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Manuscrits francs à Saint-Gall

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Manuscrits francs à Saint-Gall

par Beat VON SCARPATETTI

L

e p lan de Saint-Gall n 'é ta n t plus, d e­p u is les recherches ap p ro fo n d ies de W erner Jacobsen1, le p ro d u it d 'u n e influence lointaine dans l'u n iv ers carolingien, soit de l'ouest, soit d u sud (la France ou l'Italie carolingiennes), m ais d 'u n ra p p o rt bien p ro ­ che entre l'abbaye de l'île de la Reichenau et celle de Saint-Gall, le thèm e des m anuscrits français à Saint-Gall ne s'im p o serait plus, d u m oins dans le contexte de notre colloque. Mais sa m ise au program m e a été souhaitée. Il est en effet possible de m o n trer des rap p o rts au p lan de l'écritu re et de l'é ru d itio n entre les centres culturels de la France carolingienne et S aint-G all, n o y a u c u ltu re l im p o rta n t d u m onde além anique. La distance géographique entre u n centre com m e Tours et Saint-Gall est im pressionnante ; c'est p o u rqu o i notre contri­ bution est aussi un hom m age à une com m uni­ cation extraordinaire, établie sur des bases très fragiles, entre des com m unautés m onastiques p o u r forger u n patrim oine culturel hom ogène sur une grande partie de l'Europe. Rappelons le fait élém entaire que le m onastère de Saint- Gall est souvent évoqué, aussi bien auprès de ses nom breux visiteurs que dans la recherche scientifique, po u r ses origines irlandaises et sa

1 Der Klosterplan von St. Gallen und die karolingische Archi-tektur, Berlin 1992, et ce vol. p. 11-26.

collection de m anuscrits insulaires. Jusqu'ici, l'accent a p eu été mis sur les rapports avec la partie franque de l'Em pire carolingien.

La position de l'ab b ay e de Saint-Gall2 dans l'em pire de Charlem agne, au moins dans le sens géographique, est certes excentrique. Sa célébrité résulte d 'u n e coïncidence histori­ que h eu reu se : u ne c u ltu re m o n astiq u e du h a u t M oyen Âge exem plaire représentée par u n gran d fonds de m anuscrits, n 'a pas vécu la destinée presque courante de ces collections, la d e s tr u c tio n o u la d is p e r s io n ; jus­ q u 'au jo u rd 'h u i, elle nous est accessible. Sur la base d 'u n e dotation m atérielle assez forte, et en raison de la carrière politiq u e des abbés G rim ait, H artm u t et Salom on à la cour im pé­ riale et aussi d an s l'év êch é de C onstance, l'ab b ay e d e v in t im p o rtan te d ans le su d de l'Em pire. Cela, elle le partageait avec d'autres abbayes, m ais elle seule av ait le privilège de v oir conservée su r place u n e belle p a rt de ses trésors culturels, tels que des archives dotées d 'u n m illier de chartes d u h a u t M oyen Âge et

2 Voir l'abrégé historique tiré d e la serie « H elvetia Sa­ cra » : Die Abtei St. Gallen, p u b lié par J. DUFT, A. GÔSSI, W. VOGLER, Saint-Gall 1986 ; Titre disp onible en français : L'abbaye de Saint-Gall. Rayonnement spirituel et culturel, par W. VOGLER et al., L ausanne 1990 ; J. DUFT, Die A btei St. Gallen. Beitrage zur Erforschung ihrer Manuskripte, 3 v ols., Saint-Gall 1990-1994.

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une bibliothèque qui conserve encore, m algré beaucoup de pertes certaines, plus de 400 m a­

nuscrits des

vnr-xir

siècles3. La visite de Jean

M abillon à Saint-Gall en 16834 est, à l'époque m oderne, u n e d es p rem ières p reu ves d 'u n ray o n n em en t d e l'ab b ay e en Europe, d û à cette h eu reu se coïncidence. À cela s'ajoutait encore u n in térêt particu lier d u m onde litté­ raire g erm anophone dep u is le tem ps des lu­ mières, en raison des prem iers témoignages de l'ancien allem and.

1. L'influence franque à Saint-Gall en géné­ ral

L 'influence d e la France carolingienne su r Saint-Gall d an s le dom aine d e l'écriture n 'a jam ais été étu d iée jusque-là. U ne telle in­ fluence n 'é ta it p o in t réservée au seul cas de Saint-Gall, m ais à toutes les grandes abbayes de la sphère allem ande, telles que M urbach, Reichenau, Lorsch, Fulda. Elle fut mise en évi­ dence p a r la g ra n d e exposition européenne sur Charlem agne qui eut lieu en 1965 à Aix-la- Chapelle5. Sous cet aspect, il y a deux volets à

3 Pour le fo n d s d es m anuscrits, v o ir l'ancien catalogue d e G. SCHERRER (1875) ; les n o u v elles acq u isition s (C odd. 1726-1984) catalogu ées par l'auteur d e ces lignes (1983) ; recata- logage d u fon d s an cien par le m êm e : Abt. IV, C odd. 547-669 (1995) ; voir au ssi le Catalogue des manuscrits datés en Suisse, 3 vols. (1977-1991), réd igés par le m êm e, p ou r Saint-Gall : vol. El [cité ici : CMD-CH mj.

4 G. HEER, Johannes Mabillon und die Schweizer Benedikti- ner, Saint-Gall 1938.

5 V oir le C atalogu e : Karl der Grosse. Lebenswerk und Nachleben, éd. W. BRAUNFELS, D ü sseldorf 1965.

d istin g u er d an s m o n exposé : u n e influence m ajeure et une influence m ineure. L'influence de la France carolingienne est m ajeure, eu égard à ce rayonnem ent culturel général exer­ cé p a r la cour de C harlem agne6 su r chaque abbaye. Celui-ci se m anifeste d an s le fait ca­ pital que cette n o u v elle écritu re que fut la « Caroline » était, p o u r les abbayes allemandes, d'origine très lointaine, à l'o uest, m ais fut ca­ pable d e s u p p la n te r en 20 ans en v iro n les écritures précédentes, dites « nationales », au vaste échelon européen, m ais q u 'o n p e u t ap ­ peler régionales dans le cas des abbayes. En ce qui concerne le scriptorium de Saint-Galf, ce fut en effet une belle écriture autochtone qui devait tom ber en d ésu étu d e à cause de cette influence, la « m in u scu le além anique8 », dé­ veloppée peu av an t à u n stade très utilisable. Selon les nouvelles p rescrip tio n s de C harle­ m agne à p a rtir d e 789, en tre au tres p o u r la réform e des écritures, elle au rait été suffisante e t elle était très belle p o u r l'œ il. Sur les cir­ constances co ncrètes d e l'in tro d u c tio n de l'écriture Caroline, les sources ne nous disent rien à p a rt le fait élém entaire d e l'ap p aritio n d e la nouvelle écritu re d ans les m anuscrits. P our le second volet, l'influence est m ineure :

6 À ce sujet le recueil tou t récent : Carolingian Culture : Emulation and innovation, éd. R. McKITTERICK, Cam bridge 1994.

7 A. BRUCKNER, Scriptoria M edii A evi Helvetica, 14 vols., G enève 1935-1978.

8 BRUCKNER, Scriptoria... 2 (1936) [cit. : SS], p. 13-28 ; K. LÔFFLER, « D ie Sankt Galler Schreibschule in der 1. Hàlfte d es 9. Jahrhunderts », dan s : Neue Heidelberger Jahrbücher 1937, p. 28-54.

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elle concerne ici un e influence directe ouest- franque su r Saint-Gall qui se m anifesterait ou se m a n ife ste d a n s la p ré sen c e d e textes d 'é ru d itio n im p rég n és p a r la « renaissance Caroline », d e lettres, d 'ap p a ritio n s de nom s dans les m anuscrits (à p a rt l'échange coutu- m ier des co n fra tern ita tes qu i v a la ie n t p o u r toute la co m m u n au té m o n astiq u e Caroline ; Saint-Gall avait en effet une confraternité avec Tours), cette influence est présente sous forme d 'u n certain nom bre de m anuscrits m anifes­ tem ent étrangers que le paléographe peut, au p rem ier abord et avec toutes les précautions d 'u sa g e , reco n n aître com m e p ro v e n a n t de l'ouest. M ais retenons to u t de suite que cette seconde sorte d'influence directe su r la base de textes concrets était limitée, su rto u t au plan de l'a d a p ta tio n des écritures : d an s l'écriture Caroline saint-galloise, qui s'étab lit u n dem i siècle ap rès la réfo rm e de l'é c ritu re d a n s l'em pire, à la h au te époque de la floraison d u scriptorium sous le doyen et fu tu r abbé H art- m u t (autour de 850), l'influence franque dans la graphie des m anuscrits d u scriptorium était moins forte que les traditions autochtones. Si nous trouvons, grâce à u n échange de m an u s­ crits avec quelques m onastères d u centre ou du nord-est de la France, dans certaines pièces des tex tes et d es m ain s in d é n ia b le m e n t « françaises », il est p eu probable que ces p a r­ chem ins, dans le d éroulem ent chronologique des faits, aient sends de m odèles graphiques ; ils étaient p lu tô t là p o u r des raisons de tra n s­ m ission de textes.

Sous Tune ou l'au tre forme, p ar u n biais qui ne nous est pas concrètem ent transm is, la nouvelle écriture Caroline était « connue » aux

abords des A lpes à p a rtir de 820 environ. En ce qui concerne l'« échange », il va de soi que dans les débuts, il s'agissait en vérité d'envois de textes9 et d 'u n e influence à sens unique : il n 'y a eu, jusqu'ici, com m e je crois le savoir, ni recherches ni résultats concernant une éven­ tuelle présence de m an u scrits ou de textes saint-gallois ou rhétiques à l'ouest. U n inven­ taire de tous les m anuscrits saint-gallois con­ servés dans les bibliothèques ou collections du m onde est en préparation à la bibliothèque de Saint-Gall. Q u an t à l'influence que Saint-Gall lui-m êm e a exercée dans le su d de l'em pire, elle est certaine p o u r le tem ps qui a suivi sa p ro p re floraiso n so u s les abbés G rim ald, H a rtm u t e t Salom on, com m e le m ontre de façon exemplaire la thèse de N atalia Daniel au sujet des m anuscrits de Freising m arqués au Xe siècle p ar le style de Saint-Gall10. Cette thèse est d'ailleurs u n des rares travaux qui effectue u ne analyse très concrète et m in utieu se de l'écriture, telle qu'elle est indispensable pour nos interrogations.

J'aborde le prem ier des deux volets de m on exposé : l'influence ouest-franque en gé­ néral, le fait m ajeu r d e la p é n étratio n de l'écriture Caroline à Test de l'em pire.

A vant l'avènem ent de l'écriture Caroline dans la sphère germ anophone, a u VHIe siècle,

9 À titre d'exem p le le cas d u m anuscrit d e Raban Maur, codd. 4 5 8/457, o u celui d es œ u vres d'A lcuin, voir plus bas.

10 Handschriften des 10. Jhs. aus der Freisinger Dombiblio- thek, M unich 1973.

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Saint-Gall était déjà u ne abbaye depuis p res­ que 100 ans. À la suite de sa fondation en 719, il lui fallut environ 50 ans p o u r constituer son culte, ses écoles, sa chancellerie et son scripto­ rium . Ainsi établie dans la seconde m oitié d u VIIIe siècle et capable de p ro d u ire des livres et des actes ju rid iq u es, ses p rem ières activités dans le dom aine de l'écrit tom baient en pleine é p o q u e d e l'e s s o r d e s é c ritu re s d ite s « nationales » (rhétique, lom barde, w isigothi- que, m érovingienne, insulaire et, d ans notre cas, além anique). Dans n o tre abbaye, les in ­ fluences culturelles étaient m ixtes : d 'u n e part, il s'agissait d 'u n e fondation p u rem en t além a­ nique, m ais elle avait une préhistoire dans la filière de la m igration des m oines irlandais, de so rte q u 'à Saint-G all, l'é c ritu re irlan d a ise jo u ait u n certain rôle, qu o iqu e, au VIIP et su rto u t au IXe siècle, dans u n contexte déjà historicisant11. De plus, il y av ait aussi une influence des cu ltu res voisines rhétiques et lom bardes. Sans vouloir décrire ici to u t le p a r­ cours de l'év o lu tio n d u sc rip to riu m saint- gallois au VHP siècle12, il est in téressan t de jeter u ne lum ière sur un e des prem ières figu­ res qui on t m arq u é le scriptorium et qui est sortie de l'anonym at, les m anuscrits p roduits p a r le m oine W inithar, au q u el on a m êm e voulu attribuer la direction d u scriptorium sur l'u n iq u e fait que son nom ap p araît seul dans

les volum es conservés des débuts. Selon les chartes, on p e u t le dater au to u r de 760/77013.

Bien qu'il s'agisse d 'u n m onastère relati­ vem en t jeune, j'ai toujours hésité à considérer l'écriture de W inithar (fig. 1) comme celle d 'u n chef d e scrip to riu m . M ais m algré l'im p e r­ fection visible de son écriture, W inithar do it avoir été un personnage plein d 'in itiativ e et d'enthousiasm e, peut-être de naïveté aussi ; il a rédigé ses colophons avec des rem arques qui m etten t en relief ses p ro p res efforts, car il d é ­ clare que d ans ce codex il n 'y a u rait p as u n iota ni même une virgule qui n 'a u ra it pas été appliquée p ar sa p ro p re m ain14.

N ous passons à l'exem ple d 'u n prem ier texte écrit très probablem ent au d éb u t d u IXe

siècle (fig. 2). C 'est u n m anuscrit15 des canones

conciliorum écrit en p récaro lin e além an iq u e p a r u n scribe assez valable. N ous constatons u n co rp s m oyen d 'é c ritu re très com prim é, c'est à dire bas, la ligature n-t tom bée ensuite en désuétude dans la Caroline, le cc-a, le g o u ­ v ert e t un usage fréquent de la ligature e-t à l'intérieur d u mot.

N ous faisons encore u n petit bond d 'u n e gén ératio n (fig. 3), d e 30 ans environ, p o u r no u s retrouver d ev an t la m inuscule além

ani-11J. DUFT, P. MEYER, Die irischen Miniaturen der Stifts- bibliothek St. Gallen, O lten 1953.

12 LÔFFLER (n. 8) et BRUCKNER, (ibid.).

° CMD-CH ID, p. 314. 14 Citation ibid. n° 745.

15 C od. 671 : BRUCKNER, SS p. 27 (« à attribuer à W olfcoz avec certitude »), 43, 79 et s.

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que p a rfa ite m en t d é v e lo p p é e 16. Sous cette forme, elle fut p ratiq u ée à Saint-Gall dans la chancellerie et dans le scriptorium , après 800, encore ju sq u 'en 830/840, donc parallèlem ent à l'époque d u plein essor de la m inuscule Caro­ line en Europe centrale. D ans ce m anuscrit des évangiles, donc d 'u n texte de p rem ier ordre, l'écriture est à la h au teu r d u contenu, droite et très lisible, elle est calligraphique à dessein. La plum e est assez épaisse, et cette technique de dessin et d e d u ctu s e st caractéristique de la p lu p a rt des 30 m anuscrits environ que nous avons de ce ty p e 17. Les petites initiales et la lettre g év o q u en t encore d es souvenirs de l'onciale et des influences insulaires. Le corps moyen de l'écriture est petit, c'est l'horizontale et les form es ro ndes et aisées qui dom inent l'aspect de l'écriture et qui la ren d en t sym pa­ thique et calme. Retenons la conclusion nette que ce m onastère disposait d 'u n e écriture cal­ ligraphique précaroline qui rem plissait p ra ti­ quem ent toutes les exigences de la réform e Caroline : style d ép o u illé, lisibilité parfaite, point d'arabesques ni d'extravagances, m odé­ ration et uniform isation dans les abréviations,

“ Cod. 367 : ibid. p. 45, 77.

v Ibid. p. 27 et ind ex v o l 14, p. 269-282. H n'est pas tout à fait sûr q u e ce sty le d'écritu re p orte so n n om à juste titre (« écriture d e W olfcoz ») ; sa sig n a tu re n 'est qu 'une d e s 40 m entions d e nom problém atiques dan s les m anuscrits de Saint- Gall d u IXe-Xe siècles qu e n ou s av o n s répertoriés dans les ma­ nuscrits datés et que nou s av o n s d u , dan s la majorité d es cas, placer im pitoyablem ent dan s le chapitre d es « cas d ou teu x ». Sur ces attributions d e nom s et d e m ains qui son t à revoir, cf. B. V O N SCARP A l t M l dan s les M élan ges J. DUFT, offerts pour son 80e anniversaire.

p ro p o rtio n s équilibrées d a n s l'arch itectu re m o rp h o lo g iq u e d e s le ttre s e t des m ots (longueur des hastes et queues etc.). L'initiale q ue n o u s avons choisi exceptionnellem ent p o u r la pho to v e u t illustrer, en in tro d u isan t l'o r et l'arg en t, que le m onastère aspire à la position d 'u n haut-lieu de la culture ecclésias­ tique, prérogative des am bitions im périales18. 30 ans p lu s ta rd , la p o u rp re im périale, à l'exem ple de Byzance, sera introduite dans les m anuscrits liturgiques.

Et p o u rta n t... (fig. 4), m algré tous les si­ gnes d 'u n e autarcie scrip turale, rien ne p u t arrêter l'innovation : cette page est p o u r ainsi dire la charnière de l'év o lu tio n de l'écriture « n ationale », c'est-à-dire locale, à l'écriture europ éen n e. Les d eu x lignes en h a u t sont écrites dans la vieille m inuscule além anique facile à reconnaître. A u dessous, u ne m ain plus tardive écrit - le colophon de Wolfcoz, du « chef » de l'ancien scriptorium précisém ent, et ceci dans la nouvelle écriture Caroline : il est p arad o x al que cette u n iq u e m ention de son n o m d ans les m anuscrits livresques de Saint- Gall se présente en écriture Caroline, très pro ­ b a b lem en t d 'u n e au tre m ain que celle de Wolfcoz (on ne po u rra jam ais en dire plus, car il n 'ex iste au cu n e sig n atu re de W olfcoz en écriture alémanique). Et il est surprenant aussi que ce changem ent de m ain n 'a it pas été

si-18 P. OCHSENBEIN et B. V O N SCARPATETTI, Der Fol- chart-Psalter, C om m entaire de l'édition d u cod. 23 StiBSG, Frei­ burg i. Br. 1987, p. 209-211.

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gnalé p ar la recherche jusqu'ici, de sorte qu'il incom bait a u CM D -CH d e la relever et de rappeler que l'identité scripturale de Wolfcoz n 'est pas au p o in t19. Ceci dit, la situation sem ­ ble avoir été m û re p o u r u n changem ent au p lan des écritures : dev an t la finesse et la n e t­ teté de la nouvelle écriture, la vieille m inus­ cule p e u t m ain ten an t n ous p araître u n p eu lourde et « atavique ». M ais avec ou sans n o s­ talgie, ses jours sont comptés.

La présence de la nouvelle écriture à cet endroit sensible d 'u n e des rares « signatures » d 'u n scribe de l'an cien n e école, c'est bien le résu ltat graphique de cette influence générale d e l'o u est. C ep en d an t, les circonstances de l'in tro d u ctio n de cette innovation et les p e r­ sonnes qui y ont contribué ou qui l'o n t m êm e décrétée p o u r to u t le scrip to riu m n o u s sont entièrem ent inconnues. Il faut évidem m ent les chercher d ans l'en to u rag e des abbés G rim ait et H artm ut. D u dernier, n o u s disposons au m oins d e q u elq u es v estig es p ro b ab lem en t autographes20 ; m ais sur les personnages qui travaillaient v raim en t d an s le scriptorium et qui le dirigeaient d ans la prem ière m oitié du IXe siècle, com m e on p e u t le supposer p o u r le p erso n n ag e de F olchart a u to u r des années 860/87021, on ne sait strictem ent rien.

19 CM D-CH m , n° 829 et p. 315.

20 Sur cette q u estio n W. BERSCHIN et B. V O N SCAR- PATETTI, ibid. p. 293 et s. (ill.).

21 OCHSENBEIN, SCARPATETTI (voir n. 18), p.

221-226.

Sur le p la n p o litiq u e , les jo u rs de l'au to n o m ie n atio n ale ou rég io n ale étaien t com ptés depuis p lus d 'u n dem i-siècle, car en 746 déjà les A lam ans fu ren t b a ttu s à C ann- stadt p ar les Francs sous Carlom an et Pépin, et déjà en 747, C arlom an visita l'abbaye de Saint- Gall et lui octroya le rem placem ent de la règle irlando-colom banienne p a r la règle bénédic­ tine, avant de se retirer plus ta rd dans un m o­ nastère, celui d u M ont-C assin. Les tensions politiques entre le pouvoir local além anique et la v ig u e u r de l'em p ire franc très centralisé avaient brisé le règne d u prem ier abbé O tm ar q u i m o u ru t en c ap tiv ité en 759. À cette é p re u v e d e force s 'a jo u ta le litig e en tre l'évêché de C onstance et l'abbaye au sujet de l'in dép en d an ce de cette dernière, b u t qui fut atteint finalem ent sous l'abbé G ozbert en 818. L 'in tro d u c tio n d a n s u n e g ra n d e abbaye com m e Saint-Gall de la n o uvelle m inuscule Caroline et sa p réd o m in an ce quasi générale s'avèrent - a posteriori - de toute façon inévi­ tables, m ais cette nouvelle orientation cu ltu ­ relle d u t évincer une vieille et digne tradition d'écrire à l'além anique. En effet, au tem ps du maître-scribe Wolfcoz, dans les prem ières d é­ cennies du IXe siècle, il d o it y avoir eu une e x isten c e cô te à côte d e s d e u x sty les d 'éc ritu re ; il est reg rettab le que p o u r cette époque, il n 'y ait au cu n e d atatio n d an s un m anuscrit livresque22. Les chartes de leur côté - écrites à Saint-G all très fréq u em m en t en

22 Pour tou t ce qui est daté, datab le o u sou scrit d'un nom : CMD-CH HI, index chronologique p. 349.

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écriture livresque et n o n pas d ip lo m atiq u e - m ontrent une évolution sensible vers la Caro­ line ap rès 820, p a r exem ple p a r les scribes C u n zo e t C o z p re h t23. Sous T a b b a tia t de Gozbert, à p artir de 816, la conjoncture po ur toutes sortes d'innovations était favorable ; on s'a p p rê ta it à créer une nouvelle église - ceci nous v alu t le plan de Saint-Gall - une nouvelle chancellerie, u n p eu p lu s ta rd une nouvelle bible et d e nou v eau x livres liturgiques. Les rap p o rts cultu rels étaien t p lu s intenses que jam ais ; déjà en 806, le p ré la t W aldo24, alors abbé de la Reichenau, fut appelé à Saint-Denis, et à la m êm e époque, le fu tu r abbé G rim ald séjournait à la cour de C harlem agne et p e u t avoir fréquenté les centres de l'in stru ctio n et de l'a rt d u livre tels que Tours. Des rap p orts sim ilaires avec Saint-M artin sont égalem ent attestés p o u r l'évêché voisin d e Coire et son évêque R em edius25, p ro ch e de l'ab b a y e de Saint-Gall. En ce qui concerne le vieux m ythe selon lequel G rim ald a u ra it été in stru it p ar A lcu in lu i-m ê m e , la c h ro n o lo g ie (m o rt d 'A lcu in en 804, m o rt d e G rim ald en 872) semble l'exclure, to u t en ad m ettan t u n séjour de G rim ald dans les m onastères ouest-francs.

23 BRUCKNER, SSII, pl. XL et XLII. 24 Voir VOGLER dan s le v o lu m e présent.

25 Voir MOHLBERG, par CM D-CH m, n° 852 (bibliogr.). Pour les rapports entre Saint-Gall et Tours voir W. VOGLER, « St. Martin in Tours un d St. Gallen. Europàische B ezieh un gen zw isc h e n z w e i k arolin gisch en K lôstern », d an s Codices San- gallenses, Festschrift fu r Johannes Duft zum 80. Geburtstag, Sigma- ringen, 1995, p. 117-136.

P ou r notre question, il faut égalem ent nous diriger vers les m onastères de cette ré­ gion. Q uelle était donc l'écriture qui fut prati­ quée au déb u t d u siècle p a r les moines francs eux-m êm es ? C o m m en t se d éro u lait ici le changem ent de la vieille écritu re m érovin­ gienne à la nouvelle écritu re épurée que dé­ crétait la volonté d'uniform isation impériale ? Pour cerner les stad es d 'u n e évolution26, il nous faudrait des repères chronologiques qui sont précaires à cette époque. J'ai eu recours à une entreprise de recherche d'initiative fran­ çaise, le catalogue des m anuscrits datés, où j'ai trouvé, dans le volum e français dédié au pays de la Loire, u n prem ier exem ple de Caroline précoce au to u r de 817, tiré d 'u n m anuscrit d 'O rléan s (fig. 5)27. Voici u n m an u scrit de m êm e époque que la fin de la m inuscule alé­ m anique à Saint-Gall. Écrit après 817 à Saint- Benoît-sur-Loire, ces lignes en Caroline précoce m o n tren t encore les élém ents de transition faciles à retenir le cc-a parallèle à Ta m oderne, un g avec la panse très ouverte, le s long qui descend encore un peu sous la ligne d'écriture, et d'autres. Mais su rto u t il y a, due aussi à une p lu m e u n p e u é p a is s e , l'im p re s s io n d'ensem ble d 'u n e certaine lou rd eu r qui po u r­ ta n t est sy m p ath iq u e et qu i s'h arm o n ise à l'attitude strictem ent droite de l'écriture.

* Voir toujours E. K. R A N D , Studies in the script of Tours, 2 vols., Cam bridge 1929-1934 ; récem m ent McKITTERICK (n. 6), Script and book production, p. 221-247.

27 C M D-F VII, par M. G A R A N D , G. G R A N D , D. MUZERELLE, Paris 1984, p. 355 pl. I.

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En revanche, d a n s u n au tre exem ple d a ta n t de v in g t ans p lu s tard , la nouvelle écriture est au p o in t (fig. 6)28. C 'est la parfaite élégance. N ous voilà au cœ u r de la nouvelle écriture Caroline. Tous ses élém ents sont ré­ u nis dans ces lignes d 'u n excellent copiste, p o u r n ous convaincre des qualités de cette innovation graphique : les proportions idéales de distance des lettres et des lignes, une légère tendance à l'in clin aiso n à droite, le respect strict des lignes de référence, une élégance parfaite d an s le d u c tu s, d an s le dessin des m ots, d é p o u rv u d e to u te dém o n stratio n ou m êm e lourdeur calligraphique.

Avec ces deux exem ples de scriptoria ca­ rolingiens de la Loire, nous sommes loin d 'u n e v ue d'ensem ble exhaustive de l'écriture ouest- fran qu e, m ais n o u s avons essayé de saisir q u elq u es critères de cette écritu re carolin­ gienne franque et n on além anique, po u r avoir des po in ts d e co m p araiso n si nous voulons chercher dans le scrip to riu m saint-gallois la présence et l'influence de m anuscrits francs. Il est indéniable que le flux culturel allait d'ouest en est. Dans les nouveaux m onastères en terre allem ande, les m anuscrits d o n t on se m u n is­ sait p o u r d isp o ser de textes arriv aien t soit d'Italie, soit d 'Irla n d e , et la solution la p lus évidente p o u r Saint-Gall p o u r se procurer des textes ou des m o d èles g rap h iq u es était le royaum e m éro v in g ien /caro lin g ien et ses m o­ nastères, qui étaien t, certes, eux-m êm es en

æ Ibid. p. 233, pl. I.

ra p p o rt avec le m onde anglo-saxon et irlan­ dais, com m e c'est le cas p a r exem ple p o u r Laon29. Parm i les m anuscrits conservés à Saint- Gall, il y en a quelques-uns d o n t nous savons q u 'ils sont venus des régions ouest-franques, et il en est d 'au tres où certains élém ents inter­ nes laissent sup p o ser une origine ou une in­ flu en ce fran q u e. En c h o isissan t q u elq u es exemples, nous en arrivons au second volet de n otre étude.

2. Les tém oins d'influence directe : manus­ crits étrangers à Saint-Gall.

Il n 'y a, jusqu'ici, au cu n inventaire des m anuscrits saint-gallois de la h a u te époque dressé sur le critère de la provenance, basé sur la question, exam inée cas p a r cas : le m an u s­ crit est-il p ro d u it dans le scriptorium de Saint- G all ou ailleurs ? P o u rtan t, le p rin cip e de l'origine, soit locale, soit régionale, g u id ait le vénéré A lbert B ruckner dans l'élaboration de

son gran d répertoire des Scriptoria M edii A evi

Helvetica. Il faut en effet, dans son œ uvre, faire la p a rt des m anuscrits étrangers p ar la néga­ tive : toutes les cotes qui ne figurent pas chez

lu i seraien t a silentio des m an u scrits écrits

ailleurs. Dans de rares cas, il ém et u ne réserve q u an t à la production d 'u n codex à Saint-Gall. N ous avons donc effectué nous-m êm es, p ar la voie de l'autopsie, un prem ier essai d 'u n tel tri des m anuscrits no n m entionnés. Il était

évi-29 J. J. CONTRENI, The Cathedral School of Laon : Its M a­ nuscripts and Masters, M ünchen 1976.

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Ma n u s c r it sf r a n c sà Sa in t- Ga l l 133

dem m ent très difficile de définir les critères et de garantir le bien-fondé de la décision : saint- gallois ou étranger30 ? Cela v a u t aussi p o u r la question générale d e la prov en an ce, d 'u n e p ro d u ctio n à l'é tra n g e r o u p ar des m oines- hôtes à Saint-Gall et su rto u t p o u r la question de la caractérisation d 'u n scriptorium en tant que tel, ce qui est un e affaire d 'u n e vaste en­ v e rg u re qu e to u t le m o n d e, adm ettons-le, avait l'h ab itu d e d e d élég u er à B ernhard Bis- choff. P o u r le cas d es « m anuscrits francs à Saint-Gall » d ans le cad re concret de notre exposé, nous nous som m es lim ités à un choix de pièces où des élém ents concrets en dehors de la seule analyse g ra p h iq u e se joignent à celle-ci.

Il convient d 'a b o rd e r en prem ier le cas des œ uvres d u m aître A lcuin qui se trouvent à Saint-Gall. R etenons d 'a b o rd que ces textes sont parvenus à Saint-Gall p o u r plusieurs rai­ sons, parm i lesquelles les besoins d u scripto­ rium ne sont point au p rem ier plan. Alcuin est p résen t com m e a u te u r d a n s les m anuscrits anciens de Saint-G all d an s v in g t-q u atre cas environ, do n t la m oitié d ate d u IXe siècle31. À l'intérieur de ce groupe, u ne partie des codices ou fascicules sem blent, en effet, ne pas être écrits à Saint-Gall. Il s'a g it su rto u t d u groupe des mss. 267, 268, 270-272, 27532. L'exem ple le plus représentatif est le ms. 275, u n beau co­

30 L'inventaire existe so u s form e d e manuscrit. 31 C atalogue d e SCHERRER, Index p. 550. *Ibid., p. 100-104.

dex in-4° c o n te n a n t le c o m m e n ta ire de l'évangile d e sain t Jean q u 'o n p e u t attribuer aux prem ières décennies d u IXe siècle33 (fig. 7). L 'écriture d 'u n e m ain très experte et très dis­ ciplinée p résen te une Caroline dans toute sa perfection initiale qui nous rappelle dans son aspect d'ensem ble le ms. 281 de Saint-M artin- de-Tours, daté d 'av an t 834 (cité plus haut, voir fig. 6). Pour être saint-galloise, l'écritu re est trop serrée, les hastes sont trop droits, et la plum e est taillée d 'u n e façon aiguë et plu tô t fine, ce qui est rare à Saint-Gall. Pour la data­ tion, u n p etit élém ent s'offre à la page 265 sous la form e d 'u n changem ent de main, fait appa­ rem m ent à l'im proviste, où le scribe à cédé la plum e, p o u r 17 lignes, à u n collègue très ex­ p ert aussi, m ais visiblem ent plus âgé : lui, il pratique encore le c-c-a, les ligatures r-i et r-e et il a d o p te u n graphism e p lus aéré et plus étiré à l'horizontale. À p a rt cela et une autre insertion34, les 302 pages d u volum e sont d'une seule m ain rem arq u ab lem en t disciplinée et professionnelle.

D eux au tres m an u scrits de p lu s p etit form at con ten an t un iq u em en t des lettres et traités d 'A lcu in m é rite n t aussi de l'in térêt,

35 À part q u elq ues m entions éphém ères, p a s encore d e recherches sur ce m anuscrit ; voir A . LARGIADÈR, Eine Alcuin- Hs. des 10. Jhs., Zürich 1958 ; A. E. SC H Ô N B A C H , dan s Sit- zungsberichte Akademie Wien, Phil.-Hist. Kl. 146,1903, sur Alcuin p. 43-67. Voir au ssi G. L. MICHELI, L'enluminure du haut Moyen Âge et les influences irlandaises, Bruxelles 1939, p. 122 et s.

34 Sur les pp. 52-55 : probablem ent 3 mains relayent pour u n espace bref la m ain principale ; celle-ci varie aussi sur les pp. 184-186, m ais ceci est plu tôt d u à un changem ent d e plume.

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134 C a h i e r IX d u C R A TH M A

bien q u 'il rep résen ten t u n niveau d 'écritu re plus usuel. Dans le catalogue d u IXe siècle d u

cod. 728, les duo libelluli epistolarum A lbini p eu ­

vent nous conduire vers le Cod. 271 contenant les épîtres, et aussi son voisin de m êm e form at le Cod. 272 qui, lui, traite cependant de m orale et de théologie (fig. 8). Ce dernier est écrit par une m ain probablem ent an térieu re qui nous semble rigoureusem ent étrangère à Saint-Gall et qui n o u s fo u rn it u n choix de critères p e r­ m ettant de suggérer une production autour de l'atelier littéraire d 'A lcu in : la datatio n est à situer au déb u t d u siècle, l'écriture rap p elan t des souvenirs d u VÜP siècle et su rto u t le choix varié d e ses ligatures ainsi que le c-c-a, le r d e s c e n d a n t s o u s la lig n e , e t s u r to u t l'im p ressio n d 'u n e écriture serrée et agitée, bien qu e strictem ent droite d an s son orienta­ tion verticale. Ces m anuscrits d'A lcuin, ont-ils été apportés d u centre de la France ? Le form at

de petit-8° des codd. 271, 272, donc des libellu­

li, suggère un p u r transfert de textes ; une v a­ leur représentative au point de vue graphique ne p o u rra it être attribuée q u 'a u cod. 275 de facture très élaborée ; à tel p o in t que le ms. 271 des lettres d'A lcuin semble, dans sa variabilité in so u cian te et d é so rd o n n é e , être l'œ u v re d'élèves ; il d ate d u déb u t d u siècle aussi et n'exclut pas une pareille provenance selon les critères appliqués au cod. 272, m ais de façon m oins établie encore et bien m oins évidente. Le cod. 273, contenant des pages rhétoriques et dialectiques d u m êm e m aître, nous plonge

encore p lu s d ans l'in c e rtitu d e ; on a vo u lu aussi le placer sous l'influence insulaire35. Si les abbés G rim ald et H artm u t, p o u r doter la bibliothèque et m u n ir le scriptorium de textes, ont aussi acquis des volum es au p rès des m o­ nastères du centre de la France, la provenance des livres de m êm e qu e celle des copistes n 'éta it p as définie p o u r autant. A insi, le m a­ nuscrit qui porte les listes des achats des deux abbés, le cod. 267, c o n tie n t d es œ u v res d 'A lcu in écrits d 'u n e m ain que B ruckner a voulu attribuer à Saint-Gall36 : il est difficile de l'a ffirm e r, m ais p lu s e n co re d e v o u lo ir l'attrib u er à l'ouest. Le traité de gram m aire de notre au teur que contient le cod. 268, est d 'u n e toute au tre graphie : penchée à droite et très aérée, m ontrant u n g encore u n p eu ouvert, le c-c-a et q u elq u es lig a tu re s : on n 'o se p as l'attrib u e r à une p ro d u c tio n française, ni la déclarer saint-galloise37.

N ous quittons le gro u p e des m anuscrits liés à A lcuin et son école p o u r exam iner d 'a u tre s vo lu m es précoces d e p ro v en an ce ouest-franque se tro u v an t à Saint-Gall.

U n des cas les p lu s connus est le cod. 98 (fig. 9) po rtan t la dédicace d 'u n prêtre nom m é

36 BRUCKNER, SS m, p. 90.

36 SS II, p. 76 : selon lui, la partie concernée H, p. 33-236, est écrite d e la m ain d u scribe sain t-gallois C u n zo (personnage d o n t la signature n'apparaît q u e dan s les chartes, et à laquelle Bruckner attribue tout u n grou p e d e m ss ; voir SCARPATETTT, 1994, n. 17).

y Le m êm e constat d 'in certitu d e se tro u v e ch ez W. KÔHLER, Die karolingischen M iniaturen, vol. I, Die Om amentik, Berlin 1963, p. 41.

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Ma n u s c r it sf r a n c sà Sa i n t- Ga ll 135

Régimar au roi Louis le G erm anique (dédicace à d ater certainem ent après la m ort de Louis le Pieux en 840). L 'origine d u m anuscrit fu t si­ tuée a u n o rd -est de la France actuelle, on a parlé d e Reims, Laon, Corbie, Saint-Am and. À signaler que le livre fut toujours considéré com m e écrit p ar Régim ar lui-m êm e, supposi- ton reprise aussi de façon floue p a r B ernhard Bischoff38, et il restait au CMD-CH de m ettre le doigt su r le fait que l'écriture de la dédicace n 'e s t n u lle m e n t celle d u texte39. A v a n t d 'attrib u e r le m anuscrit à u n des lieux susdit, retenons l'im pression que cette écriture, sans d o u te étran g ère à Saint-Gall, est n ettem en t antérieure à la date présum ée de la dédicace, c'est-à-dire après 840. La raison p o u r laquelle p eu t n ous servir ici l'exem ple d 'u n m anuscrit franc arrivé à Saint-Gall, est d 'o rd re politique : ce serait une acquisition due aux rap p o rts des abbés avec la cour im périale qui avait reçu le livre de Régimar, encore que l'o n ne sache pas exactem ent q u a n d ce livre fu t po rté à Saint- Gall40, ni à quel m om ent la m ain postérieure a rajouté le texte d e la dédicace et p o u r quelle ra iso n celle-ci n 'e s t p a s c o n te m p o ra in e . Com m e on le sait grâce aux récits d'E kkehard, ce genre de ra p p o rts p o u v ait aussi m en er à des pertes de m anuscrits précieux q u an d les grands personnages daignèrent les em prunter. Dans le cas d u m anuscrit de Régimar, resté à Saint-Gall et sauvé de ce fait, il p araît, avec

38 M S H, p. 287 ; HI, p. 192,198. 39 CM D-CH III, n° 834.

40 II figure dan s le catalogue d u IXe siècle (ms. 728).

toutes les précautions requises, en effet proba­ ble q ue l'écritu re soit ouest-franque. Q uant aux critères en ce sens, retenons d 'ab o rd la forme des caractères de cette m ain très profes­ sionnelle41 qui nous am èn en t à reculer, voire m êm e autour de 800, la date d u m anuscrit : ce sont la présence p ério diq u e d u cc-a, le g en­ core souvent ouvert, le prolongem ent inférieur des hastes des f, s, p, la h a u teu r de la ligature r-t et surtout s-t, l'angle variable d'orientation de p lu sie u rs h a ste s (à d ro ite, à gauche), l'u sa g e très fré q u e n t d e la lig atu re e-t à l'intérieur d u m ot et finalem ent un ductus un p e u carré qu i d 'u n e p a r t e st p roche de l'écriture des chartes et d 'a u tre p art est comme un écho lointain d u g rap hism e de l'écriture m érovingienne ou irlandaise de caractère plus raide. En revanche, une influence insulaire sur cette écriture est visible d ans l'écritu re des titres et dans le décor42. N o u s quittons le ma­ nuscrit de R égim ar qui est u n cas certes très intéressant, m ais p eu clair q u an t à son origine

41 C 'est un m anu scrit très in téressa n t probablem ent d'u n e seu le m ain, d e toute façon m arqué par cette m ain dom i­ nante. Elle est très d iscip lin é et p rofession n elle, en ce qui con­ cerne la régularité et la routine d a n s le b on sens, parm i les élé m en ts sp écifiq u es à e lle seu le, o n constatera u n certain « paradoxe » graphique : alors que les hastes des 1, d, h etc., ont u n e tendance forte à s'incliner à gauche, le reste de l'écriture est droite, le s et le f, ainsi que les qu eu es d e s p et q m êm e penchés bien à droite, d e sorte qu e ces d eu x lig n e s se croisent dans l'aspect d e la page. Le corps m o y en d e l'écriture est réduit, concis et assez serré, ce qu e je considère être des élém ents spéci­ fiq u es d e l'écriture « française ». Le g est ouvert, les deux a s'altem ent.

42 BRUCKNER, SS III, p. 68 : « influence probablem ent insulaire ».

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136 C a h i e r IX d u C R A T H M A

et ses rap p o rts avec Saint-Gall ; il est histori­ quem ent intéressant, m ais n e p e u t servir de m odèle de l'influence franque à Saint-Gall.

Il en est de m êm e d u volum e de contenu patristique Cod. 124 d o n t la prem ière et plus ancienne p artie a été, selon des critères rele­ van t seulem ent de l'histoire de l'art, attribué au scriptorium de Saint-A m and et datée des alentours de l'an 81043. C om m e aucune m en­ tion d u catalogue d u IXe siècle n 'a p u être at­ trib u ée à cette pièce, m ais seu lem en t un e m ention d u XVe siècle, le m om ent où elle fut transférée à Saint-Gall est encore m oins cer­ tain. Ici, certaines d es différentes m ains p ré ­ sentent une écriture n e tte m en t antérieure et p lus arriérée p ar ra p p o rt à celle d u codex de Régim ar : au XIXe siècle, le décor fut m êm e rapproché de l'école irlandaise44. L 'aspect de l'écriture assez haute, certaines formes de let­ tre bizarres et les déliés étirés d o n n en t une im pression d'en sem b le assez lointaine de la culture Caroline. Vers la fin d u m anuscrit qui p résen te p lu sieu rs m ains, p a r exem ple à la page 337, l'écriture se rétrécit, se discipline et se rapproche de celle que nou s avons rencon­ trée dans le codex 272 : cela nous fait entrevoir une p rod u ctio n située d ans l'enceinte ouest- franque plu tô t qu'insulaire.

43 A. V O N EUW, Liber Viventium Fabariensis. Das karol. Memorialbuch von Pfàfers in seiner liturgiegesch. und kirchengesch. Bedeutung, Berne 1989, p. 161 s. (ill. 106-108).

■“ A insi le cat. de SCHERRER, p. 44 s.

Évoquons aussi brièvem ent le cas d 'u n m an u scrit fam eux p o u r son contenu et p o u r quelques dessins à la plum e. En 793, le scribe W andalgarius a écrit et éventuellem ent com ­

pilé le m an u scrit de la Lex A lem annorun, le

cod. 731 de Saint-Gall. Il sem ble que W andal­ garius puisse être situé, grâce à u ne identité possible avec u ne m en tion de confraternité avec Reichenau, dans l'en to u rag e d u m onas­ tère des chanoines de Saint-Paul de Lyon. Ce m anuscrit ap p artien t environ à la m êm e épo­ que que le volum e attrib u é à Saint-A m and ; com m e son copiste a u ra it donc trav aillé à Lyon, l'écriture d ev rait être considérée égale­ m ent comme ouest-franque45.

Il p e u t sem b ler lo g iq u e q ue la p lu s g ra n d e p a rtie des m an u scrits ouest-francs parv en us à Saint-Gall d aten t de la h au te épo­ que d e l'ém ergence carolingienne : c'est au­ to u r d e 800 et au d éb u t d u IXe siècle que les scriptoria de l'est avaient besoin de textes et de m odèles. M ais confrontés avec les pièces étrangères transférées à Saint-Gall, on pourrait se dem ander pourquoi ce m anuscrit a effectué u n tel déplacem ent. C 'e st le cas d 'u n épais

codex contenant u ne Chronica m undi d o n t la

provenance est peut-être la plus claire de cette

série d'exem ples : la Chronica m undi d u cod.

622 (fig. 10) contient un ensem ble de scribes et d'écritures que j'appellerais « françaises » avec

® Éd. en facsim ilé par C. SCHOTT, Lex Alamannorum. Kommentar zum Faksimile Cod. Sang. 731, A u gsb u rg 1993, pour W andalgar, voir p. 25-29.

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Ma n u s c r it sf r a n c sà Sa i n t-Ga l l 137

la p lu s g ran d e certitude. C om m e le chroni­ q u eu r Frechulfus était en 825-853 évêque de Lisieux et que, selon l'écriture, rien ne contre­ dit q u 'il ait été p ro d u it de son vivant, ses p a ­ ges auraient donc été écrites sur terre ouest- fran q u e et p ro b a b le m en t à Lisieux m êm e. Cette chronique étant une œ uvre très vaste, on a choisi une écriture livresque de petit m odule et san s a u cu n e p ré te n tio n callig rap h iq u e. Pourtant, elle est exécutée avec une élégance et une routine qui créent leu r pro p re esthétique. Dans ce scriptorium im aginatif d u no rd de la France, la technique d e réalisation d 'u n e telle écriture apte à l'efficacité quantitative serait le suivant : on serre les p etites lettres p o u r for­ m er u n corps m oyen d 'écritu re condensé, on allonge les hastes et on en épaissit nettem ent la p artie sup érieure, on ap p liq u e aux e, y, m êm e aux s longs des déliés hasard eu x qui évoquent la nonchalance d 'u n e cursive formée com m e l'aim aien t les h u m an istes, bien que dans leu r cas, penchée fortem ent à droite. À p a rt l'im pression d'ensem ble qui est nette, le hasard nous fournit des critères phonétiques qui ind iq u en t la France : à la page 52, qui est d 'u n e élégance exem plaire, le copiste écrit

actenu.s, et le correcteur saint-gallois a rajouté le h obligatoire, p lus facilem ent aspiré aux pieds des A lpes q u 'e n N orm andie. Le texte long est écrit p ar un g ro up e de quatre m ains au m oins qui à l'in térieu r d'elles-m êm es sont très variables ; certaines sont visiblem ent plus archaïques que d 'a u tre s , se serv an t encore plus d u cc-a et des ligatures r-t ; d 'au tres sont sensiblem ent p lu s lo u rd e s et m oins p ré te n ­ tieuses com m e à la p age 161, où su rto u t la plum e est grosse, ce qui est m oins fréquent q u 'à l'est. P o u r le reste, n o u s n 'av o n s q u 'à

attendre l'analyse détaillée d u futur éditeur de to u t le codex, Michael Allen46.

N ous ignorons la raison p o u r laquelle cette ch ro niq u e écrite en France a cheminé ju sq u 'à Saint-Gall, probablem ent déjà au IXe siècle selon le catalogue d u ms. 728 et donc très vraisem blablem ent acquise p ar H artm ut. C 'est que l'o n voulait apparem m ent posséder l'œ u v re et ne p as la faire copier su r place. Dans ce b u t aussi, on constate des échange de

textes sous form e de p rêts ou copies ad hoc

en tre les m onastères. P o u r com bler u ne la­ cune, on faisait venir certains m anuscrits sous form e de cahiers isolés afin qu'ils soient reco­ piés ou insérés dans des volum es prêts pour la reliure. Ceci se pratiquait dans le dom aine des vies des saints. N ous avons ainsi deux m anus­ crits contenant des cahiers avec des traces de pliage, et p a r là l'indice d 'u n éventuel trans­ fert, d o n t l'écritu re a été jugée française par B ernhard B ischoff47 (fig. 11). Ce fascicule « apparem m ent français » (Bischoff) ne montre pas en effet les traits familiers de la minuscule saint-galloise d u IXe siècle. Il s'agit d 'u n e main qui n 'est certainem ent pas além anique et très

46 M. ALLEN (University of M assachussets) élabore une th èse sur l'au teu r e t l'u niqu e m an u scrit d e sa chronique, à paraître. U n e notice détaillée figurera au ssi dans m on catalogue (voir note 3).

* « Ueber gefaltete H andschriften », MS I, p. 93-100, nos 15 et 16 : concerne les parties d u m anuscrit p. 153-160, 223-239, la partie astronom ique su ivan te p. 244-242 (notre ill.) est de la m êm e provenance ; le m anuscrit n e figure pas ch ez BRUCK­ NE R , SS, ce q u i, sub silentio, p e u t v a lo ir p o u r p r o v e ­ n an ce/p rod u ction étrangère à Saint-Gall.

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138 C a h i e r IX d u C R A TH M A

concise. Par contre, il ne m 'a p p a ra ît p as évi­ dent qu'elle soit « française » ; j'ai choisi le cas de ce m an u scrit p o u r illu strer u n e certaine aporie m éthodologique qui accom pagne des centaines d 'attrib u tio n s vagues qui laissent le lecteur dans l'incertitude com plète q u an t aux critères ayant conduit à un tel jugem ent.

Pour u n au tre volum e hagiographique, un recueil factice écrit de plusieurs m ains (fig. 12) qui contient égalem ent des feuillets an­ ciennem ent pliés, Bischoff suggère une origine de Stavelot ou de Liège4*. Pour m ettre en évi­ dence la provenance sans do u te étrangère, j'ai choisi ici une page où u ne m ain saint-galloise a rem pli la partie inférieure de la page : la dif­ férence est nette et parle p ar elle-même49.

P our finir, nous en arrivons au cas plus célèbre p o u r n otre sujet : la présence d 'u n e b ib le d e T o u rs , e x e m p la ire c o m p le t

48 BISCHOFF, ibid. n“ 17 et 18 : concerne les parties du m s. p. 179-233, 264-275 ; BRUCKNER, SS III, p. I l l s., remarque pour le fascicule IV qui n 'est p as p lié, m ais m ontre les m êm es réglure et graphie que le fascicule HI (notre illustration), qu'une produ ction sain t-galloise n 'est p a s assu rée (« fraglich, ob st. gallisch ») ; genre d e rem arque a ssez rare dan s les SS.

49 N o u s la isso n s o u v erte la q u estion d es cod d . 240 et 435, étrangères san s dou te et attribués au scriptorium d es reli­ gieu ses d e Chelles par B. BISCHOFF, MS I, p. 16-40. Suite à ma prem ière autopsie, une telle provenance d u manuscrit n'est pas à exclure. À noter un e ligature r-e (p. 112) plu tôt rare à Saint- Gall, le m êm e v a u t pour u n r rond très fréquent. Par contre BRUCKNER, SS II, p. 30, su b su m e le m an u scrit so u s le « groupe » d e C u nzo et parle p. 73 d'u n e « m agnifiqu e calligra­ phie » sans autre précision. La provenance française d e tout le m anuscrit 240 avec sa reliure est sou ten u aussi par l'exam en de J. VEZIN dans le présent volum e.

[« V ollbibel »] et, p a r la grâce de la p ro v i­ dence, conservée entière. De telles bibles fu­ rent, comme on sait, pro d uites et diffusées sur com m ande au to u r de 800 p o u r l'am élioration des connaissances bibliques dans les m onastè­ res et la perfection philologique des textes des écritures saintes. L'abbaye de Saint-Gall p os­ sédait u ne telle bible vers l'a n 84050, et c'est probablem ent l'abbé G rim ald ou au plus tard son successeur H a rtm u t qui l'a fait venir : il serait bien d iv ertissan t de co n n aître les cir­ constances d 'u n tel com m erce et su rto u t du transfert d 'u n tel codex qui pèse p resq u e 15 kilos ; on pense aux m entions de certains chars et leurs cargaisons dans le C apitulare de Villis.

Parm i les treize exem plaires de cette bi­ ble connus jusqu'ici et conservés entiers ou en fragm ents en E urope51, le cod. 75 saint-gallois p asse p o u r être le p lu s an cien exem plaire com plet (fig. 13). Essayons de caractériser son écriture. Elle est p lu s fine et p lu s serrée que celle des m ain s a lém an iq u e s, rég u lière et p o u rta n t assez m o u v e m e n tée à cause d u changem ent de m ain et d e la hâte visible, due à une production su r com m ande ; elle est

légè-55 On su p p o se u n e date après 834, an n ée d e la m ort de l'abbé Fridugisus d e Tours, don t le nom figure en prem ier dans le livre d e confraternité d e Saint-Gall sou s les « nom ina fratrum d e Turonis », v o ir J. AUTENRIETH, d an s Frühma. Studien 9, 1975, p. 221 s.

51 Entre autres à Paris (BN lat 8847), à M onza (Cap. g 1), à Berne (BB 4). Cf. Die Bibel von M outier-Grandval, Berne 1971, avec les contributions de B. FISCHER. J. DUFT, B. BISCHOFF, A. BRUCKNER, R. McKITTERICK, Script and book production (note 6), p. 221-223 (bibliogr.).

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Ma n u s c r it sf r a n c sà Sa i n t-Ga l l 139

rem ent penchée à droite, et vers la fin, à la page 700, il est frap p an t de voir com m ent à l'ouest on p assait sans scrupules à une écriture de très petite taille, très alerte : com paré avec le d éb u t d u texte, on com pte entre 10 et 20 lettres (ou p lu tô t « frappes ») de p lu s p a r li­ gne.

Signalons toute de suite que cette bible n 'a pas encore été exam inée, ni dans sa totali­ té, ni m êm e partiellem ent (à p a rt le secteur des sciences bibliques et philologiques52). U ne telle entreprise a été entam ée d ans le cas de la bible de M o u tier-G ran dv al p a r E d w ard R and et A lbert B ruckner qui on t distin g ué une v in g ­ taine ou une trentaine de m ains. Pour la bible saint-galloise, u n groupe de copistes analogue, p robablem ent m oins nom breux, est à im agi­ ner, la question dem eure ouverte de savoir si l'essai d'analyse m inutieuse est en m esure de définir un nom bre exact des m ains et de leurs parties. En cette m êm e année de notre Collo­ que (1993) a p a ru le facsimilé de la Bibbia di San Paolo fuori le mura, (conservée à Rome dans cette m êm e église), accom pagné d 'u n g ran d volum e de com m entaires contenant une étude sur l'écritu re et le décor entre autres53. Bien

sûr, on ne p eu t parler, dans le cas de la bible de Tours, d 'u n e pro d u ctio n en série ou dans le style « pécia » des universités, mais des livres colossaux com m e cet in-folio de 840 pages exigent une production d'atelier professionnel et efficace. Récem m ent, il a été rappelé que Tours ne possédait po in t le m onopole de pro­ duction de textes saints d an s le cadre de la

réform e culturelle, m ais que YA dm onitio ge-

neralis valait p o u r tous les grands monastères capables de p ro m o u v o ir eux-m êm es la ré­ form e ; ainsi, Saint-A m and pro d u isait des sa- cramentaires po ur l'extérieur54.

Le b u t d 'u n e telle acquisition étan t évi­ dent, il est aisé m ain ten an t de voir com m ent les m oines saint-gallois o n t agi avec ce m o­ dèle. H artm ut fit en effet réécrire sur ces bases plus fermes de la réform e Caroline to u t le cor­ p u s des textes bibliques et liturgiques. Mal­ heureusem ent, au cu n codex de ceux qui ont été conservés55 - d a n s le cas de la bible les pertes auraient-elles été causées p ar le p rêt des volum es ? - n 'e s t signé ou daté, ce qui est norm al, il est vrai. Ainsi, rien n 'est dit dans les m anuscrits eux-m êm es su r le texte-m odèle q u 'o n a copié, com m e n o u s ne trouvons

au-52 Voir ibid. p. 222. Pour le secteur des étu d es bibliques (B. FISCHER) et d'h istoire d e s en lu m in u res (W. KÔHLER, F. MÜTHERICH, H . KESSLER), les recherches ont é té le p lu s pou ssées, cependant, ni chez l'u n ni l'autre secteur le ms. 75 est au centre, il n'y est m entionné qu'à la marge.

s Bibbia di san Paolo fuori le M ura (Cod. memb. s. IX.). Ed. facsimilé ; Commentario storico, paleografico, artistico, critico, Coor-

din am ento A. PRATESI, Roma 1993 (prix : 27 000 francs su is­

ses). Parte IV : La Scrittura, p. 177-186 (B. BISCHOFF) ; V, La decorazione, p. 189-333 (F. MÜTHERICH).

51 McKITTERICK (note 6), p. 222,224.

æ Des huit volu m es, cinq se retrouvent encore à Saint- Gall (C odd. 77, 78, 81-83), u n autre à Londres, BL Ms. Add. 11852. Voir B. FISCHER, dan s Die Bibel von Moutier-Grandval, Berne 1971, p. 49-98.

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1 4 0 C a h i e r IX d u C R A T H M A

cune référence à Tours ni une dédicace à Saint- Gall dans le cod. 75 lui-même.

Si nous ouvrons la bible de H artm ut (fig. 14), posons la question qui est cruciale p o u r n o u s : l'éc ritu re o u est-fran q u e de la bible- m odèle de Tours, a-t-elle été reprise ? A ucu­ nem ent. O n a v o u lu avoir la bible de Tours p o u r disposer d u bo n texte, mais en écrivant, on a suivi ses p ro p res réflexes et m aintenu la façon d'écrire qui était coutum ière à Saint-Gall - ceci m a in te n a n t à l'in té rie u r m êm e de l'écriture Caroline q u 'a u m ilieu du IXe siècle on ne p e u t plus appeler nouvelle. La tradition de la m aison a p lu tô t im prim é à la nouvelle écri­ ture les goûts de l'ancienne. Les revoilà donc, cette lo u rd eu r além anique, ce caractère calme d u d u ctu s, cette allure p lu tô t large d an s le dessin des lettres et dans leu r espacem ent et aussi celui des m ots et lignes. Ce qui en fait p eu t étonner, c'est que la nouvelle écriture qui est donc établie à Saint-Gall depuis 830/840 est g é n éralem en t p en ch ée à droite, ce qui constitue l'innovation principale par ra p p o rt à la m inuscule além anique. Avec les scriptoria de Reichenau et des autres m onastères le long d u Rhin, de Luxeuil et M urbach jusqu'à Colo­ gne ou Stavelot, il y avait u n nom bre suffisant de scriptoria-m odèles susceptibles d'exercer u ne influence, p a r le biais des échanges fré­ quents, sur la graphie livresque de Saint-Gall, dans la m esure où celui-ci éprouvait encore de tels besoins. Dans le jeu d u trafic et des itiné­ raires ouest-est, Saint-G all était sans do u te encore m arginal d ans l'E m pire cisalpin, mais sa puissance et son rayonnem ent à lui étaient en am ont. En outre, il faut s'interroger su r les goûts et les intérêts artistiques de l'abbaye ; à

ce p o in t de vue, la culture d 'a u delà d u Rhin n 'a v a it pas le m onopole. Saint-Gall com ptait parm i les m onastères conservant une mémoire celtique vivante comme celui de Bobbio où on v én érait les lettres irlandaises devenues plus ta rd p resq u e des h iéro g ly p h es ; de m êm e, l'écritu re anglo-saxonne est dev en u e à Fulda une sorte de tradition propre à la maison.

À la copie de cette bible, plu sieu rs scri­ bes o n t collaboré, comme à Tours. Parm i leurs m ains il y en a qui m o n tren t u n e taille de p lu m e déjà p lu s fine m ais qui sont toujours p lu tô t solennelles qu'élégantes. Toujours est-il que le b u t princip al de la réform e Caroline : clarté, lisibilité, uniform ité d u canon des let­ tres et ligatures, est atteint. O n constatera la ra re té des ab rév iatio n s. D ans ce vo lu m e, exem plaire p o u r la floraison d u scriptorium a u m ilieu d u IXe siècle, on rem arq u e que un élém en t très spécifique à l'éc ritu re de Saint- Gall qu i est p o u r ainsi d ire obligé d an s la centaine de m anuscrits d atan t de l'époque de H a rtm u t : le bord su p érieu r d u corps m oyen de l'écriture a tendance à se so u d er p o u r for­ m er presque une ligne com pacte. Cela accen­ tue la tendance p lu tô t horizontale de l'aspect de l'écriture qui en outre est aéré et m arqué p a r les form es rondes. T out ceci p erm et de distinguer assez facilement cette écriture saint- galloise des livres à h au te d e stin atio n des écritu res ouest-franques. Il en v a différem ­ m en t dans les livres de plus p e tit form at avec des écritures m oins callig raph iq ues, c'est à dire des écritures quotidiennes. P ou r confec­ tionner de tels livres, il faut u n centre de p ro ­ duction puissant, u n scriptorium bien doté en scribes, une abbaye riche, avec u ne économie,

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Ma n u s c r it sf r a n c sà Sa i n t-Ga l l 141

une fortune fondées su r des centaines, voire des m illiers de d on atio n s telles qu'elles sont fixées dans la fam euse collection de chartes et

dans les libri traditionum.

Je résum e les résu ltats d e m on exposé dans u ne conclusion, p ro v iso ire certes étan t données les circonstances. C om m e d 'a u tre s tâches m 'incom bent, j'ai abordé ce thèm e une toute prem ière fois, su r dem ande. Si le tem ps et les priorités m e le p erm ettent, cette m atière m éritera d 'être intégrée d a n s u ne analyse de fonds de l'ensem ble des 450 m anuscrits saint- gallois des VIIT-Xr siècles selon leur chrono­ logie, leu r p ro v e n a n c e et la fonction d e l'écriture, suivant p ar exem ple aussi le classe­ m ent selon les « trois styles » d e Bischoff, qui est très utile. Cela co m p léterait la prem ière étu d e d 'en sem b le su r le scrip to riu m saint- gallois que no u s d ev o n s à A lbert Bruckner, m ais q u i fu t e n ta m é e il y a m a in te n a n t soixante ans. Pour in tro d u ire cette classifica­ tion dans le dom aine d e la recherche su r les m anuscrits carolingiens, il fau d rait un in stru ­ m ent p e rm e tta n t d e v isu alise r les analyses

comparatives. Le projet des Illustrated Invento­

ry of M edieval M anuscripts, proposé au Comité International de Paléographie en 1979 p ar Pe­ ter G um bert p o u rra it serv ir d 'o rien tatio n au plan systém atique et m éthodologique. Sur une telle base, les recherches et analyses ponctuel­ les p o u rro n t être situ ées d a n s u n contexte d'ensem ble u n p e u systém atisé et n on pas vague comme cela a été le cas jusqu'ici.

Q u an t à la p résen ce et l'influence des m anuscrits francs et de leu r écriture à Saint- Gall, retenons ceci : il n 'y av ait pas de néces­

sité fonctionnelle à rem placer la m inuscule alé­

m an iq u e calligraphique, qu i ré p o n d a it aux besoins, p ar la nouvelle écriture Caroline, mais

en revanche une nécessité culturelle, conforme

aux dynam ism es de l'évolution, de la com m u­ nication et d u prestige. En ad o p tan t la n o u ­ velle écriture, Saint-Gall l'a p o u rta n t bien vite ad ap tée stylistiquem ent à la trad itio n de la m aiso n m arq u ée p a r u n e certaine aisance d 'esp ace, p a r son inclinaison à droite et p ar une certaine p esan teu r dans sa m orphologie. P o u r ce qui est de la p r é se n c e d 'u n certain nom bre de m anuscrits francs à Saint-Gall, il est certain que déjà le nom bre de ceux que n ous avons répertoriés ici et qui est loin d'être exhaustif, est suffisant p o u r faire la preuve d 'u n échange culturel actif et qui a surm onté des distances énorm es, aussi bien géographi­ ques que de m entalité. Q u an t à l'influence en tant que telle, le bilan est m oins clair. Dans ce dom aine, la situation géographique préalpine de Saint-Gall soum et cette abbaye à une plu ­ ralité de courants d o n t q u atre principaux : la cu ltu re m onastique irlandaise, le style rhèti- que-lom bard de l'Italie d u n o rd (su rto u t au

Vme

siècle), la p uissan ce cen trale franque

(certainem ent forte dans ses im pacts autour de 800/830, et su rto u t p o u r les textes), et finale­ m ent ses p ro p res origines et liaisons além ani­ ques qui existaient au début dans son abbaye- sœ ur, R eichenau, u n relais d 'éru d itio n et un fond d 'in stru ctio n aussi (invoqué p ar Saint-

Gall m êm e dans le cas de la Vita de son propre

p atro n Gallus, et m is en évidence p ar la dona­ tion p ar R eichenau d u plan d e Saint-Gall). Le renversem ent des influences, donc un rayon­ nem ent de Saint-Gall, était en som m e réservé au Xe siècles et se dirigeait principalem ent vers

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1 4 2 C a h i e r IX d u C R A T H M A

le n o rd , l'em p ire ottonien. La paléo g rap h ie seule est u n terrain assez restreint ; délibérer de ces synergies m ultiples sur cette seule base est difficile, voire im possible. Je considère l'in tég ratio n des textes et des contenus v éhi­

culés p ar les m anuscrits com m e indispensable p o u r u n regard d'ensem ble.

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Fig. 1 : Saint-Gall, Bibl. abbatiale, Cod. 238 (Fîoriîegia), p. 493 : colophon du

scribe W inithar (c. 761-775).

ü ï e z p r ~ i Ç t p i C l ?tt W t ' c d t f l ' i CC’ÇhüCtt f i * CldxdCTÇ- fîbirTniS/afur|>iS/ TxrtX\wrxyyd<>Ccc^iju^cc.y-iJ^r~i^ix\ dayyj

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C c c n J ^ c c l x r v r r ~ e - > c t > ^ r > c c r x J i i - ) r ~ . £ jU o c < ? j> o v ~ ^< £ /co r-n £j

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Fig. 2 : Saint-Gall, Bibl. abbatiale, Cod. 671 (Collectio canonum Dio-

(20)

S é d Î T c r - a r e cio-r-bcinr> . O o c

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Fig. 4 : Saint-Gall, Bibl. abbatiale, Cod. 20 (Psalterium), p. 327 : en haut, écri­

ture du texte ; en bas, vers évoquant W olfcoz, ajoutés d 'u n e m ain p lus tar­ dive (c. 820/850).

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Fig.  1  :  Saint-Gall,  Bibl. abbatiale, Cod.  238  ( Fîoriîegia ), p.  493 : colophon du  scribe W inithar (c
Fig. 3 : Saint-Gall, Bibl.  abbatiale, Cod. 367 ( Évangéliaire),  p. 9  écriture dite de Wolfcoz (c
Fig.  7 :  Saint-Gall,  Bibl.  abbatiale,  Cod.  275  (Alcuin,  Expo- Expo-sitio Evangelii Sti
Fig.  9 :  Saint-Gall,  Bibl.  abbatiale,  Cod.  98  (Am brosius,  Opera  varia),   p
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