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L'éveil du Spoutnik : la réaction du Congrès américain au lancement du satellite soviétique, 1957-1958

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© Sarah Vigneau, 2019

L'éveil du Spoutnik: la réaction du Congrès américain

au lancement du satellite soviétique, 1957-1958

Mémoire

Sarah Vigneau

Maîtrise en histoire - avec mémoire

Maître ès arts (M.A.)

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L’éveil du Spoutnik :

la réaction du Congrès américain au lancement du satellite

soviétique, 1957-1958

Mémoire

Sarah Vigneau

Maîtrise en histoire

Sous la direction de :

Bernard Lemelin

Université Laval, 2019

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ii

RÉSUMÉ

Durant les années 1950, la Guerre froide entre les États-Unis et l’Union soviétique est bien amorcée. Alors que les puissances s’affrontent déjà dans une course à l’armement nucléaire, l’URSS envoie le 4 octobre 1957 le premier satellite artificiel en orbite de la Terre et déplace le combat sur un nouveau front : l’espace. Cet événement sans précédent marque certainement la population américaine et, bien évidemment, le gouvernement en place. Dans un contexte d’affrontement avec les Rouges, le Congrès des États-Unis, quoique divisé par les opinions des démocrates et des républicains, réagit promptement en cherchant à comprendre la signification d’un tel accomplissement, la raison d’un probable retard américain et les actions à entreprendre afin d’assurer une place au premier rang pour la nation dans la course à l’espace.

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iii

TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ ... ii

TABLE DES MATIÈRES ... iii

REMERCIEMENTS ... v

INTRODUCTION ... 1

Mise en contexte ... 1

Problématique ... 2

Propos historiographique ... 3

a. Le contexte de Guerre froide : anticommunisme et affrontement ... 4

b. La Guerre froide et le Congrès ... 4

c. Le lancement du Spoutnik : l’événement ... 7

d. Le lancement du Spoutnik : les réactions ... 9

Hypothèse ... 10

Méthodologie ... 11

Plan du mémoire ... 13

Chapitre 1. La signification de l’événement : donner un sens au Spoutnik ... 16

1.1. Le contexte de lancement : une réelle surprise? ... 16

1.1.1. L’International Geophysical Year ... 17

1.1.2. Des plans clairs : les Soviétiques devaient lancer un satellite ... 21

1.2. Le potentiel militaire du Spoutnik ... 25

1.2.1. Le satellite comme une arme ... 26

1.2.2. Le satellite comme outil scientifique ... 31

1.3. La valeur politique des Spoutniks ... 34

1.3.1. Réussite soviétique et échec américain ... 35

1.3.2. Une réelle « crise » du Spoutnik? ... 40

Chapitre 2. Le retard américain dans la course à l’espace : à qui la faute? ... 46

2.1. Un Congrès divisé ... 46

2.1.1. Le missile gap révisé : le retard américain au centre du conflit ... 47

2.1.2. Les considérations internes générales d’un possible retard ... 50

2.1.3. Le Spoutnik comme outil politique démocrate ... 55

2.2. Blâmer le président et son administration ... 59

2.2.1. Un retard préspoutnik : interruption des programmes en aéronautique et ralentissement des avancées américaines avant le 4 octobre 1957 ... 60

2.2.2. La réaction présidentielle au lancement du Spoutnik : l’inaction critiquée par le Congrès ... 64

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iv

Chapitre 3. Le réveil du Spoutnik : réorganisation, révision et financement aux États-Unis en 1958 ... 74

3.1. Revoir les agences en astronautique : à la conquête de l’espace dans la paix ... 75 3.1.1. L’organisation du développement en aéronautique préspoutnik ... 75 3.1.2. La National Aeronautics and Space Administration : une agence civile pour

l’exploration de l’espace ... 79 3.2. L’éducation au coeur des débats ... 84 3.2.1. Les programmes scolaires soviétiques et américains : des objectifs différents . 85 3.2.2. Une plus grande aide financière du gouvernement fédéral dans les écoles ... 89 3.3. Revoir la défense aux États-Unis en réponse au lancement du Spoutnik ... 93 3.3.1. Le Congrès et la révision du département de la Défense ... 93 3.3.2. Le budget de la défense : prévenir les attaques par un plus grand financement

dans l’armement ... 98

CONCLUSION ... 104 BIBLIOGRAPHIE ... 110

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v

REMERCIEMENTS

Je tiens d’abord à remercier mon directeur de recherche, Bernard Lemelin, pour son soutien et ses précieux conseils tout au long de mes recherches et de ma rédaction. Sa confiance m’a permis de réaliser un travail me représentant, dont je suis fière et qui rejoint ma passion en histoire et mon intérêt marqué pour la période de la Guerre froide.

Je tiens également à remercier ma famille et mes amis pour leur soutien quotidien et leur présence encourageante. Les nombreuses journées de travail en leur compagnie ont toujours été productives et des plus plaisantes. Merci à Jimmy, qui a toujours répondu à mes questions et qui a été présent pour me rassurer dans les dernières semaines de travail.

Merci à mon père, Jean, à mon frère, Michel et un merci particulier à ma mère, Hélène, et ma soeur, Andréane, d’avoir été plus que disponibles pour me relire et me rappeler les mots oubliés ainsi que pour leur patience infinie. Merci à mon conjoint, Mathieu, pour ses conseils, pour m’avoir supportée et aidée à persévérer quand j’en avais besoin.

Je tiens aussi à remercier Matthew Bellamy pour être une source constante d’inspiration, d’avoir sans cesse nourri ma curiosité pour l’espace et pour s’être révélé la motivation nécessaire pour mettre à terme ce projet de trois ans.

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INTRODUCTION

Mise en contexte

4 octobre 1957 : une nouvelle image loge désormais dans le ciel. Le Spoutnik, une sphère métallique de 23 pouces de diamètre, est mis en orbite autour de la Terre par les Soviétiques. Il représente le premier satellite artificiel à atteindre l’espace. Près d’un mois plus tard, le 3 novembre, les Soviétiques reproduisent et même surpassent leur accomplissement en lançant un deuxième Spoutnik en orbite. Cette fois, le vol est habité. À son bord, le Spoutnik II transporte le premier animal à aller en orbite de la Terre : la chienne Laïka. L’accomplissement sans précédent des Rouges résonne chez les Américains comme une onde de choc. Les Soviétiques, s’ils n’ont pas déjà dépassé les États-Unis en matière d’aéronautique et d’astrophysique, les ont au moins égalés. Le 5 octobre, la Pravda, journal officiel du Parti communiste, partage des informations techniques concernant le lancement du satellite. Voyageant à une altitude pouvant atteindre 900 kilomètres au-dessus de la surface de la Terre, le Spoutnik prend 1 heure 35 minutes à réaliser une révolution complète. À cette vitesse, il était prévu qu’il survole Moscou la même journée à 1h46 et 6h42 du matin, heure locale1. Immédiatement après son lancement le 4 octobre, le satellite s’impose comme

nouveau marqueur temporel dans les développements technologiques, prouvant ainsi le caractère déterminant de l’événement. Il est désormais question de tout ce qui est « préspoutnik » et « postspoutnik »2, confirmant que la mise en orbite du satellite deviendra

l’un des événements scientifiques les plus significatifs du XXe siècle. Lorsque les Américains

reçoivent la nouvelle, plusieurs sortent de leur maison dans l’espoir d’apercevoir un point lumineux traversant le ciel, témoin du début de la nouvelle ère spatiale3.

Avec ce retour de l’intérêt en astronautique, il devient nécessaire pour le président de rencontrer ses conseillers et les diverses commissions liées aux domaines de la défense et de la technologie afin de discuter de la participation américaine dans le cadre de la conquête de

1 « Pravda Newspaper Article, 'Announcement of the First Satellite’, », October 05, 1957, History and Public

Policy Program Digital Archive, publié dans Behind the Sputniks (1958), p. 311-12. éd., Asif Siddiqi, consulté

en ligne via, https://digitalarchive.wilsoncenter.org/document/165454.

2 Constance McLaughlin Green et Milton Lomask, Vanguard: A History, Scientific and Technical Information

Division, National Aeronautics and Space Administration, 1970, p. 186.

3 David S. F. Portree, « NASA’s Origins and the Dawn of the Space Age (Monograph 10) », NASA History

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l’espace. L’administration du président en place, le républicain Dwight Eisenhower, prévoyait à l’époque plusieurs développements en aéronautique au pays, autant la mise en orbite d’un satellite américain que la mise en place de politiques d’utilisation et d’exploration de l’espace. Le projet d’atteindre l’espace et cet attrait de l’aéronautique n’est cependant pas nouveau. Rappelons que dès 1915, le Congrès américain met en place la National Advisory Committee for Aeronautics (NACA) dans le but de conseiller le président en place à l’époque, le démocrate Woodrow Wilson, dans ce domaine4. Dans les années 1950, alors que la Guerre

froide s’intensifie, les intérêts de la NACA se tournent vers la recherche sur la technologie des missiles. La surprise soviétique pousse ainsi l’administration Eisenhower à réagir rapidement pour rassurer une population qui semble croire que la réussite soviétique signifie une supériorité du système communiste. Dans ce contexte de Guerre froide5, le président

tente de conserver une attitude calme, ne souhaitant pas entraîner les États-Unis dans une autre compétition avec les Soviétiques.

Problématique

En connaissant l’impact du lancement du Spoutnik sur la population américaine et sachant que cet événement est considéré comme étant l’élément déclencheur de la course à l’espace entre l’URSS et les États-Unis, il devient intéressant de se pencher plus particulièrement sur la façon dont le gouvernement américain a réagi à cette période de crise. Tenant compte du fait que l’angle présidentiel de la question a déjà été abordé maintes fois par des historiens, une étude de la réaction du Congrès à la suite du lancement du satellite soviétique devient justifiée. Dans cette optique, nous avons formulé la question de recherche

4 Elizabeth Suckow, « NACA Overview », National Aeronautics and Space Administration,

https://history.nasa.gov/naca/overview.html, consulté le 17 avril 2017.

5 Le début des années 1950 est en effet marqué par un fort sentiment anticommuniste qui était déjà perceptible

à la fin des années 1940. Bien que le Congrès dispose déjà, dès 1938, d’une commission sur les activités antiaméricaines (House Un-American Activities Committee), c’est avec l’arrivée du sénateur Joseph McCarthy sur la scène politique américaine que cette peur des Rouges atteint son paroxysme. L’attitude très critique du sénateur est condamnée par plusieurs de ses collègues au Sénat et cette période de chasse aux sorcières contribue grandement au sentiment anticommuniste, à cette peur des Soviétiques ayant marqué la population américaine jusqu’à la fin de la Guerre froide. Ce climat de tensions ajoute donc un motif pour que la population américaine craigne l’exploit des Russes.

À ce sujet, consulter J. Garry Clifford, « McCarthyism », Bruce Jentleson, dir., Encyclopedia of U.S. Foreign

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suivante : que doit-on savoir de l’attitude du Congrès américain en réaction au lancement du Spoutnik?

Par l’étude du journal du Congrès, le Congressional Record6, ce mémoire se penchera plus particulièrement sur l’attitude de la branche législative du gouvernement américain face aux événements du 4 octobre 1957. Dans un contexte où la population semble en crise de confiance envers les capacités technologiques américaines et où les Soviétiques ont élargi les frontières de la Guerre froide, le gouvernement des États-Unis doit répondre rapidement aux actions de l’URSS. Au Congrès, l’objectif est simple : il faut rattraper, voire dépasser, les Rouges. Si des commissions sur l’aéronautique et l’astrophysique existaient déjà avant cet événement, l’exploit des Soviétiques fait revoir les priorités dans ces domaines. Nouvelles commissions, révisions des budgets et des programmes en éducation des sciences sont désormais nécessaires pour conserver une place dans la course à l’espace. Sachant que le Congrès américain est responsable de voter de nouvelles lois et de prendre des décisions concernant le budget gouvernemental, il devient donc évident que ce dernier a dû se positionner et réagir directement à la suite du lancement du Spoutnik.

Propos historiographique

Un élément ressort sans contredit de l’historiographie entourant le Spoutnik : le lancement du satellite fascine et n’est pas passé sans laisser sa trace. Qu’elle soit positive, notamment dans le développement de nouvelles technologies de satellites, ou plus négative, alimentant le climat de crainte et de peur dans la Guerre froide, l’accomplissement des Rouges a laissé sa marque dans l’imaginaire non seulement des Américains, mais de l’ensemble des nations. Pour mieux remettre l’événement dans son contexte et comprendre l’impact qu’il a eu, trois angles sont à considérer : le contexte de Guerre froide et d’affrontement avec les communistes, la place du Congrès dans la politique américaine de l’époque et les réactions entraînées par le lancement du Spoutnik. Le traitement de la nouvelle dans les journaux a aussi été étudié, plus directement que la réaction propre du Congrès qui semble se glisser à travers les études.

6 Congressional Record: Proceedings and Debates of the 85th Congress. Second Session, Washington, United

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a. Le contexte de Guerre froide : anticommunisme et affrontement

Afin d’avoir une meilleure compréhension de la façon dont le lancement du Spoutnik a provoqué une réaction généralisée aux États-Unis, l’étude du contexte politique américain des années 1950 est primordiale. C’est en tenant compte de ce contexte de tensions qu’il est possible de comprendre la gestion de ce que les auteurs s’accordent pour qualifier de « crise du Spoutnik ».

La littérature entourant la Guerre froide est abondante. Concernant différents conflits qui l’ont marquée, que ce soit la guerre de Corée ou celle du Vietnam, un élément y est évidemment central : l’affrontement entre les Soviétiques et les Américains. Si au cours des premières années les États-Unis peuvent profiter d’un monopole de l’arme nucléaire, le premier test soviétique de ce type en août 1949 lance les deux nations dans une course aux armements. L’administration en place dans les années 1950, sous le président Eisenhower, est critiquée par quelques auteurs dans ce contexte. Des historiens comme Charles R. Morris, dans son ouvrage Iron Destinies, Lost Opportunities : The Arms Race between the U.S.A. and the U.S.S.R., 1945-19877, ou encore David L. Snead, dans son livre The Gaither Committee, Eisenhower, and the Cold War8, mettent de l’avant les capacités de défense insuffisantes des

Américains. Le Gaither Report recommandait en effet au président de renforcer les stratégies offensive et défensive américaines par crainte que l’URSS ait déjà dépassé les Américains dans la technologie des missiles balistiques intercontinentaux (ICBM)9. Avec le lancement

du Spoutnik, le contexte d’affrontement se transpose à la conquête de l’espace.

b. La Guerre froide et le Congrès

Un survol de l’historiographie des relations extérieures américaines permet de noter un manque d’attention portée à l’influence du Congrès dans les politiques durant la Guerre froide. Le sénateur démocrate de New York Daniel Patrick Moynihan l’explique notamment en 1990 : l’un des scandales de la recherche américaine est sans aucun doute le manque

7 Charles R. Morris, Iron Destinies, Lost Opportunities: The Arms Race Between the U.S.A. and the U.S.S.R.,

1945-1987, 1st ed., New York, Harper & Row, 1988, XIII-544 p.

8 David L. Snead, The Gaither Committee, Eisenhower, and the Cold War, Columbus, Ohio State University

Press, 1999, x-286 p.

9 Security Resources Panel of the Science Advisory Committee, Deterrence & Survival in the the Nuclear Age,

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d’attention apportée au Congrès10. L’auteur reproche entre autres à des historiens comme

John L. Gaddis d’avoir délaissé Capitol Hill dans leurs études. Cela est sans doute causé par le fait que beaucoup de chercheurs ont vu la branche législative du gouvernement américain comme ayant un rôle d’appui non central dans le développement des politiques étrangères, tel que le mentionne Kyle Longley dans un article examinant le rôle du Congrès en temps de Guerre froide11.

Le développement historiographique n’a certainement pas joué en faveur du Congrès dans ce cas, comme le souligne Robert David Johnson, professeur d’histoire américaine au Brooklyn College. Dans un article ciblant le Congrès et la Guerre froide, l’historien explore les principaux courants de l’historiographie en faisant ressortir l’absence d’intérêt pour la branche législative du gouvernement. L'auteur soulève que des études classiques sur l’histoire diplomatique, telles celles de Samuel Flagg Bemis12, Dexter Perkins13 et Arthur

Whitaker14, ont plutôt concentré leur attention sur des acteurs différents : le président, le

département d’État et les ministères des nations avec lesquelles les États-Unis faisaient affaire. Johnson relève d’abord la tendance des historiens traditionalistes à tourner leurs études vers des sujets abordant la diplomatie de la jeune nation, alors que le pouvoir du Congrès était moindre et qu’il ne jouait qu’un rôle mineur dans la politique étrangère15. De

manière similaire, beaucoup d’historiens révisionnistes ont aussi délaissé les études de la branche législative dans les relations diplomatiques américaines, mettant plutôt l’accent sur les intérêts économiques et idéologiques américains. Johnson relève tout de même un exemple tenant compte du Congrès, William Appleman Williams dans son ouvrage The

10 Comme le sénateur le rapporte : « the neglect of congressional history is something of a scandal of American

scholarship ». Daniel Patrick Moynihan, On the Law of Nations (Cambridge, MA: Harvard University Press, 1990), p. 50, cité dans Robert David Johnson, « Congress and the Cold War », Journal of Cold War Studies, 3, 2 (2001), p. 76.

11 Kyle Longley, « Silent Partner? Congress and Foreign Policy in the Cold War. », Diplomatic History, 31, 4

(2007), p. 787

12 Samuel Flagg Bemis (1891-1973), professeur émérite d’histoire diplomatique et de relations

inter-américaines à l’Université Yale. Parmi ses principaux ouvrages, notons The Diplomacy of the American

Revolution, New York, D. Appleton-Century, 1935, mentionné dans Robert David Johnson, loc. cit., p. 77.

13 Dexter Perkins (1889-1984), professeur à la Cambridge University et spécialiste de politique étrangère

américaine. À titre d’exemple, comme proposé par Robert David Johnson, consulter son livre The Monroe

Doctrine, 3 vols., Cambridge, Harvard University Press, 1927. Ibid.

14 Arthur Whitaker (1895-1979), professeur et spécialiste en histoire de l’Amérique latine à l’Université de

Pennsylvanie. Consulter son ouvrage The Mississippi Question: A Study in Trade, Politics, and Diplomacy, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1934, tel que mentionné par Robert David Johnson. Ibid.

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Roots of the Modern American Empire, mais précise que l’auteur ne voyait pas le législatif comme un acteur indépendant16. Enfin, dans le courant postrévisionniste, Johnson relève que

le Congrès ne figure jamais dans les études des leaders de cette tendance, comme John Lewis Gaddis17.

À l’opposé, d’autres auteurs ont vu l’importance de traiter de la branche législative dans les études sur la Guerre froide. À ce sujet, l’étude de Johnson s’avère une publication incontournable à propos du Congrès dans les politiques en temps de conflit entre l’URSS et les États-Unis18. Un deuxième auteur reconnu pour avoir grandement contribué aux études

de l’influence du Congrès lors de la guerre froide est David M. Barrett, professeur associé en sciences politiques à l’Université de Villanova. Dans son ouvrage CIA and Congress, il relate que, durant les premières années du conflit mondial, le Congrès avait autant d’impact sur le processus décisionnel que les personnes siégeant au Bureau ovale19. Il est reconnu que la

branche législative du gouvernement américain a entre autres influencé la stratégie politique américaine et les dépenses budgétaires en temps de Guerre froide. Dans le même sens, Longley soulève que, bien que de nombreux parlementaires semblaient souvent plus préoccupés par les affaires internes comme les taxes, le Congrès avait en réalité un devoir constitutionnel significatif dans le développement de la politique étrangère. Des historiens, comme Edward A. Kolodziej, s’entendent pour dire que le lancement du Spoutnik a rendu le Congrès plus réceptif à une augmentation des dépenses militaires, et ce, après avoir fait, au contraire, des coupures20 lors du premier mandat d’Eisenhower21. Malgré le fait que la

branche législative du gouvernement américain semble refaire surface dans les études sur la Guerre froide, un manque est tout de même notable dans cette historiographie. L’étude du

16 Dans son ouvrage, Williams met de l’avant que l’expansion de la politique étrangère américaine s’explique

par une volonté d’atteindre de nouveaux marchés pour le pays, en particulier pour permettre d’augmenter l’exportation. Une des critiques lui étant faite par les historiens récents est notamment de n’utiliser le Congrès que comme une source de citations pour soutenir son argument. Ibid., p. 77.

17 Ibid., p. 78. 18 Ibid., p. 76.

19 David M. Barrett, The CIA & Congress: The Untold Story from Truman to Kennedy, Lawrence, University

Press of Kansas, 2005, x-542 p.

20 Dans les premières années de sa présidence et à la suite des coupures post-guerre de Corée, le président fait

preuve d’une politique budgétaire stricte en réduisant le financement accordé à la défense. Il priorise les Forces de l’air à l’Armée et la Marine en espérant éviter davantage de guerres en Asie et souhaite mettre l’accent sur la construction d’un bouclier antinucléaire pour dissuader les Soviétiques d’attaquer. Iwan Morgan, « Managing the Economy », Chester J. Pach, éd., A Companion to Dwight D. Eisenhower, Malden, Wiley-Blackwell 2017, p. 238.

21 Edward A. Kolodziej, The Uncommon Defense and Congress, Columbus, Ohio University Press, 1966,

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Congressional Record pour analyser la réaction du Congrès à la suite du lancement du Spoutnik s’inscrit donc dans cette volonté d’accorder une plus grande place aux législateurs dans la politique des États-Unis.

c. Le lancement du Spoutnik : l’événement

Le lancement du satellite soviétique a été étudié sous plusieurs angles dans la communauté historienne et scientifique. Bien que ce mémoire tentera de répondre à un questionnement de nature politique, il nous faut tenir compte des différents genres de littérature ayant abordé la question. Malgré la présence de programmes d’exploration de l’espace avant le lancement du Spoutnik, les ouvrages sur l’histoire spatiale américaine considèrent souvent le satellite soviétique comme un tournant dans les développements en aéronautique.

Le Spoutnik a d’abord fasciné les scientifiques de par son caractère innovateur. L’accomplissement soviétique est en effet sans précédent et a donné le coup d’envoi dans le développement de technologies en matière d’astronautique. Il a en effet fait proliférer les recherches dans les domaines de la science et de l’ingénierie. Son lancement est ainsi perçu comme un moment décisif dans le développement technologique, autant dans les usages plus quotidiens, comme les satellites de communications, que ceux militaires, comme les missiles. Toujours selon l’angle technologique de la question, un deuxième point important entourant le lancement du Spoutnik est la notion de compétition entre les capacités américaines et soviétiques. Les auteurs s’accordent pour dire que le lancement du satellite devient le symbole de l’accomplissement de l’URSS et qu’il démontre que les Rouges ont surpassé les États-Unis dans le domaine des missiles à longue portée. À ce sujet, nous pouvons notamment citer Andreas Wenger qui, dans son article « Eisenhower, Kennedy, and the Missile Gap : Determinants of US Military Expenditure in the Wake of the Sputnik Shock22

», aborde les facteurs ayant influencé le budget de la défense. Dans le même ordre d’idées, l’historien Paul Dickson le mentionne en introduction de son livre : le Spoutnik a forcé les États-Unis à placer les recherches scientifiques en priorité, ce qui les a menés au

22 Andreas Wenger, « Eisenhower, Kennedy, and the Missile Gap: Determinants of US Military Expenditure in

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développement du domaine de la microélectronique qui est aujourd’hui utilisée dans les ordinateurs23.

En plus des avancées technologiques pour les missiles, le lancement du satellite a également provoqué aux États-Unis un besoin de rattraper le retard des Américains sur le plan de la conquête de l’espace. Puisque le Spoutnik est le premier à avoir été envoyé en orbite de la Terre, il est considéré par plusieurs historiens comme étant l’élément déclencheur de la course à l’espace24. D’autres historiens, comme Walter McDougall dans son ouvrage Technology and Statecraft in the Space Age : Toward the History of a Saltation, s’entendent plutôt pour qualifier l’événement de « catalyseur historique ». Pour ces auteurs, le lancement du satellite n’a simplement fait qu’accélérer des tendances qui étaient déjà présentes et n’a été qu’un catalyseur dans le développement rapide de la technologie spatiale25. Comme

mentionné précédemment, des plans d’exploration de l’espace avaient déjà été enclenchés quelques années auparavant. Une chose est sûre : l’événement a entraîné une revue complète des programmes civils et militaires26 américains et la création de commissions pour avancer

23 Paul Dickson, Sputnik: The Shock of the Century, New York, Walker & Company, 2011, p. 4.

Le développement de ce type de technologie avait tout de même débuté avant le lancement du satellite soviétique. Dès les années 1940, le gouvernement américain intervient pour encourager les recherches scientifiques, notamment en physique, dans un but principalement militaire. Le Projet Manhattan, qui a mené à la conception de la première bombe atomique, est un exemple de cette réorientation de l’utilisation de la science. À ce sujet, consulter l’article de Paul Forman Behind Quantum Electronics: National Security as Basis for

Physical Research in the United States, 1940-1960. Paul Forman, « Behind Quantum Electronics: National

Security as Basis for Physical Research in the United States, 1940-1960 », Historical Studies in the Physical

and Biological Sciences, 18, 1(1987), p. 149-229.

24 Le professeur d’histoire à l’Université Fordham Asif Siddiqi, spécialiste de l’histoire des sciences et

technologies ainsi que de l’histoire contemporaine russe, s’est intéressé au lancement du satellite et plus particulièrement à cette notion de « défi du Spoutnik ». Dans des ouvrages tels que Sputnik and the Soviet Space

Challenge ainsi que son article Sputnik 50 Years Later: New Evidence on Its Origins, l’historien propose plutôt

de situer les débuts de la course à l’espace dès 1954, avec les premières annonces du développement de satellites auprès des Russes et des Américains. Asif A. Siddiqi, Sputnik and the Soviet Space Challenge, Gainesville, University Press of Florida, 2003, XX-527 p., Asif Siddiqi, « Sputnik 50 years later: New Evidence on its Origins », Acta Astronautica, 63 (2008), p. 529‑539.

25 Walter A. McDougall, « Technocracy and Statecraft in the Space Age - Toward the History of a Saltation »,

American Historical Review, 87, 4 (1982), p. 1010.

26 L’historien John Logsdon, un professeur en sciences politiques et en affaires internationales à la George

Washington University et spécialiste de l’histoire spatiale américaine, se démarque notamment dans les études

portant sur les politiques spatiales aux États-Unis. À ce sujet, consulter ses publications, notamment son article « Space Policy » dans l’Encyclopédie sur les relations étrangères américaines de Bruce Jentleson et son recueil de documents sur le programme spatial américain. John M. Logsdon « Space policy », Bruce Jentleson, dir.,

Encyclopedia of U.S. Foreign Relations, New York, Oxford University Press, 1997, vol. 4, p. 101‑106, ainsi

que sa série en association avec la NASA, Exploring the Unknown: Selected Documents in the History of the

U. S. Civil Space Program. Vol. 1-5, Washington D.C, National Aeronautics and Space Administration,

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les recherches dans le domaine de l’astronautique, comme le Presidential Science Advisor au sein de la Maison-Blanche et le Advanced Research Projects Agency in the Department of Defense27. Dans le même ordre d’idées, le monde de l’éducation s’est aussi retrouvé au centre

des projets de réorganisation, dans l’optique de former de meilleurs scientifiques afin qu’ils puissent contribuer aux développements futurs en astronautique. L’historienne et spécialiste en histoire américaine Barbara Barksdale Clowse en fait état dans son ouvrage Brainpower for the Cold War : The Sputnik Crisis and National Defense Education Act of 1958, faisant ressortir les inquiétudes préspoutnik dans le domaine de l’éducation28.

d. Le lancement du Spoutnik : les réactions

La majorité des études ayant porté sur le lancement du satellite soviétique et les États-Unis concernent la réaction du chef de l’Exécutif. Les historiens, comme le professeur et spécialiste en politique étrangère américaine du XXe siècle Robert Divine29, s’entendent pour

souligner l’attitude calme du président Eisenhower à la suite de l’exploit des Soviétiques. À ce propos, le porte-parole de la Maison-Blanche James Hagerty déclare que les deux programmes spatiaux n’ont jamais été considérés comme étant en compétition, du moins pour les Américains : « We never thought of our program as one which was in a race with the Soviets30 ». Le président ne voyait pas, au départ, le besoin urgent d’augmenter les forces

militaires31 et mettait de l’avant que les États-Unis possédaient déjà la puissance nécessaire

pour dissuader tout ennemi d’attaquer32. Rejetant un rapport émis par le National Security Council demandant au président des actions immédiates pour accélérer le programme de défense du pays, Eisenhower a déclaré que l’augmentation des dépenses liées à la défense ne signifiait pas nécessairement une plus grande sécurité. Les recherches concernant la réaction

27 Roger D. Launius, Historical Analogs for the Stimulation of Space Commerce, Washington, DC, National

Aeronautics and Space Administration, Office of Communications, Public Outreach Division, History Program Office, 2014, p. 13.

28 Barbara Barksdale Clowse, Brainpower for the Cold War: The Sputnik Crisis and National Defense

Education Act of 1958, Westport, Greenwood Press, 1981, X-225 p.

29 Robert A. Divine, The Sputnik Challenge, New York, Oxford University Press, 1993, XVIII-245 p. 30 Ibid., p. XIV.

31 Le président était alors en possession d’informations classifiées amassées par un avion de reconnaissance

U-2. Au début juillet 1956, un avion effectue une série de cinq vols au-dessus de Moscou, Leningrad et la Côte Baltique et révèle que le développement de bombardiers par les Russes avance à un rythme beaucoup moins alarmant qu’on le croyait alors aux États-Unis. Dwayne A. Day, « Cover Stories and Hidden Agendas: Early American Space and National Security Policy », dans Roger D. Launius, John M. Logsdon, et Robert W. Smith, éd., Reconsidering Sputnik: Forty Years Since the Soviet Satellite, New York, Routledge, 2013, p. 165.

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du 34e président américain confirment donc que celui-ci n’a pas insisté pour que le

programme spatial américain rattrape les progrès de l’URSS. Comme le souligne Logsdon, c’est surtout avec le président Kennedy, en 1961, qu’il a été décidé que les États-Unis devraient participer à, voire gagner, la course à l’espace avec les Soviétiques33.

Un autre angle bien étudié dans l’historiographie entourant le lancement du Spoutnik est sans aucun doute la surprise et le sentiment de panique généralisés dans la population américaine. Il est dit que l’événement a déclenché une crise de confiance envers le gouvernement fédéral et les capacités technologiques nationales. Quelques chercheurs se sont attardés à cette réaction populaire, notamment Ian H. Kennedy, dans le cadre de la rédaction d’un mémoire de maîtrise déposé en 2005 à la University of Central Florida34. Se

basant principalement sur des revues et journaux, le diplômé a jeté un regard sur la façon dont les médias et la population ont répondu à la crise du Spoutnik, insistant sur le fait que l’événement doit être remis en contexte pour bien en comprendre son impact. Non seulement le contexte de Guerre froide, mais également la façon dont le gouvernement fédéral a réagi a pu jouer sur la réaction populaire35.

Hypothèse

Par les diverses résolutions et les nouveaux comités qui ont été formés au Congrès pour prendre en charge les recherches et développements en aérospatial, il est évident que le Congrès a réagi directement à la suite du lancement du Spoutnik. Les sénateurs et représentants démocrates les plus volubiles dans les discussions ont utilisé le contexte de révision et de crise dans le but de critiquer l’administration républicaine d'Eisenhower et alimenter l’idée d’un retard technologique américain. Si la signification donnée au satellite diffère entre celle d’une menace à la sécurité nationale et celle d’un simple outil scientifique, l’ensemble de la branche législative s’entend pour revoir les politiques en éducation et en recherches spatiales afin d’engager officiellement les États-Unis dans la course à l’espace.

33 John M. Logsdon, loc. cit., p. 101. 34 Ian H. Kennedy, op. cit., p. 4. 35 Ibid., p. 105.

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Méthodologie

Afin de répondre au questionnement de cette recherche, une source principale a été retenue afin d’en faire une analyse de contenu : le Congressional Record36. Publié de façon quotidienne au cours des sessions du Congrès, le Record fait état des activités législatives des chambres du Congrès et de leurs commissions, ainsi que des remarques des différents parlementaires et des communications du président. Étant divisé entre le Sénat et la Chambre des représentants, il facilite l’organisation des informations et permet de porter une attention particulière à la différence de réaction entre les deux chambres du Congrès. Les éditions qui composeront le corpus de sources sont celles de l’année 195837, parues entre le 4 janvier et

le 30 août de la même année, afin de recueillir la réaction du Congrès la plus immédiate possible. Bien que ne constituant pas les archives principales du Congrès38, le Congressional Record offre plusieurs avantages au public et aux chercheurs s’y intéressant, notamment sa nature quotidienne et sa facilité de consultation. Les ouvrages et études déjà publiés, notamment ceux de Robert Divine et de Roger Launius39 sur le satellite soviétique, donneront

la possibilité de mettre en perspective la réaction de la branche législative du gouvernement américain. La consultation du Congressional Record nous donnera cependant l’occasion d’offrir un regard nouveau et plus complet sur l’impact du satellite soviétique dans la législation américaine. Quelques éléments sont à prendre en considération lors de l’étude du Congressional Record. Mentionnons d’abord que ce journal n’est pas une une retranscription exacte des débats et procédures du Congrès40. Il s’agit d’un résumé des événements et

procédures de la journée et les propos des parlementaires peuvent avoir été modifiés par ces

36 Si chacune des sessions du Congrès peut compter entre 15 000 et 30 000 pages, ce ne sont que les extraits

dans lesquels les parlementaires font mention de façon pertinente au Spoutnik qui seront sélectionnés dans la présente étude.

37 Bien que le lancement du Spoutnik a eu lieu au cours de l’année précédente, les journaux du Congrès de 1957

n’ont pas été retenus puisque ce dernier ne siégeait pas au moment de la mise en orbite du satellite, sa première session s’étant terminée à la fin du mois d’août précédent.

38 Celles-ci sont en effet tenues dans des journaux relatifs à chaque chambre. Le Congressional Record offre

cependant plusieurs avantages comparativement à ces journaux. Certains des documents officiels ne sont pas rendus publics pour diverses raisons : des informations classées privées ou encore des membres du Congrès qui ne voient simplement pas la valeur historique de leurs archives. L’auteur Patricia Aronsson rapporte même que les documents des sénateurs sont souvent mieux conservés que ceux des représentants, puisqu’ils suscitent parfois plus d’intérêt pour les archivistes. Howard N. Mantel, « The Congressional Record: Fact or Fiction of the Legislative Process », Western Political Quarterly, 12, 4 (1959), p. 982. Patricia Aronsson, « Congressional Records as Archival Sources », Government Publications Review, 8A, 4 (1981), p. 299.

39 Robert A. Divine, op. cit. et Roger D. Launius, John M. Logsdon, et Robert W. Smith, op. cit. 40 Howard N. Mantel, loc. cit., p. 982.

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derniers. À ce sujet, le sénateur démocrate de l’Oregon Richard Neuberger, dans un article publié dans le New York Times, raconte d’ailleurs que plusieurs membres du Congrès réécrivent parfois des discours, jugés trop colorés41. Il est tout de même important de noter

que ces modifications ne doivent pas changer le sens premier de l’intervention faite. Il est aussi coutume pour un membre de demander et obtenir un consentement unanime pour réviser une remarque faite. Également, bien que le Congrès ne classifie pas d’informations, la section 206 du Atomic Energy Act de 1954 autorisait le Committee on Atomic Energy à retirer des propos qui pourraient correspondre aux standards établis par le gouvernement fédéral pour cacher au public des informations quant à la défense du pays42. Dans un contexte

où le lancement du satellite Spoutnik par les Soviétiques a inquiété les Américains à ce propos, il est possible que quelques informations aient été mises de côté.

En complément, il nous sera possible de faire appel à d’autres documents officiels du Congrès dans le but d’éclairer la position de ses membres et de mieux organiser ces informations43. La consultation d’autres sources provenant de la branche législative du

gouvernement américain comblera l’absence du Congressional Record pour la fin de l’année 1957. Les audiences des différentes commissions devant le Sénat sont ici pertinentes pour cette raison. Dès novembre 1957, une sous-commission de celle portant sur les services armés, le Senate Armed Services Committee, réagit au lancement. Le président du Preparedness Investigating Subcommittee, le sénateur démocrate du Texas et leader de la majorité au Sénat depuis 1955 Lyndon B. Johnson, lance une enquête sur les ressources nationales pour engager le pays dans la course à l’espace : la Inquiry Into Satellite and Missiles Programs44. Rassemblée les 25, 26 et 27 novembre, ainsi que les 13, 14, 16 et 17 décembre 1957, elle réunit divers experts en sciences et technologies ainsi que des représentants du gouvernement, des industries, de l’aspect militaire et civil de la matière.

41 Richard Neuberger, « The Congressional Record is Not a Record », New York Times, Avril 20 1958, Sec. 6,

14, cité dans Ibid., p. 983.

42 Harold C. Relyea, « Declassification Review of Congressional Records », Government Information

Quarterly, 28, 1 (2011), p. 1.

43 « Eighty-Fifth Congress. January 3, 1957, to January 3, 1959. », United States Congress, Biographical

Directory of the United States Congress 1774-1971, Washington, Government Printing Office, 1971, p.

441-446.

44 United States Congress, Inquiry Into Satellite and Missile Programs : Hearings Before the Preparedness

Investigating Subcommittee of the Committee on Armed Services, United States Senate, Eighty-fifth Congress, First and Second Sessions, Washington, 1958, VI-2476 p.

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Rassemblant le témoignage de 73 personnes, le rapport des audiences cumule plus de 2476 pages d’informations sur la situation et les bases pour planifier l’avenir en exploration spatiale américaine45. Ce matériel de recherche a notamment été utilisé par divers auteurs

étudiant le rôle du Congrès dans la stratégie de défense américaine en temps de Guerre froide, dont Edward A. Kolodziej, mentionné précédemment. Également, à l’occasion du 60e

anniversaire du lancement du Spoutnik, la C.I.A. a rendu publique via son site officiel une collection de documents sur le satellite soviétique qui étaient auparavant classifiés. Comptant 59 documents et plus de 440 pages46, ces sources premières offrent une mine d’informations

nouvelles dont des analyses de l’agence de renseignement sur les spoutniks 1, 2 et 3 et sur le programme russe de missiles balistiques dans la deuxième moitié des années 1950.

En plus de ces sources, il nous sera également possible de consulter les autobiographies et biographies des membres du Congrès étant intervenus lors des discussions suivant le lancement du Spoutnik et, notamment, ceux qui siégeaient à la Commission des forces armées, comme le sénateur démocrate du Texas Lyndon B. Johnson, qui a aidé à l’établissement de la National Aeronautic and Space Administration (NASA)47.

Plan du mémoire

La présente recherche se divise en trois aspects, respectant un plan thématique. Afin de mieux cerner la réaction du Congrès à la suite du lancement du Spoutnik, il convient en premier lieu d’aborder brièvement les circonstances de la mise en orbite du satellite pour identifier la réaction initiale des parlementaires. Cette mise en contexte permettra de comprendre la signification donnée à l’engin soviétique par les membres du Congrès et d’étudier cette « crise du Spoutnik » dont il est question à travers l’historiographie. Le potentiel militaire et politique du satellite est en effet discuté et débattu, une partie des experts consultés s’entendant pour dire que le Spoutnik représente une menace directe à la sécurité

45 Eiline Galloway, « Organizing the United States Government for Outer Space, 1957-1958 », Roger D.

Launius, John M. Logsdon, et Robert W. Smith, éd., op. cit., p. 309-310.

46 Central Intelligence Agency, « Sputnik: 60 Years Later, CIA Releases Declassified Documents — Central

Intelligence Agency », Central Intelligence Agency, https://www.cia.gov/news-information/press-releases-statements/2017-press-releases-statements/sputnik-60-years-later-cia-releases-declassified-documents.html, consulté le 18 septembre 2018.

47 À ce sujet, consulter la biographie écrite par Robert Caro, un biographe reconnu de politiciens américains.

Robert A. Caro, Master of the Senate: The Years of Lyndon Johnson, New York, Vintage Books, 2003, XXIV-1167 p.

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nationale américaine et un outil de propagande inestimable. L’opinion contraire, moins abordée dans les études sur le satellite soviétique, indique une réception beaucoup plus calme et posée de l’événement. Il sera possible de constater, déjà à travers ce premier chapitre, une différence de points de vue entre les parlementaires républicains et démocrates, ces derniers présentant un discours généralement plus inquiétant quant à l’impact du Spoutnik sur la sécurité nationale.

Le deuxième chapitre est consacré à la recherche d’un « coupable » pour expliquer le retard des États-Unis en matière d’astronautique. Au Congrès, l’opinion est divisée. Dès le lancement du satellite, autant les démocrates que les républicains comparent les avancées américaines et soviétiques. Si, pour les républicains fidèles à Eisenhower, la situation s’explique principalement par la différence de priorité accordée aux ressources et un manque dans l’éducation, les démocrates y voient plutôt un échec de la part du gouvernement fédéral et utilisent le Spoutnik comme un outil politique pour faire ressortir les lacunes de l’administration Eisenhower. Immédiatement après le lancement du satellite soviétique, le chef de l’Exécutif fait preuve d’un calme déroutant pour les parlementaires et son inaction a été souvent pointée du doigt pour expliquer le retard américain, transformant ainsi le Spoutnik comme un outil politique pour le parti démocrate.

Enfin, un troisième et dernier chapitre aborde les actions concrètes prises par le Congrès en réponse au lancement du satellite soviétique. L’agence déjà en place, le National Advisory Committee for Aeronautics (NACA), ne répond plus aux exigences de cette nouvelle course à l’espace et sa réorganisation est nécessaire. Cela mènera, en juillet 1958, à la création de la NASA, une agence civile. Aussi, souhaitant éliminer le plus possible tout écart entre les capacités technologiques des Russes et des Américains, les parlementaires mettent de l’avant, dès le mois d’octobre 1957, la nécessité de revoir le budget national et d’investir de plus grandes sommes d’argent dans les domaines reliés à la science et la technologie. Enfin, l’un des domaines les plus étudiés à la suite du lancement du Spoutnik est sans contredit celui de l’éducation. En cherchant la cause du retard américain en science, les parlementaires ont comparé le système d’éducation soviétique à celui aux États-Unis en mettant l’accent sur l’importance de réformer ce dernier. En accordant de plus grandes sommes d’argent aux domaines scientifiques et technologiques et en encourageant les jeunes à vouloir y poursuivre leurs études, les membres du Congrès espéraient valoriser le milieu de

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l’astronautique, former plus de scientifiques et ainsi rattraper le retard américain dans la course à l’espace.

Enfin, une conclusion permettra d’effectuer une synthèse des éléments clés représentant la réaction de la branche législative du gouvernement américain au lancement du Spoutnik en 1958.

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Chapitre 1. La signification de l’événement : donner un sens au Spoutnik

Le 4 octobre 1957, vers 18h15 heure de l’Est, le Dr Lloyd Berkner, président de la Radio Union et vice-président du Comité spécial de l’Année géophysique internationale (CSAGI), est à l’ambassade soviétique à Washington D.C. dans le cadre d’une semaine de conférences portant sur l’Année géophysique internationale (AGI). La nouvelle du lancement du Spoutnik arrive de Moscou par téléphone à Walter Sullivan, correspondant spécialiste en science pour le New York Times, qui transmet le message à Berkner. Celui-ci demande le silence et annonce l’exploit des Russes alors qu’il est à l’ambassade soviétique à Washington D.C.1:

« I have just been informed by the New York Times that a Russian satellite is in orbit at an elevation of 900 kilometers. I wish to congratulate our Soviet colleagues on their achievement2 ». Il est mentionné par plusieurs historiens qu’à cet instant, un militaire

américain anonyme déclara, en réaction à la nouvelle, « If it weighs 18 pounds they’re ahead of us - if it weighs 180 pounds, I’m scared!3». Cette remarque laisse savoir à quel point la

question du poids du satellite aura une place centrale dans les discussions ultérieures portant sur les spoutniks et leurs équivalents américains.

Presque instantanément, le Senate Armed Services Committee réagit au lancement lors des audiences de l’Inquiry Into Satellites and Missiles Programs. Les chercheurs et parlementaires cherchent également à trouver la signification réelle du lancement du satellite russe.

1.1. Le contexte de lancement : une réelle surprise?

Si la nouvelle de l’exploit soviétique retentit comme une onde de choc dans la population américaine, les discussions et débats au Congrès laissent transparaître une ambivalence quant à la réelle surprise en réaction au lancement du Spoutnik. À première vue, la lecture des sources premières et des études réalisées sur le satellite font ressortir une consternation généralisée, la mise en orbite représentant un événement sans précédent. Le Spoutnik semble d’abord causer un choc total, étant un événement qui révolutionnera le monde de l’exploration spatiale, de la communication et de l’armement. D’un autre côté, une partie des

1 David S. F. Portree, op. cit.

2 Constance McLaughlin Green et Milton Lomask, op. cit., p. 186. 3 David S. F. Portree, op. cit.

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parlementaires et des experts invités laissent en effet savoir que le lancement du satellite était plutôt attendu, puisque le gouvernement américain avait été prévenu à bon nombre de reprises auparavant, notamment par le fait que la mise en orbite d’un satellite artificiel était prévue autant pour les Américains que pour les Soviétiques dans l’année suivante. Les Soviétiques avaient également réalisé de nombreux tests dans les mois précédents, laissant entrevoir des plans plus ambitieux dans un avenir rapproché.

1.1.1. L’International Geophysical Year

L’Année géophysique internationale, ou l’International Geophysical Year (IGY), découle d’une suggestion faite par Lloyd Berkner, alors membre de l’Académie Nationale des sciences (National Academy of Sciences). En réponse à l’une de ses suggestions, l’International Council of Scientific Unions propose en 1952 un plan d’exploration et d’observation des activités géophysiques entre le 1er juillet 1957 et la fin du mois de décembre

1958, période où les activités solaires seront les plus fréquentes. Dépassant les 46 pays s’étant d’abord montrés intéressés à participer à l’AGI, 67 nations s’impliquent finalement dans cette année de recherche qui avait pour objectif l’étude des phénomènes géophysiques dans un but bénéfique pour la planète4.

Aux États-Unis, le Département de la Défense poursuit déjà des recherches sur la technologie des fusées et sur l’espace extra-atmosphérique dès les années 19405. En contexte

de conflit mondial, ces domaines offrent un moyen d’assurer le leadership américain en science et technologie et de promouvoir la sécurité nationale6. En février 1953, le U.S. National Committee (USNC) pour l’AGI est créé par la National Academy of Sciences-National Research Council pour prendre en charge la participation américaine à l’AGI. Le

4 Un rapport de la NAS énonce notamment cet objectif : « to observe geophysical phenomena and to secure

data from all pats of the world; to conduct this effort on a coordinated basis by fields, and in space and time, so that results could be collated in a meaningful manner ». National Academy of Sciences, « The International Geophysical Year, 1957-1958 », The National Academies of Sciences, Engineering, and Medicine, 2005, http://www.nas.edu/history/igy/, consulté le 12 février 2018.

5 La National Aeronautics and Space Administration a publié en 1970, dans le cadre de sa NASA Historical

Series, un livre relatant dans le détail et d’un point de vue intérieur l’histoire du programme spatial américain

jusqu’alors avec de nombreuses photographies d’époque et illustrations des plans de constructions de satellites. Pour plus d’informations à ce sujet, consulter cet ouvrage. Constance McLaughlin Green et Milton Lomask,

op. cit., 308 p.

6 Roger D. Launius, « An Unintended Consequence of the IGY: Eisenhower, Sputnik, the Founding of NASA »,

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professeur de physique à l’Université de Californie à Los Angeles Joseph Kaplan est nommé en tant que président de la USNC, avec le physicien du National Bureau of Standards, Alan H. Shapley, comme vice-président. Les comités techniques sont alors tenus d’effectuer des recherches dans des domaines tels que les aurores boréales, la physique ionosphérique, la météorologie, l’océanographie, les fusées, la sismologie et les activités solaires. Également, un comité est mis en place pour étudier et monter un plan de lancement d’un satellite artificiel en orbite de la Terre7. C’est le programme Vanguard8 qui sera sélectionné pour la conception et le développement du satellite et pour être le représentant américain dans les activités de l’AGI. L’année suivante, en 1954, du côté des Soviétiques, le responsable du programme des missiles Sergei Korolev9 soumet une proposition d’étude sur le lancement d’un satellite

soviétique. Le 4 octobre de la même année, l’organisme responsable de l’AGI lance un appel officiel aux nations participantes pour inciter à la préparation de satellites scientifiques au cours de l’année 1957-195810.

Une partie importante du financement accordé à la recherche pour l’AGI est approuvé par le Congrès. Ce dernier autorise notamment le budget des 13 millions de dollars demandés pour la participation américaine à l’AGI en cette année fiscale 1955, ainsi qu’un 2 millions à la National Science Foundation (NSF) pour leurs préparatifs de cet événement11. Au total,

entre 1955 et 1959, un budget de 43,5 millions sera accordé à la NSF par le Congrès américain, strictement dans le but de financer la participation américaine à l’AGI. C’est un montant d’autant plus considérable si on observe que seulement onze millions avaient été demandés officiellement par la NSF en 1956, alors que plus de 37 millions lui ont été

7 National Academy of Sciences, loc. cit.

8 Alors que 20 millions de dollars étaient originalement prévus pour le développement du programme Vanguard,

c’est plus de 110 millions qui seront nécessaires au projet. Son directeur technique, Milton Rosen, contribue aux efforts de conception du propulseur basé sur les fusées de la Naval Research Laboratory, les Vikings. Dès le mois de décembre 1957, onze tentatives de lancement de satellites et véhicules de test ont lieu. Même si seulement trois lancements réussissent, ils apportent d’importantes connaissances scientifiques aux Américains. Matt Bille, « Vanguard », Stephen B. Johnson, éd., Space Exploration and Humanity: A Historical

Encyclopedia, Santa Barbara, Calif, ABC-CLIO, 2010, p. 1171‑1172.

9 Pionnier dans le développement des propulseurs de jet dans les années 1930, Korolev est d’abord enfermé par

le leader soviétique Joseph Staline lors de la Grande Terreur. Libéré de prison après la Seconde Guerre mondiale, qui juge que son savoir scientifique pourrait être utile aux recherches pour développer des fusées, il devient l’une des figures principales du programme spatial soviétique en 1953. Trevor Brown, « The American and Soviet Cold War Space Programs », Comparative Strategy, 30, 2 (2011), p. 183.

10 David S. F. Portree, op. cit.

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accordés cette même année12. S’ajoutant à la contribution du Congrès, d’autres agences

gouvernementales impliquées dans le projet fournissent des montants considérables pour soutenir les recherches américaines, comme le Département de la Défense, le Weather Bureau, le Bureau of Standards et le Coast and Geodetic Survey13.

Le 29 juillet 1955, la communauté scientifique réussit à convaincre le président Eisenhower d’approuver un plan de mise en orbite d’un satellite pour la participation américaine à l’AGI et la Maison-Blanche en fait officiellement l’annonce au public. Pour la première fois dans l’histoire, les scientifiques pourront réaliser des observations au-delà de l’atmosphère terrestre :

the President has approved plans by this country for going ahead with the launching of small, unmanned earth-circling satellites as part of the United States participation in the International Geophysical Year… This program will, for the first time in history, enable scientists throughout the world to make sustained observations in the regions beyond the earth’s atmosphere14.

Le programme Vanguard de la Naval Research Laboratory est lancé le 9 septembre suivant. Il réussit à se distinguer parmi d’autres projets de lancement, parce qu’il ne vient pas interférer avec les autres programmes de développement de missiles balistiques. Il utilise en effet le modèle de fusée de lancement de type non balistique, le Viking15, contrairement au Redstone16 de l’armée17. Le plan est alors de construire six véhicules spatiaux, dont un qui

devrait être en mesure d’atteindre l’orbite de la Terre. À l’origine, le budget accordé est de 20 millions de dollars pour une durée de 18 mois. Le Object‑D program débute

12 National Science Foundation, The Sixth Annual Report of the National Science Foundation, Virginie, NSB

Library, 1956, p. 186.

13 Eiline Galloway, loc. cit., p. 313. 14 Ibid.

15 Les fusées-sondes Viking ont été développés par la U.S. Naval Research Laboratory (NRL) en 1946. Entre

1949 et 1954, un total de douze fusées ont été lancées, atteignant une altitude record de 158 milles pour ce type de propulsion. La NRL fut la première organisation de recherche à prendre des mesures de température, de pression et de vent dans la partie supérieure de l'atmosphère, à mesurer la densité d’électrons dans l’ionosphère, à enregistrer le spectre ultraviolet du Soleil et à prendre les premières photos en haute altitude de la Terre. U.S. Navy Research Laboratory, « Viking Program », U.S. Navy Research Laboratory, https://www.nrl.navy.mil/accomplishments/rockets/viking-program/, consulté le 23 janvier 2018.

16 Le Redstone est un modèle de fusée basé sur les V-2 allemands, utilisés lors de la Seconde Guerre mondiale.

Il est développé par l’équipe du Dr Wernher von Braun, un ingénieur allemand, et l’Army Missile Ballistic

Missile Agency à Huntsville en Alabama. La production de ces missiles débute en 1953 et ils deviennent le

principal propulseur pour les armes nucléaires au début 1958. Robert Divine, op. cit., p. 9.

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officiellement le 25 février 1956, avec un début d’assemblage du satellite prévu pour le 5 mars et son lancement au printemps suivant18.

Trois jours après l’annonce de l’engagement américain dans la préparation d’un satellite par la Maison-Blanche, le 2 août 1955, un membre de l’Académie des Sciences de l’URSS, Leonid Ivanovitch Sedov, annonce l’information suivante durant une conférence de presse à Copenhague lors de l’annuel Congrès international sur l’astronautique de la fédération du même nom : l’Union soviétique prévoit également le lancement d’un satellite en orbite de la Terre. La nouvelle est confirmée par le Soviet National Committee pour l’AGI, qui explique par le fait même la mission scientifique du projet. Cette dernière vise notamment l'étude et la mesure de la pression atmosphérique, de sa température, des rayons cosmiques, des micrométéorites, du champ géomagnétique et des radiations solaires19.

Bien qu’autant les Américains que les Soviétiques prennent du retard au calendrier de construction de satellites dès le début du projet, le lancement d’un satellite soviétique dans le cadre de l'AGI est prévu et attendu par tous. Ce n’est cependant qu’au cours de l’année 1957 que les projets se concrétisent et que la rumeur d’un lancement imminent se propage. Au cours des audiences de l’Inquiry Into Satellite and Missiles Programs, le sénateur démocrate du Tennessee Estes Kefauver s’informe auprès du docteur John Hagen, directeur du projet Vanguard de la marine, sur le fait qu’une mise en orbite d’un satellite américain était prévue depuis le mois de juin pour octobre de la même année : « Wasn’t it your Captain Metager who said in June that you expected to launch it in October?20». Sans faire référence

à une date en particulier, le Dr Hagen laisse le sénateur démocrate savoir qu’à ce moment, il était envisageable qu’un satellite américain soit lancé dans les prochains mois, peut-être même avant octobre, et que le tout n’était qu’une question de priorités. Le sénateur démocrate poursuit en demandant si, au même moment, le directeur du projet Vanguard était au courant du lancement imminent d’un satellite soviétique, ce à quoi ce dernier répond que non; il ignorait alors les plans du côté des communistes. La façon dont les développements en matière d’astronautique pour l’Union soviétique demeurent sous le radar des Américains contribue ainsi à créer une certaine surprise pour plusieurs. Au cours des mois suivant le

18 David S. F. Portree, op. cit. 19 Eiline Galloway, loc. cit., p. 314.

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lancement du Spoutnik, les parlementaires discutent, lors de périodes de questions, débats, et enquêtes sur le sujet, de plusieurs thématiques qui ressortent tout au long de l’année 1958. Un des sujets prédominants dans les verbatims du Congressional Record est sans aucun doute le manque d’informations entourant le lancement du satellite. Les parlementaires, cherchant à comprendre pourquoi les Américains se sont fait surpasser dans ce domaine, interrogent diverses personnes impliquées dans les préparatifs de l’AGI pour en apprendre plus sur les circonstances de mise en orbite du Spoutnik. La lecture de sources d’époque permet de constater que de nombreux signes, tout au long des mois précédant le 4 octobre 1957, laissaient croire que la venue de l’engin soviétique était attendue.

1.1.2. Des plans clairs : les Soviétiques devaient lancer un satellite

Trois jours après le lancement du Spoutnik, les anthropologues Margaret Mead et Rhoda Metraux commencent à interroger la population américaine à propos de leur réaction au lancement du satellite. Elles lui demandent notamment ce qu’elle pensent du satellite, pourquoi l’URSS a réussi à être la première nation à atteindre l’espace extra-atmosphérique et de quelle façon les Américains peuvent se rattraper21. Elles amassent ainsi, jusqu’au 18

octobre 1957, 2991 réponses de répondants d’âges divers, ne laissant transparaître ni choc ni admiration pour l’accomplissement des Soviétiques. La réponse d’un homme de 40 ans de Louisville au Kentucky témoigne de l’absence de surprise d’une partie de la population : « It’s been a scientific possibility for some time… Russia had said she would launch it, so it did not come as a surprise22 ». L’entreprise américaine de sondages Gallup illustre

l’ambivalence des réponses. Une enquête réalisée quelques jours après le lancement du Spoutnik montre que la moitié des personnes interrogées n’a pas été surprise par la mise en orbite d’un satellite, et ce, malgré le fait qu’une grande partie des répondants n’était pas au courant des développements des Soviétiques dans ce domaine23. Pour l’autre moitié de la

population, la surprise est plutôt considérée comme un réveil en ce qui a trait aux capacités

21 « What do you think about the satellite? ; How do you explain Russia’s getting their satellite up firsts? ; What

do you think we can do to make up for it? » Roger D. Launius, loc. cit., 2010, p. 258.

22 Ibid.p. 258.

23 International Affairs Seminars of Washington, « American Reactions to Crisis: Examples of Pre-Sputnik and

Post-Sputnik Attitudes and of the Reaction to other Events Perceived as Threats », 15-16 octobre 1958, Archives du U.S. President’s Committee on Information Activities Abroad (Sprague Committee), 1959-1961, Abilene, Dwight Eisenhower Library, boîte 5, A83-10, consulté en ligne via https://history.nasa.gov/sputnik/oct58.html.

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soviétiques. Tout au long des débats et discussions consultables via le Congressional Record, les parlementaires de la Chambre des représentants et du Sénat font référence à ce réveil. En ce sens, la surprise est généralisée au Congrès. Le représentant démocrate du Kentucky William Natcher choisit de parler de cette surprise en abordant la réaction populaire. Il explique, tout en faisant savoir qu’il considère le Spoutnik comme une menace à la sécurité nationale, que les Américains ont fait preuve d’un étonnement total ou d’une consternation24.

Des documents de la Central Intelligence Agency (C.I.A.) rendus publics à l’automne 2017, dans le cadre du 60e anniversaire de la mise en orbite du Spoutnik, démontrent que

bien que cette dernière est habituellement associée à une surprise ayant provoqué une onde de choc, l’agence américaine de renseignements avait amassé assez d’informations dès 1956 pour s’attendre au lancement du satellite. Dans un rapport du 8 février 195625, l’agence de

renseignements américaine mentionne notamment que ses experts estiment que les Soviétiques auront un véhicule assez équipé et praticable d’ici 1958, pour l’AGI. Les plans sont donc réalistes. Autant les Soviétiques que les Américains avaient déjà annoncé leur objectif de placer un satellite en orbite d’ici la fin 1958. Le 24 janvier 1957, une communication du Conseil de sécurité nationale des États-Unis réitère le fait que le lancement d’un satellite par les Soviétiques est imminent et pourrait avoir lieu aussi tôt qu’au début de la même année26. Le 5 juillet 1957, la C.I.A. rapporte au secrétaire adjoint de la

Défense, Donald Quarles, qu’il est possible que le lancement d’un satellite soviétique survienne plus tôt qu’envisagé, voire même le 17 septembre à l’anniversaire de Konstantin Tsiolkovskii, un pionnier soviétique dans le domaine des fusées. À la fin du mois de juillet, on apprend que déjà trois tentatives de lancer des fusées ont été effectuées, sans succès. Finalement, le 21 août, l’Union soviétique réussit officiellement le lancement d’un premier ICBM. L’accomplissement est annoncé au reste du monde le 27 août, mais bon nombre d’Américains demeurent sceptiques à propos du fait que les Soviétiques aient réussi le premier test de lancement d’un missile balistique intercontinental. Le 7 septembre suivant, les Soviétiques reproduisent le lancement d’un missile à longue portée, sans rendre l’affaire

24 Congressional Record, op. cit., vol. 104 (8), 2 juin 1958, p. 9926.

25 Central Intelligence Agency, US Estimate of Soviet Guided Missile Capabilities, Central Intelligence Agency,

1956, p. 3.

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