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L’émergence du questionnement éthique au sein de la
démarche scientifique
D. Vermersch
To cite this version:
D. Vermersch. L’émergence du questionnement éthique au sein de la démarche scientifique. Réunion de l’intergroupe de modélisation moléculaire, Nov 2002, Paris, France. 9 p. �hal-02282269�
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1\I
D
V
L'émergence du
questionnement éthique au
sein de
la
démarche
scientifique
REUNION DE L'INTERGROI]PE DE MODELISATION
MOLECULAIRE
Institut
Pasteur 14Novembre2Û0à
Dominique
Vermerschl
Rnsuvrn
Démarche
scientifique et
questionnement éthique se complaisentparfois
dans unedéstabilisation
mutuelle.
D'un
côtéen
effet,
le
progrès des connaissancesconduit
à
dessituations et
possibilités
techniques inédites, face auxquellesI'intuition et le
discernementéthiques ne peuvent s'imposer d'emblée. De I'autre, les impératifs économiques
influant
surce
progrès
des
connaissancescontribuent
tout
autant
à
I'extension
du
savoir qu'à
safragmentation.
S'il
en ressort une relativefragilité voire
dangerosité dupouvoir
technique,les interstices
voire
lesfailles
du savoir humain constituent le terreau d'un questionnementéthique, questionnement s'efforçant
d'unifier
à nouveau savoiret
agir humains;
autrementdit,
les deux versants d'une même raison, source commune d'une éthiqueet
d'une science appeléesà
entrer
en
dialogue.D'où
la
nécessitéde
distingueret
d'articuler
les
niveauxontologique
et
épistémologique
de
I'activité
scientifique
afin
d'en
faire
émerger
le questionnement éthique associé.1
1*; Directeur de Recherche INRA, Professeur consultant à IENSAR, Animateur du groupe'Ethos
INRA dominique.vermersch@agrorennes.educagri. fr
DOCUl/lEl{TAIIOil ÉCOliO[i/lIE RURALE
RENI,IES
l.t
o
a
7
I
llillililllilll
ililt
lllllilill
illl
lill
*000300;*
2
fu:tRonucrroN
1.
L'amplification
récente des
préoccupations éthiques,et
notamment bioéthiques, constitue une forme de réaction à un rapport parfois ambigu entre le savoir et I'agir humains. L'espace des possibles ouvert parle
savoir scientifique tend en effet à restreindre cet agir enun pouvoir technique sur
la
naturez, délaissant par là-même la nécessaire orientation éthiquede nos
actions
et
ce, au nom
même d'une
exigencede rationalité
instrumentale. Cet écartèlement traverseI'activité
quotidiennedu
chercheur,exprimant ainsi
le
dépassementéthique auquel est appelée sa déontologie.
Cela
étant,la
démarche scientifique comme lequestionnement éthique procèdent d'une source commune qu'est
la
raison humaine3;
ils
en appellent donc à une même exigence de rationalité.En reprenant la distinction opérée par Lambert (1999), nous pouvons distinguer
trois
niveaux dans I'activité scientifique : (a) un niveau ontologique appréhendé classiquement au
travers d'une démarche réductionniste
;
(b)
un niveau épistémologiquerelatif
au statut desconnaissances
produites
;
(c) un
niveau
pragmatiqueet
éthiquedu
fait
de
la
dimensionproprement humaine de
I'activité
scientifique. Dansla
suite de l'exposé, nous tenterons dedégager ce troisième niveau à partir de I'analyse des deux premiers.
S'aventurer à raccorder démarche scientifique et questionnement éthique nous expose
sans
aucun doute
à
la
controverse,voire
à
un
possiblemélange des
genres. Mélangeaujourd'hui
observable:
pour
les uns,il
y
aurait une science éthiquement correcte;
pourd'autres
a contrario,
un scientisme social serait à même de résoudre(voire
de dissoudre) lesouci éthique. Aussi, et pour éviter d'inutiles malentendus,
il
conviendra également de bienpréciser ce que l'on entend par éthique afin d'établir les bases sereines d'un dialogue.
2.
Ln
nnpucuoNNISME" UNE DEMARCHE INCoNToURNABLEAssocier une
qualification
éthique àla
démarche scientifique nécessitetout
d'abordde préciser la nature même de I'activité scientifique. Celle-ci, sur un plan ontologique, tente
de décrire
le plus
fidèlement possible uneréalité
et, par là-même, de déterminer quel type2 cf Bacon : "Scire est posse",i.e, savoir, c'est pouvoir
3 "Il convient de rapporter science et ëthique à leur source commune, qui
est la raison, ce pouvoir en nous qui nous permet de comprendre la réalité et de juger des orientations que nous donnons à notre action.
Il
y a une unité de la raison, mais, selon la terminologie de Kant, il y a deux usqges distincts de lq raison, un
"ttsege théorique", qui est relatif à l'ordre du savoir, et un "usage pratique", qui est de l'ordre de l'action.
Dans son usage théorique la raison détermine ce qui va dans le sens du savoir authentique
;
dans l'usagepratique, elle détermine ce qui prescrit à l'action - pouvoir d'introduire des déterminations nouvelles dans la
d'une réalité une molécule, un
tissu...)
qui n'est perçue et décrite qu'au travers de théories et d'instruments parfois très sophistiqués. En outre, la physique corpusculaire, lamécanique quantique ont conduit à
diversifier
les concepts et les critères mêmes de réalité,eu égard notamment
à
la
< non-séparabilité)
absolue entre l'espaceet le
temps, entre lamatière et
l'énergie...
Il
n'empêche,toute
descriptionde
la
réalité
semblerester
fidèle
à
un
principehiérarchique visant à
définir
des niveaux supérieurs àpartir
de niveaux plus fondamentaux.Ainsi,
et pour rester dans le domaine de la physique,(
toutela
réalité matérielle est censées'expliquer au niveaufondamental
par
des quarks, des leptons (électrons, muons et tauons)et quatre
interactions fondamentalesqui
rendent
compte desforces
exercéesentre
lesparticules
de matière#.Il
enva de même pour la chimie, pour la biologie, qui peuvent êtredonc
< réduites>
selon
cette mêmelogique
à
de
la
physique;
de
même encorepour
lascience économique
qui
emprunteranotamment
à
la
physique newtonienne
afin
dereprésenter en première approximation les interactions marchandes.
Ainsi,
I'approche
dite
réductionniste consisteà
représenter(à
réduire)
la
réalitéétudiée par
un
ensemblehietutthite
desyrt.mes
reposant sur des niveaux deplus
en plus élémentairesmais
qui
demeurent objectivables et vérifiables.Le
réductionnisme gouverneaujourd'hui toute
démarche scientifique;
ce
qui
permet
en
outre d'effectuer
les
pontsnécessaires
entre
les
diverses
disciplines
que
croise
par
exemple
la
modélisationmoléculaire
:
physique, chimie, biologie, médecine... ce
qui
lui
vaut
d'êtreun
mode
deréduction emblématique.
La
conception réductionniste
vise
donc toujours
plus
l'élémentaire,
le
niveaufondamental,
afrn
d'assurertoujours
davantageune
"maîtrise
du réel", et par
suite,
uneefficacité
de
I'intervention
humainesur ce
mêmeréel. L'incomparable
déploiement despossibilités techniques rendues possibles au cours des deux derniers siècles écoulés (maîtrise
de l'énergie, vaccins, amélioration génétique des espèces animales et végétales...) témoigne,
si
besoin est,du
succèsde
cette méthodologie scientifique. Comment s'enéloigner
sansrisquer de s'exposer à une gnose syncrétique (Lambert 1999,p. 44) ?
Opérant ainsi, la démarche scientifique substitue à l'élément de réalité étudié un ob.iet
en
quelque
sorte
épuré5,
censéextraire
de
la
réalité
des
caractéristiques objectives,empiriquement vérifiables et à même de faire progresser les connaissances (Ladrière, 2001
p.
155).
L'univers
des particules
élémentaires, soumisesaux
interactions
forte,
faible,électromagnétique
et
gravitationnelle, constitueun type
d'< objet
épuré)), une
réductionscientifique de
la réalité
étudiée, ouplus
communémentun
modèle.Celui-ci
est constituédes certitudes supposées acquises et d'un spectre d'hypothès.r à uérifrer et censées
délimiter
les champs de connaissance encore à investir.
4 Lambert,1999 p.16-17
4
La
procédure de réduction est régie tant parle
réel observé que par les instrumentsanalytiques
validés par
Ia
pratique scientifique
du
moment.
Du fait
notammentde
lacomplexité de ces instruments ou de I'intermédiation informatique, la distance peut s'avérer
importante entre
le
chercheuret
son objet de recherche.Tel
estle
cas dela
modélisationmoléculaire
qui, par
le biais
d'une sorte delogique
d'inventaire, seveut concourir à
uneaccélération
du
savoirvoire
à une exhaustivité.A
court
terme cependant, c'estla
capacitéprédictive du modèle
qui
est testée, la réduction apparaissant d'autant plus pertinente qu'elles'avère capable
d'inférer
et
de retrouverle
plus
largement possiblele
phénomène dans saréalité entière.
3.
RrnucrroNNrsME
ETEvrcrroN
DU sENSA
l'origine du
questionnement éthique associé àla
démarche scientifique se trouvel'éviction
du
sens opéréepar
le
réductionnisme.Isolant en effet les
propriétés jugéesobjectives
d'un objet
ou
phénomèneréel,
la
procédure
de
réduction
en
évacue
sasignification
existentielle6
danslaquelle
s'enveloppe,selon Ladrière (2001,
p.
177),
lasignification
éthique.En
d'autres termes,la vision
réductionnistedu réel
offerte
par
les sciencesélimine toute
référenceà un
sensqui ne
seraitpas
définissableà partir
d'uneréduction à l'élémentaire ; les réductions scientifiques opérées ne renvoient qu'à la portion de
Éalité
étudiée, elles ne sont le symbole (le signe) d'aucune autre réalité.Cette perte de
signification
opérée par le réductionnisme est perçue aujourd'hui avecplus
d'acuitéet
ce,pour
deux raisons. D'unepart,
I'extension des savoirs scientifiques sedouble
de leur
fragmentation. Découlant fréquemment
du
mode
de
réduction,
lafragmentation
du
savoir peine
à
inférer
et à
expliquer
certaines complexitésà partir
deniveaux
élémentaires:
par
exempleI'apparition
de
cellules d'un
point de vue
physico-chimique.
Cette fragmentationdu
savoir entraîne comme mécaniquementla
fragmentationdu
sens que nous donnons àI'activité
de recherche et à ses finalités. D'autre part,l'avancéemôme des connaissances rend plus pressante
la
question du sens des choses, des êtres et deleur
existence;
en
d'autres termes, quela
questiondu
"comment"
à
laquelle s'affaire
lascience attise la question du "pourquoi".
Pour autant, serait-ce donc I'affaire des scientifiques de déchiffrer
et
de donner unsens
à
leurs réductions,
de
"réenchanter"un
monde
qu'ils
auraientcontribué,
d'aprèscertains,
à
désenchanter?7
...
Le
mélange des genrespeut
apparaître rapidementsi
nous6 Ludrièr. 2001, p. 177
7 Cf àce sujet la citation de Jean-Pierre Changeux dans L'homme neuronal,Paris, Fayard, 1983, p. 5l
:
"...les tentatives physicalistes qui consistentà
rechercher les bases physico-chimiques des fonctions cérébrales, s'qvèrent en règle gënérale fécondes. Le pneuma, d'abord esprits animaux, puis fluides nerveux,devient électricité animale, puis potentiel d'qction, enfin transfert d'ions chargés électriquement. La mise en
assimilons
la
démarchescientifique
à
une
"méta-physique"8.La
tentation
est
grande également de faire sortir la démarche réductionniste de son "pré carré".Ainsi
Gouyon (2001,p. 38)
qui
avance I'idée selon laquelle "les individus sont desartifices
inventéspar
les gènespour
se
reproduire"
:
I'inspiration
réductionniste propose
ici ni
plus
ni
moins
undéplacement
du
sujet d'intérêt,voire
de l'être de raison,qui
ne
serait doncplus I'individu
mais
le
gène
porté
à
se
reproduire
et à
se
pérenniser.Ceci ruinerait
I'idée
pourtantobjectivable d'une quelconque harmonie de
la
nature;
celle-ci
au contraire se dégraderait,étant
réduite
au théâtre d'un vasteconflit
entre gèneset
allèlesd'un
même organisme oud'organismes différents. Comme le note cependant Lambert (1999,
p.24-25),la
science"voit
tout
ce qu'elledoit
voir
mais ne voitpas le tout"
;elle
atteint effectivement la réalité mais comme par projection.4.
Lns
nvrpRuNTS RrseuES DU REDUCTToNNTSMEL'histoire
des sciences témoigne égalementque
le
mode de
réduction adopté setrouve parfois importé
d'une
science
à
l'autre.
La
génétique constitue
ici
un
casemblématique
qui
se heurteaujourd'hui
deplein
fouet aux risques avérés de tels emprunts. Censé représenterle
support physique de I'hérédité,le
gène constitueici
l'objet
épuré, laréduction scientifique de la réalité étudiée. André Pichot, auteur d'une histoire de la
notion
de gène
(1999,2002),
situe l'émergence de la notion dans les travaux de Weismann(1892)
et De
Vries
(1889). Les gènesy
sont définis comme les particules élémentaires de la matièrevivante,
composées principalement de protéines, et dont uneinfime
partie constituerait lematériel héréditaire.
Nous
devinons
aisémentici
l'emprunt
fait
à la
physique sous
la
forme
de
lamétaphore
particulaire,
la
physique des particules étantalors
enpleine
émergence.De
lathéorie particulaire de la matière vivante seule a survécu la représentation usitée (i.e le gène).
Avec
les
premierstravaux
mathématiquesde
la
génétique des populationsde
Johannsen(1909),
le
gène se métamorphose en unité de calcul d'hérédité;
il
retrouve une matérialitéavec
Morgan (1915)
qui le définit
commeun
locus,c'est
à dire un
emplacementsur
unchromosome.
Matérialité
doubléede
nouveau trente ansplus
tard
avec Schr<ldingerd'un
ordre physique, celui des atomes d'une macromolécule
qui
avrait une fonctiond'information
etlou une fonction de programme.
Après
Ia
métaphore
particulaire,
voici
la
métaphore
informatique,
égalementconcomittente
à
l'émergencede
cettenouvelle discipline qu'est I'informatique. Après la
découverle
de
I'ADN
comme supportde l'hérédité,
le
gènedevient,
à la
fin
des annéescinquante,
un
segmentd'ADN
régissantla
synthèse d'uneprotéine...
jusqu'au moment oùl'on
s'aperçoit que cette même synthèse est régie également ailleurs :d'où
l'abandon de lacogitations des spiritualistes, ces démarches ne séduisent ni ne réconfortent. Mqis notre propos n'est pas là
; il
est de comprendre commentfonctionne le cerveau."
8 Ivtétaphysique
:
"Recherche rationnelle ayant pour objetla
connaissance de l'être absolu, des6
définition
structuraleau
profit
d'une
définition
fonctionnelle.
Certes,on
peut
arguer deI'intérêt
d'une malléabilité
de
la
définition mais
aussi
de
son
flou
;
ce
qui
alimenterainévitablement en retour les controverses sociales liées aux innovations biotechnologiques.
5.
POUnUNE EPISTEMoLoGIE REALISTE ET CRITIQUELes
exemples précédents de possibles"travers"
du
réductionnismerenvoient
à
ladimension épistémologique de
la
démarche scientifique, c'està dire à
la
conception de laconnaissance
qui
sous-tend cette démarche. Nous reprenonsici
de nouveau Lambert (1999)qui
recense diverses conceptions concurrentes, se distinguanten
fait
dansleur
ambitiond'atteindre ou non
la
réalité étudiée.Ainsi,
une épistémologie dite conventionnaliste nevoit
dans
la
sciencequ'une manière
de
mémoriser
et
de
classerdes
phénomènesou
desobservations, sans
chercher
à
atteindreeffectivement
le
réel-en-soi.
Si
tel
est
le
cas,comment
expliquer alors que des efforts
de
connaissance indépendants,utilisant
des"conventions" différentes, convergent vers une même description de régularités
du réel
;preuve si besoin est que le réel se dévoile et se donne aux efforts
pluriels
et convergents dela
recherchescientifique.
A
I'opposé, une épistémologiepositiviste
ou
scientiste prétendatteindre
latotalité
du réel,le
discours scientifique devenant par conséquentle
seul discoursde
vérité
sur
le
réel.
A
l'évidence, cette conception est exclusive detout
autre mode deconnaissance, rendant
vaine toute possibilité de dialogue
avecpar
exempleles
discoursreligieux
ou métaphysiques. Ces derniers ne seraient qu'une expression de notre ignorance,celle-ci
ne pouvant être résorbée que par la poursuite deI'effort
de connaissance;
à moinsqu'elle soit inhérente aux
limites
cognitives de I'esprit humain.Outre son caractère
totalitaire
avéré,la
conception scientiste dela
connaissance nepeut atteindre certains phénomènes réels tels que justement la signification donnée à un acte,
une
situation...et
ce, depar
le
réductionnismeutilisé. En
effet et
commele
note
encoreLambert
(1999,p.
29),le
processus même de réductiondétruit
l'élément deréalité
queje
souhaite
étudier
i
"Par
l'acte
même d'objectivation,de
réduction, d'analyse,je
détruis la
signification
queje
prétendais appréhender. Un signed'offiction
décomposé en mouvementsmécaniques
et
en
variations de
taux
d'hormonesperd
complètementle
sensdont
il
estporteur. "
(ibid)
Les
limites
voire les
travers
du
réductionnisme
convient ainsi
à
adopter
uneépistémologie réaliste :
I'activité
scientifique atteint effectivementla
réaIité et nous enlivre
une connaissance certaine.
Mais
il
s'agit pour Lambert d'un réalisme critique. En effet, nous n'avons pas inventéla
réalité mais celle-ci se dévoile et se donne à I'activité scientifique quinous en
livre
une connaissance toujours partielle.En
outre et comme nous I'avonsvu
dansI'exemple
du
gène,le
mode de
réductionn'est pas neutre
et
nécessite ensuiteune
re-production
des phénomènes étudiés.Le
modede
connaissanceporte
I'empreintedu
sujet connaissant ; les cadres théoriques que nous nous forgeons etqui
servent à la re-productionprécédente, comportent
toujours
un
peu
d'arbitraire,de subjectif...la
connaissancene
sedonne
qu'autravers
de
cadres constituéspar
des humains,
et
donc
marquéspar
leurs certitudes, leurs convictions, leurs prétentions, leurs croyances...C'est
ce
même arrière-plan
qui
configure d'une certaine manière
le
souciactivité
humaine, pleinement humaine
et
sociale,porteuse
des limites
propres
de
saméthodologie et de son humanité. Un
tel
constat assurs un autrepoint
de raccordement avec1'éthique.
6.
ScrnNcnnr ntnreua
: uNn narsoN covrvruNn ?L'ambivalence
de
certaines innovations technologiquessur
le
bien-êtrehumain, la
difficulté
croissantede
dissocier
la
sciencede
sesapplications
(i.e
la
technoscience),I'importance des intérêts économiques en
jeu,
I'ampleur des changements socio-économiquesinduits
par ces innovations,tout
cela: (i)
catalyse d'unepart
la
quête actuelle de sens que nous souhaitons donner à la poursuite de la manipulation dela
nature, espèce humaine;
(ii)
remet en cause d'autre part
I'affirmation
sans nuances d'une neutralité éthique de la science ;(iii)
renvoie enfin à la liberté et à la responsabilité du chercheur9.La
natare, instuncemorale
?10Porté
par
une
vision
cartésienne,le
"regardscientifique" sur
la
naturea
comme délaisséun
autre regardqui
consistait à appréhender la nature comme une réserve de sens,une entité
à
même depouvoir nous
éclairersur
le
senséthique
des situations,bref
une instance morale.La
nature, instance morale:
il
s'agit certes d'uneposition
vieille
commele
monde, récnrrente etplurielle
(Brague, 1999).Aux
extrêmes, elle peut verser soit dans un empirismeradical où l'éthique se réduit à une conformité au donné scientifique issu de I'observation et
de I'expérimentation, bref à une éthique positiviste. Soit encore à un écologisme radical dans lequel I'agir humain est prié de se conformer à des exigences posées par lanature elle-môme, "soucieuse" qu'elle serait de son devenir et de sa survie : on reconnaît
ici
les courantsliés
àla
"deepecology".
De
telles options
dénient infine
un
espaceeffectif
de
liberté et
deresponsabilité humaines
et
expliquent
I'excessive prudence,voire
le
refus prégnant
dereconnaître une quelconque dimension morale à
la
nature, susceptible d'éclairernotre
agirindividuel
et collectif.Ceci
posé, l'expressiond'une rationalité
mathématiqueinscrite
dansla
nature est largement reconnue par la communauté scientifique ; raison pour laquelle on I'appelle encore"cosmos"
pour
signifier
justement I'existence d'un ordreet
d'uneintégrité
qui
lui
seraientpropres.
Evoquer alors
I'inscription
dansla
natured'une
rationalité
éthique esttaxé
definalisme...
voire
d'uneposition
archaique,inationnelle et
dangereuse.Si
à l'évidence,la
nature ne peut se réduire au nostalgique
jardin
d'Eden, elle en porte néanmoins comme uneempreinte,
celle
d'une
synergie
possible
et
effective entre rationalité scientifique
et9
Co--"
le note avec force Ricæur (2000) "il y a éthique d'abord parce que, par l'acte grave deposition de liberté, je m'arrache au cours des choses, à lq nature et à ses lois".
8
rationalité
éthique11.
Autrement
dit,
entre
le
logos
inscrit dans
la
nature,
déchiffréprogressivement par I'effort scientifique, et un agir humain raisonnable.
C'est sous cet angle que nous nous permettons de
relire
les propos deG.
Paillotin,ancien président de
I'INRA
i
"Je ne veux pasfaire
dufinalisme
un peu simpliste. Je constatesimplement
qu'il
y
a
dela
cohérence entre leslois
dela
nature et quecelle-ci
n'estpas
encomplète dysharmonie avec nos
propres
cohérences sociales."
(Paillotin,
1997). Reprenonsalors
la
nostalgie dujardin
d'Eden, véhiculée parla
nature elle-même, outout
simplementI'image du
jardin
qui évoque un lieu, une demeure où I'on aime séjourner. Rapportons cela àl'étymologie
même du terme éthiquequi
renvoie à I'assertion suivantlaquelle
"demeurer","habiter"
dansun
agir moraljuste
nécessite une "demeure", "un habitat", plus précisément une communauté de convictions partagées. Celle-ci s'incarne dans un ethos social, ensembledes habitudes morales et des normes qui structurent nos sociétés.
La
nature
appréhendéepour une part
comme
un jardin,
comme
une
demeure,fournirait
en quelque sorte une esquisse, une préfiguration de cet ethos, préfigurationà
lafois
investie
et transmisepar I'activité
humaine. Appréhendée dela
sorte,la
natureet
sondevenir
comporteraient en outre unepart d'indéterminationl2,
garunteen définitive
de laliberté et de la créativité humaines.
Il
convient donc de réhabiliter une philosophie de la nature ouplus
exactement uneherméneutique de
la
nature:
"Celle-ci, tout
en respectant scrupuleusement les acquis dessciences, tenterait d'en donner une
intelligibilité,
un sensqui
les débordent.Elle
nefait
queprolonger
le
mouvementde
recherchede
sensqui
commenceau
cæur
de
la
démarchesystémique
mais
qui
ne
peut
s'achever
en elle
(Lambert,
1999)
Ceci renvoie
à
uneperspective
plus
large,à
savoirunir
la
nature dans son déploiement et dans son devenir àI'action
humaine, notamment dans ses aspects éthiques, perspectivemettant en
premièreligne les scientifiques.
Souci éthique et
réinterprétution
Nous avons rappelé précédemment que par I'entremise des procédures de "réduction"
(i.e
de
modélisation) qu'elle
utilise,
la
démarchescientifique dépouille
les
situations àanalyser
de leur
signification
existentielle
;
signification
dans
laquelle
s'enveloppe lasignification
éthique.En
d'autres termes,la
démarche scientifiqueexclut, pour fonder
sacompréhension, les présupposés
qui
sont de I'ordre dela
perceptionou de I'affectif.
Ceciexplique pourquoi
le
sens éthique de situations, rendues possibles parI'activité
scientifique,n'est plus donné de façon immédiate à
I'intuition
éthique (Ladrière 2001, p.149-150) ; ce qui11 Ainsi, les propos de G. Paillotin, ancien Président de I'INRA :
< je ne veux pas faire du finalisme
un peu simpliste. Je constate simplement qu'il y a de la cohérence dans les lois de la nature et que celle-ci
n'est pas en complète dysharmonie qvec nos propres cohérences sociales..rr Conférence de presse à I'occasion
du lancement du cinquantenaire de IINRA (Paillotin, 1997)
s'observe
par
exemple
lors
des
controversessociales
liées aux
nouvelles
possibilitésbiotechnologiques.
Or,
parce que l'éthique est visée dela vie
bonne,il
n'est possible de statuersur
lasignification
éthique d'une situation quesi
elle revêt unesignification
existentielle. Partantdès
lors de
I'univers
des objets
techniqueset
en
s'appuyant
sur les
apports
de
laphénoménologie, Ladrière
(ibid)
propose une piste pour lever I'indétermination éthique ainsimise en
évidence,au
travers des trois fondamentauxde
I'existence humaineque sont
lacorporéité,
la
temporalitéet
I'altérité. C'est parle
co{ps eneffet
que notre existence est enprise sur le monde ; c'est dans le temps que notre existence déploie sa propre histoire et son
accomplissement
;
notre
existenceest enfin
"co-existence"avec
autrui
:
elle porte
laresponsabilité d'elle-même
tout en
assumant partiellement, directementou
indirectementcelle d'autrui dans un souci de solidarité. Ladrière nomme "réinterprétation" cette démarche
ambitieuse, plus conforme selon
lui
à I'exigence de rationalité que le décisionnisme, c'est àdire
l'option
suivant laquelle une instance sociale décisionnelle et normative envient
à
sesubstituer aux normes éthiques usuelles.
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