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La responsabilité de droit privé du médecin : aperçu du droit suisse

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La responsabilité de droit privé du médecin : aperçu du droit suisse

PETITPIERRE, Gilles

PETITPIERRE, Gilles. La responsabilité de droit privé du médecin : aperçu du droit suisse.

Revue internationale de droit comparé, 1976, vol. 28, no. 3, p. 567-577

DOI : 10.3406/ridc.1976.16720

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:94781

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Revue internationale de droit comparé

La responsabilité de droit privé du médecin : aperçu de droit suisse

Gilles Petitpierre

Citer ce document / Cite this document :

Petitpierre Gilles. La responsabilité de droit privé du médecin : aperçu de droit suisse. In: Revue internationale de droit comparé. Vol. 28 N°3, Juillet-septembre 1976. pp. 567-577;

doi : https://doi.org/10.3406/ridc.1976.16720

https://www.persee.fr/doc/ridc_0035-3337_1976_num_28_3_16720

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(3)

LA RESPONSABILITÉ DE DROIT PRIVÉ DU MÉDECIN :

APERÇU DU DROIT SUISSE

Gilles PETITPIERRE Avocat au barreau de Genève

Professeur à la Faculté de droit de l'Université de Genève

INTRODUCTION

Comme tous les grands domaines de la vie des hommes, l'activité du médecin doit entrer dans un cadre juridique. Mais elle touche à des valeurs telles que ce qu'on en peut saisir à travers le droit reste forcément schématique et sommaire. C'est bien conscient de cette limite que nous consacrons les pages qui suivent à un survol des règles propres au droit suisse. La comparaison, étant donné les caractéristiques d'ensemble du domaine médical, fera apparaître relativement peu de variété dans les solutions des différentes législations nationales. La relation particulière de confiance liant le malade à ceux qui le soignent, les exigences de la

morale médicale, les techniques et les fins de l'activité du médecin sont fondamentalement semblables dans les pays industrialisés.

Trois thèmes fondamentaux dominent notre sujet : la protection juridique particulière assurée à l'intégrité physique et à la santé contre les

atteintes de tiers ; l'utilité et la nécessité collectives et particulières des soins médicaux qui doivent aider à la conservation ou à la restauration de l'intégrité physique et de la santé ; le caractère toujours aléatoire et par définition imparfait des connaissances médicales en général et les risques inhérents à tout traitement médical individuel. La réglementation de la responsabilité médicale illustre et concrétise le jeu de ces thèmes.

I. — Le cadre juridique de la relation entre le médecin ET LE PATIENT

A. Le contrat.

La relation médecin-patient est le plus souvent fondée sur un contrat dont il est généralement admis qu'il s'agit du mandat (art. 394 et s. CO)

« par lequel le mandataire s'oblige, dans les termes de la convention, à

(4)

568 LA RESPONSABILITÉ DE DROIT PRIVE DU MÉDECIN :

gérer l'affaire dont il s'est chargé ou à rendre les services qu'il a promis » (art. 394, al. 1er)- Le mandataire ne s'oblige pas à produire un résultat (ce qui serait le propre du contrat d'entreprise, art. 363 et s. CO), mais il ne promet que son activité diligente, comme l'employé dans le contrat de travail (art. 398, al. 1er CO, art. 321 a), al. 1er CO). Il est «

responsable envers le mandant de la bonne et fidèle exécution du mandat » (art. 398, al. 2 CO ; en allemand getreue und sorgfältige Ausführung).

A vrai dire, si les règles du mandat sont appliquées au contrat médical, ce n'est pas tant en vertu de l'alinéa 1er de l'article 394 du Code des obligations précité, que de l'alinéa 2 du même article 394 qui veut que « les règles du mandat s'appliquent aux travaux qui ne sont pas soumis aux dispositions légales régissant d'autres contrats ». C'est en raison de son caractère subsidiaire que la réglementation du mandat gouverne le contrat médical (1).

B. La gestion d'affaires.

Ne sont cependant pas rares les cas dans lesquels le contrat n'a pas été conclu au moment où le médecin dispense des soins, parce que le patient est inconscient ou incapable de discernement et que personne ne le représente. Le médecin agit alors en qualité de gérant d'affaires (art. 419 et s. CO) : la situation type est évidemment celle des cas d'urgence. Le gérant d'affaires doit en principe se comporter comme un mandataire, du moins quand il s'agit de soins médicaux (2). Ces situations appellent ainsi l'application des règles valables pour le mandat proprement dit.

C. Les établissements hospitaliers privés.

Le contrat peut être conclu avec un établissement qui emploie des médecins. Ces derniers agissent non pas comme cocontractants du patient, mais comme employés de l'institution (3). La diligence des médecins employés doit être soumise cependant aux règles du mandat, même s'ils ne répondent pas comme mandataires (4). Leur responsabilité aquilienne propre peut cependant être engagée en vertu des articles 41 et suivants du Code des obligations. L'établissement lui-même répond en vertu de

l'article 101 du Code des obligations du fait de ses auxiliaires pour

l'exécution du contrat comme de son propre fait (5). Il faut cependant, suivant les circonstances, distinguer les éléments propres à l'activité du (1) Marc-Henri Thelin, La responsabilité civile du médecin, Lausanne, 1943.

p. 17.

(2) Cf. Albert Lotz, « Zur Frage der rechtlichen Verantwortlichkeit des Arztes », Basler juristische Mitteilungen (BJM), 1968, p. 119.

(3) Pour un exemple d'Hospitalisiemngsvertrag v. Recueil officiel des arrêts du Tribunal fédéral (ATF) 92 (1966) II, p. 15 et s., notamment p. 19.

(4) Cf. Walter Yung, « Devoirs généraux et obligations », in Etudes et articles, Genève, Mémoires publiés par la Faculté de droit, 1971, pp. 119 et 120.

(5) Cf. Albert Lotz, op. cit., p. 109 ; ATF 92 II 15 ; opinion contraire Walter Loeffler, Die Haftung des Arztes aus ärztlicher Behandlung, thèse, Zurich, 1945, p. 26.

(5)

APERÇU DU DROIT SUISSE 569 médecin et ceux, comme le logement, la nourriture et les soins annexes, fournis par l'établissement. Ces derniers n'ont rien à voir avec l'activité médicale proprement dite. On admettra quelquefois qu'il puisse y avoir deux contrats distincts, l'un avec l'établissement, l'autre directement avec le médecin. Il est possible enfin que l'institution et ses services puissent être considérés comme l'auxiliaire d'un médecin qui serait en même temps le propriétaire ou le gérant de l'établissement (5 bis).

D. Le patient est un tiers au contrat.

Il n'est pas rare que le médecin reçoive mandat de soigner une tierce personne. On pense évidemment au père de famille qui n'est ni le

représentant de son enfant ni un stipulant pour autrui. Dans ces cas, le médecin doit observer la même diligence envers son patient que s'il était son mandataire, bien que le patient ne puisse déduire aucun droit du contrat. La responsabilité aquilienne du médecin serait seule engagée en cas de faute professionnelle. La pratique admet cependant que le père soit le représentant de son enfant (6).

E. Devoir de contracter du médecin ?

Le droit civil suisse n'a pas introduit le devoir général de contracter du médecin envers un malade donné. Il ne serait toutefois pas exclu de déduire un tel devoir des règles de la bonne foi dans des circonstances particulières. Dans la structure fédérale de la Suisse, c'est aux cantons qu'il échoit d'édicter des règles de droit public sur ce point, le droit civil (et indirectement pénal) fédéral consacrant la liberté contractuelle du médecin. Les limites, controversées, du pouvoir des cantons posent des problèmes délicats de droit constitutionnel que nous ne développons pas ici (7).

IL — Obligations et devoirs généraux du médecin

Le médecin doit observer les obligations (devoirs particuliers envers son cocontractant) qu'il a contractées. Il doit aussi observer les devoirs généraux qui lui incombent comme à n'importe quel sujet de droit envers son prochain.

A. Les obligations.

La principale d'entre elles est d'agir avec diligence (en allemand la sorgfaltige Ausführung) comme nous l'avons déjà vu, dans l'administration (5 bis) Bernard Schnyder, « Die Haftung des Arztes für seinen Vertuter », Revue suisse de jurisprudence (RSJ) 1955, p. 105 et s.

(6) V. arrêt non publié du Tribunal fédéral, Monica H. c/ professeur H. du 26 janvier 1971.

(7) V. Otto Kopp, Die Berufliche Hilfepflicht der Medizinalpersonen, thèse Fribourg, 1955, notamment p. 21 et s., 33 et s. ; Bruno von Bueren, Das

allgemeine Teil des OR, p. 258.

(6)

570 LA RESPONSABILITÉ DE DROIT PRIVE DU MEDECIN :

de soins médicaux. Il s'agit d'une diligence objective que nous aurons l'occasion de serrer de plus près en parlant de la responsabilité du

médecin. Si cette diligence n'est pas observée, le contrat est imparfaitement exécuté ou violé. Mais cela n'implique pas à priori que cette violation de l'obligation contractuelle essentielle soit fautive : la faute est un manquement subjectif qui doit s'ajouter au précédent pour que la

responsabilité puisse être encourue. Le droit suisse en effet décompose la notion de « faute contractuelle » pour reprendre le vocabulaire courant, en deux éléments objectif et subjectif.

B. Les devoirs généraux.

La personnalité humaine, notamment la santé et l'intégrité physique, sont protégées de façon particulière : elles font l'objet de droits subjectifs absolus ; toute atteinte à ces valeurs viole le droit absolu correspondant ; elle est illicite en principe.

C. Il s'ensuit que le mandat ou la gestion d'affaires ne rendent pas compte à eux seuls de la situation du médecin dans ses rapports avec le patient ; de même pour sa responsabilité. L'activité médicale a ceci de particulier que l'obligation du médecin de veiller à la santé et à l'intégrité physique d'autrui recouvre un devoir général de contenu semblable de respecter ces valeurs (8). Ainsi se construit, en droit suisse, le cumul des responsabilités et le concours des actions contractuelle et délictuelle contre le médecin. La faute professionnelle du médecin entraîne une atteinte à un droit subjectif absolu de sorte que la violation objective d'une obligation implique également un acte illicite (9).

Le même état de faits ouvre en général les deux voies au lésé.

L'exception la plus importante est celle des survivants du patient défunt qui, en l'absence d'un mandat les liant eux-mêmes au médecin, doivent faire valoir la perte de leur soutien (art. 45 al. 3 CO) ou le tort moral résultant pour eux du décès (art. 47 CO) selon les règles de la responsabilité aqui- lienne exclusivement (9 bis).

III. — Les conditions de la responsabilité du médecin A. Généralités.

a) Inexécution ou exécution défectueuse du contrat (responsabilité contractuelle).

La responsabilité suppose : 1) un contrat ; 2) un dommage ; 3) la (8) Henri Deschenaux et Pierre Tercier, La responsabilité civile, coll. « Précis de droit Staempfli », Berne, 1975, p. 258 ; ATF 92 (1966) II, p. 19.

(9) Cf. généralement sur cette question : Henri Deschenaux et Pierre Tercier, op. cit., p. 254 et s. ; Karl Oftinger, Schweizerisches Haftpflichtrecht, 4e éd., Zurich, 1975, p. 483 et s.

(9 bis) Oftinger, op. cit., p. 491.

(7)

APERÇU DU DROIT SUISSE 571 violation d'une obligation contractuelle ; 4) une relation de causalité adéquate entre le dommage et la violation de l'obligation ; 5) une faute du médecin.

Selon l'article 97 du Code des obligations, une fois prouvée par le lésé l'existence des quatre premiers éléments, la faute du médecin est présumée ; la preuve du contraire est possible.

Si le médecin recourt à des auxiliaires (remplaçants, assistants, etc.) il répond selon l'article 101 du Code des obligations du fait de

l'auxiliaire comme du sien propre.

b) Violation d'un devoir général (acte illicite ; responsabilité aqui- lienne).

Pour que la responsabilité soit engagée, il faut : 1) un dommage ; 2) Fillicéité de l'acte dommageable ; 3) une relation de causalité adéquate entre le dommage et l'acte illicite ; 4) une faute du médecin.

Selon l'article 41 du Code des obligations, le demandeur doit prouver les quatre éléments fondant la responsabilité. Si le médecin recourt à des auxiliaires, sa responsabilité est engagée, selon l'article 55 du Code des obligations, s'il ne peut pas prouver avoir choisi, instruit et surveillé l'auxiliaire avec la diligence commandée par les circonstances.

c) La prescription de l'action contractuelle est de dix ans depuis l'exigibilité de la créance (art. 127 et 130 CO), celle de l'action délic- tuelle d'un an à compter du jour où le lésé a connu le dommage et la personne qui en est l'auteur, mais dans tous les cas de dix ans depuis le jour où le fait dommageable s'est produit (10).

d) Nous n'évoquerons la responsabilité aquilienne qu'incidemment, la plupart des actions étant fondées sur un contrat.

é) La responsabilité du médecin peut être engagée au niveau du diagnostic (11), à celui du choix du traitement (12), à celui de

l'administration du traitement (1 3). Elle peut également résulter d'une information insuffisante du malade dont le consentement à une atteinte ou à un risque liés au traitement est absent ou vicié (14).

B. La faute professionnelle du médecin.

Etant donné le caractère particulier de l'obligation du médecin et la tendance à appliquer des critères toujours plus objectifs à la diligence subjective quand il s'agit d'apprécier la faute (en allemand, Verschulden dans cette acception), il est très difficile de distinguer les deux notions en pratique.

CIO) Art. 60 CO ; cf. ATF 87 (1961) II, p. 155 et s., 157.

(11) ATF non publié du 26 janvier 1971, H. c/ professeur H. ; ATF non publié du 4 juin 1963 dans la cause Dr. C. c/ D.

(12) Cour de justice civile de Genève 5 juillet 1957, Semaine judiciaire (SJ) 1958, p. 457 et s.

(13) Ibid.

(14) Cf. infra IV.

(8)

572 LA RESPONSABILITE DE DROIT PRIVE DU MEDECIN : a) La faute objective (Unsorgfalt).

A partir du principe que le médecin répond de tout manquement à la diligence, la jurisprudence n'a cependant pas voulu rendre la pratique médicale impossible. Elle a tenu compte de l'imperfection des

connaissances et des techniques humaines pour admettre que la méprise, dans le domaine complexe de l'activité médicale, est dans une certaine mesure inévitable. Le médecin répond non pas de toute méprise, mais seulement d'erreurs qu'on ne peut excuser, d'actes indiscutablement inappropriés, de la méconnaissance des règles de l'art et des principes reconnus et entrés dans le fond commun de l'art médical. C'est pourquoi un diagnostic erroné n'engage pas sans autre la responsabilité du médecin puisqu'il peut survenir malgré un examen diligent du patient (15). Le médecin est ainsi tenu d'améliorer ses connaissances et de se tenir au courant des progrès techniques et scientifiques. Il ne doit toutefois recourir à de nouvelles techniques que si elles sont éprouvées et reconnues par une partie au moins des milieux médicaux. Les exigences ne seront pas les mêmes pour le médecin d'un hôpital universitaire ou le médecin de campagne. De même n'exigera-t-on pas la même sécurité dans le diagnostic de celui qui intervient dans un cas d'urgence hors de son cabinet et de celui qui étudie à loisir un dossier avec un laboratoire à sa disposition.

La notion de faute professionnelle (Kunstfehler) renvoie au critère de l'observation des règles de l'art que le juge ne peut appliquer sans recourir à l'expert. Les définitions des juristes n'apportent pas beaucoup de clarté : Loeffler (16) la comprend comme toute espèce de négligence médicale typique, toute erreur résultant de ce qu'on s'est écarté de la conduite qu'aurait adoptée le médecin moyen dans les mêmes

circonstances. L'erreur provient de l'ignorance technique ou scientifique ou de l'omission des précautions ou de l'attention nécessaires (17).

Au niveau du diagnostic, le médecin doit avoir examiné

soigneusement le patient et avoir tenu compte de la pluralité des causes possibles de l'état du patient. Ainsi a-t-il été jugé par le Tribunal fédéral que si l'on pouvait excuser un médecin de ne pas avoir découvert

immédiatement la possibilité qu'un naevus au bas du dos d'un nourrisson pût être la cause d'une méningite, l'omission après plusieurs semaines de soins d'une ponction lombaire constituait une faute professionnelle. De même, après une dizaine de jours, le médecin devait-il découvrir que son patient ne souffrait pas d'une grippe intestinale, mais bien d'une appendicite, quand bien même l'appendice était anormalement placé (18).

Le traitement choisi doit être commandé par le diagnostic et

appliqué conformément aux principes généralement admis. Le médecin qui persiste à soumettre les mains de sa patiente, pianiste, qui souffre d'hy- (15) ATF non publié du 27 janvier 1971, p. 12 ; cf. SJ 1958, p. 485 (arrêt de la Cour civile de Genève déjà cité) ; ATF 64 (1938) II 205.

(16) Walter Loeffler, Die Haftung., op. cit., p. 66.

(17) V. aussi Jean Cuendet, La faute contractuelle et ses effets, 2e éd., Berne, 1970, p. 126 et s.

(18) Exemples tirés des deux ATF non publiés déjà cités.

(9)

APERÇU DU DROIT SUISSE 573 perhydrose à des applications de rayons X malgré l'apparition de rougeurs après la première irradiation commet également une faute professionnelle (19).

Indépendamment du résultat des soins, la responsabilité du médecin est exclue s'il n'a pas commis de faute professionnelle (20).

S'il se sent dépassé par le cas qui lui est soumis et qu'il n'y a pas urgence, le médecin doit, sous peine de commettre une faute

professionnelle, proposer la consultation d'un spécialiste (21).

b) La faute subjective (Verschulden).

Une fois établie l'existence d'une faute professionnelle, le médecin n'est, en théorie tout au moins, pas encore responsable du dommage. Sa responsabilité dépend en effet encore d'une faute au sens subjectif. Il peut s'agir d'une faute intentionnelle, d'une faute par négligence, dans la forme d'une action ou d'une omission.

C'est évidemment la négligence qui est le plus souvent en cause.

La jurisprudence donne toutefois l'exemple d'un médecin-psychiatre qui a entretenu avec une patiente des relations amoureuses, compromettant par là le succès de la thérapie : le Tribunal fédéral semble admettre que sa faute était intentionnelle (22).

Les parties au contrat peuvent convenir que le débiteur ne répondra pas de sa faute légère (art. 100 CO) ni de la faute, même grave, de ses auxiliaires (art. 101 al. 2 CO). On discute en doctrine de l'effet d'une telle exonération sur la responsabilité délictuelle (23). Nous pensons qu'en raison des valeurs concernées, une telle exonération ne saurait s'étendre à la responsabilité aquilienne (23 bis).

C. La preuve de la faute.

On a déjà vu que la preuve de la violation du contrat (soit de la faute professionnelle objective) incombe au lésé. Il ne suffit donc pas d'établir l'existence d'un dommage et une relation de cause à effet entre le traitement médical et ce dommage. On se souvient en effet que le médecin ne promet pas un résultat.

La jurisprudence admet qu'étant donné la difficulté d'apporter une preuve formelle, le lésé peut, suivant les circonstances, s'appuyer sur des

(19) SJ 1958, p. 475 et s. déjà cité.

(20) Cf. Jean Cuendet, op. cit., p. 127 avec des références ; Loeffler, Die Haftung., op cit., avec des détails et des références pp. 69 à 90.

(21) V. Pierre Engel, « La responsabilité civile du médecin », Médecine et Hygiène, 1968, nu 835, p. 3 et s. ; ATF 67 (1941) II, p. 22 ; Loeffler, op. cit., p. 95 ; Thelin, op. cit., p. 28, etc.

(22) ATF 92 (1966) II 20.

(23) V. entre autres Cuendet, op. cit., p. 201 et s. ; Gautschi, Kommentar zum schweizerischen Zivilrecht, vol. VI, 2e partie, art. 394-406 CO, 2e éd., Berne, 1960, art. 398 note 25.

(23 bis) Cf. Yung, « La renonciation au bénéfice de la loi en droit privé suisse », in Etudes et Articles, p. 149 et s.

37

(10)

574 LA RESPONSABILITÉ DE DROIT PRIVE DU MÉDECIN :

indices permettant, avec une vraisemblance suffisante, de conclure à l'existence d'une faute professionnelle (24).

Il incombe dès lors au médecin de prouver qu'il n'a pas commis de faute au sens subjectif : la parenté très grande de la faute objective et de la faute subjective rend la preuve libératoire extrêmement difficile quand la première est établie. Il n'est cependant pas exclu que les circonstances de l'espèce ou, plus rarement des raisons propres au médecin justifient son comportement (25). Le médecin doit réussir à prouver « qu'un fait qui, dans la règle, implique une faute dont il doit répondre ne lui est, dans le cas particulier, pas imputable à faute » (26).

Le degré de gravité de la faute subjective n'affecte pas le quantum de la réparation à moins que la faute n'apparaisse comme très légère au regard de l'ensemble des circonstances. La faute d'un autre médecin n'est pas en soi un motif de réduction de la responsabilité à moins qu'elle ne fasse apparaître celle du premier comme très légère (27). La faculté du juge de réduire le montant de la réparation découle de l'article 43 du Code des obligations.

D. La causalité adéquate.

Le lésé doit prouver que le dommage qu'il subit découle, selon l'expérience de la vie et le cours ordinaire des choses, de l'exécution imparfaite du contrat : il peut s'agir d'une action aussi bien que d'une omission. L'omission n'est pertinente que si le médecin avait le devoir d'agir. Comme pour la faute professionnelle, on admet que la preuve formelle serait très difficile et qu'on peut se contenter d'un degré élevé de vraisemblance (28).

Le problème de la concurrence de plusieurs causes conduisant au dommage est particulièrement fréquent dans notre domaine. En cas de maladies ou d'accidents graves, l'acte médical pourra n'être qu'une des causes de la mort ou de l'aggravation de l'état de santé du patient. Quand des médecins collaborent, le problème peut se poser dans les mêmes termes . Si le fait du médecin concourt avec un cas fortuit, la

responsabilité ne devrait être engagée, logiquement, que pour la partie du

dommage qui résulte du traitement. Mais la pratique résout ces problèmes difficiles dans le cadre du pouvoir d'appréciation laissé au juge pour établir le montant de la réparation et non plus du dommage (29). Quand la cause concurrente est imputable à la faute d'un tiers, les deux auteurs (24) Cf. entre autres l'arrêt de la Cour de justice civile de Genève déjà cité, 57 1958, pp. 484 et 485.

(25) Cf. Cuendet, op. cit., pp. 128-129 ; 57 1958, p. 485 ; Loeffler, op.

cit., p. 60 et s. ; Gautschi, op. cit., art. 398, note 32 e.

(26) SJ 1958, p. 485.

(27) ATF non publié du 26 janvier 1971 déjà cité, p. 43 et s.

(28) Cf. tout particulièrement ATF 57 (1931) II, p. 208 et s. ; ATF du 26 janvier 1971, déjà cité, p. 24.

(29) Lire les articles 42, 43, 44 du CO ; cf. Oftinger, op. cit., p. 98 et 280 en particulier.

(11)

APERÇU DU DROIT SUISSE ">75 répondent solidairement (art. 51 et 50 CO) à moins que le fait de l'un apparaisse comme supprimant la pertinence du fait de l'autre. La répartition définitive de la charge de la responsabilité est renvoyée au recours interne des auteurs du dommage (30).

Nous mentionnerons enfin qu'une prédisposition constitutionnelle du patient est prise en considération pour réduire le montant de la

réparation (31).

E. Le lésé et le dommage.

Nous ne mentionnerons ici que quelques particularités. Le dommage frappe le patient lui-même ou, s'il meurt, les tiers qui dépendaient économiquement de lui. En dehors de l'hypothèse de la stipulation pour autrui ou des parents qui ont contracté en leur qualité avec le médecin pour qu'il soigne leur enfant, la réparation pour la perte d'un soutien ne peut reposer que sur la responsabilité aquilienne du médecin (art. 45 al. 3 CO et, pour le tort moral 47 in fine). Le lésé lui-même disposera toujours de l'action fondée sur la responsabilité aquilienne et, s'il y a contrat, concurremment de l'action fondée sur la mauvaise exécution du contrat.

Quant au dommage économique, nous renonçons à en parler ici en détail. C'est d'abord celui que supporte le patient du fait de la

détérioration de son état de santé (coût des soins, perte de gain

professionnel) ; dans l'hypothèse de son décès, des tiers peuvent être lésés parce qu'ils perdent leur soutien économique.

Si les conditions de l'article 47 du Code des obligations sont

remplies (lésions corporelles ou mort d'homme et circonstances particulières) le patient ou, s'il est mort, sa famille obtiendront une somme d'argent à titre de réparation morale (32). Dans son arrêt du 26 janvier 1971 (p. 46) le Tribunal fédéral a rappelé qu'entrent dans les circonstances particulières le mode et la gravité de l'atteinte subie, la faute du

responsable, une éventuelle faute concurrente du lésé, la dépréciation de la monnaie ou la réduction de l'espérance de vie.

IV. — Le devoir d'information du médecin Ce que le médecin doit dire au patient pose des problèmes particulièrement difficiles parce que les exigences du droit et celles de la thérapeutique ne coïncident pas toujours.

Comme on l'a relevé plus haut, la santé et l'intégrité physiques sont l'objet d'un droit subjectif absolu et toute atteinte qui leur est portée (30) Oftinger, op. cit., p. 99 ; Deschenaux et Tercier, op. cit., p. 66 ; Gautschi, op . cit., ad art. 398, note 27 b.

(31) Oftinger, op. cit., p. 280.

(32) Cf. Pierre Tercier, Contribution à l'étude du tort moral et de sa réparation en droit civil suisse, thèse Fribourg, 1971, pp. 126-139.

(12)

576 LA RESPONSABILITÉ DE DROIT PRIVÉ DU MEDECIN :

est en principe illicite. Seuls des faits justificatifs peuvent lever l'illicéité ; parmi eux le consentement de la personne qui subit l'atteinte est celui qui nous intéresse. Ce consentement est nécessaire pour toute

intervention chirurgicale, pour l'administration de médicaments ou l'exposition à des irradiations par exemple. Pour produire un effet de droit, le

consentement du malade doit être « éclairé » (33). Cela suppose une

information suffisante pour que le patient puisse se déterminer en connaissance de cause.

Il va sans dire que ce consentement doit être admis sans être requis spécialement pour tous les actes courants et sans danger particulier pour les patients. Il en va autrement si une opération, par exemple, présente des risques particuliers. C'est ici que nombre de médecins (et de juristes comme Thilo et Lotz cités ci-dessus) estiment que l'information du malade compromet généralement les chances de succès de l'intervention.

Il n'en reste pas moins que l'information s'impose quand le risque est sérieux, que ce soit en raison du caractère nouveau d'une thérapeutique ou en raison du seul état du malade. On se passera de ce consentement dans les cas d'urgence où tout retard aggraverait le danger, quand le malade est inconscient, en particulier quand la décision doit être prise pendant une opération qui révèle des éléments imprévus. Le médecin doit alors pouvoir agir dans l'idée que le consentement lui serait donné pour autant qu'au vu des circonstances, l'intérêt du patient le commande. Le consentement des proches parents sera, le cas échéant, requis (34).

L'intérêt du patient est en effet la notion clé. La chirurgie esthétique postule une information d'autant plus poussée qu'elle ne vise pas un but à proprement parler thérapeutique. Les techniques qui ne sont pas ou ne sont que peu éprouvées parce que nouvelles ne peuvent être appliquées que si elles offrent au patient une chance meilleure que les autres moyens usités, l'intérêt des développements de la médecine en général ne pouvant jamais justifier une atteinte particulière.

Dans des hypothèses extrêmes, le consentement expressément donné peut être sans effet s'il apparaît comme contraire aux mœurs (art. 19 et 20 CO) ou aux droits de la personnalité (art. 27 CCS) ; le médecin

engagerait sa responsabilité pour un acte illicite (35).

Si l'opération réussit dans une hypothèse où le consentement éclairé manque, le patient n'aura pas subi de dommage. Mais si l'opération échoue, et cela même sans faute professionnelle du médecin, ce dernier sera responsable du dommage en résultant (36).

(33) Emile Thilo, « La responsabilité civile du médecin », Journal des Tribunaux (JT), 1946, p. 106 et s. ; Loeffler, op. cit., p. 96 et s. ; Lotz, op. cit., BJM 1968, p. 109 et s.

(34) Nous devons renoncer à traiter de la question des transplantations et du consentement de la famille du donneur et nous contenter de renvoyer à Jacques- Michel Grossen, « Aspect juridique de la chirurgie des transplantations »,

Revolution der Technik-Evolutionen des Rechts, Festgabe für Karl Of tinger, p. 87 et s. ; cf. ATF 101 (1975) II 177 et s.

(35) Cf. Jacques- Michel Grossen, « La protection de la personnalité en droit privé », Revue de droit suisse (RDS), 1960 II p. 45 a) et s.

(36) Cf. Thilo, op. cit., JT 1946, p. 109.

(13)

APERÇU DU DROIT SUISSE 577 V. — Le médecin fonctionnaire dans un hôpital public

Etant donné qu'en Suisse, les hôpitaux publics relèvent des cantons (ou des communes qui leur sont subordonnées) qui ont conservé (art. 61 CO) la compétence de légiférer sur la responsabilité de leurs

fonctionnaires, il n'est pas possible de donner, ne serait-ce qu'une esquisse, des diverses solutions en vigueur. Qu'il suffise ici de noter que le droit civil fédéral ne peut s'appliquer que dans un canton qui n'aurait pas légiféré ; si le canton l'a « reçu », il s'applique à titre de droit public cantonal (37).

La tendance générale des législations cantonales est de restreindre la responsabilité des fonctionnaires par rapport à ce qu'elle serait en droit privé.

CONCLUSION

La responsabilité du médecin pratiquant en Suisse n'est pas si

sévèrement réglée que l'exercice de la profession en soit entravé. Elle est probablement encore atténuée en fait parce que les médecins (notamment les experts dont le juge ne peut se passer) sont peu enclins à critiquer leurs confrères.

La pratique très largement répandue de l'assurance contre la responsabilité civile contribue à rendre supportable la charge économique de l'obligation de réparer les dommages. Le temps nous a hélas manqué pour étudier ce problème.

La responsabilité pénale occupe assez rarement les tribunaux

répressifs. En dehors de situations exemplaires et de fautes particulièrement graves, on hésite devant la poursuite pénale du médecin, même si la loi ne contient pas de règles particulières.

Nous aurions voulu évoquer d'autres questions que celles

hâtivement traitées dans les pages qui précèdent. La situation du psychiatre mériterait une étude particulière, notamment sa responsabilité envers le malade interné sur son diagnostic ou envers les tiers lésés par des actes de patients qu'il aurait peut-être fallu interner.

Nous conclurons en soulignant que la responsabilité civile du

médecin n'a donné lieu qu'à très peu de jurisprudence (publiée tout au moins) depuis une cinquantaine d'années et nous voulons croire que cela

s'explique essentiellement par la qualité et la conscience du corps médical.

(37) V. toutefois l'opinion divergente de Gautschi, op. cit., ad art. 394, notes 42, 53 et 54 ; cf. en outre ATF 101 (1975) II p. 177 et s. avec des références p. 183.

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