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La parole est au plan : Le Corbusier comparé

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La parole est au plan : Le Corbusier comparé

Jean-Didier Laforgue

To cite this version:

Jean-Didier Laforgue. La parole est au plan : Le Corbusier comparé. Lieux Communs - Les Cahiers

du LAUA, LAUA (Langages, Actions Urbaines, Altérités - Ecole Nationale Supérieure d’Architecture

de Nantes), 2002, Lire et dire l’architecture, pp.83-114. �hal-03174500�

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j e a n-d i d i e r La f o r g u e

[a parole est au plan : Le Corbusier comparé

L

orsque R. Hoddé m'a demandé d'aborder dans le cadre des Cahiers du LAUA la question de l'usage et des rela­ tions établies par un bâtiment avec son contexte, j'ai pensé qu'il s'agissait de deux questions centrales de notre pratique. Mais dans un second temps j'a i compris qu'en fa it, s'il me posait cette question c'est que leur enseignement n'allait pas de soit e t qu'une architecture du sujet restait dominée par une architecture de l'objet, malgré les œuvres exceptionnelles de la première, malgré l'uniform ité et les catastrophes urbaines générées par la seconde.

Pourtant to u t un chacun peut faire quotidiennement le constat du chaos induit par la plupart des espaces nouveaux bâtis dans nos villes. Celui-ci, par sa répétition ne peut-être considéré comme un simple accident mais bien comme le fru it d'un processus qui a une origine. De notre point de vue, mais c'est un point de vue largement partagé, cette origine se situe au moment où l'architecture s'autonomise à la fois de la ville (son contexte) et de l'homme (son sujet).

La première qualité que l'on demande à un architecte devrait être son empathie vers autrui et sa capacité à comprendre et à compléter l'espace dans lequel i l intervient, un peu comme un détective dénoue une intrigue. Par ce jeu avec les contraintes décodées, il ne devrait plus y avoir d'archi­ tecture de l'objet possible. Or, mon sentiment est que ce qui fa it écran à cette pratique, e t par conséquent les difficultés

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d'une profession à évoluer, trouve véritablement son o rigi­ ne dans la diffusion généralisée de la pensée dogmatique d'un homme érigé en modèle : Le Corbusier. Le Corbusier ne fu t pas le seul ni peut-être le premier, mais hors d'atteinte de la critique, il incarne, porte et joue le rôle de garant de cette conception autonome qu'on appelle toujours « moderne » 70 ans après. Est-ce parce qu'il n'est l'auteur que de chefs d'œuvre qui échappent à toute critique ? Ou a urait-il été seulement l'initiateur d'un système rassurant pour « penser » l'architecture, là où d'autres réinventaient en fonction de paramètres nouveaux des projets à chaque fois différents ? Pour vérifier cette hypothèse, nous allons procéder par éva­ luations comparées à partir de problématiques d'usage et de contexte, de projets de Le Corbusier (et de ses propres com­ mentaires 1) et de différentes réalisations d'architectes du XXe siècle2 sur des programmes et échelles proches. Nous procéde­ rons en trois chapitres distincts permettant d'éclairer : - Séquence 1 : le rapport au contexte, « les signes de l'exis­ ta nt », en comparant la petite maison du lac Léman avec la maison des Mallet de Lutyens, le plan de Saint-Dié et de l'îlot insalubre n°6 à Paris avec les extensions de Vienne en 1930. - Séquence 2 : les échelles, par l' « emboîtement des échelles » en comparant le Palais de la Société des Nations à Genève, le Centre culturel à Orsay, Paris e t le musée à croissance illim ité e avec les projets de musée à Stuttgard de Stirling, les logements de De Kerk à Amsterdam, et l'école de Glasgow de Mackintosh.

f- Séquence 3 : la notion de modernité en architecture en comparant la villa à Garches avec la maison de verre de Chareau à Paris.

Un d ia g n o s t ic d y n a m iq u e

Ce déplacement dans le sens de la recherche des formes adaptées à partir d'une analyse des usages et du contexte est en rupture avec les pratiques académiques de l'architecte, pratiques que prolonge en France le mouvement fonctionna­ liste moderne. En fa it ce qui distingue une pratique fondée sur la compréhension de l'usage et du contexte de l'acadé­ misme est essentiellement lié à une forme de bienveillance, d'adaptation, d'empathie, à l'opposé de ce que G. Bardet appelle polim ent dès 1948 « les brutalités du surhomme Le Corbusier ». Là où l'on agira par agglomération productrice

( 1 ) Pour l’ensemble des projets de Le Corbusier, nous nous référerons unique­ m ent à son œuvre c o m p lè te : Le

Corbusier 1910 - 1965, Editions d’archi­

te cture de Zurich, en précisant à chaque fois les pages où tro u ve r les plans de l’exemple analysé.

( 2 ) Chaque p ro je t f a it l’o b je t de croquis (réalisés par l’auteur) ou de plans réfé­ rencés illu s tra n t le p o in t développé dans le texte.

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de complexité et de diversité de lecture, un fonctionnaliste agira par sim plification, homogénéité et totalitarism e; on pourrait citer comme exemple (mais nous y reviendrons) la conception d'une simple main courante, vulgaire tube rond, désagréable au toucher chez Le Corbusier, délicat lieu de projet bois e t métal chez Chareau, réglant les vues en m ontant l'escalier et en étant assis dans le salon par une « grille moucharabieh », prenant en compte les effets de lim ite et le sentiment de vertige par un garde-corps qui se fa it « meuble » épais côté salon, l'association d'autres usages (tablettes, bibliothèque basse, rangement) m u lti­ pliant les niveaux de lecture d'un espace. Par ce premier exemple, on peut déjà vérifier que ce qui distingue « les deux approches » ta n t d'un point de vue conceptuel que formel, se fa it bien autour de la notion de diagnostic, c'est à dire autour de l'énergie et de la compétence que le concepteur met à déchiffrer des signes préexistants à son intervention et les attentes de ses utilisateurs, inform a­ tions qui ne sont pas immédiatement évidentes d'une part, et qui d'autre part nécessitent d'être soumises à la discus­ sion pour vérification / développement / validation.

Sé q u e n c e 1 : Less ig n e s de l'e x is t a n t

Aller sur place n'est pas suffisant, encore fa u t-il échanger, décoder des signes et les qualifier. Or, ces signes peuvent être interprétés différemment en fonction de la situation. Comme le précise P. Séchet, « si on fa it un parallèle avec la médecine suivant la manière dont les signes se rattachent à la personne, un cas peut être grave si le patient est faible, mais s'il est fo rt le diagnostic en est évidemment changé. Cela signifie qu'il est im portant d'analyser les atouts (même dans une situation désespérante) en même temps que de développer un sens critique (et à l'intérieur d'une analyse critique, de repérer ce qui dysfonctionne de ce qui dysfonc- tionne moins) ». En effet, si on développe seulement les aspects critiques, on peut rapidement conclure que rien ne marche, qu'il faut repartir à zéro. Et c'est en ayant oublié de s'appuyer sur les atouts existants et sur la façon dont ils se construisent que l'on reproduira les mêmes contresens. R. Hoddé analyse comment Aalto montre des signes constants d'analyse critique dans sa conception. A Paimo,

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son empathie vers autrui, sa manière de se « mettre à la place de » le conduit par exemple à imaginer pour les lits du sanatorium des fenêtres basses permettant de voir le jardin commun lorsqu'on est allongé, des plafonds variés et chaleureux animant la vue d'un malade alité, des courants d'air chauds par une chicane d'ouvrants enserrant un vide chauffé... Dans un contexte identique (hôpital de Venise) Le Corbusier é crit : « une solution toute nouvelle (pour un malade entièrement nouveau ?) a été donnée aux chambres des malades : une cellule sans fenêtre à vue directe, la lumière pénètre par des hauts jours latéraux qui régularisent les effets du soleil. Le jo u r est régulier; il en est de même pour la température ambiante. Ainsi les malades ont le sen­ tim en t d'être agréablement isolés ». L'enflure du langage est proportionnelle à l'inadaptation d'un projet à la situation de frag ilité e t au sentiment d'abandon du malade.

Étudions maintenant plus précisément comment Le Corbusier aborde un site et décline les usages spécifiques dans le cadre d'une petite maison pour sa mère au bord du lac Léman, et dans le cas de projets urbains à Saint-Dié et à Paris.

Le Corbusier, petite villa au bord du Léman (p. 38, 39, 40, 41)

« On a procédé contrairement aux usages. On a établi les plans rigoureux de la maison, véritable petite machine à habiter. Puis le plan en poche, on est allé chercher le terrain. Cette petite maison de 60 m2 dispose d'une perspective de 14 m, et d'une fenêtre de 11m de long. Le plan en poche, on est allé chercher le terrain ».

La proposition de gommer l'existant in d u it un type de projet abstrait, contredisant l'usage d'un espace dans un site exceptionnel. Construite pour une vieille femme (sa mère), cette maison n'a aucun accès direct au jardin à cause de sa fenêtre en bande. Telle une caravane, elle est posée au m ilieu d'un terrain qu'elle ne qualifie pas. Ignorant le territoire, Le Corbusier ne traite pas davantage les problèmes d'usage liés à l'habitat d'une personne âgée. Sans cloison­ nement (plan libre), la maison ne dispose d'aucune zone d 'intim ité (rideau entre séjour et chambre pour « la fenêtre en bande de 11 m de long », qui se termine par un lavabo !, la « salle de bains » étant une baignoire dans la chambre...).

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Les photos montrent une maison pratiquement sans meuble, la fenêtre en bande sur toute la longueur et le manque de cloisons la rendant pratiquement immeublable. Elle ne dis­ pose pas davantage de coin repas à proximité de la cuisine elle-même tournée contre le mur côté rue, ce qui oblige à traverser la moitié de la maison pour déjeuner....

Ce parti pris de réfléchir sans existant, d'aborder le projet à partir d'idées autonomes et non à partir d'un diagnostic, loin de libérer la création, la détourne vers des idées abstraites qui n'ont plus rien à voir avec une architecture qui s'adresse au sujet. C'est une attitude consistant à ne jamais réinterroger ses propositions et ses positions (on ignore jusqu'au point de vue de sa mère) qui prévaut chez Le Corbusier, non seulement à l'échelle d'une maison, mais également à celle d'une ville.

Le Corbusier, Pian de Saint-Dié (p.338, 339)

« L'avenir de la ville se situe hors la ville. Le centre des villes est malade mortellement, leur pourtour est rongé comme par une vermine ».

L'histoire de la ville n'est pas celle des gens, elle n'est pas celle de ses subtils agencements. A Saint-Dié, de l'ancienne ville Le Corbusier ne conserve qu'un monument (déjà le cas du plan Voisin qui conservait la porte Saint-Denis et rasait le Marais...). A côté, sur un espace plat, i l rectifie le cours d'eau et se détache du site... I l pose un quadrillage auto­ nome à l'usage des automobiles, mal raccordé aux tracés : chicane dans l'axe du pont, double rond-point décalé avec la ville ancienne, voies à angle droit, etc. L'absence de hié­ rarchie et de connexion in d u it une confusion des flux. La séparation voitures / piétons conduit à de véritables auto­ routes urbaines qui desservent mal les espaces résidentiels et délim itent de vastes espaces résiduels où flo tte n t des monuments isolés. Aucune déformation, pour s'adapter aux courbes de niveaux, aux vues, à l'existant, aux rapports des voies avec le bâti, etc. n'est tolérée induisant ainsi une d if­ ficulté à se repérer et à comprendre l'organisation de l'es­ pace, et une grande violence paysagère. Pour les piétons, un grandiose espace public minéral (400 m x 200 m soit la place de la Concorde) rassemble les équipements seulement accessibles à pied en franchissant les voies automobiles par de gigantesques passerelles. Cet espace est distant de 500 m

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à 1 km (15 mn à pied pour Le Corbusier, pour qui il est vrai tous les hommes mesurent 1,83 m et 2,26 m en levant le bras...) des premières barres d'unité d'habitation vivant en autarcie sur leurs rues intérieures... Sur son vaste espace public, Le Corbusier plaque ses objets étudiés ailleurs (mais réalisables n'importe où) : Musée sans fin, Palais des Soviets, Bâtiment d'administration, Unités d'habitation, Centre commercial... Des « usines vertes » (voir le projet de la fabrique de Saint-Dié), « constituées d'éléments (béton) standard types, constitueront un front éminent de la ville d'environ 1200 m » !

Ce « projet urbain » appelle plusieurs remarques :

- La première est que l'organisation ne tie n t que par la géo­ métrie. Or la géométrie ne permet pas de penser toutes les dimensions de l'espace. A Saint-Dié, comme dans de nom­ breux quartiers d'habitat social (on pense au Mont-Mesly, à Surville, etc.) to u t se déduit géométriquement et pourtant l'espace est porteur de chaos. Le Corbusier refuse d'intégrer le site, de dépasser la pauvreté géométrique de la forme gérée par les seules lois de l'orthogonalité et de la symétrie. Les distances sont immenses ; les espaces vides, jalonnés d'immeubles identiques, se valent. Le site n'est qu'un sup­ port sur lequel Le Corbusier essaye de faire cohabiter ses « idées » de projets sans lien : i l coupe arbitrairement et sans rationalité entre public et privé (les couloirs hectomé- triques sont des rues, les écoles sont sur les toits, les espaces publics sont administratifs, isolés de toute densité d'habitation, sans commerce et sans accès automobiles...). - La deuxième est que selon Le Corbusier, plus l'échelle d'in­ tervention est grande, plus elle est structurante. Or, i l est bien évidemment au contraire qu'en tra ita n t les transitions permettant d'articuler les logiques territoriales avec les logiques locales plus fines, on parvient à redonner de la cohérence et du sens aux interventions à grande échelle : un ensemble de sentes, utilisées quotidiennement, bien rac­ cordées à des rues variées conduisant progressivement vers d'autres réseaux, est bien évidemment plus structurant et appropriable que le maillage géométrique lointain de réseaux régionaux. Le Corbusier agit sans le compréhension de l'articulation des échelles et des conséquences humaines de ses propositions: au regard du plan de Saint-Dié, imagi­ nons être un habitant nous déplaçant du vaste espace public bureaucratique à plusieurs centaines de mètres vers notre logement, pour rejoindre notre immeuble dans les

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courants d'air des pilotis (effet Venturi), faire nos courses dans la « rue » (couloir hectométrique) à l'étage au-dessous de notre logement, et aller chercher nos enfants sur le to it terrasse en béton de l'école à 30 m au-dessus du sol...

Le Corbusier, Ilo t n°6 insalubre à Paris (p.322, 323)

« Seules de larges méthodes peuvent être efficaces. Un plan urbain ne peut être juste que s'il est dicté par les conditions régionales qui sont elles mêmes fonction des conditions nationales. L'îlot insalubre n°6 constitue une démonstration éloquente d'une solution raisonnable ».

L'aspect radical du plan de Saint-Dié ne s'explique pas seu­ lement par les conditions exceptionnelles liées aux destruc­ tions de la guerre. C'est une application de plus des théories fonctionnalistes. Chaque intervention débute par une table rase. « Un plan urbain ne peut être juste que s'il est dicté par les conditions régionales qui sont elles mêmes fonction des conditions nationales », etc. Ce qui paraît de l'ordre du déductif, de la prise en compte de l'emboîtement des échelles, est détourné vers les échelles abstraites qui ne portent plus de sens pour l'habité et pour la qualification concrète des espaces. Ainsi, au cœur de Paris (place Voltaire, la Roquette), une voie rapide de 150 m de large (à quel usage, qui irrigue quoi et aboutit où ? mystérieux enjeu) aux limites floues e t résiduelles (le très interven­ tionniste Haussmann lui-même prenait la peine de retourner les façades sur les nouveaux tracés en les articulant avec l'existant). Des barres en manivelle et redents nord/sud orthogonaux de 300 à 500 m de long sur une quinzaine de niveaux, des espaces résiduels gigantesques entre les tracés anciens et les implantations nouvelles, occupés par des complexes sportifs et un saupoudrage naïf de verdure, dévo­ rent sans compter l'espace au cœur de Paris illustrant les limites de la rationalité. Le refus de l'articulation est érigé en dogme : la ville traditionnelle étant condamnée à dispa­ raître, les tissus anciens ne demeurent qu'en suspens : ils ne m éritent aucune attention. Les continuités viaires sont interrompues (Ledru-Rollin passe sous une barre !). Le fo rt redécoupage et la hiérarchisation qui permettent aujour­ d'hui au tissu parisien de ne pas être totalem ent asphyxié (contrairement à la Défense par exemple), de disposer de

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linéaire de stationnements, de commerces, etc. est suppri­ mé au p ro fit d'infrastructures démesurées, gage sans doute de modernité. La comparaison avec l'existant souligne l'aspect réducteur et inopérant de la pensée corbuséenne. La mono­ fonctionnalité remplace une m ixité originale qui, ironie pour« une proposition moderne » visant à la remplacer, per­ dure encore en l'an 2000 (cours de l'industrie)... Échelles locales, hiérarchies, connaissances des spécificités locales (tan t sociales que spatiales) à l'intérieur des limites résul­ tantes, dont la validité urbaine n'est pas vérifiée, dans l'îlo t 6 to u t disparaît: l'insalubrité a bon dos et la logique proli­ férante ne s'arrête que provisoirement au point que même les CIAM e t Giedion sollicités refuseront de le soutenir ! Or, à l'échelle de la maison, de l'îlo t ou de la ville, des expé­ riences, dont fo rt peu sont aujourd'hui étudiées, s'étaient construites en dialectique entre la continuité et l'évolution de la société.

Edwin Lutyens, Maison Mallet à Varengeville

La démarche consiste ici, to u t en conservant une ancienne maison, à intervenir ponctuellement sur celle-ci (pavillon de musique, escaliers, terrasses et belvédère, entrée, chemi­ nées, murs, pergolas...) d'une part pour en fa cilite r l'usage nouveau souhaité par le propriétaire, d'autre part pour qu'elle mette en scène le déroulement de paysages contras­ tés, route de campagne d'un côté, vue sur mer de l'autre. La maison se situe vers le sud de la parcelle dont Lutyens va chercher les lim ites, e t non au milieu indifférencié d'un terrain comme chez Le Corbusier (Lac Léman, Garches, Savoye à Poissy...). Elle participe aux principes des transi­ tions successives depuis la vue à travers la maison jusqu'à la mer, du village au grand paysage. La rue est rythmée par des porches en lim ite, disparaissant une fois franchis, pour récupérer parallèlement à la rue une grande promenade lon­ geant la maison, rassemblant et traversant des espaces aux ambiances contrastées (jardin clos, accès voiture, roseraie, massifs / pelouse...) induits par les programmes des diffé­ rentes pièces contiguës (salon de musique, hall, bureau...). Tenue par des perspectives cette composition fragmentée de jardins sériels fermés (sans vue) au soleil, nous conduit à un vaste plat rectangulaire suspendu au-dessus d'une clairière descendant vers la mer. Cet espace brusquement ouvert, en

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tension avec les expériences précédentes, et géré par une façade dont l'échelle a été augmentée par rapport à la façade rue notamment en affirm ant les horizontales (plus de redé­ coupage mais au contraire les grandes dimensions des toits, des percements, escaliers et soubassements, le rythme régu­ lier des baies). Cette vaste terrasse, qui forme un belvédère et sur laquelle s'ouvrent tous les espaces de vie, organise une communication parallèle supplémentaire. Un jardin libre, cadrant le paysage suivant des angles variés à partir des grands arbres, soit vers la maison ou une de ses parties, soit vers la mer, construit la dernière transition vers l'in fini. La conservation des bâtis, des végétaux et le dialogue avec le paysage ont permis l'organisation d'un point de vue esthétique commun, partagé par le propriétaire, permettant de s'appuyer sur des problèmes d'usages spécifiques pour enrichir la conception :

- gestion des accès extérieurs vers le salon de musique en évitant les jardins et pièces de vie grâce à une promenade apparemment centrale et en fa it autonome ;

- emboîtement des espaces de vie communs pouvant se transformer en espaces de réception ;

- proximité immédiate cuisine / cour de services / potager savamment intégrés (potager et pavillon de jardin), masqués (cour en creux de laquelle notre regard est détourné par un vaste banc en hémicycle faisant « eye-catcher », littéralement « attrape-regard »), ou mis en scène (la vue plus lointaine du pignon - ligne de ciel - est traitée de manière noble)... Comparons le traitem ent de l'accès voiture avec la villa Savoye (p.58, 59). En faisant tourner la voiture autour d'un maison trônant au centre du terrain, le mode de traitem ent fonctionnaliste retenu par Le Corbusier annule d'un coup to u t usage du jardin pour les quatre façades de la maison, et l'u tilisa tion de l'ensemble du rez-de-chaussée pour to ut autre usage que celui de pouvoir circuler (gravier, portes de garages, stationnement, voirie d'accès et forme arrondie dans l'ombre sous le porte-à-faux périphérique...). Pour Lutyens, cette même contrainte est traitée en différentes séquences de manière à s'intégrer, à participer au fonction­ nement et à la perception d'autres programmes. Tout d'abord comme allée de jardin, après le franchissement d'un porche, en disposant de bordures menant à un espace rond.

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Cet espace noble du porche règle d'une part le problème de la voiture en permettant le demi-tour, d'autre part révèle une perspective perpendiculaire traversante annonçant la promenade. I l sert enfin d'assise à la façade d'entrée abri­ ta n t en haut de l'escalier un p e tit salon extérieur. Celui-ci ouvre ensuite sur le hall d'où la vue s'étend en diagonale sur la gauche à travers le salon vers la mer, in v ita n t à glisser vers le salon de musique latéral. Cet accès voiture construit une des multiples séquences dans le principe plastique de transition village / paysage, et de dialectique bâti / végétal retenu par Lutyens et Mr Mallet. I l illustre, comme chez Chareau, le type de diagnostic sur l'usage et sur le contexte existant nécessaire pour permettre à un même espace d'avoir différentes lectures, à un projet d'être rigoureuse­ ment adapté à son contexte physique et de production.

École de Vienne, Bebelhof. Schmidt-Aichinger

De la même manière, dans la Vienne socialiste de 1919 à 1933, le point de vue politique qui préside au développe­ ment est d'ériger des espaces pour des populations nou­ velles mais en continuité avec la ville aristocratique et bourgeoise. Les espaces et les bâtiments nouveaux partici­ pent à l'embellissement de la ville et à son fonctionnement. Ces espaces sont donc aussi composés que les espaces tra­ ditionnels, mais ils accueillent en outre des services et des dispositions spécifiques liés aux besoins d'une classe nou­ velle. En complétant les anciens îlots non achevés, les prin­ cipes de composition et les enchaînements sont confirmés, les gabarits sont conservés de même que les prospects. Les angles ou les axes de rues reçoivent des traitements plus fouillés, voire monumentaux à l'instar de la ville ancienne. Les nouveaux quartiers se fondent aux anciens, dialogue et non confrontation bénéficiant de leur richesse d'échanges et ne s'en distinguent que par des valeurs d'usages propres valorisant les nouvelles problématiques. Ainsi, les cœurs d'îlots, au lieu d'être saturés de courettes de service, sont des jardins communs autour desquels courent des balcons sur les façades est/sud/ouest, la façade nord étant occupée par des équipements (sud sur rue). Les accès aux logements m ultipliés par la réduction des surfaces par famille se font par 1e jardin, un passage couvert monumental organisant l'interface e t le changement d'échelle depuis la rue et

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évoque les porches anciens. Les programmes publics inté ­ grés liés à l'éducation, d'accès immédiat, construisent une animation urbaine servie par des espaces publics (place, square, jardin, avenue plantée...).

Cette dialectique de la continuité du contexte et de l'usage to u t en produisant des formes régénérées, évite les effets déstructurants du zonage et de la ségrégation pour la ville comme pour la société. A. Loos, dont toutes les déclarations ne sont pas bonnes à prendre (« l'ornement est un crime » !...), expliquait lui-même que lorsque la tradition correspondait toujours à des besoins, i l ne fa lla it pas la supprimer : elle permet de conserver à la ville son originalité, son histoire, ses valeurs de m ixité et d'intégration, et c'est à partir d'atouts repérés qu'on développe des innovations répondant à des problèmes de vie précis.

Sé q u e n c e 2 : L 'e m b o ît e m e n t des é c h e l l e s

Nous avons commencé à voir que connaître et apprécier le rôle de l’existant nécessite de recueillir des informations aux différentes échelles qui construisent le site de l'intervention : de l'environnement large aux espaces de proximité, des espaces collectifs (dedans / dehors, public / privé) au loge­ ment. On repère les échelles constitutives du territoire, leurs hiérarchies, les dessertes, on qualifie les différentes limites, ainsi que les logiques des typo-morphologies locales, des programmes et des modes d'appropriation, etc. En inscrivant l'ensemble de ces informations dans le projet, on lui donne d'une part un sens et une pertinence en l'articulant avec son contexte, et on lui confère d'autre part une plastique mou­ vante, tenant un rôle en différents points et se transformant dans le déplacement en construisant avec les limites et l'existant un jeu de séquences, d'ambiances contrastées. C'est en organisant ces limites, les hiérarchies et les transi­ tions, que l'on évite la production d'objets isolés et que l'on aide à l'émergence d'une cohérence à l'échelle urbaine. A ce titre , on pourrait également évoquer les multiples échelles inscrites dans les hôtels de ville flamands. Leurs arcades rythm ent l'espace clos de la place. Leurs façades fo nt jouer des modénatures et des proportions à une échelle supérieure indiquant sa fonction. Leurs pignons sont spéci­ fiquement dessinés pour participer au paysage des ruelles

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to u t en Lançant la séquence de la place. Leur tour fonctionne à l'échelle de la ville (les percements augmentant pour rester à l'échelle des vues de plus en plus lointaines) et s'insère dans la composition suivant des modalités variées : Bruges, Bruxelles ou Arras gèrent différemment ces articulations entre les perceptions variées d'un même bâtiment, les champs de forces contradictoires qui traversent la composi­ tio n . Lorsque les principes ne sont pas des codes figés, le concepteur dispose d'espaces de création immenses, dyna­ miques, comme en témoignent les exemples de l'Alhambra de Grenade, de Borromini à l'église des Quatre fontaines à Rome, de Le Vau à l'In s titu t, de Nazoni à Porto, de Plechnick à Lubjana ou encore d'Aalto à Wolsburg...

Le Corbusier,

Le Palais de la Société des nations à Genève (p.94, 95)

« Ce projet représente l'esprit moderne opposé aux routines de l'Académie : les solutions techniques sont neuves (salle d'assemblée acoustique, circulations horizontales et ve rti­ cales, chauffage et ventilation, construction en ciment armé...). La raison primordiale qui a provoqué les agissements de la société des nations3 est une révolte sentimentale due à l'incompréhension esthétique vis-à-vis du concept nouveau conforme à l'évolution générale de la société contemporaine ». A l'analyse, la comparaison avec les projets académiques (Broggi, Vago, Nenot) n'est pas manifeste. En fa it, elle n'est autre que formelle (les façades) et technique (le type de con­ struction). Pour le reste, le mode de projétation de Le Corbusier est typiquem ent académique, typiquement Beaux-Arts : - Autonomie du plan par rapport au contexte (pas même représenté), gestion du plan par la seule géométrie, recours systématique à la symétrie, déduction de toutes les parties d'un to u t, homogénéité des espaces produits, articulation raide. Le raccordement des deux bâtiments de Genève, auto­ nomes e t symétriques, est à ce titre exemplaire: passerelle dans un coin sur deux niveaux seulement, couloirs hecto- métriques, etc. A l'intérieur d'une géométrie rigide, i l n'y a pas de place pour la distorsion, pour l'adaptation à des demandes spécifiques. L'obsession de Le Corbusier pour l'ordre lui f i t appeler son Comité International d'Études de la Proportion : SYMETRIE.

( 3 ) Le Corbusier bien que la uré at ne f u t pas retenu.

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- Halls gigantesques, escaliers monumentaux, jardins à la française... On trouve rassemblé to u t le vocabulaire et l'échelle de l'architecture pompier. La seule rupture est superficielle, d'ordre stylistique

- Quant à la façade sur lac, sans échelle, formée par un p e tit pignon aveugle et une dérisoire colonnade courbe, on peut constater qu'aucun des projets académiques, quelle que soit leur forme volumétrique, n'est aussi peu à l'échelle du site (un lac immense), et en nie autant la réalité physique : le bâtiment est entièrement sur p ilotis ! Lors du changement de site de la deuxième phase, le projet Le Corbusier ne sera d'ailleurs pratiquement pas transformé...

Le Corbusier participe donc de cette pensée académique sur le fond, mais de plus, formellement i l est incapable, nous l'avons vu, de dépasser l'aspect géométrique à deux dimen­ sions, ce qui fige davantage encore ses projets. Cette géo­ métrie possède pour lui des vertus magiques : « l'Unité de Marseille est construite sur quinze mesures de Modulor. Cet immense bâtiment qui a 140 mètres de long et 70 mètres de haut, apparaît familier et intim e ; i l est à l'échelle humaine depuis le haut jusqu'en bas et à l'intérieur comme à l'exté­ rieur et porte témoignage des ressources de cette gamme d'intervalles harmoniques ». Le discours corbuséen est scientiste pour un objet fonctionnel hors de son contexte.

Le Corbusier, Le centre culturel Orsay à Paris (p.186, 187)

« Entreprise vitale, éclairant les tâches futures incombant à la ville, en ce lieu géographique, cet élément extraordinaire du paysage parisien : la Seine, les Tuileries, le Panthéon, les Invalides, Notre-Dame... un instrument prodigieux d'émotion donné par les temps modernes si on ne sacrifie pas Paris à la sottise des mercantis et aux gens trop légers d'esprit ». I l s'agit plutôt d'une entreprise d'intimidation des politiques (Malraux en l'occurrence dont les services refuseront le projet) pour imposer un projet de prestige. Pour Le Corbusier, le site d'intervention est avant to u t politique et non concret. Ses dispositions n'infléchissent pas sa conception. Le site est le support de manifestations d'auto-promotion. Et bien que sur une parcelle stricte (encore occupée par une gare e t sa verrière magnifique, l'actuel Musée d'Orsay), entourée de bâtiments sur des parcelles aux logiques claires, Le Corbusier

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propose un bâtiment qui ignore délibérément le rôle d'échange que l'on peut jouer avec le contexte. En parfait architecte académique, il dialogue avec les monuments de Paris (« la Seine, les Tuileries, le Panthéon, les Invalides, Notre- Dame... »). Les projets de Le Corbusier sont des vues de haut, de loin, des dessins « artistiques », à une échelle où la géo­ métrie donne l'illusion de l'ordre et où les ruptures renforcent les unités, jamais des vues en situation. Au pied des bâti­ ments la perception est inversée : à son échelle le piéton se promenant dans la rue de Lille, ou le long de la Seine, est indifféremment surplombé par trois niveaux de services tech­ niques et mécaniques : la plastique primaire (verticale de la tour opposé à l'horizontale du socle, le projet est une réplique de l'ONU à New York) se détache sans considération d'échelle avec les mitoyens, produisant un véritable chaos urbain : l'hôtel de Salm est écrasé par un pignon aveugle de 105 m de haut et l'immeuble haussmanien se retrouve isolé à R + 5 et domine de son pignon brut les trois niveaux techniques. Une grosse boîte, hors de to u t alignement, vient ajouter au désordre... La situation est paradoxale si l'on songe à ce désordre ta n t honni par Le Corbusier et qu'il produit partout où i l in te rvie n t. En fa it, c'est l'absence de to u t lien qui produit ce désordre.

A ce problème, Le Corbusier dispose d'une solution simple : être le seul à intervenir sur un espace pour éviter toute confrontation (« le centre de la ville est mort et ses limites sont à repenser »). Au bout de ces « recherches », Le Corbusier trouve le projet idéal : un projet sans lim ite, per­ m ettant d'exposer ce qu'on veut, constructible sur n'importe quel terrain vide : le musée à croissance illim itée.

Le Corbusier,

Le musée à croissance illim itée (p.236, 237, 238, 239)

« Une suite de dix années d'études a conduit à un résultat appréciable : un poteau, une poutre, un élément de plafond, un élément d'éclairage diurne et nocturne, le to u t réglé par des rapports de sections d'or assurant des combinaisons faciles, harmonieuses, illimitées.

Le principe fondamental de ce musée est d'être construit sur pilotis. Au milieu de l'édifice part la spirale carrée de 7 m de large et de 4,5 m de haut, d'une régularité impeccable ».

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Ultime étape du nihilisme contextuel de Le Corbusier (« une suite de dix années »), un projet aux limites non établies, des pilotis le décollant du sol, des salles toutes de même section, le bâtiment est totalement soustrait aux contraintes de site et d'usage. Plaqué dans la plupart des simulations urbaines, ce musée sera réalisé deux fois... sans jamais être développé ! En l'état, i l en résulte une gestion des limites absurde et dis­ pendieuse comme 1e montre l'esquisse pour Paris. Perdu dans son pré carré, le projet ne peut jouer un rôle quelconque dans la ville à aucune de ses phases puisqu'il n'est jamais achevé. Avec ses façades aveugles et son entrée invisible, il n'est plus qu'une boîte, ultime évolution académique du monument moderne minimaliste.

Le Corbusier nous donne un référent : un coquillage. I l est intéressant d'étudier son mode de transposition. En fait, le coquillage indique spatialement exactement le contraire de ce que voudrait lui faire dire Le Corbusier qui n'en conserve que l'idée de développement. S'il existe clairement un développe­ ment, la spirale va s'élargissant, les limites ont un point d'ori­ gine et une fin ouverte, et une délicate décoration court (qu'il a pris soin de représenter !) et dessine une « ligne de ciel ». L'interprétation de Le Corbusier est faible et triste. De plus, en se développant, sa « spirale carrée » devient un laby­ rinthe, toutes les notions de parcours et d'ordre disparaissant

(problèmes que Wright a partiellem ent résolus au

Guggenheim en enroulant sa spirale autour d'un vide, chaque épaisseur ne masquant plus la précédente). En plus de figer l'avenir et le développement sur le type de collections et leur mise en valeur, des poteaux décollés des façades (la façade libre est un concept totalement inadapté au programme) font écran aux surfaces d'expositions !

James Stirling, La Nouvelle galerie nationale à Stuttgart

Un musée dispose par sa vocation de plusieurs échelles de conception : son rôle urbain, ses multiples programmes, ses collections... La Nouvelle g alerie n a tio n a le de S tirlin g à Stuttgart joue de ses multiples rapports monumental/convi- vial, sur grande avenue/sur rue, publics/privés, dedans/dehors, ouvert/fermé. Un passage public traverse le musée reliant la partie haute et la partie basse de la ville. Stirling utilise ce cheminement pour immerger son projet dans son contexte

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en y intégrant toutes ses échelles constitutives : après avoir perçu de loin la façade inspirée par la façade voisine de Schinkel, simple et monumentale, on aborde ensuite le musée de biais par une rampe qui fa it perdre la perception du bâtiment dans son ensemble pour être accueilli et orienté lorsqu'on arrive sur la terrasse. On est alors pris en charge par un auvent conduisant à l'entrée, ou par un porche urbain qui traverse le bâtiment par une autre rampe vers la ville haute. Cette rampe s'enroule autour du patio où se trouve en contrebas une partie des collections de sculptures du musée. Depuis certaines salles du musée, le regard traverse le patio jusqu'à la rampe et au-delà par de larges ouvertures, vers la ville. Comme disent les jardiniers anglais « l'œil parcourt ainsi un chemin que le corps ne peut emprunter », cette astuce qui m ultiplie les perceptions d'un même bâtiment, permet des effets de surprise et éveille la curiosité en rap­ prochant des échelles qu'on croyait séparées.

Si les emboîtements d’échelle sont inutiles à Le Corbusier, c'est parce qu'il fonctionne avec des « idées », toujours disso­ ciées du contexte, isolées. A l'opposé, dans le cadre d'un dia­ logue, le projet nouveau confère des qualités au contexte qui par retour permet au projet d'exister au-delà de ses strictes et étroites limites. Voyons comment l'École d'Amsterdam et le mouvement Arts and Crafts travaillaient ces points de vue multiples qui révèlent progressivement le bâtiment.

Michet de Klerk, Eigen Haard, logements à Amsterdam

A l'échelle d'un vaste îlo t triangulaire, De Klerk fa it réagir son projet aux organisations des limites, aux spécificités des programmes et aux hiérarchies des réseaux.

Rigoureusement i l accueille, i l prolonge le contexte façade par façade :

Au nord, pour gérer l'espace devant l'ancien hoff, sous lequel passe une rue, i l organise une place dans l'axe, avec un « clocher », signal fonctionnant à une échelle plus lointaine et fermant la petite perspective engagée dans la séquence du projet mitoyen. Ce dispositif en creux lui permet de plus de trouver d'autres orientations pour sa façade nord. Vers le jardin au sud, i l travaille un p e tit bâtiment public avec terrasse, qui depuis la rue annonce le square et qui

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depuis le square confère aux bâtiments collectifs une échelle de pavillon public dans un jardin. Ce pavillon permet de régler de plus les problèmes de vis-à-vis intérieurs liés à la forme triangulaire de la parcelle.

Ces organisations nord et sud contrastées se retournent dans l'épaisseur des façades est et ouest par d'imposants pignons e t s'articulent ainsi aux bâtiments collectifs linéaires. Ceux-ci reçoivent également des traitements spé­ cifiques issus des contraintes locales :

- Côté voies ferrées, la façade plate est tirée par de longues horizontales à l'échelle d'une perception rapide depuis un train. Elle se termine par un angle singulier ponctuant la composition par une forme de ruche qui nous ramène à la placette.

- Côté ville, la façade s'interrompt en ménageant un retrait (jeu d'épaisseur) pour permettre l'établissem ent d'un programme scolaire dont l'entrée sculptée se situe face à un p e tit passage. Pour signifier l'irruption de ce programme scolaire dans le bâtiment d'habitation, matériaux, modéna- tures, échelles et types de percements, alignements... prennent des formes spécifiquement adaptées.

Le traitem ent des limites donne ainsi un sens et un rayon­ nement élargis au projet, e t permet de développer les perceptions du bâtiment et la cohérence urbaine dans un tissu urbain complexe. En d'autres termes, à l'échelle urbaine c'est la diversité architecturale (justifiée) qui est porteuse d'ordre e t c'est l'unité du projet qui crée le chaos.

Le Corbusier décrète la mort de la ville et de la rue, i l n'a donc pas à problématiser ses limites, à gérer sa parcelle. C'est à la ville de s'adapter à ses projets, à ses solutions. Le Corbusier ignore les contraintes urbaines : « une solution raisonnable impose la rédaction et la mise en vigueur d'un nouveau sta tu t du terrain, de nouvelles règles édilitaires », sans comprendre qu'en ce faisant i l se prive des obstacles indispensables à la pensée architecturale. Ainsi du projet de M acintosh que nous allons étudier.

Charles Rennie M acintosh, l'École d'art de Glasgow

1 - Comment concevoir un bâtiment public im portant en deux phases indépendantes mais devant, à chaque phase, apparaître comme un to u t cohérent et hiérarchisé ?

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2 - Comment travailler des pignons mitoyens qui sont de véritables façades dans la perspective de la rue d'accès depuis la ville basse ?

Telles sont les difficiles contraintes techniques et urbaines d'insertion dans le site auxquelles se trouve confronté Mackintosh. Pourtant, c'est bien le traitement de ces limites, le traitem ent d'un développement progressif et cohérent et le traitem ent de la perception du bâtiment dans le déplace­ ment qui vont permettre à l'architecte de réaliser une archi­ tecture innovante et contextuelle, puissante et variée. 1 - Pour la gestion de l'agrandissement, du développement dans le temps de l'École, l'entrée est dessinée afin que dans un premier temps elle puisse terminer la composition, en clore la première séquence : une tour, élément vertical ponc­ tue le bâtiment et donne l'échelle dominante. Le mouvement de façade lancé par les détails de serrurerie, de garde-corps en avancée sur la rue, se développe au moment de l'entrée dans les balcons et les terrasses en avancée ou en retrait, et dans les bow-windows. Ce dispositif augmente son échelle dans la perspective fuyante qu'un escalier développe encore. Ce traitem ent épais, dynamique de la façade permet de plus que vienne buter le rythme ré p é titif et plat des grandes verrières d'atelier. Le jeu d'arches accentuant l'effet ascen­ sionnel sur l'entrée, en tension avec sa position désaxée, (le balcon de la pièce des maîtres tira n t la composition dans l'autre sens), lui confère une échelle dominante même avec des éléments de moindres dimensionnements (notamment par rapport aux immenses baies des ateliers).

Dans un second temps, cette même composition, étant destinée à se retrouver au cœur d'une façade, fonctionne alors différemment. La façade est dessinée à partir d'une fausse symétrie dont l'entrée marque désormais l'axe. Là où un traitem ent symétrique de l'ensemble aurait obligé au dessin d'une entrée monumentale, lisse, reprenant de manière homogène et en majeur les rythmes latéraux, l'entrée joue comme une interruption/articulation de séquence. Elle conserve sa dominante dans la perception latérale de la rue grâce à ses avancées et ses retraits et évite les effets pré­ visibles et ennuyeux des projets dont toutes les dimensions se déduisent. La rupture ayant été opérée sur un élément dynamique intégrant des échelles de percements différentes,

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il devient possible de tra ite r spécifiquement les usages les plus publics de l'école en façade (telles que la salle de réunion e t la salle de maître...). Elle confère au bâtiment une entrée conviviale d'une part, et d'autre part elle l'enri­ chit d'un enchaînement de séquences du public vers le privé : l'escalier extérieur franchit des douves sous son arc métal­ lique e t par son désaxement récupère la perspective de la volée montante de l'escalier intérieur sous une des deux voûtes redivisant le hall. L'escalier monte alors sous une verrière dont la lumière fa it appel pour atteindre une vaste salle à usage co lle ctif où sont exposées les collections de l'école. C'est à partir de cet « espace public intérieur » que l'on se dirige vers son lieu de travail par un couloir éclairé latéralement e t disposant d'alcôves.

Cette entrée travaillant la perception fuyante du bâtiment depuis la rue, se perçoit de plus comme une rupture et assure une échelle fragmentée comme si elle distinguait deux vastes maisons, deux plots indépendants à l'échelle des constructions préexistantes sur l'avenue. Et lorsque l'on se retrouve devant le bâtiment, cette même entrée organise alors un lien, axe de composition, permettant à la façade de fonctionner sur toute sa longueur et de retrouver son échelle de bâtim ent public.

Ainsi dessinée d'une manière dynamique, cette façade donne à lire des systèmes d'intentions multiples, demandant à l'œ il une série d'explorations, de comparaisons, de recom­ positions, en marchant, d'où naît le plaisir esthétique. Ce résultat étonnant n'est obtenu que par la prise en compte et le traitem ent sans détour mais savant de contraintes (comme le phasage), sans idées préconçues, ni peur de perdre l'u n ité dans l'h étérog én éité , les parties étan t rassemblées par un jeu d'articulation d'échelles qui pren­ nent leur sens à l'intérieur d'un parcours, to u t se recompo­ sant dans le déplacement. Ce type de démarche nécessite la réalisation de multiples perspectives in situ pour penser les perceptions sensibles du projet dans son contexte.

2 - Des systèmes de continuité sont donnés aux pignons pour les raccrocher à la façade principale : en ligne de ciel (rythme des événements, éléments d'articulation...) et en soubassement (appareillage, rythme des baies, grilles et murets). C'est sur ce socle que se poseront les façades laté­ rales e t arrière. Ces retours fo nt exister le bâtiment en ta nt

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que volume et non plus en ta n t que plan isolé (comme tes grilles de brise-soleil de Le Corbusier). Une composition, monumentalisée du pignon (trois étroites « tourelles bow- window » de la bibliothèque montent jusqu'au ciel) mais décalée sous le fronton décrit par le to it, fa it basculer le centre de gravité vers un axe de composition ne correspon­ dant pas au centre de la façade, mais l'équilibre est rétabli par un système d'entrées secondaires et de percements. Cette composition ramenée sur une partie de la façade va permettre d'organiser un ensemble cohérent dans l'épaisseur du bâtim ent avec la façade arrière. Cet ensemble apparaît comme une tour carrée. C'est en effet cette partie du bâti­ ment, très secondaire si l'on regarde la parcelle, qui domine la progression vers l'école des personnes venant de la ville. Pour parvenir à retrouver les qualités d'épaisseur du pignon aux «tourelles bow-window », Mackintosh utilise un artifice d'ins­ piration médiévale : les débords étant impossibles sur la par­ celle voisine, le dialogue avec le retour se fa it en creux. Des bow-windows et des modénatures creusent, sculptent la faça­ de et lui confèrent un traitement puissant comme une tour d'angle de château écossais. C'est ainsi que dans le pire contexte, elle semble restituer dans une construction neuve l'impression de sédimentation historique.

On pourrait également longuement aborder l'intérieur du bâtiment. Le dessin très fin de chaque espace (loggia des circulations, escaliers avec balcon, bibliothèque / salle de réunion, salle des maîtres, musée, ateliers...), aux lumières, aux dispositions et aux détails spécifiques qui développent encore cette empathie à l'attention de l'utilisateur. Non seu­ lement celui-ci peut avoir la satisfaction d'utiliser un bâti­ ment rigoureusement adapté et chaleureux, mais de plus le décodage par l'architecte de contraintes nouvelles autorise des expériences formelles inédites et partagées par tous puisqu'immédiatement reconnues comme leur étant desti­ nées. L'architecture naît de cette fusion entre justesse des échelles e t destination.

Sé q u e n c e 3 : Dé m a r c h e m o d e r n e c o n t r e s ig n e s de m o d e r n it é

Les signes abstraits, codés, d'une esthétique « moderne » vieille de 70 ans valent-ils modernité ? Le Corbusier incarne ce sophisme : « si vous me critiquez, vous critiquez la

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modernité. Donc si vous me critiquez, vous n'êtes pas moderne ». En créant les CIAM dont les « historiens » lui étaient acquis (Giedion par exemple), i l ne poursuivait d'autre but que d'imposer ce raisonnement. Les « cinq points » participent de ce désir de trancher de manière sim­ pliste entre les modernes et les autres. Au nom de la lutte contre l'académisme (ou éclectisme) un code encore plus é tro it s'est imposé. La fenêtre en bande est « moderne » : la baie verticale de Loos, les multiples baies de Wright ou de Klerk sont-elles anciennes ? Le to it terrasse est « moderne » : les to its d’Asplund, Wagner ou Scharoun sont-ils anciens ? On pourrait m ultiplier les exemples de ces tics de langage assurant à bon compte un statut moderne à leurs concep­ teurs : blancheur, décollement, poteaux, règle du tiers, forme de manivelle, pilotis, unité, trame...

Si l'on compare dans le détail la Villa à Garches à la Maison de Verre de P. Chareau, le respect du code moderne se confronte à la création usagère. A un ordre social ancien « relooké » mais accepté par Le Corbusier (maison de gardien, domestiques dans des combles d'une indécente exiguïté, hall démesuré, compo­ sition des façades par règles d'or...) s'oppose chez Chareau le traitement des problématiques spécifiques portées par ses clients. Les a-priori théoriques prétendument modernes de Le Corbusier (plan libre / façade libre / to it terrasse) font régresser les modes d'habiter sans contrepartie : absence de rapport au jardin, absence d'intimité, dureté des détails, verrière brûlante, espace immeublable... Peut-on ignorer que les maisons La Roche ou Savoye n'ont jamais pu être durablement habitées ? Chez Chareau, qui était inspiré par son étroite collaboration avec son client, c'est la liberté offerte par les techniques nouvelles qui est mise au service d'un agencement spéci­ fique de l'espace lié à la résolution des contradictions de site et de programme. Aux signes de modernité, Chareau préfère une démarche moderne.

Le Corbusier, villa à Garches,

600 m2 habitables + 250 m2de terrasse (p.54 à 57)

« La maison est entièrement supportée par des poteaux dis­ posés à équidistance de 5m et 2,5m sans souci du plan inté­ rieur. La disposition indépendante des poteaux répand dans toute la maison une échelle constante, un rythme, une caden­ ce reposante. La façade ne porte plus les planchers : elle n'est

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plus qu'un voile de verre ou de maçonnerie. A l'intérieur le plan est libre: les cloisons ne sont que des membranes. » Si Le Corbusier a une singulière définition de l'équidistance, son argumentaire n'est pas moins stupéfiant. Le Corbusier, en plus de ne pas discuter sa conception, cherche à régir ce que l'on doit voir et dire de son oeuvre. I l codifie, détourne le lan­ gage qui devient pervers : « la cadence reposante des poteaux, les voiles de maçonneries, les cloisons membranes... ». I l nous éloigne de l'espace réel pour nous imposer un espace virtuel de la modernité, un espace idéologique auquel on doit adhérer si l'on ne veut pas grossir les rangs des passéistes. Soumis à ces vues de l'esprit, la maison affiche sa modernité à la Jacques Tati (Mon Onde), et déroule ses espaces vides, sans considération pour la vie de ses habitants. La façade, compo­ sée avec les mêmes principes académiques, la même géomé­ trie plate que ses premières maisons de la Chaux-de-Fonds (p.22), est à l'échelle d'un bâtiment public : R + 3 pour une maison ! Elle enveloppe un espace gonflé de vides qui n'ont aucun rôle dans l'espace de vie (aucune v a riatio n de hau­ teur, pas de vide entre n iv e a u x ...). Le « rythme reposant des poteaux » ne permet pas d'avoir un séjour de plus de 30 mz pour une maison de 600 m2. Encore la cloison de l'es­ calier du garage est-elle biaise pour ne pas réduire davanta­ ge sa surface médiocre malgré un porte-à-faux au-dessus du rez-de-chaussée. On note également l'étrange suppression, mais sur les plans seulement, des deux poteaux qui le traversent : « l'absence de soucis du plan intérieur » é ta it sans doute trop manifeste...

La maison dispose de deux escaliers mais ceux-ci arrivent au même endroit dans le séjour, obligeant à le traverser depuis les chambres. L'escalier noble est sous-dimensionné et mal­ aisé, e t celui du garage trop grand et encloisonné encombre les niveaux. Les espaces sans hiérarchie se valent tous, dis­ pendieux ou étriqués suivant l'usage, toujours immeublables : entrée immense au rez-de-chaussée, recoin é tro it et long de l'escalier avant le séjour encombré de poteaux, de chutes d'eaux usées (salles de bains du second) et de murets, terrasse couverte par un balcon commun à deux chambres mêlant sans discernement espace de réception et espace intime, chambre immense dont le lit ne peut être qu’au centre, etc. Les grandes verrières-sud brûlantes éclairent indifférem ­ ment espace é tro it et espace profond, chambres ou séjour.

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Les « chambres couloirs » parfois aveugles des domestiques soulignent le mépris de classe. Enfin, comme d'habitude, Le Corbusier ne figure pas le rapport aux limites. Probablement vaste, le jardin bute sur un étage de grilles de ventilation sous un surplomb (le porte-à-faux développant si peu le séjour à l'étage...). Le Corbusier traite les espaces extérieurs comme s'ils se lim ita ie n t aux terrasses, comme s'il s'agissait d'un appartement.

Quel résultat 1 En s'imposant un vocabulaire préconçu sans jamais le remettre en question, Le Corbusier s'empêche de penser les plus élémentaires problèmes posés par un pro­ gramme, et un contexte. Que reste-t-il d'architecture dans cette maison où la vie n'a pas de prise ?

Pierre Chareau, ia maison de verre,

300 m2 habitables + 150 m2 d'espaces de consultation

L'univers n'est plus rhétorique et académique mais adapté et innovant. La structure absolue qui introduit des problèmes grossiers d'habitation chez Le Corbusier laisse place à des porteurs disposés là où ils gênent le moins (dans des placards), là où ils auront le plus de puissance esthétique sans gêne d'usage (vide sur séjour). On augmente les sections pour supprimer celui qui serait trop contraignant dans le grand salon et on utilise le seul demeurant dans l'espace pour a rti­ culer, avec les colonnes de ventilation, deux sous-espaces, celui de la verrière et celui du salon.

La façade apparemment homogène exprime les différentes fonctions : grand volume du salon, sur cour e t façades arrières, en pavés de verre, espaces techniques en retour en menuiseries mixtes (pavé de verre, bande filante ouvrante adaptée aux cuisines...), entrée et cabinet de consultations, en verre transparent, décollés de l'étage. Chaque rapport à l'extérieur de la paroi est traité en fonction de son usage : panneaux transparents cadrant des vues précises sans vis-à- vis sur le jardin, vues qui rendent les pavés de verre sup­ portables, pavés de verre qui inondent le grand salon d'une douce lumière Nord en protégeant des vues d'une cour é tri­ quée, portes sur l'extérieur apportant une vue inattendue, coulissants pleins qui ont l'apparence de véritables murs dont l'ouverture transforme l'espace, tôles perforées pareilles à des moucharabiehs, amovibles ou fixes, gèrent

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les vues vers les espaces d'échelles d'intim ité différentes... A l'intérieur d'un espace étroit, Chareau mêle divers pro­ grammes pouvant se développer sur des espaces communs, empiéter les uns sur les autres, se dilater ou se rétracter en fonction de l'usage dominant de l'espace. Fonctionnellement on peut distinguer :

1 - Au rez-de-chaussée, l'espace des consultations, professionnel. 2 - Au premier étage, l'espace de réception, privé mais pas seulement fam ilial.

3 - Au premier étage, l'espace de la famille et du travail personnel 4 - Au second étage, l'espace privé des chambres.

Pour adapter ces usages croisés de l'espace (cabinet de consultations - réception d'un hôtel particulier - vie quoti­ dienne et confortable d'un appartement bourgeois) sans sub­ diviser une superficie déjà réduite, Chareau a choisi de ne pas en privilégier un au détriment des autres (ce qu'aurait fa it d'une manière unilatérale Le Corbusier), ni de les juxtaposer sans cohésion. I l pointe les articulations entre les espaces et les conçoit comme des lieux à part entière (escalier, bureau, galerie haute), pouvant rapidement et au choix tenir des rôles différents dans la partition et la perception de l'échelle, soit en s'agglomérant aux espaces constitués et stables (salle d'attente, grand salon, chambres), soit en créant des sas autonomisant les espaces stables. Par exemple :

- Entre 1 et 2 un escalier « volant », dont l'échelle est monumentalisée (largeur des marches et du giron, main courante à + 50 cm), peut soit dilater l'espace du rez-de- chaussée (en ouvrant des vues traversantes à p artir de l'entrée et de la salle d'attente à travers les marches de l'escalier dessinées à cet effet), soit jouer le rôle d'escalier de réception vers le grand salon (en fermant la salle d'attente et en ouvrant l'escalier), soit renvoyer les deux espaces à un fonctionnement dans leur espace strict (en encloisonnant l'escalier, l'accès au jardin restant possible)...

- Entre 2 et 3, un coulissant pareil à une paroi fixe (et dont le rail sert de seuil au changement de matière), peut en se déplaçant avec légèreté (travail de détail utile, invisible et modeste), soit les séparer hermétiquement, soit les faire participer du même espace et donner une vue sur le jardin et les petits salons. Dans cette disposition, on m ultiplie alors les cheminements et les découvertes de petits espaces aux affectations variées jusqu'au vide sur la galerie, sur le

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lie u x communs n ° 6 | 2002 | Jean-D idier Laforgue

cabinet de consultation, décollant la façade sur jardin et répondant à l'expérience du vide du grand salon. Pour réaliser ce vide qui donne le sentiment que to u t le plancher est suspendu, mais qui se situe également entre le cabinet de consultation et les petits salons, Chareau conçoit un espace à double hauteur à la fois le moins privé du cabinet médical, la salle d'attente, et le moins public dans la gamme des espaces du premier étage, le bureau. Au rez-de-chaussée, les salles de soins et de visites sont ainsi disposées en second jour, libérant à toute heure l'usage du jardin. Des différences de niveaux contribuent avec les vides à donner le sentiment d'un plateau flo tta n t dans l'espace. Chaque plateau est traité par un matériau particulier adapté (bois en parement + plastique près des verrières du grand salon (condensation), terre cuite de la salle à manger, moquette du p e tit salon...) et marque des limites d'usage (palier entre grand escalier et grand salon, marches entre grand salon et salle à manger, balcon entre bureau e t p e tit salon) qui ne nécessitent pas de limites visuelles.

- Entre 2 et 4, une coursive protégée par des « garde-corps rangement moucharabieh » (perm ettant de voir de l'espace le plus intim e vers le plus « public »), sur laquelle s'ouvrent largement par les portes doubles des chambres, permet de gérer le degré d'intim ité voulu, soit transparence et circula­ tio n commune avec le grand salon, soit fermeture. Des esca­ liers secondaires permettent alors de relier par un second parcours plus privé les différents niveaux sans passer par les espaces de représentation. D'usage et de perception diffé ­ rents dans l'espace, ces escaliers fo n t l'objet d'études spéci­ fiques m ettant en scène le rapport à la troisième dimension : monumental et aérien pour le grand salon, confortable et discret pour la galerie haute, léger comme un meuble entre bureau e t h all, secret e t escamotable entre chambre principale e t p e tit salon.

Gaines, tôles perforées, escaliers, ventilations, coulissants, verrières dessinées pour donner le sentiment de glisser devant les planchers, structure métallique et rotules de l'escalier... la structure moderne ne se cache pas, mais elle ne se généralise pas pour autant. Elle joue en contrepoint avec les parements bois, le mobilier chaleureux, les biblio­ thèques (à demi niveaux croisés pour m ultiplier le range­ ment), les paravents... Pas de tracés régulateurs mais une

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