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ARTheque - STEF - ENS Cachan | La bonne santé, c'est courir des risques

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Academic year: 2021

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LA BONNE SANTÉ, C'EST COURIR DES RISQUES

Guy RUMELHARD

Institut National de la Recherche Pédagogique, Paris

MOTS-CLÉS : SANTÉ - NORMES – COMPORTEMENT À RISQUE

RÉSUMÉ : La distinction entre santé et maladie n'est pas une distinction selon la normalité mais

selon la normativité. L'homme normatif possède la possibilité d'instituer d'autres normes de vie. Ce n'est pas seulement une marge de tolérance par rapport aux variations du milieu. Ce qui caractérise la santé, c'est la possibilité de dépassement. La vie est un concept en attente de sa réalisation. Cette créativité, cette normativité (car c'est une valeur) engendre de l'imprévisible, fait donc courir des risques. La maladie est une épreuve au double sens de preuve (ce qui vérifie la santé) et de lutte (ce qui la menace). La menace de la maladie est l'un des constituants de la santé.

SUMMARY : Distinguishing between health and illness is not a question of normality, but a

question of normativity. Man, being normative, is able to establish new norms of life. This is not restricted to allowing some margins for the variation of their environment. Health is characterised by the possibility of going beyond usual limitations. Life is a concept awaiting its realisation. Creativity, or better, normativity because it is a value, generate unforseeableness and risks. Illness is a trial, both in the sense that it tests health, and that it fight against what threatens it. Threat upon illness is one of the components of health.

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Le titre peut sembler une simple réaction d'adolescent. Je voudrais montrer qu'il y a un paradoxe fort. Mais au préalable, pourquoi prendre le cas de la santé dans une réflexion sur les risques ? Dans les nombreux exemples évoqués au cours de ces journées, certains concernent des risques financiers ou matériels, mais beaucoup concernent in fine un risque d'accident, de maladie, d'intoxication, donc un risque pour la santé, sinon, même, un risque de mort. En fait, en parlant de risque, on est immédiatement projeté en dehors du champ scientifique proprement dit, pour réfléchir dans le domaine éthique ou socio-politique à des questions d'autorisations ou de responsabilité, ce qui ne relève pas directement de notre compétence d'enseignant scientifique. Le cas de la santé est plus complexe car il mêle : les réactions spontanées et inconscientes de l'organisme, les analyses scientifiques et les idéologies médicales.

De plus, si nous n'enseignons pas, bien évidemment, la médecine, sauf dans de brèves allusions, nous parlons inévitablement de santé au sens de fonctionnement normal de l'organisme et aussi de pouvoir de rétablissement au sens de guérison spontanée, dans le cas des infections par exemple. Or il n'est pas possible de définir positivement une science du normal sans réfléchir en premier à partir du pathologique, et non pas en second, le pathologique étant alors une conséquence d'un dysfonctionnement. Nous allons donc rapprocher biologie, médecine et société, tout en restant dans ma compétence d'enseignant de S.V.T., et ceci implique quelques précisions préalables car les

polémiques sont nombreuses et vives.

1. PRÉCAUTIONS, REFUGE ET RISQUE INTELLECTUELS

En tentant de rapprocher biologie, médecine et société, il faut se démarquer de tout biologisme, opération bien connue depuis A. Comte, de tout humanisme biologique, de tout vitalisme, de toute

philosophie biologique et, plus récemment, de toute sociobiologie. Toutes ces opérations sont

suspectées, à juste raison, d'idéologie cachée, de projection d'un point de vue humain sur la biologie (anthropomorphisme) ou, inversement, d'utilisation de la biologie au service d'une idéologie.

Du côté des biologistes, pour éviter ces reproches, la tentation dominante consiste à se réfugier à l'intérieur des limites d'une frontière apparemment claire, celle des résultats factuels de la science et de la simple description des mécanismes ou des lois. C'est ce que l'on fait normalement en physique, chimie ou géologie. On ne peut se réfugier dans le descriptif, par peur du vitalisme, du finalisme ou de l'anthropomorphisme. Trois questions au moins nous obligent à aller plus loin : - La finalité sans finalisme :

Pour F. Jacob, le seul projet de la bactérie, c'est de se reproduire. C'est un projet "de fait", une finalité qui n'implique aucune conscience. Mais, si elle ne se reproduit pas, elle disparaît en tant

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qu'espèce. Pour tenter d'éviter tout finalisme, l'ambiguïté du mot « projet » est remplacée par le vocable de « téléonomie ».

- De même le concept de sélection naturelle (terme mal choisi, car décalqué sur l'activité humaine) est un fait qui traduit un choix, une polarité, une préférence et un rejet, mais sans intervention d'une personne qui réalise ce choix. Dans cette sélection, il y a risque d'élimination, il y a survie provisoire. C'est un fait mais ce n'est pas seulement un fait car le biologiste décrit des mécanismes

d'auto-régulation, d'adaptation qui permettent aux organismes d'échapper aux contraintes du

milieu et, de plus, de créer un milieu. Dans le cas des organes et des cellules, on le nomme « le milieu intérieur ». Et ces mécanismes ont une finalité "de fait", celle de la conservation des organismes.

- De même la thèse positiviste de l’identité du normal et du pathologique (la maladie n'est qu'une variation en plus ou en moins du normal : hypo / hyper) ne saurait totalement réduire les différences entre les deux états, ni faire oublier l'existence de mécanismes biologiques de réparation, et de

retardement à la dégradation. On peut prétendre que les maladies génétiques ou les maladies

auto-immunes ne sont pas des dysfonctionnements, mais simplement des erreurs inévitables dans la logique d'un système de combinatoire ou de copie, on peut prétendre qu'il y a peu de différence entre une tumeur bénigne et une tumeur maligne, il n'en reste pas moins que, en cas de maladie, la reproduction peut devenir impossible et l'espèce risque de disparaître.

Selon G. Canguilhem (1943, p. 156), en renversant totalement la thèse de l'anthropomorphisme, on peut dire que la sélection humaine, la médecine humaine, et, en particulier, les interventions médicales dans la reproduction humaine (pour reprendre les cas évoqués précédemment)

prolongent une activité "spontanée" de la vie. La médecine est une activité technique qui s'enracine dans l'effort spontané du vivant pour dominer son milieu et l'organiser selon ses

besoins, ses valeurs de vivant. Canguilhem utilise ici le terme de valeur. Mais en quoi y a-t-il « valeur » ? « Valeur » dérive de valere qui signifie en latin « se bien porter ». Ainsi la santé n'est pas seulement un fait mais aussi une valeur. Ce qui ne veut pas dire que la santé soit une valeur absolue qui prime toutes les autres. On peut risquer sa santé, et même sa vie, au nom de la liberté. Il ne s'agit pas d'un nouvel humanisme biologique. Cette thèse consiste à se demander si la connaissance de la vie peut nous éclairer sur l'humanité de l'homme. Elle consiste à se demander si la connaissance des mécanismes à l'œuvre chez les êtres vivants peut nous instruire sur la nature de la connaissance scientifique construite par les savants et qui vise, elle aussi, non seulement à recueillir de la matière et de l'énergie, mais aussi de l'information sur le milieu. On pourrait parler de "philosophie de la vie" mais à condition de se rappeler que, pour un scientifique, la vie est un

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n'existe pas » (selon le titre du livre de Kahane). Rappelons que la question ne se pose ni en physique, ni en chimie, ni en géologie, et ce n'est pas une simple banalité de le dire. Il n'y a pas de pathologie, ni d'anomalie, ni de monstre moléculaire. Il n'y a pas de vie des atomes ou de la matière. Les molécules ne meurent pas, elles n'ont pas de projet, ni de préférence. La plus grande conquête de la physique réside bien dans le concept d'inertie (inerte). L'inertie et l'indifférence ne concernent jamais la vie.

2. LA NORMATIVITÉ

La distinction entre santé et maladie n'est pas une distinction selon la normalité, mais selon la normativité. Au moment de l'apparition du mot biologie en 1802, Bichat donne la définition suivante de la vie : « La vie c'est l'ensemble des fonctions qui résistent à la mort » (ce n'est pas une tautologie, ni une banalité, ni du vitalisme naïf !). Il y a l'idée de lutte entre deux entités externes l'une à l'autre, mais aussi l'expression d'une valeur. Vivre, c'est résister aux valeurs négatives, se reproduire, s'étendre, et non seulement se conserver. Selon M. Foucault, Bichat a fait pivoter le regard médical en demandant à la mort compte de la vie. De même, Canguilhem demande à la maladie compte de la santé. Claude Bernard, bien que fermement positiviste, est cependant sensible à l'originalité du vivant par rapport aux sciences physico-chimiques. Il a dit : « La vie c'est la création ; la vie c'est la mort » (1865, 1878), deux aphorismes que l'on peut traduire en termes modernes - la vie joue contre l'entropie croissante. La vie crée de l'ordre, elle est créatrice de ses propres normes de fonctionnement. Elle aboutit à s'autonomiser par rapport aux contraintes du milieu. Pour éviter le mot « vie » et le mot « créativité » (terme à la mode aussi, pendant un temps, en pédagogie, mais qui n'implique pas l'idée de valeur), nous emploierons celui de « normativité » (= créateur de ses propres normes).

Cette conception rejoint celle des psychanalystes pour qui tout individu est un vivant-allant-devenant. Un grand nombre d'expressions faisant une place à cette conception dynamique se retrouvent dans les deux types de discours : le devenir, l'allure, la valeur propulsive, la polarité dynamique, l'histoire non prévisible, la direction, le vecteur, la trajectoire. « La vie est polarité et, par là même, position inconsciente de valeur ». Mais il y a également convergence avec la psychanalyse dans la place faite aux valeurs négatives, à la pulsion de mort, c'est à dire au concept de retour.

On pourrait parler de philosophie de la normativité. La normativité désigne une double activité, une double opération de régulation et de différenciation :

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- différenciation, et « adaptation » en relation avec des milieux différents, de plus en plus nombreux qu'il contribue à créer (double sens ambigu du mot adaptation) ; la normativité est ce par quoi le vivant humain et animal s'individualise.

3. UN MONDE SANS MALADIE (ET SANS RISQUE) N'EXISTE PAS

Examinons maintenant la thèse de l'élimination possible totale de la maladie (donc du risque). Pour se faire mieux comprendre, il faut encore préciser que, dans le domaine des maladies sur le thème

du risque, on entend, dans les discours, essentiellement les concepts de prévention, prédiction, sécurité sociale, assurance maladie, précaution (nouveau terme à la mode). Autrement dit, le besoin de se rassurer par rapport à des craintes, des angoisses. Mais il y a plus : en toile de fond,

se profile un mythe (repris comme idéologie depuis la révolution française selon Michel Foucault), celui d'un monde possible sans maladie (infectieuse, génétique, auto immune, etc.), sans malformations, sans accidents de santé. Un monde dans lequel on n'aurait pas à connaître la

maladie, on n'aurait pas à courir le risque de tomber malade. Cela a conduit à revendiquer un

« droit à la santé », qui devient actuellement une exigence absolue.

Vis-à-vis de la plupart des découvertes biologiques ou médicales, on entend le plus souvent le mythe récurrent de Prométhée, Faust ou Frankenstein. Autrement dit le thème récurrent de la peur, de l'angoisse. On n'entend pas, ou très peu, le thème de la solidarité, de la lutte contre la peur. À l'éthique de la peur de Hans Jonas, D. Lecourt oppose une éthique du risque accepté et assumé, en franche opposition à toute morale de l'équilibre et de la conservation. On ne se pose pas assez la question d'un usage éventuel de ces procédés dans le sens d'un accroissement de la liberté. Je ne sous-estime pas le moins du monde les risques immenses qui menacent. Ce qui ne veut pas dire que des raisons d'avoir peur n'existent pas, que des dangers liés aux transgressions interdites ne sont pas à prendre très au sérieux. Les découvertes scientifiques ne résultent pas nécessairement de transgressions positives qui créent des peurs méprisables. Toutes les transgressions ne sont pas des progrès.

4. LA MENACE DE LA MALADIE EST L'UN DES CONSTITUANTS DE LA SANTÉ

Canguilhem propose un renversement de la thèse selon laquelle l'élimination de tout risque est

possible. La menace de la maladie est un des constituants de la santé. Demander à la maladie

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revendiquer un besoin de la maladie comme mise à l'épreuve de la santé. La maladie est alors une

épreuve, au double sens de preuve (ce qui vérifie, ce qui mesure la santé) et de lutte (ce qui la

menace). Et sans cette épreuve, il naît une maladie par privation de maladie. L'inquiétude de savoir si l'on saura résister à la maladie, tant que l'on n'en a pas fait l'expérience. On peut évoquer ici, rapidement, les conséquences de cette thèse dans le domaine de la médecine, de la physiologie, des modélisations, et de l'épistémologie.

4.1 La normativité en médecine

La bonne santé, c'est la possibilité d'excès, et le sportif offre l'exemple du dépassement, de l'augmentation des marges de vie. Le cas de la personne handicapée qui fait du sport est encore meilleur, car cette personne recherche la moindre réduction possible de ses activités.

Le mythe d'un monde sans maladie rend malade car la revendication d'un droit à la santé rend malade par frustration. L'obsession de la santé parfaite devient, selon Illich, la maladie contemporaine. Si la normativité individualise les réactions, soigner, c'est toujours expérimenter, donc courir un risque.

La norme en matière de psychisme c'est la revendication et l'usage de la liberté comme pouvoir de révision et d'institution de normes, revendication qui implique normalement le risque de folie. La

santé mentale contient la maladie aux deux sens du mot contenir (résister/ inclure).

4.2 La normativité en physiologie et biologie

La physiologie est une science qui doit s'appliquer aux situations variées de la vie : sport, travail, loisirs, milieux extrêmes, famines, camp de concentration. Les constantes physiologiques ne sont qu'une « allure momentanément stabilisée », pas un état stable définitif. Mais sa modification éventuelle ne relève pas d'un changement individuel. Il s'agit d'évolution des espèces. La génétique, c'est le jeu des possibles. Le concept de mutation, c'est le concept d'une potentialité, non pas seulement d'une réalité effectivement observée. Le concept de milieu constitue une pierre de touche de cette thèse : le vivant crée son milieu extérieur ou intérieur. La constitution du sol en est un bon exemple. Les transformations de la terre à l'origine de la vie, également.

Les modélisations mathématiques spécifiques de cette normativité biologique sont les probabilités. La logique du probable est une science de l'espérance et du risque. Sous ce rapport,

elle est authentiquement une science de la vie. Les équations discontinues non linéaires, le langage formalisé de la dynamique qualitative permettent la modélisation d'une double allure normale et pathologique et d'un seuil. Épistémologiquement, le critère heuristique de scientificité, la

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possibilité de développement du savoir, prennent une grande importance, de même les concepts en attente (le devenir latent), et l'auto dépassement.

En conclusion, pour D. Lecourt, « vivre ne consiste pas à réaliser sa nature, car l’Homme serait un être dont la nature serait consisterait à n'en point avoir ». La santé, ce n'est pas lutter contre la peur de devenir malade, ce n'est pas se demander comment vivre pour conjurer le mal radical, mais « que vivre pour développer au mieux les potentialités de la condition humaine ».

BIBLIOGRAPHIE

CANGUILHEM G., Le normal et le pathologique, Paris : P.U.F., 1966.

CANGUILHEM G., Une pédagogie de la guérison est-elle possible ?, Nouv. Rev. Psych., 1978, 17. GAYON J., Biologie et humanité de l'homme, in La biologie est-elle un humanisme ?, P.U.F., 1999.

LECOURT D., Prométhée, Faust, Frankenstein, Paris : Les empêcheurs de penser en rond, 1996. FOUCAULT M., La naissance de la clinique, Paris : P.U.F., 1962.

Références

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