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Maupassant et le realisme fantastique

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Academic year: 2021

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ProQuest Infonnation and Leaming

300 North Zeeb Raad, Ann Arbor, MI 48106-1346 USA 800-521..0600

(2)
(3)

••

par

Mireille Oranger

Mémoire de maîtrise présenté à la

Faculté des Études supérieuresetde la Recherche de

L'Université MeGill (Montréal)

pour l'obtention du

M.A

Département deLangueetLittératurefrançaises

Juin2001

(4)

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0-612-75229-1

(5)

Les nouvelles de Maupassant habituellement rangées sous la rubrique

fantastique posent un sérieux problème. Le tenne «fantastique» recouvre à lui seul un

certain nombre d'ambiguïtés, puisque les définitions du genre se multiplient sans que

l'on parvienneàle cerner entièrement.

Ce qui frappe dans les récits de Maupassant c'est précisément le refus du

fantastique dès qu'il survient. Les textes proposent autant de tentatives d'explication

rationnelle que d'événements considérés comme échappant au rationnel. Il devient

donc possible d'appliquer à ses nouvelles les méthodes de lecture barthiennes ou la grille de Todorov car elles résistent à toutes les épreuves, ce qui conduitàse demander

si elles ne représentent pas le type même de la littérature fantastique. Pour être

crédible, le fantastique des récits de Maupassant s'enracine toujours dans un cadre

réel. Il suffit alors d'un événement inattendu, d'une erreur de perception, d'une

altération des sens pour que la raison chancelle, pour que le récit bascule tout d'un

coup dans l'étrange et l'insolite, mais contrairement à la littérature fantastique

traditionnelle, le récit reste fortement réaliste et n'en est que plus inquiétant. Ainsi,

Maupassant apprivoise le fantastique en le normalisant.

Nous voudrions donc situer notre travail au point de rencontre de ces deux

concepts (réalisme et fantastique) afm de déterminer si la définition du réalisme

fantastique àlaquelle nous aurons abouti se vérifie dans l'étude des récits fantastiques suivants : «Apparition», «La chevelure», «Le Horla» (première version), «La main»,

«La peur», «Magnétisme» et «Sur l'eau». Ces nouvelles constituent un échantillonage

intéressant pour l'étude du réalisme fantastique non seulement pour leurs dates de

parution, qui s'échelonnent de 1876 à 1886, mais également par «l'effet de réel»

(6)

Generally labelled as fantastic in nature,. Maupassant's short staries pose a serious problem. The very tenn «fantastic» is itself highly ambiguous; there have been many attemps ta define what makes a work of Iiterature «fantastic» in nature,. but none of these attempts have managed ta capture the essence of the genre in its entirety.

What is most striking in Maupassant's narratives is precisely his rejection of the fantastic almost as socn as it occurs. His texts invariably contain as many attempts at rational explanation of the irrational as they do strange events which lie outside ofreason's domaine It is therefore possible ta apply to his short stories a Barthesian analysis or Todorovian grill,. since they pass ail the requisite tests,. leading one to ponder whether they might ultimately represent the very essence of what is called the Iiterature of the fantastic. To make itself believable, the fantastic in Maupassant's narratives is always rooted in a solid framework of consensual reality. Ali that is then needed for the author to work his magic is an unexpected event,. a perceptual error, or a sensory alteration; suddenly reason begins to stagger and the story swings towards the strange and bizarre. Contrary to the more traditional literature of the fantastic, however, his narratives remain anchored in a realistic world, rendering the reader's experience even more unsettling. [n a sense, Maupassant manages to tame the fantastic by normalizing it.

We intend, therefore, to position our work at the meeting point ofthese two concepts - reaiism and fantasy - in order ta detennine if the definition of «fantastic realism» we will be striving for cao be verified through our analysis of the following stories: «Apparition», «La chevelure», «Le Horla» (tirst version), «La main», «La peur», «Magnétisme» and «Sur reau». These short stories constitute an interesting sample of the author's work for the study of fantastic realism, not ooly because of their dates of publication, rangiog from 1876 ta 1886, but equally because of the effect of realism they create despite the fantastic atmosphere in which they take place.

(7)

TABLE DES MATIÈRES

W~~~ 5

Le réaJisme 8

Le fantastique

t

7

Le réalisme fantastique 25

Cbapitre premier: Apparition d'un pbénomène dans un cadre réaliste 30

Contexte réaliste 31

Les quatre critères d'Auerbach 31

L'effet deréel 36

La motivation réaliste 40

La cohérence et la logique 52

Apparition d'un phénomène 57

Cbapitre 2: Hésitation prolongée

Les oppositions lexicales et descriptives La rationalisation

La métaphorisation La modalisation

CbapitreJ : Intensification de la peur Le lexique de l'épouvante

Rapport d'identification avec le lecteur Apogée dela peur Conclusion Bibliograpbie 63 66 73 82 85

90

92 94

98

105 115

(8)

Introduction

Selon la définition du

Robert

~ le fantastique est ce qui est créé par

l'imagination, qui n~existe pas dans la réalité (le fabuleux~ l'imaginaire~l'irréel)~ ce qui parait surnaturel (bizarre, extraordinaire et par extension, énorme,

étonnant, incroyable~ invraisemblable). Pourquoi alors parler de «réalisme fantastique»? Les deux tennes ne sont-ils pas inconciliables?

Eneffet~ le fantastique est souvent mis en opposition avec le réalisme. On a vite fait de le confondre avec le merveilleux, lesurnaturel~ le relayant ainsi à un sous-genre ne présentant aucune particularité propre. Or le fantastique, que

certains (dont Todoro~) situent précisément entre l'étrange et le merveilleux, et que d'autres (tel Castex3) définissent au sens large comme étant «une intrusion

brutale du mystère dans la vie réelle», possède de nombreuses définitions. De

cette confusion nous est venue l'idée d~unenouvelle interprétation, jusqu'ici Peu explorée, celle du fantastique comme étant l'expression d'un réalisme poussé au

bout de ses limites. Ainsi, nous dégagerons en premier lieu les éléments

caractéristiques du réalisme, puis ceux du fantastique, pour tenter enfin d'établir

les paramètres qui nous pennettront d'aboutir à la définition du «réalisme

fantastique»~conceptqui~ une fois mis au point, nous permettra de saisir pourquoi le fantastique prend naissance grâce à «l'effet de réeh>4. Nous proposons cette

1A Rey et J. Rey-Debove.Lepetit Robert 1.Paris. Le Robert. 1990.p.758-759.

2Tzvetan Todorov,Introductionàla littérature jQntastique.Paris, Seuil, «Points». 1970. 188 p.

3Pierre-Georges Castex. Leconte fantastique en France de Nodieràj\-faupassant,Paris.José Corti. 1962, 466p•

(9)

appellation de (<réalisme fantastique», car elle nous paraît juste et susceptible de

rendre compte de ce que nous pouvons observer dans les textes dits fantastiques

de Maupassant En eff~ même si plusieurs ont suggéré la pertinence de ce rapprochement (Witold Ostrowski5 et plus récemment Daniel François Ferreras6,

Nancy Helen Trailf et Radu Turcanu8), aucun n'a proposé ce tenne dont nous

offrirons une définition dans la troisième partie de cette introduction.

Dans cette perspective, l'œuvre de Maupassant nous est apparue

incontournable, car elle présente les deux versants indispensables à notre étude.

Se définissant comme un écrivain réaliste dans la préface de Pie"e et Jean,

MaUPaSsant a également été fasciné

par

le fantastique. Son œuvre s'inscrit donc au confluent de deux traditions, souvent opposées l'uneà l'autre, ou, du moins, que l'on n'associe jamais spontanément.

Maupassant a longtemps été boudé par le milieu littéraire francophone. Même si la critique étrangère, en particulier anglophone, s'est beaucoup

intéressée à lui, la critique francophone l'a pour sa part longtemps relégué à la queue des mouvements réaliste et naturaliste. Ce n'est d'ailleurs que dans les

dernières décennies que le fantastique dans son œuvre a fait l'objet d'études

sérieuses, car à force de parler de la maladie dont il était atteint, les critiques avaient fini, à tort, par réduire son œuvre à la folie. Comme si parce qu'il était

5WitoldOstto~ «The Fanlastic and the ReaJisticinLiterature».Problèmes des genres littéraires, vol. IX.

n°1. 1966.p. 54-74.

6Daniel François ferreras,Typologie des contes fantastiques chez Maupassant : ÉlUdes concrètes pour une

théorie,Thèsede doctorat. Michigan State University, 1991, 123p.

7 NancyHelen Traill. The Fanlastic for the Realist: The paranormal Fictions of Dickens. Turgenev and

Maupassant, Thèse de doctorat. Université de Toronto, 1989.

1Radu Turcanu. «LeHorla et«l'effet de réehu),Nineteenth Century French SlUdies, vol. XXVI, no 3-4,

(10)

devenu fou, Maupassant avait eu du talent pour l'écriture. Mais contrairementà

ce que l'on pourrait penser, ses récits témoignent d'une grande lucidité, ne serait-ce que par les nombreuses observations sur soi-même (phénomène d'autoscopie), toujours présentes dans ses récits fantastiques. Notons aussi qu'au moment où Maupassant sombre réellement dans la folie, il cesse de s'intéresser à la littérature, il hésite, commence des romans qui restent inachevés, puis il fmit par ne plus rien écrire, toute création artistique procédant d'une maîtrise dont il est désormais incapable. Ainsi, sa fascination pour le fantastique a toujours existé, et n'est pas le fruit d'une syphilis avancée comme on l'a trop souvent écrit.

Le paradoxe du «réalisme fantastique» n'est pas si surprenant. D'abord parce que Maupassant, qui se définit ouvertement comme un écrivain réaliste, a également fait l'éloge du fantastique dans un article paru dans le Gaulois, le 7 octobre 18839et sur lequel nous reviendrons, mais aussi et surtout grâceà deux

hommes de lettres qui représentent, chacun à leur manière, les deux versants, a priori opposés, présents dans son œuvre. Le premier est bien évidemment Gustave Flaubert, considéré comme son père spirituel et qui, dès ses premiers écrits, lui a fourni conseils et encouragements. Il est, comme nous le savons tous, à l'origine du réalisme auquel est associé Maupassant. Le deuxième est le poète

et critique anglais Charles Swinburne, que Maupassant a rencontré sur les côtes normandes et qui, par ses récits mystérieux et morbides (il avait une main d'homme séchée que Maupassant a rachetée après la mort de l'écrivain anglais et

9Guy deMaupassan~ «Le fantastique».LeGaulois.7 octobre 1883. réimprimé par Gérard Délaisement (éd.)

(11)

qui l'a inspiré pour «La main»}, lui a probablement légué le goût du fantastique.

Ces rencontres fascinantes ont laissé une trace indélébile dans la vie et l'œuvre de

Maupassant. Il n'est donc pas étonnant de constater que ces deux genres,

traditionnellement opposés, ont su trouver chez lui un tenain propice à leur

floraison.

Ainsi, il n'est pas déplacé de parler de «réalisme fantastique» chez cet auteur, puisque ces deux tendances ont toujours été présentes en lui. Le

fantastique a inspiré Maupassant très tôt, dès ses premières nouvelles (<<La main

d'écorché», «Le docteur Héraclius Gloss») dans les années 1870. Maupassant n'a

pas donné de place spéciale à ses récits fantastiques, les faisant plutôt paraître

dans des recueils où ils avoisinaient les récits dits «réalistes». Ainsi insérées, ses

nouvelles fantastiques deviennent une suite logique aux récits réalistes,

puisqu'elles sont justementà la fine pointe de la réalité.

Le réalisme

Malgré la proximité des tennes «réalisme» et «naturalisme», dont le

contenu paraît si voisin, il nous semble essentiel de bien les distinguer puisque nous ferons référence au «réalisme maupassantien». En effet, si le réalisme

s'intéresse au progrès et à la science, le naturalisme, lui, applique les méthodes scientifiquesà la littérature, en imposant une démarche précise de documentation

et d'étude visant à prouver que les lois de la nature et les conditions du milieu déterminent les personnages. De plus, le naturalisme tente de sortir du milieu

(12)

bourgeois afin d'observer et de décrire toutes les classeslO• Émile Zola, comme

nous le savons, est le théoricien de cette «doctrine» et son principal adepte. Même

si plusieurs critiques ont associé Maupassant à cette école, il nous semble plus

approprié de le rapprocher du réalisme. D'abord puisque Maupassant était le

disciple de Flaubert, ensuite parce qu'il utilise lui-même ce terme dans la préface

dePierre et Jean, mais aussi et surtout parce que malgré les dates de publication,

qui correspondentà la naissance du naturalisme, il n'a jamais réellement été un

écrivain naturaliste, comme l'affirme Marianne Bury:

Il a élaboré une forme personnelle de réalisme fondée sur la notion de sincérité et visant avant tout à «faire vrai», plutôt qu'à copier le réel. Contrairement aux apparences, les deux options ne sont pas incompatibles. Conscient du fait qu'un abîme sépare la réalité de la littérature, ( ... ) Maupassant substitue sans remords la vraisemblance à la vérité. Maupassant atteint par conséquent le vrai par le vraisemblable et non l'inverse, c'est-à-dire qu'on fait vraigrâceàl'effet de vraisemblance qui donne la «sensation de vérité»Il.

Cette doctrine, Maupassant nous en fait part dans une étude intitulée «Le

roman», mais plus connue sous l'appellation de «préface» de Pierre et Jean.

Dans ce texte, Maupassant expose clairement sa position sur le réalisme, en citant

L'art poétique de Boileau: «Levraipeut quelquefois n'être pas vraisemblable»12. Il précise sa pensée en ajoutant: «Le réaliste, s'il est un artiste, cherchera, non

pas à nous montrer la photographie banale de la vie, mais à nous en donner la

la Vital Gadbois. Michel Paquin et Roger Reny. Romantisme. réalisme el naturalisme. symbolisme, fantastique: littérature française et québécoise.Beloeil. Éditions de la Lignée. 1995. p.S·9.

IlMarianne Bury.Maupassant,Paris. Nathan. «Les écrivains», 1991, p. 19.

(13)

vision plus complète, plus saisissante7 plus probante que la réalité même»13•

Ainsi, il remplace le vrai par «l'illusion complète du vrai» qui est le contraire d'une pure et simple transcription des faits.

n

conclut d'ailleurs que «les Réalistes de talent devraient s'appeler plutôt des Dlusionnistes»14.

Selon Guy Larroux15, le réalisme peut être divisé en trois générations. La première s'identifierait à la figure fondatrice de Balzac7 la deuxième

correspondrait à la génération des Goncourt et de Flaubert, et la troisième s'identifierait à une école, celle qu'Anatole France nomme le naturalisme, avec son maître Zola et ses disciples.

n

croit que certains écrivains, comme Maupassant, ont retenu la triple leçon et que cette synthèse réussie serait à

l'origine de son succès qu'il qualifie d' «universel».

Si nous nous sommes donné pour objectif de faire ressortir les éléments caractéristiques du réalisme, il nous est impossible de passer sous silence l'ouvrage principal consacré à la question, celui d'Erich Auerbach, Mimésis.

Rappelons ici les quatre critères qui, selon lui, constituent les éléments nécessairesàla création de l'œuvre réaliste16 :

1. une œuvre sérieuse,

2. qui mêle les registres stylistiques,

3. qui n'exclut la description d'aucune classe ni d'aucunmilie~

4. qui intègre l'histoire des personnages dans le cours général de rhistoire.

13Ibid.yp.51.

14Ibid.yp.52.

15GuyLanoux.Leréalisme. Éléments de critique d'histoire et de poétique, ParisyNathan. «Lettres 128»,

1995yp. 36-37.

(14)

Il faut bien évidemment être prudent dans l'interprétation du mot

«sérieux» présent dans le premier critère, comme le souligne Guy Larroux :

Le réalisme véritablement sérieux, c'est celui du siècle suivant [le

XIX1,

celui qui, porté par une ambition, se dote d'un programme, s'annonce dans les avant-propos, préfaces et autres déclarations d'intention qui jalonnent cette histoire moderne. C'est là peut-être qu'on saisit le mieux le réalisme comme projet : entre, d'une part, la référence désormais inévitableà la science et, d'autre part, la modalité du devoir. Leur réunion suffit à donner corps à la catégorie du sérieux".

Ainsi, le sérieux d'une œuvre peut, par exemple, être assuré par le désir qu'a

l'auteur de faire part à ses lecteurs des nouvelles découvertes scientifiques.

Cet aspect nous sera fort utile lorsque viendra le moment de mettre les

textes à l'épreuve, car dans les contes fantastiques dont nous entendons faire

l'étude, Maupassant s'inspire effectivement des découvertes scientifiques,

notamment sur le magnétisme et l'hypnotisme. Il nous devient alors possible de

cerner une des caractéristiques du réalisme fantastique, qui n'est paradoxalement

pas toujours inhérente au fantastique.

Selon Guy Larroux18, lorsque dans le deuxième critère Auerbach parle de

mélange de registres stylistiques, il fait allusion à la hiérarchie des styles, théorie

qui, selon lui, doit être mise de côté dans le réalisme moderne. C'est pourquoi,

dans le roman, le sérieux peut être comique. Ainsi, la représentation de la réalité

n'est pas restreinteà un pôle bas et contique, elle peut s'approprier tous les styles,

17GuyLarroW4op.cil.•p.41.

(15)

puisqu'ils ne font plus partie, contrairement à un état antérieur, d'une pyramide

de hiérarchisation des genres. Encore une fois, cet aspect saura retenir notre

attention lorsque nous ferons l'analyse des textes choisis. Les troisième et

quatrième critères pour leur part ne posent pas de problème de compréhension.

Il serait également intéressant de mentionner l'hypothèse de Philippe

Hamonl9 concernant le projet réaliste, projet selon lui conçu comme un pacte de lecture entre unauteur-destinateur et un lecteur-destinataire. Ce pacte présuppose

un«cahier des charges» dont les articles majeurs sont les suivants :

1. Le monde estriche,divers, foisonnant, discontinu, etc. ;

2. je peuxtransmettre une information(lisible, cohérente) au sujet de ce monde; 3. la langue peutcopierle réel;

4. la langue estseconde par rapport au réel (elle l'exprime, elle ne le crée pas), elle lui est «extérieure»;

5. le support (le message) doit s'effacer au maximum (la «maison de verre» de Zola);

6. legeste producteur du message (style, énonciation, modalisation) doit s'effacer au maximum;

7. mon lecteur doit croireàlavéritéde mon information sur le monde.

De ce «cahier des charges» Hamon déduit un modèle théorique de

discours réaliste fondé sur deux thèmes principaux extraits de ces présupposés,

celui de lisibilité (le message doit pouvoir «retransmettre» une information) et celui dedescription.

À la lumière de ce «cahier des charges», il nous est alors possible de

déduire certains procédés qui nous permettront une lecture du texte réaliste pour

ce qu'il est et non pas ce qu'il prétend être. Un des objectifs de notre travail étant

19Philippe Hamon. «Un discours contraint,. dans Littérature et réalité. Paris. Seuil. «Points>., 1982. p. 119·

(16)

de comprendre l'essence du réalisme, donc d'en faire ressortir les éléments

caractéristiques, nous nous proposons, pour faciliter notre tâche, une vue

d'ensemble plutôt qu'une analyse pointilleuse qui nous éloignerait de notre but

premier. Partons alors, comme le suggère Guy Larroux2o, de ces trois catégories,

la motivation, la cohérence et l'énonciation, afin de découvrir quelques-uns des

traits essentielsàla production d'un texte réaliste.

La motivation couvre différents aspects du texte réaliste. Le premier est

celui de rendre le texte crédible aux yeux du lecteur. Pour réaliser cet objectif:

l'univers représenté ne doit aucunement être remis en question. Le romancier

évitera donc toute invraisemblance ou excès de fiction. De plus, il lui faudra

également avoir recoursàdifférents procédés afin d'éviter un début de récit trop

facile (manuscrit trouvé, confessions faites au narrateur, etc.). Ainsi, un certain

nombre de solutions a dû être apporté par les écrivains réalistes pour que le

lecteur soit porté par le vraisemblable dès le début du récit. Ce qu'on appelle

alors l'incipit réaliste peut être introduit de différentes manières. Il peut

notamment s'agir d'entrée en matière dialoguée, d'un début de récit qui se réfère

àune antériorité (un procès en cours, par exemple), d'un contexte référentiel qui

sert de garantie (noms de lieux réels).

Vient ensuite la cohérence, aspect essentiel à tout texte qui se veut

réaliste. La cohérence d'un texte se manifeste évidemment par un ensemble de

règles comme la répétition, qui assure un certain suivi de l' infonnation, et la

non-contradiction qui préserve l'esthétique de la vraisemblance. La description joue

(17)

également un rôle essentiel dans la cohérence d'un texte. En effet, elle se présente

comme un ensemble hiérarchisé où un objet-thème (un lieu, un habitat, une

personne, etc.) se trouve décomposé en sous·thèmes (parties du lieu, de 1'habitat,

de la personne, etc.) qui sont en général pourvus de prédicats. Cette hiérarchie

suppose une classification de la terminologie, classification quiàson tour procure

au texte un aspect scientifique. Le texte est donc réaliste puisque le lecteur tient

pour acquis la véracité de l' infonnation, comme il le ferait en consultant un

ouvrage encyclopédique.

Cet aspect de la cohérence du récit réaliste est également exprimé par ce

que Larroux appelle une idéologie de clôture21, idéologieà laquelle l'artiste doit

avoir recours s'il prétend faire une représentation aussi vraie que le monde réel.

Cette idéologie caractérise donc le texte réaliste comme un texte clos, où la fin

(comme la mort par exemple) interrompt le récit de façon naturelle, comme cela

se produit dans la vie de tous les jours. Mais pour rejoindre le réel, le texte

réaliste adhère, aussi paradoxal que cela puisse paraître, à l'ouverture. Ainsi,

l'événement final, même s'il a une vocation fermante, ne retient pas toute

l'attention, puisque d'autres faits, à côté de lui, viennent assurer la continuité de

la viell.

Reste maintenant l'énonciation réaliste, celle qui prétend ne pas exister,

celle qui semble vouloir être absente. Mais puisqu'un livre ne peut se raconter

tout seul, cette absence signifie en fait se rendre invisible. À cet égard, les trois

21 GuyLarroux.op. cit.•p.93.

(18)

scénarios mis en évidence par Philippe Hamon23peuvent se rameneràun schéma commun, qui est précisément un schéma de transmission du savoir. Ce système

pennet alors à l'auteur de s'absenter et de parler par procuration. Ony retrouve

donc l'existence d'un grand nombre de personnages. Du côté du destinateur,

toutes les figures de spécialistes; du côté du destinataire, tous les personnages

d'apprentis, de curieux, etc.

+-PenoDoageP2

destinataire non infonné PenoDDagePl~ destinateur informé Auteur (infonné)-destinateur

J..

Objet-savoir

J..

Lecteur (non informé)-destinataire

Ainsi, on pourrait qualifier le texte réaliste comme étant un texte épris

d'objectivité, dans la mesure où il cache son jeu énonciatif. Pour cela, les

écrivains ont recoursàplusieW'S ressources, que ce soit par le changement de voix

(un premier conteur curieux s'efface derrière un second conteur), le discours

indirect libre ou tout autre procédé pennettant d'atteindre cette objectivité propre

au texte réaliste. Puisque le romancier ne peut être totalement absent ou détaché

de son texte, il tente, dans la mesure du possible, de s'effacer, de disparaître. C'est pourquoi les romans réalistes du XIXc siècle apparaissent aujourd'hui

comme «l'œuvre d'écrivains qui ont montré leur sensibilité et leur attachement au

réel, étudié avec l'impassibilité d'un légiste, huissier ou médecin, sans trace

volontaire de subjectivité»24•

2JPhilippeHamon~op. cit.,p. 142.

(19)

Tentons maintenant de résumer les éléments caractéristiques du réalisme,

éléments qui, comme nous le démontrerons plus tard, se retrouvent parfois dans les textes fantastiques, mais n'en sont pas une condition. Ces traits inhérents au

réalisme sont également essentielsàla définition du réalisme fantastique.

En premier lieu nous retiendrons, pour la définition de notre troisième

partie, les quatre critères d'Auerbach. Notons cependant que certains critères

sont plus importants que d'autres. En effet, bien qu'aucune classe ni milieu ne

soit effectivement exclus, l'aspect social du troisième critère n'est pas

indispensableà la définition du réalisme fantastique. Par contre, le sérieux d'une

œuvre (premier critère) forme une composante déterminante dans l'orientation

que peut prendre le récit fantastique pour devenir réaliste. Nous y reviendrons dans la troisième partie.

Nous retiendrons également de l'hypothèse de Philippe Hamon certains

aspects qui selon nous sont également nécessaires au réalisme fantastique. Il

s'agit de la motivation, de la cohérence et de l'énonciation. Nous verrons à

l'étude des textes choisis que ces éléments, tout comme les critères d' Auerbach,

sont non seulement présents mais également indispensables au réalisme

fantastique. Par leur présence, il pennettent au texte d'être àla fois fantastique et réaliste. Ainsi, après avoir dégagé les éléments caractéristiques du fantastique,

nous pourrons, en y rajoutant les notions décrites ci-dessus, cerner le terme dont

(20)

Le fantastique

Le réalisme ne pose donc pas vraiment de problème de définition, même

si chaque critique insiste sur certaines nuances et interprétations. Il n'en est

malheureusement pas de même pour le genre fantastique sur lequel bon nombre

de théoriciens n'arrivent pasàtrouver un terrain commun.

Vax, Castex et Caillois représentent une première vague de théoriciens qui

ont amené, comme nous le verrons plus loin, des éléments intéressants, sans

toutefois fournir un schéma ou une définition concise du genre. Vient ensuite la

vague des années 1970, avec en tête Todorov dont l'Introduction à la littérature

fantastique reste un outil de référence indispensable àl'étude du genre, mais qui présente malheureusement certaines lacunes.

Les modèles proposés présentent à peu près toujours des variations sur le

même thème. À force de reprendre les textes précédents et d'y rajouter leurs subtilités de pensée, les théoriciens finissent par tourner en rond. Toutefois, dans

son livre intitulé Le fantastique, publié en 1992, Joël Malrieu cerne le problème

du genre et propose un schéma qui englobe àpeu près tous les récits fantastiques. Nous verrons comment il a su, contrairement à la majorité des autres théoriciens,

ne pas enfermer le genre dans des formules clichés ou des modèles trop

restreignants.

Notons d'abord que le fantastique, qui s'est largement développé au

courant du XIXcsiècle, a toujours été considéré comme appartenant àun courant

(21)

livre Les grands mouvements de la littérature française25 où sont couverts cinq siècles de littérature. Onfi'Y fait nulle mention du fantastique. Certains diront que

«la France n'a pas la tête du fantastique»26; il estvraique ce genre a trouvé terre

plus propice à son développement, pensons notamment aux pays anglo-saxons

ainsi qu'à l'Allemagne, mais il n'en reste pas moins que bon nombre d'écrivains

français s'y sont consacrés. Malheureusement, peu importe ses manifestations, il

semble inéluctable que la littérature fantastique soit vouée à la marginalité.

Une des raisons de cette marginalité s'explique probablement dans la

difficulté à définir le fantastique. Pourtant, il existe bel et bien un genre fantastique, et il est nécessaire d'en préciser les caractéristiques. Mais le terme

semble nous glisser entre les doigts: «loin d'être immobile dans l'éternité,

l'essence du fantastique ne cesse de se refaire dans le temps »27. Dès le début du

XJXCsiècle, au moment où le fantastique connaît son essor, certains, nous dit Joël

Malrieu, se sont efforcés de poser les assises théoriques du genre et de mettre à

jour ses origines28• Tout au long du XXc siècle, beaucoup de critiques se sont

également penchés sur la question. Quels sont alors les éléments essentiels au

discours fantastique?

Commençons par Castex, qui a su ranimer un intérêt pour le genre en

publiant en 1951 Le conte fantastique en France de Nodier à Maupassant. Il y

propose une définition devenue célèbre:

25Véronique Anglard. Les grands mouvements de la littérature française, Paris. Seuil «Mémo», 1999,64 p.

26Jean-Baptiste Baronian. Un nouveauflmtastique,L'Âge d'homme. Lausanne.1977,p.79.

21Louis Vax. lA séduction de l'étrange. Paris, Presses Universitaires de France. ((Quadrige». 1965.p.8. 2JJoelMalriel4 Le jânraslique. Paris, Hachette. 1992,p.6.

(22)

Le fantastique ne se confond pas avec l'affabulation conventionnelle des récits mythologiques ou des féeries, qui implique un dépaysement de l'esprit. Il se caractérise au contraire par une intrusion brutale du mystère dans la vie réelle; il est lié généralement aux états morbides de la conscience qui, dans les phénomènes de cauchemar ou de délire, projette devant elle des images de ses angoisses ou de ses terreurs. «Il était une fois», écrivait Perrault; Hoffinan, lui, ne nous plonge pas dans un passé indétenniné;ildécrit des hallucinations cruellement présentesàla conscience affolée, et dont le relief insolite se détache d'une manière saisissante sur un fond de réalité familière.29

Bien qu'ayant le mérite d'être exacte, cette définition paraît incomplète

dans la mesure où elle restreint le genre. On y retrouve beaucoup plus le

fantastique de Hoffinan et de Maupassant que le fantastique en général. En 1966,

Roger Caillois publie une Anthologie de la littérature fantastique, où il propose à

son tour une définition du genre. En défmissant le fantastique, Caillois le met

directement en opposition avec le féérique :

Le féerique est un univers merveilleux qui s'ajoute au monde réel sans lui porter atteinte ni en détruire la cohérence. Le fantastique, au contraire, manifeste un scandale, une déchirure, une irruption insolite, presque insupportable dans le monde réel [... ] le conte de fées se passe dans un monde où l'enchantement va de soi et où la magie est la règle. Le surnaturel n'y est pas épouvantable, il n'y est même pas étonnant, puisqu'il constitue la substance même de l'univers, sa loi, son climat. Il ne viole aucune régularité : il fait partie de l'ordre des choses; [...]. Au contraire dans le fantastique, le surnaturel apparaît comme une rupture de la cohérence universelle3o•

Z9Pierre-Georges Castex. op.cit.,p. 8.

JO Roger Caillois, De la féerie à /a science-fiction dans Anth%gie de /a littérature fantastique. Paris.

(23)

Mais, comme le souligne Malrieu, le problème soulevé par la proposition de Caillois réside dans le fait que le monde, posé comme un élément ordonné et premier, est troublé par un élément extérieur et second. En effet, nous précise-t-il, l'étrange n'est pas extérieur au monde ouàl'individu, ilen fait partie intégrante.

De plus, la démarche de Caillois repose sur une analyse thématique, au détriment du personnage: «C'est oublier que le fantastique ne réside pas dans le thème mais dans la manière dont celui-ci est traité»3 1. Le plus important dans le récit

fantastique, rajoute Malrieu, ce n'est pas l'élément perturbateur, c'est le rapport que le personnage entretient avec lui. Un autre des dangers de l'analyse proposée par Caillois est qu'elle laisse entendre que le fantastique est une suite logique du merveilleux. Cette vision linéaire et simpliste suggère donc que la science-fiction fait elle aussi partie de cette chaîne et qu'elle succède directement au fantastique. Or, les trois genres sont bien distincts, et les modes de pensée qui régissent le merveilleux, le fantastique et la science-fiction sont totalement différents, et ne peuvent en aucun cas être interprétés de la même façon.

En 1970, Tzvetan Todorov publie son célèbre livre, Introduction à la littérature fantastique. Dans cet ouvrage, considéré comme un des classiques dans l'analyse du genre, Todorov propose la définition suivante: «Le fantastique, c'est l'hésitation éprouvée par un être qui ne connait que les lois naturelles, face à

un événement en apparence sumatureh>32. Todorov, tout comme Caillois, part du

J1J~IMalrieu.op.cil.,p.4J•

(24)

principe qu'existe d'un côté le réel rationnel et de l'autre, le surnaturel. Le

fantastique résulterait de la combinaison plus ou moins subtile de l'un et de

l'autre. Malrieu envisage pour sa part le phénomène fantastique d'une toute autre

manière:

En fai~ de même que la tragi-comédie ne se situe pas quelque part entre la tragédie et la comédie, mais représente un genre disposant de sa spécificité propre, de même le fantastique ne se situe pas quelque part entre le rationnel et le merveilleux. Il se situe sur un autre terrain, son objet est autre, ainsi que les moyens qu'il met en œuvre et la vision du monde qu'il suppose. Le fantastique a pour objet le réel, même s'il s'agit pour l'auteur de laisser envisaf:er un réel plus large, ou moins apparent, que le réel connu. 3

De plus, le surnaturel n'est présent dans un récit fantastique que parce

qu'il permet d~exprimer ce que le langage conceptuel, lui, ne peut pas, puisque «l'auteur doit recourir à des images ou à des métaphores empruntées

éventuellement au domaine du surnaturel. Le surnaturel n'est alors qu'un

instrument commode pour exprimer cet au-delà possible du réel»34.

La notion de surnaturel à laquelle recourt Todorov réduit le fantastique, et

l'idée de doute et d'hésitation la réduit encore plus. Puisqu'il part d'un schéma

préétabli, d'une recette, il réussit à réunir sous la même étiquette bon nombre

d'œuvres qui n'ont jamais été classées sous la rubrique fantastique et en laisse

tout autant pour compte qui en font partie. Pour Malrieu, la défmition de Todorov

JJJoelMalrie~op.cil.•p. 43.

(25)

«procède en fait d'une confusion entre le genre et l'une de ses modalités. Le

surnaturel est l'une des modalités du fantastique comme le doute, ou 1'hésitation,

est une des modalités du récit»3s. C'est pourquoi l'élément perturbateur, présent

dans le récit fantastique, n'est pas obligatoirement surnaturel. De la même

manière, le fantastique n'existe pas exclusivement dans l'hésitation entre deux

interprétations opposées. Malrieu en arrive ainsiàla conclusion que le fantastique rejette justement cette opposition raison/non-raison. Le texte fantastique complète

et dépasse la raison, mais ne sombre jamais dans la folie. Le récit fantastique

refuse justement cette étiquette, le discours proposé se veut réfléchi et raisonné.

Pour Irène Bessière, le problèmeposé par la définition de Todorov est que

«le surnaturel introduit dans le récit fantastique un second ordre possible, mais

aussi inadéquat que le naturel. Le fantastique ne résulte pas de l'hésitation entre

ces deux ordres, mais de leur contradiction et de leur récusation mutuelle et

implicite»36 •

Nous remarquons alors que, depuis Castex, chacun s'appuie sur une partie

de la définition de l'autre et apporte ses nuances, ses interprétations. On parle

ainsi beaucoup du fantastique sans toutefois aboutiràune définition qui saisit le terme dans sa totalité et qui n'exclut pas une partie des textes. II est certain que le

versant fantastique de l'œuvre de Maupassant ne pose aucun problème puisque de

toute façon il adhère à toutes les définitions du fantastique. Mais quelle serait

JSJ<X!1 Malrieu.op. cil.,p.45.

36 Irène Bessi~ Le récit fantastique, la poétique de ['incertain. Paris. Larousse université. ccThèmes et textes». 1974.p.56-57•

(26)

alors la définition qui nous permettrait de cerner le genre dans l'ensemble de ses

manifestations?

À cet égard, il nous semble que, parmi tous ceux qui ont relevé le défi, seul Joël Malrieu ait réussi à offrir une définition simple, claire et précise qui

saisisse bien l'essence même du genre fantastique. Pour lui, le genre est fondé sur

un schéma simple, celui de la confrontation de deux éléments seulement: un

personnage et un élément perturbateur, qu'il préfère appeler «phénomène» :

Que cet élément perturbateur soit un fantôme, un mort-vivant, une statue qui s'anime, un double, ou n'importe quel être surnaturel, ne change strictement rien au problème. Ces figures ne sont que des représentations différentes d'une même chose. L'élément perturbateur n'a d'ailleurs pas besoin d'être d'origine surnaturelle. (... ) Ces manifestations malgré les figures très différentes qu'elles revêtent, peuvent être regroupées et désignées sous le terme générique de «phénomène». (... ) Le récit fantastique repose en dernier ressort sur la confrontation d'un personnage isolé avec un phénomène, extérieur à lui ou non, surnaturel ou non, mais dont la présence ou l'intervention représente une contradiction profonde avec les cadres de pensée et de vie du personnage, au point de les bouleverser complètement et durablement. L'histoire du fantastique est l'histoire des variations autour de ce schéma.37

À ceux qui considèrent cette formule trop facile pour l'élaboration de la

défmition du réalisme fantastique à laquelle nous voulons aboutir, nous répétons

que les textes fantastiques de Maupassant concordent avec toutes les définitions

du fantastique que l'on a pu trouver. Ainsi, peu importe la définition que nous

choisissons, les textes de Maupassant sauront résisteràla grille d'analyse offerte

par l'une ou l'autre des définitions.

(27)

Nous avons fait un bref survol de quelques-unes des définitions classiques

du terme pour réussir à en extraire les éléments caractéristiques qui nous

pennettront de mettre sur pied la définition du réalisme fhntastique auquel nous

voulons confronter les textes de Maupassant. Il est toutefois intéressant de noter

que presque tous ceux qui se sont penchés sur la question du fantastique ont

admis que le réalisme y est très souvent présent. Eneffe~ Irène Bessière précise que le fantastique ne contredit pas les lois du réalisme littéraire :

Historiquement, il n'est pas indifférent que le XVIIIe siècle ait vu l'épanouissement du conte de fées et celui du roman réaliste: le récit fantastique n'est pas issu directement du premier, mais de la contamination des méthodes de composition des deux types de narration. ( ... ) par un paradoxe supplémentaire, le surnaturel semble dans le récit fantastique, une des composantes de la motivation réaliste. Il ajoute au réel le nécessaire principe d'inconsistance pour que l'indicible s'installe.38

Il est clair que le fantastique s'inscrit dans un monde qui est dépeint

comme le nôtre, car «le fantastique n'a pas d'autre décor, n'a pas d'autre

structure d'accueil que le monde quotidien. C'est là qu'il apparaît - toujours

irrémédiablemen~ exclusivement. C'est la banalité des jours qu'il dérange, c'est le fragile ordre terrestre qu'il met en péril, c'est 1'horizon des contraintes et des

conventions»39.

Si le fantastique et le réalisme ne peuvent être confondus, ou réduits au

même genre, le réalisme est une condition à laquelle le fantastique doit se

l iIrène Bessière.op. cir.,p.37. 19Jean-Baptiste Baronian.op.cil.•p. 16.

(28)

soumettre et leur union ne tient nullement du paradoxe. C'est ce qui différencie le

fantastique en tant que discours et le fantastique en tant que terme générique.

Bien que nous ayons établi que le fantastique n'est pas la suite logique du

merveilleux, nous pouvons affirmer que c'est notamment la présence du réalisme

qui éloigne les deux concepts.

Le réalisme fantastique

Mais si les deux termes semblent pouvoir s'unir ainsi dans l'harmonie,

pourquoi alors parler de réalisme fantastique chez Maupassant? C'est que la

plupart du temps, lorsque réalisme et fantastique sont rapprochés, on parle de

réalisme non pas en tant qu'école mais comme «une certaine façon qu'a le

romancier ou le conteur de regarder le monde, de s'y montrer attentif, de le

Peindre. Proprement le réalisme est atteint quand le lecteur retrouve, dans le

roman ou le conte, un milieu, des personnages qui lui font murmurer: «C'est

cela»; quand s'établit entre l'œuvre et le lecteur (grâceà son expérience ou non)

une connivence»40. Nous voulons cependant aller plus loin, nous voulons définir

le réalisme fantastique comme la symbiose des deux genres, en démontrant que

les textes fantastiques étudiés présentent non seulement un climat réaliste, mais

qu'ils résistent aux deux grilles d'analyse. Le fantastique inclut dans son

expression une part de réalisme. Le réalisme fantastique, lui, naît de la synthèse

des éléments caractéristiques empruntés aux deux genres, il garde un lien

(29)

génétique avec l'un comme avec l'autre. Le réalisme fantastique s'inscrit donc

dans le mouvement du réalisme, et l'adjectif fantastique ne fait que signifier son

émancipation par rapport aux paramètres traditionnels qui le définissent. Il

affinne la coexistence de deux principes opposés. Il est évident que le fantastique,

même pris au sens le plus large, est plus facilement introduit s'il s'enracine dans

le réel, mais la stratégie littéraire recherchée par l'alliance de ces deux tennes vise

beaucoup plusàcombler les déficits présents dans les deux concepts, ou du moins

àpousser les limites traditionnellement imposées.

Pour comprendre l'essence du réalisme fantastique, ilest essentiel de citer un passage de l'article de Maupassant paru dans Le Gauloisdu 7 octobre 1883 où

il laisse deviner pourquoi le recours au réalisme est un outil indispensable pour

l'écrivain qui se consacre au fantastique :

Quand l'homme croyait (au surnaturel) sans hésitation, les écrivains fantastiques ne prenaient point de précautions pour dérouler leurs surprenantes histoires (... ). Mais quand le doute eut pénétré enfin dans les esprits, l'art est devenu plus subtil. L'écrivain a cherché les nuances, a rôdé autour du surnaturel plutôt que d'y pénétrer. Il a trouvé des effets terribles en demeurant sur la limite du possible, en jetant les âmes dans l'hésitation, dans l'effarement.

Notre défmition du réalisme fantastique s'inspire en grande partie de cette

réflexion amenée par Maupassant. Par «l'art est devenu plus subtil», il faut

comprendre qu'il existe bel et bien une stratégie derrière le discours fantastique.

Pour qu'il fasse peur, le fantastique doit maintenant sous-entendre le réel. Il faut

(30)

L'étude de ce passage nous permet de dégager les aspects essentiels qui

constituent le réalisme fantastique.

Le mot <<précautions» laisse tout d'abord deviner le cadre réaliste dans

lequel le conte doit indubitablement se développer. La présence «d'effets

terribles» suggère à son tour le <<phénomène» dont nous avons fait mention

précédemment. Nous retrouvons ensuite le doute, l'hésitation prolongée, car

l'auteur rôde autour du surnaturel sans jamais y pénétrer. Finalement, il faut s'assurer, pour que le fantastique soit crédible aux yeux d'un public devenu plus

exigeant, plus méfiant, que le lecteur se sente envahiparla peur, que son âme soit

jetée «dansl'hésitatio~dans l'effaremenb).

Nous tenterons de retrouver les caractéristiques inhérentes au réalisme

fantastique dans les contes fantastiques suivants: «Apparition», «La chevelure»,

«Le Horla» (première version), «La maim), «La peUO), «Magnétisme» et «Sur

l'eaw). Nous avons sélectionné ces récits pour notre travail parce qu'ils

constituent, ànotre avis, un échantillonnage intéressant pour l'étude du réalisme

fantastique chez Maupassant En effet, les textes choisis s'échelonnent de 1876à

1886 et procurent tous un «effet de réel» malgré l'atmosphère fantastique dans

laquelle ils évoluent. Ds présentent donc un terrain propice au sujet que nous nous

proposons d'étudier. Notre analyse se fera en trois grandes parties où chacune

représentera un des aspects essentiels que nous aurons dégagés pour établir le

concept de réalisme fantastique. Ces trois aspects constitueront chacun un

(31)

Le premier aspect que nous devrons dégager dans les textes sera celui du

«phénomène», plus précisément l'apparition de faits étranges, inexpliqués dans

un monde apparemment normal, banal. Nous tenterons de mettreàjour la rupture,

le dysfonctionnement créés par le fantastique dans un récit a priori fortement

réaliste. Quelles sont les techniques, les «précautions» employées par l'auteur

pour que «l'art» devienne plus subtil? Nous mettrons alors en application les

outils d'analyse du réalisme que nous avons dégagés précédemment (notamment

les quatre critères d'Auerbach, «l'effet de réel», ainsi que les principes tirés du

cahier des charges de Philippe Hamon).

La deuxième partie portera sur l'hésitation prolongée (et renouvelée) du

héros et du lecteur, entre une explication rationnelle et une autre surnaturelle à

propos des mêmes faits. Grâce à la mise en œuvre de certains procédés du

discours, le texte préserve la possibilité d'expliquer l'événement d'une façon

vraisemblable, rationnelle, tout en suggérant la possibilité du surnaturel.

Maupassant parle de «rôder autour du surnaturel sans jamais y pénétrer», c"est ce

que nous tenterons de cerner.

Finalement, toute l'ambiguïté du réalisme fantastique réside dans cette

ambivalence et cette hésitation. Ces deux dernières génèrent une peur et une

angoisse puisque si l'on bascule d'un côté (l'étrange) ou de l'autre (le

merveilleux), nous n'en sommes pas plus rassurés. Nous pensons ici à

l'effarement dont parlait Maupassant et dans lequel 1"auteur doit jeter le lecteur.

(32)

vraisemblable. En restant crédible, le récit génère une peur à laquelle le lecteur

est confronté et c'est pourquoi la science-fiction, le merveilleux et parfois même

le fantastique ne peuvent réussir cet exploit. Ces textes peuvent engendrer la peur,

mais celle-ci n'atteint jamais son paroxysme. La peur, ou plutôt l'effarement

devient donc un outil indispensable au réalisme fantastique car rien n'est plus

redoutable que ce qui pourrait nous arriver. Si la Peur, comme le prétend Todorov

«est souvent liée au fantastique mais [qu'] elle n'~n est pas une condition nécessaire»41, elle le devient pour le réalisme fantastique. Le fantastique peut

parfois ressembler à ce que nous appelons le réalisme fantastique, mais ce ne sont

pas toutes ses manifestations qui peuvent s'y intégrer.

Ainsi, le réalisme fantastique se distingue du fantastique car il s'inscrit,

comme nous l'avons dit, dans un c:adre réel où se produit un phénomène, il

crée alors une hésitation prolongée qui a pour but de déstabiliser le lecteur pour

finalement mieux générer en lui une frayeur. Ces trois composantes sont

essentielles et Pennettent de cerner avec précision ce que nous entendons par

réalisme fantastique.

(33)

Chapitre 1

Apparition d'un ((pbénomène) dans un cadre réaliste

La motivation du texte réalistey nous IYavons déjà mentionnéy vise à rendre

le récit crédible aux yeux du lecteur. C'est donc en tentantde copier le réel que l'écrivain réaliste augmente rimpression de véracité ou du moins de

vraisemblable. Pour réussir cet «effet de réel», ila recours à différentes stratégies. Ces mêmes stratégies se retrouventdans le réalisme fantastique. En effet, même si

le réalisme fantastique est un «discours», une façon de voir la réalitéy il est régi

par les mêmes lois que le réalisme.

n

ne fait que pousser les limites traditionnellement imposées au genre sans toutefois transgresser les lois du

vraisemblable comme le fait parfois le texte fantastique. Le réalisme fantastique est un réalisme créé de toutes pièces par l'auteur mais que ce dernier voudra faire

passer pour la réalité. Dans un premier temps, nous analyserons les différents

procédés qu'emploie Maupassant afin de rendre ses contes fantastiques

vraisemblablesy puis nous verrons comment par l'irruption d'un phénomène, le texte a priori réaliste glisse tranquillement vers le fantastique

sans

toutefois le devenir entièrement. Pour nous convaincre que son texte est régi parles lois du réel et nonparcelles du surnaturely l'auteur doit s'assurer que son récit se déroule

dans un cadre fortement réaliste avant d'y insérer un élément déclencheur qui vient bousculer l'ordre normal des choses. Ce qui permet au simple fantastique de

(34)

.'

devenir réaliste et inversement au réalisme de s'imprégner de fantastique, c'est

cette obstinationàprendre pour référent le réel.

CODteste réaliste

Puisque les éléments qui servent à rendre les contes fantastiques de Maupassant vraisemblables sont présents tout au long des récits, nous ne nous arrêterons pas à

ceux

qui précèdent l'irruption du <<phénomène». Nous voulons démontrer que même après cette apparition de faits étranges, la conformité de

l'œuvre au vraisemblable, ou au réel, est maintenue. Certains procédés s'appliquent plutôt aux deuxième et troisième parties de notre travail, etnous les

analyserons donc en conséquence.

1. Les quatre critères d'Auerbach

Premièrement il serait judicieux de voir si nous pouvons retrouver dans le corpus choisi les quatre critères d'Auerbach que nous rappelons ici :

1. Une œuvre sérieuse,

2. qui mêle les registres stylistiques,

3. qui n'exclut la description d'aucune classenid'aucun milieu, 4. qui intègre les personnagesdansle cours général de l'histoire.

n

est effectivement assez aisé de montrer que ces éléments se retrouvent dans le corpus des récits choisis.

Tel qu'expliqué dans l'introduction, il faut entendre par œuvre sérieuse celle qui se dote d'un programme ou plus précisément qui fait référence à la science dans le but «d'instruire» le lecteur. Maupassant utilise cette stratégie afin

(35)

d'introduire des concepts nouveaux qui suscitent des débatsdansla société de son

époque (le quatrième aspect se trouve ainsi couvert). Vers la fin du

xrx

csiècle, on parlait en effet beaucoup des récentes découvertes sur le magnétisme et

l'hypnotisme42• En s'appuyant sur ces «découvertes», Maupassant fait coup

double. En effet,ildonneàses récits une visée didactiqueet du même coup inscrit

ses personnages dans le cours général de J'histoire. Notons également qu'en

rompant avec l'étrangeté traditionnelle afin de ne pas froisser la sensibilité d'un

siècle scientiste,il donne encore plus de crédibilitéà ses récits fantastiques. Dans

«Magnétisme», ilfait allusionà un certain monsieur Donato, célèbre magnétiseur

de l'époque qui se produisait dans les salons et mettait en «état de suggestion»

mademoiselle Lucile, son médium préféré. Sa femme ('avait accusé d'avoir pour

maîtresse Mlle Lucile et un procès retentissant opposa les deux époux en 1882.43

Dans le même conte, Maupassant mentionne le docteur Charcot sur qui il avait

déjà écrit un article au mois d'août 1882 où il signalait avec ironie ses méthodes.

En effet, ce dernier gardait dans son service hospitalier des folles et avait misàla

mode l'hystérie, commode excuse à tout genre d'excès.44 Notons cependant que

l'opinion de Maupassant s'est nuancée avec les années comme le souligne

Jean

Pierrot:

Remarquons que dans ces années 1884-1886, l'attitude de Maupassant à l'égard de certains phénomènes comme le magnétisme, ou l'hypnotisme, d'abord marquée par l'incrédulité, évolue considérablement, au fur età mesure qu'il

42Joël Malricu,op.Cil.,p.21.

.0M.-C. Bancquart,LeBorla et autres contes cnleis etfantastiques,Paris. Garnier,1976,p.535.

(36)

se documente sur les travaux contemporains de Charcot ou ceux de l'ÉcoledeNancy.4S

La folie étant également en vogue, Maupassant y fait plusieurs fois allusion. Notamment dans «La chevelure» ainsi que dans «Le Horla». Dans ce dernier conte, il n'est pas question de simple folie mais d'aliénation, et

Maupassant fait intervenir le docteur Marrande (Personnage fictif cette fois) et le fait passer pour «le plus illustre et le plus éminent des aliénistes».46 Plus loin, le

narrateur fait mention de l'hypnotisme, de la suggestion et du magnétisme en suggérant que ces mots scientifiques sont l'expression d'un phénomène a priori

surnaturel (en d'autres mots le Horla lui-même): <<Et tout ce que vous faites vous-mêmes, Messieurs, depuis quelques ans, ce que vous appelez l'hypnotisme, la suggestion, le magnétisme - c'est lui que vous annoncez, que vous prophétisezb) [«LeHorla» (première version), p. 419]. Àce sujet, M.-C. Bancquart précise:

L'au-delà était fortàla mode en effet. En novembre 1886 parut Possession de Charles EpheYfe (sur la suggestion); au début de l'année suivante, L 'Hypnotisme et les états analogues au point de vue médico...légal, par Gilles de la Tourette, qui proteste contre l'utilisation du magnétisme dans les salons; et Les Démoniaques dans l'art, de J.-M. Charcot et P. Richer.47

On sent déjà l'intérêt pour tous les phénomènes de l'inconscient qui seron~

comme nous le savons maintenant, repris et étudiés de façon plus systématique et scientifique par Freud notamment. Ainsi, en faisant partàses lecteurs des sujets

~,JeanPi~L'imaginaire décadent (/800-/900),Paris, PUF, 1977,p. 186.

46Guy de Maupassant,«Lehorla» dansLehoriQ el aulres contes cruels el fan/astiques,textesréW1is par M.-C. Bancquart, Paris, Gamicry 1976, p. 411. Tous lestextes de Maupassant provenant du même ouvragc7

désormais les renvois seront indiqués par le titre du conte ainsi que1c(5) Duméro(5)de pagc(s).

(37)

chauds et aetuels~MaUpassant répondà deux des critères retenus

par

Auerbach. Bien évidemment la quatrième condition est également remplie

par

la présence de personnages fictifs qui sont eux aussi intégrésdans le cours général de l'histoire.

Ainsi, lorsque le marquis de la Tour-Samuel [<<Apparition», p. 53-55] âgé de

quatre-vingt-deux ans raconte une histoire qui lui est arrivée cinquante-six ans

plus tôt, le lecteur n'est pas surpris de le savoir à Rouen en garnison et se déplaçant à cheval. Dans «La Peuo), le narrateur souligne qu' «on y sentait

fortement le phénol dans ce wagon du P.-L.-M., venu sans doute de Marseilles.»

[p. 205]. Ce récit a été écrit à propos d'une épidémie de choléra qui avait causé plusieurs décèsàToulo~ Marseille et Arles.48

Parlons maintenant du mélange des registres stylistiques. En eff~ nous remarquons sa présence ParIlli les récits choisis car nous retrouvons tourà tour le

ton léger, parfois humoristique, parfois effronté, typiquement associé à

Maupassant, ainsi que des passages plus sérieux, où le ton ne cède pas à la badinerie. Ces passages servent surtout à faire monter la peur afin de la transformer en effarement. À ce propos Mariane Bury précise que le récit court, et plus particulièrement celui de Maupassant, accueille très bien le tragique, et que

ce dernier se transforme sans difficultés en dérisoire, tout comme le réalisme et le

fantastique réussissent à cohabiter pour que se rencontrent enfin le quotidien et

l'insolite.49 Rappelons que Maupassant n'a jamais publié de son vivant des

.. M.·C. Bancquart, op. cit..,p.552.

49 Mariane Bury, «Récit court et langage dramatique: l'effet dans la poétique de Maupassanb), dans

Maupassant conteur et romancier, RobertLethbridge etChristopher Lloyd(éd.), University ofDurham.

(38)

recueils de contes fantastiques. Les regroupements actuels ne correspondent pasà

ceux qu'avait faits l'auteur, et ses récits fantastiques, comme nous l'avons précisé

dans l'introduction, avoisinaient des textes dits réalistes. C'est pourquoi le

mélange des registres stylistiques est plus facilement observable si l'on tient

compte des publications originales.

Finalement, notons qu'aucune classe ni aucun milieu n'est laissé pour compte dans les textes choisis mais qu'une nette préférence est attribuée à la

classe «dirigeante» à travers des personnages tels le médecin, le procureur, le

marquis, etc. Cette légère dérogation nous paraît excusable, voire même

nécessaire, puisque lorsqu'il est question de rendre le texte crédible aux yeux du

lecteur, les figures de notoriété ont toujours plus de poids que les simples mortels:

Il faut avant tout un conteur persuasif et des garanties solides de l'authenticité de ses dires, ce qui, au fond, nous fait revenir au caractère du narrateur, à son image. Dans la plupart des contes, ce personnage, soigneusement choisi, est non seulement doué de nombreuses qualités morales, mais présente aussi une respectabilité sociale qui le recommande indiscutablement comme un témoin digne de confiance.50

Ainsi nous retrouvons deux misérables en haillons et un vieil homme fort

instruit dont la profession n'est pas précisée («La peur»), deux médecins et un

homme riche devenu fou (<<La chevelure»), un canotier (<<Sur l'eau»), un marquis

(<<Apparition»), un juge d'instruction (<<La main»), un docteur, trois confrères et

quatre savants, ainsi qu'un bourgeois (<<Le Horla» première version), et

finalement plusieurs hommes dont la classe sociale n'est pas précisée qui se

SOCharlotte Schapira. «La folie - Thème et outil narratif dans les contes de Maupassant». Neophilologus. vol.

(39)

retrouvent autour d'une table et discutent (<<Magnétisme»). La classe privilégiée

domine donc dans les récits d'inspiration fantastique car eUe permet d'augmenter

la crédibilité des événements racontés. Nous savonsparailleurs que Maupassant a tout au long de sa carrière longuement écrit SUT les paysans nonnands dont il

aimait le patois.

De

plus, on retrouve parfois certains récits fantastiques situés dans un milieu social peu élevé. Nous n'avons qu'à penser à «Lui?», «L'âne»,

«Le petib), «Promenade», pour n'en nommer que quelques...uns. Ainsi, malgré la

préférence marquée pour la classe privilégiée, nous considérons que les critères

d'Auerbach sont respectés dans l'ensemble du corpus fantastique de Maupassant

2. L'effet de réel

Pour rendre son œuvre vraisemblable, l'auteur aura recours à d'autres

procédés bien connus.

Un

des plus populaires est bien évidemment «l'effet de réeh). Ainsi, pour donner l'illusion que son récit a pour référent le réel, l'écrivain

introduit des éléments qui n'ont d'autre fonction que de signifier le réel. Ce sont

ces éléments que Roland Barthes appelle des «effets de réeb) :

[S]upprimé de l'énonciation réaliste àtitre de signifié de dénotation, le <<réeb) y revientàtitrede signifié de connotation; car dans le moment même où ces détails sont réputés dénoter directement le réel, ils ne font rien d'autre, sans le dire, que le signifier : le baromètre de Flaubert, la petite porte de Michelet ne disent finalement rien d'autre que ceci:nous sommes le réel;

c'est la catégorie du <<réeb> (et non ses contenus contingents) qui est alors signifiée; autrement dit, la carence même du signifié au profit du seul référent devient le signifiant même du réalisme : il se produit un effèt de réel, fondement de ce vraisemblable

(40)

inavoué qui forme l'esthétique de toutes les œuvres courantes de la modernité.SI

Ces «détails inutiles»s2, comme il s'amuse à les appeler, sont essentiels

au réalisme, et encore plus au réalisme fantastique car ils deviennent la caution, la

preuve du vraisemblable. Ils ne sont plus là uniquement pour signifier le réel,

mais bien pour le garantir. Bien que nous ne puissions pas tous les relever, nous

en soulignerons quelques-uns. Lorsque le vieux marquis de la Tour-Samuel

commence son récit, il s'appuie à la cheminée [«Apparition», p. 53]. Ce geste n'a

d'autre fonction que de rappeler la réalité dans la banalité des gestes quotidiens.

On retrouve dans ce même récit un des meilleurs exemples d'effet de réel.

Lorsque le narrateur arrive au château et qu'il pénètre dans la chambre de la

défunte épouse de son ami, il décrit ainsi les lieux :

L'appartement était tellement sombre que je n'y distinguai rien d'abord. (... ) Puis, peu à peu, mes yeux s'habituèrent à l'obscurité, et je vis assez nettement une grande pièce en désordre, avec un lit sans drap, mais gardant ses matelas et ses oreillers, dont l'un portait l'empreinte profonde d'un coude ou d'une tête comme si on venait de se poser dessus. [p. 57]

L'effet de surprise produit par l'empreinte fraîche d'un coude ou d'une tête sur un

oreiller dans une chambre abandonnée serait probablement plus grand si le

narrateur apercevait ce détail étrange au moment même où il pénètre dans la

pièce, mais Maupassant préfère profiter de cet instant pour donner de la

vraisemblance à son texte produisant une fois de plus l'illusion du réel. Rien n'est

en effet plus nonnai dans la réalité que de laisser le temps aux yeux de s' habituer

SIRoland Banhes.op. cil.•p.89. S2Ibid.,p.82.

(41)

à l'obscurité lorsqu'on entre dans une chambre noire. C'est pourquoi il rajoute plus loin: «Comme je m'irritais de ces efforts inutiles, et comme mes yeux

s'étaient enfin accoutumésàl'ombre, je renonçaiàl'espoir d'y voir plus clair» (p.

57].

Dans «Magnétisme», le récit est introduit par une mise en situation on ne

peut plus banale, mais qui une fois de plus rappelle le réel que nous connaissons

tous: «C'étaità la fin d'un dîner d'hommes, àl'heure des intenninables cigares et

des incessants petits verres, dans la fumée et l'engourdissement chaud des

digestions, dans le léger trouble des têtes après tant de viandes et de liqueurs

absorbées et mêlées.» [p. 9] Les détails énumérés font renaître chez le lecteur des

sensations déjà connues et ont donc pour but de rendre vraisemblable la suite.

Dans le même récit, un des personnages raconte un événement étrange mais le

situe d'emblée dans un cadre réel: «Or, un soir, comme j'écrivais des lettres au

coin de mon feu avant de me mettre au lit» (p. 11-12]. Dans «La chevelure», un

riche collectionneur décrit une montre du siècle dernier qu'il chérit

particulièrement : «Elle était si mignonne, si jolie, avec son émail et son or ciselé.

Et elle marchait encore comme au jour où une femme l'avait achetée dans le

ravissement de posséder ce fin bijou.» (p. 182] La description de la cellule dans

laquelle se trouve le personnage principal dès le début de l'histoire a elle aussi

comme référent le réel : «Les murs de la cellule étaient nus, peints à la chaux. Une

fenêtre étroite et grillée, percée très haut de façon qu'on ne pût pas y atteindre,

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