmement du rôle des transferts des ressortissants haïtiens vivant à l'étranger dans la capacité à faire tourner cette économie apparemment désaxée.

En effet, l'une des grandes caractéristiques de l'économie haïtienne est la forte présence du secteur informel, « une pullulation en milieu urbain d'une multitude de petites activités qui évoluent en marge de tout contrôle étatique et en dehors des principes traditionnels de production et d'emploi » [Philippe Barthélémy in Région et Développement, no 7-1998]. Ce secteur qu'on ne peut qualifier pourtant de marginal prend des proportions de plus en plus considérables au fil des années de par le volume de la main d'oeuvre qui s'y réfugie mais aussi de par le flux de ses activités, au point de se substituer dans plusieurs domaines à certaines PME du secteur privé [Rakowski, 1994 in Contrapunto].

L'un des objectifs de ce travail est de contribuer à comprendre l'expansion de ce phénomène. Le traitement de l'économie informelle dans un travail de modélisation de l'économie haïtienne et également l'analyse de ses interactions avec le secteur formel représentent une bonne option si on veut comprendre les mécanismes de fonctionnement de cette économie. Donc l'objectif premier de

(10)

ce papier est non seulement une analyse de l'importance de l'économie informelle mais également une analyse de la dynamique intersectorielle qui se dégage de cette économie quand elle est soumise à un choc quelconque par exemple, un durcissement de la contrainte de financement externe (une baisse des apports monétaires internationaux).

Le deuxième élément d'importance à souligner dans le cadre de cette économie est évidemment sa forte dépendance de l'aide internationale et des transferts des émigrés. L'économie haïtienne ne peut pas se passer du financement extérieur, d'une part pour assurer l'équilibre budgétaire du point de vue des finances publiques, en d'autres termes pour payer les dépenses courantes de l'état (60% du budget est supporté par l'aide externe, budget 2008-09), et d'autre part pour financer ses importations qui dépassent les exportations dans une proportion critique5 (3 pour 1). Cette situation met la balance des paiements dans une position très fragile, avec bien entendu des préoccupations sérieuses pour le cours de la monnaie locale (facette que nous n 'allons pas aborder dans ce travail).

Dans la même rubrique, il convient de signaler que la capacité réelle des ménages à consommer dépend pour une bonne part de l'extérieur. Les transferts des immigrants constituent, en effet, une ressource vitale pour les ménages haïtiens. La diaspora haïtienne en Amérique du Nord est proportionnellement l'une des plus nombreuses au monde et est déterminante dans le mécanisme qui fait tourner cette économie car le montant des transferts expédiés contribue à près de 21.6% du PIB (soit un montant de 1,070 millions US $ en 2006) [« Haiti Remittance Survey », Inter-American Development Bank, Washington, D.C., March 6, 2007]. Une baisse éventuelle de cette manne en raison des pertes d'emplois massifs aux USA en 2008-2009 par exemple (contexte de récession) affectera très certainement la vulnérabilité des ménages haïtiens.

D'une manière générale une contraction de l'économie mondiale aura pour conséquences d'assécher les deux principales sources de devises du pays et asphyxier cette économie. Par conséquent, il devient plus que préoccupant de comprendre les impacts de ces soubresauts de l'économie mondiale sur le fonctionnement de l'économie haïtienne et sur la situation réelle des ménages, éventuellement dans un contexte de récession mondiale. Concrètement, comment se comportent et réagissent les différentes composantes de cette économie (secteurs d'activités,

(11)

institutions, ménages) face à une baisse des deux plus importantes sources de support financier externe?

Tenant compte des ambitions de cette étude, le cadre d'analyse de prédilection devient sans conteste le modèle d'équilibre général calculable (MEGC). Ces modèles reposent sur une série d'équations définitionnelles ou de comportement et ont pour objectif d'estimer l'influence des chocs d'offre ou de demande, internes ou externes, sur l'affectation de l'emploi, de la production et des revenus entre les secteurs [Sand-Zantman A., 1994]. La structure initiale de l'économie influence grandement les répercussions d'un choc, et à ce propos ce modèle est préféré aux autres, notamment quand il faut tenir compte non seulement des interactions sectorielles, mais aussi des effets de rétroaction sur les marchés. Ce modèle de nature empirique est une représentation simpliste d'une économie dans laquelle tous les marchés et tous les agents sont liés par les activités de consommation et de production ou soit par la taxation et les revenus.

Dans un premier temps, nous définissons une situation d'équilibre dans notre modèle dans le sens où tous les agents maximisent sous contrainte une fonction objectif et l'offre est égale à la demande sur tous les marchés. Dans un second temps nous simulons un choc caractérisé par un durcissement de la contrainte de financement extérieur sur l'économie haïtienne et nous obtenons un nouvel équilibre induit par la variation des prix relatifs. Le modèle EGC, en tant qu'outil analytique, mettant l'accent sur les mécanismes de transmission d'un choc susceptible d'affecter plusieurs secteurs à la fois, va conduire à une estimation plus satisfaisante des capacités d'ajustement de cette économie.

Cette étude est charpentée de la manière suivante. Dans la section qui suit, nous faisons un portrait théorique du concept d'économie informelle et de la manière dont l'économique a traité ce thème dans la littérature. Une révision des grandes approches est ainsi proposée avec les modèles de base qui ont servi de socle pour les développements théoriques récents. Le troisième chapitre présente le modèle EGC que nous allons utiliser, en mettant l'accent sur ses particularités par rapport au modèle académique [modèle PEP Base, Décaluwé, et Co., 2009]. Une attention spéciale sera ainsi portée sur la désagrégation des branches et des ménages, sur la manière de modéliser le secteur informel et d'intégrer dans notre matrice la production domestique autoconsommée chez certaines catégories de ménages. Le chapitre 4 dresse un portrait de l'économie haïtienne dans ses

(12)

grandes composantes, et sur les principales données empiriques qui nous seront nécessaires pour construire la matrice de comptabilité sociale. Au chapitre 5, le modèle une fois défini, va servir à simuler une baisse de l'apport en capitaux externes à cette économie. Nous observons d'abord le comportement des grands agrégats macro et la dynamique du secteur informel et ses interactions avec les autres secteurs en termes d'utilisation des facteurs. Nous concluons au chapitre 6 avec les enseignements tirés de nos simulations sur les mécanismes et le fonctionnement de l'économie haïtienne.

(13)

Chapitre 2 Revue de littérature

2.1. Concepts et Méthodes

L'approche développée ici est une illustration des différentes possibilités sur la manière de conduire une analyse macroéconomique du secteur informel. Elle part d'une mise au point sur les concepts puis expose quelques modèles empiriques pour finalement conclure avec une analyse de la modélisation des activités informelles en Équilibre Général Calculable.

2.1.1- Le secteur informel : un débat conceptuel controversé 2.1.1.1 Genèse du concept

Le débat sur l'économie informelle relève d'une importante problématique soulevée au début de la décennie 70, consécutive à une préoccupation de la comptabilité nationale pour savoir au départ quel type de production contribue à la richesse nationale et au développement, mais également quel type de travail on devrait valoriser. Dans la littérature, le terme économie informelle fait l'objet d'une grande diversité d'utilisations. A chaque fois qu'il est employé et peu importe l'appellation (secteur ou économie informelle, activités, actifs informels) il englobe toute une panoplie de réalités et de situations : les micro entreprises, les ateliers de production faiblement

dotés en capital, et dont le niveau de production dépend de l'utilisation intensive du facteur travail, l'auto emploi non professionnalisé, la main d'œuvre sous traitante avec un salaire déguisé, le travail non ou partiellement protégé, les arrangements contractuels souvent illégaux, les activités extra légales non régulées et pas toujours enregistrées, le commerce occasionnel, les vendeurs de rue etc. [Rakowski, 1994

in Contrapunto]

Le débat pour trouver une définition du secteur informel a cependant émergé d'un désaccord sur un certain nombre de questions fondamentales : 1 ) quel mode de développement et quel rythme de croissance sont appropriés pour le Tiers Monde? 2) Quel est le rôle de l'état et du financement international dans le développement 3) quels sont les sentiers de croissance susceptibles de faire décoller ces pays? À côté de ces interrogations, certaines réalités venaient compliquer la tâche des théoriciens, comme par exemple la migration vers les villes et conséquemment l'urbanisation

(14)

accélérée donnant naissance au travail informel, et ce processus qui désormais ne finit plus de s'étendre.

La paternité du terme «secteur informel» accordé à Hart (1971) fait de plus en plus l'unanimité parmi les chercheurs et spécialistes de ce segment de la littérature économique. Son étude sur le Ghana publiée en 1973 ouvre la voie à une autre manière de voir le clivage secteur moderne vs secteur traditionnel dans l'approche dualiste. Cette nouvelle conception va plutôt considérer le secteur informel comme une extension du secteur traditionnel [Roubaud, 1994].

Le terme « informel », depuis qu'il a été introduit est devenu très courant dans les papiers, et les tentatives de plusieurs chercheurs pour l'appréhender, le décrire, le définir, l'analyser, ne se sont jamais convergées vers un consensus clair. L'importance croissante du concept découle de cette croyance a priori qui veut que sous les conditions qui prévalent dans le capitalisme actuel, ces micro-entreprises devraient tendre à disparaître comme ce fut le cas au I9ème siècle avec le développement du capitalisme en Europe. Au contraire, ces activités ne cessent de se développer et d'envahir le panorama économique des pays en développement.

En outre, le débat sur le secteur informel ne concerne pas uniquement les raisons de sa persistance, mais aussi et surtout les interrogations pratiques sur sa capacité à générer la croissance et le développement. Finalement, ce débat va tourner autour de la nature de la croissance dans ce secteur et sur ses liens avec l'économie formelle. On va essayer d'en résumer les axes principaux.

Moser6, (l'un des pionniers à entrer dans ce débat) dans un papier publié en automne 1984, fournit un aperçu intéressant sur la question en analysant la période 1970-1983. Selon son article, le vrai sens du débat est de savoir si oui ou non et sous quelles conditions ces activités identifiées comme informelles peuvent générer de la croissance et résorber le chômage.

En ouvrant ce débat, l'économiste ou le théoricien est confronté à trois grands problèmes : le premier est un problème conceptuel (quelle définition de l'informel), le second est d'ordre méthodologique (quelle approche du secteur informel) et le dernier se rapporte aux types de liens que ce secteur peut entretenir avec l'économie formelle capitaliste. L'auteur reconnait que du point

The informal sector reworked: Viability and vulnerability in urban development. Regional Development Dialogue Vol. 5 No. 2 (1984)

(15)

de vue des décideurs politiques, le dernier problème demeure le plus important, cependant il avoue tout de même qu'on ne peut l'adresser indépendamment et sans une réelle maîtrise des deux premiers. L'apport majeur de ce papier a été le fait de jeter la lumière sur cette interrelation entre les définitions conceptuelles, les méthodologies de recherche, et les propositions de politiques au cours de la sous période 70-83. Son papier soulève, entre autres, la problématique de la prolifération et de la persistance de cette branche informelle (son inertie vis-à- vis d'une transition vers le secteur moderne), et sa place dans une stratégie de croissance intensive en capital.

2.1.1.2 Faits saillants et développements théoriques.

La poussée démographique connue dans le Tiers Monde entre 1950 et 1980 a attiré l'attention sur la problématique de l'emploi. Le taux de croissance naturelle de la population joint au phénomène migratoire des ruraux se déplaçant de la périphérie vers les centres urbains, a surplombé la capacité d'absorption du processus d'industrialisation. Cette situation résultait en un accroissement exorbitant du chômage et de la pauvreté au sein de la population urbaine. Ce qui allait sonner un peu le glas des modèles de croissance à la mode, notamment la thèse du « Trickle-down » qui dominait essentiellement la pensée du développement au cours de cette période.

En effet les stratégies de croissance accélérée axée sur la maximisation du PIB n'avaient pas réussi à faire décoller les PED qui s'enlisaient de plus en plus dans un chômage chronique et dans la pauvreté. Le Bureau International du Travail (BIT) dans la recherche d'alternatives viables a reconnu finalement que le chômage n'était pas simplement un phénomène cyclique mais un phénomène complexe et chronique dans les pays en développement. Et la recherche d'une catégorisation conceptuelle plus adaptée au contexte de ces pays, qui avaient un grand nombre de « pauvres à emploi », les amène à considérer pour la première fois le concept de secteur informel pour décrire des réalités propres à certaines parties du monde comme les micro- entreprises qui se soustraient à la logique capitaliste.

Les différents rapports du BIT sur les pays relataient des choses étonnantes; le plus illustre sans doute demeure le rapport sur le Kenya qui mettait l'accent sur le rôle moteur du secteur informel qui pourrait devenir une source majeure pour la croissance future (BIT, 1972). Cette reconnaissance du concept par le BIT, qui l'adopta désormais dans ses travaux sur les PED,

(16)

conféra à ce dernier ses lettres de noblesse pour entrer dans la littérature des chercheurs et praticiens en sciences sociales.

L'utilisation de ce concept s'est vite révélée abusive et pas toujours juste tant les contextes dans lesquels il est employé sont variés et différents. Il inclut souvent des ensembles d'activités hétérogènes et des groupes d'individus difficilement identifiables ne possédant aucune caractéristique commune pour permettre une analyse appropriée. Ce qui a résulté en une grande confusion sur la vraie définition du secteur informel.

Plusieurs auteurs ont proposé des définitions. On retrouve les plus significatives dans les travaux de Hart (1973), Mazumdar (1976), Weeks (1975) Sethuraman (1981). Tous ces travaux ont un dénominateur commun, tous s'inscrivent dans la logique de l'approche dualiste. C'est la façon de présenter cette dichotomie qui varie d'un auteur à l'autre. Pour certains, la dichotomie se perçoit dans les caractéristiques des entreprises urbaines, pour d'autres elle se retrouve sur le marché du travail urbain plutôt que sur les entreprises elles-mêmes. Le secteur informel est par exemple assimilé à un secteur non protégé parce que le travail n'est pas protégé comparé au secteur formel où il y a des normes de sécurité au travail. Un auteur comme Weeks (1975) va rechercher cette dichotomie dans les caractéristiques organisationnelles des relations d'échange et dans la position de l'activité économique face à l'État.

Unanimement, la définition du secteur informel la plus usitée et la plus connue demeure celle du BIT. Se basant toujours sur la dichotomie formel vs. informel, cette définition est axée également sur les caractéristiques des firmes : « il s'agit d'un secteur oit il n 'existe aucune barrière à l'entrée, et se reposant sur les ressources locales et personnelles, les entreprises sont de propriété familiale, elles font des transactions à petite échelle, intensive en main d'œuvre, technologie adaptée, compétences tirées sur le tas, évoluant souvent dans des marchés non régulés et compétitifs ».

Cependant Sethuraman (1981) nous montre une certaine faiblesse de cette définition. 11 dénonce que celle-ci serait plutôt une identification d'un ensemble de caractéristiques où chacune d'entre elles peut être rattachée à un critère précis d'analyse d'une firme : mode de production, structure organisationnelle, échelle d'opération, etc. Selon lui, l'informel regroupe des

(17)

micro-unités engagées dans la production et la distribution de biens et services avec comme principal objectif de générer de l'emploi et des revenus aux agents impliqués, en dépit des contraintes de capital à la fois physique, humain et technique. Sa définition ou plutôt son approche du secteur informel, adoptée d'ailleurs par la plupart des agences internationales, a le mérite de souligner la différence mince qui existe entre les unités informelles et les PME. Fondamentalement cette différence réside dans leur orientation, si le premier est d'abord motivé par la création d'emploi, le second est plus concerné par la maximisation de profit.

2.1.1.3 Le rôle du secteur informel et ses liens avec le secteur formel

Ce fameux rapport du BIT pour le Kenya soutient par ailleurs que le secteur informel est capable de créer de l'emploi, voire même de croître plus vite que le secteur formel (BIT, 1972). Weeks (1975) supporte aussi ce point de vue. Son argumentaire est que ce secteur peut se révéler efficient dans l'utilisation du capital (à cause d'un meilleur ratio main d'œuvre sur output) et apporter une importante contribution à trois niveaux. Il pense qu'il est avantageux d'avoir un secteur dynamique à bas salaire et évolutif dans les pays en développement d'abord à cause de sa capacité à fournir une plus importante quantité de biens de consommation aux ménages à faibles revenus, diminuant ainsi la dépendance vis-à-vis des importations, ensuite en offrant une plus grande disponibilité des biens de capital traditionnels (endogènes), et finalement ce secteur peut s'attendre à une meilleure croissance relativement au secteur formel plus dépendant de capitaux.

Sur la base de ce qui est avancé, on pourrait être amené à voir dans le développement du secteur informel la solution au problème de chômage dans le Tiers-Monde et qu'il suffirait d'assister et de promouvoir la croissance dans ce secteur pour voir se résorber le chômage et du coup la pauvreté. Cependant les critiques ne se sont pas fait attendre. Birkbeck ( 1978), dans une étude sur la ville de Cali en Colombie, avance l'idée de l'existence de facteurs structurels issus de l'ensemble du système économique qui peuvent contraindre l'accumulation du capital dans ce secteur. Son argument est que le secteur informel n'est pas vraiment indépendant du reste de l'économie. Les micro-entreprises sont comme subordonnées et dépendantes des grandes firmes, et les relations entre les deux sont loin d'être négligeables. Elles peuvent même entretenir un rapport d'exploitation au détriment de l'informel.

(18)

Pour un auteur comme Leys (1975), la branche informelle serait entrain d'approvisionner les entreprises modernes en biens et services à des prix très faibles qui garantissent des profits élevés dans la branche formelle. MacEwen Scott (1979), explique ce rapport d'exploitation par la perte de la capacité du travailleur informel à acquérir les moyens de production par ses propres efforts. L'informel serait devenu comme dépendant du secteur capitaliste moderne pour ces inputs. Cette subordination se manifeste par la perte de l'accès aux marchés, perte de contrôle sur le processus de l'emploi, et perte du surplus capté par l'autre secteur. Portes (1978) illustre cette idée d'exploitation dans les rapports entre les deux secteurs et conclut que l'informel subventionne une partie des coûts de production du formel, car certains besoins des entreprises capitalistes modernes sont comblés à bon marché soit par la main d'oeuvre ou par les biens et services provenant du secteur informel.

En réalité, il y a tout un pan de la recherche en économique qui s'intéresse aux relations entre les deux secteurs; il existe deux papiers particulièrement importants qui font le point là-dessus. Le premier est celui de Tokman (1978) qui va illustrer conceptuellement deux approches. Dans une première, les rapports sont considérés comme négligeables et la seconde suppose que les activités informelles sont empreintes d'un caractère de subordination vis-à-vis du formel. Sa conclusion est qu'il faut s'attendre à une baisse des parts du revenu dans l'ensemble de la branche informelle consécutivement à l'expansion de l'offre de travail dans la branche. En réalité on aurait une croissance plutôt involutive qu'évolutive.

Le deuxième est une étude réalisée par Schmitz (1982) qui examine les contraintes à la croissance des micro-entreprises; il va regrouper ces contraintes en deux catégories : les contraintes internes (managériales) et celles de nature externe (accès aux ressources et exploitation par les grandes firmes). Il pense que du point de vue des entreprises informelles, les facteurs internes représentent plus un avantage qu'un inconvénient, en fonction de leur grande adaptabilité et leur caractère inventif. Il va disserter beaucoup plus longuement sur ce qui concerne les contraintes externes.

Sur la question de l'exploitation, Schmitz (1982) soutient que le potentiel de croissance des micro-firmes est une question très difficile d'approche à cause du problème des données qui n'existent pas dans les pays en développement sur l'informel. La perte du surplus par le travailleur

(19)

informel ne résulte pas nécessairement de la production à un coût réduit (à cause d'un salaire très faible), ce surplus peut être capté par l'acheteur ou par l'intermédiaire, c'est une question très complexe à étudier selon Schmitz. Sur la question de l'accès au marché, il y a une réalité qu'on ne peut nier, il existe effectivement des barrières à l'entrée pour les micro-entreprises; et ceci pour toute sorte de raisons (contraintes technologiques, contrôle des filières d'approvisionnement en matières premières, etc.). Il faut reconnaître aussi qu'il y a des exceptions. Schmitz fait remarquer que dans le cas des marchés saisonniers où les prévisions sont quasi impossibles, l'informel a une meilleure facilité de composer avec ce problème qui requiert une grande flexibilité dans la production.

2.1.1.4 Bilan théorique ou demi-certitudes

Cette revue de différentes études7 sélectionnées indique la manière dont les hypothèses a priori sur le secteur informel et sa capacité à générer la croissance et l'emploi étaient débattues sur un terrain conceptuel. Ceci nous a montré les limites de toutes tentatives de généralisation et les dangers de faire des hypothèses quand on veut identifier les fonctions du secteur informel dans un contexte spécifique. Elle souligne aussi l'influence critique de l'approche méthodologique adoptée dans la collection des données.

Le débat initial sur le secteur informel a souligné le rôle majeur joué par ce dernier en fournissant des intrants et des biens à bon marché que l'entreprise capitaliste formelle ne pourrait produire efficacement. Dans ce débat, on reconnaît effectivement que cette production informelle à petite échelle survit mieux dans un environnement où la communication est difficile et où le marché est non rentable pour l'activité des grandes firmes, c'est-à-dire quand la taille du marché n'est pas suffisamment lucrative pour le secteur formel.

De même, la petite entreprise informelle survit mieux dans un contexte où le comportement du marché n'est pas prévisible en raison de fluctuations de mode ou saisonnières. En général, cette forme d'entreprise se développe mieux dans les pays faiblement industrialisés où les contraintes sont énormes et certains coûts d'exploitation peuvent être exorbitants dans certaines filières. Les chercheurs argumentent que, le secteur informel peut être hautement compétitif s'il fournit des

(20)

biens qui sont produits en deçà de leurs coûts réels en mettant de plus longues heures de travail et par l'utilisation d'une main d'oeuvre familiale non payée. Mais pour comprendre les raisons de la persistance de ce marché de produits informels, il est important de saisir la destination finale du surplus. Est-ce qu'il aide à maintenir le salaire bas, ou tendrait-il simplement à faire accroître les profits des intermédiaires?

Les recherches soulignent que le niveau de la production de biens à bon marché et hautement compétitifs destinés aux ménages à faible revenu qui soit significativement important pour maintenir le salaire bas, ce niveau dépend de la part du budget du travailleur consacrée à l'achat de biens industrialisés comparativement à l'acquisition de biens produits dans le secteur informel (Roberts, 1978). En plus de l'importance de la force de travail du secteur industrialisé, la taille de la population compte beaucoup à ce titre.

La capacité de ces micro-entreprises à évoluer de manière involutive au moyen des ressources auto-exploitées leur procure une habileté à survivre même dans les phases de creux des cycles économiques. Cette situation renforce le rôle du secteur informel dans le maintien d'une armée de réserve de travailleurs en s'assurant une offre flexible de main d'oeuvre qualifiée qui peut être reconduite dans le système capitaliste à des périodes différentes du cycle économique (Moser 1982). Le degré auquel cette situation réduit les coûts salariaux et diminue la force de négociation syndicale doit être évalué en relation avec la taille du surplus de main-d'œuvre.

Une importante conclusion du débat des années 70 et du début de la décennie 80 est que, sous des conditions spécifiques, il serait dans l'intérêt des grosses firmes capitalistes de promouvoir le secteur informel en tant que méthode d'expansion plus rentable qui évite les frais généraux par l'utilisation de contractuels sous-payés tout en contrôlant le circuit des matières premières et les marchés. Les pressions concurrentielles au niveau international sont identifiées comme résultant d'une fragmentation croissante de la force de travail dans certains secteurs, avec la réapparition des micro-entreprises comme une auxiliaire du secteur formel avec la technologie se décomposant en conséquence en plusieurs parties.

(21)

2.1.2- Secteur informel : les récentes approches théoriques

Aujourd'hui, il existe dans la littérature des thèses les plus contradictoires sur le rôle du secteur informel dans le fonctionnement du marché du travail et sur ses types de relation avec le secteur capitaliste moderne des pays du Tiers Monde, et d'une manière générale sur sa capacité à générer pour ces économies la croissance et le développement. Notre objectif pour la suite de cette revue de littérature est de mettre l'accent sur la plupart des problèmes économiques abordés dans la littérature économique qui se posent à propos du secteur informel.

D'une manière générale, l'économie informelle fait référence à toute une série d'activités se déroulant à petite échelle, non protégées et faiblement régulées qui prolifèrent dans les pays en développement. Cependant, la réalité n'est pas aussi simple, comme on l'a vu tantôt, nombre de controverses et d'interprétations sur son rôle dans le développement, sa contribution à la croissance et à la répartition des revenus, subsistent. Compte tenu de ces divergences d'interprétations, le concept d'économie informelle a un caractère insaisissable. Il convient dans un premier temps dans notre analyse de dresser les contours de l'informel et dans un deuxième temps d'en examiner la dynamique et son articulation avec l'économie formelle.

2.1.2.1- Des critères d'approche plus objectifs

Différentes définitions sur le secteur informel jonchent la littérature et chacune d'elles retient un ou plusieurs critères d'approche distincts. Ces critères peuvent être soit la taille des entreprises ou le mode de relations entre patrons et ouvriers, soit le niveau d'intégration des activités dans le système fiscal et social ou encore le niveau de pénétration technologique ou finalement la façon de financer le capital matériel. Un article célèbre sur cette question de classification nous est légué par Arellano (1994) dans lequel il propose un ensemble de 17 critères (considérés comme non exhaustifs) pour relever les particularités des entrepreneurs informels. Il serait intéressant de voir quelques-uns en vue de mettre en évidence certains faits stylisés.

Le premier critère le plus débattu et sans doute le plus controversé est celui de la taille des entreprises. Arbitrairement, on peut qualifier d'informel des établissements de 5, 10, 20 personnes; ce qui est viscéralement le point faible de ce critère. Toutefois, il a deux mérites : l'avantage d'être facilement repérable d'un point de vue statistique, et le fait d'être un bon point de départ pour

(22)

retracer d'autres critères plus complexes. Le critère taille ne saurait être définitif, car un grand nombre de PME/PMI peuvent glisser dans ce réceptacle sans pour autant fonctionner dans l'informel. Et à ce stade, on reconnaît que la frontière entre les activités informelles et l'économie formelle peut être très mince.

La grande diversité des situations et les motivations des entrepreneurs sont parmi les difficultés majeures dans la recherche d'une définition pour ce concept. Certains auteurs plaident en faveur d'un continuum de situations plutôt qu'au profit d'une réelle dichotomie entre les deux secteurs. Ce critère taille possède encore d'autres limites. La nature des activités ciblées soulève un certain nombre d'autres incohérences; la production des services par exemple serait un domaine tout à fait non malléable avec ce critère. Et du côté des actifs informels, les situations peuvent être très différenciées, les origines n'étant pas les mêmes ainsi que les mobiles d'entrée dans ce secteur. Très souvent la contrainte est à la base d'une insertion dans l'informel qui, s'il ne joue pas le rôle d'un exutoire (recherche d'un complément de rémunération, manque de qualification etc.), est perçu comme une phase transitoire avant une intégration dans le monde structuré qui souvent n'arrive jamais. [Philippe Barthélémy, 1998]

Malgré son imperfection, ce critère semble nécessaire d'un point de vue statistique. Une étude conduite par Aftab et Rahim (1989) au Pakistan tente de justifier son utilisation. Il semble que les firmes informelles en fonction de plusieurs obstacles internes sont incapables de franchir le seuil pour accéder au secteur moderne. Si elles deviennent trop grandes, elles confrontent un certain nombre de nouveaux problèmes inhérents à l'organisation d'une firme formelle et qu'elles n'ont pas la compétence de résoudre efficacement. Plus d'un croient que la taille de l'entreprise est définie par un ensemble de facteurs endogènes relatifs à l'entrepreneur lui-même (Rauch, 1991) par exemple : le talent de l'entrepreneur, la productivité de la firme, etc. Par ailleurs, certaines études menées en Asie du Sud- Est [Teihlet-Waldorf et Waldorf (1983); Blau (1985); McGee et alii (1989)] soulignent que le différentiel de salaire entre les deux secteurs peut alimenter la dichotomie. On voit ainsi se perpétuer le dualisme formel/informel avec un partage tacite du marché entre firmes capitalistes et petites entreprises informelles.

Le second critère que nous évaluons dans ce paragraphe est un critère juridique. Souvent on rentre une entreprise dans le secteur moderne par le fait qu'elle est légalement enregistrée auprès

(23)

des autorités fiscales et respecte le droit du travail. Cette approche a également ses limites. D'abord les principes d'enregistrement, les obligations sociales des entreprises, les structures des systèmes fiscaux varient d'un pays à l'autre. Donc avec ce seul critère, le risque de se tromper dans une classification des entreprises est certainement lié à la localisation de la firme.

La preuve empirique de cet argument est donnée dans une étude réalisée par Mead et Morrisson ( 1996) à partir d'un échantillon de sept pays et qui montre que les micro-firmes (2 à 5 personnes ou 6 à 10) respectent de façon très différente la législation fiscale et celle en rapport avec les conditions de travail du personnel. Par exemple, une même firme peut respecter une obligation et décider de se soustraire à une autre. Le critère juridique en tant que ligne directrice peut se révéler trop vaste et une éventuelle classification dépend de l'aspect retenu dans ce critère.

Du côté de la comptabilité nationale, tout ce qui n'est pas enregistré tient de l'informel. Il semble qu'avec cela on trouverait une issue à notre problème d'identification, cependant ce raisonnement est un peu fallacieux dans la mesure où ce sont des « individus » qui dictent les conventions, ce qui doit être retenu dans les comptes nationaux ou pas; ceci encore en fonction des capacités techniques de chaque pays à pouvoir collecter des statistiques fiables. Donc, on retourne à la case départ, toujours dans le flou en ce qui concerne de retenir une définition qui s'appuierait sur le critère juridique ou celui de la taille.

La difficulté à imposer une définition unique nous contraint à proposer des typologies qui représenteraient une série de sous-ensembles homogènes contenant certains caractères propres à l'informel. La seule croyance qui demeure jusqu'ici unanime parmi les théoriciens, c'est la contribution des activités informelles à la richesse nationale dans la plupart des pays. Non seulement plusieurs études l'attestent [Rashidi (1996); Dansou (1991)], mais aussi il y a deux explications naturelles à cet état de fait. D'abord, l'ampleur du secteur informel est indubitablement liée à un exode rural massif qui augmente la population urbaine générant une main d'œuvre surabondante et pour le secteur public et pour le secteur privé formel. La deuxième explication en ce qui a trait à l'apport substantiel de l'économie informelle au PIB soutient qu'une meilleure collecte des données et un meilleur traitement de l'information dans les PED auraient permis d'intégrer tout un flux d'activités dont on faisait abstraction autrefois, d'où la problématique de la quantification du flux d'activités informelles dans une économie.

(24)

2.1.2.2- Motivations, typologies et mesure du secteur informel

La question de l'estimation du poids du secteur informel dans l'économie globale et du volume des activités qui s'y retrouvent a été beaucoup débattue dans la littérature. Nous allons tenter de présenter une vision synthétique de ces travaux. Dans un sens pratique, les motifs qui poussent les agents à intégrer le secteur informel peuvent être de deux ordres : premièrement, l'individu choisit de plein gré d'entrer dans le secteur afin d'aller capter des revenus supérieurs à ce qu'il aurait gagné s'il travaillait dans le formel; deuxièmement l'individu peut être acculé à se réfugier dans l'informel suite à l'impossibilité de se trouver un emploi sur le marché formel.

Deux études majeures (Pradhan et Van Soest, 1995) et (Funkhouser, 1996) ont profité des avancés de l'économétrie des variables qualitatives pour estimer les comportements des travailleurs informels en fonction de plusieurs variables ou encore d'appréhender de manière endogène les motivations à la base de leur entrée dans ce secteur. De plus en plus, une partie importante de la population active exerce dans l'informel son activité principale, et indépendamment des controverses sur les estimations et sur les méthodes, son poids dans l'économie s'apprécie en dizaines de points du PIB. Nous proposons de voir quelques chiffres par région et par pays sur l'importance des activités informelles, tirés de travaux empiriques réalisés par des auteurs comme : Lubell (1991), Sethuraman (1981), ou encore Arellano, Gasse et Verna (1994).

Tableau 1 : Estimations de l'économie informelle réalisées avec une méthode indirecte (monétaire) AFRIQUE/ ASIE/ AMÉRIQUE

Tanzanie Bagachwa et Naho (1995) 1970: 12.76% du PIB

1980: 23.96% du PIB 1990: 33.24% du PIB

Zaïre DeHerdt(1996) 1970: 11% du PIB

1980: 22% du PIB 1990: 93% du PIB 1994: 163% du PIB

Inde Gupta (1982) 1970: 22.2% du PNB

1979: 48.8% du PNB

Mexique Portes et Schauffler(1993) 1970: 13.5% du PIB

1975: 27.3% du PIB 1980: 33.2% du PIB

(25)

1985: 25.7% du PIB

Pérou Rossini et Thomas (1990) Minimum 34.4%, maximum 109.2%

selon les variantes. Cette étude a pour finalité de critiquer l'estimation deSoto(61.3%)

Source : Barthélémy, 1998, « Le secteur urbain informel dans les pays en développement : une revue de littérature » in Région et Développement Dans ce dernier segment, nous faisons quelques commentaires ultimes sur quelques typologies liées à des critères analytiques. Un certain nombre d'études ne s'inscrivent pas dans la logique de la dichotomie formeP/informel et veulent dépasser ce clivage. Les activités de la micro firme informelle sont perçues comme une continuité des activités du secteur traditionnel dans les zones urbaines. La seule différence est que ces entreprises qui voient le jour en milieu urbain sont adaptées à la réalité urbaine pour répondre aux nouveaux besoins et calquent les modes de production que l'on connait dans le secteur formel (Hugon 1991; Lautier 1994; Savoye 1996). Le nombre d'éléments capitalistes par rapport au nombre d'éléments traditionnels relevés dans ces entreprises déterminent le classement de celles-ci dans tel ou tel autre secteur.

Certains auteurs soutiennent que ce sont les entrepreneurs eux-mêmes qui optent pour le type de fonctionnement à adopter selon des raisons diverses : volonté de contourner certaines contraintes fiscales, recherche de la meilleure efficacité dans la production, etc. Cette première série de travaux a trouvé bon accueil dans la plupart des courants qui se penchent sur les questions d'estimation des activités de l'informel.

La volonté de quantifier les activités du secteur informel pour déceler leur ampleur dans l'activité économique en général a motivé un deuxième groupe de travaux qui pour leur part proposent des subdivisions du dit secteur afin d'éviter l'amalgame. En effet, la réalité de l'informel est tellement complexe qu'il ne faut pas tomber non plus dans des manières excessives d'interpréter des situations ou à proposer des mesures erronées. Une certaine approche a versé malheureusement dans ces travers en prônant un mode de développement axé sur l'extension du secteur informel (faussement assimilé au PME/PMI) considéré comme porteur de la dynamique de croissance urbaine (Webster et Filder, 1996). Donc la recette était toute trouvée, il faut encadrer, promouvoir et financer le développement des activités informelles. Ce sont ces genres de panacée que toute étude sérieuse doit éclairer.

(26)

Pour sortir de cette confusion et ne pas tomber dans ce piège conceptuel, nous allons analyser la proposition de Penouil (1990), qui, lui, fait la distinction entre un informel de subsistance, un artisanat traditionnel et un informel concurrentiel. L'informel de subsistance se caractérise par des activités qui se veulent plus pour assurer une survie à l'exploitant au lieu d'une réelle logique d'accumulation capitaliste. Démarrées avec un capital très maigre, souvent avec des outils et du matériel de récupération, ces activités procurent à l'exploitant un revenu très modeste qui reflète la faible productivité dans ce secteur.

Si l'entrée est généralement libre dans l'informel de subsistance, pour l'artisanat traditionnel, c'est un domaine très souvent réservé dont certaines corporations détiennent un monopole naturel. Sa pratique requiert une large connaissance du métier qui se lègue souvent de génération en génération à l'intérieur d'un clan ou d'un groupe ethnique. La qualité est souvent au rendez-vous avec ces produits, vu que ce sont des techniques séculaires transmises directement par un maître artisan, et les revenus augmentent avec le temps en fonction de l'ancienneté de l'artisan.

L'informel concurrentiel, comme son nom l'indique, offre des biens et services qui peuvent concurrencer ceux du secteur formel. Les activités des deux secteurs peuvent se compléter et s'embrasser, que ce soit en amont avec l'achat de matières premières ou en aval par la vente de biens à des travailleurs du secteur formel.

Cette dernière partition du secteur informel que nous venons d'évoquer brièvement a été parfaitement formalisée dans un modèle structurel sur l'économie camerounaise (Cogneau, Razafindrakoto et Roubaud, 1996). Ce modèle fait une estimation des relations intersectorielles où l'offre sur le marché du travail est segmentée et compte les employés du secteur formel, les travailleurs indépendants opérant dans le secteur informel et les chômeurs. Au niveau de la consommation des ménages, il existe un arbitrage entre biens formels et biens informels qui met les deux groupes de produits en concurrence. Le degré d'hétérogénéité entre ces deux groupes introduit une classification un peu tacite du secteur informel.

On va ainsi faire référence à quatre formes d'informel. D'abord, l'informel « refuge » (ou de subsistance) où l'on retrouve des personnes non qualifiées qui offrent des biens de qualité inférieure difficilement substituables avec ceux du secteur formel. L'informel artisanal regroupe

(27)

des personnes détentrices d'un savoir ou d'un talent spécifique et qui exploitent une filière où il existe des barrières à l'entrée. Les deux autres catégories rejoignent l'informel concurrentiel, on parle respectivement de « formel flexible » (produits très substituables; qualification identique au formel et mobilité facile entre les deux) et « d'entrepreneur différencié » (produits peu substituables; qualifications formelles mais différenciées). Ces termes reflètent le fait que ce sous groupe soit soumis aux mêmes conditions de production et d'emploi que le formel tout en se soustrayant à certaines régulations étatiques.

L'économiste haïtienne Nathalie Lamaute-Brisson (2002) spécialiste de la question, pour sa part identifie quatre grandes représentations découlant de la littérature existante. L'informel peut être considéré comme « une strate socio-économique de la population sociale » i.e. constitué par cet excédent de la main-d'œuvre exclu du secteur capitaliste formel. Il peut être analysé aussi comme un ensemble d'unités économiques de production de petite taille, cette conception renvoie plus aux modes de production dans ce secteur. La troisième représentation de l'informel met l'accent sur la segmentation du marché du travail découlant de l'hétérogénéité des systèmes de production. Autrement dit, les deux systèmes étant différents requièrent des types et des niveaux de qualifications différentes. Et enfin, l'informel peut être étudié aussi dans le sens des relations de la firme avec les travailleurs en d'autres termes la manière d'utiliser et de traiter avec la main-d'œuvre. On peut ajouter évidemment à cette classification non exhaustive des lignes d'analyse de l'informel la question du rapport à l'Etat en tant que problématique importante soulevée et longuement débattue dans la littérature existante.

Deux idées majeures nous viennent à l'esprit après cette incursion dans la littérature autour de l'économie informelle. Premièrement, on est en présence d'un secteur où les activités ainsi que les motivations des acteurs sont très hétérogènes. Deuxièmement, toute analyse sur ce secteur doit être nuancée aussi bien dans le fond que dans la forme. Au tout début, on assimilait le secteur informel à un secteur de transit plutôt qu'une branche productive non négligeable s'insérant relativement bien dans l'économie des pays en développement. Aujourd'hui, l'on se fait une autre conception de ce secteur vu son ampleur, son importance en termes d'emploi, de revenus et de production. Et des études empiriques sont produites de plus en plus pour montrer que l'informel serait plus un état qu'une étape transitoire.

(28)

En résumé, nous relevons une forte diversité dans les points de vue des auteurs qui se sont penchés sur la question. Et l'ensemble de ces points de vue a ouvert la voie à différentes manières d'aborder l'informel dans les travaux empiriques. En effet, chaque étude, chaque papier traitant du secteur informel s'inscrit dans une représentation théorique, une espèce de catégorisation de l'informel. Pour des raisons d'ordre structurel, il n'existe pas d'approche unique de l'informel, mais on retrouve plutôt des types d'organisation spécifique adaptés à des environnements particuliers.

2.2 Modèles analytiques pour étudier une économie duale

Les travaux empiriques sur le secteur informel, comme ce fut le cas avec les définitions, diffèrent de par leur objet, leur méthode et leur rattachement idéologique. Si les travaux conceptuels ont tenté de dresser le profil et de proposer des méthodes pour mesurer l'informel, les travaux analytiques ont surtout insisté sur la manière de concevoir la dynamique intersectorielle. Dans ce débat, l'accent a prioritairement été mis sur le mode de réaction des deux sphères de l'économie suite à un choc macroéconomique. Le sens de ces réactions est très important pour les politiques de développement et les politiques de relance économique.

Ce débat fait appel à quatre grandes thèses dans l'interrelation formel-informel : la thèse de la marginalité (subordination autonome à l'égard du capital), la thèse du dualisme (l'informel vu comme une économie fermée), la thèse de l'intégration bénigne (l'informel complémentaire plutôt que concurrent du formel) et la thèse de l'exploitation (l'informel source de transfert de valeur à travers la sous-traitance et le salariat déguisé). Chacun des modèles présentés ci-après s'appuie théoriquement sur une de ces thèses.

2.2.1- Modèles de mobilité et dynamique du marché du travail

Ces modèles sont axés sur les modèles de migration inspirés des premiers travaux en 1954 d'Arthur Lewis ou de Ranis et Fei en 1961 qui cherchaient à expliquer le processus migratoire de la campagne vers la ville en utilisant un concept d'offre illimitée de main-d'œuvre. L'observation empirique de périodes d'émigration accompagnées du chômage a ouvert une nouvelle ère à la théorie de la migration, ce qui a conduit à l'émergence de nouveaux modèles dans les années 1970 (Todaro (1969) et Harris et Todaro (1970)). Ces auteurs, initiant une approche probabiliste

(29)

établissent les conditions de migration du secteur agricole (ou secteur traditionnel) vers le secteur moderne. La rentabilité de migrer ou non relève donc d'un calcul coûts-bénéfices ; et le choix de migrer va dépendre du différentiel de rémunération entre les deux secteurs.

Dans le modèle de mobilité8, d'inspiration néo classique, on considère un agent représentatif travaillant dans le secteur rural, mais qui désire (avec des considérations probabilistes) investir le secteur formel urbain. L'arbitrage est effectué en comparant son revenu rural certain et son revenu urbain espéré. A l'équilibre, l'agent est indifférent entre migrer et rester à la campagne. On calcule ce revenu urbain espéré en prenant la somme pondérée du salaire formel par la probabilité d'être embauché dans ce secteur et d'un revenu de substitution et très souvent de subsistance qu'il gagne en recourant au secteur informel.

On a l'expression du salaire urbain espéré :

E(Wu) = \lf,(t)WAt)e'"dt + [of2(tW2(t)e"dt + [of(tW,(l)e-"dt avec :

Wu : Salaire urbain

f(t) : Probabilité pour un travailleur d'appartenir au secteur i au temps t 2Zf(t)= 1 ; (1, 2,3) les trois secteurs (rural, formel, informel)

r : taux d'actualisation À l'équilibre :

EQVi)-Cu = \ W^~"dt avec CM : coût net de l'émigration (supposé fixe).

Selon la logique de ces modèles, c'est le processus migratoire qui alimente le secteur formel urbain en main-d'œuvre. L'idée est que ce processus se poursuit tant que les revenus urbains espérés excèdent le revenu rural. Ces modèles, contribuant à expliquer l'allocation du travail entre les secteurs, peuvent faire l'objet de plusieurs variantes par une simple modification de la forme des fonctions de production. En effet, tout déplacement de la fonction de production du secteur formel urbain a également des retombées sur le processus de production, sur la taille du secteur informel et sur la répartition de la population active urbaine entre les deux secteurs. Les modèles se

(30)

basant sur cette logique suggèrent que le secteur informel est un passage et non un état pendant qu'un grand nombre d'études empiriques attestent une mobilité très faible entre secteurs.

2.2.2- Modèles intersectoriels et dynamique du marché des biens

Pour comprendre l'articulation entre les secteurs formel et informel, il convient d'examiner aussi la dynamique intersectorielle en ce qui a trait au marché des biens. Les répercussions d'un choc exogène affectant l'économie doivent être analysées en fonction de la manière dont celui-ci affecte les deux sphères de l'économie en faisant l'hypothèse de l'existence de liens (en amont et/ou en aval) entre les deux. Dès lors que l'on fait cette hypothèse, la question d'une éventuelle corrélation des cycles économiques entre les secteurs devient centrale. Nous allons analyser trois cas susceptibles de faire comprendre le sens et l'intensité de cette corrélation.

Cas 1 : la demande de biens de consommation s'adressant au secteur informel dépend du secteur formel Les deux sphères de l'économie produisent des biens de consommation. Les ménages qui, pouvant travailler dans l'un ou l'autre des deux secteurs, achètent des biens de consommation finale produits par les deux secteurs. Dans le cas où ces produits sont substituables, un choc exogène qui touche les activités formelles aura des effets contra-cycliques sur le secteur informel, car un déclin de la production formelle entraine une hausse de la demande adressée au secteur informel et conséquemment un surcroît d'activités dans ce dernier.

Si au contraire il s'agit de biens complémentaires, un choc affectant le secteur formel engendre un ralentissement des activités informelles et l'effet serait par conséquent pro-cyclique. Cependant, on peut amplifier ce raisonnement en tenant compte d'un critère lié à la qualité des biens qui renvoie au degré de substituabilité entre les produits. Par exemple, dans un pays où la segmentation est plus marquée, l'effet contra-cyclique parait s'imposer plus en période de récession, alors qu'en période d'expansion les deux types de demande n'augmentant pas au même rythme, le secteur informel ne bénéficie pas autant des effets induits car la qualité des biens est trop différente.

(31)

Cas 2 : la demande de biens de consommation intermédiaire s'adressant au secteur informel dépend du secteur moderne

On peut avoir aussi le cas où un secteur informel fait de la sous-traitance à partir de la demande provenant du secteur formel. Toute situation de crise dans le secteur moderne devrait automatiquement se répercuter sur la branche informelle. Toutefois, empiriquement on a trouvé que l'effet pro-cyclique semble plus favorable aux activités informelles en termes d'emplois dans les pays asiatiques qui ont connu des taux de croissance extraordinaires. La raison est plurielle, d'une part elle s'explique par une insuffisance de main d'œuvre dans ces pays, une situation qui voit le salaire dans le secteur informel augmenter. Dans un second temps, la branche informelle a eu à profiter grandement de ses avantages comparatifs et de sa compétitivité coût pour accroître ses parts de marché.

Deux autres éléments à considérer dans la dynamique d'interactions entre les deux secteurs au niveau du marché des biens seraient premièrement, le nombre de paliers de la sous-traitance et deuxièmement, la forme que revêt cette intégration du processus de production. Plus la chaîne de sous-traitance est longue, plus faiblement les effets du choc affecteront les premiers maillons de la chaîne, car bénéficiant d'une certaine stabilité face à la conjoncture. En ce qui concerne la nature des liens entre firmes formelles et informelles, l'importance de la corrélation entre les deux branches dépend du caractère de ces liens. Dans une logique de sous-traitance verticale, les cycles des deux secteurs peuvent aller dans le même sens de manière serrée; dans le cas où la firme informelle sous traitante se procure elle-même les moyens matériels et humains pour satisfaire la commande (sous-traitance horizontale), les effets des crises peuvent être d'ampleur différente dans les deux secteurs.

Cas 3 : la demande de biens d'équipement du secteur informel dépend du secteur formel

Encore une fois intervient la question de la nature de l'informel. S'il s'agit d'un informel greffé sur le secteur moderne, les biens d'équipement nécessaires à la production du bien informel sont achetés des firmes formelles. Et dans ce cadre là, les répercussions d'un choc sont de nature contra-cyclique. Les produits issus du secteur informel étant de moindre qualité que ceux du secteur formel, en période d'expansion, la demande se tourne presqu'entièrement vers le bien formel; mais en période de récession, le développement du secteur informel est rapide. Si au

(32)

contraire il s'agit d'un informel purement autonome en termes d'acquisition de biens d'équipement, la corrélation est moins évidente [Philippe Barthélémy, 1998].

Le modèle de Hemmer et Mannel (1989) vient avec l'idée de l'existence d'une demande spécifique, propre à un secteur et une demande non spécifique susceptible de se porter sur l'un ou l'autre secteur. Pour la demande spécifique adressée à chaque secteur, la distinction est faite à partir de la nature des biens, alors que dans le cas de la demande non spécifique, les consommateurs seront orientés en considérant le critère prix, celle-ci étant indépendante du secteur qui la produit. Quand les prix sont différents entre les deux secteurs, toute la demande se glisse vers le secteur où le prix est plus faible, jusqu'à ce que les prix s'égalisent dans les deux secteurs. Cependant, il peut arriver, en cas de récession qu'une partie de la demande spécifique perde de sa spécificité et que la demande des titulaires des revenus formels rejoigne le secteur informel. Cette situation va contribuer notamment à la nature contra-cyclique de l'activité dans ce secteur.

2.2.3 - Modèles E G C et dynamique du secteur informel

Face à la complexité des problèmes en économie auxquels on ne peut plus répondre par une simple observation des expériences du passé et devant l'exigence scientifique qui incombe à l'analyste d'aujourd'hui, les économistes ont recours de plus en plus à la modélisation et à l'évaluation empirique. Les études quantitatives sont devenues très à la mode. C'est à ce titre que les modèles EGC ont acquis leur place dans la littérature empirique traitant de problématiques diverses. Les modèles EGC sont largement utilisés dans l'analyse des politiques économiques. Depuis ces deux dernières décennies, ces modèles qui visent à représenter de la manière la plus fiable possible le fonctionnement de l'économie du pays étudié, sont devenus un outil de choix pour l'analyse empirique.

Le propre d'un modèle EGC est de permettre la prise en compte de nombreuses interactions (au niveau intersectoriel) et en particulier d'isoler les effets de différents facteurs. En plus de l'obligation de cohérence interne que nécessite ce type de modèle, celui-ci offre d'autres avantages pour l'étude du secteur informel. D'abord, ce modèle capte à la fois la réaction des agents d'un point de vue micro ainsi que l'impact macroéconomique d'un choc exogène. Un changement par exemple dans les prix relatifs entraine un déplacement au sein de la branche informelle, altérant le niveau et la composition de l'output, ce qui peut affecter d'autres variables comme le revenu.

(33)

Ensuite, la méthodologie utilisée dans ces modèles offre également la possibilité d'une plus grande désagrégation sectorielle, ce qui est nécessaire pour capter les différences technologiques et structurelles qui existent entre branches d'activités notamment dans un pays en développement. Cette désagrégation est particulièrement cruciale pour notre étude qui sépare la branche formelle de la branche informelle. Le troisième intérêt pour l'utilisation d'un modèle EGC est que celui-ci oblige le modélisateur à être vraiment explicite sur la structure des marchés et la relation entre le modèle empirique et la théorie économique. Finalement, ce modèle a un avantage certain sur les autres quant à l'utilisation de données par le fait de ne pas recourir à de longues séries chronologiques.

S'il a émergé au cours des deux dernières décennies une abondante littérature sur la modélisation macroéconomique du secteur informel et des relations intersectorielles, les études en EGC qui traitent du secteur informel ne sont pas légion. On a recensé, entre autres, trois papiers qui font le point sur l'utilisation d'un modèle EGC qui intègre le secteur informel et desquels nous allons nous inspirer dans notre tentative de modélisation du secteur informel dans le cadre de l'économie haïtienne.

L'étude de Brace Kelley [1994], très citée dans la littérature examine le rôle et les implications macroéconomiques du secteur informel péruvien à travers un modèle EGC multi-secteurs. Le modèle, de nature structuraliste, développé par Kelley initie une differentiation entre productions formelle et informelle, à la fois sur le marché des facteurs et sur le marché des outputs. Cette étude identifie les aspects structurels qui génèrent l'activité informelle ainsi que les différences entre secteurs formel et informel. En effet, c'est le manque d'emplois dans le secteur formel qui alimente le secteur informel. L'auteur postule le plein emploi, et il est maintenu par l'activité du secteur informel. En ce qui concerne les biens ou services produits dans chacun des secteurs, ils sont traités comme imparfaitement substituables. Ceci est un trait fondamental du modèle et cette substitution imparfaite entre les deux productions est intégrée à l'aide d'une formulation à l'Armington.

Finalement, Kelley soumet son modèle à trois chocs de simulation afin d'analyser comment l'activité informelle affecterait l'économie d'un point de vue macro et également afin d'évaluer des politiques de support au secteur informel ainsi que l'impact distributionnel des politiques

Figure

Tableau 1 : Estimations de l'économie informelle réalisées avec une méthode indirecte (monétaire)  AFRIQUE/ ASIE/ AMÉRIQUE
Fig. 3 : Évolution du taux de croissance démographique
Tableau 2 : Part des valeurs ajoutées sectorielles (2004-05)  Part des valeurs ajoutées sectorielles dans le PIB
Tableau 3 : Contribution des secteurs à la production et à la valeur ajoutée  Contribution des secteurs à la production et à la valeur ajoutée
+7

Références

Documents relatifs

Dechales établit la plupart de ses règles de chocs inélastiques par un changement de référentiel (un navire sur lequel s’opère le choc qu’observe un

Dans ce cadre, la régulation incitative de la conduite du système incite National Grid à arbitrer entre les coûts de congestions et les investissements de

They varied the flow of oxygen from 2 to 2.3 sccm and showed that the hardness of chromium oxide decreases with this increase of the oxygen rate from 14 to 7 GPa.. Barshilia

« L’ordinateur peut être, pour certains handicapés, le seul moyen consentant d’exercer une sorte de contrôle sur le monde, comme celui d’allumer ou d’éteindre des

Le secteur européen du sucre fait aujourd'hui face à de nombreux défis qui rendent une réforme de l'OCM sucre plus que jamais crédible. Nous examinons dans ce document les

Nous effectuons les trois chocs suivants séparément puis simultanément : libéralisation asymétrique des échanges (baisse de 50 % des barrières tarifaires), migration des

Moreover, the Cryo2SoniC procedure was demonstrated to be a reliable pretreatment method to select a fraction of calcite suitable for dating pozzolana based mortars, moderately

Cependant, les électrolytes conventionnels utilisés dans les batteries au Li interagissent fortement avec le magnésium métallique pour former une couche de surface bloquante à