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La fille de nulle part : suivi de Les limites du dévoilement dans Prague de Maude Veilleux

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Academic year: 2021

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Texte intégral

(1)

La fille de nulle part suivi de Les limites du dévoilement

dans Prague de Maude Veilleux

Mémoire

Paméla Couture

Maîtrise en études littéraires - avec mémoire

Maître ès arts (M.A.)

(2)

iii

Résumé

Ce mémoire de maîtrise porte sur les limites du dévoilement de soi et des autres dans les écrits autofictionnels. Il examine les conséquences du dévoilement et des processus de censure liés au genre de l’autofiction.

La première partie de ce mémoire, La fille de nulle part, est un recueil de poèmes s'articulant autour d'un deuil amoureux. Divisés en cinq parties égales, les poèmes de cette collection explorent les thèmes de l’abandon, de l’estime personnelle et de la vengeance. Adressé à un TU (représentant l'ancien amoureux), ce recueil est porté par la voix d'un JE désabusé et profondément triste. Au fil des poèmes, les différentes étapes du deuil amoureux sont parcourues, sans toutefois conduire à l’acceptation et la reconstruction. Les poèmes sont portés par Paméla Personne, alter ego de la poète Paméla Couture.

La deuxième partie de ce mémoire porte sur l'analyse du récit de Maude Veilleux, Prague. Il sera plus précisément question de confronter l’hypothèse suivante : Maude Veilleux n’est pas allée aussi loin que le sous-entendait le pacte de lecture de son récit Prague, quant au dévoilement de soi. Le chapitre premier porte sur les théories littéraires associées à l'autofiction, afin de déterminer si Prague correspond au genre. Les travaux de Vincent Colonna et de David Bélanger serviront de base de recherche pour cette section. Le chapitre deuxième étudie l’utilité et la portée des mensonges et divers évitements dans la fiction, dans le but de cerner l’intention des mensonges et contournements de Prague. Les recherches effectuées par John R. Searle serviront d’appui pour cette partie. Le chapitre troisième teste l'hypothèse du mémoire à l’aide d’entretiens faits avec l'écrivaine Maude Veilleux, à propos de son récit Prague.

Mots-clés : Autofiction, Littérature québécoise, Maude Veilleux, Mensonge, Fiction, Censure, Dévoilement de soi

(3)

Abstract

This Master's thesis focuses on the limits of self-disclosure and others in autofictional writings. It examines the consequences of disclosure and censorship processes related to the autofictional genre.

The first part of this dissertation, La fille de nulle part, is a collection of poems that revolves around a mourning love. Divided into five equal parts, the poems in this collection explore the themes of abandonment, self-esteem, and vengeance. Addressed to a YOU (representing the lost lover), this collection is carried by the voice of a disillusioned and deeply sad I. Throughout the poems, the different stages of the mourning are covered, without leading to acceptance and reconstruction. The poems are carried by Paméla Personne, alter ego of the poet Paméla Couture.

The second part of this thesis focuses on the analysis of the story of Maude Veilleux, Prague. It will be more precisely a matter of confronting the following hypothesis: Maude Veilleux did not go as far as the author-reader contract suggested in her story of Prague, as to the disclosure of herself. Chapter One focuses on the literary theories associated to autofiction, to determine whether Prague corresponds to this particular genre. The works of Vincent Colonna and David Bélanger will serve as a research base for this section. The second chapter studies the usefulness and reach of the lies and various avoidances in fiction, in order to determine the intent of the lies and workarounds in Prague. The research done by John R. Searle will support this part. The third chapter tests the hypothesis of the Master through interviews with the writer Maude Veilleux, about her story Prague.

(4)

v

Table des matières

Résumé ... iii

Abstract ... iv

Table des matières ... v

Avertissement ... vii

Remerciements ... ix

Introduction ... 1

Première partie ... 4

La fille de nulle part (poésie) ... 4

la première tempête de l’hiver ... 2

les seins comme des carabines à plomb ... 15

là où la vermine me gruge la peau ... 29

mon quartier par cœur ... 43

l’absence au goulot ... 56

Seconde partie ... 70

Les limites du dévoilement dans Prague de Maude Veilleux (essai) ... 70

Introduction ... 71

Chapitre premier - L’autofiction et ses ramifications ... 78

Définitions multiples ... 79

Identité(s) ... 81

La création d’action ... 82

La métafiction ... 83

Les paradoxes ... 84

Chapitre second - La fiction et le mensonge ... 86

La fiction et la feinte ... 87

Le pacte autofictif ... 88

Le mensonge révélé ... 90

Chapitre troisième - Le réel et la fiction ... 92

Prague, le récit ... 93

Les impacts de Prague ... 95

Mensonge et censure ... 96

(5)

Conclusion ... 100

Annexes 1 à 4 ... 102

Annexe 1 ... 103

Première rencontre avec Maude Veilleux ... 103

Annexe 2 ... 111

Seconde rencontre avec Maude Veilleux ... 111

Annexe 3 ... 118

Troisième rencontre avec Maude Veilleux ... 118

Annexe 4 ... 124

Échange de courriels avec Éric Simard, éditeur de la collection Hamac ... 124

(6)

vii

Avertissement

Même si l’Académie française considère l’écriture inclusive comme un « péril mortel »1 pour notre langue, celle-ci sera utilisée dans le cadre de ce mémoire de maîtrise. Il ne vous sera donc pas rare de voir / lire le point médian (ou point du milieu) dans tous les mots variables que nous apporte la langue française. Si cedit point permet « d’alléger le texte » de la « lourdeur » des répétitions telles que « les lectrices et les lecteurs », il permet surtout (et cela m’est bien plus important) à tou·te·s d’être justement représenté·e·s dans et par l’écriture, et ce peu importe leur identité sexuelle et de genre.

Afin de vous préparer à la lecture qui vous attend, voici quelques exemples de l’utilisation du point médian : lecteur·trice, auteur·e, écrivain·e, ami·e.

Les pronoms suivants seront utilisés dans ce mémoire : « iel » ou pluriel « iels », « celleux », ainsi que « lea ». Il s’agit de pronoms inclusifs, représentant tous les genres (et non pas que les hommes et les femmes). Si certain·e·s n’aiment pas ledit pronom « iel » parce qu’iels le considèrent comme le mélange genré des pronoms « il » et « elle », j’en suis sincèrement désolée. Très humblement, mon but ici est de permettre à la fois à tou·te·s d’être également et justement représenté·e·s dans ce mémoire, mais toujours en permettant à d’éventuel·le·s lecteur·trice·s ou évaluateur·trice·s de lire ce mémoire sans trop d’encombres. N’étant pas une spécialiste en linguistique, je me permets quand même de faire ce petit pas vers une écriture plus inclusive et juste.

Si vous voulez en apprendre plus sur l’écriture inclusive, je vous invite à aller consulter le site suivant : https://www.ecriture-inclusive.fr.

1 Académie Française, « Déclaration de l’Académie française sur l’écriture dite "inclusive" »,

Académie française, http://www.academie-francaise.fr/actualites/declaration-de-lacademie-francaise-sur-lecriture-dite-inclusive, consulté le 25 avril 2019.

(7)

À tou·te·s celleux qui prennent des risques par et pour l’écriture

(8)

ix

Remerciements

C’est dans l’ordre des choses que je remercie ma directrice, Sophie Létourneau, pour l’aide et l’appui lors de ces deux dernières années. Merci pour la confiance, les encouragements, les opportunités. Cette expérience fut formatrice.

Merci à Maude Veilleux pour la disponibilité et la transparence dont tu as fait preuve lors de nos rencontres. Merci de t’être prêtée au jeu de ce mémoire. Merci pour l’inspiration, aussi. Merci à Éric Simard pour ta participation à mes recherches. Merci pour ton rôle dans la littérature québécoise.

Je profite aussi de ces quelques lignes pour remercier Mickaël, doux humain qui a survécu avec solidité aux tempêtes liées à l’épopée qu’a été mon cheminement au deuxième cycle. Comme l’a dit Dominique Demers : les grands sapins ne meurent pas. J’ajouterai : surtout pas ceux de l’Abitibi. Merci aussi d’accepter ces choses que je dois écrire.

(9)

Introduction

Quand j’ai découvert Les choses de l’amour à marde, de Maude Veilleux, j’avais mal partout. J’avais mal au ventre, parce que quelque chose en moi se tordait à chaque page. J’avais mal à la poitrine, comme si j’avais reçu un coup violent en plein plexus solaire, le souffle me manquait. J’ai eu mal à mes nuits, que je passais éveillée à lire et relire ce petit recueil mauve. Mais surtout j’avais mal au cœur, parce qu’il était brisé, crevé comme un muscle qui n’en pouvait plus. C’est un recueil qui m’a beaucoup appris. Qui m’a appris que la poésie, ça pouvait être ça, aussi. Quelque chose de personnel, de brut, quelque chose qui ne respecte aucune règle. Qui s’écrit comme se vit la vie : de travers, un peu ivre, grandement triste, remplie d’espoir, avec des mots de tous les jours. C’est un recueil qui m’a inspiré l’écriture. Qui m’a donné l’envie de me livrer, moi aussi. De travers, un peu ivre, grandement triste. De parler de mes choses de l’amour à marde, avec ma voix et mes expériences foireuses. De parler de ce cœur élongé comme un muscle rompu.

Quand j’ai découvert Prague, de Maude Veilleux, j’ai été fascinée. À chaque relecture, j’ai été fascinée. D’abord fascinée par la position de voyeuse dans laquelle me mettait cette lecture. Gênée de la découverte de tant de secrets, d’intimité dévoilée. Puis, fascinée par la mise en danger que proposaient l’écriture et la publication de ce récit. Fascinée par l’authenticité de l’auteure, par son dévoilement presque impudique, par son humilité face à elle-même. Par son humanité. Fascinée par cette écriture qui la montrait telle qu’elle était, réelle, sans fioritures. Et avec cette lecture, encore, j’ai appris. J’ai appris qu’un roman, ça pouvait être ça. Quelque chose de vrai, d’incisif, quelque chose qui va fouiller dans les

(10)

2

raconter le (très) laid d’une rupture et de ce que cela peut changer en une personne – en moi, l’espace d’une douleur. J’ai voulu livrer cette partie de moi-même, disgracieuse, honteuse, peut-être. Méchante, vengeresse, inutile devant tant de morceaux éclatés. J’ai voulu fléchir devant l’écriture, abandonner ce que la peine peut avoir de romantique. Dans La fille de nulle part, j’ai mis de pair ce que Les choses de l’amour à marde et Prague m’ont appris : j’ai écrit sans me soucier des règles, j’ai écrit ce que j’avais à écrire, et je l’ai fait de la façon la plus authentique, la plus résignée possible. J’ai livré ce qu’il restait de moi à cette époque. Ma découverte de Maude Veilleux, bien qu’elle m’ait beaucoup appris, m’a aussi beaucoup remise en question. Les choses de l’amour à marde et Prague ont bouleversé ma perception de la poésie et du roman. Dans mon essai Les limites du dévoilement dans Prague de Maude Veilleux, je mets ces interrogations sur papier. Qu’est-ce que l’autofiction ? Que faut-il à un texte (poétique ou prosaïque) pour être considéré comme autofictif ? J’avais besoin de savoir si les publications de Maude Veilleux étaient de nature autofictive, j’avais besoin de savoir si ce que j’écrivais moi-même était autofictif. Il me fallait connaître le genre de cette littérature qui m’attirait, que j’écrivais. J’ai toujours eu besoin de catégoriser pour mieux comprendre. Puis, j’ai eu envie de mettre en lumière une particularité du récit de Prague : le mensonge dans la narration, ou plutôt les limites du dévoilement auxquelles Maude Veilleux s’est heurtée dans son récit. Nommées, pointées, ces limites. Mises de l’avant, même. Dérangeantes, ces limites : pourquoi les écrire, les nommer ? Prague ne promettait-il pas de tout dire, tout dévoiler? Tout à coup, j’ai eu besoin de savoir si j’avais eu raison de croire cette promesse sous-entendue dans le récit. Si ce texte avait raison d’être si étonnant, si dérangeant, ou s’il ne représentait pas l’échec d’une démarche. À la fois détective et commère, il fallait que je retrace et comprenne l’utilisation des divers contournements utilisés par l’auteure dans son texte, pour me convaincre que je ne m’étais pas fait jouer. Puis, j’ai appris encore, grâce à Maude Veilleux et à son écriture. J’ai été inspirée, encore, par Prague. J’ai appris que « le mensonge dans la fiction est une stratégie utilisée2 ». J’ai appris que l’autofiction ne se devait pas d’être un genre de l’extrême, qu’il pouvait être nuancé, adouci. Que pour être valide, un récit autofictif ne devait pas se conclure en poursuites judiciaires

(11)

pour diffamation. Que l’autofiction pouvait se contenter d’être le « sacrifice de soi [(et de soi seulement)] sur l’autel de la littérature3 ».

(12)

4

Première partie

(13)

Il fait beau à Montréal et il fait beau à Sudbury

et entre les deux ça fait toujours mal quelque part. P. Desbiens 1998

Il fait gris à Québec et

il fait gris à Val-d’Or et

entre les deux ça fait toujours mal quelque part. P. Personne 2015

(14)

2

la première tempête de l’hiver

Si j’écris à la

première personne du singulier c’est qu’il n’y a

personne d’autre ici.

(15)

1. nos hanches cognaient dans l’urgence de la chute à venir les bouches déjà pleines de tous nos actes manqués

j’t’ai pas demandé de rester

tu m’as pas proposé de venir t’es venu pis t’as remis tes souliers t’es parti

(16)

4

2. t’es parti en vacances pis en égypte des russes s’explosent sur sinaï

(17)

3.

t’es parti en vacances t’as tout ramené avec toi

sauf ton linge sale pis le grognement dans mon ventre il est resté dans le creux du lit je l’sais je l’entends fausser sur britney spears

(18)

6

4.

déblaye-moi du tapis s’il te plaît

je coince la porte pis le facteur me

jappe après pisse sur mon visage c’tu normal que

les déménageurs m’aient laissée ici ?

(19)

5. à

sept cent cinquante-neuf kilomètres d’ici

la distance me mange les côtes comme des spare ribs

on balaie mes miettes sous le tapis pis le chien garde le plus gros morceau pour lui

(20)

8 6. paméla personne la fille d’la ville comme ton père y

disait pour me faire chier

la fille de nulle part l’étrangère de partout t’as même pas voulu l’emmener avec toi

(21)

7.

à' maison y’a ta brosse à dents pis ton shampooing qui s’font encore des accroires

(22)

10

8. t’es parti en vacances t’as pas

claqué la porte mais les murs ont

craqué

quand même pis dehors c’était la première tempête de l’hiver

(23)

9.

tu pensais quoi que

j’étais solide comme ces bouleaux jaunes tranquille comme ces lacs tièdes douce

peut-être comme ce lichen sur

les roches de tes forêts mais je suis née sur l’asphalte qui râpe les os

mais j’ai grandi dans l’amertume de ce fleuve qui déborde au printemps et

dans la laideur viscérale des buildings

(24)

12

10.

les seuls oiseaux que je sais reconnaître sont ceux qui s’éclatent dans les fenêtres de mon logement les seuls feux que je sais allumer sont ceux molotov qui lèchent les buildings la nuit ma nature est morte depuis

(25)

11.

t’as pris l’nord pis moi j’ai

(26)

14

12. t’es parti en vacances j’ai lavé

ton linge sale j’ai cassé deux trois tasses j’ai mis mes trippes dans un sac j’attends patiemment le jour des vidanges

(27)

les seins comme des carabines à plomb

Tu sais qui je suis un violon dans un étui de mitraillette

(28)

16 1. catégorie cinq sur l’échelle saffir-simpson t’es parti en vacances pis l’océanie a baptisé son premier cyclone de l’année en mon nom

(29)

2.

pendant que ça pète partout sur paris

paméla personne toute seule dans son lit

s’explose les doigts sous les couvertures pis s’en câlisse

c’est la loi de la mort kilométrique

(30)

18 3. t'es parti en vacances pis charlie hebdo et l’université du garissa se sont fait tirer dedans

le bamako san bernardino la tunésie koweït et montmartre aussi

t’es parti en vacances pis

un avion s’est écrasé dans les alpes françaises et un autre

en espagne l’inde s’est fait frapper par un séisme puis une vague de chaleur t’es parti en vacances pis tianjin a explosé

bangkok ankora beyrouth aussi la californie a

pris en feu t’es parti

(31)

en vacances pis la russie a bombé la syrie pour le fun et la guerre civile a continué c’est la théorie du chaos

(32)

20 4. l'éclatement d’un cœur à québec peut-il provoquer une fusillade à copenhague?

(33)

5. paméla personne comme britney spears another day another drama

(34)

22

6. brisée

mes pieds tressés dans les cheveux

mes bras repliés dans l’estomac

mon cœur froissé

comme un papier origami

ne plus faire d’espace pour la peur juste la peau protéger l’essentiel quand tout tout autour éclate

(35)

7.

j’aurais pu

t’attendre tout l’hiver

au même endroit que toujours pour ne pas

que tu me cherches j’aurais pu t’attendre un livre dans une main une soupe dans l’autre du vin

dins'yeux

les pieds dans'glace j’aurais pu

regarder les explosions comme on regarde les perséides

espérer que l’une d’elles te ramène

ici j’aurais pu

(36)

24 8. il y a tellement de blessures dans mes poches petites morts qui me coulent me donnent envie de me jeter avec l’eau du bain

(37)

9.

tu m’as perdue

dans décembre comme un acte manqué

comme une mitaine seule on m’a pinnée sur

la clôture d’un inconnu avec pas

(38)

26

10. sur tinder

paméla personne je suis une fille ben plate mais j’ai des boules t’es parti en vacances que les autres viennent mon ostie

(39)

11. swipe left dans mes draps

vivre ses nuits comme des parenthèses j’oublie

tous les noms au réveil surtout le mien paméla personne

(40)

28

12.

les seins tristes comme des carabines

à plomb sous les draps

mes amours éphémères alignés comme

autant de petites mortes

(41)

là où la vermine me gruge la peau

ma drôle de douleur

s’amuse sur une balançoire et moi derrière je la pousse je lui donne un élan

(42)

30

1. t'es parti en vacances

arpenter les filles du bois les filles du nord j’ai

plié mes jambes autoroute et mes cheveux sargasses je me suis

très bien rangée sur le lit

(43)

2.

qu'est-c’que tu réponds quand on te demande oussé que j’suis rendue dis-tu que

c’est fini c’était une ostie d’folle

(44)

32

3.

paméla personne pis emmanuelle les seins remontés à la guerre comme à l’amour

paraît qu’elle scream like the sky is fucking gonna crack open quand elle vient

je l’sais c’est toi

(45)

4. ton

facebook ouvert sur mon ordi veux tu qu’on soit amis + + pour noël qu’elle t’écrit

(46)

34 5. j'espère que sa chatte est remplie d’échardes que ta langue en saigne j’espère que toutes ses forêts sont

en feu

que ses lacs sont stériles

pendant ce temps paméla personne se frotte les lèvres sur les glaçons à la fenêtre

siffle tous les bâtards de la rue

(47)

6. ton

facebook ouvert sur mon ordi

i’m the #1 no

matter what qu’elle t’écrit sur une photo elle porte ta veste verte que je trouve crissement laide

(48)

36 7. instagram slumber filter it’s been a hard day’s night qu’elle écrit

les cheveux en bataille tes couvertures sur ses épaules la

tasse que tu m’as volée dans ses mains

je

sais c’que t’as fait hier

(49)

8.

emmanuelle comme l’opposée

de moi-même

les cheveux propres le sexe lisse et

sous les cils des soucis en fleurs emmanuelle comme un voyage dans l’sud après

des années jammé dans mes hivers

(50)

38

9.

c'est peut-être parce qu’elle n’avait pas cette même teinte de tempêtes grises dans les yeux c’est peut-être parce que son odeur ne rappelait pas celle de la pluie sur l’asphalte brûlante c’est peut-être parce que sa chatte

n’avait pas le goût salé

de la mer et des larmes

de ma baie des chaleurs c’est peut-être

parce que ses soupirs

ne te racontaient aucun poème que t’as pas pu

(51)

bander pour elle

(52)

40

10. ton

facebook ouvert sur mon ordi bitch connasse plotte plotte putasse pétasse salope slut plotte j’ai regardé elle écrit jamais mon nom paméla personne

(53)

11.

paméla personne quelque part entre l’arbre et l’écorce entre val-d’or et québec là où la vermine me gruge la peau

(54)

42

12.

t’as changé de ville de fille

Se connecter en tant que Mickaël L***

Ce n’est pas vous? de mot de passe aussi

(55)

mon quartier par cœur

Mais j’ai pensé à toi tout le long. — Maude Veilleux

(56)

44

1.

il m’aura lu des poèmes de miron et de nelligan, m’aura offert un livre ou deux, m’aura envoyé une lettre par la poste, aura flatté le chien et bu dans ta tasse préférée, n’aura pas posé de question sur les jours accumulés en petites barres sur le mur, m’aura consolée quand je ratais mes déjeuners, m’aura volé une paire de bas, m’aura laissée gagner au billard (deux fois), m’aura offert ma bière préférée, aura lu tous les livres dont je parlais, aura utilisé ce qu’il restait de ton shampooing, m’aura fait des croissants maison, se sera écorché sur ta bague que je porte encore, m’aura vue prendre mon bain, aura embrassé ma peau mutilée d’encre, m’aura dit que j’étais belle devant les aristochats, que j’étais belle en bricolant des babioles, que j’étais belle en larmes dans l’oreiller, que j’étais belle dans son chandail préféré, que j’étais belle dans celui que tu as oublié ici, que j’étais belle, nue, sur lui, il aura glissé sa main sous mon chandail en public, m’aura embrassée devant ses amis, m’aura touchée aux mêmes endroits que toi, aura murmuré à mes oreilles des mots comme les tiens, aura fait danser ses doigts sur moi, aura fait danser sa langue sur moi, aura fait danser son corps en moi et m’aura fait crier avant d’embrasser mes plaies mascara

toi loin

(57)

2. on a fait l’amour en minuscules sur toutes nos chansons préférées pour ne pas entendre nos cœurs craquer sous le lit mais inquiète-toi pas il m’a jamais dit que c’était bon

(58)

46 3. nos peaux inutiles ne retenaient que nos os cassés et nos organes morts de tant de pertes ne

battaient plus attendaient l’enfouissement

final

nos corps n’auront servi l’espace d’un hiver qu’à se vider l’un dans l’autre comme des armes fatiguées

(59)

4. il avait

l’odeur de ces fleurs qui poussent croche

sur les pavés tentent de braver le béton

des autoroutes il avait

le goût de

ce qui n’aurait pas dû s’étendre là

ses yeux comme des oiseaux blessés cherchaient des fenêtres où s’éclater

il tanguait

dans le vent comme ces immeubles qui n’arrivent pas à toucher

(60)

48 5. alexandre comme une digue fissurée là où mes mers saoules se fracassaient s’éclataient sur

sept cent cinquante-neuf kilomètres d’épaves alexandre,

ses joues brisées par mes lames de fond

(61)

6. il m’a dit je t’aime en criss mais inquiète-toi pas je t’aime en criss ça fait moins vrai

(62)

50 7. quand on baisait il serrait sa main autour de ma gorge

pour être certain que je ne prononce pas ton nom

(63)

8.

l'amnistie de travers dans’ gorge comme un arsenal de

petites pierres pointues la seule chose qu’on trompait c’était nos solitudes la seule chose qu’on excusait c’était la tendresse sur le reste on gardait les yeux fermés

(64)

52

9.

on faisait l’amour les yeux scellés et nos sexes

fouillaient

nos terres pourries à la recherche de trésors oubliés lors du dernier raid

tout ce qu’on touchait se transformait en pyrite

s’égrenait entre nos doigts déboussolés

(65)

10.

accessoirement, l’amour

(66)

54 11. la nuit se réfléchissait autour de tous nos lendemains on s’aimait mieux les portes fermées les cuisses ailleurs la face d’un.e autre les doigts partout pis les yeux

dans l’beurre on acceptait tous nos noms pour éviter le chemin de nos solitudes

(67)

12. il est parti au printemps ses souliers dans une main l’aube

dans l’autre il n’a pas dit au revoir il m’a laissée faire semblant de dormir on ne s’est jamais rappelés notre hiver était terminé

je suis retournée me perdre dans

ces journées que février n’avait pas encore inventées

(68)

56

l’absence au goulot

ce n’est pas tout d’être porté disparu il faut manquer à quelqu’un

(69)

1.

y fait-tu mal par chez vous aussi?

(70)

58 2. j’arrête de compter ton absence en petites barres sur le mur astheure je vais compter les jours

(71)

3.

night shift un litre

festif frais rond dans'yeule douze piastres au métro je gère je gère ton absence direct au goulot

comme un goût de finale en longueur

(72)

60 4. ta respiration régulière à côté d’moi regarder amoureusement mon iphone tu t’es endormi à l’autre bout du fil du québec du monde c’tu ça être romantique astheure?

(73)

5. dans le lit froissée comme un paquet de linge oublié dans la laveuse je mouille pour ton absence creuse qui ne me fait même pas de café

(74)

62

6.

en robe pas d’bobettes j’m’endors dans mon jus d’yeux mon jus d’bière mon jus d’plotte on vient d’fourrer au téléphone ostie qui fait seule

(75)

7.

j’pense que j’t’ai perdu à

(76)

64

8.

la bière est amère dans ce lit

où je t’attends encore

et mes ongles s’oxydent

entre mes cuisses vides je t’aime

de tout mon sexe que je t’écris de tout

mon cœur affaissé et des cendres encore

s’amoncellent sous mes paupières

(77)

9. t’es parti en vacances pis

à québec une québécoise implose rue

(78)

66

10.

j'aurais aimé t'apprendre la douceur

des choses

la tranquillité des matins où il ne se passe rien

où le soleil nous réveille

où le déjeuner se prend dehors avec du thé et du

silence

j'aurais aimé t'apprendre la simplicité

des choses le désir

de n'avoir besoin de rien

que le sourire avant de dormir que la musique en sourdine toujours la même depuis cent ans j'aurais tant aimé

la vie comme une gigantesque étoffe de soie légère et veloutée

qui nous abrite des pieds à la tête d'une pièce à l'autre

(79)

seuls

qu'il n'y ait de place pour rien d'autre dans ces murs étroits

mais la tendresse attendra

(80)

68 11. si je te dis que le meilleur moyen de dégriser c’est de boire une autre bière vas-tu

revenir ici ?

(81)

12. es-tu game de revenir? je suis prête à faire la moitié de la route on dormira su'l'bord du chemin

quelque part entre val-d'or pis québec t’emmèneras du chasse-moustiques je vais m’occuper des cigarettes

(82)

70

Seconde partie

Les limites du dévoilement dans Prague de Maude

Veilleux (essai)

(83)

Introduction

Le vent siffle. Elle est là. Debout.

Passe sa main dans ses longs cheveux. Une voix hors champ résonne. Sa voix. « checkez-moi maude vv

deux v »

Elle enlève ses chaussures.

« hier, j'ai trouvé un boutte de papier collant dans mon vagin » Elle déboutonne son jeans. Le laisse glisser.

Ôte sa veste.

« checkez-moi maude vv deux v

poète pas tight pantoute »

Son soutien-gorge tombe sous son long chandail noir. Les secondes défilent, s'accumulent.

(84)

72

est nue devant nos yeux, sur nos écrans, sur la chaîne YouTube des Éditions de l'Écrou4. Un canard s'envole. La vidéo se termine. Nous sommes le 18 mai 2016 et Maude Veilleux s'est mise à nu sur Internet.

*

J'ai découvert l’œuvre de Maude Veilleux alors que je furetais dans l'allée poésie de la librairie où je travaillais. À l'époque, je ne connaissais ni l'auteure, ni l'éditeur, ni grand-chose à l’art poétique contemporain. C'est le titre du recueil qui m'avait d'abord attirée. Les choses

de l’amour à marde5. J'étais en peine à l’époque ¾ ne l'étais-je pas constamment ? ¾ et ce

petit ouvrage semblait me promettre la dose nécessaire de douleur et de satisfaction afin de passer au travers de ma soirée. Je n’ai pas été déçue. Ni à ma première lecture, ni à ma deuxième, ni à toutes les suivantes. Les choses de l’amour à marde, une adresse à l’amour. Celui qui chie immanquablement. Une adresse à l’intime aussi, celui qui résonne en toutes et en tous. Ce recueil, porté par une écriture tellement crue qu’elle devenait tranchante, scintillait d’authenticité. Je me souviens m’être dit : la poésie, ça peut être ça, aussi. Les critiques s'entendaient déjà pour dire que le recueil frappait fort, laissait des traces. Sauf peut-être Sébastien Dulude qui, dans Lettres Québécoises, le décrivait comme un petit carnet impertinent à dix piastres ne contenant pas de poésie6. « Croyez-moi, je suis bien en peine de l’écrire : la majorité des textes que rassemble cet ouvrage ne sont pas des poèmes7. » Dulude semblait chercher, dans la poésie de Maude Veilleux, des topoï auxquels s’accrocher, empreints d’un « réseau d’oppositions sémantiques8 » et d’un « travail langagier9 » qu’il aurait souhaité plus soutenus. Mais de lieux convenus il n’y avait pas (ou alors si peu) dans Les choses de l’amour à marde. La poésie livrée par la poétesse n’existait pas dans un exercice linguistique approfondi, dans des recherches lexicales ou des pirouettes stylistiques. Elle s’ancrait dans la cruauté d’une douleur, dans l’écriture sous sa forme la plus brute,

4 Éditions de l’Écrou, LAST CALL LES MURÈNES – Teaser, YouTube, 2016. https://www.youtube.com/watch?v=uickWp8r35c, consulté le 1er mai 2018.

5 Maude Veilleux, Les choses de l’amour à marde, Montréal, Éditions de l’Écrou, 2013, 58 p. 6 Sébastien Dulude, « Merde », Lettres Québécoises, 154 (été 2014), p. 43.

7 Id. 8 Id. 9 Id.

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là même qui palpitait d’humilité face à l’échec de l’amour et de ses sentiments. Alice Rivard écrivait, sur le blogue des Filles Missiles (en réponse à une critique négative qu’a faite Sébastien Dulude sur son recueil Shrapnels10), que le fait de transformer faiblesses et douleurs en quelque chose de créatif ¾ ici, l’écriture ¾ était un geste profondément politique, « porteur d’un message dénonciateur envers les comportements toxiques de cette société11. » Et la poésie de Maude Veilleux se situe là, dans ce qu’Alice Rivard décrit comme le radical poetry : une poésie qui ne « s’excuse pas d’exister, qui ne survalorise pas la technique au détriment du contenu, qui est faite de cette expérience humaine commune12». Les poèmes des Choses de l’amour à marde auraient, certes, fait de « redoutables statuts Facebook13 », mais tout le poétique de la poésie confessionnelle se trouve, justement, dans le geste même de l’écriture de soi. La poésie de l’intime, à mon avis, va chercher son éclat dans ce travail, cette excavation intérieure. Dans cette mise à nu personnelle et de ce qui, profondément, façonne l’écrivain·e. Les choses de l’amour à marde contient de la poésie, contrairement à ce que Dulude écrivait dans sa critique. La poésie dans ce qu’elle a de plus dénudée, de plus dépouillé.

Ma curiosité piquée, je me suis procuré le second livre de l’auteure, Le Vertige des insectes14, publié chez Septentrion en 2014, dans la collection Hamac. Ce roman empruntait un chemin plus traditionnel. À tout le moins, c’est ce qu’il m’a semblé à ma première lecture. Par une narration externe et un français convenu, nous suivons le quotidien de Mathilde qui, après un double deuil (le décès de sa grand-mère, et le départ de sa copine pour le Yukon), devient de plus en plus hagarde et langoureuse. Voici donc un roman, me suis-je dit à l’époque. J’entendais roman dans son sens pur, celui décrit dans les dictionnaires comme étant une œuvre de fiction, d’imagination, faisant vivre dans un milieu des personnages donnés comme

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recueil de poésie en tête, il m’était impossible de ne pas faire de liens entre le personnage de Mathilde et ce que la poésie de l’auteure dévoilait d’elle-même. Plus tard, lors d’une entrevue faite avec Maude Veilleux dans le cadre d’une causerie16, l’écrivaine a reconnu que la narration et les noms fictifs du Vertige des insectes étaient surtout issus d’un manque d’assurance. Comme si c’était là quelque chose qu’elle ne pouvait faire, pour un premier roman, écrire au « je »17. Le Vertige des insectes était une sorte d’autofiction cachée18, m’avouera-t-elle alors, et reste inspiré d’évènements que l’écrivaine reconnaît complètement19. Les événements et situations mises en scène dans ce roman avaient eu lieu. Les « personnages donnés comme réels » l’étaient vraiment, réels. Le Vertige des insectes était habité par ce désir (quoique camouflé) de dévoilement de soi. Le même que celui des Choses de l’amour à marde. J’apprenais peu à peu les nuances (nombreuses) de l’autofiction. Ayant découvert l’œuvre de Maude Veilleux en retard sur le monde littéraire, je n’ai pas eu à attendre longtemps avant de savourer la suite. Le teaser de Last call les murènes20 a été mis en ligne en mai 2016. Dans cette courte vidéo de deux minutes trente, nous voyons l’écrivaine enlever un à un ses vêtements jusqu’à se retrouver nue, seins et sexe pudiquement floutés. Derrière mon écran, voyeuse, j’ai souri. Je me souviens m’être dit : voilà, c’est ça, l’œuvre de Maude Veilleux, tout se tient dans ces deux minutes trente-là. Ce clip, telle une invitation à la découvrir davantage, semble nous narguer un peu. Après tout, si elle ose se mettre nue devant une caméra, elle n’hésitera certainement pas à aller tout aussi loin dans ses écrits. Et puis, YouTube peut bien imposer une certaine censure à ses internautes, la poésie, elle, n’est soumise à rien. Surtout pas celle de Maude Veilleux. J’ai dévoré ce second recueil comme le premier, et j’ai découvert qu’un questionnement nouveau hantait l’écrivaine dans Last call les murènes : est-ce possible de sortir de sa classe sociale sans trahir ses origines ? J’apprenais que, d’origine beauceronne, Maude Veilleux vit désormais à Montréal. « Je ne

16 Librairie Pantoute, le 6 octobre 2016.

17 Trois entrevues ont été faites avec l’écrivaine dans le cadre des recherches liées à ce mémoire. Ici : Annexe 1, p. 104. Note : les notes de bas de page correspondant aux annexes sont cliquables dans la version électronique de ce mémoire, elles vous enverront au bon endroit dans l’annexe citée.

18 Annexe 1, p. 104. 19 Annexe 1, p. 104.

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pourrais jamais réussir à me sortir de la Beauce21 », me dira-t-elle dit lors d’une subséquente entrevue. « C’est quelque chose qui m’obsède. [C]omme si, en publiant un livre, soudainement un clash s’opérait entre ma famille et moi22. » C’est de cette cuisante scission que sont nés les vers de Last call les murènes. Encore une fois, Maude Veilleux levait un voile sur sa vie par l’écriture, révélait ce qui, profondément, l’habitait et la tourmentait. Quelques mois plus tard, la quatrième publication de l’écrivaine est parue en librairie : Prague. Le monde littéraire n’était pas prêt pour ce texte-là.

Si Le vertige des insectes est narré dans une distance confortable, Prague ressemble plus à un secret raconté dans le creux de la nuit. Le style de l’écrivaine a changé et révèle désormais d’une précision de l’ordre du compte-rendu. Nous sommes loin du roman d’ambiance. Dans Prague, la plume est crue, incisive. Le critique Dominique Tardif a décrit cette dernière publication comme un « acte de courage kamikaze23 ». Et d’ajouter : « Vertigineusement impudique, […] Prague […] est un aveugle sacrifice de soi sur l’autel de la littérature, une troublante autofiction24 ». À la lecture du récit, non seulement avons-nous l’impression de plonger dans l’intimité de l’auteure, mais de nous incarner dans sa chair, de vivre son quotidien, son amour nouveau. Le récit raconte l’aventure d’une femme mariée depuis quelques années qui prend l’entente avec son époux de vivre des relations extraconjugales. La protagoniste décide que cette proposition lui servira de matériau d’écriture pour un projet littéraire. Prague se lit comme le bilan des diverses rencontres et ébats entre l’héroïne et Sébastien, son amant. L’histoire va bon train jusqu’à ce que la narratrice prenne conscience qu’un changement radical dans sa vie devra être fait si elle souhaite que son projet d’écriture évolue et vienne à terme. La fine ligne entre le désir d’écrire et le désir de vivre devient trouble. Une question hante alors le texte : était-ce hypocrite de prétendre vivre cette liaison

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à terme son récit en cours. « Je brisais ma vie pour ce livre. Au moment où j’écris ceci, je le crois vraiment26. » Si Le vertige des insectes était présenté par l’écrivaine comme une autofiction cachée, Prague ne laissait personne dupe. Quand je relis ce récit, j’ai l’impression que Maude Veilleux franchit une limite qu’elle n’avait jamais dépassée avec ses précédentes publications, en ce qui concerne le dévoilement de soi. Franchie, oui, mais regrettée en cours de route peut-être, car il me semble qu’à partir d’un certain moment, l’auteure se heurte à certaines limites et son dévoilement se rétracte. « Je savais avoir occulté certaines informations, lors de l’écriture […]. Je savais que j’évitais des détails pour ne pas diriger le roman vers des lieux où je ne voulais pas aller27 », pouvons-nous lire dans Prague, comme si, tout à coup, l’écrivaine prenait conscience de sa propre mise à nue. À partir de ce point, plus le récit avance, plus la protagoniste élude. Alors que le texte semblait promettre dévoilements et impudeurs, cet engagement semble faire machine arrière. L’histoire se met à tourner autour de ce qui n’est pas dit, pas écrit, de ce qui est effacé et censuré par une soudaine culpabilité. « Le mensonge dans la fiction est une stratégie utilisée28 », est-il écrit à quelques pages de la fin. Le doute se glisse, insidieux. Le livre entre nos mains nous semble soudainement étranger. Que sommes-nous en train de lire ? Nous serions-nous laissé·e·s emporter par une promesse chimérique ? Une distance s’établit entre la narratrice et son projet d’écriture. Maude Veilleux est-elle allée aussi loin qu’elle l’aurait souhaité, finalement?

Bien sûr, cette interrogation n’est pertinente que si nous appréhendons Prague à la façon d’une autofiction, et non tel un roman comme l’indique la couverture. La question du genre est d’ailleurs abordée à quelques reprises au sein du récit même. Ces mentions, cependant, encouragent encore plus la confusion quant à l’appartenance de Prague à un style littéraire précis et unique. Après tout, si la protagoniste « [s]entai[t] le besoin de justifier [s]a posture littéraire, [s]on choix d’écrire une autofiction en 2016, surtout dix ans après Nelly Arcan29 », toujours est-il que Prague existe parce qu’elle « voulai[t] écrire un roman. Depuis le début

26 Ibid., p. 82. 27 Ibid., p. 93. 28 Ibid., p. 94.

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[elle] avai[t] voulu écrire un roman30 ». Les limites des genres se brouillent à mesure que

l’histoire se développe, et la mention de mensonges et d’évitements dans la narration viennent achever de troubler lea lecteur·trice. Roman autofictionnel, ou roman fictionnel? Pour le bien de cet essai, il faudra statuer. Néanmoins, qu’il s’agisse d’une fiction ou non, est-ce que les mensonges et contournements dans Prague peuvent-être considérés comme des actes de mauvaise foi? Peuvent-ils être la preuve que le processus de dévoilement mis en branle par l’auteure s’est soldé par un échec? Dans le cadre de cet essai, je vais tenter de répondre à ces multiples questionnements : j’entreprendrai d’abord de statuer sur le genre littéraire auquel Prague correspond le plus, puis je ferai lumière sur le pacte de lecture qui régit le récit afin de déterminer si ce-dit pacte est respecté ou pas. Puisque mon idée est que Prague se présente comme une autofiction, je travaillerais tout d’abord avec les théories des genres que proposent Vincent Colonna et David Bélanger sur le sujet. Une fois cette distinction faite, je m’attarderai aux théories du langage afin d’établir les différences entre le mensonge, la fiction et la censure, en prenant appui sur les recherches de John R. Searle. Finalement, après ces mises au point, je mettrai à l’épreuve mon hypothèse – Maude Veilleux n’est pas allée aussi loin que le sous-entendait le pacte de lecture de son récit Prague quant au dévoilement de soi – grâce à des entrevues faites avec l’auteure dans le cadre des recherches de ce mémoire. Au cours de cette dernière étape, cependant, nous verrons que les choses se révéleront autres et que la suite me donnera tort, m’emmenant à reconsidérer mon hypothèse.

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Chapitre premier - L’autofiction et ses ramifications

Nous sommes le 29 août 2016. Prague est publié chez Hamac. Seconde publication de l’auteure dans cette collection de l’éditeur Septentrion. La couverture est de teinte mauve. Nous y voyons un ventre, la courbe d’un sein qui disparaît. Le logo de la collection sous la rondeur. Dans le dernier tiers de la couverture, centré, PRAGUE en majuscules. Tout juste en dessous, le nom de l’écrivaine : Maude Veilleux. Puis, quelques retours de ligne plus loin, roman.

Si Prague est un roman, de quel type s’agit-il ? Est-ce un roman fictionnel ou autofictif ? Dans ce chapitre, j’interrogerai ces deux particularités littéraires afin de déterminer la nature du récit de Maude Veilleux.

* L’autofiction.

Genre bâtard, pas sérieux. Sous-genre.

Écriture narcissique. Pacte ambigu, hybride. Style brouillon.

Mythomanie littéraire.

Depuis que Doubrovsky a décrit l’autofiction par ce fameux oxymore — « fiction d’événements strictement réels31 » —, les Lejeune, Barthes, Nixon, Colonna, Forest, Gasparini du monde littéraire ont tenté de répondre à une même question : qu’est-ce que l’autofiction ? Les hypothèses s’accumulent, s’entrecroisent, se contredisent. Face à la panoplie, quelle est la bonne ? Vincent Colonna, dans son essai Autofiction & autres

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mythomanies littéraires32, établit les diverses catégories possibles du genre et propose, pour chacune, une définition. Je commencerai en m’appuyant sur les recherches de ce dernier pour déterminer dans quelle catégorie autofictionnelle s’insère le récit de Prague.

Définitions multiples

Selon l’essayiste Vincent Colonna, l’autofiction se diviserait en quatre catégories : fantastique, biographique, spéculaire et intrusive. La première, l’autofiction fantastique, correspond à ce qu’en dit Gérard Genette dans Fiction et diction : « Moi, auteur, je vais vous raconter une histoire dont je suis le héros, mais qui ne m’est jamais arrivée33. » Selon cette interprétation, le récit ressemblerait plutôt à une fabulation de soi qu’à une fictionnalisation de l’intime. Soit l’univers narré « ostensiblement fictif34 » est « régi par d’autres lois que les nôtres35 », soit le personnage mis en scène « y vit ou subit des aventures invraisemblables36 ». Un bon exemple d’autofiction fantastique serait la nouvelle « L’autre », de Jorge Luis Borges37, où son homonyme de 70 ans rencontre et discute avec un jeune Borges âgé de 18 ans. Cette situation, impossible, met pourtant en scène des vérités autobiographiques et historiques vérifiables.

La seconde catégorie représente l’autofiction biographique (à différencier de l’autobiographie ou du roman au JE38). Comme l’écrit Alain Rathé dans son article dédié à l’essai de Vincent Colonna, « l’auteur se sculpte, se modèle un double à son nom39 ». Il ajoute qu’il s’agit d’une « héroïsation de l’artiste », de sa « mutation dans un rôle fictif ». L’artiste se place donc en personnage principal dans un texte inspiré du réel : son réel. Le récit Passion

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simple d’Annie Ernaux embrasse bien cette définition : l’écrivaine livre, dans ce texte, l’histoire dénudée d’une passion amoureuse vécue avec un homme marié. « Je ne fais pas le récit d’une liaison, je ne raconte pas une histoire (qui m’échappe pour la moitié) […]. J’accumule seulement les signes d’une passion, […] comme si cet inventaire allait me permettre d’atteindre la réalité de cette passion40 », écrit l’auteure.

Le troisième type d’autofiction, d’après Vincent Colonna, est spéculaire. Ici, l’artiste n’est pas au centre du livre, mais y fait plutôt une apparition, un peu à la façon de ces toiles où les peintres se montraient en train de peindre dans un coin de leur œuvre41. Un bon exemple de ce genre d’autofiction serait l’incipit de Huckleberry Finn, de Mark Twain : « Vous ne me connaissez pas encore si vous n’avez pas lu un livre intitulé Les aventures de Tom Sawyer, mais au fond, ça ne change rien. C’est un certain Mark Twain, qui l’a écrit, ce livre […]42. » Colonna explique que, dans l’autofiction spéculaire, « l’auteur ne se trouve plus forcément au centre du livre ; ce peut n’être qu’une silhouette43 », et que « [l]e réalisme du texte, sa vraisemblance, y deviennent un élément secondaire44 ».

Finalement, la quatrième catégorie est celle de l’autofiction intrusive. Cette dernière peut ressembler à l’autofiction spéculaire dans la mesure où, ici aussi, l’artiste n’est pas au centre de l’histoire, mais y fait une (ou des) apparition(s). Cependant, dans ce type d’autofiction, l’artiste s’installe dans l’histoire à la façon d’un personnage supplémentaire, sans toutefois en être vraiment un. C’est un processus littéraire qu’utilise fréquemment l’écrivain québécois François Blais dans ses publications :

Au moment d’entreprendre la rédaction de cette biographie d’Anne-Sophie Bonenfant, l’insuffisance de mes moyens m’apparaît de manière plus flagrante que jamais, aussi n’ai-je d’autre choix que de m’en remettre à l’indulgence du lecteur, en espérant que celui-ci ne verra pas dans cette démarche une manière de prévenir la férule de la critique allant au-devant des coups45.

40 Annie Ernaux, « Passion simple », Écrire la vie, Paris, Gallimard, 2011, p. 667.

41 Colonna donne pour exemple, dans son essai, les peintures Les Ménines (1656) de Vélasquez et

Atelier du peintre (1855) de Courbert.

42 Ibid., p. 120.

43 Colonna, op. cit., p. 119. 44 Id.

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L’auteur, ici, s’attribue la narration alors que le roman en question ne raconte pas son histoire à lui, mais bien celle du personnage fictif d’Anne-Sophie Bonenfant.

Ces distinctions faites, à quel type d’autofiction correspond Prague ? À l’autofiction biographique, sans aucun doute. D’abord parce qu’à l’inverse de l’autofiction dite fantastique, Prague ne prend pas place dans un univers « ostensiblement fictif », mais bien dans le Montréal actuel. Notons ensuite l’importance des descriptions, dans Prague, qui sont vraisemblables et réalistes, l’éloignant ainsi de l’autofiction de type spéculaire. Aussi, contrairement aux autofictions spéculaire et intrusive, le JE prend toute la place dans le récit, ne se contentant pas de n’être qu’une apparition. Ne reste donc qu’à définir ce qu’est l’autofiction biographique afin de confirmer si Prague en est bien une.

Identité(s)

Dans son article « L’autofiction contestée : le romancier fictif et l’autarcie littéraire46 », David Bélanger avance qu’en autofiction, « le narrateur est l’auteur, homonymie importante47. » Les identités de l’écrivain·e, de·u lea narrateur·trice ainsi que du personnage principal, dans le cas d’une autofiction biographique, doivent donc se correspondre. Dans Prague, le nom de la narratrice-personnage n’est jamais énoncé, mais certains indices dans le texte permettent de conclure qu’il s’agit bel et bien de Maude Veilleux, auteure. C’est ici que je vais me faire détective et filer les traces laissées dans le réel par l’écrivain. « J’avais reçu une bourse pour écrire un recueil de poésie48 », pouvons-nous lire dans Prague. Comme Maude Veilleux n’a que deux recueils à son actif au moment de publier Prague, les recherches sont faciles à faire. Une partie de la réponse se trouve dans le premier poème de

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investigations un peu plus loin en feuilletant le Rapport annuel de gestion des années 2013 et 2014 du CALQ50, nous pouvons lire le nom de Maude Veilleux ainsi que le montant de sa bourse. Plus loin, toujours dans Prague : « J’allais à Bruxelles pour la Foire du Livre51 ». Dans le dossier de presse de la Foire du Livre de Bruxelles, sous la section « Le Québec, les liaisons par-là l’océan », nous pouvons voir l’image floue de Maude Veilleux, présentée comme poète et romancière, en signature le jeudi 26 février 201552. Concluons par la couverture du 146e numéro de Nuit Blanche53 où nous pouvons reconnaître une photographie

de l’écrivaine comme elle est décrite dans Prague : « J’ai détaché mes cheveux. Elle les a mouillés dans l’évier de la salle de bain. […] L’eau coulait sur mon torse. Elle a pris plusieurs photos54. » Prague relate bel et bien l’itinéraire poursuivi par Maude Veilleux écrivaine lors des années 2014 et 2015. Maude Veilleux auteure est Maude Veilleux narratrice qui est Maude Veilleux personnage. Les identités onomastiques correspondent.

La création d’action

Dans ce même article de David Bélanger, nous pouvons lire qu’une des caractéristiques de l’écriture autofictionnelle est qu’elle « devient création d’actions55 ». C’est-à-dire que « le texte engendre de l’action, [et que] l’action engendre le texte56 », tous deux se nourrissant l’un l’autre afin de permettre au texte que nous tenons entre nos mains de prendre forme. Cette mécanique, mise en place au sein de Prague, nous démontre tout le côté paradoxal du projet d’écriture de l’auteure : « Si je continuais à essayer d’écrire le livre en ne faisant aucun compromis sur ma vie, le récit devenait complaisant57 », écrivait-elle. Ce qui mène la narratrice à conclure que, pour faire avancer son récit, « il [faut] qu’il y ait un changement

50 « Rapport annuel de gestion 013 – 014 », CALQ, 2014.

https://www.calq.gouv.qc.ca/wp-content/uploads/2015/09/pub_rag201320141.pdf, consulté le 1er mai 2018.

51 Veilleux, Prague, op. cit., p. 41.

52 « Foire du Livre de Bruxelles : Dossier de presse 2015 », FLB, 2015.

http://flb.be/wp-content/uploads/2013/11/Dossier-de-presse-2015-compressed.pdf, consulté le 1er mai 2018.

53 Nuit Blanche, 146 (printemps 2017), 67 pages. 54 Veilleux, Prague, op. cit., p. 85.

55 Bélanger, loc. cit, p. 124. 56 Ibid.

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radical dans [sa] vie58. » L’auteure impose alors une fiction à son réel afin rendre son récit véritable, concret. Le livre semble s’écrire à l’instant même où il se vit. « La fiction que je m’imposais pour écrire le livre m’avait engloutie59 », pouvons-nous lire. Pour (et dans) Prague, toutes les instances de Maude Veilleux prennent le pari de jouer avec le quotidien dans le but d’en faire un matériau d’écriture. « J’avais cessé de l’écrire et j’avais commencé à la vivre60 », lisons-nous à propos de la fiction.

La métafiction

Cette caractéristique du récit autofictionnel est, il me semble, étroitement liée à un troisième aspect, lui aussi soulevé dans l’article de David Bélanger : celui de l’écriture qui se questionne sur elle-même, « donnant à voir […] un discours sur la littérature61. » Le texte, conscient de lui-même, se dévoile et se raconte dans un même souffle, rendant sa lecture antinomique. C’est un procédé auquel nous assistons dans Prague : « J’aimais l’idée d’être en train d’écrire un livre. J’aimais l’idée que ma vie soit imprimée / gardée / archivée / photographiée62. » Le récit se transforme et devient métafictionnel, dévoilant ainsi ses propres mécanismes à même la narration. « Le jeudi, je rentrais à la maison. Je déjeunais avec mon mari. Nous parlions de nos aventures. Je me préparais une carafe de thé. Je m’assoyais devant mon ordinateur et je rédigeais un compte-rendu de la veille. Ensuite, je pouvais vaquer à mes occupations63. » L’histoire laisse croire que nous lisons ce compte-rendu (ou du moins un extrait de celui-ci). Maude Veilleux dévoilant sa propre entreprise littéraire, le texte devient un objectif pointé sur l’écrivaine en train d’écrire ce que nous lisons. « La caméra roule en permanence. Vidéo de moi qui mange. Vidéo de moi qui lis. Vidéo de moi qui écris. Vidéo de moi qui me regarde dans le vidéo64. » Prague se dédouble, fait office d'une caméra qui filme ce qu’une autre caméra filme.

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Les paradoxes

Toujours dans son article « L’autofiction contestée : le romancier fictif et l’autarcie littéraire », David Bélanger conclut que le récit autofictionnel devient paradoxal dans son écriture même. « L’impossibilité de l’histoire est stipulée : le récit auquel on a droit, en ce sens, est celui de sa potentialité65. » Le livre que nous lisons devient donc le récit de sa propre écriture. « J’avais rompu mon contrat d’écriture », écrit la narratrice-personnage Maude Veilleux, dans Prague, « je n’irais pas au bout de l’histoire66. » Prague devient multiple et pluriel. Prague devient Pragues. Nous avons, entre nos mains, le récit relatant l’écriture d’un récit. Le texte rend impossible sa propre tentative : peut-on réellement faire d’un récit le récit de l’écriture d’un récit ? Les tentacules paradoxaux s’immiscent partout : où est le récit final, celui dont il est question dans l’écriture ? Quand la Maude Veilleux narratrice écrit que « [le] roman commençait à tourner en rond67 », de quel texte parle-t-elle, au juste ? Est-ce seulement possible que ce soit ce que nous lisons ?

« C’était parce que je voulais écrire68 », explique-t-elle, à la fin de Prague. « Depuis le début, j’avais voulu écrire un roman69. »

Alors, Prague : autofiction biographique ou roman fictionnel ? Il ne me semble pas risqué d’avancer : autofiction. Le texte correspond effectivement à la description que fait Vincent Colonna de l’autofiction biographique dans la mesure où Maude Veilleux est l’héroïne de l’histoire qu’elle écrit, « le pivot autour duquel la matière narratrice s’ordonne70 ». Lorsque nous poussons plus loin nos réflexions, nous pouvons constater que Prague répond aux contraintes du genre : l’histoire prend appui dans le réel, ce-dit réel se voit immanquablement teinté par l’écriture de l’auteure, des questionnements relatifs aux processus créatifs se retrouvent au cœur même du récit, les identités onomastiques correspondent, etc. Mais si Prague est bel et bien une autofiction, pourquoi alors inscrire « roman » sur sa couverture? Après tout, cataloguer un livre « roman », c’est en influencer sa lecture. « Roman » n’a pas

65 Bélanger, loc. cit., p. 125. 66 Veilleux Prague, op. cit., p. 98. 67 Ibid., p. 30.

68 Ibid., p. 107. 69 Ibid.

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la même signification qu’« autofiction » ou même « récit ». Le pacte de lecture, de par l’étiquette « roman », n’est pas le même. Le danger lié au dévoilement personnel dans un projet d’écriture s’amoindrit. La démarche s’émousse. La mention « roman » trahit, détourne à coup sûr. L’éditeur de la collection « Hamac », Éric Simard, m’a confié qu’au moment où est paru Prague, « [il] ne mettai[t] pas en doute le genre comme [il] le fai[t] maintenant71 ». Une réponse similaire m’est venue du côté de l’écrivaine : « [À] l’époque je n’avais pas toute cette réflexion sur les genres72 », m’a-t-elle expliqué. « C’est clair que "roman" dirige vers un pacte de lecture fictionnel, mais d’un autre côté c’est la grosse enveloppe73. » Si l’auteure se réclame de l’autofiction74 pour ce projet d’écriture, la désignation du livre comme un roman vient habilement jouer avec les frontières déjà floues que le genre autofictionnel entretient avec la fiction et la réalité. Prague franchit certes une limite dans le dévoilement de soi que l’auteure n’avait jamais dépassé jusqu’alors, néanmoins, il me semble que cette mise à nu est incomplète et qu’elle se voit freinée par un dispositif qui prend de plus en plus de place au fil des pages : la dérobade. « J’aimais beaucoup la technique de l’évitement75 », pouvons-nous lire dans Prague. Si le récit promettait un dévoilement sans limites au départ, pourquoi tout à coup tourner ainsi autour du pot? Mais, surtout : pourquoi nommer à même la narration ces labyrinthiques détours qui nous écartent de plus en plus d’un dévoilement authentique et véritable?

C’est ce que je me propose d’analyser dans le prochain chapitre, afin de tester mon hypothèse première : parce qu’elle a recours à diverses stratégies d’évitement, Maude Veilleux n’est pas allée aussi loin que le sous-entendait le pacte de lecture de son récit Prague quant au dévoilement de soi.

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Chapitre second - La fiction et le mensonge

Le terme « fiction », dans le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL) est défini comme étant le « produit de l’imagination qui n’a pas de modèle complet dans la réalité76 ». On mentionne aussi : « mensonge, dissimulation faite volontairement en vue de tromper autrui. » La fiction se réduirait-elle au simple mensonge? Ce dernier est-il intrinsèque à la fiction? Quelles sont les frontières, si elles existent, entre ces deux concepts? Dans ce chapitre, je tenterai de différencier le mensonge de la fiction afin de comprendre l’utilité et le but des diverses feintes utilisées dans Prague.

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Dans son essai Sens et expression : études de théorie des actes du langage77, John R. Searle avance que « les énonciations de la fiction sont "non sérieuses"78 ». Il précise : non sérieuses dans le sens où, lorsque « l’auteur d’un roman nous dit qu’il pleut dehors, il n’adhère pas (commited to) sérieusement à l’idée qu’il pleut dehors, au moment où il écrit79. » En tant que lecteur·trice·s, nous acceptons cependant l’idée qu’il pleut dans le contexte de notre lecture, puisqu’en lisant nous suspendons notre incrédulité et admettons que ce que nous lisons imite le réel. Nous acceptons l’idée qu’il ne pleuvait probablement pas réellement au moment où cette pluie fut relatée dans un texte. À l’inverse, nous ne suspendons pas notre incrédulité lorsque nous lisons un journal d’information. Selon Searle, ce qui différencie le discours « sérieux » ou « non sérieux » d’un texte donné tient dans l’assertion qui est faite par le premier. « Une assertion est un type d’acte illocutoire qui obéit à des règles sémantiques et pragmatiques tout à fait particulières80 » et auxquelles son auteur·e se doit de répondre au

76 « Fiction », CNRTL, http://www.cnrtl.fr/definition/fiction, consulté le 12 avril 2019.

77 John R. Searle, Sens et expression : études de théorie et des actes de langage, Paris, Minuit, 1982,

248 p.

78 John R. Searle, « Le statut logique du discours de la fiction », dans Sens et expression : études de

théorie et des actes de langage, Paris, Minuit, 1982, p. 103.

79 Ibid.

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