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Les soufflés, une fois de plus

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Academic year: 2022

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Les soufflés, une fois de plus

Hervé This vo Kientza Novembre 2020

Une fois de plus, on m'interroge à propos de soufflés, et, notamment, de calculs et de mesures que j'ai faits il y a des décennies !

Je vais répondre, expliquer, mais en mettant cela dans le cadre véritablement scientifique qui était celui de jadis.

1. Commençons par une recette, de soufflé au fromage.

Pour toute entreprise humaine, il faut un objectif, avant le chemin qui y mène. Ici, l'objectif, la

"définition", c'est une préparation qui gonfle à la cuisson, mais si délicate qu'elle redescend qu'on la sert. En cela, elle s'oppose à un gâteau, qui pourrait gonfler un peu, mais, surtout, qui doit garder environ sa forme, son volume.

Oui, le soufflé est spectaculaire par son gonflement... et que l'on ne compte pas sur moi pour expliquer comment l'empêcher de retomber, sans quoi c'est une autre recette, mais pas un soufflé.

L'objectif étant clair, voici un "chemin", un procotole nommé "recette" : - on préchauffe le four à 180 °C

- on prend un saladier évasé qui va au four, si possible métallique, et on le beurre largement, puis on le farine doucement

- on prend une casserole - on y met 25 g de beurre

- on ajoute deux cuillerées à soupe bien pleines de farine, soit environ 50 g : - on cuit jusqu'à blondissement de la farine

- on ajoute 250 g de lait

- on cuit jusqu'à épaississement de la sauce

- hors du feu, on ajoute sel, poivre, noix muscade, piment de cayenne, et 100 g de fromage râpé - quand la préparation a un peu refroidi, on ajoute 4 jaunes d'oeufs

- on mélange bien le tout

- à part, on bat les 4 blancs d'oeufs en neige bien ferme

- on mélange le contenu de la casserole et les blancs en neige, délicatement - on verse le mélange dans le saladier beurré

- on place sur la partie inférieure du four, contact de métal à métal

- on cuit pendant environ 30 minutes, jusqu'à apparition d'une belle coloration sur le dessus

Lors de la cuisson, on observe un phénomène, qui est le du gonflement du soufflé. Certes, on part traditionnellement de blancs d'oeufs battus en neige, de sorte que la préparation initiale est déjà foisonnée, mais c'est un fait que les soufflés gonflent à la cuisson.

Or les sciences de la nature cherchent les mécanismes des phénomènes, par une méthod qui

commence par l'identification d'un phénomène, ce que vous venons de faire. Et voilà pourquoi la

"gastronomie moléculaire" est bien une science de la nature (mais nous verrons que cette discipline

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scientifique ne repose pas seulement sur l'expérience ; il faut le calcul, comme toute science de la nature).

2. Le phénomène étant observé, il y des tas de gens qui "délirent", à savoir qu'ils se lancent, sans argument, dans l'interprétation du phénomène... mais ce n'est pas ce que proposent les sciences de la nature. Ces dernières commencent par caractériser quantitativement le phénomène, le mesurer.

Ici, cela passerait, par exemple, par des mesures de température, de pression dans le soufflé, de hauteur de la partie supérieure.

Et je suis désolé de vous dire que, quand j'ai commencé à étudier le soufflé, cela n'avait pas été fait...

alors même que le Larousse gastronomique (pas un livre fiable, du point de vue de la compréhension des mécanismes, puisqu'il répète ce que disent les cuisiniers, lesquels ne sont pas physiciens ni chimistes !) écrivait que les soufflés gonflaient parce que les blancs d'oeuf se dilataient à la chaleur.

3. Quand les mesures sont faites, on groupe les données quantitatives (les "mesures") en "lois", en équations.

Dans les années 1980 (précisément à partir du 16 mars), quand j'ai étudié le soufflé, rien de tout cela n'était fait.

4. Puis, quand on a des équations, on cherche des "théories", à savoir des mécanismes expliquant le phénomène.

Et là, dans les années 1980, les livres de cuisine disaient donc, très arbitrairement, que "les soufflés gonflaient parce que l'air des bulles des blancs se dilatent à la chaleur". Pourquoi pas... mais est-ce bien sûr ? Nous verrons plus loin que cette théorie est fausse, même s'il est vrai que l'air des bulles se dilate à la chaleur, lors de la cuisson.

5. Les sciences de la nature ont la modestie de penser que leurs théories sont "insuffisantes", et c'est la raison pour laquelle, quand on a une théorie, on ne cherche surtout pas à la confirmer ; au contraire, on cherche une conséquence testable, et on teste cette "prévision de la théorie".

Et c'est ce que j'ai commencé à faire : si la théorie du gonflement des soufflés due à la dilatation des bulles d'air, alors on sait calculer l'étendue de ce gonflement.

Assimilons l'air des bulles à un "gaz parfait". La quantité de ce gaz est caractérisée par le nombre n de moles de gaz (on peut l'assimiler au diazote, ou faire un calcul plus compliqué, mais c'est un détail négligeable).

En tout cas, pour un gaz parfait, une équation classique de la thermodynamique est la "loi des gaz parfaits" :

où P est la pression (en pascals, Pa), V le volume (en mètres cubes, m³), R la constante des gaz parfaits (égale à 8.314 J mol-1 K-1) et T la température absolue (en kelvins, K).

Pour appliquer cette loi, il faut considérer deux états : 1. l'état initial, avant cuisson :

2. l'état final, quand le soufflé est cuit :

Pour ces équations, on connaît , mais aussi la pression initiale qui est la pression atmosphérique. Nous ignorons n et nous cherchons mais nous ignorons la pression dans le soufflé à la fin de la cuisson.

Or nous avons trois inconnues, pour seulement deux équations. Il nous manque donc Toutefois, nous pouvons faire l'hypothèse, pour commencer, que cette pression est égale à la pression

atmosphérique, car si la pression dans le soufflé était supérieure à la pression atmosphérique, le soufflé continuerait de gonfler.

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Calculons donc, avec cette hypothèse. Pour "éliminer" n, il nous suffit de diviser la seconde équation par la première :

Là, nous voyons que nous pouvons simplifier, en supprimant les pressions (que nous supposons égales), mais aussi n et R, de sorte que nous obtenons :

Nous cherchons le volume final, ce qui est facile à trouver :

Autrement dit, le volume final est égal au volume initial multiplié par le rapport des températures absolues.

Passons à du numérique : la température initiale est la température ambiantes, soit 20 °C, ou plus exactement 293 K ; et la température finale ne peut pas être supérieure à 100 °C, car une matière qui contient de l'eau liquide, à la pression atmosphérique, ne peut dépasser 100 °C (pensons à une casserole d'eau : tant qu'il y a de l'eau, la température reste celle de l'ébullition, soit 100 °C à la température et pression ambiantes), soit 373 K.

Bref, le volume initial est multiplié au maximum par un facteur = 1.273037543 Une petite note supplémentaire : on prendra garde de bien utiliser des températures absolues, en K, et non pas en °C : regardons la différence

= 5. C'est un résultat numérique très différent... et faux, car la loi des gaz parfaits fait usage des températures absolues.

Respirons un peu : le soufflé gonfle de 27 pour cent seulement, soit environ un tiers... alors que l'on voit des soufflés doubler de volume à la cuisson !

Oui, la théorie ancienne des livres de cuisine n'explique pas bien le gonflement des soufflés. Pour sûr, l'air des soufflés se dilate quand on cuit, mais ce n'est pas le mécanisme principal, essentiel, qui explique le gonflement.

Là, la merveilleuse méthode des sciences de la nature veut repartir à zéro, pour reprendre tout. Et c'est ce que j'ai fait, en mesurant cette fois la température à l'intérieur du soufflé, mais aussi la pression.

Pour la température, j'ai utilisé un thermocouple, qui était enfoncé jusqu'au centre du soufflé, et voici le type de courbe que l'on obtient :

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Et l'on s'aperçoit que notre calcul précédent a exagéré le gonflement prévu théorique, puisqu'il aurait fallu considérer un gonflement de seulement :

= 1.204778157

Ajoutons que, le plus souvent, on ne cuit pas jusqu'à ce que la température du soufflé atteigne 100 °C à coeur : le plus souvent, on s'arrête quand le liquide est "pris", à savoir environ quand la température est environ de 70 °C au maximum, sans quoi le soufflé est "sec". Et, là, le calcul que nous avons fait montre encore plus les insuffisances de la théorie de la dilatation des bulles. Comparons en effet :

= 1.273037543 et = 1.170648464. Oui, seulement 17 pour cent de gonflement expliqué par cette théorie (sans tenir compte de la pression).

Quant à la pression, je l'avais mesurée à l'aide d'un tube en U où j'avais mis de l'huile, tandis qu'une extrémité était reliée à une aiguille qui plongeait dans le soufflé. Le dénivelé, en mm, peut se convertir en Pa, à condition de se souvenir... de la définition d'une pression :

Ici, dans le tube en U, la pression sur la partie haute du tube est la pression atmosphérique , et elle est donc au contact du gaz, dans l'autre branche.

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A l'équilibre, la

pression p vient soulever une masse de liquide de hauteur h.

La force nécessaire est égale au poids du liquide (à l'équilibre, cette force de pression et le poids sont égaux):

Dans cette égalité, il faut indiquer la masse m, et l'on a la relation entre masse et volume :

où v est le volume, lequel est égal à :

avec h le dénivelé, et a l'aire de la section du tube. Soit finalement : Et l'on arrive donc à la pression :

Evidemment, on exprimera la masse volumique en kg/m³, g en N/kg, et h en m, afin de trouver la pression en Pa.

Ce calcul de conversion des dénivelés de m en Pa étant fait, revenons à nos mesures : la pression dans le soufflé augmente un peu, parce que la croûte se forme, de sorte que les gaz de l'intérieur n'ont alors plus la possibilité de se détendre aussi facilement qu'au début de la cuisson, quand le soufflé gonflait.

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Mais observons l'équation générale trouvée, sans simplification des pressions :

isolate for V[2]

Sur cette expression, on voit que si augmente, alors diminue.

De sorte que le gonflement calculé d'après la "théorie de la dilatation des bulles d'air du blanc en neige" tient encore moins !

Mais, surtout, si l'on cuit un soufflé dans un récipient transparent, tel un bécher en Pyrex, dans un four dont la porte est vitrée, on voit des bulles qui montent dans la préparation et viennent crever au sommet du soufflé, quand la croûte n'est pas encore faite.

Et si l'on pèse un soufflé, avant et après la cuisson, on s'aperçoit que 100 g de soufflé perdent environ 10 g.

De quelle nature est cette masse perdue ? Le soufflé étant fait principalement d'eau, de lipides, de polysaccharides, de protéines, on comprend facilement (a posteriori !) que c'est de l'eau qui est perdue...

Et s'élabore une nouvelle théorie qui postule que quand le soufflé est chauffé à plus de 100 °C, une partie de son eau s'évapore.

Or on sait qu'une mole de liquide fait 24 L de gaz à la pression atmosphérique. De sorte que, ici, la quantité (le nombre de moles) de vapeur d'eau produite est égale à :

, soit =

Et le volume de vapeur produite : = 13.344

Oui, plus de 13 L de vapeur produite par l'évaporation des 10 g d'eau perdus par un petit soufflé ! Au fait, un détail : où la température atteint-elle 100 °C dans le soufflé ? Evidemment au contact des parois du ramequin, où, si elles sont en métal, la température devient rapidement égale à celle du four, soit bien plus que 100 °C.

Et c'est l'évaporation de cette eau, au contact des parois, qui fait la croûte du soufflé : ne voit-on pas cette croûte précisément à cet endroit ?

En tout cas, la nouvelle théorie de l'évaporation explique bien mieux des gonflements de soufflés de 200 % à 300 %, comme on les observe, que la théorie précédente de la dilatation des bulles d'air.

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Mais on se souvient qu'une théorie scientifique est toujours insuffisante, et doit être réfutée. Quelle conséquence de notre théorie pourrions-nous trouver pour réfuter tout cela ?

Je vous laisse l'imaginer.

De mon côté, j'en ai testé plusieurs, et notamment celle qui prédisait que les soufflés pourraient gonfler sans même que les blancs soient battus en neige... et l'expérience a montré que oui : lors d'un des séminaires, nous avons fait gonfler des soufflés dont les blancs n'étaient pas battus, et les soufflés gonflaient parfaitement... à condition d'être chauffés par le fond : si la vapeur se forme à cet endroit, elle pousse la matière du soufflé vers le haut (d'où d'ailleurs une pression qui augmente en raison de la masse de soufflé, qui pèse sur le gaz).

D'autre part, j'ai voulu voir si mon hypothèse, selon laquelle des blancs en neige fermes retiendraient mieux les bulles de vapeur, et la réponse est oui : sur l'image ci-dessous, les blancs sont fermes dans le soufflé de droite.

Pourquoi cette influence des blancs fermes ? Souvenons-nous que les pâtissiers jugent la fermeté des blancs à un oeuf (entier, dans sa coquille) qu'ils posent dessus : il ne doit pas s'enfoncer. De même, mais en sens inverse, les bulles de vapeur ont plus de difficultés à traverser des blancs fermes que des blancs pas fermes.

Et, pour terminer, les quatre "règles de Hervé pour les soufflés" (selon l'expression du chef Pierre Gagnaire) :

1. battre les blancs en neige ferme 2. utiliser un ramequin métallique

3. faire un croûte à l'aide d'un gril ou d'une salamandre avant de cuire 4. chauffer par le fond.

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