• Aucun résultat trouvé

Les associations de défense des droits des étrangers et la QPC

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "Les associations de défense des droits des étrangers et la QPC"

Copied!
39
0
0

Texte intégral

(1)

1

« 2010-2020 : dix ans de QPC »

(Janvier 2020)

Linda LUENGO et Louis LEWANDOWSKI

Master 2 Droit public général et contentieux publics (2019-2020)

Les associations de défense des droits des

étrangers et la QPC

Mémoire intermédiaire de recherche de M2 mené en 2020 dans le cadre du projet Les justiciables de la QPC. Identification et mobilisation d’un outil processuel sui generis

Sous la direction scientifique du professeur Emmanuel Cartier

Université de Lille

Centre de recherche Droits et perspectives du droit (CRD & P)

Le présent document constitue une annexe du rapport scientifique d’une recherche réalisée à l’occasion des dix ans de la QPC, avec le soutien du Conseil constitutionnel

(2)

Remerciements

Nous remercions, l’avocate lilloise qui nous a reçuspour un entretien riche en enseignements sur le rôle des avocats dans la mobilisation de la QPC en droit des étrangers et les liens étroits entretenus avec les associations. Son regard de professionnelle du droit et d’universitaire a enrichi notre travail.

Nous remercions Monsieur Rémi Decout-Paolini, maître des requêtes au Conseil d’Etat et professeur associé à l’Université de Lille pour ses conseils avisés. Son expérience en contentieux des étrangers, ses éclairages sur les rouages de la QPC devant le juge administratif et ses conseils méthodologiques nous ont été précieux.

Nos sincères remerciements à Madame Nina Paly, doctorante au sein de l’Université de Lille. Nos nombreux échanges, ses relectures attentives, ses conseils avisés nous ont été d’une aide précieuse tout au long de la rédaction de ce mémoire.

Enfin, nous remercions vivement le Professeur Emmanuel Cartier, professeur agrégé à l’Université de Lille. Nous le remercions pour sa confiance, sa disponibilité, ses conseils méthodologiques et juridiques, indispensables à la réalisation de ce mémoire.

(3)

1

Sommaire

Introduction ... 3 I - La volonté des associations de dépasser les difficultés intrinsèques du droit des étrangers par la mobilisation de la QPC ... 6

1. La QPC, un instrument juridique peu adapté au droit des étrangers ... 6 2. Les associations comme vecteurs de mobilisation de la QPC en droit des étrangers13 II - Le renforcement des droits des étrangers par la QPC : une action importante mais limitée des associations de défense des droits des étrangers ... 19

1. La QPC, un instrument au service de la cause défendue par les associations de défense des droits des étrangers ... 19 2. Un renforcement limité des droits des étrangers du fait de la faible place laissée aux associations dans la QPC : vers un élargissement ? ... 26 Bibliographie ... 32 Table des matières ... 37

(4)

2

Abréviations

CA : Cour d’appel

CAA : Cour administrative d’appel Cass. : Cour de cassation

CE : Conseil d'État

CESEDA : Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile CNDA : Cour nationale du droit d’asile

Cons. const. : Conseil constitutionnel DC : décision

GISTI : Groupe d’information et de soutien des immigrés LDH : Ligue des droits de l’Homme

OFPRA : Office français de Protection des Réfugiés et Apatrides OQTF : obligation de quitter le territoire français

QPC : question prioritaire de constitutionnalité REP : recours pour excès de pouvoir

(5)

3

Introduction

Le respect des droits des étrangers est un marqueur essentiel du degré de protection et d’effectivité des droits et libertés dans un pays1. Toute société se doit d’apporter une attention

toute particulière à la protection des droits et libertés fondamentaux des étrangers. Ces derniers devront ainsi être placés en mesure de faire valoir leurs droits. Parmi les outils à leur disposition : la question prioritaire de constitutionnalité.

Cette possibilité introduite par la réforme constitutionnelle du 23 juillet 20082, et

entrée en vigueur le 1er mars 2010, permet que « lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé3 ». Ainsi, le Conseil constitutionnel pourra être amené à connaître de dispositions relatives au droit des étrangers.

Le droit des étrangers peut s’entendre, dans un sens très large, comme toute disposition applicable aux étrangers ou en lien avec ces derniers. De manière générale, le droit des étrangers régit le rapport entre les individus étrangers et les nationaux, ainsi que leur relation à l’État. Le droit des étrangers est donc un droit transversal, il n’est pas une branche propre du droit mais est formé par une multitude de branches. Toutefois, dans le cadre de cette étude, il est apparu comme plus pertinent de s’attarder sur les dispositions relatives à l’entrée et au séjour ainsi qu’au droit de la nationalité, expression la plus manifeste des normes s’appliquant aux étrangers.

Il forme un droit atypique. Atypique, d’abord, en ce qu’il est un droit éminemment politique, particulièrement sujet aux réformes au gré des alternances politiques. Atypique, ensuite en ce qu’il est un droit fragmenté, concernant tant des questions de circulation sur le

1 Le défenseur des droits, Rapport « Les droits fondamentaux des étrangers en France », Le site du Défenseur

des droits, 9 mai 2016, p. 6.

https://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/atoms/files/736160170_ddd_rapport_droits_etrangers.pdf, (consulté 08/12/2019)

2 Loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République

3 Article 29, Loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République

(6)

4 territoire, que de travail ou de droits aux prestations sociales. Atypique, aussi en ce qu’il relève de la compétence de plusieurs juges. L’entrée, le séjour et l’éloignement relèvent principalement du juge administratif. Les aspects touchant à la liberté individuelle comme le placement et le maintien en centre de rétention administrative ou la garde à vue sont soumis à la compétence du juge judiciaire, notamment le juge des libertés et de la détention. Les étrangers peuvent également bénéficier de statuts particuliers dont celui de réfugié accordé par l’OFPRA, dont les décisions sont contestables devant la CNDA, première juridiction administrative en termes de dossiers traités. Autant de juges compétents, autant de juges pouvant être amenés à filtrer une QPC.

À l’aube des 10 ans de la QPC, et dans le cadre du projet « QPC 2020 » lancé par le Conseil constitutionnel, la question de la place du droit des étrangers dans la QPC se pose donc. Afin de mener cette étude, 25 décisions QPC4 , rendues en la matière5 entre le 10 mars 2010 et le 31 décembre 20186, ont été recensées au sein d’un tableau détaillé, faisant ainsi l’objet d’analyses statistiques et comparatives. De la même manière, ont été référencées 23 décisions de filtrage émanant de la Cour de cassation, 38 décisions du Conseil d’État ainsi que 16 de la CNDA. Par ailleurs, plusieurs entretiens menés par l’ensemble de l’équipe de l’Université de Lille ont également constitué un soutien à la construction de notre réflexion. L’ensemble de ces données récoltées a constitué une base de travail très riche.

Dès lors, très vite est apparu le constat selon lequel le nombre de décisions QPC en la matière était bien faible au regard des 47314 affaires jugées uniquement par la CNDA et des 317 QPC dont a eu à connaître le Conseil d’État sur la seule année de 20187. Autre constat, celui

du nombre important de tierces interventions devant le Conseil constitutionnel.

Par le prisme du droit des étrangers, notre étude s’attarde ainsi sur le rôle joué par les associations de défense des droits des étrangers au sein de la procédure contentieuse de la QPC. En effet, parmi les QPC étudiées à la fois devant les juridictions de filtrage et devant le Conseil constitutionnel, l’étude menée témoigne de la forte activité de ces associations. Elles interviennent soit comme justiciables de la QPC en la soulevant, soit comme intervenantes dans la procédure pour venir au soutien de la QPC afin d’obtenir la déclaration d’inconstitutionnalité des dispositions contestées. Les associations, en tant que partie à

4 Annexe 1

5 Les données recensées faisant l’objet de cette étude n’ont pas vocation à être exclusives

6 Champ d’étude défini dans le cadre du projet « QPC 2020 »

7 Conseil d’État, « Le Conseil d’État et la justice administrative - Bilan d’activité 2018 », Le site du Conseil

(7)

5 l’instance peuvent donc soulever une QPC à l’occasion d’une instance introduite devant une juridiction relevant du Conseil d’État ou de la Cour de cassation. L’association justiciable de la QPC pourra soulever la QPC pour la première fois aussi bien en première instance, devant le juge du fond ou le juge des référés, qu’en appel ou en cassation.

Les associations peuvent également soutenir une QPC à défaut de la soulever. Devant le Conseil d’État, une intervention n’est recevable que dans des conditions limitées. Le principe est la « non-admission de l’intervention8 », qui ne doit être admise qu’à titre exceptionnel. Le

Conseil précise d’ailleurs qu’« eu égard au caractère accessoire, par rapport au litige principal, d’une [QPC], une intervention, aussi bien en demande, qu’en défense n’est recevable à l’appui du mémoire par lequel il est demandé au Conseil de renvoyer une telle question […] qu’à la condition que son auteur soit également intervenu dans le cadre de l’action principale9 ». Les interventions devant le Conseil constitutionnel étaient initialement

ignorées du règlement intérieur, la pratique progressive des interventions a justifié l’inscription du régime des interventions dans ce règlement. En effet, son article 6 prévoit que ces dernières sont admises au titre d’un « intérêt spécial », pouvant notamment résulter d’un lien entre l’objet de la législation contestée et l’objet social d’une association intervenante. Les interventions bénéficient donc d’un régime assez souple devant les neuf Sages.

Ainsi, sur les 25 décisions QPC recensées, une chose ressort nettement : le nombre important de tierces-interventions qui, pour la plupart, émanent d’associations de défense des droits des étrangers, et plus généralement des droits de l’Homme. Ces associations sont nombreuses et font preuve d’un activisme important en matière de protection des droits des étrangers, comme en témoigne le site du GISTI. Cet activisme va s’exercer de diverses façons ; au travers de publications, de permanences juridiques ou encore par le biais de la Justice, en tant que justiciables ou intervenantes. Les associations de défense des droits des étrangers se distinguent de la plupart des autres associations de par leur usage important des voies contentieuses, comme en témoigne le site du GISTI. Le Droit va être un réel appui dans la défense de leur cause. C’est dans cette optique que ces associations vont avoir recours à la QPC et c’est en cela qu’il conviendra de centrer le champ de cette étude sur ces associations luttant pour les droits des étrangers.

8 GUILLAUME (M.), « Question prioritaire de constitutionnalité », Répertoire de contentieux administratif, Dalloz, 2019.

(8)

6 Se pose alors la question du rôle des associations de défense des droits des étrangers en matière de QPC relatives à la cause qu’elles entendent défendre.

Les associations de défense des droits des étrangers ont su se saisir de cet outil innovant et encourager le recours à la QPC en matière de droit des étrangers (A). Ces dernières ont en effet très vite compris les intérêts que pouvait revêtir un tel instrument juridique et ont su l’employer dans un sens favorable à leur cause. Des limites demeurent toutefois quant à la place limitée conférée aux associations au sein de la procédure de la QPC (B).

I - La volonté des associations de dépasser les difficultés

intrinsèques du droit des étrangers par la mobilisation de la QPC

Le droit des étrangers est un droit atypique. Il est un droit fragmenté, fortement évolutif, difficilement mobilisé par ses sujets et source d’un contentieux massif (1). Les associations de défense des droits des étrangers interviennent dans ce dispositif qui semble peu adapté au droit des étrangers (2).

1. La QPC, un instrument juridique peu adapté au droit des étrangers

La QPC paraît peu adaptée au droit des étrangers (1.2) en ce qu’elle n’est que faiblement mobilisée au regard pourtant du contentieux massif qu’elle représente devant les juridictions ordinaires (1.2).

1.1. Le constat d’une faible mobilisation de la QPC en droit des étrangers

Le contentieux des étrangers est « un contentieux de masse10 », en ce que « les règles en vigueur en matière de droit au séjour et au travail donnent lieu […] à d’innombrables litiges11 » devant les juridictions administratives mais aussi devant les juridictions

10 LOCHAK (D.), « Qualité de la justice administrative et contentieux des étrangers », Revue française

d’administration publique, 2016, p. 701-713.

(9)

7 judiciaires12. Les juridictions administratives connaissent de la plupart des litiges soulevés en matière de droit des étrangers. Le poids du contentieux de masse s’expliquant également « par la complexité du droit des étrangers et la désinvolture ou l’acharnement des pratiques de guichet13 » qui écrasent les juridictions administratives. De ce fait, le nombre d’affaires, portant sur les refus d’admissions sur le territoire, les mesures d’éloignement, les refus de séjour, s’alourdit. Ainsi, en 2018, le contentieux des étrangers représente, de loin, le contentieux le plus important en termes d’affaires enregistrées devant les juridictions administratives : 79 807 affaires enregistrées soit 37,5 % des affaires totales pour les TA, 116 693 pour les CAA soit 49,4 % et enfin 1 975 affaires au CE soit 20,75 des affaires totales enregistrées14. Le contentieux des étrangers représente sur la même période 35,6 % des

décisions rendues par les TA, 47,7 % par les CAA et 18,44 % pour le CE15.

Pourtant face à la masse contentieuse engendrée par le contentieux des étrangers l’étude menée recense seulement 41 QPC devant le Conseil d’État en la matière. Parmi ces 41 QPC, 23 ont été soulevées directement devant le juge du Palais-Royal et 18 lui ont été transmises. Parmi ces 18 QPC transmises au Conseil d’État, 15 ont été soulevées en première instance devant un tribunal administratif et 3 en appel devant une CAA. Parmi les 15 QPC soulevées en première instance l’étude fait ressortir que 40 % de ces QPC ont été soulevées devant un tribunal de la région parisienne16. Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce constat : l’activité contentieuse des tribunaux franciliens qui est particulièrement importante, tout comme la présence de cabinets d’avocats spécialisés en droit des étrangers. Lors d’un entretien réalisé auprès d’une avocate du barreau lillois, celle-ci expliquait que les avocats exerçants seuls ont moins de temps à consacrer à la rédaction de mémoire QPC que des structures plus importantes qui ont les moyens d’embaucher des stagiaires, de travailler en équipe, d’avoir des salariés pouvant assurer une veille juridique.

Parmi les 41 décisions QPC relevées devant la Haute juridiction, 13 ont été renvoyées au Conseil constitutionnel soit 31.71 % des requêtes. Dès lors, si la QPC a ouvert la voie à de nouveaux moyens de contestation des décisions individuelles, l’impact en a été limité en droit des étrangers, « les juridictions administratives étant peu enclines à transmettre lesdites

12 Pour exemple, le juge des libertés est le seul compétent en matière de rétention administrative.

13Ibid., p. 36

14Conseil d’État, Rapport public : activité juridictionnelle et consultative des juridictions administratives en 2018, 3 juillet 2019, p. 33.

15 Ibid., p. 34

(10)

8 questions17 ». Ces 13 QPC viennent s’ajouter aux 12 renvoyées par la Cour de cassation pour former les 25 QPC étudiées et renvoyées devant les juges de la rue de Montpensier.

Sur ces 25 décisions les justiciables soulèvent en moyenne 2,68 droits et libertés par QPC, 67 droits et libertés supposément atteints ont été invoqués ; parmi eux, une quinzaine de droits et libertés que la Constitution garantit. Le principe d’égalité, entendu dans son sens large, représente le principe le plus invoqué dans les QPC relatives au droit des étrangers : égalité devant la loi, égalité devant la justice ou encore égalité entre les hommes et les femmes représentent ainsi 23.88 % des droits et libertés invoqués. Suivent ensuite le droit au respect de la vie privée soulevé à 7 reprises, tout comme les principes de nécessité et de proportionnalité des délits et des peines. Le droit au recours juridictionnel effectif est invoqué à 6 reprises. Le droit à une vie familiale normale est évoqué à 4 reprises, tout comme la liberté d’aller et venir. Finalement, les droits et libertés invoqués sont essentiellement liés aux droits individuels de la personne, ceux qui s’attachent à sa personne, des « droits liés à l’individu lui-même18 » comme les qualifie Renaud Denoix de Saint Marc. Seules six

déclarations d’inconstitutionnalité ont été prononcées par le Conseil constitutionnel. Parmi ces 6 décisions, seule une s’est soldée par une inconstitutionnalité simple19, les cinq autres se

sont soldées par une non-conformité partielle. La liberté d’aller et venir, si elle n’est pas le droit le plus invoqué, conduit le plus à l’abrogation de dispositions législatives, la méconnaissance de ce droit ayant été reconnu à 4 reprises. Le droit au recours effectif et le principe d’égalité ont été méconnus selon le juge constitutionnel à une reprise chacun. Enfin, il est à noter la consécration d’un nouveau principe par le juge constitutionnel : le principe de fraternité20.

Les QPC soulevées devant le Conseil constitutionnel l’ont été à deux reprises par des associations. Des associations de défense des droits des étrangers ont ainsi introduit deux QPC. La première a été soulevée par la Cabane juridique21 et par l’association le réveil

17 POULY (C.), « Étranger : contentieux de l’obligation de quitter le territoire français », Répertoire du

contentieux administratif, Dalloz, juin 2019, p. 132 – 133.

18 DENOIX DE SAINT-MARC (R.), « Les garanties constitutionnelles des droits et libertés politiques en France », Le site du Conseil constitutionnel, 2 février 2009. https://www.conseil-constitutionnel.fr/les-membres/les-garanties-constitutionnelles-des-droits-et-libertes-politiques-en-france (consulté le 22 décembre 2019)

19 Conseil constitutionnel, décision n° 2017-6684 QPC du 11 janvier 2018, Associations La Cabane Juridique /

Legal Shelter et autre (Zones de protection ou de sécurité dans le cadre de l’état d’urgence)

20 Conseil constitutionnel, décision n° 2018-717/718 QPC du 6 juillet 2018, M. Cédric H. et autre (Délit d'aide

à l'entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d'un étranger) 21 Conseil constitutionnel, décision n° 2017-684 QPC, op.cit

(11)

9 voyageur, deux associations calaisiennes de défense des droits des étrangers venant au soutien des exilés à Calais, deux associations modestes n’ayant pas une implantation nationale. En revanche, la seconde QPC fut soulevée par des associations d’envergure nationale ; le GISTI, spécialisé dans la défense des travailleurs immigrés, la Cimade, association de défense des droits des étrangers, et l’observatoire international des prisons, qui veille au respect des droits de l’Homme dans le milieu carcéral. Une troisième QPC a quant à elle été soulevée par deux sociétés. Toutes les autres ont été soulevées par des personnes physiques, la plupart de nationalité étrangère. Les étrangers sont ainsi les principaux justiciables des QPC en droit des étrangers en ce qu’ils en sont les premiers sujets.

Ces données et analyses révèlent ainsi la place limitée du droit des étrangers en matière de QPC au regard de l’ampleur du contentieux des étrangers devant les juridictions ordinaires. De nombreux facteurs permettent d’expliquer cette faible mobilisation.

1.2. Une faible mobilisation due à des facteurs juridiques et sociologiques

La faible mobilisation de la QPC en droit des étrangers s’explique d’abord par des raisons purement juridiques. La Constitution de 1958 ne contient quasiment pas de dispositions relatives au statut juridique des étrangers, à tel point que pour certains « la Constitution ignore les étrangers22 ». Les diverses sources constitutionnelles n’en contiennent pas plus. Tout au plus, un alinéa du Préambule de la Constitution 1946 et l’article 53-1 du texte de 1958 sont les seules à évoquer ce statut par une référence au droit d’asile. Le premier disposant que « Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République23 » ; principe réaffirmé à l’article 53-1 de la

Constitution. Ainsi, établir une base constitutionnelle du droit des étrangers est un travail délicat. « On ne s’étonnera donc pas du très faible nombre de QPC qui ont été traitées par le juge constitutionnel24 » en matière de droit des étrangers. En effet, le corpus juridique du juge

constitutionnel est la Constitution, la QPC vise à sanctionner la méconnaissance, par des dispositions législatives, de droits et libertés qu’elle garantit. Si la norme de référence du juge

22 MILLARD (E.) , « La Constitution ignore les étrangers », Plein droit, n° 94, 2013, p. 14-17.

23 Alinéa 4 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946

(12)

10 est quasiment muette sur le droit des étrangers, la faible mobilisation de la QPC en ce domaine n’en est donc que la conséquence logique. D’autant plus qu’il ne faut pas attendre du juge constitutionnel qu’il soit l’auteur d’un véritable statut constitutionnel des étrangers. Ce droit est un droit politique, il est la seule œuvre du législateur. Le juge constitutionnel cultive certes « le subtil équilibre entre, d’une part, ne pas tenir la main du Parlement par des indications trop directives et, d’autre part, éclairer suffisamment son ouvrage pour que la copie soit rendue de façon satisfaisante25 ». Ainsi, le Conseil constitutionnel rappelle

fréquemment, par un considérant de principe, ou une sorte de réserve d’opportunité qu’il « ne lui appartient pas de se prononcer sur l’opportunité de dispositions législatives26 » et qu’il ne

dispose pas d’un « pouvoir général d’appréciation et de décision identique à celui du Parlement27 ». D’ailleurs, si le juge constitutionnel peut faire œuvre de construction et consacrer de nouveaux principes, tel le principe de fraternité, il faut souligner les vives critiques que cela a pu entraîner, tant du point de vue de la doctrine que du point de vue politique.

De plus, la QPC est difficilement mobilisable dans un contentieux marqué par les procédures d’urgence, les délais de recours réduits, notamment en matière de mesure d’éloignement du territoire. Le contentieux des étrangers repose notamment sur de nombreuses procédures de référé, soit des procédures d’urgence. Or, si le juge des référés peut être saisi d’une QPC28, il n’en demeure pas moins que les délais restreints diminuent

l’opportunité de soulever une telle question. Tout au plus, les avocats pourront soulever une QPC prérédigée qu’ils adapteront au cas de l’espèce. Sur les 41 QPC jugées par le Conseil d’État, 5 l’ont été par le juge des référés du Conseil d’État, soit 12,2 % des QPC passées devant le juge du Palais Royal. Toutefois, aucune des QPC n’a été renvoyée au Conseil constitutionnel.

Par ailleurs, le juge constitutionnel opère un important contrôle a priori des lois contenant des dispositions en droit des étrangers. Ce contrôle induit un effet dissuasif sur la mobilisation de la QPC puisque le contrôle a priori, sauf dans l’hypothèse où un changement de circonstances justifierait un réexamen de la position adoptée par le Conseil constitutionnel,

25 DISANT (M.), « L’effet dans le temps des décisions QPC », Nouveaux Cahiers du droit constitutionnel, n° 40, juin 2013.

26 Conseil constitutionnel, décision no 89-261 DC, 28 juillet 1989, Loi relative aux conditions de séjour et

d'entrée des étrangers en France, cons.15

27 Conseil constitutionnel, décision no 74-54 DC du 15 janvier 1975, Loi relative à l'interruption volontaire de

la grossesse, cons.1

(13)

11 fait obstacle à la recevabilité d’une QPC. Cet effet dissuasif est renforcé par la publication en ligne des dispositions déclarées conformes par le Conseil constitutionnel. Cette publication, servant la bonne administration de la justice et évitant des recours contentieux abusifs, incite le justiciable bien informé à ne pas soulever de QPC qui n’aurait pas de chance d’aboutir. En effet, le contrôle opéré par le juge constitutionnel évite ainsi de nombreux recours qui encombreraient davantage le prétoire.

Le droit des étrangers est un droit très fréquemment réformé. En ce sens, le GISTI recense 17 réformes du droit des étrangers depuis 1996. Une telle activité législative laisse donc peu de place à un possible changement de circonstances de droit. Ainsi, sur les 28 décisions de non-renvoi prononcées par le Conseil d’État, 11 n’ont pas été renvoyées sur le fondement du contrôle a priori déjà opéré par le juge constitutionnel et l’absence de circonstances de droit et de faits nouveaux, soit 39,29 % des décisions de non-renvoi. Seulement, une décision de transmission29 s’est fondée sur un changement de circonstances de droit par rapport à une décision a priori du Conseil constitutionnel. Parmi les décisions de contrôle a priori mentionnées par la Haute juridiction, la décision n°2003-485 est citée à six reprises, cette décision a validé les dispositions de la loi portant modification de la loi du 25 juillet 1952 relative au droit d’asile. La décision n°93-325 DC30 contrôlant la loi relative à la

maîtrise de l’immigration et aux conditions d’entrée, d’accueil et de séjour des étrangers en France est mentionnée, quant à elle, à trois reprises par le Conseil d’État.

De surcroît, le droit des étrangers est essentiellement un droit reposant sur des mesures de police administrative. Les mesures prises à l’encontre des usagers : refus de titre, OQTF, interdiction du territoire sont essentiellement attaquées par la voie du recours pour excès de pouvoir. Le recours pour excès de pouvoir, procès fait à un acte, est ainsi privilégié par les justiciables. Le REP étant plus adapté au contentieux des étrangers, il permet d’obtenir satisfaction plus rapidement et est une procédure moins coûteuse. Les justiciables étrangers peuvent également privilégier la voie du contrôle de conventionnalité en saisissant la Cour européenne des droits de l’homme. La QPC pourra ainsi se voir délaissée au profit de ces voies parfois plus adaptées.

29 Conseil d’État, 2ème et 7ème sous-sections réunies, 22 février 2013, n°364341, M. TorresMoye

30 Conseil constitutionnel, décision n° 93-325 DC du 13 août 1993, Loi relative à la maîtrise de l'immigration

(14)

12 Par ailleurs, les justiciables étrangers, à qui le droit des étrangers s’applique, sont des justiciables que l’on peut qualifier de vulnérables en ce qu’ils ne maîtrisent pas nécessairement tous bien la langue française et se trouvent parfois dans une situation de grande précarité. Ces facteurs sociologiques sont autant de freins à l’accès à la justice et à la mobilisation de la QPC. Se faire entendre en justice est particulièrement difficile pour ses personnes fragilisées. Pour les étrangers, en principe « droits et libertés ne sont […] que des mots. En pratique elle [la personne étrangère] ne sait pas ce que c’est31 ». Pour que les

étrangers soient des justiciables au même titre que les autres et à armes égales, ils se doivent d’être nécessairement accompagnés. Les avocats spécialisés en droit des étrangers ont donc un véritable rôle à jouer au soutien de leurs clients pour faire entendre leurs droits en justice. Une avocate interrogée dans le cadre de notre étude insistait particulièrement sur ce rôle de soutien aux clients vulnérables ; soutien d’abord face à l’administration, pour l’accompagner dans les démarches, mais également soutien en justice dans la réalisation des requêtes. Toutefois, cette dernière insistait également sur le rôle important que jouent les associations de défense des droits des étrangers. Les associations sont de véritables soutiens à ce public vulnérable. Leur spécialisation en droits des étrangers est un véritable vecteur d’accès des étrangers au prétoire et par conséquent d’accès à la QPC. En effet, le droit des étrangers est un droit fragmenté en ce qu’il trouve à s’appliquer dans de nombreux domaines du droit. Les étrangers se voient essentiellement appliquer les dispositions du CESEDA mais aussi des dispositions de droit social, par le truchement du droit du travail. L’éligibilité des étrangers aux aides sociales forme également une importante source du contentieux applicable à ces justiciables. À ce droit fragmenté, s’ajoute aussi la quasi-absence de formations universitaires centrées sur l’enseignement du droit des étrangers. Rares sont les formations consacrées uniquement au droit des étrangers, si ce n’est dans les cursus universitaires relatifs aux droits de l’homme. Ce manque de formation se répercute ainsi sur la formation des avocats et agents de l’Administration, dont la spécialisation en droit des étrangers reste mince et leur vision de la matière fragmentée.

Toutes ces difficultés afférentes au droit des étrangers rendent l’accompagnement des étrangers dans les procédures contentieuses nécessaires.

31 CARON-DEGLISE (A.), « Se faire entendre en justice », in AMRANI-MEKKI (S.), (dir.), Et si on parlait

(15)

13

2. Les associations comme vecteurs de mobilisation de la QPC en droit des étrangers

Les associations de défense des droits des étrangers se relèvent être de véritables vecteurs de mobilisation de la QPC (2.1). La spécialisation juridique des associations en droit des étrangers et leurs interventions devant le juge illustrent leur influence sur la mobilisation de la QPC (2.2).

2.1. La spécialisation des associations comme vecteur de mobilisation de la QPC

Les associations de défense des droits des étrangers permettent l’accès des justiciables étrangers au juge, du moins le favorise et l’encourage. Effectivement, les associations jouent un rôle de conseil juridique important auprès des justiciables. Elles représentent d’abord un avantage financier pour les étrangers, plus vulnérables que les autres justiciables. La gratuité de l’accompagnement mis en place par les associations lève un frein qui peut être ressenti à la sollicitation d’un avocat. Les associations vont accompagner l’étranger tout au long de ses démarches, aussi bien devant l’Administration que devant le juge, afin de contribuer à la sauvegarde des droits des étrangers.

La spécialisation des associations passe par l’existence de structures compétentes et organisées, ayant une connaissance certaines du droit des étrangers. Le but premier des associations de défense des droits des étrangers ne sera pas forcément d’agir au contentieux. Leur action est d’abord concentrée sur un militantisme local, un soutien social face à des situations particulières, une aide humanitaire. Toutefois, les étrangers forment une catégorie de justiciables très fortement représentée devant les juridictions françaises et les associations se sont, au fur et à mesure, mises à agir sur le terrain contentieux. Les associations de défense des droits des étrangers se sont ainsi dotées de services juridiques, plus ou moins formels, suivant l’actualité contentieuse, pratiquant du conseil juridique et rédigeant des mémoires et requêtes. Ces compétences juridiques sont un appui indispensable à la connaissance du droit

(16)

14 et un accompagnement nécessaire des justiciables étrangers dans ces procédures contentieuses complexes.

Pour exemple, fin 2018 le GISTI comptait 253 membres dont plus de la moitié était des juristes, parmi eux 80 étaient avocats32. L’activité contentieuse est une des « activités phares du GISTI, qui dès l’origine, a décidé d’utiliser l’arme du droit pour défendre la cause des personnes étrangères33 ». Cette activité contentieuse s’appuie aussi sur une non-moins importante activité de conseil juridique auprès des justiciables étrangers, pouvant aboutir d’ailleurs à la décision d’accompagner un étranger dans sa procédure QPC. La LDH suit la même logique de fonctionnement en étant dotée d’un véritable service juridique assurant des permanences quotidiennes en droit des étrangers. Bien que n’étant pas une association uniquement spécialisée en droit des étrangers, la LDH va être un appui pour les justiciables étrangers de par son activité contentieuse et son activité de conseil juridique.

Toutefois, là n’est pas le seul rôle des associations de défense des droits des étrangers qui vont contribuer à une judiciarisation du droit des étrangers au sens large. En effet, l’accompagnement dans les procédures QPC n’est qu’une partie de l’activité contentieuse des associations. Elles vont également intervenir devant le juge administratif pour obtenir l’annulation des décisions administratives appliquées aux étrangers. Ainsi la Cimade estime avoir enregistré « pas moins de 35 requêtes ou interventions volontaires […] auprès du Conseil d’État en 201834 ». Elles interviennent tant devant le juge des libertés et de la

détention, pour agir contre les mesures de rétention administrative, que devant le juge administratif contre les mesures d’éloignement du territoire. Les associations interviennent également dans les procédures de référé-liberté et devant la Cour européenne des droits de l’homme, principalement pour des questions liées à l’asile. C’est ce dont témoigne le GISTI qui est intervenu devant la Cour européenne par quatre tierces-interventions en 2018. En agissant devant les différents juges des droits des étrangers, les associations participent à l’entrée de l’étranger dans le prétoire et à la défense de ses droits. Par conséquent, elles encouragent le recours à la QPC puisqu’il ne saurait y avoir de QPC sans litige de fond.

32 GISTI, Bilan d’activité 2018, site du GISTI, p. 6. https://www.gisti.org/IMG/pdf/bilan_2018.pdf

33 Ibid, p. 41

34 La Cimade, Rapport d’activité 2018, site de La Cimade, p. 9.

https://www.lacimade.org/wp-content/uploads/2019/07/Rapport-activité-La-Cimade-2018.pdf (consulté 16 décembre 2019)

(17)

15 En outre, les associations de défense des droits des étrangers opèrent un important travail de veille juridique. En examinant les décisions rendues par le Conseil dans son contrôle de constitutionnalité a priori, les associations estiment l’opportunité d’introduire une QPC devant le Conseil constitutionnel. Ainsi, le GISTI anticipe, par l’analyse des décisions du Conseil constitutionnel, l’opportunité d’introduire ultérieurement une QPC. À propos de l’article 51 de la loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, le GISTI estimait que ces dispositions instauraient une collecte « potentiellement systématique des empreintes digitales et photographies de mineurs étrangers au seul motif que ceux-ci ont sollicité une protection » qui violait le principe d’égalité et le droit à la protection de la vie privée. Le GISTI et la LDH ont ainsi demandé au Conseil constitutionnel, par la voie de l’amicus curiae, de constater l’inconstitutionnalité de ces dispositions. Observant que le Conseil n’avait pas jugé utile de s’autosaisir de la question, cela laissait la voie ouverte à une future QPC. Voie empruntée dès lors par une intervention groupée de dix-neuf associations à l’occasion de la QPC du 26 juillet 201935.

Par ailleurs, les associations de défense des droits des étrangers comptent, la plupart du temps, parmi leurs salariés ou leurs bénévoles des juristes qui ont une formation pluridisciplinaire répondant ainsi à l’un des écueils du droit des étrangers : son immense fragmentation. Le rôle de ces dernières n’est donc pas des moindres puisqu’elles vont remédier aux difficultés intrinsèques au droit des étrangers et encourager le recours à la QPC en la matière. Cette contribution au développement de la QPC va également passer par leurs interventions au sein de la procédure contentieuse.

2.2. L’intervention des associations dans la procédure QPC comme levier de mobilisation de la QPC en droit des étrangers

Les associations agissent devant les juridictions grâce au déploiement de véritables structures juridiques internes. Leur mobilisation permet ainsi de répondre aux difficultés intrinsèques du droit des étrangers. Elles interviennent dans la procédure de la QPC, soit en tant que justiciables soulevant la QPC soit par le biais de l’intervention.

35 Conseil constitutionnel, Décision n° 2019-797 QPC du 26 juillet 2019, Unicef France et autres (Création

(18)

16 Les associations sont en effet parfois les justiciables directs des procédures QPC. Ainsi, la Section française de l’observatoire international des prisons, la Cimade et le GISTI ont soulevé une QPC36 afin de faire déclarer l’inconstitutionnalité du paragraphe IV de l’article L. 512-1 du CESADA. Cette action commune a permis d’obtenir la déclaration d’inconstitutionnalité des dispositions relatives au délai de recours et de jugement par un étranger détenu faisant l’objet d’une OQTF, en ce que ce délai n’opérait pas une conciliation équilibrée entre le droit au recours juridictionnel effectif et les objectifs poursuivis par le législateur. Parmi les décisions de filtrage relevées devant le Conseil d’État, deux concernaient des QPC soulevées directement par des associations. La première37 a été soulevée communément par la Cimade, le GISTI et la LDH concernant le régime de l’interdiction administrative du territoire. Toutefois le Conseil d’État a refusé de transmettre la QPC au Conseil constitutionnel. La seconde occurrence renvoie à la décision de filtrage de la QPC ci-dessus citée.

Au niveau local, un exemple significatif de l’action contentieuse des associations de défense des droits des étrangers s’illustre à l’occasion d’une ordonnance rendue par le président de la 4ème chambre du TA de Lille, le 13 juillet 201738. Deux associations, la Cabane Juridique / Legal Shelter et le Réveil Voyageur, ont soulevé une QPC à propos du 2° de l’article 5 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955. La QPC fut transmise au Conseil d’État qui a admis les interventions présentées par la LDH et le GISTI. Ce dernier a en effet estimé que ces associations paraissent « clairement devoir être regardées, en l’état du dossier comme justifiant d’un intérêt suffisant pour intervenir au soutien de cette requête39 ». La QPC a dès

lors été renvoyée au Conseil constitutionnel. Sur le fondement de la disposition législative contestée, la sous-préfète avait créé une zone de protection sur le site de la Lande de Calais, limitant par conséquent le séjour, la circulation et le stationnement des personnes pendant la durée de l’évacuation du camp. Dans son mémoire en intervention, le GISTI dénonçait les effets de cette décision qui a notamment contribué à « mettre à l’écart du site, les avocats et plusieurs membres d’associations de soutien des exilés40 ». Cette mesure de police

36Conseil constitutionnel, décision n° 2018-709 QPC du 1er juin 2018, Section française de l'observatoire

international des prisons et autres (Délai de recours et de jugement d'une obligation de quitter le territoire français notifiée à un étranger)

37Conseil d’État, 10ème et 9ème sous-sections réunies, 13 avril 2016, n° 394114, La Cimade et autres

38 Tribunal administratif de Lille, ord., 12 juillet 2017, n° 1610295

39 ODINET (G.), Conclusions sur Conseil d’État, 2ème et 7ème chambres réunies, 6 octobre 2017, Association «

La Cabane Juridique / Legal Shelter » et autre, n° 412407

40 CRUSOE (L.), Intervention en demande pour le GISTI, sur la procédure n° 2017-684 QPC

(19)

17 administrative, prise sur le fondement de dispositions relatives à l’état d’urgence, entachait ainsi les droits des étrangers présents dans la « jungle ». La requête en annulation de cet acte était ainsi accompagnée d’une QPC visant à faire constater l’inconstitutionnalité de l’article 5-2° de la loi sur l’état d’urgence de 1955, notamment du fait des atteintes portées à la liberté d’aller et venir, aux droits au respect de la vie privée et de mener une vie familiale normale. Le Conseil constitutionnel ayant donné raison aux associations requérantes en ce que « le législateur n’a pas assuré une conciliation équilibrée entre, d’une part l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et, d’autre part, la liberté d’aller venir41 ».

Si les associations de défense des droits des étrangers sont parfois auteures de la QPC, elles demeurent principalement intervenantes dans la procédure QPC. Le régime des interventions devant le Conseil d’État étant strict, le nombre d’interventions s’en voit limité. Il sera en revanche plus important devant le Conseil constitutionnel.

S’agissant des décisions de filtrage du Conseil d’État, des interventions sont recensées sur 5 décisions, soit seulement dans 12,2 % des cas. Le GISTI étant intervenu le plus souvent, soit 3 fois, la Cimade étant quant à elle intervenue deux fois. Par ailleurs, le Conseil d’État a rejeté, à l’occasion du filtrage d’une QPC portant sur la constitutionnalité de l’article L. 531-2 alinéa 1er du CESEDA42, les interventions du GISTI et de la Cimade.

Devant le Conseil constitutionnel, 60 tierces interventions peuvent être constatées à travers les décisions QPC retenues. Parmi ces 60 associations intervenantes, toutes n’ont pas pour objet principal la défense des droits des étrangers, à l’instar des syndicats de magistrats et d’avocats. On notera que l’association SOS soutien ô sans papiers est l’association qui est intervenue le plus de fois, soit 10 fois ; suivi par le GISTI, intervenu à 7 reprises, tout comme la Cimade.

Cela témoigne du fait que les associations interviennent souvent à plusieurs au soutien d’une QPC. En effet, soucieuses de voir leur intervention aboutir, les associations de défense des droits des étrangers ont tendance à s’unir dans les procédures QPC. En ce sens, le GISTI, dans son rapport d’activité pour 2018 souligne l’importance du travail interassociatif afin « d’échanger idées et analyses et de décupler les forces de chacun des organisations

41 Conseil constitutionnel, décision n° 2017-684 QPC, op.cit., cons.6.

(20)

18 concernées43 ». La QPC du 19 octobre 201844 illustre d’ailleurs l’action commune menée par les associations. L’OPI-SF, la Cimade et le GISTI, ont ainsi produit des observations en intervention communes tendant à faire constater que les dispositions des articles L 512-1 II et L. 533-1 du CESEDA ainsi que l’article L. 776-1 du CJA méconnaissaient les droits et libertés garantis par la Constitution. L’intervention commune ayant été admise par le Conseil d’État, en ce qu’« eu égard à la nature et à l’objet du litige45 » les intervenants justifient

« d’un intérêt suffisant pour intervenir au soutien de la demande46 ». Ces dispositions

prévoient que les arrêtés de reconduite à la frontière ne peuvent être contestés que dans le délai de quarante-huit heures suivant leur notification. Or, pour les associations intervenantes, ces dispositions sont entachées d’incompétence négative et méconnaissent le droit à un recours effectif en ce qu’elles sont applicables aux étrangers détenus, faisant l’objet d’une OQTF. Toutefois, le Conseil constitutionnel ne constatera pour sa part aucune atteinte aux droits et libertés constitutionnellement garantis.

Comme en atteste cette QPC, les associations se sont réellement emparées de ce nouvel instrument juridique, et cela notamment au travers des tierces-interventions. Par ce biais, elles concourent à la mobilisation de la QPC en ce qu’elles vont venir au soutien de la question formulée par le justiciable étranger. Les associations de défense des droits des étrangers vont dès lors jouer un rôle en amont, en accompagnant le justiciable dans ses démarches administratives et contentieuses, mais également en aval en ce qu’elles joueront un rôle direct au sein de la procédure QPC.

Les associations contribuent ainsi au développement de la QPC en matière de droit des étrangers. Cette contribution n’étant pas anodine puisque au travers de cette voie, elles vont en réalité chercher à renforcer les droits des étrangers.

43 GISTI, op.cit, p. 53.

44 Conseil constitutionnel, décision n° 2018-741 QPC du 19 octobre 2018, M. Belkacem B. (Délai de recours

contre les arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière)

45 Conseil d’État, 6ème et 5ème chambres réunies, 18 juillet 2018, n° 409630, M. B.

(21)

19

II - Le renforcement des droits des étrangers par la QPC : une

action importante mais limitée des associations de défense des droits

des étrangers

Cet encouragement des associations de défense des droits des étrangers à recourir à la QPC en la matière n’est pas sans incidence. La QPC va, en effet, constituer un instrument au service de la cause que ces associations s’attachent à défendre (1). Toutefois, cet instrument voit son efficacité limitée en raison de la place très restreinte accordée aux associations. Se pose alors la question d’une éventuelle évolution de la procédure de la QPC (2).

1. La QPC, un instrument au service de la cause défendue par les associations de défense des droits des étrangers

Les associations de défense des droits des étrangers vont chercher à instrumentaliser la QPC en faveur des intérêts qu’elles défendent. La QPC va ainsi être à la fois une « arme politique », afin de faire valoir leurs revendications, (1.2) mais aussi un « bouclier juridique » pour les étrangers qu’elles entendent protéger (1.1).

1.1. Le recours à la QPC par les associations de défense des droits des étrangers : un bouclier juridique nécessaire pour les étrangers

Au travers de leur action directe ou indirecte, les associations de défense des droits des étrangers vont chercher à lutter contre les atteintes faites aux droits et libertés des étrangers en recourant à la QPC. Cette lutte s’avère d’autant plus nécessaire que les étrangers semblent être des justiciables particulièrement vulnérables.

(22)

20 Bon nombre d’associations ont, en effet, soulevé l’idée selon laquelle le droit des étrangers serait plus répressif que reconnaissant de droits. Bien qu’un code soit consacré aux étrangers, celui-ci ne leur confère que peu, ou pas, de droits. C’est en cela que le GISTI a pu qualifier le droit des étrangers de « non-droit47 ». Il ne s’agirait donc pas de normes conférant des droits aux étrangers48 mais instituant un droit des étrangers, un droit que subiraient les étrangers49.

Cette vulnérabilité semble s’être accentuée ces dernières années puisque le Défenseur des droits a, dans son rapport de 2016, constaté une « régression de la situation des étrangers50 ».

Or, si le Conseil constitutionnel a pu admettre que le législateur puisse « prendre à l’égard des étrangers des dispositions spécifiques51 », celui-ci a également ajouté que ces mêmes dispositions doivent, cependant, « respecter les engagements internationaux souscrits par la France et les libertés et droits fondamentaux de valeur constitutionnelle reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République52 ». Ainsi, « même s’ils [les étrangers] n’accèdent pas à l’égalité avec les nationaux, [ils] ont néanmoins, en tant qu’êtres humains, des droits fondamentaux qui méritent protection53 ». Les étrangers ne sont donc en aucun cas exclus du bénéfice des droits et libertés constitutionnellement garantis. Par conséquent, en encourageant le recours à la QPC, les associations de défense des droits des étrangers encouragent les étrangers à faire valoir leurs droits et libertés les plus fondamentaux. La QPC apparaît ainsi être le dernier rempart des étrangers pour voir leurs droits et libertés respectés. Il s’agirait là d’une sorte de bouclier face à une loi plus répressive que prescriptive de droits. S’il est difficile en matière de droit des étrangers d’invoquer la loi, les droits et libertés constitutionnellement garantis, eux, demeurent.

47 ISRAËL (L.), « Faire émerger le droit des étrangers en le contestant, ou l'histoire paradoxale des premières années du GISTI », Politix, vol. 16, n°62, Deuxième trimestre 2003, p. 116.

48 LE DÉFENSEUR DES DROITS, Rapport « Les droits fondamentaux des étrangers en France », Le site du

Défenseur des droits, 9 mai 2016, p. 7.

https://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/atoms/files/736160170_ddd_rapport_droits_etrangers.pdf, (consulté le 8 décembre 2019)

49 Pour exemple, voir les lois n° 93-1027 du 24 août 1993 relative à la maîtrise de l’immigration et aux conditions d’entrée, d’accueil et de séjour des étrangers en France, n° 2003-1119 du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité et no 2007-1631 du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile; ou encore la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des Étrangers en France.

50 LE DÉFENSEUR DES DROITS, op.cit. , p. 6.

51 Conseil constitutionnel, décision n° 89-269 DC du 22 janvier 1990, Loi portant diverses dispositions

relatives à la sécurité sociale et à la santé, cons. 33 52 Conseil constitutionnel, décision n° 89-269 DC, Ibid.

53 LOCHAK (D.) et JULIEN-LAFERRIÈRE (F.), « Les expulsions entre la politique et le droit », Archives de

(23)

21 Dès lors, la question d’une constitutionnalisation du statut des étrangers a pu se poser54. Il

semble difficile d’adhérer à une telle vision au regard des QPC rendues depuis 2010. Sur 25 décisions référencées, entre 2010 et 2018, en matière de droit des étrangers, seules 6 prononcent une inconstitutionnalité55. Dans 5 de ces décisions, le Conseil constitutionnel semble ne prononcer que les inconstitutionnalités « les plus manifestes56 ». Le juge

constitutionnel apparaît dès lors comme quelque peu timide en matière de droit des étrangers. Tel est le ressenti confié par certaines associations de défense des droits des étrangers selon lesquelles seules les points les plus « scandaleux » donneraient lieu au prononcé d’une déclaration de non-conformité. L’une des explications avancées à cela réside en la nature même du contrôle a posteriori. Le caractère abstrait et objectif du contrôle va parfois se révéler être un « obstacle à l’identification des discriminations57 ». C’est, en effet, ce qu’il semble ressortir de la décision n° 2011-186/187/188/189 QPC du 21 octobre 201158. En l’espèce, selon les requérants, les dispositions contestées privaient « les seuls enfants nés hors mariage qui avaient atteint l’âge de la majorité à la date du 1er juillet 2006, date d’entrée en vigueur de l’ordonnance du 4 juillet 2005, de la possibilité d’obtenir la nationalité française en rapportant la preuve du lien de filiation qui les rattache à leur mère de nationalité française en se fondant sur la seule mention du nom de leur mère dans leur acte de naissance ; que, par suite, elles méconnaîtraient le principe d’égalité devant la loi59 ». Ce à quoi le Conseil

constitutionnel va répondre « que la différence de traitement qui résulte de la succession de deux régimes juridiques dans le temps n’est pas, en elle-même, contraire au principe d’égalité60 ». Cette phrase témoigne de l’effet du contrôle abstrait. Le Conseil constitutionnel

considère que la disposition telle que rédigée ne méconnaît pas en soi le principe d’égalité devant la loi puisqu’elle se fonde sur un critère neutre qu’est la majorité. Le juge constitutionnel va ainsi estimer « que le législateur n’a pas voulu, contrairement à ce

54 Voir TCHEN (V.), « Brèves remarques sur les bases constitutionnelles du droit des étrangers »,

Constitutions, janvier-mars 2010, p. 147-150; LECUCQ (O.), Le statut constitutionnel des étrangers en situation irrégulière, thèse, Aix-Marseille, 1999; GENEVOIS (B.), « Un statut constitutionnel pour les

étrangers », RFDA, 1993, p. 871; KISSANGOULA (J.), « La constitutionnalisation du droit des étrangers en France : contribution à l'étude du développement du droit constitutionnel », thèse, Montpellier 1, 1997.

55 cf. annexe 1

56 Voir en ce sens, Conseil constitutionnel, décision n° 2011-217 du 3 février 2012, M. Mohammed Akli B.

(Délit d'entrée ou de séjour irrégulier en France), cons. 4 et 5

57 RRAPI (P.), « Le « contrôle abstrait » de constitutionnalité comme obstacle à l’identification des

discriminations », La Revue des droits de l’homme, 2016. https://journals.openedition.org/revdh/2060 (consulté le 14 décembre 2019)

58 Conseil constitutionnel, décision n° 2011-186/187/188/189 QPC du 21 octobre 2011, Mlle Fazia C. et autres

( Effets sur la nationalité de la réforme de la filiation )

59 Conseil constitutionnel, décision n° 2011-186/187/188/189 QPC, Ibid. , cons. 2

(24)

22 qu’avancent les requérants, discriminer les enfants étrangers de mère française nés hors mariage ; il n’aurait, en réalité, que prévu la succession dans le temps de deux régimes juridiques différents61 ». Le Conseil constitutionnel ne nie donc pas la possibilité que des inégalités naissent de cette disposition mais il va affirmer que cette « différence de traitement […] présente un caractère résiduel62 ». Cette solution démontre la difficulté à faire valoir

certaines atteintes aux droits et libertés constitutionnellement garantis face à un contrôle faisant abstraction des effets produits par la loi dans certaines situations.

Toutefois, le Conseil constitutionnel a pu se révéler parfois plus entreprenant. C’est en effet ce que semble indiquer la décision reconnaissant le principe de fraternité. Dans cette décision, le juge constitutionnel a considéré que « le législateur n’a pas assuré une conciliation équilibrée entre le principe de fraternité et l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public63 », « en réprimant toute aide apportée à la circulation de

l’étranger en situation irrégulière, y compris si elle constitue l’accessoire de l’aide au séjour de l’étranger et si elle est motivée par un but humanitaire64 ». Cependant, à y regarder de plus

près, les premiers bénéficiaires de cette déclaration d’inconstitutionnalité ne sont pas les étrangers mais bien les aidants, pour la plupart nationaux français. Ainsi, sans aller jusqu’à affirmer que « le juge constitutionnel a toujours, peu ou prou, accompagné le mouvement de désintégration de ce « statut constitutionnel des étrangers »65 », comme a pu le faire une partie de la doctrine, on peut affirmer que le Conseil constitutionnel n’a pas pour autant encouragé le développement d’un tel statut. Le Conseil constitutionnel semble faire preuve, en la matière, d’« un peu d’audace et [de] beaucoup de prudence66 ».

Pour autant, il ne faut pas minimiser l’importance de la QPC en matière de droit des étrangers, sans laquelle la situation de ces justiciables vulnérables n’en serait que plus atteinte. La QPC va être un outil au service des étrangers. Elle va être le bouclier que les associations de défense des droits des étrangers, et les étrangers eux-mêmes, brandiront face au législateur qui osera attenter à ce patrimoine juridique restreint. Il n’y a donc point de

61 RRAPI (P.), op.cit.

62 Conseil constitutionnel, décision n° 2011-186/187/188/189 QPC, op.cit. , cons. 6

63 Conseil constitutionnel, décision n° 2018-717/718 QPC du 6 juillet 2018, M. Cédric H. et autre (Délit d'aide

à l'entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d'un étranger), cons. 13 64 Conseil constitutionnel, décision n° 2018-717/718 QPC, ibid.

65 SLAMA (S.); CATELAN (N.); PERRIER (J-B.) et al., « Jurisprudence du Conseil constitutionnel », Revue

française de droit constitutionnel, n° 90, 2012, p. 373.

66 BORGETTO (M.), « Le Conseil constitutionnel, le principe d'égalité et les droits sociaux », in Mélanges

(25)

23 constitutionnalisation d’un statut des étrangers mais bien une reconnaissance par le Conseil constitutionnel, au travers de la QPC, d’un statut constitutionnel minimal. Un statut que l’on ne saurait ôter à quiconque, « que ne saurait entamer aucune considération d’origine, d’appartenance ou de nationalité67 » ; un statut fondé sur les droits de l’homme or, « si les

étrangers sont des hommes - ce qu’après tout nul ne conteste -, ils doivent pouvoir se réclamer des droits fondamentaux de la personne humaine68 ».

Par ailleurs, la QPC ne va pas être employée par les associations de défense des droits des étrangers uniquement comme un « bouclier juridique » mais également comme une épée en ce que les décisions QPC vont devenir un argument politique, au soutien de leurs revendications.

1.2. Le recours à la QPC par les associations de défense des droits des étrangers : une arme politique utile à l’évolution du statut juridique des étrangers

Si le recours à la QPC par les associations de défense des droits des étrangers peut constituer un moyen de préserver les droits et libertés les plus fondamentaux des individus auxquels elles vouent leur combat, cela va aussi être un moyen d’appuyer leurs revendications. Les associations vont ainsi se dresser comme de véritables « lanceurs d’alerte ». Leur intervention en justice va se révéler bénéfique sur le plan médiatique et politique, en ce qu’en « tirant la sonnette d’alarme69 » les associations permettent d’attirer

l’attention sur des agissements contraires aux droits de l’homme et aux droits et libertés garantis par la Constitution. Pour les associations de défense de droit des étrangers, le contentieux est politique, la mise en cause devant une juridiction pouvant s’analyser comme une mise en cause politique. Ainsi, faire constater par la voie de la QPC l’inconstitutionnalité d’une loi est une « façon de démontrer le bien-fondé des critiques adressées à la politique gouvernementale70 ». En intervenant sur le terrain du droit, les associations de défense des

67 LOCHAK (D.), « Les étrangers et les droits de l'homme », in Mélanges Charlier, éd. de l'Université et de l'enseignement moderne, Paris, 1981, p. 615.

68 LOCHAK (D.), Ibid., p. 615.

69Ibid.

(26)

24 étrangers font preuve d’« un usage militant du droit71 ». Les associations vont en effet

chercher à « encourager et orienter la production législative visant les immigrés72 ». La QPC n’est ainsi plus un bouclier brandit face au législateur mais elle devient une épée pour le contraindre à ployer le genou face aux exigences constitutionnelles. Ces associations vont s’emparer des décisions QPC afin d’inciter le législateur à « substituer un droit à un non-droit73 ». Cet outil à l’origine juridique va se voir instrumentalisé à des fins politiques. Cela fut le cas de la décision n° 2018-717/718 QPC précitée74. Celle-ci a pu s’analyser comme une

« victoire politique75 » pour les associations de défense des droits des étrangers en ce qu’elle

a contraint le législateur à prendre en compte ce nouveau principe de fraternité, comme en témoigne la loi du 10 septembre 201876. Cette nouvelle loi tire « les conséquences de cette

décision et réécrit à cette fin l’article L. 622-4, 3°, du CESEDA77 ». Lorsque l’issue de la

QPC se révèle favorable à la cause défendue par ces associations, elle devient pour les associations non seulement une arme pour faire plier le législateur mais surtout un argument supplémentaire pour conduire le gouvernement à changer sa politique en la matière. Face à une déclaration d’inconstitutionnalité par le Conseil constitutionnel, le gouvernement ne peut plus ignorer les critiques adressées par les associations. La QPC devient alors un moyen de se faire entendre, elle devient une réelle stratégie mise en œuvre par les associations pour atteindre leur but. Les associations de défense des droits des étrangers vont ainsi « utiliser les ressources du droit pour en tirer dans chaque cas l’avantage « maximal »78 ».

Cette stratégie se retrouve notamment dans les diverses interviews menées auprès des associations de défense des droits des étrangers. Celles-ci ont en effet confié procéder à une analyse des risques avant de se porter intervenantes au sein d’un contentieux. Dans l’hypothèse où l’issue de la QPC apparaît plus qu’incertaine, les associations préféreront parfois ne pas user de cette voie au risque qu’elle devienne un argument que le gouvernement leur opposerait pour justifier sa ligne politique. Le choix de l’association d’agir en justice va

71Ibid.

72 ISRAËL (L.), op.cit. , p. 139.

73 ISRAËL (L.), ibid.. , p. 139.

74 Conseil constitutionnel, décision n° 2018-717/718 QPC, op.cit. ,

75 Expression employée par Liora Israël, dans son article précité, en référence à la décision du Conseil d’État n° 90193 90194 91288, rendue le 13 janvier 1975, tendant à l’annulation des circulaires n° 72.40 du 24 janvier 1972 du ministre de l’Intérieur et et n° 1.72 du ministre du travail, de l’emploi et de la population du 23 février 1972 concernant les conditions d’établissement en France des travailleurs étrangers.

76 Loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie

77 PERRIER (J-B.), « L'immigration et la maîtrise de la solidarité », RSC, n°2, août 2019, p. 466.

(27)

25 donc dépendre d’aspects juridiques et politiques en ce qu’« une action en justice peut ainsi n’être pas jugée opportune parce que ses chances d’aboutir sont trop faibles et que d’autres moyens d’action paraissent plus efficaces pour obtenir le retrait d’une disposition illégale ou faire cesser une pratique contestée79 ». À l’inverse, dans certains cas, bien que, les chances de voir une inconstitutionnalité prononcée semblent maigres, les associations feront le choix de soulever tout de même une QPC de sorte à créer un débat autour de la disposition mise en cause.

La QPC n’a donc pas qu’une portée juridique, celle-ci pourra se voir instrumentalisée dans un but politique ou encore dans le souci de médiatiser une situation afin d’attirer l’attention de la société civile sur une problématique. L’objectif sera ainsi de créer le débat politique voire de le rouvrir. Lorsque la « voie de la lutte sur le terrain politique est barrée80 », la voie contentieuse pourra être un moyen de faire céder ce barrage ou de le contourner. La médiatisation au travers de la QPC permet dans certains cas aux associations de mieux faire entendre leurs revendications.

Toutefois, la QPC n’est pas l’unique procédure dont vont user les associations de défense des droits des étrangers. Celles-ci vont chercher à se faire leur place dès le contrôle a priori au travers des portes étroites81. Ces dernières vont être un moyen de faire valoir les intérêts qu’elles défendent et d’apporter leur éclairage sur un domaine qu’elles maîtrisent. Or, cet éclairage se veut essentiel puisque « la personne concernée sait souvent mieux que personne les effets véritables que la nouvelle loi aura sur elle. Son regard est donc objectivement précieux82 ». C’est parce que les associations de défense des droits des étrangers sont continuellement au contact de ceux se voyant appliquer le droit des étrangers, qu’elles sont les plus à même d’évaluer l’impact d’une législation et ses éventuelles atteintes aux droits et libertés fondamentaux des étrangers. Les portes étroites vont ainsi permettre aux associations de faire entendre leur opposition avant que le texte ne soit promulgué.

79 GISTI, Bilan d’activité 2018, p. 6

80 LOCHAK (D.), Ibid. , p. 113.

81 VEDEL (G.), L’accès des citoyens au juge constitutionnel, La porte étroite, La vie judiciaire, 11-17 mars 1991.

82 Phrase attribuée au Professeur Denys de Béchillon par Pierre Januel dans JANUEL (P.), « Le lobbying devant le Conseil constitutionnel : derrière les portes étroites », Dalloz actualité, 17 juillet 2019.

https://www.dalloz-actualite.fr/flash/lobbying-devant-conseil-constitutionnel-derriere-portes-etroites#.XfErB25FzIU

Références

Documents relatifs

• des sessions de cinq jours sur l’en- semble du droit des étrangers : entrée, séjour, regroupement familial, natio- nalité, éloignement, recours, protec- tion sociale,

Qui n’a pas vu sur son petit écran ce prodigieux spot publicitaire (1) ? Un brave quadra ou quinquagénaire rentre chez lui, manifestement fati- gué par sa journée de travail.

Cependant, il est important de noter que ce mouvement n'est pas né du néant, il est le résultat d'initiatives collectives des femmes en Algérie depuis

À partir de cette perspective, cette recherche montre que la lutte des femmes pour l’égalité a ses propres particularités au Bénin, s’inscrit dans des réalités socioculturelles

ةيلكيهلاو ةيخيراتلا ةاواسلما مدع ساكعناو يرثأت لىإ هيف يرشتو دض زييمتلا في بّبستتو لجرلاو ةأرلما ينب ةقلاعلا عبطت يتلا نهلمع مصوو ناسنلإا قوقح نع تاعفادلما كلذ

Si les liens entre connaissance des droits de l’enfant et capacité à identifier une situation d’atteinte sont complexes, il est notable que les personnes citant au moins un droit

– au ministre de l’Intérieur de rappeler à ses services décon- centrés de veiller à la bonne application du droit concernant les pièces exigées des administrés en vue de

Le Défenseur des droits recommande que la loi soit modifiée pour : permettre aux demandeurs d’asile de solliciter, dès le début de la procédure, une