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ARTheque - STEF - ENS Cachan | La communication scientifique et technique au risque de la profan(e)a(c)tion de l'expertise

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Academic year: 2021

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LA COMMUNICATION SCIENTIFIQUE ET TECHNIQUE

AU RISQUE DE LA PROFAN(E)A(C)TION DE L'EXPERTISE

Didier BERGEOT

Groupe d'Étude et de Recherche sur la Science de l'Vniversité Louis Pasteur, Strasbourg

MOTS-CLÉS: INFORMATION - EXPERTISE - CONTROVERSE - PARTICIPATION

RÉSUMÉ: Nous commençons par préciser brièvement les principaux enjeux qui sont intervenus dans la mise en place de la problèmatique de la communication scientifique et technique. En étudiant le rôle de l'expertise dans les controverses publiques, nous montrons les risques de détournement possible du projet initial d'information des profanes. En conclusion nous proposons une redéfinition de l'information scientifique utilisée dans une controverse publique.

SUMMARY : We begin to underline the major stakes that have taken place in the problematics of the scientific and technical communication. Studying the role of expert in public controversy we show the possibilities of diversion of the initial project of scientiflc information. We propose a new definition of the scientific information used in a public controversy.

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1. LA MISE EN PLACE DE LA COMMUNICATION SCIENTIFIQUE ET TECHNIQUE COMME OUTIL PRIVILÉGIÉ DE L'INFORMATION ET DE L'ÉDUCATION DU PUBLIC

Depuis la Deuxième Guerre Mondiale, on assisteàde profonds changements quant au statut de la recherche. C'est ainsi qu'on est passé d'une recherche qui possédait une autonomie importanteàune recherche dont la liberté fait l'objet d'une négociation permanente. On peut en effet voir la négociation entre les scientifiques et la société civile comme un échange conditionnel de promesses et de menaces. D'un côté, il y aurait les scientifiques qui ne veulent pas ou du moins acceptent un contrôle minimal de leurs activités. En échange, ils promettent, souvent de façon implicite, qu'ils tenteront de contribuer au progrès économique et social de la société. Leur argumentation repose en grande partie sur la croyance en la valeur intrinsèque de la science et dans la promesse d'une contribution au bien public. La menace sous-jacente et sous-entendue est que si la société intervient trop dans leurs activités, elle perdra alors tout bénéfice du progrès scientifique.

Pourtant, un contrat de cette nature ne peut être maintenu que si les parties contractantes ont quelque chose de valable àéchanger. L'auto-régulation de la science dépend en partie de la confiance publique. Or, depuis la Deuxième Guerre Mondiale, le contrat de la régulation scientifique a connu une constante érosion. Plusieurs facteurs se sont conjugués dans le sens d'une renégociation de la liberté de recherche. Le premier facteur est l'augmentation de l'ambivalence de la valeur de la science. Au cours des dernières années les questions et les inquiétudes sur les applications et les risques de la science n'ont cessé de se multiplier. Cette remise en cause a entraîné à son tour un questionnement sur l'activité de recherche elle-même. Le deuxième facteur qui va dans le sens de la nécessité d'une renégociation de la liberté de recherche concerne la légitimité de l'autorité décisionnelle en ce qui concerne l'évaluation des risques. Dans ce domaine, beaucoup de scientifiques estiment que l'expertise scientifique est la seule légitime. Cette affirmation de l'importance des compétences techniques et scientifiques comme critère d'autorité semble également être remis en cause. Les implications des biotechnologies, la croissance du mouvement écologique par exemple ont poussé de nombreux groupes sociaux à réclamer une compétence sociale ou politique accrue.

C'est dans ce contexte que, depuis les années 70, les discours revendiquant une large participation des citoyensàtous les niveaux de la vie sociale se sont multipliés, notammentàpropos de la prise de décision en matière de science et de technologie. L'éducation et la présentation des données scientifiques reviennent alors comme un leitmotiv pour apaiser les craintes du public, par rapport notamment aux effets des nouvelles technologies. Une technologie est d'ailleurs d'autant plus redoutable que le grand public a peu de connaissances sur elle. Les gouvernements et les industries se sont donc peuàpeu sentis concernés par les préoccupations et les attitudes du public envers les nouvelles technologies. En formant et en informant les utilisateurs, il s'agit d'enlever aux nouvelles technologies leur caractère mystérieux atïn de les développer et de les utiliser pleinement. L'idéologie sous-jacente à ce projet de la communication scientifique et technique repose sur l'idée que

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l'acceptation par le public est directement proportionnelle aux connaissances que ce public a de ces nouvelles technologies. Ainsi, si le public dispose d'une information objective ou plus complète, cela réduira forcément les inquiétudes. Nous allons maintenant voir que les craintes pourraient bien au contraire être renforcées et non pas dissipées. Pour cela nous allons étudier le rôle de l'expertise dans les controverses publiques.

2. LES CONTROVERSES PUBLIQUES ET LE CHANGEMENT DE PERCEPTION DE L'EXPERTISE

L'idée importante de la communication scientifique et technique que nous avons vue précédemment repose surlepostulat qu'une meilleure information dissipe les craintes du public. Pourtant, si l'on se penche sur un certain nombre de controverses publiques, on s'aperçoit que ces craintes, au lieu d'être apaisées, risquent au contraire d'être développées. Et ceci pour deux raisons principales. La première de ces raisons est liée à l'ambiguïté du rôle de l'expert dans une controverse publique. La deuxième raison provient des conséquences des controverses entre experts eux-mêmes.

2.1 L'expert: entre science et politique

La première raison de détournement du projet de l'infomlation scientifique est liée au rôle qu'occupe l'expert dans une controverse publique. L'expert est en effet perçu comme le porte-parole de la science et du savoir objectif qui lui est attaché. Son savoir est utilisé comme réponse, du moins dans une controverse publique,àdes problèmes d'ordre politiques (politique dans la mesure où des choix économiques, sociaux et parfois éthiques ontàêtre faits). L'expert apparaît de ce fait pris dans un double rôle et de scientifique et de politique. L'ambiguïté de son rôle naît au moment où le scientifique intervient dans un conflit politique et se voit accorder le pouvoir de trancher au nom de la vérité objective, dont il est le représentant privilégié sinon le détenteur exclusif. Ce pouvoir est vraiment politique et jugé par certains comme abusif, non pas parce quelescientifique intervient dans un débat socio-politique, mais parce qu'il va orienter une décision politique au nom de critères qui ne peuvent être que politiques et qui seront présentés comme - et tenus pour - scientifiques. Autrement dit, l'expert fait de la politique sans en avoir l'air, donc sans aucun contrôle possible. L'ambiguïté de l'expertise n'est pas qu'elle soit un phénomène de pouvoir, mais bien le fait que ce pouvoir est incontrôlable, parce que non reconnu conune tel.

2.2 Les problèmes liés aux controverses entre experts

La deuxième raison de détournement du projet de l'information scientifique tient aux controverses entre experts eux mêmes. Si les controverses publiques ne sont pas des controverses scientifiques, il faut souligner qu'elles n'opposent pas non plus le public et les experts. Les prestations d'experts en désaccord constituent un point communàtoutes les controverses. Si nous prenons par exemple les craintes relatives aux manipulations génétiques dans le domaine de l'AD.N.r., ce sont souvent des scientifiques qui ont cru bon les premiers d'avertir l'opinion publique sur les dangers possibles de ces

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applications. Faceà ces scientifiques qui ont tiré la sonnette d'alarme, d'autres scientifiques ont aussitôt répondu qu'il n'existait pas de dangers réels. Le problème dans une controverse entre experts est alors double pour les profanes. Ces derniers peuvent tout d'abord éprouver une sorte de méfiance par rapport aux experts car ces derniers n'arrivent pas à se mettre d'accord sur des problèmes scientifiques. Cette méfiance sera d'autant plus importante que le non-scientifique était venu avec des certitudes quant aux résultats que les scientifiques auraient pu lui donner. Le deuxième type de problème est lié quant à lui à la pertinence et à l'utilité des informations délivrées: informations trop techniques dépassant le niveau de compréhension des citoyens, informations partisanes ou sensationnalistes, informations livrées lorsque les décisions sont prises ou que l'opinion publique est déjà polarisée, différence d'appréciation entre les experts techniciens et les profanes sur ce que les uns et les autres considèrent comme importantà communiquer.

Face à ces divers problèmes que l'on retrouve dans la plupart des controverses publiques, non seulement l'expertise scientifique est souvent discréditée mais on est alors en droit de se demander comment une information plus complète et plus largement diffusée produirait les effets que certains en attendent, notamment d'arriverà un consensus et à une décision "rationnelle". L'information pourrait au moins aussi souvent nourrir les inquiétudes, enrichir et multiplier les argumentaires qu'apaiser les controverses. Aussi, en conclusion, nous proposons une redéfinition de l'information scientifique qui est utilisée dans une controverse publique.

3. VERS UNE REDÉFINITION DE L'INFORMATION SCIENTIFIQUE ET

TECHNIQUE

Les controverses publiques ne se clôturent pas par l'émergence d'un consensus, comme le veut leur représentation traditionnelle sous la forme d'un échange d'arguments, et comme le présume aussi l'image courante du rôle conciliateur de l' "information du public". Ces controverses ont pour objectif une prise de décision par la puissance publique. Or il n'existe pas d'exemple de controverse sanctionnée à l'unanime satisfaction de tous ses acteurs. Une clôture ne survient pas parce que tous les citoyens sont d'accord avec l'option retenue. Une controverse cesse parce que les perdants estiment trop élevés les coûts de poursuite de la lutte.

En somme, en matière de biotechnologies, comme dans le cas des autres technologies controversées, l'infonnation des citoyens s'impose, non pas comme expédient mais avant tout par exigence démocratique. Mais pour ce qui est d'une maîtrise des controverses publiques, les espoirs placés dans une meilleure information du public sont mal fondés. JI ne peut y avoir de recettes, ni de procédés standards pour la gestion de telles controverses. La raison en est simple: une controverse publique ne se définit pas par un contenu qui serait constitué d'arguments échangés, auquel cas tout pourrait être affaire d'information.JIfaut au contraire reconnaître que le contexte et le contenu de la controverse

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sont co-construits dans l'argumentation même ainsi que les informations échangées lors des débats. L'information n'est donc pas statique et évolue au cours de la controverse.

Le problème des controverses publiques est que celles-ci ne peuvent être comprises selon le modèle courant des controverses scientifiques. Les controverses scientifiques sont des débats entre scientifiques, leur résolution est affaire de scientifiques. Les controverses publiques impliquent, quantà elles, d'autres acteurs. De plus, leur raison d'être est de conduire à une décision, souvent même en l'absence d'une résolution des incertitudes scientifiques, et cette décision relève d'abord de la puissance publique et de ses mandataires. L'information ou l'éducation du "public" peut donc ne pas occuper le rôle central qu'on lui attribue couramment. Et de fait, quand des citoyens manifestent des préoccupations suffisantes pour s'exprimer et s'engager eux-mêmes dans une controverse, c'est avant tout pour susciter et orienter une décision. Ils ne sont pas forcément à la recherche d'un supplément d'information, ils sont en attente d'action immédiate.

Nous avons vu qu'il n'est pas vrai qu'une information se voulant objective ou plus complète réduirait nécessairement les inquiétudes. Bien au contraire, parfois, une information plus grande risque plutôt d'augmenter les craintes. Si l'on aborde les questions liéesà la participation et à l'information du publique de manière trop simpliste, on passe alors aisément de l'optimisme au désarroi.

BIBLIOGRAPHIE

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