« DESSINE CE QU’IL Y A DANS TA TÊTE ! » :
CONCEPTIONS SUR LE CERVEAU
D’ÉLÈVES DE MATERNELLE ET DU PRIMAIRE
Christine SAVY*,**, Pierre CLÉMENT*
*LIRDHIST, Université Claude Bernard, Lyon 1, **IUFM Académie de Versailles
MOTSCLÉS : CONCEPTIONS IMAGES MENTALES CERVEAU ÉCOLE PRIMAIRE ÉCOLE MATERNELLE - ONTOGENÈSE - DUALISME CARTÉSIEN
RÉSUMÉ : Que pensent des enfants de Maternelle (classe des Grands) et du Primaire (CP, CE1, CE2, CM1, CM2) sur ce qu’il y a dans leur tête ? Comment le dessinent-ils ? Comment le décrivent-ils ? Nous présentons nos premiers résultats sur ces questions. Une naturalisation anatomique se superpose progressivement à une schématisation directe des pensées, rêves, opérations de calcul.
SUMMARY : What are young children (before and during their Primary School) thinking about that is present in their head ? How they draw that ? How they explain that ? We present here our first results concerning these questions. An anatomical naturalisation is progressively overlapping the drawings of thoughts, dreams, calculations.
1. INTRODUCTION
Une première recherche sur les conceptions des élèves sur le cerveau a permis d’identifier des modélisations historiques du cerveau (modèles hydrauliques, entéroïdes, musculaires, etc. : Clément et Mein, 1987 ; Mein, 1988 ; Mein et Clément, 1988 ; Clément, 1993). Des recherches ultérieures ont mis en évidence, chez des étudiants et des enseignants, la prégnance du dualisme cartésien, la dominance d’une image anatomique du cerveau et la méconnaissance des processus d’épigenèse cérébrale (Clément, 1994, 1999 ; Ndiaye et Clément, 1998, etc.). Nous avons repris la question de l’ontogenèse des conceptions des enfants sur le cerveau et ses fonctions pour analyser comment se mettaient en place ces conceptions d’adultes. Nous présentons notre méthodologie et nos premiers résultats .
2. MÉTHODOLOGIE
2.1 Protocole
Premier temps : dans un contexte scolaire, une question est proposée à un groupe d’enfants (1/2 ou
1/4 de classe) : « dessine ce que tu as dans la tête ». Les élèves répondent individuellement par un dessin, qu’ils annotent quand ils savent écrire, ou sinon qu’ils font annoter.
Second temps : chaque enfant est ensuite interrogé individuellement pour qu’il explique son
dessin ; cet entretien porte aussi sur son éventuelle connaissance du « cerveau » et de ses fonctions.
2.2 Population
Les 303 élèves interrogés proviennent de plusieurs classes d’un seul établissement de la région parisienne (commune de Clamart dans les Hauts de Seine). Leur répartition est la suivante : Maternelle (Grands) : 56 ; C.P. : 76 ; CE1 : 56 ; CE2 : 36 ; CM1 : 32 ; CM2 : 47.
3. RÉSULTATS
3.1 Principales évolutions de la Maternelle au CM2
En CM2, tous les enfants connaissent le terme « cerveau », et dessinent dans leur tête quelque chose qui correspond pour eux au cerveau. Environ 9 sur 10 sont dans ce cas en CM1, CE2 et CE1, alors qu’ils sont environ 2/3 en CP et moins d’un tiers en Maternelles (graphe 1).
visage diminue beaucoup de la Maternelle (29 %) au CP (9 %), pour ensuite être très faible (CE1 : 7 % ; CE2 : 6 % ; CM1 : 3 %) et devenir nulle (CM2 : 0 %). Les visages dessinés sont alors des personnages familiers (père, mère, frère, sœur), des héros de BD, ou des princesses pour les filles. Les résultats les plus remarquables concernent les dessins de pensées (images mentales) : • Images dans toute la tête chez les plus jeunes (38 % des dessins en Maternelle), puis images qui
se localisent dans le cerveau (souvent en calotte) en fin de Primaire. La proportion de ces dessins diminue un peu avec l’âge (entre 21 % et 4 % dans les diverses classes du Primaire). Ces images mentales évoquent souvent des moments agréables (vacances, sorties, fêtes, …).
• Propositions verbales ou chiffrées qui sont surimposées au schéma du cerveau, et dont la proportion, nulle en Maternelle et en CP, augmente ensuite jusqu’à 19 et 17 % en CM1 et CM2. Parallèlement, d’autres organes sont schématisés, de façon généralement symbolique : des archétypes d’os courts pour les os, des tâches de sang ou des tuyaux pour tout ce qui est circulatoire, En ce qui concerne le cerveau, deux remarques sont possibles : sa mise en relation progressive avec les organes des sens de la tête ; et la permanence de modèles hydrauliques (en eux et leurs liens).
3.2 Présentation d’un choix de dessins par niveau scolaire
En école maternelle, le cerveau et les images qui figurent la pensée sont dessinés le plus souvent dans toute la tête (fig2). Le modèle hydraulique est fréquent : l’élève qui a dessiné la Fig 1 l’a commentée ainsi : « les choses circulent dedans ».
En CP, 65% des enfants localisent le cerveau dans le haut de la tête, mais avec un contour simple, sans structure. Certaines images du cerveau commencent à être en « calotte » (fig 4). Les images de pensées sont soit dans toute la tête (comme en Maternelle : fig.2), soit localisées dans le haut de la tête, voire dans le cerveau (fig.3). L’archétype de l’os est l’os court (fig.4, fig.5).
En CE1, 38% des élèves dessinent un cerveau en « calotte » (fig 5) ; 19% avec un contour plus élaboré et un début de structure (fig 6). Il s’agit de structure soit de type entéroïde (fig.4, 7, 8), soit de type épithélium (fig 6). 7% associent des proposition verbales ou chiffrées (fig 6). 14 % dessinent des images de pensées ; pour 3%, elles sont surimposées à un support biologique.
En CE2, 92% des élèves dessinent un cerveau localisé dans le haut de la tête. Le cerveau calotte est peu fréquent (2 enfants). 28% présentent une structure entéroïde avec explication de type hydraulique (« les idées circulent », « des tucs qui bougent et qui font réfléchir » : fig 7). Le cerveau commence à être en relation avec les organes des sens, surtout l’œil (fig 8). Des fonctions sont parfois dessinées ; quelques représentations schématisent un cerveau tiroir ou un cerveau machine.
Fig 3 Fig 4
En CM1, 21% des schémas illustrent un cerveau calotte alors que 59% lui donnent un contour de plus en plus précis (fig.9 et 10), avec une structure souvent de type épithélium (fig.6), parfois (6%) entéroïde. Les élèves expriment moins la circulation des idées, et proposent plus d’explications par localisation de zones (19%, dont la fig 9). 22% schématisent des proposition verbales ou chiffrées (fig 9 &10). Le cerveau est plus souvent en relation avec plusieurs organes des sens (fig 10).
En CM2, tous les enfants dessinent un cerveau. Certains de ces schémas représentent les hémisphères cérébraux (6% : fig.12), et/ou des circonvolutions cérébrales (34% : fig.12). Le modèle hydraulique est explicite sur 19% de dessins, et chez plus d’enfants encore si l’on se réfère aux entretiens (fig.11). Par rapport aux schémas des classes précédentes, il y a moins d’images de pensées, et plus de dessins purement anatomiques.
Fig 7 Fig 8
Fig 10 Fig 9
4. CONCLUSION
Depuis la Maternelle, et pendant encore plusieurs années, les enfants ne différencient pas leur pensée de ses supports biologiques. Vers la fin du Primaire, l’anatomie de la tête et du cerveau commence à se construire, mais pas nécessairement une coupure entre cerveau et pensées.
BIBLIOGRAPHIE
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CLÉMENT P., La difficile évolution des conceptions sur les rapports entre cerveau, idées et âme. In Giordan A., Girault Y., Clément P., Conceptions et connaissances. Berne: Peter Lang, 1994, 73-91 CLÉMENT P., Situated conceptions. Theory and methodology. From the collection of data (on the brain) to the analyse of conceptions, in M. Méheut & G. Rebmann, Fourth European Science
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CLÉMENT P., MEIN M.-T., Modèles cérébraux et comportementaux : approche historique et relations avec les modes d'apprentissage, Actes J.I.E.S., 9, 1987, 151-168.
MEIN M.-T., Les représentations du cerveau : modèles historiques, Aster, 7, 185-204.
MEIN M.-T., CLÉMENT P., Comment se représente-t-on aujourd'hui notre cerveau ? Actes J.I.E.S.
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NDIAYE V., CLÉMENT P., Analyse des conceptions d'élèves-professeurs au Sénégal, sur le cerveau : prégnance du dualisme cartésien ?, Liens, nouvelle série, (ENS, Dakar), 1998, 1, 3-15.
