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Le Juif en quit. de .on identit'
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The Jew·, aearch for identity in the worka of Elie Wiesel
ABSTRAC'l'
Franèes Heinsheimer Wainwright McGill University, Montreal Master 's Degree - August, 1973
Almost thirty yeara ago - in 1944 - the eritire Jewish population of Sighet in Rumania"waa rounded up and deported
to Auschwitz. Among this group of persons was a young adoleacent, fifteen years of age, named Eliezer Wiesel. This young man, who came from a background vith strong ties to Haaaidic tradition,
found himaelf, aIl of a sudden, face to face vith the moat terrible event in the history of Judaism.
For the author, the Holocauat called into question hia entire Jewi$h education, and each of his worka is an effort to try to find once again his Jewish roota, as weIl as to adapt
himaelf to life in 8 a~iety that has been radically al tered by
the fact of the Holocaust. This ia the basic theme of this theBisl the aearch for identity of the contemporary Jew.
As a survivor of the concentration camps, Wiesel ha. assumed the mantle of spiritual archivist of tbe Holocaust. As a vitn ••• ,
he feels it is bis r.apon8abili~y to remind th~1World what man
did at AUfJchwitz and, as "hat eould.he called a modern Job,
he
88Ke God what Hie role was durinq the Holocaust. Elie wiesel' 8 ...
role as a witness talc •• him on a pilgrimage to tbe sources of ,-*"
his Jewish experiencelt his ehildhood in Sighet and hi. Ha •• i4ic !
studies, the crisis of faitb he und.rwent in the camp., hie life -I:(~
after 1 iberation and the effort b. ia maki~- to estabU .• h a n . ,';:'
and valid existence for himaelf in today'. world.
--
...
_---~---~---1
1 J. { , r Î « \, 1 ,1 " , j ,--~ YC'_ • , 1 r. iLe Juif
elquête
1de aon identité dans l'oeuvre d'Elie Wiesel
-Francea Heinsheimer Wainwright
McGill University, Montreal
Masterts Degree - Août, 1973
ABSTRAC'l'
Il
Y apras de trente ans - c'était en
1944 -on rassembla
la population juive de Sighet en Roumanie, pour la transporter
à AUSChwitz. Parmi ce groupe se trouvait un adolescent de
quinze ans ayant pour nom Eliezer Wiesel.
Cejeune homme, qui
venait d'un milieu étroitement lié
à
latradition hassidique,
se trouvait, brusquement, face
àface avec l'événement le plus
terrible dans l'histoire du Judaisme.
Pour Wiesel, l'Holocauste devait remettre en question toute
son éducation juive, et chacune de ses oeuvres repr6sente une
tentative en vue de retrouver ses racines juives en même temps
que
des'adapter
lune vie et un milieu entiarement nouveaux:
r ,'.
à
un monde
radicalement~odifiêpar le fait de l'Holocauste. C'est
Il
le thème fondamental de la thèse, la quête d'identité du Juif
contemporain.
Survivant des camps de concentration, Wiesel a assumé le
rôle d'archiviste spirituel de
l'Holocauste~En tant
quetémoin,
il .e sent la reeponaabilit' de rappeler au monde ce
quel'homae
a
commi.
iAuschwitz et, tel un
Jobmoderne, de demander des
comptes
àDieu
pour
Son
raIe
pendant l'Holocauste. Le t6moignage
d'Elit wiesel prend la forme d'un pèlerinage aux
sourcel
de
Ion
expêrience en tant
queJuif.
sonenfance
lSighet et 8e. 'tud ••
has.idique.,
8a
cri.e
8piri~u.lledans les camps de concentratiOft',
sa
vie aprè. la lib6ration
et.1'effoJ't qu'il fait
pour '.e forgeZ' ~une nouvelle existence.
<, • , , . " , ' " . • / , ~\ ,.~ -~.t' '( ~ '}. 1. Jo. .... ,ii' "!:', ~ ~
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NOTES ••
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12
CHAPITRE Iz Elie Wiesel(et la tradition ••••••••••• 13
II()'l'ES • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • .. • • • • • • • • • • • • • •• 45
CHAPITRE III Une analyse de
ce~tain.leitmotiv
dans l'oeuvre, d'Elie Wiesel •••••••••• 48
OOl'ES ••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• 80
CHAPITRE III. Le Juif en quête de son identit6
dans l'oeuvre d'Elie Wiesel ••••••••• 82
JII()'l'ES. • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •• 118·
<:ONCLUS.IOR. • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • ... 120
!I()'l'BS •••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• ~. 128
APPBRDl:CB, Une
conaparaiaon
des ... contes
has.ld~qu..
racont'. par Bli. W1 ••• 1
et
'par.
Martin Buber •••••••••• : •••••••• " 129JIi()Il'JS ... ~. 135 ~BIBLIOGRAPHIB
••••••••••••••••••
•••••••••••••••••••
136
to~,
li ~l
l ' ' ; . ~ , , " " " • .. '1 ~ , , .... -.* .' ' , ' , T, , \ , " Q ' V " : ' < ~i ' ... ,', ,'-, > , , .. ' " " " ,
•
1-Il Y a pras de 30 ans,.- c'ê'tait en 1944 - on rassembla la population juive de Sighet en Roumanie, pour la transporter
a
Auschwitz. Parmi ce groupe de gens qui furent inopinêmentarraché. à leurs prêcieuses tables de Shabbat orn6es de
Damas blanc pour être prêcipit~s dans ltatmosphire êtouffant
des fameux wagons
a
bestiaux, se trouvait un adolescent de15 ans ayant pour nom Eliezer Wiesel. A la veille dt aceeder
l l'âge adulte, le jeune homme fut arraeh'
a
la sêeurit' dufoyer familial et de la chambre d"tude da rabbin où il ."tait
jusqu'alors appliquê d~votem.nt
a
dêchiffrer le Talmud, et i lfut projet' brutalement dans l'atmosph~re infernal
du -Royaua.
des
T'n~bres".
Tout justeparv~~u
au moment crucial deIon
d6veloppement psychiqué, le jeune''Wies.1 ae trouvait faee
a
face avec l"vên . . . nt le plus terrible de l'histoire du
Juda!sme. Kt cet 6v'nement .st re.t'
poar
lui juequ-l ce
jour1 • êv6nement le plus terrible et le plu! in~hen.11Jl ••
Dans une r'cente critique ~tt'ra1r.
d. livre.
pourenfantl ayant pour Ajet l'Boleeauate, 811.
vi
. . .
l •~,,~ ~';::~'i~
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cette 'poque d.. •• vie et l'enfant qu' il
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*10'.' ., ;
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•
2-...
OÙ les enfants n'êtaient pas autorisés
l vivre et Où les vi~illards craignaient
d'êtres vus. Mais les enfants aussi, êtaient vieux. Alors, tous les habitants se rassemblaient. Sauf qu'ils 4taient partagês en deux groupes diatinctes:
ceux qui criaient et Qeux qui tremblaientr
ceux qui frappaient et ceux qui ~taient
frappés. Lea tueurs tuaient, les vic~imes
disparaissaient sans laisser de trace,
presque sans regrets. Car dans Cà pays
triste et morbide, les gens vivaient
et mouraient à la merci du bourreau - et
il y était souverain. Et la vie hu~ine
y valait moins qw'un pain de poussière
et pesait moins qu'une poiqnêe de cendres." 1
Le jeune Wiesel de Buchenwald et d'Auschwitz avait 6tê
un Juif hassidique studieux et d6vot qui se trouvait
brusque-ment transplantê dans un milieu auquel il n'arrivait pa8 l
s'identifier et qu'il ne parvenait pas
A
s'expliquer. Il nepeut toujours pas se l'expliquer aujourd 'hui. Sa vie depuis
lors a 6t' marqu' par un effort constant pour .'identifier
par
rapport A cet 'vêne . . nt. Pour Wiesel, l'Holocau8b! dev.it
remettre en que.tion toute 80n 'duca~ion juive è~ èhaeune de
ses oeuvres reprêaente une tentative de retrouver ••• racin ••
juive. en même t . . p. que de s'adapter l une vi. et un .ilieu
en~i~rem.ftt nouveaux -
l
Uft ROft4. ra41cal . . . nt.odifi6
par
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fait de l'Holocauste. "~-, _'.
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•
- 3
-La thèse est divis~e en trois chapitres principaux, en
plus d'une introduction, d'une conclusion et d'un appendice. Le premier chapitre s'intitule: Elie Wiesel et la tradition.
La tradition juive et plus s~cifiquement la tradition
hassi-dique est l'une des sources d'inspiration les plus importantes dans 1" oeuvre de Wiesel, et toute son oeuvre reflète une
solide ~ducation et une connaissance particulièrement ~tendue
des contes hassidiques - lesquels sont intimement reli~s
A
cette tradition. Ce premier chapitre se divise lui-même en
trois parties distinctes: la première propose une d~finition
du Hassidisme a 1.Dsi qu'une analyse- forc~ment brève - du
mysticisme tel qu'il s'est d'velop~ au sein du Hassidism~.
(La pens~e de Wiesel est profond'men~,influenc~e par le
"
mysticisme, comme il le sera dêmontrê plus loin.) Cette première partie du premier chapitre se termine sur une
comparaison entre les diffêrentes versions d'une même fable
has8idique, telles qu'interpr6t6es par Wiesel, et avant ~ui
par Martin Buber et paf: d' autres. Durant la pr~paration de
cette thèse, nous avons retrouv6 une quantit6 impr.a.ionante
de fables racont' •• dans d •• veraiona diff'rentea par·;.i ••• l
et par Buber. Noua nou. aOMMes
donc
content"
~eciter 1 ••
exempl •• pertinent. clan. cette section et
nou. avons «Jar'"
,
"
•
•
- 4
-plusieurs autres exemples pour les inclure en appendice.
La oe-ux ième- part i p de ce chapi tre concerne l' in :fluence
du Hassidl c;me sur la philosophie de Wiesel. L'auteur a
]ui-m~me d~rlar~ ne sl~tre iamais ~loiqn~ ~l Hassidisme - il est tou iours rlemellrp '-ln Has s id. I l Y en t tou tefois. comme nous le
d~montrerons, nn€' cr 1 SE" dp foi.. à 1 a sui r e de son internement
dans les camps- Nmls rârherons de suivre la progression de ce
lien qui unit Wipse] au Hassidjsme à partir de son enfance à
Sighet, à travers son inrernement et jusqu'à nos jours.
En t roi sième part. ie, nou s discuterons de l ' influence du
Hassidisme sur le contenu de l'oeuvre, comme dans l'usage de
la parabole qui est la forme la plus usitée dans les contes
hassidiques. Cette influence se retrouve aussi dans certains
personnagestypes, comme le mendiant, et le Tzaddik (le sage)
-tous deux tirés du folklore hassidique - qui constituent des
symboles importants dans l'oeuvre de Wiesel.
Le deuxième chapitre ~ïe sur l'analyse
th4ma-tique de certains leitmotiv
~lnous
paraissent dêterminanta dans l'oeuvre de Wiesel. Le premier de ce. thimes est celui dela folie. Pour Wiesel, la folie n'a pa. le sen~ qu'on lui donne normalement. La folie que d6crit Wie •• 1 contient une
vérité sacrée, c'est une lucidit' inaupportable. qui rait que
les foua sont souvent prophat •• et viaioftllaizea.
t.
.ecoo4
';-th . . . qui nous aborderona •• t celui "cha
,
..
•
t
s
-et Dieu, tel que l'auteur le conçoit_ Wiesel ne m-et jamais
en doute l'existence de Dieu. A rausp de cette convicti~.
i] est Cians une situation E»f frayantp qui l ' obI ige à s'interroger:'
puisqup Dieu existe. romment Ausrhwlt7: fut-·il possible? C'est
un problème qui demeure sans solution, mais Wiesel n'en est
pas moins "ohsl>d~ par Diptl" et dans la quête que mène le Juif
pour retrouver son ident i t~ apT~s l 'Holo::- auste, re problème
repr~sente une pr~occupat ion majeurp. Le troisième et dernier
thème qui 8pra discut~ dans ce chapitre est celui du silence.
wiesel distlnque deux sortes de silence. I l y a celui.
con-damnable, dE» l'observat~lr impassible: i l y a aussi et surtout
le silence mystique qui permet de la communicat~on.
Le troisième et dernier chapitre porte le même titre que
la thèse: le Juif contemporain
A
la recho~che de son identit~.La première section de ce chapitre traite du r~le de l'alter~e90
dans deux des principaux romans de Wiesel: La Ville ,de la Chance
et Le Mendiant de J6rusalem. L'alter-ego du protagoniste
occupe un rôle important dans toua 1 •• romans de Wiesel et
nous avons choi.i d'en discuter deux exempl •• qui, nous croyons)
illustretlt en même templl deux de. pr6occupations _jeurea de
1 • auteur 1 le r&le du t6atoin .ileneiewc dan. La Ville 4.
1.
Chag,
et la cr i.e ct' identité du Juif cont.e.porain dane Le lI1m41aa~ ;
4ft .. '
J6rusa);_. La deux! . . partie da chapitre traite 61 ce . . . AOU', ",
.. ~ ,1: ... 1 l'
Jtt a A ,
"
.
- 6
-•
'~croyons être le resultat de la quête des protagonistes de
Wiesel:
sa
propre vue de l'humanisme.
Comme nOUs aurons l'occasion
denous r'fêrer
àpresque
toutes les oeuvres de Wiesel dans cette thase, nous avons
cru bon d'en donner ici une li.te chronologique:
LaNuit,
1958,
L'Aube,
1960, LeJour,
19611 La ,Ville de la Chance,
'J, 1962,
Les Portes
dela For!t,
1964,Les Juifs du Silence,
..,;1 toT . . .
~ ' . ~. J.," ...
i ;~ • • .1 ~,
,.:-\ ' . ,.:-\, :;~ ... '!' 1966, Le
Chant des Morits,
1966,Zalmen ou la folie de Dieu,
Jt
"'., "" ',;"., 1;,.( 1968,
Le Mendiant
deJ'rusalem,
1968,Entre deux Soleils,
"
•
1910,
Cflfbration Hassidique,
1912.Nous voulons noter aussi que nous avons eu l'occasion
de rencontrer Elie Wiesel deux fois - la premiare fois en
1
mai,
1912,et la
deuxi~efois en novembre de la
mime
ann' ••
La
deux i . e interv
1fta 6t.' enreglstr6e
pourRadio-Canada
\'Oc.c:o...: 0..>
et nous
aurons~denous
yr'f'rer plueieure foie.
La premi~re
oeuvre de Wi •••
ls'int.itule
enfrançais
LI
Huit.
I lvaut.d'au.
nota
cependant,
qu'elle parut deuxana
plus t&t en Yiddish (i Bu.no. Aire.) eoa. le titre,Un
di v,lt.
Hotae!bvign
{et le 1IOft4 • • •
t ~r6 .~.ncieux.)Ce titre .st tri • • i9Di fic:atif , beau.ccup
phi.,
a
~.ni
•• '
J , ' . . ... ~,~ +. Of' 1 , . -.' , , ,,' ~, ." , l ~'I ~;
.
• ,t , , , , , :•
"! . " , . ' / , \7
-rest6 silencieux pendant que fonctionnaient les camp. de
la mort. Ce sujet est repris dans toute 80n oeuvre. C' est
aussi, comme nous l'avons dit, le thème central de La Ville
de la Chance. L'extension d. ce coneept - celui de la
cru-auté de l'homme
envers
son setllb ableet
son indiff6rencea
la souffrance d'autrui, est un th e pr6pond'rant qui
con-tinuera de
dominer
< les neuf autre8rOllans
qu~ suivent La Suit.Wiesel rêfl~cbit souvent au fait qu' i l surv6cut, lui,
,
alors que
d'autresp'rirent.
Sa
survivance luia donc
don
n'
une responsabilit', celle d.
rendre
t6l1Oignage. In tlmt ctlte,
t'moin
oculaire des faits de l'Holocauste,80n
raIene
s.borne pa.
l
d6crire et rappeler. Il doit Y joindre l' action. ,Dans un êcrit .intitul'·Mea Maltr .... Wie •• l a di.eut' d. ee
but qu' il ae propo •• dans , •• 'crlt8
*
! . ~
'.
, 1 ~ " .f-,
,\ '(. , . f .~ ..
•
8-C'est que l'Ange de la Mort a traver8~
trop tôt mon enfance en la marquant de son
sceau. En songeant à LUI, il m'arrive de
l'apercevoir, l'air victorieux, non pas au
bout de la route mais à son point de départ.
IL
se confond avec l'origine. avec le premieréLan plutôt qu'avec le gouffre dans lequel bascule l'avenir.
Aussi, le vainqueur solitaire, c'est avec nostalgie que je l'évoque, presque sans crainte. Peut-être est-ce parce que
j'appar-tiens à une génération déracinée, sans
cimeti~res
où
nous pourrions, au lendemaindu Nouvel An, conformément à l'usage, aller nous étendre sur les tombes et nous recueillir
avec les morts. On a tout pris à ma génération,
même les cimetières." 2
Pour éviter de donner l'impression que Wiesel a pour seul but de scruter le passé, mentionnons tout de suite
,-
dc.~qQ'il n'en est pas ainsi. Nous en apporteronB~amples preuves
au trdisième chapitre lorsque nous discuterons de la dualit'
entre le protagoniste et son alter-ego, l'un ~~,
réconcilier le passé (antérieur
a
l'Holocauste) avecde
l'Holocauste, et l'autre tachant d'appliquer le. effets de
l'Holocauste l la 8oci't' actuelle.
Bn
tant quet4Itoin,
11,se aent ausai la r •• ponsabilit' de rappeler au IIOOOe que e.
Si l'homme a fait cela au Juif, la proeh~lIl.
'tape
n.
. '
Santayaana •
'f.
•
9-le pass' sont condamn6s à le revivre." Wiesel assume le
'r
raIe du messager auprès de tous les hommes afin qu'ils n'oublient jamais.
Les écrits de l'auteur ne se limitent pas aux descrip-tions des horreurs des camps de concentration. La Nuit est le seul ouvrage qui se situe dans cette atmosphare. Oue ce soit sous forme de roman, de nouvelle, de pièce de théâtre ou bien, comme pour son dernier ouvrage, de collection de contes de. grands martres hassidiques, Wiesel pose invariablement cette question angoisséet quelle sorte d'existence faut il envisager
maintenant qu'il y a eu Auschwitz? Wiesel aborde à plusfeurs
reprises et sous diff6rents aspects, quelques questions
/
d'importançe capitale que nous avons cru boniisoler
et d"num'rer ici.
•
- En quel sena le Bassidi... peut-il constituer
une source
d.
foi et d'espêrancepour
l'auteur?
- S i l ' on prend pour acquis. l' exi.tence de Dieu,
la r'alit6 des
camp. de la mor~ devi.n~ un mywt~r. into16rable.Comment donc l'hoaae peut-il continuer
4.
vivré .ft aaehant qule ' :d'pit
de la
pr'.enc:. ~Dieu
etpeut-at.l'. _
eftvertu
cieco
1 \
cet.te pr6 •• nee, AoacbWlta • eu 11eu"
•
,
•
. ,
.f q , . . . ,1 • ,_, 't j
- 10
-- Au niveau de l'homme, comment e.t--il possible
que tant de gens soient demeurês silencieux et impassibles en
face de tant de sOUffrance? Comment doit-On traiter
:! t~,;.
1
l'indiffêrence humaine?
- si les Juifs doivent survivre, leur faut-il se
trouver de nouvelles valeurs pour vivre dans le monde
contemporain?
- Comment le Juif peut-il jouer un rOle en mime
temps valable dans la communautê humaine et dans la comnaunaut6
juive?
Pour conclure, nous aimerions signaler que ce qui noua a
tout d'abord attiré. dans
l!oeuvre
deWieael
etqui nous
aconvaincu d'en faire le sujet de cette thèse, c·.st son
caract~re
d'actualité. Nous traversons
ll'heure actuelle une
pêriode de grandes transformations - de
changement. .conoaiqu ••
et
demises en question des valeurs
et de.aoeur..
C! •• t . . . . iune 'poque où.les concepts religieux traditLonnels
.ont,
~Occident,
dumoins di ••
6qu'.
et
repen.' ••
Il
yen a beauoo.p
qui rêpliqueront que notre 'poque
D·e.t
pa.
4itf.r.w . . '~">.
autres,
quechaqu. CJ6ft6ration
r.f
....
de. iDtl . . .,~~,../
l , , : } -;, '4",·· ~ ,~
et ·n6gativ •• qui font que
l ' .
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9' "/'::--~~' ~ ~11;:~ 1
•
I l-notre gênfration vit dans un tout autre monde, un monde qui.
a ~tê transformé radicalement, dont les normes ont êtê
ren-versêes par le fait qu'il y a eu l'Holocauste. Selon Wiesel
notre 9ên~ration a acquis un caractère qui lui est propre,
différant absolument de celui des générations prêc~dentes,
et l'auteur s'acharne dans 80n oeuvre
A
dêcrire les effortsque doit accomplir le nouvel homme pour s'adapter au monde
d'après l'Holocauste. C'est aussi qu'A une ~poque où' des
adeptes de diff~rentes religions remettent en question les
valeurs de celles-ci, la quête que mène Wiesel pour retrouver
son identité en tant que Juif donne à son oeuvre un caract~re
êvident d'actualitê.
\.~
., " ,
•
1. Elie Wiesel,
5. novembre,
2. Elie Wiesel,
Paris, 1966) " , , ' ) . . ,_'.1. , '-
12
-ROTES
"The TelliJ.nq of the Wu
1 IlNew York
'.l'i-l,
1972,
p.
3Le Chant des Morts
p. 15-16
(Aux Editions du Seuil,
.
'ri
.
•
\
\\
CBAPITRE ~I 811e Wles.1 et la tradition
\ 1" ,6 <"'1' " -~ "
--·\~~~I'·
,'Ji ';'
" .' "''1li , " , ~~J ...: -:à.i. ',' ,. ,:it·, , c•
- 13-D~s qu'on aborde l'oeuvre d'Elie Wiesel, on est à
même de constater que la tradition hassidique y joue un rôle de prem1ère importance aussi bien dans l'esprit que
dans la forme. Avant de proc~der à une analyse de la
philosophie de Wiesel et de déterminer l'influence du
Hassidisme sur son oeuvre, il nous a donc sembl~ nécessaire
de présenter tout d'abord une brève définition du Hassidisme en retraçant ses origines, d'identifier ses aspects mystiques, et enfin de souligner ses caractéristiques particulières.
Le mouvement hassidique se manifeste à plusieurs
reprises au cours de l'histoire du Judaisme. Mais c'est au cours du XVIIlème siècle, en Europe de l'Est, qu'il assume son orientation moderne. A cette êpoque. sous l'influence d'Israel
Baal Shem Tov, il prend la forme d'un mouvement mystique
populaire qui prône la valorisation des qualit'. intêrieures de l'homme. Le Hassidisme prêché par Israel 8aal Shem Toy
(dit: le Maitrè du Bon Nom) constitue une rêpon.e aux
..
malheurs et à ltaliénation du peuple juif de l"poque. Les
masses juives diasêmin'es à travers l'Burope de l'Set ne
connais •• nt alors dans leur r'alit6 quotidienne
que la
ai.~reet l'ignorance. Elles vivent
eou.
l'ince ••ante
aena~de.
" ; ' .~
.
.
Cl.,...-..
~ \'•
"
, "
~, ,
14
-pogromes, confin~es aux limites de leurs petits villages
et condamnées par le fait même à un isolement complet du reste du monde. Leur espérance dans un monde meilleur est
mise à l'épreuve par l'avènement de plusieurs faux Messies.
A ces masses affligées, le Baal Shem fait entrevoir une
lueur d'espoir en leur offrant un moyen de s'élever ~u-dessus
de la misère matérielle, vers la dignité et la joie. "Il leur disait .•• que la tristesse doit être combattue par la joie et non par une tristesse accrue, comme les ascètes
l'entendaient. "L'homme qui se regarde ne peut que sombrer dans la mélancolie, mais dès qu'il ouvre les yeux sur la création
autour de lui, il connaîtra la joie."
Et cette joie mène
A
l'absolu, à ladélivrance, à Dieu: voilà la nouvelle
vér i té énoncée par le Baal Shem. ft 1
Nous n'avons que quelques fragments biographiques du
Baal Shem qui n'a laiss' lui~ême aucun écrit. Se. actions
et ses préceptes furent transmis oralement .ous fOrlle'" de légendes et de contes - d'abord racont6s par le Baal Sb . .
lui-même puis repris et interpr6t6. de nouveau
par
s ••disciples, et par les Ha.81dtM d . . 96n'ration. .ucc ••• iv •••
Le Bassidisme n'.st
pa.
un mode de vl. 9ont..,1.ti~.·Abcontraire, c' .st une forme volvente et dynaaù.qQe d'un ,
l .r, ! ~ ~:J
.-,"
~v • ~ ,spiritualisme juif daft.
la
vieqg0ti41ena.·et.
~l'~A~l~~ .. ~ r , ' ~-t-'> t-'" _ t ~ " , i '~ . ~' ~ .. ,~_ /i f, nlt f., , ~ f'
4 ~:~ ", ,
de la 8oci6ta. ,. l' "': ':;:
.,-', ...
•
~,.~. ."
" . . . 't r~,(~ l_ 15-"L'appel lanc~ par le Baal Shem ~tait un
appel à la subjectivibl, à l'engagement
passionnelzles histoires qu'il racontait ••• s'adressent à l'imagination plus qu'à la
sagesse. Elles tendent à d~montrer que
l'homme est plus que ce qu'il semble être, et qu'il est capable d'offrir plus que ce
qu' il para! t poss~der. Of 2
Le mouvement hassidique qui prend alors son essor est centré sur la beauté et sur l'humanité. Au lieu d'insister
sur le rationalisme et sur le savoir, i l loue la simplicité
de l'homme et sa ferveur.
"Il prouve, ou tente de prouver, que l'homme
n'est pas un obstacle
à
la création, mais quel'homme est un intermédiaire entre Dieu et Sa création. Il prBne l'égalité parmi les hommes,
il affirme qu'il n'est pas n~cessaire de tout
connaître pour posséder la Vérité de tout. Il
suffit à l'homme d'être authentique en tout ce qu'il dit, afin d'acquérir ce qu'il possade déjà ••• Le Hassid est un Juif. Il fait tout ce que fait un Juif, mais il le fait avec ferveur,
avec passion." 3
.
;Ce concept repris par Wiesel - l savoir que l'homme " ,
doi t se considérer comme un intermédiaire dans la or'ation ~ ;
englobe des élémenta l la fois
ha ••
idiqueset
mystique.
de
sa pens'e.
Rappelons' ici
que le
mysticisme
au ••
in
de
la
religion juive d'rive de la
Kabbale. cet aaaigame de
"
connentaires 'rudi
ts et ae
formule._giqu...
C~dever.'
,
le huiti'"
siac1.
ae
l·~r.chrftienne
"
"
t ' ,
..
•
16-ouvrages mystiques, la Kabbale trouve son apogée dans
tInP oeuvre riu XIIIème slèr}e: ]p Zohar (le TJivrE'" dE'" la
SpÎpndplld Devenue le manuel dps mystiques juifs, la
l<i'lhhi'l 1 p ri pxprcf. l ' inflllpncp 1 a plu~ profonde après le
'T'rt i muo. r. i 1 e a pOlI r hu t ,f' ~mener 1 e d~"ot à une expér ience
exalt.t'>erlp Dleu. Le$ ~lf.ment.S mystiqu~s dE' la Kabbale
c;'plOlqnent tif> la logique rigoureuse du Talmud. La philosophie
kahhalistp rllffère de la philosophie talmudique en ce qui
com'erne la recherche de la v~rj tf.. Le Talmud cherche la
vf.rité ~ l'aide de la raison. La Kabbalé cherche à poss~der
la véritf. à l'aide de ] 'intuition. La Kabbale enseigne que
l 'homme est en possession de moyens - sinon physiques du
moins occultes- qui peuvent influencer la R~demption
universelle et l'avènement d'un monde meilleur, en d'autres
motst la venue du Messie. La mystique juive implique donc
l'existence de deux concepts ins~parabIe81 la r~demption du
monde par le Messie et le raIe indispensable de l'homme dans
le processus de la cr~ation et partant, dana l'.v.nement du
Messie. Isidore Bpstein a d'ailleurs fourni une .xcellen~
d~finition du myatici... juif en 8ou1ignant ce
double
a.~t.·Ce qui caract'riae
la mystique juive, c' ••
t'son a8peeti ... ianiqu •• -B11e volt toute ~
cr6ation (an~.
et
inan~e)en
pt~ieaux
. i
• .. .,~ , , .J.
,_" .~,,_.~ ~.:l ~_r . .. J.~V
\. ,Â~I f /
•
- ],7-affres d'une lutte cosm~que pour la rédemption, le mal étant d'une façon quelconque entrp dans Je monde, et pour
la restauration de l'harmonie par laquelle tout l'univers sera sauv~ lorsque s'établira
le Royaume universel de Dieu,
a
la venue duMessi~ .,_ Crest l'id~e que l'homme a été crée pour être "ouvr ier avec D l.eu" donc
qu' 11 a le pouvoir de diri.ger et de modi fier
l'histoire dans le sens de ses propres 1nterêts et de l'accomplissement de la
rrpatlon. Ce QU1 distingue la mystique )Ul.ve
ries autres expressions de l'esprit juif, c'est qu'elle prétend poss~der le secret du mode de cette coopération ave~ Dieu, donc être capable de rendre plus efficace la
contributl.on humaine." 4
Nous retrouvons ici le concept énoncé par Wiesel
lui-même dans sa définition du Hassidisme (voir plus haut)
" . . . que 1 'homme est un intermédiaire entre Dieu et Sa
création.,t
Le Hassidisme diffère des concepts traditionnels
du mysticisme kabbaliste en ce qui concerne l'arrivée du
Messie. Se refusant
A
identifier l'arriv~e du Messie comme un événement unique dans le temps et dans l'histoire, leHassidisme met l'accent sur la quête de l'individu pour 80n
salut, sur le pouvoir de rédemption d. chaque créature dan.
le présent et dan.
le
contextede
la viequotidienne.
Lesentiment religieux du 8a •• i4isme
p6natre,la totalit'
de
l'être
et qouverne
toute.a vie.
Le
8 ••• 141 . . .
prfêh6,.~le Baal Sh .... mettait
l'accent
IUr la n'c ••• i~ ,d'.tab1k .
,.n,ec
.;. "
•
-.
. <
- IR
-Dieu une rplatlon v~cue. Le moyen de se rapprocher de Dieu
continut'lit (lt~tre la prière. mais la prière pouvait agsumer
rlPH formes vari~eg - elle se faisait avec les mots qui
venatent spontan~ment à l'esprit, voire même par le chant ou
1;'\ (lanc;p PO tout lum et, en tout temps. La prièrp l'tait un
{'r 1 <in {'()ellY, non plus un devoir mais une expreRs ion de joie.
Lhomme l'tai t enqag~ dans un dialoque incessant <'1vec Dieu.
i La recheorche. voire la lutte que mène Wiesel pour maintenir
1~ dialoque avec Dieu, constitue un thème majeur à travers toute
son oeuvre. Nous reprendrons ce concept pour le d~velopper
plus amplement au chapitre 2.)
Nous avons mentionn~ ce qui distingue le Talmud de la
Kabbale dans la façon d'acc~der à la Vérité, le Talmud
prônant la raison et la Kabbale se basant sur l'intuition
mystique. Il est intéressant qu'on trouve cette semblable
dualit~ dans la formation même de Wiesel. L'éducation qu'il
reçut enfant enqlobait en quelque Borte le. deUx courants
sOUS;8cents de la tradition juive: le myaticisme que lui
transmit
sa
mare et plus particuliirement80n
grand-pèrema-ternei - un "hassid fervent- - et 1. prag.ati . . . que lui
enseigna son ~r. qui favorisait davantage une tendance
occidentale 1 l· . . . ncipation re1191eu.e. Pour faire pendant:
~ '", '}
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"
- 19
-à la tradition occidentale humaniste et rationnelle que
prônait son p~re, la mère de Wiesel fit en sorte que le
~ jeune homme reçut une solide ~ducation dans la tradition
de la Torah, du Talmud, des doctrines mystiques de la
Kabbale et des enseignements des maîtres hassidiques. Wiesel
fait allusion à ce double aspect de son ~ducation et à son
influence sur sa pens~e, dans son introduction à
'câlébration Hassidique:
"Mon père, esprit âclair~, croyait en l'homme.
Mon ~and-père, hassid fervent, croyait en
Dieu.
L'un m'apprit à parler, l'autre à chanter. Tous deux aimaient les histoires.
Souvent en racontant, c'est leurs voix que j'entends.
Par-delà la tourmente, ces murmures ne
tendent qu'à relier le survivant à leur m'moire.MS
Wiesel, à plusieurs reprises, est attiré
A
la fois parces deux pôles. Tout en restant toujours
dana
les limites dela perapective religieuse, il ne ces.e de s'interroger et de
chercher les r~ponse. qui lui permettront
de
r'eoncilierces
deux extrêmes.
Dans
SOn
village natal de Slghet,en
~r. .
sylvani.,wiesel
eut
uneenfance
tr~. r.li9ieu •• , .n~iireMent.COft.aer'.j
""--. '
l
l"tude etl
la ~ik., quiexcluait
to\at
l;~.~...
c 1.
o ,monde,ext6rieur. , ' .
.
'. ,,< j ,, ~
r
'-1 1 l , 1•
- 20-"J'~tais profond~ment croyant. Le jour,
j '~tudiais le Talmud et, la nuit, je
courais à la synagogue pour pleurer sur
la destruction du Temple." 6
Sighet, la nostalgie de son enfance et de ses rêves, se
retrouve constamment dans son oeuvre. Si9het, -là où tout
a commencé, où le monde a perdu son innocence etjDieu son
j
masque." 7
Et subitement, en 1944, (Wiesel ~ l'8ge de 15 ans,)
c'est le rêveil brutal: la d'portation de Sighet, puis
Auschwitz et enfin Buchenwald. L'enfant (-j'ignorais
que
Paris était tombê, j'ignorais jusqu'a l'existence de
pariaN8 ) venait de perdre 80n innocence.
Comme peut-on décrire - comment m_e 8'iaaginer
-~
la rêaction, les sentiments, la sensibilitê confuse et
horrifiée d'un enfant naïf et
pieux
qui .etrouve
.oudainementtransporté dans un wagon
l
bestiaux ~'jl bondA (aapacit'maximum pour le8 bestiaux. 8,
pour
1 •• hUlhine. 50et plu.'
-où
i l est impos.ible de s ' ••• eoir, 1 peine pott.lbl. de ••tenir debout. Pu de nourriture. Pa. d· ... Un
voya •• qui
dure
plusleura jours,
au, boat duquell'_faut . .
tt:c:lIIV* •Birkenau, le
·centred
t.cœe11" .•
tau.cwiq ..
Dan~ ~~:"
... ' I f . / ,
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capa,' I l y
.vait . . .
faqlaw",ou
_~i.",11&: . .
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...
~:.~, ~'__
"î:~ ~ r " • ~ - .. ~ ~ .. 1' .. 1'::';~ '\ f, 4 , \ L _ '1 1''' ; \ _! ,-" ~ ~ ",1:. '~irt·(.t'~: ': :, .... ,~", .... ~ ';:t,~ (~:~~ : ... ~ .. ,' r~,)n.... ' ... ..r~",t.(; .. ; ~.~I .. 'I!J ,~Y~~;':t; loIoI!
," " 1 . " . ' .J .... . "L~. ~I'~'.r." : . ':<-1 ,~., ... ~.!.J!_.~..:.,- ~,~;::\...;tJ>~~l'n:@'~j.:».~ . ..""f:I'f"".~_,m>.".,,.;r.:''''-,,,,!floP
•
l' ,
- 21 ...
d~corées de fleurs. Un village de Potemkin en quelque sorte.
Mais le caractère grotesque en devenait imm~diatement
apparent:, car après cette fictive c~rémonie de bienvenue,
i l Y avait l'abrupte rêalit~ ~ la sélêction: d'un côté ceux
qui, jugês lncapables "de produire" méritaient la chambre à
gaz, telles la mère et la soeur de Wiesel1 de l'autre, ceux qu'on destinait aux travaux, dont Wiesel lui-même et son père.
Parmi ceux-l à certains, comme Wiesel, surv~curent pour faire
plus tard le récit des faits: d'autres succombèrent, comme
son père. Et toujours, toujours, à l'arrière-plan, le spectacle
et l'odeur d'une fumêe naus~abonde qui montait des cheminées.
Dans un poème d 'une très grande puissance, Nelly Sachs a évoqué
cette impression de naus~e et d'horreur, tout l'effroi du
peuple juif dont l'existence même est mise en suspens.
"0 les chemin~es
Sur les demeures ing'nieusement i"'1in'es de la mort Quand monta en fumée dans l ' air
Le corps d'Israel!
Et qu'étoile noircissante
Le reçut le ramoneur
A moins que ce ne fût un rayon de 801.i1?
o
les chemin' •• ~Chemins de libert6 pour ,la pou •• 1~r. de
J6r'm.t..
.t
t' de Job! 1
Qui donc pour voua l'inventa et le bltit 1
pierr •.
Ce ch_in
r' •• rv'
l
de. fugitif. de ,....1".
,.
,,'•
, ,
.' l · · --~-:;r
, /1.
22
-o
les demeures de la mortAménagées de façon séduisante
Pour le maître du logis, qui ailleurs était l'invitê
o
doigtsBarrant le seuil de l'entrée
Comme un couteau entre la vie et la mort.
o
cheminéeso
doigtsEt le corps d'Israel qui dans l'air monte en fumée!"9
VoilA la réalité â laquelle le jeune wiesel, êlevé dans
/
le respect des plus hautes valeurs religieuses et philosophique.~ ,
dut faire face. Avec le récit de son arrivée
a
Auschwitz,Wiesel a décrit le traumatisme de l'enfant élevé dans la
tradition hassidique, enti~rement orientée vers l'attente du
Messie, se trouvant brusquement précipité dans une r~alit'
monstrueuse qui en e~t parfaitement l·antith~se.
\
"J'ai eu un seul moment d'fpouvante dans
mon existence. C'6tait la première nuit
de
mon arrivê. au Royaume des T'nèbr ••• Je
n·~tais encore qu'un enfant. Je savais encore
prier, mais je ne savais pa. ce qui ar~ivait.
Je me souviens qu'il faisait nuit et
qu'au
moment
où nouaquittions
1.train au milieu
des clameurs et des
cri.,
nou. vI ... d ••
flAlUlea et soudainem.nt je via,
v.nant
detoutes part., de. Juifa qui marchaient dan.
une
Ill_
direction. Bt il Y avaittant
de8uifa venant de tànt de
diff4rentepaya
et
qui
~laierittout..
1.. langue.~de.
jeun..
,
et
de.
vieux, d •• blonde et de.'bzune,
eewtalu':,'
qui ••
~'panèlâieftt
anparoi •• , ".
_tr
...
qu..:~" '.:~:~
.
~
tai.aient, dtta craint{f • •
tcie.·...
>:\':.~~l~:' ' " ~ '" l'! -~. <: 1 ~'!: ~ ~ ; , f .~ .. ~ ... > • " ~.
•
•
."
- 23
-Alors je crus comprendre. Ca y est,
me dis-je, le Messie est arrivé, et j'eus le sentiment d'avoir réussi. Avec mes amis, nous avions tout fait pour hâter la venue du Messie, et nous
avions réussi: i l était arrivé. Le
moment d'épouvante, ce fut celui où
je me rend ia compte que ce n' étai t pas
le vrai Messie, que c'était l' anti-Messie. "10
Bien que La Nuit (éditée en 1958) soit la seule des
oeuvres de Wiesel qui fasse le récit de son ex~rience dans
les camps de concentration, tous ses écrits jusqu 'à - et y
compris - Entre Deux Soleils (1971) traitent du sujet de l'Holocauste, qu'il conçoit comme un mystère religieux, terrifiant et obsédant. Ces oeuvres portent sur la crise
religieuse que traversa Wiesel et sur son effort pour se
. forger une nouvelle vie spirituelle. Sans cesse il nous
rappelle le conflit entre la foi et la réalité, mais
peut-être ce conflit est-il le mieux illustré dans le p ••• aqe
suivant:
"Jamais je n'oublierai cette nuit, la
première nuit de camp qui a fait de
ma vie une nuit longue et aept foi.
verrouill •••
Jamais je n'oublietai
eette fumle.
Jamais je n'oublierai le. petite vi.a~. de •
enfanta dont. j' avais
vu 1.. corps ••
transformer en volut •• eou. un azur .et.
J_1~ je n'oublierai ce.
f l . . . .
qui cOfta:waa~en~.
pour toujcura - Poi. F ' " ~
J_ai. je ft ·oubli.rai oe alle"ce noctunae qui - " ' ." .. t.
Dl'.
pr1v' pour
l"ternlt'
du:
M.lr
cl. 1,0:,,: \'," . ':vivre.
' .
"
. '"
"
,-Jamaia je
"'OQblJ.er~~ ~., ~ ",~:,:-.,,' ":,"':
l " " . . . '::l~ .• ,! '~{'tt. ~ ~~~/"" ~ .. !:~ ,~ .. , i l i ~ . - .. ,. -. -,,", .. ,-. ~ __ ~_:1 .. _t.tl:I.!:""~~:;rJ.l·.~,,,l1. q • _ w~ ? •.
\ '.',•
.
"
.
1 . ~>I;'t ... \ - 24-assassinèrent mon Dieu et mon âme, et mes rêves qui prirent le visage du désert.
Jamais je n'oublierai cela, même si j'étais
condamn~ à vivre aussi longtemps que Dieu lu i-même.
Jamais."ll
Pour Wiesel, ce n'est pas sa foi en l'existence de Dieu
qui p~rit alors, mais sa croyance dans le Dieu de Bon enfance.
"Je n'avais pas renié Son existence, mais
je doutais de Sa justice absolue. Il 12
La Nuit est un chant funèbre, non pas pour un enfant, mais
pour son enfance, pour l'enfance de chacun. La mort de l' in
no-cence. la perte de la foi dans la justice absolue de Dieu, la
mise en question de la pr~sence de Dieu parmi son peuple, tout
cela est évoqué dans un passage d·une extrême puissance qui décrit la pendaison de trois prisonniers, dont un enfant.
"Le Chef du camp lut le verdict. Tous les
yeux étaient flx'_ sur l'enfant. Il était
livide, presque calme, se mordant les lèvres. L'ombre de la potence le recouvrait. Les
trois condamn6s montèrent ensemble sur leurs chaise •• Les trois cous furent introduits en même temps dan. le. noeuds coulants.
-Vive la libert6! cri~rent les deux adultes.
-Le petit, lui, se tai.ait.
-où .st le Bon Dieu,
où
est-il? deraandaquelqu'un
derrièremoi •
Sur un
signe du chef de camp, 1 •• troischai.... ba8CUl~r.nt ••• Les deux adulte.. ne
vivaient plu •••• Mai.e la trois1ft. corde
n •
'ut
tpas
t.aobil..al lqer,
l'enfantvivait encor •• Plu. d'u". d6aal-heure. il
..
•
- 25-resta ainsi, à lutter entre la vie et la mort, agonisant sous n08 yeux. Et nous devions le regarder bien en fare. Il était encore vivant lorsque je passa1 devant lui. Sa langue ~tait encore rouge. ses yeux pas encore éteints. Derrière moi, j"entendis le même homme demander:
-Où donc est Dieu?
Et je l'>entais en moi une voix qui lui r~pondait:
·-Où i l est? Le voici > - i l est pendu ici, à
rette pn~ence " I l
ICl se r~flptp rlairement la pr~occupation constante de Wiesel qui t ente d~sesr*rément de trouver une continuit~
dam~ le lien rtkiproque entre Dieu et l'homme.
La ~royance ju ive repose sur un principe fondamental, celui d'une alliance entre Dieu et Son peuple. Israel a le
devoir de préserver Sa Loi - la Torah - et en retour, Dieu
continue d'assurer la présence d'Israel dans le monde. A
cause de son expérience, Wiesel est obsédé par cette question.
qui est au centre même de sa vie et de son oeuvrel que1le
siqnification revêt l'Holocauste dans le contexte de cette
alliance de Dieu avec Son peuple? C'est .on 'dacatian ha ••
i-dique qui dicte l Wiesel sa foi dan. la r6ciprocit' d • • relations entre Dieu et l·h~. Mai. Wi ••• l, l .on tour. va plue loin et tente ~ di.cerner la nature d.. lie". qui
uni ••• nt le8 hœaa.. entre eux. C08INtftt,. •• d . . . . 4e-1:-U,.
,
,
l ~. t'!~ ~ '. ,- .. _ -::~ .. ~ "'1>:[;""":<\ :~:~i.ü,~,~~.~~:~~~~-Id.~~~~~
,
•
- 26-terrifiant que l 'Holocauste a pu se produire? Même si d'autres
ont peut-ptre oubl i#\o Auschwi tz. Wipsel, lui, ne pourra jamais
oublI ~r pt i l r.ont inue de R' interroqer sur la portée de cet
évpnpment SUI les qi'nérations futures.
Ce qUI caractérisp toutefois son oeuvre tout ent_ière.
("'est: une luth" contre le rlpsE'spoir. Les deux t_raits
prin("'i-paux de C"ptte lutt.e sont au r.oeur même du Hassidisme. à
savoir le rôlp rJe l 'hommp dans son aIl iance avec Dieu. et la
ph i losoph 1 e q1.1 i ConR iste à t_radu irE' la somme du dPRespoir en
("hants et ~n pr ipn·s.
flans l'esprit de Wiesel, le désespoir a trouvé son ultime
expression pendant l'Holocaustè, lequel constitue le comble
de la déchéance humaine en ce qu'il a détruit l'esprit de
l'homme et lui a ôté sa dignité. Dans un autre passage de
La Nuit, Wiesel décrit un incident au cours duquel son père est battu par un gardien.
MEt i l se mit à le frapper avec une barre de
fer. Mon père ploya d'abord sous les coups,
puis se brisa en deux comme un arbre dessêch'.
frappé par la foudre, et .·'croula. J'avais
assist' A toute cette sc~ne sana bouger. Je ae
taisais. Je pensaia plut6t l ."loigner pour ne
pas recevoir de coupa. Bien plua • • i j "taia en
colire l
ce IBOIMnt
cen
"tait pa. contre le kapo,mais contre
I80n pare.
Je lui envoulais de
nepas
avoir au 6viter la cri •• d'Idek .. Voila ce que la
•
- 27-Pour Wiesel la sou ffrance ne mêne pas à la "saintet~".
Elle fait au contraire ressortir l@s inst lncts les plus vils
et ]ps pllls lârhf"!'f de l'homme. Il exiqte un sommet de la
s()llffranc~ i'lu-delà duqu~l 1 'homme retombe à l·~ta.t de la brute.
I.i'l Rouffr;JTlC'p dp~h\lmanlSe ~t rend tout rontact humain impossible. nu fond de cette ti~chf'iancfl. pt du d.ss~Rpoir qu'elle a
€'nqen<lr~. Wif"R~l s'acharne à rechercher la vie. la rtignit~. et un princl pp <if'> rontinu lt~. et s'achemine ainsi vers un acte de
foi danR !'pxistence et une volont~ d'enqaqement dans un monde
qUl q'obstine à renier la valeur de la foi et de l'engagement.
.. un voyageur se perd dans la forêt hostile: il fait noir: i l a peur: or voilA l'orage qui
~clater le sot regarde les 'clairs. le sage le
chemin qu' ils d~couvrent. La tâche du voyageur
est de retrouver le monde habité avant de songer
à le " tra",~ former." 15
Tout au long de son 'volution littéraire, Wiesel continue
de rappeler le souvenir de l'Holocauste au monde qui tend à
l'oublier. Mais A côté de cette tâche qulil s'est assiqn6e, il Y a la quête de Wiesel pour sa propre identit' en tant
que Juif.
NA travers mea personnage. et leur. jeux de
miroirs, c'est le Juif en .01 qui .e
cherche.-
16Pour retrouver .on identit6 et r'tablir un 11en avec le
monde, c' •• t au Ra •• idi . . . de
Ion
enfance qu' i l •recour., cu
t ~ ~ •
•
- 28-c'est dans une grande mesure le Hassidisme qui lui permet de
supporter les ~v~nements pass~8 et pr~sents.
c'est la ferveu r rles Hass idim qu e Wiesel invoque pour
la fairp SlPnne. W1esel parle souvent de l'universalit~ de la
vision hass l cl lque et de son applicat ion au monde actuel. La
m~fiance, le désarroi, tout ce qui caract~rise la vie actuelle
(et qui caractérisait ]a vie au XVIII ème siècle lorsque le
Hassidisme prit son essor) a amené ceux qui refusent de
s' abandonnE>r au désespoi r, à chercher une source d lapaisement.
Ils se dirigent alors vers diverses formes de mysticisme. wiesel est persuadé qu' en tant que mouvement mystique, le
Hassidisme renferme un message valable pour la jeunesse actuelle.
Le Hassidisme ne prétend pas offrir une solution mais il propoae
un mode d'existence pour ceux qui cherchent la foi, la ferveur, l'étincelle de vie.
Wiesel n'est pas seul à être convaincu que le Hassidisme
est en mesure de r~pondre aux problames actuels de l'homme
qui est l la recherche de son identit' et d 'une d'finition de
l'existence elle-même. Martin Buber a, lui au.si. res •• nti
l'urgence de ce besoin et c'est
a
cette fin qu'il entreprit4-livrer au grand public la tradition h ••• idique juaqu'alora
ré8.L'V~. aux seuls init16s. Selon lui, la .1gnifieat!œ 4n
..
•
- 29-l~gendes et des paraboles hassidiques n'est pas restreinte
à un groupe pn particulipr. Bif'n au rontraire, elle comporte un messaqe d'app] lrat Ion HnlverRPl1p. Il PRt. inter~ssant
d • ~tabl i rune rompara u:;on entrp W i ese i f>t Buber flans 1 a
trans-pOS l t ion 11 t· téra 1re qu' ils ont appor tl"e â rles textes de source
communE". Tou s deux, et o' au tres romme eux. reprennent les
narrations ops rebbps Illustres, et ce faisant, i l s n'inventent
rien. Ce qui rliffère, t.outpfois. r'est leur compr~hension du message ou enc:'ore l ' importance qu' ils accordent aux divers
points sou 1 pv,!>s. Dans l ' extrait suivant, nous verrons comme
la même l~qendp est abord~e de diff~rente manière selon qu'il s'agit de Wiesel. de Buber ou de Chaim Bloch.
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De Chaim Bloch: Les Lacets du Maquid
"Le Rabbi Leib Saras employant une métaphore, avait l'hab1tude de direl je n'ai pas ét~ s~journer chez le Rabbi Dov Baer de Mezeritz pour entendre ses interprétations de la Torah, mais plutôt pour observer la façon dont il lace ses chaussures et la façon dont i l les enlève. Car,
A
quoi servent le8 interpr'tations de la Torah? Dans ses actions, dans 8es paroles, dans80n comportement et dan a sa loyaut' envers Dieu,
l'homme doit être la manifestation de la Torah.- 17 De Martin Bubers Dire Torah et Etre Torab
-Rabbi Leib, fils de Sarah, le Zaddik caeh'
qui parcourait la terre en suivant les cours
d'eau, afin de racheter l·am. da. vivants et
..
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....
•
- 30-des morts, disait cecil je ne suis pas
all~ chez le Maguid pour entendre dire la Torah. mais pour boserver comment il
d~lace ses chaussures de feutre et comment
il les relace."18
D 'Elie Wie~e.1:
... le mystér ieux Leib. fi la de Sarah. qu i
proclamait à qui voulait l'entendre: "Moi
le ne venais chez le Maguid ni pour assister
à Res cours, ni pour h~n~ficier de sa sagesse,
mais simplement pour l'observer pendant qu'il
nouai t ses lacets." l q
I.ël version dp Bloch est- clairement la plus explicite. Celle
dp Bub(H. tandis qu'elle fait ressortir la même vérité de la
Torah, se pare en outre d'une tr~s belle description du Rabbi
Leib. empreinte de mysticisme. Le caractère mystérieux de Leib
est mis en relief avec autant d'insistance que le message qu'il
va chercher chez le Maguid. Se distinguant nettement des deux
premières; la version de Wiesel est A la fois directe et 8uceint ••
Le message s'y trouve tout entier, mais il n'y a rien de
.uper-flu: ni préambule, ni explication. Tandis que la fable telle
que racontée par Buber est tir6e d'un recueil de cont ••
hassidiques pr' •• nt6. soua for.e d'anthologie,
le tout
pr'c'd6d'une introduction 'tendue, la fable raeonÛe
par
Wi ••• lfait
partie de .on chapitre .ur 1. llaguid de MeIIeri tch dan.
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•
31-Ce qui frappe surtout lorsqu'on entreprend d'~tablir
de semblables parallèles, c'est la richesse dfinterpr~tation
que renfprme le conte hassidique. Pour ce qui est des trois
pxtraits ~uivant8. le sujet est celui de l'exil et de la ri>-dempt lnn, ('hpr aux ma i:tres hassidiques. Attr ibuée au rabbi
Bunam de PShlRhkp. la première version est racontée par Martin
Buber:
De Wiesela
En Exil
"Le fils d'un ~oi se rebella contre Bon p~re
et fut banni de sa vue. Après un certain temps, le roi s'émut du sort de son fils et l'envoya chercher. Apr~s de longues recherches, l'un des émissaires le retrouva, lo#n de chez-lui. Il était dans une auberge et dansait nu-pieds, vêtu dOune chemise en lambeaux, au milieu de paysans enivrés.
Le courtisan s'inclina devant lui et lui dita "Votre père 1ft' a envoyé vers vous afin de vous
demander ce que vous dêsiriez. Ouel que soit
votre d~sir, votre père est prêt 1 vous l'accorder.· Le prince se mit à sangloter. ·Oh~, dit-il, "si
seulement j'avais des vitemente chauds et une paire de souliers robustes."
"Voyez·, aj~it le rabbi Buna., -c'est ainai que
nous noua lamentons pour le8 besoina infi... du
moment et nous dublions que la pr'sence Divine
est en exil:· 20
• ••• un. histoire, la plu. triste de tout ••• un roi, pour punir .on fils, l'exl~a au loin.
Souffrant de faia' et de froid, le pr:Lnce perdit jusqu I l .. force d'atUnüe ~e pardon royal. Dea
ann6e.
pa ••irent.
PUi.un jour
1.
:l'Oi l~i elIVOya.un
bia ••ire avec
ln.traat~on. d'~tao*" ,,-,
tM.i...
tau •••
'V0MUt.L • . .
iulÎüele dit . .
i ..~ ( ,. '" . , :~.,
..
•
32-prince, qui r~pondit: "Donnez-moi un bout
de pain et un pardessus chaud." Il avait
oubli~ qu' il l-tait pr ince, et qu'il pouvai t
retourner au palais de son père.H21
Une autre version encore, racont~e dans Shemen ha-ToY par
A.S.R. Michelson:
"Un roi exila son fils coupable dans une
ferme où i l était forcé d'accomplir de dur~
labeurs. Peu de temps après, le roi reçut
une lettre du prince et l'ouvrit avec
l'in-tention de lui accorder son pardon si le fils
l'~n implorait. Mais le fils se bornait à demander à 90n père d'ordonner au fermier de
le nourrir et de le vêtir mieux. "Quelle
folie de sa part", se dit le roi. "S'il avait
~té réintégré au palais, ses soucis de
nourriture et de vêtement eussent été ~limin~s
par le fait même, et d 'une manière plus
agréable pour lui." 22
Ici encore, la source est commune. mais l'interpr~tation
varie. La première version est la plus descriptive et la
plus simple dans son expos~. L'explication suit la parabole
et invite le lecteur
a
rêflêchir sur la vanit~ de. dfairstemporels. Dans la seconde vera ion , celle de Wiesel, deux
...-'
êlêments nouveaux sont introduitsr le prince qui -perdit
jusqu'a aa force d'attendre- ÜBplique la souffrance de l'exil'.
la tentation du d'.e.poir, -il avait OUbli' qu'il 'tait
prLBce-q
dit Wi ••• l, et tél encore, c' •• t la qu.ation d'iclent.i~ qui
est
aou1ev'e.
en....t...,.
qu. ce11. dural.
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)
"1
•
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:.,'r , , ' , -- 33-l'exil n'est pas long, mais il est humiliant. Le fils,
aucunement pén~tré de sa qualité de prince, a recours l
son
père
comme un serviteur A son mattre, à qui il ner~clame qu'une améliOration de son sort. Il manque
a
la foisA
ce récit la piti~ qU'impliqu@ la douce folie du prince deBuber, ou le désespoir de celui de Wiesel.
Comme nous l'avons déjà mentionné, ce qui rend les
l~gendes de Wiesel particulièrement vivantes et suscite
l'int~rêt du lecteur, c'est cette parfaite cohésion avec
laquelle il les insère dans la trame de sa propre pensée pour
illustrer et orienter ses recherches sur la nature de l'existence.
En reprenant la légende hassidique, il la commente et s'en sert ~
comme un lien entre sa quête de la vérité et la ferveur,du
Tzaddik. Il s'efforce d'intêgrer la tradition hassidique au
processuscmême de sa pensêe.
" ••• en Ba qualit~ de conteur, et c'est
lA l'essentiel, il n'obéit qu'A une
motivation: se raconter en racontant.
Il ne cherche guère A enseiqner ni A
convaincre, mais l rapprocher, 1 cr~er
de nouveaux lienB. Il n·e •• aie point
de d'voiler, d' expliquer ce qui fut ni \
mime ce qui est, mais d'arracher l la
,-mort certaines prières, certains vi.aq ••
en faisant appel 1 l'imagination et
a
la nostalgie qui font que l 'hOlllllle 'coute
~and on lui raconte 80n hi.toir •• -23
, , ~