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la Loi canadienne sur le droit d'autel!r, SRC 1970, c. C-30, et ses amendements subséquents.LE PERSONNAGE MASCULIN DANS L'OEUVRE DE MICHEL TREMBLAY
par
LORRAINE GOUIN
Thèse de doctorat soumise à la Faculté des Studes supérieures
et de la recherche en vue de l'obtention du diplOme de
Doctorat ès Lettres (Ph. D.)
Département de langue et de l1ttérature françaises Université McGill
Montréal. Québec
AOOT 1995
.+.
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•
Je dédie cette thèse à mes filles,
•
REMERCIEMENTS
Au terme de ce travail d'écriture, je tiens à remercier le professeur André Smith, mon directeur de thèse, pour
le très grand professionnalisme dont il a toujours su faire preuve
à mon égard, prodiguant encouragements et précieux conseils et
assurant une disponibilité qui ne s'est jamais démentie. Sa vaste
connaissance de la littérature québécoise et la façon dynamique et
éclairée dont il la transmet dans ses cours ont été la source de
mon intérêt pour la recherche que j'ai entreprise en vue de la
présentation de cette thèse. Je remercie aussi madame Gabrielle
Pascal qui par ses démarches et son enthousiasme face à mon projet
d'entreprendre des études doctorales a maintenu intense ma
motiva-tion dans des circonstances où mes responsabilités familiales et
professionnelles requéraient déjà beaucoup de mon temps et auraient
pu devenir un empêchement à la poursuite de ces études. Merci aussi
à mon père, monsieur Jea~-Paul Gouin qui à l'heure de la retraite
a passé de très nombreuses heures à taper mes notes de recherche et
la thèse elle-même.
Enfin, un merci très spécial à monsieur Gaston
Malette pour son aide inestimable et sa présence indéfectible à mes
•
R25UM11:Cette thèse étudie le personnage masculin dans
l'oeuvre de Michel Tremblay plus précisément dans les romans et
les pièces originales c'est-à-dire à l'exclusion des traductions
et des adaptations ainsi que des comédies musicales et des films.
De la pièce Les Belles-Soeurs (1968) à Marcel poursuivi par les
chiens (1992), ce travail présente une analyse de l'homme de
l'u-nivérs dramatique et romanesque de Tremblay en trois grands
vo-lets. La première partie est consacrée à l'étude des procédés de
caractérisation statiques; elle comprend la description des
at-tributs physiques et psychologiques du personnage masculin ainsi
qu'un chapitre qui étudie le milieu physique et le contexte
so-cio-historique dans lequel il évolue. La deuxième partie, qui
constitue la partie la plus import~te de cette thèse, présente
les archétypes masculins dans l'oeuvre de Tremblay. Cette
recher-che nous semble d'autant plus utile que ces archétypes (hommes)
ont jusqu'à maintenant été laissés dans l'ombre au profit d'une
étude approfondie des archétypes féminins. Enfin, dans la
troi-sième partie, je dégage la représentation symbolique des
person-nages; l'homme de Tremblay est-il le reflet d'un Québec
impuis-sant et tourmenté comme on l'a souvent affirmé? En conclusion,
cette thèse tente de démontrer que l'homme dans l'oeuvre de
Trem-blay occupe une placa importante en dépit des apparences et des
affirmations de l'auteur qui suggère (dans plusieurs interviews), le contraire.
•
ABSTRACTThis thesis is a study of the male character in the works of
Michel Tremblay, particularly as depicted in his novels and
original plays, excluding translated works, adaptations, musical
comedies and movies. Beginning with the play entitled Les
Belles-Soeurs (1968) and up to Marcel poursuivi par les chiens (1992),
this thesis presents a threefold analysis of the males in
Trem-blay's dramatic and romanesque universe. The first part of this
thesis focuses on Tremblay's methods of characterization; this
provides us with the description of the physical and
psychologi-cal attributes of the character. This first part also features a
chapter describing the physical environment and socio-historical
context in which the male character evolves. The second part of
this thesis and by far the most important, describes the
mascu-line archetypes in Tremblay's works. Since the male archetypes
have so far been set aside in favor of extensive study of the
fe-male archetypes, our research in the former seems most
appropria-te. Finally, the thirè part presents the symbolic representation
of the characters: Is the male, according to Tremblay, the image
of a powerless and tortured Québec, as it has often been claimed?
In conclusion, this thesis attempts to show that the males, in
Tremblay's works, play an important role despite appearances and
statements to the contrary made by the author in the course of
•
TABLE DES MATJ:2RES REMERCIEMENTSABSTRACT
l:NTRODOCTl:ON
PREMJ:SRE PARTIE
STODB DBS PROCSDSS DB CARACTSRl:SATl:ON STATl:QOES CF'.APl:TRB 1 : STODB DO CONTBX'I'B Hl:STORl:QOE
1.1 PRSSENTATION DU MILIEU PHYSIQUE 1.2 PRSSENTATIOH DE LA LANGUE ET DU
DISCOURS DES PERSONNAGES
i i i iv v p.2 p.l0 p.22
CHAPl:TRB 2 : STODB DBS ATTRJ:BOTS PHYSJ:QOBS DBS PERSONNAGBS MASCOLJ:NS
2.1 ATTRIBUTS PHYSIQUES DES PERSONNAGES p.29
2.1.1. L'OB2SITa p.31
2.1.2. LA MAIGREUR p.34
2.1.3. LA BBAUft p.35
2.1.4. LBS ODEURS REPOUSSANTES p.37
2.1.5. LBS 'l'ARES, DaFAU'l'S ET TRAVERS p.38
2.2 PERSONNAGES SANS DESCRIPTION PHYSIQUE p.40
2.3 8TtlDE DU NOM p.43 2.3.1. L'ABSENCE DE NOM 2.3.2. LB NOM Rl:DICULIS8 2.3.3. L'OUBLI DU NOM 2.3.4. LB NOM SYMBOLIQUE p.43 p.47 p.48 p.49
~
CHAPITRE 3 : eTUDE DES TRAITS PSYCHOLOGIQUES PERSOlrdAGBS MASCULINS3.1 LE D2SIR D'2VASION
3. 2 LA FUITE DANS L'IMAGINAIRE 3.3 L'INFANTILISME ET LE D2SIR DE
S2CURIT2
3.4 LE SENTIMENT D'INF2RIORI~2 ET
DE MmlIOCRIT2
3.5 LA DIFFICULT2 D'EXPRIMER LES SENTIMENTS 3.6 LA FRUSTRATION, LA R2VOLTE ET LA VIOLENCE DEUXI:s:ME PARTIE DES p.53 p.62 p.73 p.78 p.87 p.95
eTUDE DES ARCHaTYPES ET ANALYSE DU SYSTeME RELATIONNEL
CHAPITRE 4 : LB paRE ABS13:NT
4.1 LES PSRES DE FAMILLE
4.1.1. UMAND
4.1.2. ALEX
4.1.3. BECTOR LEMIEUX
4.1.4. LES «MARIS» DES BELLES-SOEURS
4.1.5. T2LESPHORE, JOSAPHAT ET LES
AUTRES
4.1.6. LES NOUVEAUX PSRES
4.2 LES DISPARUS
4.3 LES IMPUISSANTS
4.3.1. GaRARD BLEAU
4.3.2. L20POLD
4.3.3.
"JOHNNY"
4.4 LES ANODINS, LES ANONYMES, LES
«DE PASSAGE» 4.5 LES VICTIMES p.108 p.109 p.1l4 p.1l8 p.120 p.124 p.128 p.133 p.136 p.136 p.140 p.143 p.147 p.149
•
CHAPITRE 5 : LE MARGINAL (Première partîe)5.1 LES HOMOSEXUELS ET LES TRAVESTIS
5 .1.1. SDOUAilD
5.1.2. HOSANNA
5.1.3. SANDRA
5.2 LES INCESTUEUX
5.3 LES NOUVEAUX HOMOSEXUELS
5.3.1. JEAN-MARC (Les Anciermes Odeurs)
5.3.2. LUC
5.3.3. JEAN-MARC (Le Coeur découvert)
5.3.4. MATHIEU
5.3.5. JEAN-MARC et MA~IEU
(La MaisOD. suspendue)
CHAPXTRB 6 : LB MARGXNAL (Deuxièllle partie)
6.1 LES REVEtmS 6.1.1. JOSAPHAT-LE-VIOLON 6.1.2. MAR<:EL 6.1.3. CLAUDE 6.2 LES D8LINQUANTS 6.2.1. MAURICE COTa 6.2.2. TOOTB PIa 6.3 LBS FILS 6.3.1. RXCHARD 6.3.2. PHILIPPE 6.3.3. L'ENFANT DE LA GROSSE PBMMB 6.3.4. SBBASTIBN p.156 p.156 p.l71 p.177 p.182 p.190 p.191 p.198 p.201 p.208 p.213 p.219 p.222 p.228 p.236 p.240 p.242 p.244 p.247 p.248 p.250 p.252 p.256
•
TROISISME PARTIELA REP~SENTATION SYMBOLIQUE DES PERSONNAGES
CHAPXTRE 7 : ~ VXSXON DU MONDE DE MXCHBL TREMBLAY
A TRAVERS SES PERSONNAGES MASCULXNS
7.1 LA DIMENSION PSYCHO-SOCIALE p.263
7.1.l. LE DRAME DE L'IMPUISSANCE p.265
• Un univers d'où l'on ne sort pas p.267
• Solitude et isolement p.273
• Aliénation individuelle et col- p.277
lective 7.1.2. LA RECHERCHE DU BONHEUR p.280 • L'a8sumation de soi p.281 • La quête d'absolu p.286 7.2 LA DIMENSION POLITICO-SOCIALE p.290 7.2.1. L'INDIVIDU ET LA SOCIlm: p.291 7.2.2. LA QUETE D'IDENTITt p.302 CONCLOSXON APPBNDXCB NOTBS BXBLXOGRAPHXB p.309 p.317 p.335 p.377
•
•
En 1968, le théâtre du Rideau Vert de Mont-réal acceptait, au risque d'être contesté, de présenter les
Bel-les-Soeurs, pièce écrite en 1965 par un jeune auteur, Michel
Tremblay. Causant une onde de choc comme en avait peu connu jus-que-là l'univers culturel du Québec, cette pièce incarnait, selon
Jean-Claude Germain, ni plus ni moins que l'acte de naissance du théâtre québécois. Décriée ou qualifiée de chef-d'oeuvre, elle ouvrait sur un nouveau réalisme: d'abord par la mise en scène de personnages représentant le milieu de la classe ouvrière de l'est de Montréal; puis, par l'utilisation du «joual» en tant que
soutien logique et incontournable d'un discours où se trouvait révélée la triste condition de vie de ces personnages démunis. Enfin, Tremblay donnait la parole aux femmes, le théâtre en
Occi-dent ayant toujours été, selon lui, un acte masculin.
Ainsi, dans les Belles-Soeurs, quinze femmes racontent leur misère et crient leur révolte. Elles prennent tou-te la place dans une pièce où ironiquement elles sont prisonniè-res. Les longs monologues qu'elles déclament sur leur condition déchue sont si percutants et attirent si bien l'attention sur
ou-•
blier l'objet même de leur mépris et leur haine: les hommes. N'oublions pas, comme le faisait remarquer André Brassard, lemetteur en scène de la pièce, qu'il y a, dans les Belles-Soeurs,
en~iron cent vingt-deux personnages, en majorité des hommes:
personnages dont on parle, maris frustrés et abrutis, hommes
im-puissants, hommes absents. Ainsi donc, jusqu'aux années
quatre-vingt, les femmes occuperont un espace presque démesuré dans
l'oeuvre de Michel Tremblay qui affirme lui-même haut et fort
qu'il n'y a pas d'homme au Québec. Plus tard émerge lentement
dans les pièces et les romans de l'auteur l'homme «nouveau»,
celui qui prend la parole et s'affirme, bien que toujours
carac-térisé par sa condition de marginal.
Dans le cadre de la série 20 ans / 20 lundis,
le Centre d'essai des auteurs dramatiques présentait, au
prin-temps '86, des lectures de pièces de différents dramaturges.
Mi-chel Tremblay proposa alors un montage des extraits de ses pièces
où il n'y a que des hommes. Il s'agit de monologues qui
devien-nent les dialogues d'une soirée mortuaire organisée autour d'une
tombe, celle-ci représentant l'homma canadien-français mort et
enterré. Marginaux, travestis, rêveurs se retrouvent pour mettre
en lumière une existence qui n'a jamais été reconnue et acceptée.
On y retrouve Léopold, Armand, Serge, Jean-Marc, Luc, Cuirette,
Hosanna, la Duchesse, Sandra, personnages façonnés par le talent
de l'auteur qui puise dans la mémoire collective, pour exprimer
avec force le manque d'amour de soi et des autres, l'impuissance
•
Cette thèse a pour objet l'étude des hommes de l'oeuvre romanesque et théâtrale de Michel Tremblay. Ellecontient environ cinq cent trente personnages masculins
regrou-pant aussi bien les piliers de l'oeuvre, comme ~douard, alias la
Duchesse de Langeais, ou Marcel, que ceux que je désignerai sous
le vocable «d'anodins» et qu'on trouvera énumérés en appendice.
L'objectif premier du présent travail consiste à établir un
in-ventaire des personnages sous l'angle des traits tant physi~ues
que psychologiques qui les caractérisent doublé d'une description
du contexte historico-social dans lequel ils évoluent. On
trouve-vera aussi une brève analyse de la langue et du discours qui fait
leur spécificité. Cet inventaire n'a à ma connaissance jamais été fait. Il nous permet en outre de découvrir que, contrairement à
ce que les critiques et l'opinion populaire ont permis de croire,
l'homme revendique une grande place, même s'il se situe parfois
en retrait, dans cette oeuvre colossale. Modeste ouvrier,
commis-voyageur, professeur, travesti, jeune fou, marginal la plupart du
temps, le personnage masculin de Tremblay continue d'exprimer,
dans le sillage de Gélinas et de Dubé, la solitude et
l'impossi-bilité de trouver le bonheur.
Cette thèse propose l'étude du personnage
masculin dans les pièces et les romans de Michel Tremblay écrits
entre 1965 et 1992, soit depuis les Belles-Soeurs jusqu'à la
piè-ce Marcel poursuivi par les chiens. L'oeuvre comporte plusieurs
volets parmi lesquels j'ai dû faire un choix; il sera donc peu
question, dans le présent travail, des oeuvres dites «dépaysées»,
relè-vent de la littêrature fantastique: Contes pour buveurs attardés
~(1966) et la Cité dans l'oeuf (1969). A celles-ci se greffe une
pièce écrite en 1971, les Paons. Il ne sera pas non plus fait
mention des Socles, conrte pièce écrite en 1967 et publiêe pour
la première fois dans Canadian Theatre Review à l'automne 1979.
Ce travail exclut aussi la pièce le Train, écrite en 1959. Bien
que je fasse occasionnellement référence aux traductions et
adaptations auxquelles a travaillé Michel Tremblay, ainsi qu'aux
comédies musicales et à l'opëra Nelligan (1990), composés par
l'auteur, ils ne constituent pas la source première de la
pré-sente étude. Je précise enfin que les scénarios de films auxquels
a participé l'auteur des «Chroniques» n'ont pas été utilisés pour
la recherche en vue de cette thèse. Ils sont tout au plus
briève-ment briève-mentionnés. La thèse por~e essentiellement sur l'étude du
~ cycle des Belles-Soeurs ainsi que sur les «Chroniques du Plateau
Mont-Royal» et les autres romans et pièces des années SO.
Le présent travail propose une étude du
per-sonnage vue sous trois angles distincts. D'abord, la perspective
réaliste. Par leurs attributs, les personnages sont assimilables
à des personnes réelles. On verra que cet effet réaliste produit
ici une impression de misérabilisme. Cependant, l'oeuvre de
Trem-blay n'est pas seulement un reflet de la société, mais aussi une
oeuvre construite. La deuxième partie de la thèse regroupe les personnages masculins en archétypes; les deux principaux sont le
père absent et le marginal, eux-mêmes divisés en diverses
catëgo-ries. Cette partie étudie le système relationnel dans l'oeuvre:
se définissent mutuellement. La position du perso~nage dans le
texte crée un effet de formal~sationou de structuration qui
dé-bouche, comme dans le cas de l'effet réaliste, sur une vision pessimiste et sans issue de l'existence. L'étude du système re-lationnel permet aussi d'observer de nombreuses répétitions et redoublements qui ont une signification importante dans l'oeuvre de Tremblay. En troisième lieu, l'étude des personnages permet de dégager les grands archétypes de l'oeuvre et sa signification mi-sérabiliste sinon constante, du moins dominante. L'ensemble de ces trois grands points, - effet réaliste, effet formel, usage de
l'archétype - nous fait donc passer des apparences à la
signifi-cation ou encore de l'observation (de l'inventaire) à
l'interpré-tation.
L'oeuvre de Michel Tremblay est sans contre-dit l'un des sommets de notre littérature. Bien que, comme je l'ai mentionné, l'on s'entende pour dire que l'auteur a donné une place immense aux femmes, reflet de ce que fut sa propre
expé-rience, j'ai tenu, en poursuivant ma recherche, à mettre en
va-leur la place également importante du personnage masculin. L'hom-me des premières oeuvres est démuni, absent, impuissant; celui
des pièces et des romans plus récents commence à s'affirmer. Mais
il exprime la même quête d'identité, la même recherche du bon-heur. Reflet de la société dans laquelle il évolue, le personnage masculin de Tremblay offre une vibrante image de la vision pessi-miste de l'auteur. Son oeuvre est avant tout le drame de l'im-puissance incarné dans des personnages criants de vérité. La
créa-•
tion des personnages qui peuplent son ~nivers, défini certes d'u-ne façon géographique limitée, mais débouchant sur la condition de l'homme universel. C"est en cela que cette oeuvre peut être qualifiée de chef-d'oeuvre.•
PREMI:€RE PARTIE
•
•
CHAPITRE Ietude du contexte historigue
1.1 Présentation du milieu physigue
Michel Tremblay est né au 4690 de la rue
Fa-bre, dans l'est de Montréal, en 1942. En 1951, la famille
déména-ge au coin de Cartier et Mont-Royal. En 1963, il suit sa famille
rue DeLorimier au coin de Masson. Il y habite jusqu'en 1968.
De-puis les Belles-Soeurs, présentée cette année-là, jusqu'à sa plus
récente pièce Marcel poursuivi par les chiens (1992), en passant
par l'écriture des «Chroniques», de 1978 à 1989, Tremblay situe
la très grande majorité de ses personnages dans cet univers somme
toute assez restreint de ce qu'il est convenu d'appeler le
Pla-teau Mont-Royal. Symbolisant la portée de l'oeuvre, il s'agit,
comme l'a écrit Robert Lévesque, d'«un milieu cher à l'auteur, un
milieu qu'il a observé, qu'il décrit, qu'il dénonce avec un
réa-1
lisme effarant» • Ce qui lui importe avant tout, comme il l'a dit
au cours de multiples entrevues, c'est «de décrire des
personna-ges que j'ai connus, que je connais, que je ne renierai jamais'».
En 1980, la présentation de la pièce l'Impromptu d'OUtremont et
plus tard, la parution du roman le Coeur découvert (1986), nous
font découvrir des personnages issus d'une autre couche sociale
et habitant eux aussi un quartier typiquement francophone,
quoi-que beaucoup plus nanti. Il s'agit d'Outremont où l'auteur a
•
La rue Fabre et l'est de MontréalAlbert Brie, parlant de l'est de Montréal
dans une critique des Belles-Soeurs, en 1973, fait le commentaire
suivant:
[c'est] le lieu exemplaire de notre aliénation, le plus "grouillant", le plus dérobé, mais en même temps le plus recouvert et le plus étouffé; [Tremblay] a quand même osé nous le ie,ter à la face dans toute sa crudité, sans menagements pour les purs.
En plus des pièces et des romans, les films auxquels Michel
Tremblay a prêté sa collaboration, soit Françoise Durocher,
wait-ress (1972), Il était une fois dans l'est (1973) ainsi que Le so-leil se lève en retard (1979).et la comédie musicale créée au
Jardin des ttoiles de Terre des Hommes, Demain matin, Montréal
m'attend (1970) mettent en scène des personnages issus de l'est
de Montréal.
C'est surtout avec la parution du premier to-me des «Chroniques du Plateau Mont-Royal» que le lecteur,
proje-té vingt-cinq ans en arrière, refait connaissance avec les
per-sonnages des pièces antérieures à 1978. Nous nous retrouvons, rue
Fabre, à Montréal, le 2 mai 1942, année et lieu même de la
nais-sance de l'auteur. Transposés afin de mieux servir la vision
poé-tique de Tremblay, les personnages et les lieux n'en restent pas
moins l'expression réaliste de l'expérience vécue par l'enfant de
la grosse femme. Dans l'édition de l'automne 1979 de Canadian
Theatre Review consacrée à Michel Tremblay, ce dernier affirme:
«Actually, in La grosse femme, the family l describe is exactly
•
my family as it was ••• ». Afin de résumer un sujet sur lequel
nous reviendrons amplement, disons que la rue Fabre est le lieu
•
de ses hommes impuissants, de ses femmes frustrées, de sesen-fants traumatisés où pre-,1d naissance le thème cher à l'auteur de
la «maudite vie plate», leitmotiv de la pièce les Belles-Soeurs,
de A toi, pour toujours, ta Marie-Lou, de En pièces détachées et
de Bonjour, là, bonjour. €coutons ce passage tiré d'un monologue
de Sandra où l'on croirait entendre la voix de Tremblay lui-même, nous entretenir de son quartier:
C'est incroyable à quel point la rue Fabre a pas changé. Juste vieilli un peu. Mais pas changé. Pantoute. La bonne moitié de mes amis d'en-fance, les filles surtout, sont restés icitte, se sont mariés icitte pis ont faite des enfants qui nous ressemblent. J'ai souvent l' impres-sion de voir ma gang jouer dans'ruelle ... pendant qu'une grosse voisine avec qui j'ai joué aux fesses y'a un quart de siècle tricote à côté de moé en me racontant c'que j'sais quasiment mieux qu'elle ... ; nos jeux, nos joies, notre grand bonheur d'être petits pendant les années cinquante et bruyants et Maîtres du Monde! Avoir été un enfant su; la rue Fabre, c'est un privilège qui laisse une IDdrque indélébi-le .
C'est donc dans cette rue Fabre, ou, de façon
plus élargie, dans l'est de la ville de Montréal que naîtront
plusieurs personnages importants de l'oeuvre de Michel Tremblay.
Dans une entrevue que lui accorde l'auteur, Donald Smith soutient
que
Michel Tremblay reprend constamment [ ••• ] les personnages de son enfance tout en les transposant sur un plan symbolique et
my-tbique d'une signification universelle. La rue Fabre et la rue Saint-Laurent se voient ainsi transformées en un immense plateau de l'abs~rde où bommes et femes recherc!Wnt désespérément le bonheur dans une société répressive et ioj uste •
Ainsi, dans les «Chroniques du Plateau
Mont-Royal», l'auteur nous présente un drame humain empreint d'un
réalisme étonnant et qui vient confirmer, _par les mille et un
détails relatés, les données historiques sur cette époque,
tour-mentée et terne à la fois, que fut la vie à Montréal durant la
•
été adoptée la loi des ressources nationales qui permettait le recrutement obligatoire pour la défense du territoire canadien.Pour le service outre-mer, on avait recours au volontariat, tout
en exerçant de fortes pressions sur les conscrits pour qu'ils se
,
portent volontaires. Ainsi s'était enrôlé Paul, le mari
d'Alber-tine, «qui avait disparu assez rapidement de la circulation, les
clous aux bottines [ ... ] et le bérêt bien droit, fier, content,
•
•
s'imaginant qu'il allait enfin réussir sa v~e»; ce départ avait
réjoui Albertine qui méprisait son mari. Le premier volet de cette tranche de vie relatant la journée du 2 mai 1942 nous est
présentée en soulignant que «c'est aussi la guerre de l'autre cô-té de l'Atlantique et la conscription qui est venue chercher les
.
.hommes .» L'auteur des «Chron~ques» reprend et semble partager,
par le truchement des dialogues de ses personnages, les idées qui
prévalaient à cette époque dans l'esprit des Canadiens français
et le sentiment de frustration de ces derniers, né de
l'impres-sion d'inutilité de cette tâche venue déranger la vie
quoti-dienne et de cette révolte d'avoir à défendre une cause en
la-quelle ils ne croyaient pas. Béatrice, qui voit défiler les
soldats dans son lit, les traite de "vrais fous" et avoue:
«J'comprends pas ça que les hommes d'icitte travarsent
l'Aclan-tique pour aller défendre deux pays qu'y'haïssent depuis
tou-• .0
Jours ». Si Tremblay présente des hommes qui ne se sont pas
toujours enrôlés par excès de patriotisme, il ne semble par
con-tre ~ourrir aucune sympathie pour ceux qui sont restés:
Les quelques !loIIIIIIes jeunes qui sillotmaient la rue Mont-Royal, cet après-midi là, le faisaient au bras de leurs femmes éilceiotes, alibis de leur présence au pays en temps de guerre, garanties de leur boDnëteté et, surtout, de leur ïnno..--ence. Abandonner qqe feme
•
Gabriel, dont on se moque parce qu'il ne fait plus partie de ces "jeunes" mais dont la grosse femme esten-ceinte, résume bien dans sa harangue hebdomadaire à la taverne du
quartier, le sentiment qui agite les ouvriers qui l'écoutent:
"PourquoJ. vous pensez qu'on a toutes voté "non" au plébiscite. la
semaine passée? Parce qu'on est toutes des peureux? Non ... C'est
juste parce qu'on a pas envie d'aller se faire tuer dans une
"
guerre qui a rien à voir avec nous autres !» De toute évidence,
«le sermon de Gabriel» reprend à la lettre le discours des
histo-riens. Mason Wade, dans son livre sur les Canadiens français,
re-late que la réaction au plébiscite joua un rôle important dans
l'évolution de l'opinion publique. Il affirme:
Les Canadiens français individualistes conçurent du ressentiment contre la pression exercëe sur ce qui ëtait censë ëtre un vote dëmocratique ( •••j et demeurèrent convaincus que leurs principaux reprësentants à Ottawa avaient eu raison,Fe dëclarer que la cons-cription serait dëplorable et inefficace •
Qu'il soit mécanicien, conducteur de tramway,
cuisinier ou tailleur, l'homme des «Chroniques du Plateau
Mont-Royal» gagne péniblement sa vie et réussit à peine à subvenir aux
besoins des siens. Michel Tremblay nous peint le tableau d'un
monde de gagne-petit, prisonnier de son propre destin et
dispo-posant de peu de moyens. (On trouvera la liste des métiers et
professions qu'exercent les personnages masculins principaux de
l'oeuvre de Tremblay à l'appendice 1). Les hommes travaillent
pour un saiaire ridicule et tentent de trouver à la taverne, où
ils passent le plus souvent leur temps de loisirs, une
échappa-toire à leur existence médiocre, se sachant parfois compris
•
avait travaillé toute la semaine comme un forcené pour gagner le pain de sa famille, avait le droit d'être soûl, c'étaitindiscu-..
table» , pense Victoire. En ces temps difficiles, la situation
politique du Québec est confuse, l'industrialisation et le
syndicalisme ont créé une tension; le problème du logement est
grave; les salaires, maigres; les conditions de travail,
mauvai-ses. Léopold, le père de famille dans A toi, pour toujours, ta
Marie-Lou, depuis vingt-sept ans derrière la même machine,
sym-bolise bien cette misère humaine: homme essentiellement frustré
et impuissant devant ce qu'il considère une injustice,
c'est-à-dire le fait d'avoir perdu toutes ces années de sa vie à faire un
travail dévalorisant et à se retrouver devant ces bouches à
nour-rir avec un revenu insuffisant, il laisse exploser sa haine et sa
rage aussi bien à la taverne qu'à la maison. Il crie sa révolte.
Voici ce qu'affirme Michel Bélair dans la préface à la pièce:
Il semble qu'il ait brutalement compris qu'il était rendu trop loin, qu'il n'yavait plus pour lui aucun moyen de s'en sortir. Après avoir fait le tour de son monde, celui de la maison, de la taverne et du travail, il est frappé de cette lucidité que procure parfois le désespoir ••. Au lieu de continuer à jouer le jeu, de se transformer complètement en légume comme Henri dans Ell piècesdétachées, Léopold décide en toute lucidité de mettrr. fin à sa décbéance. Le suicide devient la seule solution possible •
Tous les personnages de Tremblay ne mettront
pas fin à leurs jours dans un geste d'ultime désespoir, mais tous
sont malheureux et se sentent prisonniers de leur destin.
Trans-posé dans le lieu restreint de la rue Fabre, l'univers qu'ils
ha-bitent est clos, fermé sur lui-même. D'ailleurs, le thème de la
cage est souvent présent dans l'oeuvre; dans un de ses contes, Le
•
souris qui y est emprisonnée. Berthe dans Trois Petits Tours,travaille dans une cage. Kiki, la chienne de Johnny Mangano doit
rester dans sa cage. Le même Johnny ne réplique-t-il pas à
Car-lotta: «Ta cage, tu te l'es bâtie toi-même!» Voici ce qu'affirme
un critique de la pièce Sainte Carmen de la Main en 1977:
L'est de Montréal aura sécrété toute une faune que Michel Tremblay se sera chargé d'exhiber par la magie du théâtre à travers un cycle de onze pièces. C'est bien un cycle puisque tout y est c~~s, désespéré-ment clos, impuissant, imperméable à toute rédemption .
Il faudra attendre la création de la Maison
suspendue pour mieux saisir l'origine du désespoir des personna-ges des «Chroniques» en entendant les supplications de VictoirE
qui refuse la décision de Josaphat de vendre la maison ancestrale
et d'aller s'établir "en ville". Cet abandon
explique certainement, en grande partie, le destin de ces familles désoeuvrées de la rue Fabre, où des pères sans instruction qui auraient honorablement gagné leur vie à la campagne sont devenus chômeurs et prolétaires en ville, où des mères chez qui des valeurs rurales persistent mais qui sont confrontées aux exigences de la vie citadine, étouffent et s'ennuient dans des _~partements trop exigus, et où des enfants curieux de tout ce qui vit, investissent ruelles, parcs, hangars et dessous de galeries••• Chaque famille qui a vécu de près ou de loin cette transplantation, le plus souvent douloureuse,
en porte des cicatrices, en garde des séquelles; or, c'est là
l 'histoire de la plupart des familles citadines québécoises, ,e,t ce sont ces familles blessées qui habitent les pièces de Tremblay .
Lorsqu'il affir.me «J'ai vraiment l'impression
u
que je suis né pour perpétuer une rue », Michel Tremblay fait
bien sür référence à son rôle d'écrivain et de "chroniqueur",
mais comme l'excellente analyse de Pierre Popovic dans le Monde
de Michel Tremblay le démontre, il répond presque au mot d'ordre
lancé par Maurice Duplessis et Lionel Groulx au peuple
canadien-,.
français de produire «une race, une lignée ». Et comme on le
Belles-•
Soeurs, cet espace clos, cet univers fermé contient autant de drames qu'il y a de personnages, drame de la solitude, drame del'impuissance, drame de la révolte, de la fuite dans la folie,
drame des hommes et des femmes d'ici, de la rue Fabre, d'un
quartier de l'est de Montréal, drame local, mais qui rejoint dans
son essence même, comme l'a montré la réception de l'oeuvre dans plusieurs régions de la planète, un drame commun au genre humain,
un drame universel.
La Hain
Tout à côté de la rue Fabre vit un monde
parallèle: celui de la Main. Si la distance qui sépare les deux
rues est relativement petite, grande est la disparité entre les deux univers. Chez Tremblay, la rue Fabre symbolise le monde
fer-mé de la famille, celui où l'on étouffe tandis que la Main
re-présente pour les personnages, l'une des façons de s'en sortir
en même temps qu'une espèce de réussite sociale. L'auteur affirme
sans ambages:
Tous les personnages que j'ai connus et qui s'en sont sorti n'ont pas fait,J1utrement: ou ils sont devenus fous, ou il ont abouti sur la
Hain .»
La Main représente donc le monde du
dépayse-ment, du rêve, de l'évasion. On y vit d'illusions. Carmen y
re-vient après un détour aux ~tats-Unis pour perfectionner ses
«yoodles» et devient, en chantant dans les cabarets de ce grand
boulevard Saint-Laurent, la reine des chanteuses western.
~douard, le fils de Victoire, vend des souliers durant la
•
imposante des cabarets de la Main qu'elle appelle son «royaume». Hosanna laisse ses peignes et ses brosses de coiffeur, revêt sondéguisement-fétiche, celui d'Elizabeth Taylor personnifiant la
reine Cléopâtre, et va rejoindre toute la faune des travestis
comme elle qui hante cette artère de Montréal. Il y retrouve tout
ce monde bigarré, hétéroclite: la grande Paula-de-Joliette,
l'a-valeuse de lames de rasoir, Jennifer Jones, la Rollande
5t-Ger-main, la Comeau, la Vaillancourt, ... ces travestis, qui, comme
elle, recherchent l'oubli d'une part et une certaine
valorisa-tion, absente dans le reste de leurs vies, d'autre part. La Main,
c'est aussi le monde de Maurice, le «pimp» qui alimente un climat
de peur autour de lui, celui de Tooth Pick, l'assassin de Carmen,
celui aussi de la Duchesse, de Willy Ouellette ... la Main donc
constitue la frontière entre l'Est (francophone) et l'Ouest (anglo-phone) et elle est un véritable lieu-limite, infernal et destructeur
mais rempli d'êtres de séduction (prostituées, travestis, chante~~es
et danseuses, etc) et de plaisirs interdits par la bonne société •
Comme le soulignait Renate Usmiani dans son
livre sur Michel Tremblay, les personnages de la Main, bien que
pleinement conscients de la misère de leur existence, atteignent
un plus haut niveau de conscience que ceux de la rue Fabre; ces
derniers ne savent encore qu'exprimer la frustration qui les ha-bite, et qu'ils ne peuvent nommer d'ailleurs, alors que les
habi-tués de la Main, ayant réussi à s'affranchir de cette prison
qu'est la famille d'une part, trouvent refuge dans ce monde de
fantaisie, de rêves et d'illusions, d'autre part.
Plusieurs critiques et auteurs, à COmmencer
par Tremblay lui-même, ont vu la Main comme un symbole
•
qui l'habitent: pensons seulement à Carmen qui décide d'offrir à la clientèle de Maurice, des chansons qui «leur parle di.rectement"
à eux autres dans leurs mots à eux autres » plutôt que des
chan-sons leur parlant du Tennessee ou du Colorado. Elle affirmera
mê-me haut et fort «que la Main a besoin qu'on y parle de la
"
Main ». Cette prise de position empreinte d'idéalisme ne
survi-vra pas; Carmen mourra assassinée. Hosanna, le travesti porte des
vêtements symbolisant une culture étrangère. tdouard, lui,
incar-ne, selon Gabrielle Poulin, la minorité québécoise, sa solitude,
son désarroi qui, après avoir vécu ses rêves se retrouve comme une étrangère, bafouée, confinée «aux nuits étriquées de son
..
folklore ».
Aliénation individuelle camouflée derrière
les déguisements et le clinquant, à la Johnny Mangano, êtres
dé-munis et impuissants devant la vie,devenus "vedettes" d'un soir
dans des cabarets de dernière classe, pouvoir prenant sa sour~e
dans la violence et le mépris, voilà ce que recèle la Main qui
est aussi cependant, selon Brassard, «lieu de glamour,
scintille-d . . d . ,.
ment et e J01e, ans une certa1ne mesure ••• ». Quant à
Trem-blay, il la voit comme un «cul-de-sac».
J'ai parlé de la NàiD, dit-il, pour cerner des problèmes d'identi-té, j'ai créé des gens qui se déquisent, comme si tout ce peuple n'avait pas le droit d'ëtre lui-mëme. Il f~laitqu'ils s'imaginect qu'ils sont autre cbose pour pou'lOir vivre •
Mi~el Tremblay aime préciser qu'il n'a pas
connu la Main personnellement. Il reste que depuis la création de
la comédie musicale Demain matin, Montréal m'attend en 1970, elle
constitue un des univers importants de l'oeuvre, un des
•
OutremontQuand on lui demande pourquoi il a Ch91Si de
changer de milieu, d'environnement pour sa pièce créée en 1980,
l'auteur de l'Impromptu d'Outremont répond qu'il voulait montrer
l'envers de la médaille, «être de l'autre côté de la clôture pour
"
faire changement ». Lui-même habitait Outremont, à cette
époque-là. Il ne s'agit pas simplement d'un changement de lieu
géogra-phique, mais aussi d'un style d'écriture, tant au niveau du
dis-cours que dans le niveau de langue utilisé. Avec les Anciennes
Odeurs, créée en 1981 et le roman le Coel.r découvert paru en
1986, Tremblay présente des personnages d'un milieu différent de ceux de la classe ouvrière ainsi que des hommes qui s'affirment,
qui commencent à prendre leur place dans la société même s'ilG
évoluent dans un univers perçu comme marginal: le milieu gay. Il
confie:
L'Illprœptu d'OUtll!lllOQt était écrit avec un reqard de l'extérieur.
Dans les ADcil!1llles Odeurs, c'est la première fois que» décris le
monde COIIIIIIe lIIOi, de IlIOn ac;e avec le mse questionnement •
Si l'univers de la rue Fabre et des gens qui
l'animent n'a pratiquement rien en commun avec celui de la rue
Bernard, à Outremont, l'auteur du Coeur découvert a tout de même
lancé un pont entre ces deux pôles de son oeuvre et les
personna-ges qui les composent. Ce pont, c'est Jean-Marc, le fils de la grosse femme, dernier de la lignée issue de Josaphat et Victoire.
Il est professeur de français au Cegep et âgé de trente-huit ans;
il a choisi de s'installer à Outremont pour y vivre. D'abord avec
Luc, avec qui il aura une liaison de sept ans, puis avec Mathieu,
•
•
dernier roman de Tremblay à ce jour, raconte la peine d'amour de
Jean-Marc au moment du départ de Mathieu; l'action se situe à Key
West, en Floride. Rappelons que c'est aussi Jean-Marc qui revient
à la maison des ancêtres à Duhamel dans la pièce la Maison
sus-pendue.
C'est donc à travers les yeux de Jean-Marc
que l'auteur nous transmet sa perception:
L'immuable d'OUtrement [ •.•J l'ancienne forteresse des Canadiens français fortunés, le berceau de la plupart des bommes politiques influents des années soixante et soixante-dix [ ••• ] de conviction fédéralisante ou nationaliste, la cible préférée des ouvriers de l'est de Hontréal, la snob pincée qui avait lonqtemps cru qu'elle parlait un français international alors qu'elle avait un accent à faire frémir, qui, lonqtemps. avait été,~onpas un endrnit où vivre mais une façon de vivre. un statut social •
En 1982, dans le troisième tome des «Chroniques», l'auteur de la
Duchesse et le Roturier imagine un dialogue entre la Poune, à ce
moment-là directrice du Thé&tre National et un client lui parais-sant un peu collet monté. Ce dernier est professeur de français au collège Stanislas. La directrice s'empresse alors de rétor-quer: «OUtremontl Mais tout s'expliquel J'sais pourquoi vous êtes
,.
raide de mêmel ». Son client est Valéry Giscard d'Estaing, qui a
d'ailleurs habité à Montréal à cette époque. Enfin, Tremblay
réunit une autre fois ces deux «mondes»; sur le transatlantique qui l'emmène en Europe, Sdouard fait la connaissance de la mère des soeurs Beaugrand, que nous avons connues dans la pièce
l 'ImprOlllPtu d'Outremont:. Dominique Lafon dans le Monde de Michel
Tremblay voit dans cette rencontre symbolique d'OUtremont et du
Plateau «Une projection du clivage d'une oeuvre qui interroge ses
n
•
L'auteur des Belles-Soeurs affirmait en 1979:
«1 am giving myself the task, from now up to the end of my days,
to prove that it is possible to write about anything, everything,
by simply writing about ourselves, within one city".» Il a donc,
à partir d'un quartier de l'est de Montréal, créé une épopée à
partir d'un microcosme. Dans les années 80, l'action de ses
piè-et de ses romans se situera à Outremont. Dans ce lieu comme dans
l'autre, ses personnages représentent de façon juste, le tissu
social des classes ouvrières et bourgeoises de Montréal. Et c'est
à partir de la vie quotidienne de tout ce petit peuple que Michel
Tremblay a réussi à créer une oeuvre aux résonnances
universel-•
les; la frustration des belles-soeurs, la révolte de Léopold,
la quête d'identité de Hosanna ont été entendues et comprises
dans le monde entier. L'auteur avait certes raison de dire: «On
>3
est jamais plus universel que lorsqu'on est local.»
1.2 Présentation de la langue et du discours des personnages
Michel Tremblay a toujours soutenu qu'il ne
pouvait dissocier ses personnages de la langue qu'ils parlaient.
Ses ouvriers, chômeurs, ménagères habitant la rue Fabre et ses
environs s'expriment donc en joual, «langue parlée par les
mi-lieux populaires montréalais, une langue dont la détérioration
reflète l'infériorité économique du Canadien français, dominé par
..
le capitalisme anglo-saxon... ».Les personnages résidant à
Ou-tremont parlent une langue populaire correcte (Les Anciennes
Odeurs, Le Coeur découver~, Le Coeur écla~é). Les soeurs
•
je n'ai pas le droit, dit-il, sous prétexte que je suis un intellec-tuel et que je ne suis plus dans le milieu ouvrier, de changer la langue parlée par une collectivité. Ça, ce seralt vulgaire, méprisant [... l"de changer la lanque du peuple juste parce qu'on écrit un roman .Donc, par sOllci de réalisme et de vérité, l'auteur a donné à ses
personnages «démunis» une langue pauvre, expression de leur con-dition de frustration, voire d'écoeurement.
Les personnages d'En pièces détachées comme ceux des Belles-Soeurs
sont des Montréalais du milieu ouvrier, confirme-t-il. Et ils parlent mal. Leur langage est le reflet de l'état d'ali~tiondans lequel ils vivent. Leur langage est une maladie chronique •
Que ce soit Léopold qui crie sa révolte dans A toi, pour
tou-jours, ta Marie-Lou ou la duchesse et Hosanna qui cherchent dans
le travestissement leur identité, ou bien qu'il s'agisse de San-dra qui étale son cynisme dans Damnée Manon, Sacrée SanSan-dra, la misère ne trouve qu'une langue pauvre pour se dire et la parole drue et sans artifices se fait souvent vulgaire pour exprimer l'impuissance et l'aliénation. Comme le souligne André Major,
Le joual permet au drame d'en être un: à travers lui apparaît la misère réelle, quotidienne, la pauvreté et la soumission, l'animalité et l'égoîsmet,tout cequ'il y a dans une existence larvaire, étroite et sans joie
Lorsqu'~douard entreprend le voyage qui
l'emmènera en Europe, il décide en même temps d'écrire un journal
qu'il dédicacera à sa belle-s~eur, la grosse femme. Quel style et
quel ton adopter pour mener à bien une telle entreprise semble
laisser le fils de Victoire perplexe jusqu'à ce que la réponse
s'impose d'elle-même: «[ ••• ] je vous promets que je vais vous
écrire comme je vous parlerais: y'a pas de style grandiloquent possible entre nous; la simplicité, la sincérité suffisent'·.» Ainsi naîtra un récit rédigé parfois dans une langue correcte
•
mais le plus souvent truffé de mots, d'expressions, d'anglicismes (quand il ne s'agit pas purement et simplement de mots anglais)typiques de la langue vernaculaire de l'est de Montréal. €douard se retrouve à nouveau confronté au problème de la langue alors
qu'au cours du même voyage il fait la connaissance d'un Français
avec qui il commence une conversation:
[ ..• ] une chose très étrange s'est produite quand j'ai parlé, ma voix avait changé! Je ne sais pas ce qui s'est passé mais [ •.. ] mes «r» ont changé de place dans ma bouche! Je ne sais pas comment vous exp~quer
ça [ .•• ] j'étais pus capable de parler comme d'babitude [ .•• ] .
€douard incarne bien l'homme conscient de son
infériorité et en perpétuelle quête d'identité, symbole de tout
un peuple «colonisé» que l'impuissance et l'aliénation empêchent
d'agir. €douard, c'est aussi la Duchesse de Langeais, personnage
grotesque et pathétique, habitué de la Main, se voulant raffiné
mais retombant presque toujours dans la vulgarité la plus crue.
Conscient que la langue qu'il utilise, c'est-à-dire le joual,
le rend vulgaire aux yeux de ses interlocuteurs, il adopte le
«français parisien» rejetant par là même sa masculinité. Voici ce
qu'en dit Jean-Claude Germain:
En plus d'être d'une vérité criante et d'une preclslon quasi anthropologique, la Duchesse a également une grande qualité: celle d'inventorier encore un peu plus loin la richesse du joual. Depuis fort loogtemps au Québec, parler joual est synonyme de virilité. Bref, c'est le langage des bommes. Tandis que parler français, parler pointu, est efféminé et synonyme de culture.
En écrivant la Duchesse, llichel Tremblay a eu le génie de comprendre que cette sexualité linguistique dépravée se résumait, s'incarnait
dans le personnage de la «tapette» québécoise. A lIIOitié bomme, à lIIOitié femme, précieux et vulgaire, impuissant, marginal, incapable de s'assumer comme une personne et parlant de lui-même comme un obj et, la Duchesse de taI1il!ais incarneà son degré extrême, l'aliénation de l'bomme québécois •
Tout semble être excessif chez la Duchesse et chez Sandra. Leur
quête d'identité appelle tous les deux à se dépasser, à
s'incar-ner dans de fausses personnalités, mais combien exigeantes de
travail et de passion, et, dans le cas de Sandra à faire le
voyage jusqu'au bout d'elle-même. Soulignons ici que le
voya-ge d'€douard en Europe ressemble beaucoup plus à un voyavoya-ge
inté-rieur, voire à un bouleversement profond de l'être qu'à un simple
déplacement dans l'espace. Dans les pièces où ils jouent le rôle
principal, ils expriment leurs sentiments et leurs émotions avec
beaucoup de cynisme, une langue crue, des mots percutants et des
propos dont la vulgarité peut parfois être très choquante pour le
spectateur. Rappelons qu'en 1970 lors de la présentation de la
Duchesse de Langeais à Montréal, Michel Bélair a tenu à prévenir
les lecteurs du journal Le Devoir que dans la pièce, les choses
étaient dites «de la plus verte façon»" et qu'il valait mieux
éviter les parages du théâtLe de Quat'Sous s'ils croyaient être
l .fn
trop bouleversés par ce « angage excess1 ».
Il y a dans l'oeuvre de Tremblay, deux pôles qu'il est intéressant d'explorer, en ce qui a trait à
l'expres-sion verbale ou la mise en paroles du vécu des personnages: d'une
part existe, surtout chez les hommes, la difficulté de se dire,
(nous y reviendrons dans le chapitre consacré aux traits
psycho-logiques) et d'autre part on retrouve chez plusieurs, des talents
de raconteur qui se traduisent par de longs monologues faisant
parfois à eux seuls l'objet d'une pièce entière ou constituant
l'essentiel de celle-ci. Dans la Duchesse de Langeais, le
•
et raconte, tout en noyant son chagrin dans l'alcool, son boule-versement, ses états d'âme, ses expériences passées et présentes,ses déboires, ses récriminations. «La Duchesse s'ouvre à nous,
gonflée de douleur, défaite. C'est un trop-plein qu'elle nous
, u
livre, tout ce qu'elle ne parvient plus à conten1r .» On
re-trouve dans Hosanna, créée en 1973, un long monologue où le
personnage principal - Hosanna - nous raconte sa vie passée et
surtout les événements qui le bouleversent ce soir-là. Il est
intéressant de noter qu'enfant, Claude Lemieux, (Hosanna)
souf-frait de problèmes d'élocution à l'école. De même ~douard, alias
La Duchesse de Langeais, n'a pas toujours eu la verv~ qu'on lui
découvre dans la pièce. C'est en effet lui qui disait à la grosse
femme en lui racontant son voyage: «J'ai pas les mots pour vous
43
décrire tout ça pis ça m'enrage .» Gabriel, ce grand orateur de
taverne, ne trouve pas les mots pour parler d'amour à sa femme:
"J't'aime, t'sais. "Les mots étaient sortis difficilement, la qrosse femme le savait. Son mari, orateur de taverne émérite, pourtant, et
pilier de party, se retrouvait étonnamment dépourvu et impuissant
devant les mots d'amour. Une pudeur presque maladilJ! l'empêchait de parler "de ces choses-là" comme il les appelait.••
Armand, le père, dans la pièce Bonjour, là, bonjour, «appartient
comme ses filles à une génération qui ne savait pas tellement
dire "je t'aime" et à qui cela manque beaucoup. Il se réfugie
••
dans son monde sans sons .•• ». Dans les «Chroniques» tout comme
dans A toi, pour toujours, ta Marie-Lou, Léopold n'arrive pas à
parler à Marie-Louise, sa femme; il livre pourtant une envolée
mémorable lorsqu'il exprime sa frustration en ce qui a trait à
Dans Damnée Manon, sacrée Sandra, les deux
~ personnages de la pièce font de longs monologues remplis de
ly-risme. Manon, au rythme de sa chaise berceuse, égrène son
cha-pelet, raconte ses doutes, ses peurs, nous emmène avec elle dans
sa folie religieuse et ses élans mystiques tandis que Sandra, le
travesti, sa «jumelle», nous entretient, au milieu de ses fards
et de ses perruques, de sa relation avec Christian, de sa
rela-tion avec le sexe, de ses interrogarela-tions profondes sur le sens de
sa vie. Dans son étude de la pièce, Gilbert David parle ici de
••
«soliloques parallèles» et plus loin, utilise le terme
«mono-47
loque dédoublé ».
L'oeuvre de Michel Tremblay est remplie de
monologues. C't'à ton tour, Laura Cadi eux, que d'aucuns ont
qualifié de «monologue théâtral» bien que présenté par l'auteur
• comme un roman, en est un autre exemple frappant. La pièce les
Belles-Soeurs en contient aussi de célèbres. Voici ce que dit
Jean-Cléo Godin dans Théâtre Québécois:
•••dans cet univers de solitaires en quête de comprêhensicn et
d'expressill1l , l'axe premier du lanqaqe dramatique ne saurait être que le monclpque, confidence cu cri, appel de détresse cu rêve secret de bonheur •
•
On ne pourrait dissocier l'utilisation de ce type de discours du
grand thème qui hante toute l'oeuvre, c'est-à-dire l'absence
to-tale de communication. Ce n'est qu'à partir des années 80 que
l'on verra surgir dans les pièces et les romans de Tremblay, des
personnages qui se parlent et s'écoutent; ils appartiennent
ce-pendant à une autre classe sociale toute marginale qu'elle soit.
Nous n'approfondirons pas ce thème maintenant; il donnera lieu à
•
•
CHAPITRE 11~TUDE DES ATTRIBUTS PHYSIQUES DES PERSONNAGES MASCULINS
2.1 Attributs physiques des personnages
Règle générale, le personnage masculin dans
l'oeuvre de Michel Tremblay est physiquement laid, parfois même
repoussant, obèse dans la plupart des cas. Quelque
quatre-vingts hommes peuplent les romans et peu d'entre eux jouissent de
l'apanage de la beauté. En fait, tous sont plus ou moins tarés.
Par exemple, dans La grosse femme d'à côté est enceinte, au
mo-ment où il vient d'annoncer son départ pour la guerre, le soir du réveillon de Noêl 1939, Paul s'enivre et reproche à sa femme et à
sa belle-mère, non seulement «sa vie manquée, [mais] sa calvitie
naissante, ses dents cariées, ses chevilles faibles et même les
trous dans ses bas et les cernes de sueur sous ses aisselles'.»
Certains personnages souffrent d'un handicap physique ou mental.
Gérard, dans En pièces détachées, âgé de quarante-cinq ans, a
l'air d'un vieillard et ne se déplace qu'à l'aide d'une canne,
éloquent symbole de son impuissance. Armand, dans Bonjour, là,
bonjour, est vieux et sourd; cette surdité accentue sa difficulté
à cOlDllluniquer, thème fondamental de l'oeuvre de Tremblay. Il
incarne de ce fait «l'holDllle absent», autre caractéristique
dominante de l'oeuvre. Léopold, dans A toi, pour toujours, ta
Marie Lou, souffre d'une maladie héréditaire, et Marcel, l'enfant
•
Claire Lemieux «fluette, gaie et active'», voit son mari Hector comme «son amas de graisses molles'», une•
«sorte de baleine blanchâtre et lente », tellement gros «qu'il
avait de la difficulté à grimper les deux escaliers [ ... ] et
ar-rivait au troisième palier à genoux, parfois, ses voies
respira-toires sifflant comme des tuyaux d'orgue'». Dans les romans et
les pièces de Tremblay, la description physique des hommes nous
arrive souvent par la bouche des femmes, et leurs réflexions sont
souvent cinglantes. Ainsi, Claire Lemieux ne peut s'empêcher de
penser que son mari est tellement gros et lent qu'il pourrait
faire perdre la guerre à son armée. Et d'ajouter l'aut~ur:
«el-le ne pensait presque jamais à lui comme à un être humain, mais
plutôt comme à un chat ou à un chien".»
Laura Cadieux, véritable commère de quartier,
affirme qu'elle se trouve assez bien avec son mari Pit, mais elle
ajoute: «on peut pas dire qu'y'est beau à se sacrer à genoux
de-7
vant». Personnage coloré des «Chroniques», Pit Cadieux,
aide-cuisinier de son état, sauve, en préparant un jour une sauce
béarnaise excellente, la réputation du chef Vaillancourt qui
«avait fait confiance à ce jeune homme déjà obèse et presque
•
chauve». Pendant qu'elle attend son tour dans la salle d'attente
du médecin, Laura, entourée de quelques habitués comme elle de
ces rendez-vous hebdomadaires, ne se prive pas de nous livrer son
opinion sur les sujets qui la préoccupent et sur les gens; ainsi
trouve-t-elle le mari de madame Brouillette aussi laid que sa
femme. Même le mari de madame Tardif, que cette dernière
trouve pas grâce aux yeux de Laura qui examine attentivement sa
• photo et conclut: «Le nez un p'tit peu croche. Les p'tites
oreil-les un peu décollées. Pis y vous avait un de ces airs d'épais,
mes chers amis! Ah, y' étai t pas laid [ ... ] mais c' tai t pas
t'ü-lement du visage qu'y était beau'». Quant au fils de Laura,
Raymond, il est laid, porte des lunettes et a des boutons.
Lorsque Des-Neiges Verrette nous parle, dans
les Belles-Soeurs, du commis-voyageur qui lui rend visite
régu-lièrement, elle commence son monologue en nous disant combien
el-le l'a trouvé laid quand elel-le l'a vu la première fois, ajoutant:
,.
«c'est vrai qu'y'est pas beau tu-suite! ». Dans le roman Des
nouvelles d'~douard, ce dernier, qui écrit à sa belle-soeur, la
•
•
grosse femme, le récit de son voyage en transatlantique, lui
con-fie que son voisin de cabine est «une espèce de géant laid comme
11
un cul de singe, gratté à deux mains .•• ».
2.1.1. L'obésité
Le thème de l'obésité domine dans l'oeuvre de
Tremblay; dans les «Chroniques», il est omniprésent. Ce trait
physique devient un leitmotiv dans la description tant des
per-sonnages féminins que masculins. Aussi secondaire que soit le
rôle de ces derniers, ils se retrouvent la plupart du temps,
caractérisés par cet état .
.. •la silhouette de mnsieur Soucy, le concierge, s'encadra dans la
po~e, les bras cbargés de PAquets que le gros bomme n'avait lIlêIIle pas enVle de poser par terre••.
•
Marie Sylvia était en train de servir un gros homme dan~,la trentaine que Béatrice voyait souvent se bercer sur le balcon ...On voit très peu Oscar Thibodeau dans l'oeuvre de Tremblay:
quel-ques lignes dans C't'à ton tour, Laura Cadi eux, suffisent
cepen-dant pour dire de lui qu'«avant [00.] y'était maigre comme un
casseau, on voyait quasiment le soleil en travers [.0.] mais là.
depuis deux-trois ans, y s'est mis à engraisser comme un
co-..
chon ». L'auteur n'explique pas les causes de ce changement
phy-sique chez son personnage. Par contre, nous verrons que manger et
boire jouent un rôle de premier plan dans les maisons et les
ta-vernes d~ Plateau Mont-Royal.
tdouard, un des personnages principaux de
Mi-chel Tremblay, est obèse. Lorsque sa mère Victoire décide
d'al-1er se promener avec lui rue Mont-Royal, elle s'arrête un instant
avant de partir et se demande si elle a «vraiment envie d'aller
parader [ .•• ] au bras de cet énorme bébé [ •.. ] qu'elle savait
..
ridicule et même risible ». C'est dans des termes peu élogieux
que le narrateur ajoute plus tard qu'«tdouard avait suivi sa mère
• • 16
docilement, comme un gros ch1en pouss1f ». Cette image revient
lorsqu'après une querelle particulièrement violente avec
Vic-toire, il «se vit en gros chien couché en rond devant la chaise
berçante de sa mère qui lui tapotait la croupe ou lui grattait le
t . . 17
derrière de 1 ore1lle •.• ». Dans la Duchesse et le Roturier,
devant madame Reppel qui se fait prier pour chanter, tdouard pose
un genou sur le tapis de l'allée et apparait ridicule «avec son
gros ventre qui lui frôlait la cuisse et ses pantalons tendus à
.. .
,_
•
Dans le Monde de Michel Tremblay, Dominiqt-e Lafon soutient qu'il existe dans l'oeuvre des constantesthéma-tiques qui créent des types de filiation qui servent b resserrer
le réseau de l'intertextualité. Selon elle, il existe chez
Trem-blay une famille d'obèses: Laura Cadieux, la grosse femme et
~douard qui ont en commun un statut narratif particulier dans la
mesure où ils prêtent leur voix à l'oeuvre à laquelle ils
appar-tiennent. Lafon rappelle que Tremblay est lui-même un ancien
0-bèse auquel un traitement a inspiré C't'à ton tour, Laura
Ca-••
dieux •
Plusieurs autres personnages masculins des
romans souffrent d'obésité. Mentionnons Léopold Brassard, mari de
Marie-Louise qui, rentrant de son travail vers deux heures du
matin, se prépare de gros repas qu'il mange en regardant le jour
se lever. Monseigneur Bernier, curé de la paroisse de
Saint-Sta-nislas dans Thérèse et Pierrette à l'école des Saints-Anges, a un
double menton. A treize ans, Philippe, le fils de la grosse femme
est déjà obèse et surnommé «bouboule» par ses intimes. La
Vail-lancourt, déchireur de tickets au Cinéma de Paris, a tellement
engraissé depuis sa peine d'amour que son pardessus commence à
bailler entre les boutons. Si Michel Tremblay ne donne aucune
description physique de monsieur Provost, le vendeur de glace
dans la Duchesse et le Roturier, il lui prête tout de même une
grosse voix qui fait peur aux enfants. Enfin, monsieur Dubé, le
gérant de jour du «Beau Coq Bar-B-Q», est grassouillet'·».
Les pièces donnent moins l'occasion à
•
D'ailleurs, plusieurs personnages connus d'abord dans les pièces, se retrouvent dans les «Chroniques du Plateau Mont-Royal» ou dansle Coeur découvert. C'est en effet dans le but de les rajeunir de
vingt-cinq ans et de faire aussi une genèse de son théâtre que
Michel Tremblay a écrit les «Chroniques».
2.1.2. La maigreur
Tout à l'opposé du personnage masculin des
romans, l'homme des pièces de Tremblay se distingue généralement
par sa maigreur. Il existe cependant quelques exceptions:
Cuiret-,.
te, l'un des protagonistes de Hosanna «a vieilli et engraissé »;
il Y a le doorman de Trois Petits Tours que Berthe qualifie de
«gros épais»; on retrouve également Sdouard sous les traits de la
Duchesse de Langeais. Par contre,lorsqu'il nous présente Tooth
Pick dans En pièces détachées, Tremblay précise dans ses
didasca-calies qu'«il est petit, maigre, faussement chic, minable». Et
quand Denise s'adresse à son frère Serge, personnage principal de
Bonjour, là, bonjour, elle l'incite à venir rester avec elle car,
dit-elle: «ça l'a pas de bon sens. R'garde-toê! t'es maigre comme
"
un clou cassé ••• ». Elle se demande si ce ne sont pas les
Fran-çais qui l'ont fait crever de faim au cours de son voyage en
Eu-rope ••• Dans la même pièce, Monique, une des soeurs de Serge,
insiste pour le regarder alors qu'il enlève sa chemise, affirmant
qu'il est «plus excitant à r'garder que [son) paquet d'os de
•
père mourant dans les Anciennes Odeurs: «l'est tellement maigre! l'est tellement petit! Tellement fragile! Je l'ai connu droit pis..
fort. .. .»
2.1.3. La beauté
Dans les romans autant que dans les pièces, les beaux hommes sont rares. Pourtant, l'un des hommes que Trem-blay affublera des pires défauts et qu'il ira même jusqu'à quali-fier de «larve», jouit de la beauté physique. Personnage
impor-tant de Thérèse et Pierrette .•. , Gérard «n'était pas le vieil
homme gâteux et malpropre que [Thérèse] s'attendait à trouver, mais un jeune homme dans le début de la vingtaine, aux [traits]
..
fins et aux yeux superbes [ •.• ] .» Plus tard, l'observant der-rière les lattes de la clôture, Thérèse verra "un jeune homme
,
..
[ ••. ] beau comme un d~eu•.•• » Tout comme Gérard, Maurice Côté,
celui-là même qui fera tuer Carmen, possède un «charme
absolu-. :7 al
ment irrésist~ble », «Une belle courbure du nez »; et l'auteur
d'ajouter: «Peu de gens savaient résister au profil de
Mauri-••
ce .» Pourtant, dans sa jeunesse, ce dernier était vite tombé
,.
sur les nerfs de Thérèse avec ses yeux de vache avant de
deve-nir ce bel homme au sourire hautain. Dans le Coeur découvert,
ro-man écrit en 1986, Michel Tremblay crée des personnages qui possèdent de beaux attributs physiques; écoutons d'abord Jean-Marc nous parler de Luc:
C'est peut-ëtre le plus beau qars que j'ai eu dans lIIil vie, UIll! bëte
CCIIIIIII!ou dit dans le IIilieu . ••sexy, sûrde lui, arroqant mêmedans sa beauté ••• Pantalou de cuir lIIOU1ant, veste de jean sav_t délavée, c:hsise eacbancrée sur lavirile touffe depoilS,trisés..• Lucest ou
•
Puis viendra Mathieu «cet éternel adolescent, si beau, sitou-chant ..."», ancien mari de Louise et qui partage maintenant la
vie de Jean-Marc ainsi que son fils Sébastien «beau à couper le
"
souffle ... ».
Ajoutons quelques personnages à cette espèce
rare dans l'oeuvre de Michel Tremblay. Il y a le livreur de
tim-bres dans les Belles-Soeurs: Germaine Lauzon en fait la
descrip-tion à sa fille: «C'était un espèce de grand gars. J'pense que tu
l'aurais aimé, Linda. En plein ton genre. Dans les vingt-deux,
vingt-trois ans, les cheveux noirs, frisés, avec une petite
mous-,.
tache ••. Un vrai bel homme .» Dans la même pièce, Lisette de
Courval parle d'un lieutenant rencontré sur le transatlantique et
qui lui fait de l'oeil. «Une bien belle pièce d'homme», dit-elle.
Dans la Duchesse et le Roturier, Bernard Morrier, un jeune
ado-lescent se joint au groupe de Thérèse et de ses cousins: «beau,
..
intelligent et enjôleur» , il a une façon particulière de rire
qui fait s'esclaffer ses amis, surtout pendant la messe, le
di-manche. Mais «il bénéficie d'une presque totale impunité parce
que les frères enseignants [ ••• ] sont très sensibles à la
beau-JO
té .~ Dans le Premier Quartier de la lune, on dira de Claude
Le-mieux qu'il est le plus beau garçon de toute l'école. Enfin,
Li-se, l'une des serveuses d'En pièces détachées, répond à Thérèse
qui lui pose des questions sur son fiancé André: «Ah!, oui, y'est
37
ben beau », l'excusant presque par là de ne pas avoir d'emploi
et de la laisser seule gagner l'argent du ménage.
Il Y a par ailleurs les personnages qui ont
Car-•
lotta a épousé Johnny Mangano parce qu'il était beau, bienqu'elle lui dise aujourd'hui qu'il est habillé comme le singe de
leur spectacle. Le docteur Sansregret, dans la brève description
donnée de lui dans Thérèse et Pierrette .•. , est présenté comme
«un homme voûté qui avait été beau mais que les misères du monde
avaient usé avant le temps, creusant ses joues, barrant son front
de rides indélébiles et répandant dans son regard une lueur
inJé-finissable, qui témoignait des horreurs que ses longues années de
3.
pratique lui avaient imposées .» Rosario Delrose, le m~ître de
cérémonie du Palace, «n'avait gardé de son ancien gabarit que
le sourire'"»; Josaphat-le-Violon, décrit plus tôt comme une
force de la nature, aux bras noueux et aux pattes calleuses, se
retrouve après la mort de Victoire «changé, plus maigre qu'il ne
l'avait jamais été, vieilli d'un coup, courbé et même, parfois,
.0
tremblant ».
2.1.4. Les odeurs repoussantes
Il arrive souvent que d'un coup de plume bref
et révélant une très grande maîtrise dans l'art de camper ses
personnages, Michel Tremblay amène une description des attributs
physiques en faisant appel au sens olfactif. Ainsi, dans C't'à
ton tour, Laura Cadi eux, la petite Sylvie Bernier révèle aux
per-sonnes présentes dans la salle d'attente, au grand désarroi de sa
mère qui ne peut le nier, que son père Maurice «pue» et qu'elle
ne veut pas qu'il aille coucher dans son lit quand elle-même
re-joint sa mère dans le sien parce que «ça sent, après •••