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Le Management en Tunisie

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Le Management en Tunisie

Karim Ben Kahla

To cite this version:

Karim Ben Kahla. Le Management en Tunisie. Manageor: les meilleures pratiques du management, 2010. �halshs-03084260�

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Section 3. Le Management en Tunisie

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Réalisé par Karim Ben Kahla (Directeur de l’ISCAE Tunis )

Introduction : les avatars de la comparaison

Existe-t-il un management « à la tunisienne »? Un modèle ou un idéaltype qui transcenderait les différences et les spécificités locales et présenterait suffisamment de cohérence pour se distinguer des autres types de management (à la française, à la japonaise, à l’américaine, etc.)? En quoi ce management différerait-t-il de celui qui est véhiculé par les manuels et les revues savantes ? Et en quoi serait-il plus ou moins proche d’autres types de managements dont les contours obéiraient à des frontières géopolitiques, supra ou infra étatiques?

Poser ces questions c’est prendre pour acquis le postulat selon lequel les pratiques gravitent autour de certaines logiques inconscientes ou incorporées qui définiraient une sorte d’habitus du manager tunisien. A son tour cet habitus s’(op)pose ou, plus simplement se positionne, par rapport aussi bien aux postures normatives qui véhiculent un one best way (américain?) du management que des pratiques venues d’ailleurs et produites de façon plus ou moins déterministe par des contextes, des structures et/ou des contingences culturelles, économiques et technologiques. Ces questions supposent également que le niveau d’analyse « Tunisie » soit suffisamment homogène ou du moins que l’on puisse transcender les différences entrepreneuriales locales qui sont pourtant encore chères aux tunisiens eux-mêmes.

Si elle n’est pas ontologique, la variété des managements relève non seulement des approches sociologiques de ceux-ci mais également d’une posture épistémologique remettant en cause aussi bien les définitions que les conceptions des réalités managériales qui recouvrent le réel organisationnel. En effet, au-delà de la relativité des pratiques, c’est la définition même, les frontières et les approches du management qui nous semblent devoir être interrogés. Ainsi, toute comparaison se devrait de relever le défi de la prise en compte des cadres d’analyses et de s’interroger sur la pertinence d’une compréhension de la réalité du management tunisien à travers le prisme toujours déformant des théories et des cadres occidentaux et plus particulièrement américains. La perception et l’expression des spécificités du management tunisien risque alors de dépendre des généralisations liées au management occidental considéré comme performant non seulement pour conduire les entreprises mais également pour saisir la réalité de celles-ci.

Au-delà de la question de la diversité des pratiques managériales et de la nécessaire sociologie de celle-ci, la question de l’existence d’un éventuel management tunisien, impose de passer d’une problématisation en termes de territoires du management à une autre qui s’interrogerait sur la résistance et la pertinence des territoires face au management. Ce glissement du questionnement est nécessaire non seulement parce qu’avec les Technologies de l’information et de la communication et la rétiologie on assiste à une « explosion » des territoires et une virtualisation de ceux-ci mais également parce que le management ambitionne de maîtriser les frontières territoriales symboliques et matérielles et qu’il devient ainsi au fondement même de la communication, du savoir et de l’inter-culturalité qui donnent sens aux divers territoires. Enfin, il faudrait interroger un éventuel mouvement de convergence ou de divergence des modèles. Ce mouvement exprimerait non seulement une concurrence entre les entreprises et les économies nationales mais également une concurrence entre les modèles du management. Comparer ces modèles reviendrait alors à s’interroger sur les résistances du local aux vents du « global », d’une « programmation mentale » (la culture au sens de Hofstede) à une autre

1 Publié dans « Michel Barabel, Olivier Meier, (2010), Manageor, Les meilleures pratiques du management, 2e édition, Dunod, p. 229-239 (ISBN 978-2-10-054561-2) »

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« programmation mentale » (le management néolibéral) portée par les « bonnes » pratiques du management.

Au-delà de ces précisions ou de ces précautions qui montrent la complexité, l’intérêt mais aussi les limites de toute comparaison, il nous semble qu’il serait plus utile de comparer les éventuelles « cultures » que les pratiques managériales. Les premières seraient non seulement à l’origine des secondes mais elles seraient également moins éclatées et plus propices à une analyse en termes d’« idéaltype ». Tout en étant conscient des risques de culturalisme lié à l’esquisse d’un idéaltype culturel tunisien, la question principale devient alors : Si les formes et les manifestations managériales peuvent diverger que peut-on dire de la (ou des) matrices institutionnelles et culturelles productrice(s) de celles-ci ?

Afin de répondre à cette question, nous allons commencer par présenter une rapide esquisse des caractéristiques de l’environnement politique, sociale et économique des affaires en Tunisie. Nous nous arrêterons par la suite sur certaines des principales caractéristiques culturelles du management en Tunisie en conclurons par l’analyse des pratiques au niveau de l’organisation, de la gestion des ressources humaines et des choix de stratégie.

I. Le contexte du management tunisien A. Le contexte politique

Les problématiques chères à la transitologie de la modernisation de la société et de la démocratisation du régime, trouvent, en Tunisie, une expression particulière liée aux rapports complexes entre l’Etat (ou les institutions et individus qui l’incarnent) et la société (et ceux qui prétendent parler en son nom). En effet, la volonté de construire un Etat fort, organique et capable de transformer d’en haut la société a débouché sur un volontarisme et un interventionnisme qui, paradoxalement, en maintenant la société civile en état de dépendance, ont nourri l’autoritarisme et le clientélisme tout aussi corporatiste que personnel (Redissi, 2006)2. La stabilité politique de la Tunisie coïncide aujourd’hui avec une nouvelle légitimité pour le parti toujours quasi unique (le RCD) basée non plus sur l’indépendance du pays mais sur l’efficacité technocratique. Cette stabilité intervient dans un contexte de chute de l’idéal communiste (1990), de crise du discours panarabe (guerres du Golfe) et d’engagement internationaux qui prennent en compte la dimension politique des évolutions du pays (accord d’association à l’Union européenne).

Les caractéristiques du contrat social en Tunisie (Banque mondiale, 2004: 27) donnent la préférence à l’État planificateur plutôt que le marché pour la gestion de l’économie nationale (forte composante interventionniste). En adoptant un modèle d’industrialisation par la substitution à l’import et la protection des marchés locaux vis-à-vis de la concurrence internationale, cet Etat offre la sécurité et la protection économique (et parfois sociale) contre une complicité (ou parfois une neutralité) politique des groupes d’intérêt. Il offre également une certaine sécurité de l’emploi à une minorité de travailleurs en contrepartie d’une stagnation ou d’une faible évolution des salaires et des niveaux de vie. La préférence pour la redistribution et l’équité dans la politique économique et sociale apparait dans l’importance des transferts sociaux qui ont représenté 58.8 pour cent du budget, soit 19 pour cent du PIB en 2007.

Face à cet Etat, dominé et parfois instrumentalisé par son administration, les autres acteurs de la société civile ont une faible marge de manœuvre et adhérent volontiers à une représentation

2 Redissi Hamadi (2006), Etat fort, société civile faible, in Démocratie, développement et dialogue social,

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de la scène politique faisant de celle-ci l’expression de l’unité organique de la nation, plutôt que le lieu de la contestation politique. L’Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT, fondée en 1946) et l’Union Tunisienne de l’Industrie du Commerce et de l’Artisanat (UTICA, né en 1947, premier de son genre dans le monde arabe et revendiquant actuellement près de 75000 affiliés) restent des structures centralisées, hiérarchiques et étroitement réglementées. Ces deux structures assistent, depuis quelques années, à l’émergence d’une nouvelle élite qui n’a pas participé aux luttes anticoloniales et qui trouve, elle aussi, dans l’efficacité et la capacité de mobiliser les ressources financières et humaines (notamment les jeunes et les femmes), de nouvelles sources de légitimité. Tout en se déclarant apolitiques, ces structures constituent des « espaces politiques de substitution » qui, en monopolisant la défense des intérêts des salariés et des patrons, souffrent de leur bureaucratisation et de l’incapacité de réformer les coalitions pour un véritable changement. Ainsi, tout en bénéficiant du statu quo et de la rente liée à la régulation gouvernementale, les principaux acteurs de ces structures s’adaptent aux réformes plutôt qu’ils ne les remettent en cause (de façon à continuer à profiter des rentes). Selon Redissi (2006 : 157), « l’Etat leur concède une certaine autonomie, mais surtout il leur attribue un privilège régalien : le monopole de la représentation socioprofessionnelle, de sorte qu’aucune organisation compétitive ne sera reconnue ou autorisée dans la sphère de leur action. En échange, ces corps constitutifs apportent à l’Etat leur soutien politique ».

B. La société Tunisienne

Fait presque unique dans le monde arabo-musulman, le principe d'égalité entre hommes et femmes sur le plan de la citoyenneté et devant la loi est expressément affirmé dans la constitution tunisienne. C’est ainsi que le Code du Statut Personnel (promulgué le 13 août 1956) a aboli la polygamie, institué le divorce judiciaire, fixé l'âge minimum au mariage à 17 ans pour la fille, sous réserve de son consentement et attribué à la mère, en cas de décès du père, le droit de tutelle sur ses enfants mineurs. Un programme de planification familiale a également contribué à réduire le rythme de croissance de la population (1 pour cent en 2006) et à remettre en cause la famille patriarcale par suite de la chute de la natalité (de 7 enfants par femme en 1970 à 2 enfants par femme en 2000).

Même si le statut et le vécu des femmes tunisiennes a été révolutionné et qu’aujourd’hui, la parité est respectée dans l’accès aux soins et à la scolarisation, les femmes ne constituent encore que 26 pour cent de la population active (OCDE, 2009)3.

L’évolution de la natalité et du statut des femmes a débouché sur un « cadeau démographique »: entre 1990 et 2020 la croissance de la population économiquement active (âgée de 15 à 64 ans) aura dépassé celle de la population économiquement dépendante (enfants et retraités) ce qui a permis la réalisation d’une épargne et d’un investissement plus importants mais pose le défis d’assurer à une population jeune de bonnes conditions de santé

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et d’éducation ainsi que de promouvoir l’emploi et l’accumulation du capital (Banque mondiale, 2004, 59)4.

Si les études portant sur les valeurs des tunisiens sont rares, il est relativement aisé de remarquer l’émergence des valeurs d’individualisme et de consumérisme associées à un certain regain (retour ?) du religieux. Les appartenances familiales et régionales continuent également de jouer un rôle important aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur des entreprises. Par ailleurs, le rôle d’ascenseur social longtemps joué par l’Université tunisienne semble aujourd’hui quelque peu bloqué.

C. L’économie Tunisienne

Après la phase de tunisification de l’administration et de l’économie et un épisode rapidement abandonné de coopérativisme, la Tunisie a pu bénéficier de la manne pétrolière (à partir du choc pétrolier de 1973), a mis en œuvre une réforme agricole et a opté pour une relance du secteur privé industriel (avec notamment la création de l’Agence de Promotion de l’Industrie et la loi 72 qui, en accordant des facilités aux entreprises exportatrices a encouragé l’installation d’entreprises étrangères en Tunisie ). Les premiers succès de l’industrie tunisienne réalisés par un tissu de PME dynamique qui a pu intéresser certains partenaires étrangers, bénéficier des atouts de la Tunisie5 et/ou adhérer à la politique d’import-substitution, ont laissé place, au début des années 80, à une grave crise économique doublée d’une crise politique liée à la longue maladie du président Bourguiba et à l’incertitude au niveau de la relève politique. Cette crise a donné lieu à un Programme d’Ajustement Structurel (PAS, 1982-1986) dont la finalité était de réinstaurer les grands équilibres macro-économiques.

Les années 90 ont vu la Tunisie prendre un certain nombre d’initiatives qui ont contribué à dynamiser le tissu entrepreneurial. Il s’agit notamment de l’adhésion aux accords du GATT, de l’adhésion à l’OMC et de la signature, en 1995, de l’accord de libre-échange avec l’Europe avec janvier 2008 comme échéance pour l’instauration du libre-échange industriel avec l’Union européenne.

Réussissant, grâce notamment aux programmes de mise à niveau et de modernisation industrielle, à résister au choc du démantèlement de l’accord multifibre en 2005 et misant sur l’amélioration du climat des affaires6, la Tunisie se situait, en 2008, à la 36e place mondiale (sur 134 pays) pour la compétitivité globale dans le classement élaboré par le Forum économique mondial et en 73e position (sur 181 pays) dans le classement de la Banque mondiale Doing Business sur la facilité de faire des affaires.

En plus du tissu de PME qui a massivement adhéré à la politique de la sous-traitance, l’administration et le secteur public tunisiens continuent à jouer un rôle central dans l’économie du pays. C’est ainsi que les plus grandes entreprises tunisiennes relèvent encore

4 Banque mondiale (2004), Pour une meilleure gouvernance dans les pays du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord - Renforcer l'inclusion sociale et la responsabilité, édition ESKA, 279 pages.

5 Notamment la proximité de l’Europe, la faible rémunération de la main d’œuvre, le climat, etc.

6 Afin d’améliorer le climat des affaires, une nouvelle loi relative à l’initiative privée a été promulguée en décembre 2007 et le gouvernement tunisien a cédé 216 entreprises publiques ou semi-publiques depuis le lancement du programme de privatisation en 1987. Ces opérations ont rapporté à l’État 5.8 milliards TND (1.5 milliard EUR), dont environ 90 pour cent d’investissements étrangers.

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du secteur public et que les marchés publics constituent un des principaux débouchés pour de nombreuses entreprises du secteur privé (la commande publique représente 18% du PIB). Selon de nombreux opérateurs économiques, l’application du principe du moins-disant dans l’octroi des marchés publics pénalise la qualité et contribue à une certaine « culture de la médiocrité ».

L’un des principaux défis de l’économie et de la société tunisienne est celui du chômage des jeunes. En effet, alors que le taux de chômage dépasse 14 pour cent en moyenne et touche particulièrement les femmes et les diplômés de l’enseignement supérieur, les autorités devront faire face en 2009 à 80 000 demandeurs d’emploi supplémentaires dont deux tiers de diplômés de l’université. Face à cette progression, l’absence de référentiel salarial et les autres rigidités institutionnelles (la législation du travail, le processus de négociation collective, etc.) (Hellal, Malek, 2005) contribuent à la relative opacité du marché du travail en général et à celui des cadres en particulier. La progression des qualifications n’ayant pas suivi celle des diplômes, la Tunisie consacre aujourd’hui plus de 1,34% de son budget aux instruments de la politique de l’emploi.

D. La Tunisie à l’ère postindustrielle

L’entrée de la Tunisie dans l’ère postindustrielle se fait lentement et la contribution des technologies de l’information et de la communication à l’amélioration de la productivité des entreprises semble encore relativement limitée7. En effet, cette entrée des TIC dans l’économie tunisienne ne semble pas avoir grandement changé la donne puisqu’elle se fait dans des secteurs à faible valeur ajoutée. C’est le cas notamment de l’explosion des centres d’appels (plus de 190 centres d’appels, européens en majorité) qui ont fait de la Tunisie le deuxième pays, après le Maroc, sur le marché des centres d’appels francophones délocalisés8. Une deuxième caractéristique de cette numérisation de l’économie tunisienne est qu’elle semble, elle aussi, fortement tirée par le secteur public9.

Plusieurs services en ligne du gouvernement ont permis d’améliorer la qualité des prestations fournies par l’administration, d’encourager les exportations et de créer une culture numérique10. D’autres projets ont été réalisés, à l’instar du système de la « liasse unique » dédié au commerce extérieur pour faciliter les transactions électroniques (les signatures et les paiements électroniques sont autorisés).

Selon la dernière enquête auprès des ménages datant de 2005, le Tunisien moyen dépense 66.787 TND dans l’utilisation des TIC, soit 3.67 pour cent de ses dépenses totales en biens et services.

Afin de limiter les effets de la fracture numérique entre les pauvres et les riches et entre les milieux rural et urbain, plusieurs programmes ont été adoptés. Entre 2001 et fin 2007, le

7 La part qu’occupent les télécommunications dans le PIB est de l’ordre de 11 pour cent contre seulement 3.9

pour cent en 2001

8Ces centres emploient actuellement environ 17 000 jeunes diplômés, bénéficient de tarifs de communications

réduits et de l’exonération de l’impôt sur les sociétés conformément à l’objectif national de réduire le chômage des diplômés.

9 L’État et les entreprises publiques assurent plus de 80 pour cent du chiffre d’affaires total du secteur TIC.

10 Parmi ces applications, le programme de l’administration électronique, les projets sectoriels en ligne, le commerce électronique, l’apprentissage à distance, les prestations de santé à distance, le système de gestion de l’état civil (Madania), le système de gestion administrative et financière des fonctionnaires de l’État et des collectivités locales (Insaf), le système de gestion et de suivi du budget de l’État (Adeb), le système informatique de la douane (Sinda) et le système de gestion des ordres de missions à l’étranger (Rached) couvrent de

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projet « ordinateur familial » a permis à 62 000 familles aux revenus modestes d’acquérir un ordinateur en bénéficiant de facilités de paiement.

II. Culture et management

A. Le dirigeant: garant de la cohésion du groupe, grand frère ou despote plus ou moins éclairé ?

Le collectivisme et l’attrait des relations personnelles, l’esprit de corps ou encore la assabiyya selon Ibn Khaldoun, font en sorte qu’on ne travaille pas pour l’entreprise mais pour la personne du dirigeant (« chez » celui-ci), que la loyauté de l’employé est plus importante que son efficacité et que la coopération est « aveugle » entre les membres d’un même clan (ansor

akhaaka dhaliman aou madhlouman). Il s’ensuit une grande importance de la confiance

interpersonnelle dans la gestion des entreprises et une difficulté de ces entreprises à faire face aux clans ou à se positionner elle-même en tant que clan.

La prégnance des rapports interpersonnels implique que la sauvegarde des relations de cohésion à l’intérieur du groupe est plus importante que la performance de celui-ci et qu’il est souvent difficile de trouver la « bonne distance » relationnelle avec les subordonnés. En effet, la proximité risque très rapidement d’être confondue avec la familiarité alors que la distance est assimilée à du mépris (la Hakraa, le fait d’être hautain, méprisant).

Une notion souvent évoquée dans la caractérisation des personnes et des relations humaines est celle de la R’joulia. Se elle n’a pas de traduction précise11, cette notion ou plutôt cette métaphore désigne en fait une forme singulière d’autorité reposant soit sur la capacité d’aider une personne à obéir à la règle formelle soit sur un pouvoir mou, une complaisance et la capacité d’un individu (le dirigeant) à faire en sorte ou à accepter que d’autres transgressent la règle formelle. Bref la R’joulia consacre la prééminence de la règle informelle sur celle formelle, de la solidarité sur la responsabilité individuelle. Cette notion intervient dans la caractérisation des relations humaines et professionnelles et dans les hésitations et le va et vient entre le paternalisme du dirigeant-enseignant (m’allem et âarf lié à la tradition du compagnonnage) et le despotisme du dirigeant-magistrat (le Hakem). Ces rapports à l’autorité et au pouvoir ont pour principales conséquences les difficultés des contre-pouvoirs ainsi que celles de la hiérarchie intermédiaire.

Les difficultés de la hiérarchie intermédiaire sont liées au fait que du chef direct on attend qu’il fraternise (celui-ci doit « jouer » soit au « grand » chef qui sanctionne sans être sanctionné, soit au « grand » frère, complice, pouvant tolérer voire faciliter la transgression de la règle et qui ne sanctionne pas). La hiérarchie intermédiaire peut alors avoir beaucoup de pouvoir mais sans véritable d’autorité. Ces difficultés impliquent que le dirigeant devrait faire attention à ne pas aggraver la non légitimité de la hiérarchie intermédiaire.

Les difficultés des contre-pouvoirs (syndicats ou autre) sont liées aussi bien au refus politique de ceux-ci qu’à des considérations culturelles limitant leur marge de manœuvre et mettant en cause leur légitimité. En effet, alors que tout contre-pouvoir est assimilé à de l’infidélité, de la trahison et de l’ingratitude envers le père de famille et à un manquement au principe de la taâ (obéissance à ceux qui gouvernent), la tentation d’un contrepouvoir de coopérer est également assimilée à une trahison de soi et des siens. Ceci conduit le contre-pouvoir à se terrer, se cacher, rester implicite et ne se manifester qu’épisodiquement dans la révolte, la brutalité, l’affrontement personnel.

En délégitimant les hiérarchies intermédiaires et les contrepouvoirs, la configuration culturelle tunisienne fait reposer l’avenir de l’entreprise sur les seules épaules du premier dirigeant. Souvent autodidacte et rarement formé aux théories du management, ce dirigeant se retrouve

11 D’une certaine manière, cette notion renvoi à la masculinité, au « vrai homme » et à une forme particulière de

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seul face aux autres. En compagnie de courtisans mais en manque d’équipe, il n’a pas le temps ni les moyens de distinguer l’opérationnel du stratégique et il en arrive même à oublier sa propre succession. Cet oubli, ou plutôt cette dénégation, fait en sorte que l’entreprise reste sous-institutionnalisée et que son cycle de vie se confond avec celui de son fondateur. Ceci est le cas de nombreuses entreprises privées tunisiennes, crées au milieu des années 70 à la faveur des réformes libérales et qui, arrivant aujourd’hui à la fin d’un cycle, vivent une crise de relève qui devra être tout aussi formelle que symbolique.

B. Le groupe : Égalitarisme et consensus mou

En accord avec les traditions arabo-musulmanes (le Coran et la Sunna mais également de nombreux proverbes populaires), les tunisiens sont enclins à l’égalitarisme formel: Tout le monde s’attend à obtenir la même chose et même ceux qui n’ont pas contribué aux résultats auraient droit à « la même part du gâteau ».

Les travaux en psychologie sociale menées sur la « personnalité de base » du tunisien par le sociologue Mahmoud Dhaouadi 12 ont mis en exergue une autre caractéristique particulièrement importante pour l’évolution des groupes : celle de la personnalité « Mustanfara » en état d’alerte, de tension et de susceptibilité vis-à-vis de la moindre critique. Sur-réagissant à la moindre opposition et confondant le dialogue avec la contradiction, tout se passe alors comme si l’agressivité qui caractérise la communication interpersonnelle compense la tolérance pour les écarts envers les règles impersonnelles.

Par ailleurs, l’importance du besoin d’appartenance dans la définition de l’ordre symbolique des organisations tunisiennes et la prééminence du collectif sur l’individuel pèsent sur les motivations et les peurs liés à l’action. Ainsi, c’est la peur de perdre la face, d’avoir honte ou d’être méprisé ou ridiculisé en présence des autres (le « qu’en dira-t-on » lié à la hischma et à la Hakrâa) qui pèse plus que la peur ou le sentiment de culpabilité, de péché ou d’autocritique (Eddhanbe). Evaluer, reconnaitre ou même analyser ses propres résultats, faiblesses, erreurs ou tout simplement désirs fait peser, sur les acteurs (et encore plus sur le dirigeant), la peur du regard de l’autre, du scandale (fdhiha) et du colportage de la rumeur.

Le culte du « nous » du groupe et la mythification de la cohésion et de l’« entre-nous » conduisent à refouler le conflit et à l’injonction paradoxale selon laquelle « tout le monde doit aimer tout le monde » dans le cadre d’une fraternité rêvée. Ce consensus mou ce retrouve notamment dans l’idéologie de l’« unité nationale » chère à plusieurs régimes arabes (Hellal, Malek, 2005)13, de la Umma islamique et de la Assabya du groupe familial ou tribal. Si, dans un tel contexte, la défection au groupe est interdite ou du moins source d’un sentiment de culpabilité, l’adhésion à celui-ci reste le plus souvent artificielle et superficielle. La critique voire le débat contradictoire qui risquerait de gêner cette représentation idyllique et non moins idéologique du « nous » et du consensus au sein du groupe est synonyme de remise en cause du « territoire » personnel du dirigeant et de conflit. A son tour ce conflit est assimilé à un affrontement personnel que le groupe va taire et refouler afin de ne pas déranger la cohésion et l’ordre tout aussi personnel que symbolique qui le gouverne. En effet, la soumission à l’ordre symbolique du groupe implique une loyauté indéfectible à son chef. Les « responsables » sont alors choisis en fonction de l’allégeance personnelle et de l’exécution quasi aveugle de la volonté et des décisions du chef. Dans un tel contexte, les accords explicites cachent souvent des désaccords implicites (on dit oui pour éviter de dire non et froisser l’autre); les conseillers sont réduits à être des courtisans qui rassurent, acquiescent et

12 M Dhaouadi (1991), Une Exploration socio-psychologique dans la personnalité tunisienne al- mustanfira. In

:IBLA 1991-07 / 12, n°168,pp. 203-213 (11 p.).

13 M Hella et A Malek (2005), Essai de caractérisation du système tunisien de relations professionnelles. In,

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confirment sans jamais oser critiquer; les problèmes et les conflits sourds sont déniés (« tout va bien » et tout est labes même quand certaines choses vont mal), et lorsqu’ils deviennent inévitables et trop patents, les conflits éclatent avec violence sans que cela n’empêche des réconciliations tout aussi imprévisibles que spectaculaires (el mousamah kareem). Cet ordre social et symbolique correspond trop souvent à un désordre économique, à une acceptation des passe-droits, de l’impunité, d’une faible productivité et d’avantages et rémunérations octroyés sur la base de l’égalitarisme (tout le monde a la même chose quelque soit la contribution) ou de la discrimination (les « siens » Mtâana peuvent se servir en premier lieu et aux autres de partager le reste). Les hiérarchies sociales qui traversent les entreprises et façonnent les rapports à l’intérieur de celles-ci impliquent que les individus ont intérêt à refréner leur propre initiative individuelle et à reconnaitre leur juste valeur (âacha man arafa

Kadrahou) la valeur étant ici synonyme de destin (Kadar), et à rester là où les hiérarchies

sociales prises comme donnée incontournable et quasi divine les ont placés.

Ces caractéristiques culturelles et psychosociologiques conduisent à des situations organisationnelles où on n’admet ni la critique ni la mise en concurrence des individus à l’intérieur de l’entreprise. Il s’ensuit également une culture de la non-sanction et de la permissivité synonymes de nivellement par le bas et de relations seigneuriales où l’allégeance l’emporte sur la compétence, le clan sur le réseau et l’injonction sur le débat.

III. Quelques pratiques managériales : l’organisation, la GRH et les choix stratégiques A. L’organisation et la rationalisation du fonctionnement des organisations

Dans le cas des grandes entreprises notamment publiques, la création de plusieurs niveaux hiérarchiques supposée permettre le contrôle des départements spécialisés obéit très souvent à des considérations d’évolution statutaire dans les grades et vient compenser la faible marge de manœuvre des dirigeants au niveau du levier matériel et financier de la motivation.

Pour ces grandes entreprises (publiques et privées), alors que l’ajustement mutuel est rendu compliqué par les relations humaines qui privilégient le hors travail au travail et par l’importance des réseaux informels, la coordination par la hiérarchie doit faire face à une culture et une représentation égalitariste des rapports humains.

Souvent indifférentes à l’incertitude de leur environnement, les entreprises publiques voient alors se superposer les difficultés de coordination à celles de la spécialisation.

Par ailleurs, la standardisation des qualifications et des résultats étant difficiles à mettre en œuvre dans des contextes de faible valeur ajoutée, de pénurie de compétences et de prédominance de la logique des moyens sur celle des fins, les entreprises publiques se limitent le plus souvent à la rationalisation des procédés qui est, dans certains cas, associée à une certification de la qualité. La configuration organisationnelle qui en résulte souffre du flou et de la complexité des règles qui font en sorte que le formalisme juridique n’aboutisse que très partiellement au respect de ces règles.

Si la centralisation du pouvoir décisionnel a pour avantage de donner une certaine cohérence aux décisions et d’accélérer celles-ci, les choix stratégiques de nombreuses grandes entreprises (recherche de rente, faible valeur ajoutée) participent eux-aussi d’un cercle vicieux centralisateur et deviennent source de manque de réactivité, de retards par rapport aux évolutions environnementales, de déperditions de l’information et d’une surcharge de travail pour les dirigeants obligés de sacrifier le stratégique pour l’opérationnel.

Pour les micro et petites entreprises, le mode de coordination privilégié reste celui de la supervision directe du patron. Evoluant dans un contexte professionnel relativement pauvre, ces entreprises sont généralement peu formalisées sans que cela ne débouche forcément sur

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les avantages d’une éventuelle flexibilité. Dominées par un sommet stratégique exerçant une supervision directe et une centralisation des décisions via une faible formalisation et une personnalisation des rapports de production, ces micro ou petites entreprises ressemblent à des familles dont les membres sont obligés envers le dirigeant et où le quotidien l’emporte sur le stratégique. Ce management paternaliste repose sur le consensus et la reconnaissance en tant que mécanismes clés de fonctionnement des groupes. Les conflits sont alors soit occultés soit résolus de façon autoritaire et violente et la fidélité au patron et l’ancienneté de la relation priment sur la compétence ou la fidélité à l’institution.

B. La Gestion des Ressources Humaines

Souvent marginalisée et réduite à l’administration voire à la simple application des textes, la fonction GRH reste encore trop souvent assimilée à l’application plus ou moins fidèle du code du travail par des agents en charge de comptabiliser les présences, absences et jours de congés des salariés et capables, le cas échéant, de désamorcer les conflits ouverts ou de museler/domestiquer les cellules syndicales.

Si dans les années 80, la majorité des entreprises privées ne ressentait pas le besoin de recruter des cadres ou qu’elles n’étaient pas capables de le faire du fait notamment du nombre limité de diplômés et de la concurrence du secteur public (un jeune diplômé préférait la sécurité et les salaires relativement élevés du secteur public), ceci n’est plus le cas aujourd’hui et la principale difficulté devient celle de trouver et de fidéliser les bonnes compétences. Nous assistons ainsi à l’émergence d’un marché des cadres caractérisé par une pléthore de diplômés et une relative pénurie de compétences.

L’existence même de la fonction RH est menacée par l’attitude paternaliste, omnisciente et omniprésente du patron qui, souvent, a des relations personnelles avec la majorité des employés. Le responsable du personnel est, plus qu’ailleurs, chargé des tâches ingrates et impopulaires et c’est au patron d’annoncer la ou les bonnes nouvelles.

Quand il n’est pas court-circuité par le patron, ce responsable des ressources humaines est généralement obligé de trouver les ressources de son autorité et l’information nécessaire à la compréhension des situations à l’extérieur du milieu professionnel, dans les réseaux sociaux et les appartenances extra professionnelles qui téléguident les actions et les décisions en interne.

L’omnipotence du patron, le flou des règles, l’égalitarisme et la prédominance de l’informel et des réseaux sociaux, privent le responsable des ressources humaines d’une grande marge d’action et décrédibilisent son intervention. Seul le dirigeant peut prendre les décisions et ce n’est qu’à sa personne que les membres de l’entreprise ont des comptes à rendre.

Pour les entreprises publiques la GRH est rendue encore plus compliquée par le statut de la fonction publique qui limite la capacité d’action de tout le monde, y compris du dirigeant. Même si plusieurs dispositifs d’encouragement à la formation continue ont été mis en place, cette dernière reste relativement négligée ou inefficace car mal ou peu couplée à une réelle évaluation des besoins, des formations et de leurs impacts.

La productivité des salariés et des entreprises sont également affectées par des problèmes du quotidien, liés à l’urbanisation et au transport (notamment dans les grandes villes). Ces problèmes pèsent sur le rendement des ouvriers/employés et il en est de même du mois sain de Ramadan et de la séance unique estivale.

C. Les choix stratégiques des entreprises

Habituées à être protégées de la concurrence et d’opérer sur des niches à faible valeur ajoutée, plusieurs entreprises tunisiennes sont aujourd’hui, appelées à opérer une révolution dans leur

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approche de la concurrence et leurs rapports avec les différents « stakeholders ». Cette révolution concernera, en premier lieu, le pan de l’économie tunisienne construit autour de la sous-traitance (notamment dans le secteur du textile) et dont les entreprises devront améliorer leur productivité et la qualité de leurs services en basant leurs avantages compétitifs non plus sur les coûts de la main d’œuvre mais sur d’autres facteurs dont notamment la flexibilité, la rapidité d’exécution et les qualifications de la main d’œuvre. La proximité de la Tunisie par rapport à l’Europe et la montée de l’exigence environnementale pourraient constituer les bases du nouvel avantage comparatif de la Tunisie et le contexte de redéfinition des stratégies des entreprises afin de passer de la sous à la co-traitance.

Malgré leur diversité, les choix stratégiques des entreprises tunisiennes souffrent souvent des maux suivants:

• Des choix stratégiques souvent peu informés : alors qu’en externe, il est difficile d’obtenir les informations pertinentes sur les concurrents et les partenaires (ce qui augmente les coûts de transaction) et que les efforts de l’Agence de Promotion de l’Industrie et du Centre de promotion des Exportations, pour produire des études sectorielles et une information économique fiable restent insuffisantes, en interne, la faiblesse des systèmes d’information et de reporting, la quasi absence de comptabilité analytique et la connaissance approximative de la structure des coûts voire des marges réalisées entraîne une faible maitrise de la chaîne de valeur et une incapacité d’avoir une approche fine de la concurrence et de l’organisation.

• Des choix stratégiques souvent réactifs ou attentistes: l’orientation temporelle vers le passé et la relative imprévisibilité des évolutions des institutions et des politiques publiques conduisent la majorité des entrepreneurs Tunisiens à une attitude où la chasse à l’opportunité tient lieu de stratégie. Ces opportunités sont le plus souvent liées au faible coût de la main d’œuvre, aux incitations fiscales accordées par l’Etat ou aux facilités d’accès au financement bancaire. Prenant le pas sur la logique du métier ou des compétences de base, cet opportunisme a conduit à l’apparition de grands groupes tunisiens dont la diversification semble être relativement anarchique.

• Des choix stratégiques souvent peu innovants : le mimétisme et l’attraction des recettes et des modes managériales importées constituent des caractéristiques souvent présentes dans les choix stratégiques des entreprises tunisiennes. Cette recherche d’une rente qui minimiserait la prise de risque économique peut être mise en relation avec les caractéristiques culturelles des entreprises tunisiennes: à des dirigeants qui profitent d’une rente (celle de la préséance du social et du relationnel sur l’évaluation économique et l’efficacité) correspondent des entreprises dont le souci est de se cantonner à une stratégie de suiveur.

Conclusion

Existe-t-il un management tunisien ? Assurément oui si on accepte de limiter l’analyse à la configuration culturelle, à la « personnalité de base » ou à l’habitus du dirigeant tunisien. Mais si la matrice est plus ou moins cohérente, et que certains traits communs culturels s’imposent aux chercheurs comme aux praticiens, force est de constater que les pratiques et les résultats divergent. Le « management tunisien » procéderait davantage de l’analyse sociologique que du manuel de bonne gestion. Sous-institutionnalisée, l’entreprise dépend de

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son chef et l’initiative privée est dénaturée par la recherche de la rente et par la domination du « hors entreprise ». Cette proposition semble être vraie aussi bien pour les petites que pour les grandes entreprises publiques et privées tunisiennes. Si l’insertion dans l’économie mondiale pèse de tout son poids sur les traditions entrepreneuriales et managériales tunisiennes, reste à analyser les conditions et les possibilités d’évolution de ces traditions et les ressources

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Partie 4. En guise de conclusion : Existe-t-il un management maghrébin ?

Le processus actuel de mondialisation des économies peut se comprendre comme étant un processus de généralisation à l’échelon mondial des mécanismes de fonctionnement de l’économie de marché14. Cependant, l'économie de marché recouvre des réalités différentes selon l'âge d'entrée du pays considéré dans le système libéral. Ainsi les pays ayant adhéré au libéralisme depuis de nombreuses années (âge d’entrée ancien) voit la logique de marché s’imposer face aux autres facteurs socioéconomiques existant dans la société - Inversement, un pays étant récemment rentré dans le système libéral connaitra une forte prégnance des facteurs de contingence (politique, socio-culturel, institutionnel...) au détriment de la logique de marché non encore dominante.

Il n’y a donc pas de notre point de vue , un management idéal qui se poserait comme modèle universaliste , il n’y a que des managements contingents malgré l’existence d’un noyau dur de "bonnes pratiques "susceptibles d’être communes à toutes les entreprises .

Il n’est alors pas étonnant de constater que les tenants d’un management de type universaliste proviennent pour l’essentiel de sociétés à économie de marché d’âge ancien, presque achevé à l’instar des économies anglo-saxonnes.

L’existence de managements contextuels, reflète l’asymétrie des économies dans l’ancrage et les pratiques de l’économie de marché, une diminution de cette asymétrie tendrait alors à une réduction de l’impact des facteurs de contingence au profit d’une plus grande convergence des modes de management.

On pourrait, en schématisant, distinguer dans la hiérarchie des pays à économie de marché : - Les pays à fort ancrage historique dans l’économie de marché où la logique de marché

s’impose face aux autres pratiques économiques et sociales. Il s’agit des pays de l’OCDE où les pratiques managériales tendent à converger et prétendant à l’universalité.

- Les pays à transition historique dans l’économie de marché où la logique de marché ne s’impose pas encore face aux autres facteurs de contingence. Il s’agit des pays en phase d’émergence économique, regroupant de nombreuses économies du monde en développement à plus ou moins forte incidence des facteurs de contingence induisant un management contextualisé.

- Les pays à faible ancrage historique dans l’économie de marché où la logique de marché est encore balbutiante et où la "grande transformation " selon le mot de K. Polanyi n’a pas encore eu lieu .Il s’agit des pays les moins avancés du monde en développement. Ici, l’on ne peut guère identifier un quelconque management particulier tant il est soumis à de nombreux facteurs de contingence.

L’Algérie, le Maroc et la Tunisie sont des pays en transition vers l’économie de marché, cette transition peut se comprendre comme une étape où coexistent des pratiques économiques et managériales de l’économie de marché sans que cette dernière n’ait entièrement assurée sa suprématie sur la société. Entre le Maroc, la Tunisie et l’Algérie existent de fortes proximités culturelles, religieuses, historiques et sociales, déterminant un contexte managérial particulier dans un environnement protégé (et rentier dans le cas algérien) où l’état joue un rôle économique et social majeur.

14 L’économie de marché peut se définir comme un système structuré de catégories économiques, sociologiques et

politico-idéologiques qui interagissent pour lui modeler sa trajectoire, et surtout produire une rationalité particulière, celle de l’homme économicus régit par la loi des mini/maxi, luttant sans contraintes contre la rareté.

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Cet environnement économique et socio culturel a favorisé le maintien de nombreux "piliers de non performance "15 (aversion pour le risque, poids de l’informel, refus d’affirmer des compétences distinctives, non responsabilité, primat des activités commerciales sur la production, poches de rente vie des marchés protégés, entreprises familiales dominantes …). On peut compte tenu de ces proximités et des similitudes existantes dans la transition vers l’économie de marché, dire qu’il existe un mode de management maghrébin que l’on peut qualifier d’hybride parfaitement en adéquation avec tout processus de transition où "best practices "du management dominant cohabiteraient avec les" best traditions "portées par les contextes locaux.

L’enjeu futur de cette transition au-delà de l’influence que pourrait amener les grandes entreprises internationales installées dans ces pays, serait l’évolution du rôle du puissant facteur de contingence qu’est l’Etat. Dans ces trois pays, l’Etat est-il de nature à favoriser l’éclosion d’une société civile, terreau de l’initiative libre et responsable au prix d’un recul de leur mainmise sur la société ? Le vent du libéralisme qui a fortement soufflé depuis l’effondrement du bloc soviétique semble s’affaiblir depuis la grande crise des années 2008/2009. Le recul de l’Etat partout dans le monde et son corollaire, la dérégulation, semblent à l’arrêt au profit remarquable de la sphère publique. Rien n’est donc sûr et il nous semble alors vain de donner une définition achevée d’un processus de management inachevé…

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