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Apprentissage, connaissance et reconnaissance par corps dans l’enquête de terrain

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Academic year: 2021

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Submitted on 25 Jan 2019

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Apprentissage, connaissance et reconnaissance par corps

dans l’enquête de terrain

Marie Goyon

To cite this version:

Marie Goyon. Apprentissage, connaissance et reconnaissance par corps dans l’enquête de terrain. Epistémologie du corps savant, sous la dir. de M. Quidu. Tome I “ Le chercheur et la description scientifique du réel ”, 2014. �hal-01993844�

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Marie Goyon

Paru dans Epistémologie du corps savant, L’Harmattan, 2014, Tome 1, 164-180

Apprentissage, connaissance et reconnaissance par corps dans l’enquête de terrain

Je propose dans ce texte une réflexion sur la dimension corporelle de l’expérience ethnographique, dans toutes ses dimensions personnelles (genre, capital socioculturel, âge, personnalité…) et interpersonnelles, c’est-à-dire ayant trait à la fois à la personne de l’ethnologue et aux relations, toujours subjectives et spécifiques, qu’il tisse avec les « ethnographiés ». De l’entrée sur le terrain, au traitement des « données » (je questionnerai ce terme et proposerai de le remplacer dans certains cas par productions et coproductions), il s’agit de questionner l’impact heuristique de la reproduction incessante de la dichotomie corps/esprit et de la minoration voir du déni du corps. J’interrogerai la probable inadéquation de ses postures avec le projet ethnographique en tant que connaissance de et par l’intime, « ethnographie du sensible » (Laplantine), projet articulé dans et par le corps du savant (Bourdieu, Wacquant, Andrieu), entre relation –ethnographique- et reconnaissance –par ces « autres »- pour accomplir le « devenir autre » de l’observation participante. Ainsi, si les sciences sociales ne peuvent faire l’économie de la réflexivité, celle-ci ne doit pas se limiter à l’objectivation des méthodes ou même des postures du savant. « L’anthropologie ne peut s'accomplir comme science qu'à condition de prendre aussi pour objet les actes et les instruments de la pratique scientifique, il faut donc préciser le rapport que le chercheur entretient avec son objet » écrivait Bourdieu (1980) : je propose d’aller plus loin et de penser la coproduction même de l’ objet, dans un rapport direct, concret, incarné, et d’envisager que cette expérience charnelle nouée entre le chercheur et ses données est elle-même productrice de connaissance. Car l’acteur social – scientifique compris- comme la relation sociale –relation d’enquête comprise- sont faits de chair, de sang, de sensations et d’affects, autant d’objets qui me paraissent dignes de science.

Le corps du chercheur comme ressource heuristique : la recherche comme expérience corporelle Démarrons cette réflexion à partir d’un constat simple, qui s’avère être également un postulat (un

axe définissant une posture scientifique, possible parmi d’autres mais définissant une véritable « ligne de conduite ») : en tant qu’ethnologues et même sociologues,

quand nous « partons sur le terrain », nous y partons vraiment. Nous opérons un déplacement physique, qui répond évidemment au décentrement donc au déplacement de regard que nous aurons à opérer pour construire et analyser notre objet, mais qui est avant tout le fruit d’une mobilité réelle, de notre corps en mouvement dans l’espace social1. En nous déplaçant (même si c’est à trois rues de chez nous) nous allons à la rencontre d’un nouvel espace social et physique,

1 Espace social et espace spatial sont intrinsèquement liés, comme nous l’ont appris maintenant d’assez longue date les travaux précurseurs de l’Ecole de Chicago (Parks, Burgess…). L’espace urbain est le reflet de processus ou de mécanismes qui sont de nature sociale, une sorte d’indicateur privilégié ou de révélateur de phénomènes difficilement mesurables. Il est également un facteur de contexte particulier, susceptible de favoriser l’émergence de relations sociales, ou d’en contraindre l’évolution (Grafmeyer et Joseph, 1979). Arpenter un nouvel espace physique n’est donc jamais anodin dans le travail du chercheur.

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d’environnements, de sensations comme de personnes inconnues et de façons de faire qui leurs sont propres. L’altérité, on ne perd rien à le redire, est autant sur le pas de la porte qu’aux confins de l’Amazonie.

En nous déplaçant vers ce nouvel univers, nous allons donc marcher, arpenter, sentir, ressentir, éprouver des sensations neuves : là commence déjà l’observation et la description ethnographique, donc la source du savoir spécifique que produisent ces drôles de scientifiques qui font de la recherche en « sciences humaines et sociales ». Ce que j’affirme ici, c’est que le fameux « terrain », graal et support des disciplines d’étude du vivant social, est une expérience avant tout corporelle. Avant d’être une analyse, une montée en abstraction, elle est une « induction » nous rappelle-t-on dans tous les manuels : mais qu’est-ce que cela implique concrètement ?

Arrêtons-nous un instant sur ce terme d’ « induction » : en ethnologie comme en sociologie, il s’agit de partir de l’observation concrète, du « réel », des faits, pour en élaborer ensuite des lois plus générales, des récurrences, des modèles explicatifs. Cette posture s’opposerait à celle de la déduction, qui voudrait partir des lois générales, de modèles explicatifs déjà formés pour en déduire le sens du particulier, du contingent, en bref, des faits.

Bien. Et comment observe-ton le « réel » ? Quels sont nos outils ? Qu’est-ce qui nous conduit dans le social –étymologiquement l’induction vient du latin in ducere -, au cœur du social ? Qu’est-ce qui par induction, nous fait ressentir, partager et nous rend capable de décrire le lien social ? Je crois qu’il faut bien admettre que ce sont nos affects, nos sensations, notre présence dans cette relation sociale. Ainsi, le corps du chercheur c’est le chercheur (nous ne sommes pas purs esprits !…) et l’expérience ethnographique est donc éminemment corporelle. L’ethnographe –celui qui « écrit » la culture, « l’homme de terrain » traditionnellement rôle le plus proche de la relation d’enquête dans les casquettes successives allant de l’ethnologue à l’anthropologue ou au sociologue -, c’est avant tout une personne rencontrant d’autres personnes et ayant même pour but, pour finalité, de partager leur « savoir-vivre ». Ce savoir est constitué de leurs pratiques quotidiennes, de leurs savoir-faire : donc en tout état de cause, il s’agit bien de partager leur corporéité spécifique, non seulement parce qu’elle est bien sûre toujours individuelle, subjective, fruit d’une histoire personnelle, mais aussi corporéité spécifique du fait que l’expérience corporelle est culturelle2.

Ainsi, quand les pères fondateurs de l’ethnographie, Mauss, Malinowski, Boas nous engagent à partager le quotidien, les repas, à dormir comme les autochtones… ils nous engagent à partager leur expérience corporelle, donc à engager nos corps dans l’aventure ethnographique ! L’observation participante n’est pas qu’un mot : c’est un acte, et qui plus est un acte fondateur de la discipline

2 La culture rappelons-le est en effet présente dans tous les aspects de nos vies en société, y compris les plus intimes et sensoriels. Transmise dès le plus jeune âge à travers les processus d’inculturation et de socialisation, elle est naturalisée, c’est-à-dire incorporée et intériorisée, nous donnant alors l’impression que nos modes de pensée et d’agir sont « naturels », vont de soi, quand ils sont en fait arbitraires. Pour les multiples dimensions que recouvre le terme de « culture » depuis les courants culturalistes, on pourra consulter par exemple Kroeber et Kluckhohn, 1952 ou encore Cuche, 1996.

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académique et de la discipline3 à laquelle devra s’astreindre le chercheur pour acquérir un véritable « sens pratique »4.

Ce corps qui fait l’objet de tous les soupçons constitue pourtant notre principal médium de connaissance et non pas un faux-ami dont il faudrait se défier. Pour apporter une connaissance spécifiquement anthropologique, distincte de celles produites par d’autres sciences sociales, il faut mettre en œuvre ses méthodes propres, donc une investigation par le corps et une compréhension par le corps : ressentir, éprouver la culture. Ici réside la véritable rupture épistémologique, la fameuse distanciation que l’ethnologue cherche à établir. Sinon comment accomplir le projet anthropologique de « devenir autre » ?

Enfin, pour véritablement parvenir à objectiver des données, il faut d’abord avoir accepté de les avoir en grande partie produites et non « collectées ». En effet, si l’on collecte des objets, des artefacts, on ne collecte pas de la relation ou même des perceptions, qui constituent pourtant une partie non négligeable des « matériaux » d’étude. On les coproduit puis on les travaille pour les présenter sous la forme d’un « corpus » : c’est-à-dire d’un « corps » fait de matières suffisamment rapprochées, assemblées et signifiantes pour se rendre intelligibles.

Les natures des matériaux d’enquête

Pour bien comprendre ce qui se joue dans le cadre de la production des connaissances et de l’originalité épistémologique de la recherche empirique en sciences sociales, revenons à la pratique concrète de l’enquête. Que sont ces fameuses « données » que nous devrions, selon une certaine terminologie consacrée, « collecter » ? Ces « faits sociaux » et culturels, ne sont-ils pas plutôt des « matériaux », au titre qu’ils sont produits par les enquêtés (la culture matérielle notamment, mais aussi les chants, les jeux…) et que pour un grand nombre d’entre eux nous les « produisons » avec les enquêtés, nous les coproduisons (les situations d’enquête, les relations etc…)?

Quelles sont les sources directes et premières (en tant qu’elles s’offrent le plus frontalement et facilement à nous dans un premier temps de l’enquête) de notre connaissance du terrain ? Ne sont-elles pas d’abord éminemment corporsont-elles et subjectives ?

Nous avons déjà abordé l’idée qu’une de ces sources premières pourrait être le fruit de notre déplacement spatial « pour aller » enquêter : les lieux, les bâtiments, les odeurs, les couleurs, les bruits, les allers et venues… Des actions et objets observés donc, conservés dans notre mémoire ou sur une vidéo. Des témoignages, des traces, des matières à penser.

Hors des situations codifiées nécessaires à l’enquête, comme l’entretien enregistré par exemple, il s’agit de se plonger dans une autre temporalité et un environnement spatial, parfois très étrangers à nos habitudes. Cet espace-temps implique des rythmes du corps comme de l’interaction sociale, qu’il

3 Au sens de Foulcault (1975) cette fois : c’est-à-dire les disciplines corporelles et le « gouvernement des corps » (Fassin et Memmi, 2004) exercé par le social et notamment les politiques institutionnelles.

4 Il s’agit d’une référence directe à Bourdieu (1980) : l’habitus est un « sens pratique », tout comme la discipline ethnographique en tant que pratique incorporée constitue un habitus professionnel.

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faut apprivoiser. Pierre Clastres par exemple relate non sans humour ses débuts chez les Guayakis, lorsqu’il tente de les questionner au fil des moments quotidiens :

« Plusieurs fois même, je n’ai pu empêcher mon informateur du moment, accablé d’un ennui formidable, de s’endormir sur le sol à mes pieds. […]Au début donc, les Indiens perdaient leur temps avec moi et moi avec eux lorsqu’ils ne voulaient plus me répondre. Les hommes songeaient à leurs flèches, à la chasse, au miel, les femmes à leur tapy, aux enfants : bref à la vie de tous les jours. » (Clastres 1972 : 118-120)

Pour l’ethnologue l’enjeu est bien là, il s’agit de rentrer dans la vie, d’adapter les rythmes de son propre corps à ceux de la société qu’il tente de comprendre. Ces rythmes conditionnent les possibles de la relation comme les possibles de l’interprétation. Clastres finira par obtenir les réponses qu’il désire en acceptant de lâcher prise avec ses habitudes, en mettant au diapason son corps et donc sa pratique professionnelle d’enquête avec les rythmes des Guayakis.

Cependant il ne faut pas réduire cette expérience corporelle des rythmes de la recherche uniquement aux contextes de déplacement physique vers un ailleurs plus ou moins lointain. Cette réflexion peut -et doit- être menée également sur les terrains « déterritorialisés » qui sont aujourd’hui de plus en plus fréquents, qu’il s’agisse de l’approche des démarches participatives, des blogs et forums comme des Game Studies5.

Lorsque l’on travaille de chez soi, derrière son ordinateur sur des terrains « virtuels » comme les communautés de jeu en ligne ou MMORPG6 par exemple, la « réalité augmentée » met directement en jeu le corps du chercheur : corps projeté de son avatar mais aussi corps en action devant l’écran, en proie à toutes sortes d’émotions et devant apprendre à maîtriser des techniques du corps bien spécifiques. Il s’agit par exemple d’acquérir des compétences physico-techniques comme une activité à la fois indépendante et coordonnée des deux mains (souris-clavier) et des yeux, pour une parfaite réactivité et gestion des automatismes, ou encore d’apprendre des codes tant langagiers et sociaux que des techniques de jeu (gameplay, interface et ambiance). Il s’agit aussi d’appréhender une gestion , un arbitrage et des aménagements corporels différenciés vis-à-vis de la temporalité passée et de la fatigue, des besoins (manger, boire, toilettes etc…) ou encore de l’aménagement de l’espace de jeu (choix et positionnement du fauteuil, de la souris –il existe une multitude de souris spécifiquement conçues pour les besoins des « hardcore gamers » ou encore des tapis de souris améliorant le confort du poignet par la présence d’un renfort en mousse ou gel, sensé éviter l’apparition de douleurs quasi « professionnelles » comme la tendinite, etc…). Autant de dispositifs techniques, de disciplines corporelles et de représentations culturelles dont le chercheur a besoin de faire l’expérience pour mesurer leur rôle dans la pratique qu’il tente d’analyser7.

Dans cette même veine, les travaux d’Evelyne Lasserre, Jérôme Goffette et Axel Guioux, en s’intéressant à des joueurs de MMO en situation de handicap, ont mis en évidence la dynamique

5 Les Game Studies anglo-saxonnes et les études sur le jeu francophones ont commencé à se développer en tant que champs d’études alimentés par des approches disciplinaires variées (sciences informatiques, psychologie, économie, sociologie, anthropologie, philosophie, etc.) autour des années 1990. Pour une synthèse des différentes approches on pourra voir : Rueff, 2008.

6 Massive Multiplayers Online Role Playing Game comme World of Warcraft, Guildwars….

7 En 2006, T. L. Taylor, sociologue, dresse ainsi avec « Play Between Worlds » une monographie ethnographique de l’univers d’EverQuest (Taylor, 2006), puis Tom Boellstrorff en 2008 intitule même son ouvrage « Coming of Age in Second Life » en référence à Margaret Mead (Coming of Age in Samoa, 1928).

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reliant l’individu-joueur au dispositif technique. Ils nous invitent à procéder à une remise en cause de la dialectique entre virtuel et réel afin d’envisager les processus de « procuration » qui caractérisent ce type d’expériences (2011). Le jeu se déroule dans une interaction toute physique et sensible entre l’univers présent à l’écran et l’univers de présence du joueur. Dès lors le chercheur qui lui-même va expérimenter cette pratique entre dans une transformation de ses schémas perceptifs, tant intellectuels que corporels.

Ainsi nous traitons toujours dans l’enquête de corps (le nôtre et celui des autres) inscrits dans l’action et dans des contextes d’action, qu’ils soient mobiles ou immobiles.

Dans un deuxième temps, il nous faut traiter avec des matériaux peut-être plus sensibles8 encore : les témoignages recueillis. Des voix, notre voix, une parole construite au fil d’un entretien, cet exercice si difficile de maîtrise de son corps et de sa voix, « technique du corps »9 s’il en est, véritable enjeu à court et long terme de la relation d’enquête, que l’on nous conseille d’enregistrer. On nous dit ensuite qu’à la phase de retranscription de la bande audio (dans ce processus souvent très contre-intuitif et artificiel, dans cette écoute hachée, laborieuse, attentive, exigeante), il ne faut pas oublier d’être attentif aux silences, aux rires, aux hésitations… Autant de marques corporelles des affects et donc de potentialités d’interprétations, de connaissances non verbalisées, d’interactions sociales sous-jacentes que l’on espère pouvoir ensuite faire surgir lors d’autres « situations » d’enquête. Oui car l’une des sources de connaissance dans l’enquête, c’est là encore la « mise en situation », l’engagement de notre être dans la relation et dans l’action. Participer à l’assemblée de militants, s’asseoir, se lever, manifester, courir, pour moi broder –se piquer-, suer dans une loge, cuisiner, garder des enfants, marcher des heures dans le froid, pour L. Wacquant (2000) boxer, bouger, sauter, souffrir ! Oui, la sociologie et l’anthropologie sont des sports de combat10. Sur nos terrains nous mettons en jeu autant qu’en scène un engagement autant corporel que spirituel, une affectivité au sens neurobiologique du terme, c’est-à-dire qui lie directement affect et soma. L’affectivité est orientée vers le dehors tout en exprimant le dedans ; elle est à la fois réceptivité et activité ; elle met en jeu notre corps aussi bien que notre pensée. On peut dès lors considérer les émotions comme des actions ou des mouvements souvent visibles pour autrui, permettant d’évaluer l’environnement au-dedans et au dehors, et de répondre de façon adaptée, par le corps. Les sentiments sont ainsi sensations, pensées qui représentent le corps engagé dans un processus actif : on dit par exemple «

8 « Sensible » dans tous les sens du terme : d’après le Larousse, l’adjectif désigne à la fois ce qui peut-être perçu par les sens, ce qui est apte à éprouver perception et sensation, qui est particulièrement accessible à certaines expressions d’ordre intellectuel, moral, esthétique ; réceptif, mais aussi ce que l’on doit traiter avec une attention, une vigilance particulière. Les entretiens font en effet l’objet d’une perception autant sensorielle qu’intellectuelle et doivent être traités avec vigilance car ils peuvent être sources de conflits, incompréhensions, gênes voire dans les cas les plus extrêmes de procès ultérieurs !

9 Les techniques du corps selon Marcel Mauss : La technique pour reprendre les termes de Mauss est un « acte traditionnel efficace » : efficacité sociale des gestes, postures, usages d’un corps, qui façonne les êtres : l’utilisation même des techniques se fonde sur «trois éléments indissolublement mêlés » (1934:369) : « physiologique, psychologique et sociologique ». Ici c’est une technique qui s’acquiert par l’expérience, un véritable savoir-faire et savoir-être, « sens pratique » fondamental que doit acquérir le sociologue ou l’anthropologue –qui conditionne son identité professionnelle-. La situation d’entretien est un savoir-faire éminemment corporel où se joue une orientation et une lecture par le corps des enjeux sociaux : reconnaissance, distinction, stratégies, confiance selon les hexis de classe, selon comment l’on s’habille, se tient, parle etc… (Par exemple : Mauger, 1991 en milieu populaire ou Pinçon et Pinçon-Charlot, 1997 en milieu bourgeois)

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je me sens heureux » et non « je pense heureux ». Selon A. Damasio (professeur de neurosciences, neurologie et psychologie), les sentiments, seraient « l’indice de l’état vital au sein de chaque organisme humain vivant (…) : en particulier la joie et la tristesse peuvent inspirer la création, dans l’environnement physique et culturel, de conditions favorisant moins de douleur et davantage de bien-être pour la société.» (Damasio, 2003 :13). De nombreux neurobiologistes renversent aujourd’hui l’angle de la problématique classique où l’esprit guide le corps, en démontrant que l’esprit est modelé par le corps. Pourquoi en serait-il autrement d’une production intellectuelle telle que le savoir anthropologique ou sociologique ?

L’engagement corporel dans la recherche est donc notre outil de connaissance autant qu’il en est le résultat. En effet, on peut encore prendre pour exemple les incorporations et les façonnements réciproques entre les objets et les êtres, qui font l’objet de champs disciplinaires distincts en anthropologie comme en sociologie du corps, du sport et de la culture matérielle.

Les objets techniques comme les techniques du corps sont, dans ces domaines disciplinaires, à la fois des objets de recherches et des résultats de ces recherches. Si les objets et les corps ont parfois servis de simples prétextes pour parler de choses plus « dignes d’intérêt » que seraient les relations sociales ou les traditions culturelles, ils sont aujourd’hui de plus en plus étudiés en eux-mêmes comme opérés/opérateurs du social et des corps (les travaux sur la sociotechnique de Bruno Latour et Michel Callon bien sûr, mais aussi dans un angle différent ceux du groupe de recherche MàP11 initié par Jean-Pierre Warnier).

Dans la suite de la sociologie de la traduction (Latour, 1989), de l’habitus bourdieusien et des travaux de B. Lahire sur les dispositions (Lahire, 1998), des chercheurs comme Dominique Boullier (2004) ont proposé de désigner sous le terme d’ « habitèle » les extensions techniques externes attachées aux personnes. A partir de l’observation de ce que chacun porte avec lui (dans son sac, ses poches, son portefeuille) est établi le constat que tous ces objets prolongent la personne et marquent ses appartenances à divers mondes. L’ « habitèle » désigne alors ce qui relève de cette « compétence humaine à appareiller nos appartenances au point de s’en faire une nouvelle peau ». Le sujets sont socialisés « dedans » et équipés « dehors » : « l’homme pluriel » est équipé de choses plurielles et toute action sociale devient le résultat de ces interactions concrètes entre êtres et choses.

Ainsi l’apprentissage des techniques qu’elles soient uniquement corporelles ou médiatisées par des objets me semble nécessaire à tout terrain d’enquête. L’apprentissage par le corps12 du chercheur, le vécu de l’incorporation, permet de comprendre et surtout partager la relation ethnographique : là je suis d’accord avec le vieil adage « c’est en forgeant qu’on devient forgeron…. » Bien sûr, on voit là

11 MàP : avec Matières à Penser –CEAF, EHESS, « il s’agit d’analyser la manière dont toute activité humaine (tout pouvoir, toute “agency”) met en jeu des conduites motrices. Celles-ci sont indissociables de l’exercice des sept sens fonctionnant en intersensorialité, ainsi que d’affects. Il est impossible d’envisager séparément les cultures motrices et les cultures matérielles. » http://ceaf.ehess.fr/document.php?id=469 page consultée le 06/01/2013. (Warnier 1999, Julien et Warnier 1999, Julien et Rosselin 2005)

12 Cette expression vient se situer en complément d’une référence fameuse : « l’apprentissage par corps », titre d’un chapitre de Bourdieu dans les Méditations Pascaliennes (1997) : en effet, il ne s’agit pas seulement de constater et analyser l’incorporation sociale et culturelle, mais de voir aussi dans la relation ethnographique charnelle elle-même une source d’apprentissage et même de construction de connaissance, une activité productrice de sens.

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pointer son nez la sempiternelle question : où s’arrête-ton ? Doit-on se prostituer pour comprendre la prostitution ou se droguer pour comprendre l’addiction ?13...

Non bien sûr, cela n’a rien de systématique, puisqu’il ne s’agit pas non plus de tomber dans l’illusion inverse de l’objectivisme qui serait celle d’un subjectivisme complet, d’une immersion qui devienne une osmose parfaite avec son objet : là aussi l’on perdrait le sens même de la démarche ethnographique qui se joue dans la nécessaire altérité des partenaires de l’enquête. Le décalage est indispensable à la tenue du projet, à ce qui fait la richesse de cette science. Mais ce décalage doit être pensé à partir de l’expérience corporelle autant que de l’expérience intellectuelle du décentrement. En effet, le corps de l’ethnographe est à plusieurs titres son « outil » principal de travail.

Les natures de la relation d’enquête

L’entrée sur le terrain relève d’une complexe synergie entre perception et reconnaissance par la personne de l’ethnologue et par « le terrain ».

J’ai déjà travaillé ces dimensions dans un article paru en 2005, sous l’angle du genre. J’interroge l’impact du genre tant dans l’esprit et les choix de l’ethnologue que dans sa relation concrète avec les enquêtés. Dès la question du choix du terrain, il apparaissait que l’inclination naturelle des femmes pour « des terrains de femmes » et inversement, ne reposait pas simplement sur un évident caractère de facilitation de l’entrée sur le terrain, mais au contraire mettait en lumière toute une série de configurations sociales, imaginaires, symboliques, qui se jouent lors de la préparation du sujet d’étude puis dans la relation ethnographique.

L’évidence de la connivence féminine ou masculine, si elle s’est effectivement produite pour moi sur le terrain, m’est en fait apparue comme relevant non point d’une sorte de ressemblance par « nature » mais bien plutôt liée aux spécificités de cette rencontre et à ma personnalité, à mon « genre de personne » tout autant qu’à mon genre en tant que sexe social. Ainsi, travaillant sur un objet « exotique »14, loin de mes habitudes, pratiques et milieu de vie, les réunions de brodeuses autour d’un thé, les discussions dans la cuisine, le partage des recettes, les manières d’être autant que les manières de faire, bref, le cœur de la situation d’enquête, tout cela m’était familier. Plus encore, il apparaissait que cette familiarité était partagée par les femmes parmi lesquelles j’enquêtais, et que chacun(e) se sentait « à sa place ».

Cette complicité, réelle, qui semblait si évidente, ne l’était cependant pas du tout d’un point de vue anthropologique : il y a toujours une part de fantasme et d’idéalisation dans une telle relation fusionnelle, qu’il s’agisse par ailleurs d’une relation ethnographique ou pas, et qu’il me fallait donc distancier et analyser. Ce n’est en effet pas parce que nous sommes femmes, que nous sommes automatiquement complices : il n’y a pas d’enchaînement logique à cela, il y a surtout le désir de

13 Pour aller plus loin sur ces engagements problématiques sur le terrain on peut consulter : Cefaï D., et Amiraux V., « Les risques du métier. Engagements problématiques en sciences sociales » 2002 et Bourgois P., « Une nuit dans une shooting Gallery », 1992.

14 Je travaillais sur les usages contemporains d’un savoir-faire féminin traditionnel parmi les communautés autochtones du centre-ouest du Canada : le « travail en piquants de porc-épic » (Thèse de doctorat : Goyon, 2005).

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partager et même de se reconnaître dans l’autre. Bien que partageant donc un univers féminin, nous aurions pu demeurer des étrangères, nous aurions même pu être hostiles les unes aux autres.

Je me suis donc interrogée sur la nature de ce lien. Si, dans un premier temps, c’est le sexe biologique qui effectivement nous a permis de nous réunir et m’a « autorisée » à mener cette recherche (la pratique de la broderie demeure souvent très normée et réservée aux femmes), c’est bien, dans un second temps, le genre au sens de « sexe social » qui a fait véritablement exister la relation d’enquête : c’est parce que notamment nous nous trouvions assignées dans des lieux et des temps communs, autour d’une activité sociale genrée.

En effet, comme je le soulignais, « se sentir à sa place » et « être à sa place », c’est aussi se tenir là où l’on attend de vous que vous vous teniez, c’est respecter un code, se fondre dans la norme et donc ses espaces et temporalités spécifiquement sexuées15. Comme l’a souligné Max Weber, «le cours des choses devient nature lorsque nous ne nous interrogeons pas sur son sens». Socialisation et inculturation s’inscrivent dans les corps tout autant que dans les esprits, et c’est précisément ce lien de « nature », incorporé qui a créé pour moi la possibilité d’une entrée -et d’un maintien !- sur le terrain. Mon corps et leurs corps se sont reconnus dans les espaces sociaux que nous avons arpentés et construits ensemble à partir d’un vécu commun de l’incorporation des normes de genre.

Cependant ces premières explications ne m’ont pas semblé suffisantes pour expliquer complètement la nature des liens si forts qui m’ont unie à mon terrain. Je me suis alors également interrogée sur le« genre de personne » que j’étais, comme une variable, elle aussi digne d’un exercice réflexif. A ce titre mon expérience personnelle renvoyait à chaque chercheur sur son terrain, et comme chacun dans sa vie privée est un genre de personne particulier, il m’est apparu qu’il n’y avait donc aucune substituabilité possible d’un expérimentateur à un autre dans le domaine de la recherche empirique en sciences sociales. Notre aspect physique, nos manières, nos goûts, nos accents dans les langues empruntées ou « maternelles », tout cela bien sûr participe à construire un objet de recherche spécifique et dit de nous, mais surtout sera interprété, catalogué, hiérarchisé par les « enquêtés » : cette « alchimie », cette étrange cuisine de la rencontre produira un terrain et des résultats uniques. Il n’est ainsi pas seulement question d’une « maîtrise des outils d’enquête » apprise dans les manuels et cours suivis par l’ethnographe, ou même de la capacité à créer les « conditions favorables » à cette « récolte de données », mais bien aussi de saisir la personne de l’ethnographe et les relations qu’il est susceptible (ou non) de construire16. En effet, les « enquêtés » eux-aussi mènent l’enquête, à la différence qu’ils administrent parfois aussi la sentence : les indices mènent à une « condamnation », assignent une place, un rôle dont il sera bien difficile de se départir, que celui-ci soit positif ou négatif (Schwartz, 2002). Et ces indices sont de l’ordre du corps, du sensible, de la présence et de l’action. Plus que ce que nous disons, c’est ce que nous faisons ou ne faisons pas, ce que notre corps laisse à voir ou cache, qui est passé au crible des enjeux sociaux et des catégories culturelles « indigènes ». Sur le terrain, nous produisons, nous sommes produits et nous coproduisons.

Maurice Godelier, non sans s’inscrire dans une certaine tradition structuraliste vis-à-vis de la posture extérieure du chercheur sur le terrain, avance que les ethnographes doivent construire un « moi

15 Voir l’article d’Odile Journet-Diallo, « Catégories de genre et relation ethnographique » in Danielle Jonckers, Renée Carré et Marie-Claude Dupré (ed), Femmes plurielles. Les représentations des femmes : discours, normes

et conduites, Paris, Ed. de la Maison des Sciences de l’Homme, 1999, pp.21-28.

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cognitif » dans le cadre de cette condition très spécifique de production de connaissance qu’est la relation ethnographique. Pour le citer, « se décentrer ne suffit pas, il faut en plus être capable de mener des enquêtes avec autrui sur son mode de vie et ses façons de penser et d’agir. Ces enquêtes impliquent la construction chez l’ethnologue d’un Moi cognitif, qui se distingue et se décentre par un effort permanent de son Moi social et de son Moi intime. » (Godelier, 2007). Se distinguer et se décentrer certes, mais sans pour autant nier ou rejeter ses autres « moi » hors du processus scientifique...

L’enquête est donc un travail à bien des égards : travail rémunéré (parfois !), travail académique, raison sociale, travail de production puis d’analyse des données ou matériaux, mais aussi travail de soi par les autres comme par l’environnement17 et travail de soi sur soi.

En finir avec l’illusion positiviste

Dès les origines des disciplines anthropologique et sociologique, le principe est établi : « Il faut rompre avec le sens commun » disent à leur façon Mauss comme Durkheim. Or, ce sens commun ne pousse-t-il pas dans le contexte occidental à, si ce n’est opposer, en tout cas à séparer corps et esprit ?

Si l’on admet que la posture anthropologique repose sur ce premier postulat, alors il faudrait rompre également avec l’opposition vaine et stérile, voire contre productive et trompeuse, entre les affects et l’intellect, couper court à cet arbitraire du vieux débat raison/passion, corps/esprit.

Facile à dire, moins facile à faire me dira-t-on. Oui, d’autant que les mêmes maîtres à penser (même si « de l’eau a coulé sous les ponts » et que bien des opposants brillants ont construit d’autres paradigmes épistémologiques) ont également introduit un fort positivisme et objectivisme dans ces mêmes racines disciplinaires… Entre Durkheim qui appelle à « traiter les faits sociaux comme des choses » et Mauss qui précise dans ses cours regroupés dans le « Manuel d’ethnographie » (1947) que « l’intuition ne tient aucune place dans la science ethnologique, science de constatations et de statistiques » même s’il atténue un peu plus loin « Non que l’intuition d’une part, la théorie de l’autre, soient inutiles ici ; mais leur emploi doit être limité, il faut en connaître la valeur et les dangers » (1967 : 8), l’entrée en scientificité exige donc prudence et méfiance vis-à-vis du corps et des sens.

Alors comment travailler à redonner sa place au corps ? Il s’agit en effet d’une entreprise complexe où, au lieu de multiplier les subterfuges et dispositifs permettant d’ « objectiver » ce qui relève -dans nos conceptions occidentales- du contingent, du subjectif, de l’invérifiable puisque de l’expérience sensible, d’accepter au contraire ce sensible non seulement comme un matériau digne d’intérêt, mais encore comme capable d’ « expliquer » le social.

Mais enfin le corps c’est nous ! Notre connaissance par corps c’est notre connaissance tout court ! La recherche en sciences sociales relève de la logique de l’engagement, notamment corporel. L’engagement repose en grande partie sur l’idée d’investissement avec ses coûts et ses rétributions

17 Les conditions de l’enquête ne sont pas que sociales ! Il ne faudrait pas négliger l’impact des conditions matérielles d’existence et des conditions environnementales sur le processus : chaud, froid, maladies, faune plus ou moins accueillante, « acclimatation » plus ou moins violente à la nourriture locale etc…

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(Gaxie, 1977) qu’il faut entendre sous toutes ses dimensions : politique, morale, socio-économique, charnelle ou même psychanalytique.

Des chercheurs, sociologues et ethnologues, dont l’un des exemples le plus emblématique reste je crois celui de Loïc Wacquant avec la boxe (2000), se sont aventurés sur ce terrain et ont assumé l’activité charnelle d’investigation et de compréhension de l’objet, qu’ils ont investi. Ils ont engagé leur corps autant que leurs principes méthodologiques et philosophiques dans la relation ethnographique et plus encore dans l’analyse socio-anthropologique des productions et coproductions réalisées sur le terrain. Quand Wacquant boxe ou quand de façon moins épuisante et spectaculaire je brode, nous « nous mettons à l’ouvrage », nous nous impliquons dans le processus créateur en mobilisant un corps non encore façonné par les contraintes sociales et idéaux culturels spécifiquement associés à ces savoir-faire qui sont des savoir-être18. Nous nous mettons en « danger », nous nous blessons, nous nous perfectionnons, nous acquérons une endurance, nous éprouvons et constituons une hexis qui sera fondamentale pour élaborer ensuite le texte socio-anthropologique. Et entre les cordes ou l’aiguille à la main, il faut à un moment donné que « votre corps pense pour vous », que l’incorporation du savoir-faire-être joue son rôle, que viennent les « automatismes » qu’évoquent autant le sportif que l’ouvrier d’une chaîne ou le menuisier artisanal, expressions toutes symboliques du paradoxe qui d’une part nous pousse à sortir d’un langage fragmentant l’être, mais aussi nous resitue frontalement l’expérience charnelle comme actrice du sociale, sans médiation intellectuelle systématique. Le corps du chercheur doit devenir « méthode immersive » (Andrieu et alii, 2011), producteur d’un savoir scientifique inscrit dans une dynamique de reconnaissance autant que de connaissance.

Pour parvenir à dépasser cette dichotomie inféconde du langage, comme Wacquant le propose dans sa sociologie, le corps des acteurs sociaux doit donc être pensé et considéré comme producteur, à tous les moments de la vie sociale et pas seulement dans les pratiques directement repérées comme sensuelles (comme le sport ou même les savoir-faire artisanaux).

François Laplantine propose également sous la terminologie d’« anthropologie modale » de ne pas omettre, dans l’appréhension intelligible du social, la fluidité du sensible, le vécu émotif et corporel des individus, les vibrations du mouvant, les modifications en acte y compris les genèses, maturations et déclins. Il affirme ainsi qu’il existe « un caractère physique de la pensée en train de se faire » (Laplantine, 2005 :9) et donc pas de coupure radicale entre l’intelligible et le sensible. «L’expérience du terrain est une expérience de partage du sensible » (2005 : 11).

La sociologie et l’anthropologie réflexive ont donc fait le travail salutaire d’analyse des conditions de production scientifique et affirmé qu’il fallait donner à voir et à critiquer les conditions de la production des données (la boîte noire de la recherche c’est-à-dire l’arrière cuisine sociale, politique, économique, contextuelle) pour atteindre si ce n’est l’objectivité en tout cas une plus grande honnêteté intellectuelle (Ghasarian et alii, 2002 ; Fassin et alii, 1997). Cependant, l’objectivité demeure encore pour de nombreux chercheurs la voie royale vers « la » connaissance complète. Or, il me semble que là aussi l’on confond encore trop souvent nécessaire objectivation et désir

18 Wacquant affirme qu’il cherchait aussi dans cette expérience à comprendre comment se produit et se construit un agent social « compétent et appétent » (Lahire 1998), c’est-à-dire doté des capacités d’agir, de sentir et de penser adéquates à l’univers dans lequel il se trouve » (Interview de L. Wacquant, Solidarités, juin 2003)

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d’objectivité. La première ne doit pas conduire à croire en la deuxième… Il me semble en effet que le chemin ici s’avère plus important que la destination, car la destination relève souvent d’une chimère et le chemin est rarement linéaire. Il s’agit bien de replacer l’émergence de la connaissance socio-anthropologique au fil d’un parcours ne devant sombrer ni dans l’illusion d’un tout descriptif signifiant, ni dans l’illusion inverse d’un tout structuraliste réaliste.

Bourdieu affirmait dans « Le sens pratique » (1980), que la pratique rituelle, comme la plupart des pratiques, est une gymnastique symbolique, dans laquelle le corps pense pour nous : je crois qu’il en va ainsi également d’une grande part de la pratique d’enquête. Loin de constituer un biais, objectivée et surtout assumée, cette dimension corporelle de l’expérience scientifique me semble donc devoir être réaffirmée comme le cœur battant de l’entreprise sociologique et anthropologique.

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