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La responsabilité pénale des personnes morales en droit de l'environnement en France et au Canada

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Academic year: 2021

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(1)

La responsabilité pénale des personnes morales en

droit de l'environnement en France et au Canada

Mémoire

Maîtrise en droit - avec mémoire

Fiona Martin

Université Laval

Québec, Canada

Maître en droit (LL. M.)

et

Université de Toulouse I Capitole

Toulouse, France

(2)

La responsabilité pénale des personnes morales en droit de

l’environnement en France et au Canada

Mémoire de maîtrise en droit

Fiona Martin

Master 2 droit pénal et sciences criminelles, parcours franco-québécois

Année universitaire 2019/2020

Sous la direction de :

Pierre Rainville, professeur des Universités, Université Laval

(3)

Résumé :

La nécessité de préserver l’environnement fait progressivement consensus sur la scène internationale. De plus en plus, les états se pourvoient de mécanismes répressifs et préventifs afin de sauvegarder l’environnement. La personne morale, principale source de dommage écologique est également soumise à cette responsabilité pénale environnementale.

Dans une approche comparatiste, il s’agira d’analyser les mécanismes permettant d’engager la responsabilité pénale d’une personne morale lorsque celle-ci commet une infraction environnementale. Pour ce faire, la notion de personne morale devra être présentée afin de déterminer quelle structure est pénalement répréhensible. Enfin, il s’agira de comparer ces éléments avec la réalité de la délinquance écologique. Le droit comparé permettra d’apporter certaines solutions innovantes afin de lutter contre toute atteinte environnementale.

(4)

TABLE DES MATIERES

RESUME II

LISTE DES PRINCIPALES ABREVIATIONS V

REMERCIEMENTS VI

INTRODUCTION 1

I. L’INSUFFISANCE DE LA NOTION DE PERSONNE MORALE, AUTEUR

INEDIT DE L’INFRACTION ENVIRONNEMENTALE 13

A. L’avènement de la responsabilité pénale des personnes morales en matière

environnementale 13

1. La personne morale, personne juridiquement responsable de l’infraction

environnementale 13

a) Le groupement responsable pénalement 13

b) La nature des infractions environnementales 23 2. L’auteur physique, le miroir de la conduite de la personne morale 31

a) L’organe ou le représentant en France 31

b) Responsabilité des administrateurs et dirigeants de la personne morale au Canada 37

B. La responsabilité pénale des personnes morales limitée en matière

environnementale 44

1. L’insuffisance de la notion de personne morale 44

a) En France et au Canada 45

b) Une impunité à échelle supranationale 52

2. Une responsabilisation croissante des acteurs économiques 57

a) En France 57

b) Au Canada 67

II. L’INADAPTABILITE DU MODELE D’IMPUTATION DE L’INFRACTION

ENVIRONNEMENTALE A LA PERSONNE MORALE 79

A. La regrettable prévalence du modèle identificatoire en matière environnementale 79

1. Le fondement de la responsabilité des personnes morales auteur d’infraction

environnementale 79

a) En France 79

b) Au Canada 85

2. La mise en œuvre de la responsabilité des personnes morales en matière

environnementale 93

a) Les conditions de la responsabilité pénale de la personne morale en France 93 b) Les conditions de la responsabilité pénale des personnes morales au Canada 102

B. L’émergence bienvenue du modèle de la faute organisationnelle de la personne

morale en matière environnementale 106

1. Une autonomisation de la faute de la personne morale préexistante 107

(5)

b) Au Canada 111

2. Vers un nouveau mode d’imputation 115

a) Propositions de réforme 115

b) La diligence environnementale 120

CONCLUSION GENERALE : 129

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Liste des principales abréviations

AJ pénal : Actualité juridique pénal Art : Article

C. civ : Code civil

C. Com : Code du commerce

C. conso : Code de la consommation C. cr : Code criminel

C. env : Code de l’environnement C. Pén : Code Pénal

Cal. L. Rev : California Law review

Can. Bus. L. J. : Canadian Business Law journal Cass : Cour de cassation

Cass. Crim : Chambre criminelle de la Cour de cassation CJUE : Cour de justice de l’Union Européenne

Coll : Collection

Colum. L. Rev : Columbia Law review Dr. Pén : Revue de droit pénal

Éd : édition Fasc : Fascicule Ibid : idem, identique.

JCP : jurisclasseur périodique LPA : Les petites affiches P : page

Para. : paragraphe.

Rev. can. dr. conc : Revue canadienne droit de la concurrence RSC : Revue droit pénal et sciences criminelles

(7)

Remerciements

La réalisation de ce mémoire a été possible grâce au concours de plusieurs personnes auxquelles je tiens à exprimer toute ma gratitude.

Je voudrais tout d’abord remercier mon directeur de mémoire canadien, monsieur Pierre Rainville, pour sa patience, sa disponibilité sans failles et ses précieux conseils qui ont contribué à nourrir ma démonstration et ma réflexion.

Je tiens également à remercier madame Amane Gogorza, ma seconde directrice de mémoire, à l’université de droit de Toulouse qui m’a orientée, aidée et conseillée lors de l’élaboration de mon projet.

Je tiens à remercier mes parents, qui ont toujours répondu présents à la fois dans mes réussites mais surtout dans mes échecs. C’est grâce à eux que je me suis donné les moyens d’aller aussi loin dans mes études au sens propre comme au sens figuré.

Je ne serais pas allée au bout de ce mémoire sans l’aide de Noémie Martire, qui a su me motiver chaque jour.

J’espère enfin que les développements qui suivent, aussi modestes soient-ils, seront utiles pour le lecteur.

(8)

« C’est une triste de chose que de constater que la nature parle et que le genre humain ne

l’écoute pas »

(9)

Introduction

« Il en découle que la protection de l'environnement, patrimoine commun des êtres humains, constitue un objectif de valeur constitutionnelle » affirme le Conseil constitutionnel français dans sa décision du 31 janvier 20201, en consacrant, dès lors, la protection de l’environnement

comme un objectif à valeur constitutionnelle. Grâce à cette décision, le Conseil élargit considérablement la préservation de l’environnement. En effet, il avait déjà auparavant limité la liberté d’entreprendre grâce à la notion de but d’intérêt général2. Cependant, cette fois-ci, la

décision est inédite car il affirme que le législateur n’a pas seulement l’obligation de protéger l’environnement fondée sur l’article 1er de la Charte de l’environnement mais il peut également

restreindre les libertés, si celles-ci rentrent en contradiction avec ce nouvel objectif à valeur constitutionnelle. Cette décision s’inscrit dans un mouvement croissant de prise en compte de la nécessité de préserver l’environnement d’une part et l’augmentation des outils juridiques pour y parvenir d’autre part. La nécessité de protéger l’environnement face aux actions humaines, notamment celles des entreprises, est devenue primordiale. Elle fait passablement consensus sur la scène internationale. Ainsi, au Canada, la Cour suprême a affirmé que la protection de l’environnement est un défi majeur de notre temps3. Le cri d’alarme lancé par les

scientifiques commence à être entendu à la fois par les états mais également les entreprises4.

L’environnement possède une dimension universelle, il relève à tout à chacun de le respecter. Ainsi, personne physiques et personnes morales doivent œuvrer pour le préserver. Il n’appartient à personne mais il permet à tous de vivre. Souvent utilisée, rarement définie, la notion d’environnement est difficile à cerner5. C’est un concept que nul ne sait parfaitement

définir mais que tout le monde comprend6. D’un point de vue étymologique, l’environnement

est issu du mot « environne » à savoir ce qui entoure. Ce qui entoure l’homme c’est la nature. Ainsi, l’environnement se comprendra comme le milieu de vie de l’être humain, des animaux et des végétaux7. Il s’agira de l’ensemble des relations et interactions entre les êtres humains et

1 Décision n° 2019-823 QPC du 31 janvier 2020

2 Cons. const. 11 oct. 2013, n° 2013-346 QPC, Société Schuepbach Energy LLC, § 12, AJDA 2013. 2005 3 R. c. Hydro-Québec, [1997] 3 R.C.S. 213

4 Roselyne Nérac-Croisier (dir.), Sauvegarde de l’environnement et droit pénal, Paris, L’Harmattan Sciences

Criminelles, 2005, p. 1

5 Julien Dorigny, La notion d’environnement en droit français et canadien, mémoire de maitrise, Québec,

Université Laval, 2019

6 Marcel Bayle, « L’incidence de la réforme en droit de l’environnement » (1993) 120 Les petites affiches, p. 40 7 Ibid

(10)

leur milieu8. Afin de respecter les prescriptions ayant pour but la protection de l’environnement,

le législateur a fait de plus en plus appel au droit répressif, « gendarme des autres droits »9,

créant ainsi le droit pénal de l’environnement. Le but est de rendre responsable pénalement quiconque porte atteinte à l’environnement. Le droit pénal de l’environnement comprend l’ensemble des dispositions répressives qui préviennent et sanctionnent la dégradation par l’Homme du milieu physique ou biologique dans lequel il vit10.

Face à cet enjeu universel, les entreprises doivent adopter des conduites écoresponsables. Or, la délinquance écologique est majoritairement causée par les personnes morales11. Elles sont

sujets de droits à part entière c’est-à-dire qu’elles sont titulaires de droit et d’obligations. Lorsqu’une personne morale déverse des matières polluantes dans un cours d’eau, il est plus facile de poursuivre la personne morale que la personne physique, souvent introuvable12. Les

entreprises sont à l’origine de dommages considérables, la répression de celles-ci est la seule réaction offerte à la société13. C’est pour cette raison que cette étude se limitera à comprendre

et analyser la responsabilité pénale des personnes morales.

Les infractions environnementales commises par la personne morale ne doivent pas se limiter géographiquement. C’est ainsi que le Conseil constitutionnel, dans la décision précitée invite le législateur à ne plus restreindre sa protection au sol français mais « à tenir compte des effets que les activités exercées en France peuvent porter à l'environnement à l'étranger »14. Le Haut

Conseil énonce « en faisant ainsi obstacle à ce que des entreprises établies en France participent à la vente de tels produits partout dans le monde et donc, indirectement, aux atteintes qui peuvent en résulter pour la santé humaine et l'environnement et quand bien même, en dehors de l'Union européenne, la production et la commercialisation de tels produits seraient susceptibles d'être autorisées, le législateur a porté à la liberté d'entreprendre une atteinte qui est bien en lien avec les objectifs [poursuivis] ». Cette décision fait particulièrement écho aux entreprises multinationales qui commettent des atteintes à l’environnement à l’étranger et

8 Roselyne Nérac-Croisier (dir.), Sauvegarde de l’environnement et droit pénal, Paris, L’Harmattan Sciences

Criminelles, 2005, p. 14

9 Marie-José Littmann, « Le droit pénal » dans L’écologie et la loi, Paris, L’harmattan, 1989, p. 105 10 Ibid

11 Roselyne Nérac-Croisier (dir.), Sauvegarde de l’environnement et droit pénal, Paris, L’Harmattan Sciences

Criminelles, 2005, p. 14

12 A. Ashworth, Principles of Criminal Law, Oxford, Clarendon Press, 1991 p. 85 ; Commission de réforme du

droit du Canada, Responsabilité pénale et conduite collective, Document de travail 16, Ministère des Approvisionnements et Services Canada, 1976, p. 34.

13 Jean Pradel, Droit pénal comparé, 4e éd., Paris, Dalloz, 2016, p. 183 14 Décision n° 2019-823 QPC du 31 janvier 2020

(11)

demeurent souvent impunies, faute de législation adaptée à leur spécificité et de règles internationales.

C’est dans ce contexte à la fois national et international que s’inscrit cette étude. Ce mémoire vise à analyser les mécanismes permettant d’engager la responsabilité pénale d’une personne morale lorsque celle-ci commet une infraction à l’encontre de l’environnement. La responsabilité pénale des personnes morales est complexe à cerner du fait des évolutions jurisprudentielles et législatives. Longtemps rejetée par la doctrine, la responsabilité pénale des personnes morales s’est imposée au cours du XXème siècle. La responsabilité pénale suggère que l’individu ayant transgressé la loi pénale traduisant une valeur sociale protégée doive répondre du dommage causé à la société. La sanction pénale est donc l’outil indispensable pour réprimer toute atteinte aux intérêts protégés par le droit pénal. La nature abstraite de la personne morale rend difficile son appréhension par le droit répressif. Ce dernier ayant traditionnellement appliqué ses principes sur la personne physique, se trouve en grande difficulté.

Ce mémoire s’intéresse aux différentes hésitations quant à l’application du droit pénal aux personnes morales. Pour ce faire, plusieurs réflexions préliminaires devront être abordées. D’abord, il sera nécessaire de définir la notion faisant l’objet de cette étude : la personne morale. Celle-ci demeure indissociable des personnes physiques la composant, notamment les dirigeants qui la représentent aux yeux des tiers. Ensuite, les insuffisances de la notion de personne morale seront détaillées. Définir ce que comprend et ce qu’exclut celle-ci est primordial. Cette définition sera confrontée à la réalité des structures qui existent à l’ère de la mondialisation.

N’ayant ni de bras, ni de volonté, la personne morale nécessite des dispositifs particuliers pour que sa responsabilité pénale soit recherchée. Les modes d’imputation permettent de faire le lien entre l’infraction commise, ici environnementale, et le sujet de droit. L’imputabilité d’une infraction revêt une certaine complexité lorsque le fait interdit n’est pas issu d’une conduite d’un individu isolé mais d’une activité d’une collectivité organisée. Plusieurs mécanismes ont été proposés par les différents systèmes juridiques afin de rendre responsable une entité collective. Ces modèles seront confrontés à la réalité criminelle afin d’examiner si la délinquance d’entreprise est efficacement réprimée. La présentation du modèle d’imputation choisi par les deux législateurs nationaux n’est pas évidente car les modèles semblent hybrides, mais tendent majoritairement vers un modèle type. Une fois cette présentation faite, il s’agira

(12)

de déterminer si l’imputation choisie permet de répondre à la délinquance environnementale propre aux personnes morales. Les mécanismes prévus par le droit positif se révèlent souvent inadaptés à la spécificité que représente l’entité collective.

Enfin, le bilan de la responsabilité pénale des personnes morales sera dressé. L’objectif n’est pas de sanctionner en vain, le droit pénal doit exclusivement servir à protéger les intérêts considérés comme fondamentaux pour la société. Le but est de sanctionner équitablement les atteintes commises à l’environnement par les personnes morales. L’étude vise en dernier lieu à proposer des solutions, modestes, permettant de combler les lacunes juridiques.

Cette analyse sera effectuée en droit comparé. La responsabilité pénale française de la personne morale en matière environnementale sera confrontée aux mécanismes permettant de sanctionner les personnes morales au Canada. Cette approche comparée se justifie pour plusieurs raisons. Premièrement, les deux pays possèdent les mêmes objectifs à savoir la préservation de la biodiversité, et tous deux se sont parés d’outils répressifs afin de garantir que ces objectifs soient respectés, et dans le cas contraire, que tout agissement contrevenant à l’environnement soit pénalement sanctionné.

Deuxièmement, la France et le Canada sont deux pays qui disposent d’une organisation différente, il est particulièrement intéressant de les confronter. La France est un pays unitaire et centralisé. Les lois pénales s’appliquent de manière uniforme sur l’ensemble du pays. Elle est de plus en plus influencée par le droit de l’Union européenne, mais cette influence ne porte pas atteinte à la souveraineté de l’État français. Le Canada est un pays fédéral. Le pouvoir fédéral a concédé certaines de ses compétences aux provinces, qui disposent d’une souveraineté propre. La Loi constitutionnelle organise un partage de compétences. Ainsi, les provinces ont adopté certaines lois environnementales qui n’ont pas de résonance dans une autre province.

Enfin, cette approche comparée vise à extraire de chacun des ordres juridiques les forces et les faiblesses du droit pénal environnemental appliqué aux personnes morales. Des pistes de réflexion seront proposées afin d’améliorer le droit pénal français, en s’inspirant des atouts du modèle canadien tout en écartant ses failles.

Le droit pénal de l’environnement a dans les deux pays mis en place des règles à la fois préventives mais également prohibitives afin de respecter cet objectif majeur. On s’aperçoit

(13)

qu’en France, il n’existe aucun vide juridique dans le Code de l’environnement, tout acte portant atteinte à un milieu ou une espèce est expressément prohibé par la loi15. Ces règles s’appliquent

indifféremment selon qu’il s’agit d’une personne physique ou d’une personne morale. Pourtant, le droit pénal de l’environnement ne cesse d’être critiqué pour son manque d’efficacité. En effet, il hésite entre la voie pénale, administrative et civile. Les incriminations sont souvent techniques, complexes, peu accessibles et donc peu appliquées16. Ses faiblesses sont exacerbées

lorsqu’il s’agit d’imputer l’atteinte à la biodiversité à une personne morale. Les mêmes critiques persistent au Canada, la voie pénale étant minoritaire, il existe donc peu de lisibilité sur le phénomène.

En France, pays unitaire et centralisé, le droit pénal s’applique de manière uniforme sur l’ensemble du pays. Seul le législateur est compétent pour établir des règles répressives. Le principe de légalité posé à l’article 111-3 du Code pénal17 semble énoncer que la loi et les

règlements ont compétences exclusives en matière pénale. Or, aucun principe n’interdit au législateur d’ériger en infractions des manquements à une obligation ne résultant pas de la loi18.

En droit pénal de l’environnement, le législateur a souvent recours à une technique d’incrimination, celle du renvoie. Le législateur prévoit une sanction pénale mais renvoie au pouvoir réglementaire le soin de déterminer la qualification du comportement interdit19. Le

législateur se contente de déterminer les classes de contraventions et les peines applicables. Ces incriminations sont nombreuses en matière environnementale. Ce droit spécial est majoritairement issu de travaux de corps techniques à savoir de comités scientifiques composés d’experts. Ainsi, pour une minorité des délits, les éléments constitutifs d’une infraction tiennent en entier dans une disposition se suffisant à elle-même20. La définition des éléments de

l’infraction est ainsi peu accessible et claire, or, selon le Conseil Constitutionnel, le principe de légalité a pour corolaire l’accessibilité des textes, leurs prévisions et leur clarté21.

15 Véronique Jaworski, « L’état du droit pénal de l’environnement français : entre forces et faiblesses », (2010)

50 :3 Les cahiers de droit, n°13

16 Id, n°37

17 Nul ne peut être puni pour un crime ou pour un délit dont les éléments ne sont pas définis par la loi, ou pour une

contravention dont les éléments ne sont pas définis par le règlement.

18 Cons. Constit. 10 nov. 1982, n°82-145 DC

19 Dominique Guihal, Jacques-Henri Robert et Thierry Fossier, Droit répressif de l’environnement, 4e éd., Paris,

Economica, 2016, p. 137

20 Ibid

(14)

Il en résulte que le droit pénal environnemental est un droit technique, complexe et majoritairement réglementaire. Ceci est particulièrement intéressant car ces spécificités se retrouvent en droit canadien.

En vertu du principe de la légalité des délits et des peines, les infractions environnementales doivent émaner d’une autorité législative habilitée, selon le partage des compétences22. Le

Canada est un pays fédéral. La Loi constitutionnelle de 186723 organise le partage des

compétences entre le pouvoir fédéral et le pouvoir provincial. Cependant, l’environnement n’était pas envisagé en 1867, il n’était pas une préoccupation au moment de l’élaboration de la répartition des compétences. Néanmoins, l’environnement peut s’inclure dans certaines compétences originellement prévues selon la Cour suprême. Chacun des ordres de gouvernement peut légiférer en matière environnementale24. Ainsi, le droit de l’environnement

est une compétence partagée entre les provinces et l’État fédéral.

Dans les faits, ce sont les provinces qui ont une compétence plus étendue en vertu de leur compétence générale « sur la propriété et les droits civils dans la province »25 et plus restreinte

lorsque les matières portent sur des matières purement locales ou privées26. Le législateur

fédéral a des domaines de compétences plus spécifiques à l’échelle nationale, notamment sur les pêcheries, la navigation, le commerce interprovincial et international27 ou le pouvoir de faire

des lois sur la paix, l’ordre et le bon gouvernement du Canada28.

Les municipalités aussi ont compétence lorsque la loi s’intéresse à une matière locale29. Elles

peuvent intervenir sur l’usage des pesticides sur leur territoire du moment qu’elles n’entrent pas en conflit avec la compétence fédérale et provinciale30. Cette compétence est issue de la Loi

22 Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., R.-U., c. 3, art. 91, 92, 92A et 95

23 Paule Halley, « Recours de nature pénale » dans JurisClasseur Québec, vol. « Droit de l’environnement »,

Montréal, LexisNexis, 2018, p. 1/4

24 Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3, 63-65, [1992]

A.C.S. no 1.

25 Loi constitutionnelle de 1867, (R.-U), 30 & 31 Vict., c. 3, art. 92(13) et (16) 26Id, art. 92(16)

27Id, art. 91(2), (10) et (12)

28 Id, art. 91, paragraphe introductif

29 Loi constitutionnelle de 1867, (R.-U), 30 & 31 Vict., c. 3, art 92(8) 30 Canada ltée c. Hudson (Ville de), [2001] 2 R.C.S. 241

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constitutionnelle de 186731. C’est ainsi que les municipalités sont compétentes en matière de

système d’aqueducs, d’égouts et l’assainissement des eaux32.

En revanche, en matière criminelle, le parlement fédéral dispose d’une compétence exclusive33.

Le parlement fédéral et les provinces peuvent légiférer en matière pénale. Les provinces peuvent prévoir des sanctions pénales à condition que la loi en question ait pour but de légiférer un des domaines de compétences réservées à celles-ci34. Allant plus loin, l’arrêt Hydro-Québec35 énonce que le droit de l’environnement est un objectif légitime du droit criminel. La

jurisprudence élargit considérablement la compétence fédérale en matière de droit pénal environnemental. Alors qu’auparavant le pouvoir fédéral avait compétence pour légiférer sur les crimes de négligence criminelle36, la possession de substances volatiles dangereuses37 ou

encore en cas de nuisances publiques38, le parlement fédéral peut édicter des lois et réglementer

les substances toxiques en vertu de sa compétence en droit criminel.

Les pouvoirs fédéral et provincial ont donc vocation à légiférer en matière environnementale à condition qu’ils se limitent à leur domaine de compétence respectif.

Les infractions environnementales issues du parlement des provinces sont qualifiées d’infractions contre le bien-être public ou encore d’infractions réglementaires39. Tout comme

la France, la majorité des infractions sont réglementaires.

Il existe un corpus de loi assez impressionnant, tant au niveau fédéral que provincial visant à préserver l’environnement. Au regard des différentes dispositions, il est fréquent que le législateur fasse appel au droit pénal pour réprimer tout acte de pollution. Cet usage permet de confirmer que l’environnement est une « valeur fondamentale au sein de la société canadienne »40 et ainsi, est inclus dans les valeurs sociales que le droit pénal protège. Ces lois

protègent tout milieu et toute espèce, elles sont souvent sectorielles. Sans faire une liste détaillée, au niveau provincial, il existe la Loi sur la qualité de l’environnement41 au Québec,

31Loi constitutionnelle de 1867, (R.-U), 30 & 31 Vict., c. 3, art 92(8) 32 La Loi de la qualité de l’environnement prévoit expressément ces sujets. 33 Loi constitutionnelle de 1867, (R.-U), 30 & 31 Vict., c. 3, art. 91(27). 34 Id, art. 92(15)

35 R. c. Hydro-Québec, [1997] 3 R.C.S. 213 36 C. cr., art. 219

37AncienC. cr., art. 178, abrogé 2018, ch. 29, art. 14

38 C. cr., art. 180 (1)

39 R. c. Sault Ste-Marie (Ville de), [1978] 2 R.C.S. 1299, p. 1302

40 Ontario c. Canadien Pacifique Ltée, [1995] 2 R.C.S. 1031, par. 55

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ou encore la Loi sur la conservation et la mise en valeur de la faune42, la Loi sur les espèces menacées43. Au niveau fédéral, la Loi canadienne sur la protection de l’environnement est

incontournable44. La Loi sur les pêches45 ainsi que la Loi sur les espèces en péril46 occupent

également une partie importante. Ainsi, en droit canadien, il n’existe pas de vide juridique. Les deux ordres juridiques disposent d’un arsenal législatif complet pour répondre aux atteintes à l’environnement. Or, appliqué aux personnes morales, le droit pénal de l’environnement échoue à sanctionner toutes les infractions environnementales commises par les entités collectives, surtout, le droit pénal de l’environnement peine à réprimer la délinquance d’entreprise. Celle-ci peut se définir comme « des infractions dont la consommation est incontestable mais qu’il est impossible pour des raisons d’anonymat ou de dilution des responsabilités d’imputer à une personne physique »47. En effet, la personne morale est conçue

comme le miroir de la personne physique. Cette faiblesse du droit de l’environnement se traduit également en droit canadien, dans une moindre mesure. Premièrement parce que la notion de personne morale est restrictive et ne permet pas de traduire la réalité des échanges économiques, deuxièmement, parce que les modes d’imputation sont pensés en fonction d’une personne physique et sont dès lors inadaptés lorsqu’il s’agit de les appliquer à la personne morale.

Après avoir exposé les failles des systèmes juridiques présentés, il s’agira de répondre à cette question tout au long de la démonstration : Comment repenser la responsabilité pénale des personnes morales en France pour lutter contre la délinquance d’entreprise en matière environnementale ?

Deux hypothèses pourraient répondre à cette problématique. Premièrement, lors de l’adoption de l’article 121-2 du Code pénal en 1994 permettant d’engager la responsabilité du groupement, jusqu’alors inexistante, l’article se fonde sur la notion de personne morale. Cette notion signifie que la personne morale doit avoir la responsabilité juridique pour répondre de ses actes devant le juge pénal. Sont exclus les groupes de sociétés n’ayant pas d’existence propre et les sociétés

42 Loi sur la conservation et la mise en valeur de la faune, RLRQ, c. C-61.1, art. 171.1. 43 Loi sur les espèces menacées ou vulnérables, RLRQ, c. E-12.01, art. 40 à 49.

44 Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999), L.C. 1999, c. 33 (ci-après « LCPE. »). 45 Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), c. F-14

46 Loi sur les espèces en péril, L.C. 2002, c. 29, art. 32(1).

47 Geneviève Giudicelli-Delage, « La responsabilité pénale des personnes morales en France », dans Aspects

nouveaux du droit de la responsabilité aux Pays-Bas et en France, Université de Poitiers, Collection de la Faculté de droit et de Sciences sociales, 2003, p. 189

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absorbantes. Dès lors, la société mère d’une filiale ayant commis un dommage environnemental pose le problème de l’appréhension de sa responsabilité. Elle sera quasiment impossible. Concernant le Canada, la notion de personne morale a été préférée pendant un temps, excluant tout groupement n’ayant pas la personnalité juridique. Puis, depuis l’entrée dans le Code criminel des articles 22.1 et 22.2 en 2004, la notion d’organisation a remplacé la notion de personne morale. Cette notion est bien plus large que la notion française. Elle pourrait englober les groupes de sociétés. Les montages juridiques et la sophistication du monde des affaires, leur permettent jusqu’à présent une certaine immunité car le groupe de sociétés n’est pas reconnu par la loi pénale. Il faudrait alors tendre vers une approche plus large, afin de mettre fin à cette impunité, permise par le droit. En revanche, en matière d’infraction de responsabilité stricte, qui sera définie dans la présente étude, la notion de personne morale demeure avec ses défauts au Canada.

Deuxièmement, concernant les mécanismes d’imputation, en France, la responsabilité des personnes morales est soumise aux conditions de l’article 121-3 du Code pénal. Pour ce faire, il faut que soient réunis quatre éléments. Tout d’abord une personne morale ayant la personnalité juridique, une infraction à savoir ici une atteinte à l’environnement, peu importe que l’infraction soit intentionnelle ou non intentionnelle. D’autre part, cette infraction doit avoir été commise par une personne physique, représentante ou organe de la personne morale. Enfin, cette infraction doit avoir été perpétrée pour le compte de la personne morale. Le législateur et la jurisprudence ont opté pour la théorie de l’identification. Selon cette théorie, la personne morale ne peut commettre l’infraction que par le biais d’une personne physique identifiée. Souvent, la faute pleine et entière ne sera pas commise par un agent seul, mais par une succession de décisions, d’omissions, de votes au sein de la personne morale, ces conditions ayant permis la réalisation de l’infraction.

Au Canada, plusieurs modes d’imputation sont prévus. Ils dépendent de la nature de l’infraction. Avant 2004, et avant l’entrée en vigueur des articles 22.1 et 22.2 du Code criminel, la jurisprudence48 avait élaboré un mode d’imputation de la responsabilité de la personne

morale. Pour que soit engagée la responsabilité de la personne morale, il faut que l’âme dirigeante de la personne morale ait commis l’infraction. C’est une consécration de la théorie de l’identification. Puis, depuis 2004, en matière criminelle, une organisation sera responsable pénalement d’une atteinte à l’environnement lorsque le cadre supérieur a commis l’infraction.

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Le mode de responsabilité diffère si l’infraction est de négligence criminelle. Particulièrement pour les fautes de négligence, bien que l’infraction doive être commise par un cadre supérieur, cette infraction peut être commise collectivement, de sorte que la faute organisationnelle de la personne morale est prise en compte. Seulement ce mode de responsabilité, prévu en matière criminelle, ne vaut pas pour les infractions de responsabilité stricte ou absolue. Pour ces dernières étant souvent réglementaires, la loi habilitante prévoit un régime particulier. Souvent, il s’agira de la théorie de l’identification issue de la common law applicable à la fois pour déterminer si l’actus reus est rempli, mais également pour déterminer si l’entreprise a fait preuve de diligence raisonnable.

La théorie de l’identification ne permet pas de capter l’ensemble de la criminalité écologique, car elle ne tient pas compte de la spécificité de la personne morale. D’autres mécanismes importants permettraient de répondre à cette forme de délinquance environnementale, propre aux entités morales. La faute propre de la personne morale pourrait être envisagée, sans l’intermédiaire d’une personne physique. Cette faute pourrait être démontrée dès lors que la personne morale viole les obligations environnementales qui lui incombent. La violation d’une obligation environnementale directement commise par la personne morale est une solution déjà envisagée en droit canadien.

La pertinence scientifique de ce projet de recherche découle de la rareté des écrits sur la question. La mise en œuvre de la responsabilité pénale en matière environnementale spécifiquement appliquée à la personne morale est encore trop peu abordée. Pourtant, cette dernière est la première intéressée par le droit pénal de l’environnement. Le chevauchement de plus en plus fréquent du droit de l’environnement et du droit pénal, est lui aussi assez peu traité. L’incorporation du droit de l’environnement dans le droit pénal est révélatrice de la naissance de nouvelles valeurs sociales. En effet, le droit pénal possède une fonction déclarative des valeurs jugées comme essentielles au sein d’une société si bien que leur violation est considérée comme un comportement antisocial, et donc justifie l’usage de la sanction pénale. Ce mémoire contribuera humblement à l’avancement des connaissances puisqu’il mettra en lumière les valeurs nouvelles du droit pénal. Enfin, ce mémoire vise à comparer deux systèmes de normes reposant sur des valeurs similaires, la France et le Canada. Cette étude comparative permet de tirer des conclusions qu’il serait impossible d’émettre autrement et de proposer des solutions contemporaines. Aussi, la comparaison entre le Canada, pays de tradition anglo-saxonne et la France, pays légaliste influencé par les Lumières est pertinente scientifiquement. L’amélioration du droit national est l’enjeu de ce mémoire. La préservation de l’environnement

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est l’affaire de tous, les grandes entreprises, ayant des moyens supplémentaires, doivent être exemplaires, et cette exemplarité doit se manifester au sein du droit pénal.

La méthode utilisée sera la méthode comparée. La comparaison n’est utile que si les systèmes juridiques comparés présentent à la fois des similitudes mais aussi des différences. En l’occurrence, il paraît intéressant de comparer les systèmes juridiques canadien et français car ces deux pays présentent des niveaux de développement similaires. Il s’agit de deux puissances mondiales économiques qui possèdent des priorités semblables. Leur objectif affiché est de lutter contre les atteintes à l’environnement. Il paraissait donc cohérent et intéressant de confronter, d’un point de vue sociologique, leurs moyens respectifs de traiter cette même problématique eu égard à la personne morale. Il est tout autant intéressant de les confronter d’un point de vue historique, car on s’aperçoit que les deux pays ont connu les mêmes évolutions tant sur l’impératif de préservation de l’environnement mais également sur l’évolution de la responsabilité des personnes morales. L’approche menée sera fonctionnelle. Le but est de comparer les méthodes employées mais surtout les solutions y découlant. C’est ainsi que le but de ce projet de recherche est d’examiner la notion même de personne morale puis, les modes d’imputabilité de la responsabilité pénale des personnes morales mais également leur efficacité au regard de la protection de l’environnement.

Ce mémoire comportera deux parties. La première partie sera consacrée à la présentation de la notion de personne morale. Il s’agira de présenter ses qualités mais également ses faiblesses. On s’apercevra qu’en droit canadien, selon la nature de l’infraction environnementale, ce ne seront pas les mêmes notions qui s’appliqueront. Afin de planter le décor, il faudra définir la nature de l’infraction, notamment son élément moral. Celle-ci possède une particularité en matière environnementale : l’élément moral sera souvent présumé, conduisant à une preuve de la responsabilité de la personne morale facilitée. Puis, comme la personne morale ne peut exister sans ses dirigeants, il conviendra d’étudier leur responsabilité. Et ceci présente un intérêt certain car en vertu de la théorie de l’identification, la responsabilité de la personne physique et de la personne morale sont liées.

Une fois ceci présenté, il s’agira de comprendre ce que comporte et ce qu’exclut la notion de personne morale. Le droit pénal semble en retard face à la rapidité des transactions économiques, et ceci se ressent à l’égard même de la notion de personne morale. Cette notion est trop restrictive et n’appréhende pas certaines structures complexes. Cette déficience se

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traduit davantage lorsque la personne morale commet des atteintes environnementales à l’étranger.

Une fois la notion de personne morale intégrée, la deuxième partie s’intéressera à présenter les modèles d’imputation choisis dans les deux ordres juridiques. Dans une première sous-partie, on s’apercevra que les deux pays ont préféré le modèle identificatoire. Ainsi, le fondement de ce modèle appliqué aux personnes morales devra être exposé. Une fois ce modèle dévoilé, il s’agira de détailler les conditions de la responsabilité pénale des personnes morales. Les failles de ce modèle seront successivement abordées.

L’inadaptabilité de la théorie de l’identification aux personnes morales fera naitre un autre mécanisme, plus cohérent : la faute organisationnelle, qui sera traitée dans une seconde sous-partie. Des prémices de cette faute semblent présentes en France, mais surtout au Canada. Enfin, la mise en place d’un nouveau mode d’imputation fondé sur un devoir des entreprises à respecter en matière environnementale semble une approche la plus respectueuse de la spécificité juridique que représentent les personnes morales. Cette approche semble déjà d’actualité au Canada lorsqu’on parle de diligence raisonnable.

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I.

L’insuffisance de la notion de personne morale, auteur inédit de

l’infraction environnementale

Dans un premier temps rejetée, la responsabilité des personnes morales s’est imposée en France et au Canada afin, en partie, de lutter contre les auteurs principaux des infractions environnementales.

A. L’avènement de la responsabilité pénale des personnes morales en matière

environnementale

Les personnes morales étant des entités abstraites, leur responsabilité pénale ne pouvait être engagée pour toutes infractions. A cet égard, la nature de l’infraction environnementale, notamment l’élément moral, présente un enjeu majeur.

1. La personne morale, personne juridiquement responsable de l’infraction

environnementale

Avant de déterminer la nature de l’infraction environnementale, il convient de préciser la notion de personne morale, auteur de l’infraction.

a) Le groupement responsable pénalement

En France. Dans un premier temps, la responsabilité pénale des personnes morales a été rejetée

en France. La doctrine estimait que la personne morale, entité abstraite, ne pouvait commettre d’infraction, faute de volonté et de matérialité. Pourtant, au sein des entreprises, des infractions étaient commises. Celles-ci étaient révélées par de nombreux scandales économiques, financiers ou écologiques. Le droit pénal échouait à sanctionner la criminalité collective. S’est alors imposée la prise en compte de cette réalité économique et donc l’importance de responsabiliser les personnes morales.

La consécration de la responsabilité des personnes morales est perçue comme la principale innovation du Code pénal49. L’avant-projet de réforme du Code pénal affichait comme ambition

de voir disparaitre « la présomption de responsabilité pénale qui pèse aujourd’hui sur les

49 Frédéric Desportes, « La responsabilité pénale des personnes morales en droit français », Les cahiers juridiques

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dirigeants à propos d’infractions dont ils ignorent parfois l’existence »50. Un transfert de

responsabilité de la personne physique à la personne morale était l’objectif principal.

Au départ, aux côtés de la personne physique, l’avant-projet de réforme du Code pénal de 1978 visait l’entreprise et plus précisément, les groupements ayant une activité commerciale, industrielle et financière51, et non uniquement la personne morale. La réalité économique

primait sur la réalité juridique car le groupement, pour être appréhendé par le droit pénal, pouvait être dépourvu de la personnalité juridique. D’ailleurs, la Commission de relecture avait écrit que « la Commission, qui aurait pu se contenter de poser le principe de la responsabilité pénale des personnes morales, a voulu pousser plus loin son analyse de la réalité des faits »52.

Le but affiché était d’« atteindre le vouloir collectif réel et non une fiction juridique »53, elle

dit, en outre, « s’inspir[er] de la position du droit pénal européen lorsqu’il vise l’entreprise »54.

Cet enjeu s’est pourtant dilué, voire dissous au cours des différents projets de loi proposés. Le changement opère en 1983. Le sujet de droit pénal sera désormais la personne morale. Ce glissement notionnel, vers le critère de la personnalité morale, aurait alors été choisi « un peu vite »55.

Ce changement de terminologie opère un changement juridique. On passe ainsi d’une démarche pragmatique pour atteindre la réalité économique des groupements à une démarche essentiellement idéologique basée sur la personnalité et l’égalité, sans pour autant perdre de vue la volonté d’appréhender l’entreprise56. Le législateur français souhaite sanctionner les

groupements qui opèrent sur le marché sans se procurer les outils juridiques pour le faire. Ceci conduit à un paradoxe.

50 Robert Badinter, Présentation du projet du nouveau Code pénal, Paris, Dalloz, 1986, p. 16

51 Article 37 : Les dispositions des articles 38 et 39 sont applicables à tout groupement dont l’activité est de nature

commerciale, industrielle ou financière. Article 38 : Sans préjudice des poursuites exercées contre les personnes physiques, tout groupement est pénalement responsable du délit qui a été commis par la volonté délibérée de ses organes, en son nom et dans l’intérêt collectif. Lorsque le délit n’a pas été commis dans l’intérêt collectif, sont pénalement responsables de l’infraction les membres du groupement, personnes physiques ou groupements, par la volonté et dans l’intérêt desquels les faits ont été accomplis. Article 39 : Lorsqu’il a été créé ou détourné de son objet pour faciliter la commission du délit, le groupement poursuivi dans les conditions prévues par l’article précédent peut être dissous par décision du tribunal, Commission de révision du Code pénal, Avant-projet définitif de Code pénal - Livre 1 Dispositions générales, Documentation. française, 1978, p. 122.

52 Commission de révision du Code pénal, Avant-projet définitif de Code pénal - Livre 1 Dispositions générales,

Documentation. française, 1978, p. 122.

53 Ibid 54 Ibid

55 Pierre Couvrat, « La responsabilité des personnes morales : un principe nouveau », Les petits affiches (1993)

120, p.15

56 Geneviève Giudicelli-Delage, « La responsabilité pénale des personnes morales en France », dans Aspects

nouveaux du droit de la responsabilité aux Pays-Bas et en France, Université de Poitiers, Collection de la Faculté de droit et de Sciences sociales, 2003, p. 189

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Ce nouveau dispositif est d’abord porté sur la notion de personnalité. Le droit pénal des personnes morales est calqué sur la personne physique. Le but est de mettre sur un même pied d’égalité la personne physique et la personne morale, et donc de les rendre responsables dans les mêmes conditions57. Malheureusement, c’est également son principal défaut, car le

législateur n’a pas pris en compte son absence de réalité physique. Le Code pénal est largement tourné vers la personne physique. Comme il s’agit de personne morale, donc de personne, le principe de personnalité n’a pas besoin d’un dispositif particulier pour s’adapter58.

Le principe d’égalité semble également au cœur de la réforme. Ainsi, ce sont les personnes morales de droit privé et de droit public qui seront responsables pénalement en vertu de l’article 121-2 du Code pénal. Cependant, quelques personnes morales sont exclues. L’État est irresponsable. Les collectivités territoriales sont responsables pénalement uniquement d’infractions commises dans l’exercice d’une activité susceptible de délégation de service public. Certaines personnes morales de droit public bénéficient d’une immunité. Or en considérant que les personnes morales de droit public et droit privé sont assimilables, le législateur « non seulement, se méprend sur la portée du principe d’égalité mais consacre une rupture d’égalité entre personnes morales de droit public cette fois »59. L’article 121-2 du Code

pénal ainsi que l’article L.5111-1 du Code général des collectivités territoriales a été attaqué pour son défaut de conformité à la Constitution. Le caractère sérieux de la question n’a pas été retenu « dès lors que les termes de l'article 121-2 du Code pénal, dont le seul objet est de définir les conditions dans lesquelles la responsabilité pénale des personnes morales de droit public peut être engagée, à l'exception de celle de l'État, sont suffisamment clairs et précis pour que son interprétation, qui entre dans l'office du juge pénal, puisse se faire sans risque d'arbitraire et sans méconnaître aucun des principes constitutionnels précités »60.

Depuis 1994, la personne morale est restée le groupement pénalement responsable. Pour la Cour de cassation, la personne morale est l’entité pourvue de la personnalité juridique. Elle

57 Id, p. 188 et 189, en référence à l’intervention de Pierre Méhaignerie « Dès lors que la loi pénale a pour fonction

de refléter l’état des valeurs morales, sociales, et économiques de la société, elle devait tenir compte de l’impact des actions aujourd’hui menées par les personnes morales ; au regard des intérêts collectifs à protéger notamment en matière d’environnement, de santé publique et de relations économiques, l’équité exigeait que les personnes morales puissent être pénalement poursuivies. En définitive, la philosophie du système est claire : les personnes morales qui agissent dans les mêmes domaines que les personnes physiques doivent subir les mêmes contraintes juridiques qu’elles. Ce principe est en outre légitime dans une société démocratique ou la liberté rend chacun pleinement responsable de ses actes. »

58 Juliette Tricot, « Le droit pénal à l’épreuve de la responsabilité des personnes morales : l’exemple français »,

(2012) 1 Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, p. 19

59 Id, p. 25

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adopte une position assez ferme : « l'article 121-1 du Code pénal ne peut s'interpréter que comme interdisant que des poursuites pénales soient engagées à l'encontre de la société absorbante pour des faits commis par la société absorbée avant que cette dernière perde son existence juridique »61. Le conseil d’État n’a pas retenu la même solution. Ni l’article 121-1 du

Code pénal ni le principe de personnalité ne s’opposent à ce que le Conseil des marchés financiers prononce une sanction à une société absorbante62. Il n’en demeure pas moins que la

chambre criminelle campe sur ses positions.

Sont ainsi visés exclusivement les groupements dotés de la personnalité juridique. Les sociétés civiles ou commerciales, les associations, les congrégations religieuses, les groupements d’intérêt économique, les syndicats et les partis politiques sont responsables pénalement. Si la personnalité juridique a été choisie comme critère, c’est parce qu’elle accorde certains avantages aux personnes physiques créant la personne morale. Le législateur a voulu responsabiliser ses créateurs, en instaurant la responsabilité de la personne morale, afin d’éviter un détournement de son objet. Parmi ses avantages, la personne morale possède un patrimoine propre, autonome et distinct de ses dirigeants. Les créanciers de la personne morale ne pourront saisir que ses biens. Les dirigeants et associés sont protégés par l’écran social de la personne morale. La personnalité morale est également un outil de gestion. Pour l’acquérir, certaines formalités doivent être réalisées, comme l’immatriculation au registre du commerce.

S’est alors posée la question de ce que signifie la personnalité juridique, au regard des débats doctrinaux opposant les défenseurs de la théorie de la fiction d’un côté et les partisans de la théorie de la réalité de l’autre. C’est cette dernière qui a été consacrée par la Cour de cassation en matière civile63. Elle admet la personnalité morale « à tout groupement pourvu d'une

possibilité d'expression collective pour la défense d'intérêts licites, dignes, par suite, d'être juridiquement reconnus et protégés ». Selon la théorie de la fiction, seul l’être humain est animé d’une volonté. Il en résulte que la personnalité juridique n’est attribuée qu’aux groupements exclusivement prévus par la loi. En revanche, la théorie de la réalité consacre la personnalité juridique à un groupement dès lors que plusieurs personnes se sont groupées dans un but commun. L’intérêt du groupement y est distinct de l’intérêt de chacun de ses membres. Le Code civil ainsi que le Code des sociétés consacrent expressément la reconnaissance de la

61 Cass. crim., 25 oct. 2016, n° 16-80.366 62 CE, 22 nov. 2000, n° 207697

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personnalité morale à certaines entités64. Ces dispositions confortent, selon certains de ses

partisans, la théorie de la fiction. Pour assoir davantage sa légitimité, cette dernière affirme que l’abandon de la notion de groupement pour la notion de personne morale par le législateur de 1994 et le principe d’interprétation stricte de l’article 121-2 du Code pénal étayent la prise de position du législateur pour la fiction65. Ce changement terminologique ne signifie pas pour

autant que le législateur a voulu cantonner la responsabilité pénale aux personnes morales expressément prévues par la loi. L’argument de l’interprétation stricte peut séduire car il accorde la sécurité juridique aux personnes morales. Pour autant, il conduirait à une inégalité de fait entre les différentes personnes morales liée uniquement à leur mode de reconnaissance juridique 66.

Certains auteurs en revanche affirment que la réforme législative a été impulsée par la théorie de la réalité. Ils militent pour un élargissement de la jurisprudence civile au pénal. Or, il existe un principe ancien qui enseigne que le droit pénal est autonome du droit civil67. Il possède ses

propres principes. Par ailleurs, la notion d’intérêt licite, présente dans la jurisprudence civile se confond difficilement avec la commission d’une infraction.

Pour autant, en matière pénale, la jurisprudence n’a pas tranché entre les deux doctrines68. En

effet, elle se contente de vérifier si la structure qui lui est présentée dispose de la personnalité juridique, sans pour autant se limiter aux structures pourvues de la personnalité juridique selon la loi. Le but n’est pas de prendre part au débat, qui a été longuement et judicieusement traité auparavant. Il semble toutefois que la théorie de la réalité, bien qu’insécuritaire sur certains points, pourrait mettre fin à certaines impunités des groupements non reconnus juridiquement. Ces groupements contournent la loi pénale, et profitent de l’irresponsabilité pénale accordée aux entités non dotées de la personnalité juridique. Le droit pénal devrait donc prendre compte de la réalité économique. N’ont pas la personnalité juridique les sociétés en participation69, les

sociétés créées de fait ou les fonds communs de placement70. C’est également le cas des sociétés

64 C. civ., art. 1842 et C. com., art. L. 210-6

65 Bertrand De Lamy et Marc Segonds, « Responsabilité pénale des personnes morales » dans JurisClasseur Pénal

des affaires, vol. « Notions fondamentales », fasc. 7, LexisNexis, 2018 p. 13

66 Id, p. 14

67 Cass. req., 23 juill. 1866, DP 1867

68 Jean-Yves Maréchal, « Responsabilité pénale des personnes morales », dans JurisClasseur Pénal, fasc. 20,

LexisNexis, 2009

69 Cass. crim., 14 déc. 1999, Bull. crim. n° 306 70 C. civ., art. 1872 et 1873

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en formation, les sociétés absorbées71, les groupes de sociétés72. Comme le dénonce Juliette

Tricot « le système pénal se trouve dans l’incapacité de saisir une part considérable de la délinquance d’affaires largement entendue, tout en étant sensiblement désarmé face aux fraudes à la loi pénale »73. Cette solution qui conduit à écarter toute responsabilité lorsque l’entreprise

n’a pas de personnalité morale a été perçue comme excessivement restrictive74.

Au Canada. Comme en France, la responsabilité de la personne morale n’allait pas de soi. Or

la personne morale crée un climat qui peut inciter la personne physique à commettre des infractions au bénéfice du groupement75. L’idée d’une responsabilité des personnes morales

s’est progressivement imposée.

Il n’existe pas au Canada et au Québec un régime juridique particulier concernant la responsabilité des personnes morales76. Toute loi pénale, fédérale ou provinciale est susceptible

d’engager la responsabilité pénale des personnes morales. Il existe ainsi une pluralité d’infractions, assorties de sanctions pénales, applicables aux personnes morales. Or ces différentes législations n’établissent pas un régime unitaire de la responsabilité pénale des personnes morales. Il est donc particulièrement difficile de cerner les contours de la responsabilité pénale des entités collectives en droit canadien et québécois.

Comme pour les personnes physiques, le champ d’application et l’étendue de la responsabilité pénale d’une organisation diffèrent selon qu’il s’agit d’une infraction exigeant la preuve d’un élément moral, les infractions de mens rea ou une infraction de responsabilité stricte ou absolue77. Les personnes morales sont soumises à des régimes distincts.

Pour les infractions de mens rea, la prise en compte de la responsabilité de la personne morale a été plus longue. En effet, une infraction de mens rea suppose de la part de son auteur une intention, une connaissance, un aveuglement volontaire ou une insouciance. Or, les personnes morales sont dénuées de volonté. Leur appréhension par le droit criminel a pendant un temps été refusée. Puis, progressivement sa responsabilité a été discutée, jusqu’à l’arrêt Canadian

71 Cass. crim., 20 juin 2000, n° 99-86.742 : JurisData n° 2000-002990 ; Bull. crim. n° 237 ; Bull. Joly 2001, p. 39,

obs. C. Mascala

72 Frédéric Stasiak, « Groupe de sociétés et responsabilité pénale : de l'esquive à l'esquisse », (2017) 16 :6 Dr.

Sociétés, p.1

73 Juliette Tricot, « Le droit pénal à l’épreuve de la responsabilité des personnes morales : l’exemple français »,

(2012) 1 Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, p. 24

74 Claude Lombois, « La responsabilité pénale des personnes morales », (1993) 120, LPA, p. 48 75 Jean Pradel, Droit pénal comparé, 4e éd., Paris, Dalloz, 2016, p. 182

76 Marc Lalonde, « Responsabilité pénale des personnes morales », (1999) 101 : 2 Revue du notariat 260, p. 260 77 Jennifer Quaid, « La responsabilité de l’organisation » dans JurisClasseur Québec, vol. « Droit pénal »,

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Dredge78, dans lequel la Cour suprême a choisi la théorie de l’identification pour sanctionner

l’organisation. La répression se limite à la notion de personne morale. Celle-ci est nécessairement dotée de la personnalité juridique79. Elle est un sujet de droit distinct des

personnes physiques qui la composent. La corporation est une institution juridique qui dispose d’une personnalité propre, distincte de celle de ses membres. Les deux expressions sont équivalentes80. Seule une entité ayant la personnalité morale peut être responsable. Cette

responsabilité est la contrepartie des avantages que procure la personnalité morale, notamment la capacité à ester, à conclure des contrats au nom de la société et à disposer d’un patrimoine propre. Cela dit, la Cour suprême avait déclaré responsable pénalement un syndicat dépourvu de la personnalité juridique car il avait la capacité d’ester en justice81. Pour autant, il n’en

demeure pas moins que la personnalité juridique reste le critère essentiel permettant d’engager la responsabilité de la personne morale. C’est ainsi que peu importe si l’entité a un but lucratif, les personnes morales ayant une vocation religieuse et disposant de la personnalité juridique tombent sous le coup de la loi pénale82. En ce sens, la personne morale canadienne est

assimilable à la personne morale française. Cette notion de personne morale souffre alors des mêmes maux que la définition française.

Puis, conscient que cette notion était insuffisante, le législateur fédéral a élargi la notion de personne morale pour la notion d’organisation, uniquement applicable en cas d’infraction de

mens rea, c’est-à-dire pour la majorité des infractions du Code criminel. Le but affiché est

d’étendre « la responsabilité pénale à une vaste gamme d'entités qui structurent et incarnent les activités collectives et les intérêts collectifs des individus qui s'associent »83. L’effet symbolique

de ces nouvelles dispositions est la prise en compte de l’importance de la criminalité collective et la volonté de la prendre au sérieux. Le gouvernement a pris conscience que le droit pénal canadien applicable aux personnes morales avait besoin d’être modernisé. L’organisation comprend la personne morale mais ne s’y limite pas. L’article 2 du Code criminel définit ainsi l’organisation :

« Selon le cas :

78 Canadian Dredge & Dock Co., c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 662

79 Marc Lalonde, « Responsabilité pénale des personnes morales », (1999) 101 : 2 Revue du notariat 260, p. 261 80 PERSONNE MORALE ET SOCIÉTÉ, site du ministère de la justice :

https://www.justice.gc.ca/fra/pr-rp/sjc-csj/redact-legis/juril/no91.html

81 United Nurses of Alberta c. Alberta (Procureur général), [1992] 1 R.C.S 901 82 R. v. Church of Scientology ot Toronto, [1996] 33 O.R (3d) 65 par. 173-223 (C.A)

83 Projet de loi C-45, Loi modifiant le code criminel (responsabilité pénale des organisations), 37 lég. (Can.), 2e

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a) corps constitué, personne morale, société, compagnie, société de personnes, entreprise, syndicat professionnel ou municipalité;

b) association de personnes qui, à la fois :

(i) est formée en vue d’atteindre un but commun, (ii) est dotée d’une structure organisationnelle,

(iii) se présente au public comme une association de personnes. »

Le premier volet de la définition n’est pas novateur ; demeurent responsables criminellement les groupements ayant la personnalité juridique. Sur ce point, le droit applicable est similaire au droit issu de la common law. On s’aperçoit que les jugements clés en la matière continuent d’utiliser l’expression personne morale au détriment de la notion d’organisation, se contentant de constater que la personne possède la personnalité juridique84. La Cour d’appel du Manitoba

a ainsi refusé de sanctionner une entreprise individuelle c’est-à-dire un individu faisant affaire en sa capacité personnelle, car il ne disposait pas d’une personnalité morale85.

La deuxième partie de la définition est particulièrement intéressante, car elle définit la notion d’organisation en termes suffisamment larges pour englober les groupements non dotés de la personnalité juridique mais actifs économiquement sur les marchés86. En effet, la notion

« d’association de personnes » pourrait permettre d’inclure tous les groupements n’ayant pas la personnalité juridique. Les trois critères cumulatifs sont assez souples pour comprendre les partis politiques, les groupements d’ordre religieux, les sectes, les clubs sociaux, les bandes indiennes et certains rassemblements publics organisés87. La notion de structure

organisationnelle suppose que sont uniquement responsables les groupements suffisamment organisés et qui s’inscrivent dans une certaine durée. Cette nouvelle approche étendue des groupements permet de mieux rendre compte de la réalité économique des affaires.

Le champ d’application de la réforme reste cependant limité. Les nouvelles dispositions du Code criminel jouent pour les infractions présentes dans le Code criminel à savoir les infractions de mens rea. Quant aux infractions présentes dans d’autres textes fédéraux, selon l’article 34

84 Pierre-Christian Collins Hoffman, « La codification de la responsabilité criminelle des organisations au Canada

: étude de la portée et de certaines lacunes de l’intervention législative », (2017) 47 : 1, Revue de droit de

l’université de Sherbrooke 110, p. 132

85 R. v. AFC Soccer, 2004 MBCA 73

86 Le terme organisation est défini « assez largement pour inclure tous les grands participants à l’économie »

CANADA, Débats de la Chambre des communes, 2e sess., 37e légis., 15 sept. 2003, « Initiatives ministérielles. Le

code criminel », p. 7326 (Harold Macklin)

87 Paul Dusome, « Criminal Liability under Bill C-45 : Paradigms, Prosecutors, Predicaments », (2007), 53 Crim.

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(2) de la Loi d’interprétation88 et le principe de séparation des compétences, les dispositions du

Code criminel sont supplétives. Il suffit que le législateur indique expressément qu’elles sont écartées ou bien que la loi comporte un code complet en soi89. Ainsi en principe, les articles

22.1 et 22.2 du Code criminel s’appliquent aux lois fédérales. Cependant, lorsque l’infraction édictée par la loi fédérale est de responsabilité stricte, la responsabilité de l’organisation dépendra du régime spécial prévu par la loi, et le cas échéant, des principes de common law applicables, comme explicité ci-après.

Dans la LCPE90, loi fédérale établissant en majorité des infractions de responsabilité stricte, la

personne visée par le texte est aussi bien la personne physique que la personne morale. En effet, il existe un principe général qui veut que les lois d’application générale visent indistinctement les personnes physiques et personnes morales91. En effet, la Loi d’interprétation ne distingue

pas92. Il en va de même pour la législation québécoise93. La LQE prévoit expressément son

champ d’application aux personnes morales94. Comme c’est le cas en droit fédéral, les articles

22.1 et 22.2 du Code criminel sont sans effet en ce qui concerne les infractions provinciales et territoriales de responsabilité stricte, en application du partage des compétences.

D’autre part, les infractions de responsabilité stricte sont régies par les dispositions particulières prévues par leurs lois habilitantes. Or, on constate qu’à défaut de dispositions expresses, les tribunaux appliquaient les règles de common law de manière subsidiaire. Ainsi, les principes dégagés par les arrêts Canadian Dredge95 et Rhône96 jouent en matière de responsabilité stricte.

C’est donc la notion de personne morale qui prévaut. On constatera souvent que la loi prévoit expressément l’application aux personnes morales et non aux organisations. C’est donc uniquement l’entité collective possédant la personnalité juridique qui est pénalement appréhendable. Les tribunaux faisaient appel au régime de common law, seules les personnes morales étaient visées. Puisque le nouveau régime de responsabilité pénale des infractions de

88 Loi d’interprétation, L.R.C 1985, c. I-21 « Sauf disposition contraire du texte créant l’infraction, les dispositions

du Code criminel relatives aux actes criminels s’appliquent aux actes criminels prévus par un texte et celles qui portent sur les infractions punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire s’appliquent à toutes les autres infractions créées par le texte. »

89 R. v. Del Mastro, [2016], ONSC 2071, par. 148

90 Loi canadienne sur la protection de l’environnement, L.C. 1999, c. 33

91 Marc Lalonde, « Responsabilité pénale des personnes morales », (1999) 101 : 2 Revue du notariat 260, p. 261 92 Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, c. 1-21. art. 35(1)

93 Loi d’interprétation, R.L.R.Q. 2015, c. 1-16, art. 61(16). 94Loi sur la qualité de l’environnement, Q-2, art. 1

95 Canadian Dredge & Dock Co., c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 662 96 Rhône (Le) c. Peter A.B. Widener (Le), [1993] 1 R.C.S. 497.

Références

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