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La plurivocalité dans le "Cahier d'un retour au pays natal" d'Aimé Césaire /

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Academic year: 2021

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La plurivocalité dans le

"Cahier d'un retour au pays natal"d'Aimé Césaire

par

Michael Edward Hom

Mémoire demaîtrise soumisàla

Faculté des études supérieuresetde la recherche

envue de l'obtention du diplôme de Maîtrise ès Lettres

Dépanement de langueetlittérature françaises Université McGill

Montréal, Québec

Novembre1999

(4)

1.1

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(5)

Résumé

LeCahier d'un retour au pays Dataid'Aimé Césaire

estune oeuvre exprimant les émotions d'un Antillais revenant dans son De. C'est un des textes fondateurs de la Négritude. Comme l'auteurestentre deuxcultur~ celle de son

pays natal, la Martinique, et celle du colonisateur, qui l'a éduquéàla manière des Blancs, la France,ilexprime déjà une dualitéàtravers son écriture. L'écriture se voit influencée également par les différents courants qui l'entourent Ce mémoire de maîtrise analyse un aspect perceptible mais pas défini lors de la lecture duCahier: les voix.Lepays, le retouretla Nêgritude sont trois grandes préoccupations de l'auteur. Ces thèmes sont exprimés sous forme de voix dans (e texte. Après avoir défini cette notion, l'explication linéaire les délimitera dans l'espace et le temps, suivant la chronologie des mouvements du texte. Nous verrons les différents moyens d'expression du narrateur: les changements de tons, les cris, les colères, les pleurs et ('exaltation qui ne sont pas toujours du domaine habituellement oral. Ce travail veut offiir une nouvelle possibilité de lecture duCahier.

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Abstract

RetumtG ml native land by Aimé Césaire

is a poeticNOlehook expressing the emotions of a West Indian coming back to bis island. It is one of the founding texts of Negritude. The author is tom between two cultures, on one side his native Black land, Martinique, on the otherthe colonizer's, who gave him a French education, which predisposes him to a duality through bis writing. Césaire's writing is aIso influenced by different artistic movements that surround mm. This thesis explores a subtle yet perceptible aspect, not normally apparent during one's reading of theNotehook: the vaices. The land, the return, and the Negritude are three ofthe author's main preocuppations. These themes are expressed through voices in the text. After having explained this notion, the linear analysis will define their placeinspace and in time, coinciding with the chronology ofthe movementsinthe text. We will see the ditTerent modes ofexpression ofthe narrator, the fluctuation oftones, from cries, to lOger, to tears, ta exaltation wbich do not always belong to the oral domain. This work attempts to offer a new unrestrictive alternative to the reading oftheNotehook.

(7)

Table des matières

Introduction

1) Voix dupays il) Voix du retour

UI) Voix d'une nouvelle naissance noire Conclusion p. 1 p.6 p.36 p.72 p. 101

(8)

À

ma

mère

et

à

mon père

pourleur patience,

leur aide permanente, leurs conseils et leurs heures supplémentaires incalculables. À ma sœur pour ses lectures etses.corrections.

À Minnie et

à

son

frère

pour leurs histoires.

À

mes grands-parents pour leur aide et leur disponibilité à monégare/. ÀM.

David

Vauclair pournos conversations sur lesujet

À

M. (Sifu) Michael

Gregory

pour

son

enseignement etpour m'avoir

laissé

pratiquerun

peu

de capoeira.

À

Mme Gaudette Durandpournotreconversation sur les

Antilles.

ÀMme Annick Chapdelaine pour ses lectures

et

ses encouragements.

À M.

Aimé

Césaire

pour avoir

écrit

ce cahier qui a changé

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Aimé Césaire, poète noir, martiniquais, ayant vécu sousladomination française toute sa vie offiedansses œuvres ses talents de poète ainsi que ceux d'orateur.Lalangue et la voix sont deux outils indispensables qui constituent les fondations lyriquesde ses poèmes, de ses discours, desespièces, plus particulièrement de sonCahier d'un retour aupays natal.Ce dernier qui fut écrit en 1936et remanié par la suite aétéqualifié d'anti-poèmeetde texte fondateur de la Négritude. Aimé Césaire se démarque parsa verve et son lyrisme impressionnant. C'est un homme pourchassé par la misère de son peuple. Ce texte dépasse les nonnes de la communication. Ces soixante-cinq pages de successions d'émotions fortes exorcisent les démons depuis trop longtemps tapis dans la conscience collective des Antillais.

On voit que même si Césaire n'a pas connu l'esclavage, des séquelles héréditaires le hantent;

son

ancêtre, personnage historique, fut exécutéà

cause

de

ses

tendances

révolutionnaires (Delas, 1991,p. 5).La torturese transmetetles coups de fouets claquent toujours. Certains comme Oelas voient déjà là une prédestination à élever la voix.

Césaire, élève brillant, a su se démarquer très jeune. Les ,piographies qui lui ont été consacrées le montrent comme un enfant calme, travailleuret .tudieux. Ses études lui ont permis de voyager et de rejoindre la métropole en 1931 comme

son

héros;Lautréamon~

l'avait fait avant lui. C'est durant ses annéesàParis que Césaire

se

forge des idées

sur

la route littéraireàsuivre.

Une élite noire, déjà présente lors de l'élection de Gaston Monnerville au postede député, semble se formeràcette époque. Césaire rencontre notamment, lors de son séjour, Léopold Sédar Senghor, grand POèteetfutur président de la république sénégalaise, etse lie d'amitié avec lui. Le pouvoir de la langue semble être une

(10)

caractéristique qui les unit.Leursdestins quoique similaires divergentenplusieurspoints

etCésaire mènera son évolution en solitaire. Ce dernier termine ses étudesetretourneà son île, àson paysnatal, à saMartinique.LeCahierd'UDretour aupaysnatalraconte la nostalgie d'un exilé pensantàla terre de son enfance,àsa famille, aux siens. Ce serait trop simpliste de limitercepoèmeàcette phrase, évidemmentilyabeaucoup plus: une multitude de détails, une infinité d'émotions. Césaireestàl'intersection d'une misère noireetd'un avenir sans couleur. Lecontenuestdense mais universel, décrivant non seulement la douleur ancienne de l'esclave, mais aussi s'étendantàl'absurdité tragique de l'existence humaine.

Rien n'a changé. Dans un monde où les cultures se mélangent, où les ftontieres disparaissent, où les individus fondentetse perdent dans un «melting-pot», leCahier réapparaîtetse relit tout aussi facilement. L'homme cherche toujoursàcombler la distance qui sépare sa réalitéetcelle qu'il aperçoit au loin, les yeux fermés. Le désespoir etla quête d'une vérité permanente sont des buts qui nous unissent. Nous ne voulons pas être seuls. La haine, la colère, la tristesse, l'amour doivent être communiqués. Qui ne peut ras ressentirl'intensi.~ de

sa

joieetde son désespoir? La narration dans ceCahier est empreinte de sautes d'humeurs brusques. Le texteestunrassemblement cohésif de fragments poétiques qui poussent le lecteur, sans qu'il ne s'en aperçoive, dans une cenaine direction.

Comme une pirogue entraînéeparle courant d'un fleuve, la lecturesuitles pensées du narrateur. Certaines sont plusfanestirant violemment sur notre conscience tandis que d'autres sont plus silencieuses. C'est là qu'intervient la notion de voix dans leCahier.

(11)

Le narrateur utilise différents modes d'expression selon ce qu'il ressent au moment même. Le Cahieresten quelque sorte un parcours émotionnel ayant des hautsetdes bas. L'écriture se voit transformée. Si on admet la présence de voix, la lectureestchangée. Cetouvrage poétique devientalorsorganique.Lespages sontdessuccessionsde témoignages oraux. Ce sont des voix qui :rainent dans l'esprit du narrateur, faisant surface à des moment précis. Le styleestperméable à cette pluie torrentielle d'idées. Il est possible de sentir leur présence mais ilestdifficile de les délimiter.

Ladifficulté vient de la superposition des voix. Elles se suivent, intercalées de telle sorte qu'ilestimpossible de détenniner véritablement la durée de leur présence. EUes apparaissent etdisparaissen~ soulignant certains moments importants de la pensée de celui qui raconte. En quoi la poésie du Cahier se ditTêrencie-t-elle de toute autre poésie? Les poèmes par leurs formesetleur rythmicité renferment tous des éléments d'oralité. Le style d'Aimé Césaire oblige le lecteur à lireàvoix haute. C'est une lecture active. Une grande perte se fait sentir si l'on néglige de prononcer ces agencements créatifs de mots. Ces pages sont faites pour être dîtes. Jamais je ne fus aussi poussé à verbaliser de ['écrit. l-.mais je n'ai senti l'âme d'un auteur qui me murmurait: dis-le avectavoix.

LeCahier d'un retour aupaysnatalestune œuvre d'une grande envergureet portée. EUe est riche. Des mots rares se font entendre. Des interprétations infmies du Cahierpeuvent se faireàcause de cette fertilité rythmique, syntaxique, linguistiqueet poétique. De nombreux aspects ontététraités par les critiques littéraires allant de la simple analyseàune lecture filmique du Cahier. Dans plusieurs de ces analyses ces auteurs font part de la présence d'une certaine oralité. On parle en décrivant le style césairien,desa poésieducridansplusieurs ouvrages dont celui d'Annie Urbanik-Rizk

(12)

(1993~p.23)~de son styleoratoire~ de sa magie duverbe parturiant(De11S, 1991, p.4). Toutes ces remarques montrent qu'il y a bien une présence verbale dansI~écriture de Césaire.

L'analyse duCahier d'un retour au pays natalestincomplète sans une étude approfondie sur l'utilisation de la voix. Cet outil qui donne un son aux pensées humaines est en grande partie responsable de l'évolution intellectuelle et sociale de notre espèce. Notre monde serait autrement sans paroles. LeCahieroffie plusieurs types de voix reflétant la complexité de la communication, de la divergenced~opinions àl'intérieur d'un groupeetmême dans la conscience d'une seule personne. Parfois, les voix ne sont pas audibles, doit-on penser alors qu'elles n'existent pas? Elles sont par moments exprimées en extraits, en intonations ou simplement par le contexte. Le lecteur distrait peut penser que la voix du narrateurestla seule «visible» dans le texte. Si on regarde de plus près on remarque que celle-ci n'est pas constante. Des fluctuations ou des

fléchissements de la voix se font sentir pour accommoder les différents contenus. On peut parler de voix narratrices. L'importance de la voixestconstantedansle Cahier. Les champs lexicaux de la voix sont présents durant toute la lecture. Destraces vocales sont présentes et imprègnent le discours du narrateur. Barbara Folkartestune de celles qui explique le mieux cette notion:

La voix, ou isotopie subjective,estl'ensemble des lieux non formalisés où l'énonciateurs'inscri~ en tant que subjectivité, dans l'énoncé qu'il produit. Elle se manifeste, dans le syntagme,àtravers les marqueurs sociolinguistiques, les qualités rhétoriques et stylistiques, l'idéologie, l'axiologie, etc., subjectivèmes caractéristiques d'un idiolecte plus ou moins stable, mais aussi à travers la mise en forme du procès discursif: qui témoigne d'une invention singulière.(F01kart,

(13)

L'analyse adoptera cette définition pour décrire la plurivocalité duCahier. Danscet ouvrage, les voix se manifestentdansun ordre précisetàdesfins spécifiques.D~ un spécialiste de Césaire, qualifie ('auteur d'Homme de parole(Delas, 1991,p.73) et commence son livre par cette citation:

Une parole éclate, une voix nouvelle et étrange retentit. De quel horizon, de quelles profondeurs, de quelle histoire? Où s'ensource son énonciation, où racine la vérité de sondire? (Delas, 1991,p. 5)

L'importance de la voixestcapitaledansl'œuvre de CésairesurtoutdansleCahier. L'horizon, les profondeursetl'histoire sont exprimésdansce poème. Le lecteur peut sentir la vérité et la voir crier, pleurer, lamenter, exorciser et célébrer.

Pour bien comprendre le fonctionnement duCahieretde

sa

plurivocalité il faudra suivre un plan linéaire divisant ('œuvre en trois parties:Les voixdupaysenunpremier temps,Les voixduretouren un deuxième et pour terminerLes voix d tune nouvelle naissance noire. C'est seulement en s'attardant sur ces voix que ('on peut comprendre le mécanisme duCahierainsi que ses enchaînements mystérieux.

(14)

1)Les voix du pays

Dans ce poème prenant la forme d'un cahier, Aimé Césaire rapporte diverses émotions, penséesetopinions qui lui sont propres ou non. Parle-t-il pour d'autres qui n'ont pas de voix, mêle-t...ilsespropres idéesàuncourant depenséegénéralequisemble flotter parmi des Antillais résidant sur l'île ou exilés? Bakhtine définit la voix dans le roman comme ceci:

Le polylinguisme intrLJuit dans le roman (quelles que soient les fonnes deson

introduction), c'est le discours d'autruidansle langage d'autrui, servantà réfracter l'expression des intentions de l'auteur. Ce discours offie la singularité d'être bivocal. (1978,p. 144).

C~estici que l'idée de plurivocalité apparaît. Lors de la lecture, il nous vient à l'esprit que le texte comporte un grand nombre de voix identifiables (dont le nombre est supérieurà

d~d'où l'utilisation du préfixe «pluri») qui «réfractent» les idées de l'auteur, ainsi que d'autres qui ne sont pas les siennes mais qu'il exprime pour d'autres. Pour la formeetle style du Cahier,ilfaut élargir le concept de Bakhtine et pennettre une plus grande capacité et complexité de réfraction dépassant la simple substitution «courante» du discours.

Un peu comme dans lesChanu de Maldorordu Comte de Lautréamont parqui

AiméCésaire fut largement influencé, l'écrit renferme plusieurs types de points de we. Dans le cas du Cahier, ce procédéestutilisé mais cette fois...ci nous ressentons une voix qui s'ajouteàla vision. Lire Lautréamont selon Terray c'est tenir comptedesdistanceset des perspectives changeantes «qui sont incessant[es]dansl'ensemble desChants:pour l'homme le naufrage d'un navireestun drame; pour l'océancetévénement relève de la

(15)

noirs»(Terray, 1997,p. 19).Césaire va plus loin que le simple changement de vision,il

crée une autre dimensionetprocure un contenu à la perspective. Dominique Combe a remarqué qu'une des conséquences de l'influence «ducassienne»estla présence du «bestiaire fantastique duCahier ('hommes-hyiènes', 'hommes-panthères', animaux totémiques, etc) [qui] participe [selon lui] non seulement de la cosmogonie des gestes orales, mais encoredes monstres maldororiens» (Combe, 1993,p. 88).Chaque élément a son interprétation visuelleetson opinion. La première des trois catégories de voixest celle dite du «pays».

Après de nombreuses lectures, on peut s'apercevoir que certaines voix

appartiennent au paysnataletne semblent pas avoir bougé. Elles sont statiques devant d'autres quisontapportées à l'île de la Martinique (comme par exemple-celles provenant d'Europe)etcenes qui n'étaient pas visibles auparavant mais qui renaissent lors du retour. Ces différentes voix n'expriment pas toutes la même émotion. Elles foDt union, se complétant mutuellement afin d'exprimer la totalité de la pensée césairienne, quiest pleine de nuances et de subtilités. C'est pourquoi l'auteur a scindé sa vision en une multitude defragments vocaux, pour assurer une réplieatÎon1parfaitede la <<voix entière» de Césaire.

La première grande voix qui appartient aupaysestcelledelaNature.Les

Martiniquais sont habitués à vivre dans une végétationetun climat tropicaux (autour de 25° Cselon leLaroaNEarnIQgédigpe),dansun ensoleillement annuel presque continu. L'alizé souftle, amène l'humiditéetles pluies à('est;['ouestetle sud seraient

l Letemle<créplieatiOD» estdésipépourexprimerle mouvementdelaaoissaDœetdelamabllationdela

voix comme le dédoublementdeschromosomes..Lemot<<répIic:pJO)n9

estPISemployécar sonseDSme

semble plusstati~

(16)

par ailleurs les régions recevant la plus longue période de soleil. Ces informations non négligeables expliquent l'importance dusolei~du vent, de l'eauetdes nombreux éléments végétaux présents dans le paysetdans le Cahier.

Cesindications atmosphériquesetenvironnementales dépassent le simple rôle descriptif Elles manifestentuneaction qui peutêtre perçue comme uneforce,une opinion, une voix- Évidemment ceux qui ont lu le Cahier savent que les nuagesetl'eau par exemple ne sont pas personnifiés, ne se mettent pas à parler d'une manière directeet évidente employant les guillemets,ettenant la forme d'un dialogue avec le narrateur.

Onne trouve rien de cela dans leCahier.Césaire fait «parlen> son décor par la description dénudée. C'estavec elle que la lecturecommenceet se termine. Lanature au premier abord englobeetagit comme une sorte de rempan qui protège le texte, le dissimule et le code. Cecipeuteneffet décourager certains qui ontpeurde l'inconnuet de l'aventure de poursuivre la lecture. La tournure des phrasesetle vocabulaire employés sont recherchésetpeu utilisésauquotidien :

[... ] j'entendais monter de l'autre côté du désastre,unfleuve de tourterellesetde trèfles de la savane que je porte toujoun dans mes profondeurs à hauteur inverse du vingtième étage des maisons les plus insolentesetpar précaution contre la force putréfiante des ambiances crépusculaires,~tée nuitetjour d'un sacré soleil vénérien. <Cahier d'un retourlUpays ••

tIf.

p.7)

La description comme onpeutle voir

sen

àcréer plusieurs réalités, différents endroitset jeux de lumières. Dece mélange émane un certain nombre d'éléments que ['onnepeut

percevoir qu'enyfaisant très attention, mais peut-on parler de voix?

(17)

Tout d'abord on remarque qu'il n'y a aucun personnage (qui soit externeàcelui du ou des narrateurs) sans pour là dire qu'il y a absence de vies. Aucontraire,ily a une abondance d'activités, mais d'où vient-elle?

Le pays natalestvivant. figrouille de tous les côtés. Même des objets inanimés cachent une certaine énergie. Dumacrocosme du soleiletdes étoiles au microcosme des insectesetdes microbes., une cacophonie de voix se fait entendre. Tout le monde

s'exprime en même temps. Pour Césaire l'expression du réelestaussi importante que celle de l'imaginaire. Le lecteurestenglouti par ce nombre incalculable de voix que nous allons tenter d'énuméreretde regrouperetqui ne cessent de faire du tapage nuitetjour. fin'y a pas de répit.

Cette succession endiablée de descriptions a pour but de nous étoufferetde limiter la respiration mentale de celui quilitÀcela s'ajouteceteffet de continuité «sadique» des voix qui ne veulent pas lâcher leur emprise, coupant le souftle de celui qui lit. Par momentsilya une sensation de chasse, où la plurivocalité prendrait la forme d'un prédateuretoù le lecteur serait obligé de s'échapper en courant(parsa lecture attentive)à travers le paysage martiniquais. L'auteur veut à tout prix angoisser son lectorat en le forçant d'accepter l'existence de ses voix.ficrée ainsi une atmosphère suffocante.

Cela ne veut pas dire que leprocédéestartificiel; aucontrair~ la description semble très naturelle, très automatique, voulant réveiller une partie de l'inconscient. Ce sont des pulsionsetdes idées très instinctives de l'ordre duprimaiquisont déclenchées lors de la lecture. Césaire insuftle le moyen de s'exprimer aux objetsetauxêtres incapables de le faire.

(18)

Les Antilles ont leur voix propre qui se manifeste par leurs éléments.Les

composantes de la nature sont cenes qui lui sont caractéristiques c'est-à-dire le soleil, la végétation, les animaux, l'~ le feu, le ventetla terre. Ces représentants naturels ne sont pas mis en valeur de la même façondansleCahier.Leur force n'est également pas statique,ilya une certaine évolution soit croissante soit décroissante en importance. Cette fluctuation dépend des passages et de ce que l'auteur voulait souligner.

Évidemmen~ ilya plusieurs voix, mais elles ne sont pas toutes égales. Par moments certaines se font entendre plus que d'autres. Nous verrons plus loin comment Césaire arriveàen faire prédominer une par rapport au reste.

Laconfusion, créée par les paragraphes courtsetespacés, sert énormément à renforcercetétat decourseaffolée et cette solitude épouvantable que le lecteur peut ressentir en écoutant toutes ces voix. Le «bruit» par ses provenances multiples acquiert une certaine masse qui peut se traduire en tension primale lors de la lecture. Une avalanche vocale vous pourchasseassoifféepar l'idée d'être entendue. La plurivocalité dans laquelle le texte débute comporte des éléments qui sont présents uniquement sur l'île. Ces voix semblent être des résidentes permanentes de l'ne, qui lui sont spécifiques et le seront jusqu'à sa disparition: (<un fleuve de tourtereUes et de trèfles que je porte toujoursdansmes profondeurs». L'adverbe <<toujours»danscettecitationexplique bien cette fixité infinie et invariable des voix du pays. Ces dernières reconnaissent celui ou ceuxquidébarquent sur l'îleetla nature se met à se diriger vers ceux qui débarquent.

Mais quelles valeurs l'écriture porte-t-eUe envers ces voix qui approchentà grands pas? Césaire sent cette approche, la perçoit comme une attaqueetse rebelle dès les premières lignes duCahier.Elles lui sont désagréables: «Va-t'en, lui disais-je, gueule

(19)

de flic, gueule de vache, va-fen je déteste les larbins de l'espérance. Va-t'en mauvais gris-gris, punaise de moinilloID> (p. 7).Kestelootdansson analyse duCahierinterprète cette citation comme «une réaction spontanée de Césaire», c'est selon elle «le petit matin [qui] apparaît sous une forme policière» (Kesteloot, 1982, p. 24). Césaire se souvenant du «comportement» de son pays se prépareà recevoir les voix qui vont lui <dombeo> dessus. Avant de quitter l'TIe, cette jungle vocale devaitdéjàle tounnenter.firedécouvre avec haine qu'elles sont encorelà, inchangées au premierabord.

L'activité de la fauneetde la flore locales lui étaitàl'origine plaisantes et

innocentes avec ses tourterellesetses trèfles mais elles ontétéperverties pour lui avec le temps. Le soleil qui semble parcourirla nature de ses rayons illumine et détecte tout. Le soleil qualifié de «vénériem> contaminé par une connotation de maladie sexuelle annonce que les voix de la nature ne sont pas ce qu'elles devraient être. En effet, cette nature a besoin d'une cure. Le paysest maladeetson malestprofond. Césaire le ressentetne l'a pas oublié. Les Antilles se meurent. Toutes les couches sont infectéesetles voix sont des plaintes. des gémissements de douleur.

Le problème de l'écrivain est celui de la dualité de ses souvenirs. D'une partil

se souvient de ses perceptions positives mais de l'autre ne peut oublier les visions

négatives. L'écritureestdonc remplie de contraires, de deux réalités qui ontexisté pour le lecteur. Les voix en sont teintées. Lors de la lectureilfaut donc faire attentionà

l'ambiguïté de l'émotion césairienne. L'auteurestfier de la beauté de son pays et

désespéré par les aspects laids qui le constituent.Larépétition du nom propre des Antilles àla page huit duCahierdonne aux

nes

une certaine personnification:

Au bout du petitmatinbourgeonnant d'anses frêles les Antilles qui ontfaim,les Antilles grêlées de petite vérole, les Antilles dynamitées d'alcool, échouées dans la

(20)

boue de cettebai~dans la poussière de cette ville sinistrement échouées.

(p.8)

Ce paragraphe est une voix. La véritable voix du paysestelle aussi attaquée de toutes parts. Les Antilles semblent exprimer une tristesse importanteetréclament par cette anaphore prosaïque: une existence. La description montre leur grandeur tragique, leur beauté inversée. «Les Antilles», prononcé trois fois comme le nom d'une personne, insistentetfont connaître leur présence,leur maux,leur voixquis'éteint, comme une vague qui s'écrase sur la plage.

Ce sont les autres composantes de la Naturequiprennent le relaisetviennent

déchargeràleur tour leur douleur. Les Antilles disparaissent pour laisser place auxeaux,

aux fleurs, auxperroquets de l'île (p.8). La voix de la naturesetransfonne

progressivementenactivité de plus en plus vivante.C'estla vie qui parle :<wne vie menteusement souriante» (p. 8).EUe ne prononce rien. Césaire crée ce tableau d'un brouhaha mais c'est par les gestes perçus, par le visuel que l'on «entend». On nous force

àouvrir les yeux en quelque sotte.

La voix de la natureestune voix d'images, plus particulièrement de métaphores. Césaire fait appel davantageàcetypede figure de style plutôtqu'àdes comparaisons, sûrement pour pouvoir glisser plus discrètement ce qu'il veut direetce qu'il veut faire dire. Le «comme» employé pour les comparaisonsestgaucheetévident.

La premièrede celleseci n'intervient qu'à la deuxième page : «les fleursdusang qui

sefanentets'éparpillent danslevent inutilecommedescrisdeperroquetsbabillards» (p. 8).Le«comme» n'estutiliséque pour rappeler que certaines images, certaines voix ne sont que des associations symbiotiques vocalesentre('auteuretlepays.Lepaysnepeut

(21)

exprimer que le présent tandis que le passéet('avenir font partie du domaine de l'écrivain.

Le pays agit sur le poète qui à son tour devient en quelque sorte un médium, une poupée ventriloque. La nature, ayant des voix «primitives», doit par moment avoir recours à des images tirées de l'auteur pour pouvoir s'exprimer plus clairementetplus intensément.

La page précédenteestunbombardement successifde métaphores: «bercé par les effluves d'une pensée jamais lasse je nourrissais le vent, je délaçais les monstres» (p.7). Ces quelques exemples montrent cet état detranseoùilya intervocalité complète entre le poèteetson pays. Ce dernier l'a complètement absorbé au point où l'îleetlui semblent parler comme si les deux avaient fusionné.

Ne faisantqu'~ les actionssontconfondues et le lecteuradumal àsavoiràqui on parleetàquions'adresse. Les pronoms personnelsseréÎerentàqui? La première page duCahier,avecsesinsultes «gueule de flic, gueule de vache» qui semblent être prononcées àuneprésence invisible,peutdonner l'impression que le narrateurestfou. Ce dernier tutoie quelqu'un, mais qui? Personne n'est dans les alentours. Ce n'estpas(de petit matim) comme avance Kesteloot qui fait réagir le poète ainsi, c'est le pays. C'est

aussicette même üe qui l'oriente: «Puis je me tournaisversdes paradis pour luietles siens perdus, bercé par les eft1uves d'une pensée jamais lasse je nourrissais le vent» (p.7).Cette idée d'unicité vocalecrééeàpartird'unmélange de voixestbien illustrée ici. L'auteurestune partiedupaysetinversement.

Ce déferlement d'imagesdansl'écriture ne se limite pasàune topographie

spécifique. Lanaturea ses voix,laville a les siennes. Ce ne sont pas les mêmes.Laville

(22)

est un deuxième aspect des voix du pays. Cette voix urbaine n'est en fait qu'une continuation des voix provenant du règne végétal. La ville n'est qu'un prolongement modifié de la natureetnon un monde à part. Les territoires humains sont amenés dans le Cahierpar une version du leitmotiv plus imagée «Au bout du petit matin, cette ville plate - étalée...»(p. 9).Cette légère différence se manifeste dans le reste de la description d'une manière fluide, sans aucune coupure véritable. Le véritable changement se produit au niveau du vocabulaireetdu rythme modifiés.

Cette rupture de l'homogénéité stylistique permet la création de cette autre voix, celle de la ville par opposition à celle de la nature. fifaut bien comprendre que la villeet la nature sont comme deux arêtes d'un même cube c'est-à-dire: ensemble elles

constituent le pays mais en représentent différentes facettes. Ces dernières peuvent s'opposer si elles sont prises séparément. Ces séparations locatives sont nécessaires pour faire ressentir un changement d'atmosphère. Les différences, ajoutées progressivement en paliers dans l'écriture, servent à unifier les deux mondes.

Même si les deux sont unies elles ne «parlenb) pas toutàfait de la même chose. Chacune se concentre sur des aspects différents d'une discussionquine paraît pas évidente au premier abord. Ce changement de lieu permet au lecteur de voir plus précisément les mécanismes employés pour créer cette multi-vocalité. C'est en

comparant les deux thèmes que nous voyons le procédé employé par('auteur.Onyvoit aussi son utilisation de la description comme lienentreles voix naturelles des îleset celles des villes.

Les voix du pays s'entrelacent. Leur spécificitéesttout de même maintenue et le lecteur n'a pas de mal à les reconnaître. Césaire, à la page neufaccordeàlavineetàses

(23)

gens des voix qui sont des cris «de faim, de misère, de révolte, dehaine,cette foule si étrangement bavardeetmuette». Encore une fois, c'est rimage qui parle. Les habitants hurlent (physiquement) mais n'expriment rien, ce sont leurs cris, leurs actions qui nous parlent.

L'auteur n'attache pas beaucoup de détails aux sentiments ou aux environs, ce sont les détails qui amènent àagiret qui valent la peine d'être décrits. «Lafoule», qui apparaît àla page neu( n'a comme élément descriptifque le terme qui la désigne. L'accentest mis sur ce qu'elle émet «cette foule criarde si étonnamment passéeàcôté de soncri

comme cette villeàcôté de sonmouvemen~ de son sens, de son inquiétude» (p. 9).fin'y a que des actants vocaux informes, la précision est peu importanteetréduirait ce

sentiment d'amalgame, de mélange «gélatineux» des voix.

Ce dernierestadmirablement ponctué, ce qui lui donne un rythme et une profondeur. L'âme des voix réside en partie dans leur rythme, comme nous l'avons vu dans leCahier à propos du passage sur les Antilles(et:p. 6). La forme duCahiermême implique un certain rythme: succession de petits paragraphes bien espacés qui sont en réalité la représentation poétique d'associations mentales provoquées par un leitmotiv: «Au bout du petit matim) (p. 7).Cette forme «hachée» du CRPNetson contenuàl'apparence directe donnent l'aspect d'un«criqui doit aider d'autres hommesàse libérer. Sa ponctuationestdonc son soutlle mêmeetson exactitude dans le détail importe peu» (Condé, 1978, p. 62). La descriptionestimagéeetle détail est uniquement métaphorique.

Lorsque Césaire tente de faire des transitions entre la villeetla nature, il décrit deux éléments en même temps, ['agencement de la villeetle moral de ses habitants:

son fardeau géométrique de croix éternellement recommençante, indocile à sonso~

muette, contrariée de toutes façons, incapable de croître selon le suc de cettet~

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embarrassée, rognée, réduite, en rupture de fauneetde flore. (p. 9)

Les Martiniquais bien que prenant delaplace au niveau géographique ne sont pas

capables de s'imposer verbalement et d'élever leur voix comme le paysage naturel peut le faire. C'est pourquoi celle-ci ne dispanul jamais entièrement.Lepaysestlà pour aider,il

agitcomme un support vocaletse mêle aux autres voix.Onpeut comparer ce phénomène au rôle des tonalités basses dans un orchestre qui font surface de temps en temps mais qui ont pour rôle d'unir lesautressons pour éliminer les vides, les espaces silencieux entre les différentes fréquences sonores.

Une autre façon de représenter la plurivocalité dans leCahierestde voir ce dernier comme un bocal auquel on ajoute divers liquides de différentes densités.

Certaines voix flottent au-dessus des autres tandis que d'autres sont au fond. Le début du Cahier représente un des rares moments durant la lecture d'une certaine séparation nette et longue des catégories de la «voca1ité». Césaire, chefcuisinier de la voca1ité, n'a pas encore commencéàmélanger les voix. Plus on avance dans leCahier, plus les voix interrompent d'une manière plus courteetsont plus variées. Le nombre de voix aussi augmente avec les pages, jusqu'à ce que l'on arrive vers lafi11, où le phénomène inverse commenceà se produire. On retrouve les voix originelles du début et leurs interventions s'allongent en raison de la diminution de la quantité de voix.

La présence des voix du pays ne peut pas être délimitée en panies. On ne peut que parler d'apparitions et de disparitions temporaires puisque leCahiereststructuré de mouvements qui se superposent. LeCahierestconstitué d'une plurivocalité tressée. La voix du paysestprésente au début, disparaît momentanément au milieu et réapparaîtàla tin du texte pour conclure.

(25)

n

est difficile d'analyser le Cahier en sectionseten ordre chronologique. Si on veut bien définir lesvo~ ilfaut les suivre uneàune et étudier leur évolution. Kesteloot ['a bien compris dans son analyse du Cahiereta élaboré un tableau où figure sur un axe spatio-temporel la succession des lieux. Selon ses colonnes qui montrent bien les directions du texte, le Cahier commence avec les «Antilles» suivi de ce qu'elle appelle 1'«Univers», le «Monde Nain) etensuite on revient aux «Antilles» (Kesteloot, 1982, p.

40-41).La voix refait surfaceàla fin du texte. Tout est constant de l'extérieur, les changements ont lieuàl'intérieur.

Les lieux agissent comme un encadrement aux voix.Lavoix de la natureetcelle de la villeetleurs nombreuses composantes ne sont actives qu'en profondeur. Si on survole

le pays, on peut ignorer l'existence dumal. Les voix ne portent pasloin~Leur destinataire principal est le peuple de la Martinique et ensuite les auditeurs étrangers qui prennent la peine d'écouter unpetitmoment les murmures, les signes de détresse, d'une petite ile.

Le pays natal éclate d'une manière physiqueetcetéclatement se fait sentir aux

niveaux de la description, des opinions, des voixetdoncilestpossible de passer d'un

moment de tristesseàun moment de colère entre un paragrapheetcelui qui le suit. L'espace entre ceux-ci accentue l'individualité vocaleetdiminue l'aspect de cohésion qui pourrait exister. Une schizophrénie vocale n'intervient que lorsque lelecteurest

véritablement plongé dans le texte. Ce-demier peut penserqu'ilestsur une quête de la

véritable voix:, cellequiexplique toutes les autres. Cecipeutse révélervraiou faux aufur

etàmesure que l'on progresse. Une fois la ville décrite sommairement, le temps s'arrête

etnous révèle les voix du passé.

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Latroisième voix du pays est bien celle des ancêtres.LaMartinique, peuplée d'esclaves noirs d'origines africaines amenés pour travailler la terreetde colons blancs venus dirigeretexploiter des êtres humains comme de la marchandise, est une île aux multiples sources culturelles. Même si les temps ont changéetles peuples d'Europe et d'Afrique ont modifié leur mémoire collective, le pays martiniquais garde les souvenirs des sociétés dupassé. Césaire a toujours ce souvenir de l'Africain dominé par l'Européen blanc. Cela fait partie d'une mémoire collective. Un peuple opprimé depuis trop

longtemps ne peut pas oublier facilement. Lalibération des Noirs ne s'est toujours pas faite et l'on semble attendre qu'elle vienne: «Dans cette ville inerte, cette foule désolée sous le soleil, ne participant à rien decequi s'exprime, s'affirme,selibère au grand jour de cette terre sienne» (p. 10).

Tout de suite après, par associations d'idées, l'impératrice Joséphine est mentionnée. Cette figure, née aux Trois-Îlets en Martinique en 1763, est symbole de la domination française et de la stagnation culturelle des Martiniquais. Napoléon s'adressant àses soldats lors de la campagne d'Egypte faisait allusion aux pharaons du passéetdisait "Du 118ut de ses pyramidt.> quarante siècles vous contemplent». Le narrateur lui aussi ressent cette voix qui traverse lesâges. Une influence de la citation bonapartistesefait sentir par les phrases suivantes: «Ni à l'impératrice Joséphine des Français rêvant très au-dessus de la négraille. Ni au libérateur figé dans sa libération de pierre blanchie. Ni au conquistadoo) (p. 10).

Lavoix du vieux continent «blanc» résonne à travers la Martinique. Pas un citoyen de cette île ne peut le nier. Les négations ajoutent de ('ironie.Larépétition de<MD>a pour but d'effacer l'existence de ces idées. Cette insistance s'apparente

w

comportement

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d'un malade qui s'auto-suggestionne en répétant qu'il ne souffre pas, pour pouvoir se proclamer guéri. Procédé illusoire même si une guérison peut éventuellement en résulter. Lepays ne pourra se libérer avec ce type d'attitude.

On retrouvedansla ville un grand nombre de problèmesetles possibilités d'y échapper ne sont que temporaires. Ce jeu de négation du passé ne peut durer longtemps puisque les voix du présent crient trop fort. Le mal et les craintes qui l'accompagnent se font entendre: «cette ville et ses élu-delà de lèpres, de consomption, de famines, de peurs tapies dans les ravins» (p. 10). L'amoncellement se concrétise en une forme, celui du «morne oublié», porte parole de la nature en péril. Il apparaît discrètement pour la

première fois à la page dix. Àune première lecture, le lecteur ne sachant trop que faire de ce nometdes images qui l'accompagnent, peut le négliger par inadvertance.

Le morne, figure omniprésente, ayant toutw ettout vécu sur l'île,estun volcan qui fait semblant de dormir, attendant un moment propice pour se réveilleretéclater. Le jour du réveil arrive-t-ilàgrands pas? Avant que ce moment ne vienne, le morne cherche

sa propre voix, empruntant différentes «personnalités» à d'autres entités qui résident sur :ïle. C'est ce que j'appelle un effet de trans-vocalité, où la voix poussée par:e mal qui l'entoure suit un parcours similaire aux visions des shamans d'Amérique où le «shape-shifting»esttrèscourant. lei, ce ne sont pas les corpsquise transforment, mais les voix. La coopération entre les élémentsestremarquable. Il est difficile de savoir si (a fusion narrateur-nature que nous avons mentionnée auparavant a une relation avec ce

phénomène.

Une autre conséquence de cette transmission vocaleestla sensation d'une

propagation d'une onde sonore qui parcourt le pays ayant pour épicentre le morne.

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ci paraît calmeetsoudain «son sang impaludé met en déroute le soleil de ses pouls surchauffés» (p. 10).Le rythme et la voix du morne traversent la nature comme un effet de vaguesonore~ transmispar unfluxvitalinterne. Une fois ce courant vocal souterrain lâché, un climat cataclysmique s'installe: «l'incendie contenu du morne, comme un sanglot que l'on a baillonné au bord de son éclatement sanguinaire»(p. Il). Le morne utilise les éléments pour exprimersacolère.

La transmutation émotionnelle de ce dieu volcanique se poursuit par des images comme:

[... ] le morne accroupi devant

la boulimie aux aguets de foudresetde moulins, lentement vomissant ses fatiguesd'homm~ le morne seul et son sangrépand~ le morne et ses pansementsd~ombre, le morne et ses rigoles de peur, le morneetsesgrandes mains de vent. (p. Il)

On ne peut pas parler de métempsycose puisque les éléments naturels font partie d'un tout. Le morne ne fait qu'actionner les «membres» de son corps, qui sont autonomes mais sont d'accord pour le suivre. Les voix ont une conscience commune mais des âmes différentes. Ces dernières viventenassociation symbiotique avec les autres «locataires» de la nature.

L'idée de transmigrationestéliminée par l'utilisationdela préposition «et», répétéeàplusieurs reprises. Cette liaison sertàunifier les termes mais aussi

paradoxalemen~ àles distinguer. Le morne, chefetarchitecte de l'attaque vocale, choisit les «soldats» les plus expressifsdeson«arméenaturelle», pour venter, foudroyer, vomir

sacolère.Commeles joueurs d'une équipe, chacunparticipeetajouteune nuanceà rintensitéde la réaction..

(29)

Onvoit par la suite que le morne ne semble pas être seul à prendre les décisions.Il

ne faut pasoublier les trois sens possibles du mot morne. Selon

Le

PetitRobertc'est un état de «tristesse morose», «terne», «anneau servant à la lance inoffensive»,etenfin après tous ces sens «français» le sens créole de «Monticule». Jusqu'à présentdansle poème la signification antillaise dominaitetl'effet «contaminateuo> des connotations françaises était limité. Le morne, ce volcan déjà petit par définition s'amoindritetdevient pathétique aux yeux du lecteur si on ajoute les sens les plus courants du terme. Soudainement, l'auteur entreprend de faire ressortir l'influence européenne pour expliquersadouleur.

Lavoix littéraireetadministrative du colon surgitetmontresadomination éternelle. L'emprise n'est peut-être plus aussi importante au niveau physique, mais les Antilles se trouvent encore sous l'emprise de la culture française. Le morneest«bâtard» (p. Il)comme la culture antillaise, prise entre ce qui reste des cultures africaineset française. L'Antillais se dit «des îles»,etnon d'un continent en particulier. Le croisement ethnique ne lui permet pas d'appartenir complètement à un groupe.

Àquel code de conduite doit-on se souscrire sur cette île?Lalangue, que l'ensemble de ce pays possède, n'est plus assez forte pour s'exprimer. Le nerfvital général, qui contrôle l'ensemble de cette langue,estparalysé volontairement :

«nul ne sait mieux que ce morne bâtard pourquoi le suicidé s'est étouffé avec complicité de son hypoglosse en retournant sa langue pour

r

avalen) (p. Il).Le vocabulaire

recherchéetprécisestassociéà ('ordreetaux fondateurs de la languequi,après tout, connaissent mieux les mots techniquesetdescriptifs. L'Antillais doit donc adopter ce

(30)

langage pour se faire respecteretabandonner la voix naturelle du pays. Cette dernière se fond derrière la complexité des mots.

Selon Kesteloot «avaler

sa

langue avec lacomplicitédeson hypoglosseétait une manière desesupprimer qu'utilisaient les esclavessurles navires négriers» (Kesteloot, 1982,p. 30).Cette méthode «ancestrale» a une fonction double, se taireetéchapperà

l'ennemi. Son application moderne estunréflexe face à la douleur: une voixsansvoix. L'abattement généraletles contrastes d'émotions entre les voix sont représentatifs de l'île. Ces résultats sont le produit des croisements culturels.

Le mutisme volontaire semble être le seul recours qui reste pour absorber la douleur trop importante.fifaut la neutraliser. Les voix transporteuses d'émotions doivent disparaîtreetune voix «mécanique», celle de l'écriture, doit les remplacer. Le

comportement des Martiniquaisestsimilaire au pays, ils semblent être devenus muetsà leur tour. La fusion se poursuit, entre les êtresetles éléments: «une femme semble faire la planche à la rivière Capot» (p. Il). Les habitants restent silencieuxàl'écoute des voix possibles de la nature. Cette femme ayant les oreilles dans['eaua l'air d'attendre des instructions, son corps «n'[étant] qu'un paquet d'eau sonore» (p. Il).

Ce ne sont que des sons aquatiques ne possédant aucun ordre syntaxique ou sémantique qui passent sur eUe. L'eau n'a plus de direction précise comme au début: «l'eau nue emportera les taches mûres du soleiletil ne restera plus qu'un bouillonnement tiède picoré d'oiseaux marins-laplage des songes etl'insenséréveib) (p.8).L'eau.,qui a toujours guidé, pour le bien ou pour le malles habitants de cette üe, que ce soitparvoie de négriers ouparvoie de bateaux de pêche, ne dit plus rien.. Le courant s'estarrêtéetun certain statisme règne.

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Onressent un grand calme qui peut provoquer une certaine peur au lecteur. Ce silence inconfortable dérangeetfait contraste avec le «comportement» bruyant du début. L'espoir, que procuraient les voix, semble mortetun ton sérieuxsemet en place.

L'oralité, tradition africaine, symboleetmoyen de préserver l'héritage culturel est abattue par la puissance des écrits selon ce dicton français «les paroles s'envolent, les écrits restent».

La langue académique ne se prête pasàla voix, elle reste plus écrite, froideet formelle. Elle n'exprime pas autant qu'uncriou une intonation. Le lecteur se rend bien vite compte d'une montée rapide de termes aseptisés qui donnent au texte une impression de vide que l'on tente vainement de combler par leur valeur sémantiqueetrationnelle.

Au paragraphe suivant (dernier paragraphe,CRPN,p. Il),des voix de l'autorité coloniale se font entendre. L'instituteuretle prêtre sont présentés avec des négations «ni» similaires au passage sur Joséphineàla page précédente. Nier leur puissanceest

dangereux. Ces voix ont toujours leur importanceàprésent mais leur existence sur l'ne date de bien longtemps. Césaire met ces noms au singulier afin qu'ils soient des

représentants de leur profession. Ces deux postes importants ont fort besoin de leur voix pour enseigneretprononcer des sermons. La seule différenceestque leur voix se construit àpartird'un savoir écrit.

Ces voix ne sont pas naturelles, elles se sont imposées dans la villeetdans la forêt. «Et ni l'instituteurdanssa classe,nile prêtre au catéchisme ne pourront tirer un mot de ce négrillon somnolent» (p. 11)estun exemple de cette domination vocale. La voix de l'instituteur n'existe quedanssaclas~ etle prêtre ne se définit pas sans son contexte religieux.fine faut pas sous-estimer le râbacbage occidental«malgréleur

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manière si énergique à tous deux de tambouriner son crâne tondu» (p. Il). Lecolon ne peut imiter la tradition ancestrale oraled~enseignement du griotetde son tambour.

Lavoix faible duMartiniquais~ d'«inanitioID)(p. Il) s'est enfouie danssonpays «dans les marais de lafaiIl'l»(p. 11-12). Ce manque de nourriture au niveau physique rend le corps passif: Ce cercle vicieux empêche la création d'lune voix autonome. La Martinique restera muettesiaucun effort pour contrer cette carence oppressive n'lest entrepris. La pauvreté ne permet pas d'assouvir les faims du pays: corporelles, intellectuellesetémotionnelles. Elle n'a pas besoin de voix: l'état des maisonsetla saleté s'exprimentàsa place.

L'auteur, au fait de tous ces aspects de la société martiniquaise, connalî aussi les discours sarcastiques qui accompagnent la voix de l'instituteuretcelle du prêtre. Ces deux semblent abuser de la faiblesseetde l'atrophie vocales. C'est ici que l'on voit pour la première fois un procédé qui reviendra souvent, celui de mettre entre parenthèses (les voix cachées de cenains) et d'inscrire une écriture liée à intervalles réguliers :

(un-mot-un-seul-motet

je-vous-en-tiens - quitte-de-Ia - reine-Blanche de Castille, un-mot-un-seul-mot, voyez - vous ce - petit - sauvage-qui-ne-sait-pas-un- seul -des-dix commandements-de-Dieu) (p. 12).

Derrière les raisons intellectuelles d'enseignement se cache la véritable voix du maitre, faceàson élève. C'est cette dernière dont se souvient l'écolier par la suite. fiva même jusqu'là s'en rappeler ainsi que du rythme employé (notons l'exactitude de l"emplacement des tirets). Larépétition de «un mot-un-seul-mot» montre le sadisme de l'instituteuret

sondégoûtpource «petit - sauvage».Lesentiment de sarcasmeetde moquerie perpétuels des institutions face aux colonisés ont enseigné la tolérance de l'horreur.

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Le colonisé doit se souvenir du nom de reines françaises, c'est une de ses leçons de soumission. Blanche de Castille, régente du royaume de France, qui ironiquement nyétait pas vraiment française,estun exemple de cette domination historique absurde. Césaire revendique la légitimité de l'autorité, qui n'a passaplacesurl'île. Ce personnage est insignifiant pour la réalité martiniquaise présente. La faim fait oublier les voix du passéetpermet aux habitants deseconcentrer sur ('immédiat. Ce manque de nourriture qui était unmal àl'origine permet aux jeunes de s'échapperàl'assimilation complète occidentale.

ilsemblerait que la parenthèse ait modifié le discours qui la précédait. Au niveau de la forme la voix se trouve en retrait par rapport au reste des autres paragraphes et opte pour une disposition plus poétique. La faim a l'air d'être glorifiée de manière épique par l'auteur,carla voix des ancêtresetde l'instituteur «s'oublie dans les marais de la faim» (p. 12).Cette dernière protège des insultesetempêche l'étudiant de prêter attention à la méchanceté desonmaître:

etiln'y a rien, rienàtirer vraiment de ce petit vaurielly

qu'une faim qui ne sait plus grimperauxagrès de savoix

une faim lourde et veule,

une faim ensevelieauplus profond de laFaimde ce morne famélique. (p. 12).

Le texte sepoursuitetrevient à une disposition normale avec le leitmotiv «hypnotique») «Au bout du petit matin» (p. 12)indiquant un retour. Comme si le pays n'en pouvait plus d'absorber tous cesmaux,leCahier décrit un vomissement soudain de bêtises, de malheursetde problèmes. L'énumération de termesàconnotations négatives fait plonger l'atmosphère aux enfers. Les multiples voix de douleur dont la nature

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témoigne ne peuvent laisser personne indifférent. Le présent ne renferme que «les prostitutions, les hypocrisies, les lubricités, les trahisons, les mensonges, les faux, les concussions -l'essoutlement des lachetés insuffisantes» (p. 12)qui ne sont que quelques exemples de cette maladie du pays aux symptômes vocaux.

Iln'y a plus d'entrainetl'énergie estsapéeettransformée en tumeur muette, en «scrofuleux bubons» (p. 12)au cou où la voixnaît. Des «pruritS» (p. 12),«microbes»(p. 12),«poisons» (p. 12),tous semblent coexisteretcontribueràla faiblesse au niveau de l'intensité des voix de l'ile. Cette défaillance énergétique est soulignée par lemilieude cette longue phrase «l'enthousiasme sans ahan aux poussis surnuméraires» (p. 12).

Les cellules végétales malades ont même arrêté les rythmes de la nuit qui est devenue «immobile» (p. 13)etoù le «balafon[est]crevé»(p. 13).Cette dernière image

estune allusionàla rupture avec les ancêtres africains qui se seraient rebellés, qui auraient chanté l'injusticeetla douleur deleurpeuple. Latumeurmorale se développeà merveille dans cet univers propice sans voix volontaire: «le bulbe tératique de la nuit,

germéde nosbassessesetde renoncements» (p. 13).

Le narrateur décide de reprendre courageetutilise ce qui reste de sa voix pour

lutteretmontrer la misère. Sa voix s'impose par ['utilisation de pronoms réfléchis de la

premièrepersonnedu singulier «m'apportant»,d'unadjectifpossessif«ma»etd'un

pronom personnel «j'appelle». Cette narrationau «je» avait disparu dèsladeuxième page duCahier(p.8duCRPNenréalité), nous ne la retrouvonsquemaintenant.Lesatrocités du retour ont-eUes endormi le voyageur? Le réveil survient en compagnie de souvenirs d'enfance(p. 13-14). La voix narratrice accroit sa force en se remémorantles«bons»

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mélodique de base active au début revient dans le langage, mais son importance a beaucoup diminué.

Césairen~est plus l'hommedeces souvenirs. Sa voixn~est pas concordante avec celle du pays. C'estpourquoi~ilest facile de repérer ses intonations vocales. Sa présence ne suffit pas pour que les voix des alentours continuentàexprimer leur douleuretà se morfondre dans leur misère. Une voix césairiennesefait entendre, parlant de Noëls passés, et s'adressant aux auditeurs du présent qui nese souviennent de rien ou qui n~ont pas connu cette tète. La faim des pages précédentes disparaît derrièreunfestin gras où : «l'on en boit du réjouissant et il y a du boudin, celui étroit de deux doigts qui s'enroule en volubile»(p. 15).Ce dernier nom a les connotations de l'adjectifhomophone. Le repas amène la conversationdesamisetles voix libres qui les accompagnent.

Les souvenirs sont ressassés, c'est la mémoire individuelle qui nourrit la voix du présent d'espoiretde haine. La flamme vocale s'est alluméeeteUenes'éteindra pas

jusqu~à la fin de ceCahier. En effet, on remarque que le ton des pagesdixàtreize ne se répètera plus. Cela ne veut pas dire que le pays n'interviendra plus. Le narrateur ne lui laissera pas le contrôle total de la fusion. Les rapports de forcesàl'intérieur de 1~association vocale symbiotique ont changé.

La voix du pays suit désormais celle qui narre. Celui qui raconte l'empêchera de s'auto détruire. Des tracesde cette voix défaitiste resteront présentes toutaulong du Cahieren combat constant avec d'autres voix plus optimistes. La voix du pays retàit quelques rechutes par le biais du passé. Les analepses (Genette, 197~ p. 82) vocales, les retoursàdes façons de parlerd~untemps révolu, sont parfois ancrés au milieu de la

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description de souvenirs. Un exemple de ces séquelles est la rupture au niveau de la forme et de ['expression à la page quinze:

de-peur-que-ça-ne-suffise-pas~

de-peur-que-ça-ne-manque,

de-peur-qu'on-ne-s'embête, (p. 15)

Cette voix du passé, que l'auteuraentendue souvent, interrompt la narrationetl'entraine dans ses souvenirs. Cette interruption vocaleestle discours caché de l'angoisse

martiniquaise. On note que les traits d'union sont utilisés comme lors du passage de l'instituteuretde l'élève aux pages onze et douze. C'est l'absorption passive de la peur qui existe depuis trop longtemps ainsi que le manque de confiance en soi en tant qu'individu.

Lanourritureetles plats des tètes sont des analgésiques buccaux. On distrait le mal vocal par des platsetdes boissons aux goûts prononcés des différents types de boudin : «[... ]le béninàgoût de serpolet, le violentàincandescence pimentée,etducafébrûlant etde l'anis sucréetdu punchaulait,etle soleil liquide des rhums [...]» (p. 15).Même les plats doux ont un parfum distinctif. Pendant cet examen des sensationsàvenir au niveau du palais, les gens ne parlent plus, lessonsde leurs conversations ont disparu.

Un bonheur superficiel se metà régner. Le chantetla joie Permettent une

possibilité aux habitants d'exprimeretde s'écar'terdes «tunnels de l'angoisse et les feux de l'enfer» (p. 16).Lavoix donne l'occasion de relâcher les frustrationsetd'exorciser temporairement le mal qui les entoure.C'estle son brut qui importeetnon le contenudu chant qui ironiquementestcelui du «Kyrie eleison» (Seigneur aie pitié).

L'incompréhension des paroles du chantestimportante. Elle permetd~émettre avec la voixetde s'exprimer émotionnellement sans queI~onsoitmalvu par les autorités. Le

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chant des Blancs est le seul autorisé depuis bien longtemps. Les habitants du pays l'ont adopté ne soulignant plus (e côté religieux.

Un champ lexical se présente après ces exercices vocaux. Grâceà ce dernier on nous explique que la voix du paysn'est pas seulement «comprise» par l'ouïe, mais aussi par les autres sens comme la weetle toucher: «Et ce ne sont pas seulement les bouches qui chantent, mais les mains, mais les pieds [... ]etla créature tout entière qui se liquéfie en sons, voixetrythme» (p. 16).La tète deNoëlpermet de s'amuser où «('oncrieetl'on chante comme dans un rêve». Lelendemai~ les choses redeviendront comme elles étaient avant les festivités. Le son des cloches et de la pluie marquent la fin de la «récréatioID> des habitants du pays, ils doivent rentrerenordreetreprendre(eurattitude apathique. L'échoet('insistance descriptive sur ces deux éléments (p. 16-17)montrent combien la voix est importanteetbénéfique mêmeàpetites doses.

Le silence du matin suivant se montre cauchemardesque et silencieux. Tout semble être statique etpourri.Même des actions qui requièrent une certaine expression sont rendues muettes: «Et de petits scandales étouffés, de petites hontestues, depetites haines immenses pétrissent en bosses etcre~) (p. 17). La nature même est dégoutéeetne dit rien. Elle aussi est entrainée par le courant et par cette atmosphère de fonte du pays. Face àdes termes comme «noyades du sol», «cours gluantes», «peintures qui dégoulinent» la nature ne peut que suivre l'attitude de la villeetde ses habitants. On voit que la voix du paysesttrop faible pour s'exprimer, elle se contente de faire des moues faceàcette atmosphère excrémentielle: «les rues étroitesoùle ruisseau grimace longitudinalement parmi ('étron...»(p. (7). L'eau, élément naturel en contact constant avec les habitants, ne bouge pas, qualifiée d'«incertain[e] de tluen)(p. 17). L'air, un autre composant de la

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nature qui reste immobile par le manque d'énergie de l'île :«l'air stagnant sans trouée d'oiseau clain) (p. 17).

Le narrateur ne laisse plus l'état de décrépitude le contrôleretreprend la parole. Il arrive à le faireparassociations d'idées. L'auteur transmet ses propres souvenirs au récit etrétrécit encore plus le champ de vision du narrateur. Lentement, le lecteur est amené au centre césairien de la ville, de sa rueetde sa maison. Encore une fois, nous voyons que la faim empêche la voix de s'exprimer. La misèreestacceptée par le père, lui aussi atteint. Savoix ne s'exprime qu'à l'intérieur desamaisonetn'est dirigée qu'aux siens:«[... ]je n'ai jamais su laquelle, qu'une imprévisible sorcellerie assoupit en mélancolique

tendresse ou exalte en hautes flammes de colère [... ]» (p. 18).Ces changements d'émotions, bien que décrits comme étant prévisibles, rompent la monotonie et l'inactivité.

Lamère qui a l'air de vouloir sauversafamille en pédalantsamachineà coudre, reste fixemalgrétoutetson ardeur ne semble avoir aucun effet.Laprésence maternelle veut combler la faimetpermettreàl'enfant de se réveiller: <e[... ] je suis même réveillé la nuit par ces jambes inlassables qui pédalent la nuit [... ]» (p. 18). Ce réveil neseveut pas seulement physique mais aussi conscient.

Lafaim empêche que le réveil soit complet.Cetétatde somnolence permet de rien dire. Le coma léthargiqueetapathique garde le narrateur muet. Celui.ci observe

seulement. Comme auparavant d'autres voix prennent la parole pour exprimer ce quiest là,dansrair du pays. La voix de ces esprits aideàlasurviedel'TIe.Sadestruction pourrait être imminente.

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Onpourrait croire que ce pays est presque sur le point de se faire incendier. Tout esten place pour un accident: que ce soit la friture aux allures de «tison que l'on plonge dans l'eau avec la fumée des brindilles qui s'envole» (p. 18)ou le lit «avec ses pattes de caisses de Kérosine» (p. 18)ou «un pot plein d'huile un lumignon dont la flamme danse comme un gros ravet» (p. 19).Ces images de feu marquent un lieu fonifié. D'une cenaine façon c'est pour éloigner ceux qui pourraient causer du mal ou porter leur voix négative aux oreilles des habitants. Une colonne potentielle de feu enrobe le dormeur. La dernière image du pot contenant une flamme insectoïde, n'est pas là pour narguer mais pour célébrer l'accomplissement de la fusion habitants-pays.

Le lit est animal et végétal: «comme s'il avait l'éléphantiasis lelit,etsa peaude cabri,etses feuilles de banane séchées,etses haillons». Un cocon naturel se fonneetle sommeil parce que rare, est valorisé. Les voix des Anciens, comme des amulettes, s'ajoutent à celles du payspouraugmenter son pouvoir de protection. Des images comme «Et le lit de planches d'où s'est levée marace,tout entièrema racedecelit de planches» (p. 18)et«une nostalgie de matelas le lit demagrand..mère»(p. 19) sont des exemples decetécranpersonnel de défense. Ces spectres vocaux sont des gardes qui protègent lelit

Ce sont, comme les «Nummos», esprits des mythesdogo~ quiontété

mentionnés dans les travaux d'Arnold (1981, p.168)etde Cailler(1976, p.61-63). Les Dogons, peuple africain, sontconnus parMarcel Griauleetsesconversations avec Ogotemmêli. La parole, transmise par Dieuàses fils les Nummos (ouNommos)~ agitsur lemondeetla vie de l'homme comme une action physique:

Mais on voyait aussi apparaître une notion entièrementnouvelle~ celle de

«Parole»~ dont Ogotemmêli dévoilait le rôle créateur et fécondant au niveau

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cosmique et laissait entrevoir l'impottance au niveau des rapports humains. La civilisation dogon se révélait dès [ors comme une civilisation du Verbe, ce que les travaux ultérieurs n'ont fait que confirmer (Griaule, 1996,p. 15)

Les Anciens ont transmis sans le savoir(etsansque Césaire ne le sache) leur verbe-geste, leur parole créatrice. Les «Nummos) font peut--être partie de ces spectres, de ces Anciens modifiant le réel par les mots. fiest impossible d'anéantircesprésences puisqu'ilya un

peu d'eux-mêmes encastré dans ce meuble. Le«MERCI»(p. 19)en lettres d'or est énigmatique et ironique (Kesteloot, 1982,p.38),mais peut être aussi interprété comme un remerciement aux voix qui contribuentàprotéger les Antillais.

La voix revientàla rueetsonnom qui aunnom inflammable: «Paille» (p. 19). Dehors, dans la rue, il n'y a pas autant de protection. La rue elle même est décrite comme étant une «route coloniale» (p. 19).La nature essaye de nettoyer cetterue,de la rendre plus propreetplus présentable. Lapluie lave les toitsetle vent «épile»(p. 19).Lanature tente de cacher la saleté maisily ena beaucoup trop à «rincer».

La mer qui remonte périodiquement pour écarter les déchets hors de la vue des passants éventuels,a untauxd'absorption limité. Elle nepeutpas tout «avaler». C'est pour cetteraisonqu'eile est obligée de vomir une panie des horreurs de [a villesurla plage. Elle est incapable de se débarrasser d'un problème qui ne cesse de revenir. La mer estmécontenteetsacolèresemanifeste par <da plage nesuffitpasàla rageécumante»

(p. 19).On remarque que la rue alaforme d'une bouche, instrument vocal, où la plage serait un palais qui prépare les saletésàêtre ingérées.Lamer, une salivesalée,agit

comme un solvantetsedépêchededissoudre le plus possible.

Laplageestdevenue une poubelle. Tout nepeutpasêtredigéréetles détritusqui

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saleté se liquéfie passant progressivement de l'état solide, contrôlable,àun état de liquide incontrôlable qui «prend la forme du récipient qui le contient». Déchet sans volonté reste sur placeetassume l'attitude de la plage, de la rueetdes habitants.

Cette mousse qui «glapit» (p. 19)sur le sable devenu noir, qui n'inspire plus aucune rageetqui exprime un certain découragement, montre que le grand nettoyage est loin d'être tenniné. La mer, entêtée, qui voit l'échec de son écume, tente de se battre encore une fois: «la mer la frappeàgrands coups de boxe» (p. 19).

C'est cette page dix..neut: qui par cette progression d'images prépare le lecteur pour la page suivante. La mer mord comme un chien les voix du paysetsemble avaler une partie de leur contenu. On ne peut pas dire qu'elles disparaissent mais elles sont exprimées différemment. Les voix sont contaminées tout d'un coup par associations d'idées provoquées par cette fin de phrase:«etcet autrepetitmatin d'Europe...»(p. 20) qui change complètement la direction duCahier. Les voix servent désormais un autre point de we : celui d'une «surréalité» d'origine blanche. Ce nouveau tournant est bâtià

partir de la plurivocalité d'origine: celle qui comprend la natureetl'île. Ceci n'empêche en rien la présence d'une certaine coexistence: les voix originelles dupaysrefont surface de temps en temps. Elles sont dans le texte,àprésent en majorité transformées, mais par moments les voix sont exprimées de façon inaltérée comme si le mélange n'avait pas été fait uniformément.

Dans cette partie la voix du narrateurestcelle la plus entendue. Le paysest influencé par sa voixetcomme une choralt\ ['île modifie son chant pour accepter les nouvelles tendances du nouveau chefd'orchestre, absent depuis trop longtemps. Une nouvelle énergie prend possession du récit.Lavoix narratrice devient de plus en plus

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morcelée. La vision se rétrécitetle pays ne parle qu'à travers ses images, selon ses volontés. La voix de plus en plus surréaliste contrôle la puissance de la plurivocalité naturelle martiniquaise. Le présent de la description comporte comme nous l'avons déjà remarqué des éléments du passé. Les voix se superposent dans un même champ temporel et se croisent également à d'autres réalités provenant du passé ou de l'avenir.

L'hybridation de réalités enrichit les voix et modifie leur portée. Les plans d'existence vocale recoupent désormais plusieurs lieux et temps.

Le pays est constitué d'une superposition cosmo-temporelle. Le volume de plusieurs sphères réalisantesJestmis en commun.

Le mélange entre les différents espaces chrono-physiques, c'est-à-dire èntre les réalités et leur position chronologique relative, donne au pays une apparence de flou. Les contours de l'île, si on pouvait les voir, seraient un amalgame de trois sphères4,

passé-présent-futur. L'effet d'une hyper-réalité créée à partir d'existences parallèles empilées les unes sur les autres augmente le contenu de la plurivocalité. Cette technique ressemble étrangement à la philosophie du cubisme en peinture, le peintre montre toutes les dimensionsetles facettes d'un objet sur un même plan. La perspectiveestécraséepour nous permettre une vision globaleetunpeudéfonnée permettant au lecteur· de tout entendreetde tout observer, sans vraiment rien voir complètement, comme un des portraits de Picasso de cette époque. Ce n'est qu'une autre illusion delareprésentation d'une voix totale.

3réalisanleS : le termeestinvemé pour exprimer le &itdede\tenirréeletlacréation <runeréalité.

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Les voix du pays inaltérées disparaissent à la pagevin~ laissant place à un nouveau discours: celui amené par les voix du retour. Ces dernières asservissent les voix de ('île, qui ont perduetne retrouveront probablement jamais un état de dominance vocale de l'île comparable à celui du début du Cahier. Ceci ne veut en aucun cas dire que c'est une disparition totale de cette vocalité comme nous le verrons plus loin. Les voix attendent le moment propice pour resurgir à nouveau si l'occasion le permet. Pour le moment, elles doivent suivre l'énergie et la force des nouvelles voix par effet d'osmose vocale. Le rejetetla xénophobie vocale sont impossibles puisqu'ils appaniennent à un fils du pays qui s'est approprié une autre vocalité, celle dont l'appartenance est

revendiquée par un mouvement blanc: le surréalisme.

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m

Les voix du retour

Tout lecteur,à première vue, vous dira queLeCahier d'un retourlUpays natal est une œuvre possédant des caractéristiques surréalistes. La rédaction de cet ouvrage est contemporaine du Surréalisme. Sa préfaceestsignée André Breton, auteur du Manifeste du surréalisme, texte fondateur du mouvement. Le Cahier qui fut écrit environ dix ans après le manifeste serait davantageunreflet de r'évolution surréaliste que de son application. fisemble très difficile de situer véritabLement Césaire au niveau des courants d'écriture.

La question «Césaire est-il surréaliste?» provoque encore maintenant un grand débatparmiles critiques. Que ce soit Combe(1993,p.86),Delas(1993,p. 40),Trouillot (1968,p.46)tous discutent de la validité d'une voix surréaliste césairienne. Tout dépend du type de lecture que l'on fait duCahier. Certainsy verront une allégeanceàBreton, d'autresyverront une indépendance anistiqueayantdes recoupements avec le surréalisme: «Césaire semble entretenir avec le surréalisme une affinité élective, de convergence plus que d'influence») (Combe, 1993, p. 86). Césaireestdonc liéau surréalisme (sans pourtant véritablementl'être). C'est son admiration pour Lautréamont etpourRimbaud qui l'inspire. Ce sonteux sesvéritablesmaîtres.

n

a suivi le même parcours intellectueletpoétique que ses contemporains comme8reto~ Aragon, Éluard, etc.

Trouillot remarque que Césaire emploie l'écriture automatique (technique habituellement attribuée aux surréalistes) pour s'exprimer: «Les termes viennent comme d'eux-mêm~coulent de source.Ossont comme dictés par une voix intérieure»

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