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Rencontres de classes dans le quartier Sainte-Marthe, sociabilités et modes d'habiter dans un quartier parisien socialement mélangé‎ : rapport IRISES pour le Ministère de la culture et de la communication, Mission ethnologie

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R

ENCONTRES DE CLASSES DANS LE QUARTIER

S

AINTE

-M

ARTHE

,

SOCIABILITES ET MODES D’HABITER

DANS UN QUARTIER PARISIEN SOCIALEMENT MELANGE

Catherine BIDOU-ZACHARIASEN Jean-François POLTORAK

Novembre 2006

Rapport IRISES

Pour le Ministère de la Culture et de la Communication,

Mission Ethnologie

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SOMMAIRE

-INTRODUCTION GENERALE 3 (AVEC CARTE DE TYPOLOGIE SOCIO-PROFESSIONNELLE)

-CHAPITRE UN : 14

LES VARIATIONS SAISONNIERES DE LA VIE DE COUR -Reconversion d’usages et prise de possession des cours -Les revers de la vie de cour

-CHAPITRE DEUX: 36

UNE LUTTE DE TERRITOIRE, LES « LASCARS », LES NOUVEAUX RESIDENTS ET LES AUTRES

-Les femmes confrontées aux lascars (nouvelles résidentes) -Les hommes face aux lascars (nouveaux résidents)

-Les autres résidents face à cette présence

-CHAPITRE TROIS : 57

MODES D’HABITER ET SOCIABILITES AU SEIN DES ESPACES PRIVATIFS -Le modèle « artiste »

-Le modèle « cocon »

-CHAPITRE QUATRE : 78

L’ESPACE DE LA GESTION DES COPROPRIETES -Copropriétés et reconversion des compétences -La dimension sociale de l’implication

CHAPITRE CINQ 91

DE LA VIE D’IMMEUBLES A LA VIE DE QUARTIER

-Un milieu d’interconnaissance avec contrôle écologique -L’anonymat revendiqué

-La fusion souhaitée

EN GUISE DE CONCLUSION, LES PARTICULARITES DU QUARTIER SAINTE-MARTHE 141 -Le quartier comme espace de transition, et comme espace social

-Les ambiguïtés du quartier-village : de l’enfermement au « district industrieux » ANNEXES :

BIBLIOGRAPHIE 147 CAHIER DE PHOTOS 149 (L’introduction, les chapitres un, deux, trois, quatre, et la conclusion ont été rédigés par C. Bidou-Zachariasen. Le chapitre cinq a été rédigé par J. F. Poltorak)

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INTRODUCTION

La raison première de l’intérêt que nous avons porté à ce quartier Sainte-Marthe dans le 10ème

arrondissement parisien, c’est que nous avons cru y déceler le même processus que celui étudié il y a vingt-cinq ans dans le quartier entre le marché d’Aligre et le faubourg Saint-Antoine, dans le 12ème arrondissement, à savoir l’envahissement d’un quartier populaire par des nouvelles couches moyennes y trouvant des conditions de logement accessibles à leurs moyens financiers limités1.

Comme d’Aligre, Sainte-Marthe correspond à un ancien quartier populaire et artisanal et les « nouveaux » résidents y créent des associations, ouvrent des nouveaux commerces, etc… et semblent prendre possession d’un espace où ils étaient jusqu’alors peu représentés. Ici comme à d’Aligre, les notions d’ « habitant pionnier » et de « nouvelle frontière » sont présentes dans beaucoup de discours.

Les ateliers d’artisanat du meuble ont aujourd’hui disparu du Faubourg Saint-Antoine et le quartier s’est « gentrifié », bien qu’une certaine mixité sociale y demeure. Même si on avait affaire à des populations aux intérêts contradictoires, ce processus de basculement sociologique s’est mis en place durant des années dans une cohabitation relativement paisible. A Sainte-Marthe en revanche, nous avons cru déceler d’emblée des rapports sociaux beaucoup plus conflictuels.

C’est donc les modalités de ces « rencontres de classes », entre nouvelle et ancienne population que nous nous proposons d’analyser dans cette recherche, la façon dont les différents types d’espaces privés, privatifs, collectifs, publics, seront appréhendés par les différents types de populations qui s’y côtoient. Comme le quartier d’Aligre constituait une entité spatiale et mentale, pour des raisons historiques, le quartier Sainte-Marthe, qui forme une sorte de quadrilatère dont le

1 Cf. C. Bidou, Les aventuriers du quotidien, essai sur les nouvelles classes moyennes, Paris, PUF, 1984. Pour un essai de définition des « nouvelles classes moyennes », voir aussi Louis Chauvel, Les classes moyennes à la dérive, Paris, Le Seuil, 2006.

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centre serait la petite place éponyme, semblait aussi représenter une sorte d’isolat physique et mental, au sein même de la ville.

Cette notion d’isolat relève des représentations de la plupart des résidents qui le vivent comme tel, mais correspond aussi à une base matérielle. Les bâtiments qui le constituent furent érigés dans les années 1860 pour héberger les ouvriers et artisans mobilisés par les grands travaux d’urbanisme du baron Haussmann. La physionomie actuelle est celle de petits immeubles de médiocre qualité, de deux ou trois étages comportant parfois boutiques ou ateliers sur rue et cour. Ils s’alignent le long des rues débouchant sur la Place Sainte-Marthe. Une des spécificités spatiales du quartier consiste en des cours communes à plusieurs bâtiments. Parfois quatre ou cinq immeubles, ou mêmes plus, partagent ces cours où des ateliers peuvent être encore en activité. Ces cours constituent parfois la scène d’une importante sociabilité.

Tout au long du XX ème siècle, le quartier est demeuré très populaire, avec une forte composante de ménages immigrés dans les dernières décennies, où des vagues successives de Maghrébins, de Chinois, de Polonais, de Serbes, ou autres, se sont installées. Depuis une quinzaine d’années, une nouvelle population est apparue. Au départ plutôt constituée essentiellement d’artistes, intermittents du spectacle, etc., cette population s’est ensuite diversifiée. Mais il s’agissait encore de nouvelles couches moyennes avec souvent des revenus faibles ou très faibles et un statut précaire mais dotées cependant d’un bon capital culturel. Beaucoup se sont ainsi aménagé des ateliers dans les cours, dans lesquels ils résident la plupart du temps.

Plus récemment une population de « nouvelles classes moyennes »exerçant des professions de type intellectuelles ou artistiques, mais à la précarité moins accentuée que les précédents, achètent des appartements dans ce quartier qui avait déjà commencé à changer avec l’arrivée des précédents (les artistes des cours) et l’ouverture de cafés et restaurants nouveaux. Les prix de l’immobilier à Sainte-Marthe étaient encore il y a peu de temps, inférieurs ou très inférieurs à la moyenne du dixième arrondissement de Paris. Ils ont tendance à les rattraper aujourd’hui. Il y a eu, comme on le verra une relative fusion entre ces divers groupes de nouveaux habitants, ou du moins de l’interconnaissance.

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Au Sud-Est de cette cité, érigée au XIX ème siècle avec son bâti spécifique, le quartier Saint-Louis a été rénové il y a une dizaine d’années à la faveur d’une première opération OPAH (opération publique d’amélioration de l’habitat). Les anciens bâtiments ont été presque tous détruits et remplacé par des résidences HLM et ILN de qualité, en petites unités alignées sur les rues. Une association de quartier s’était constituée à l’époque pour s’opposer à cette formule de rénovation. Elle n’a cessé depuis de réclamer, pour la seconde tranche prévue pour la partie ouest du quartier, une réhabilitation plus douce qui permette la conservation de l’ancien bâti. Des études préalables ont été menées par la municipalité qui avaient conclu à « un quartier présentant tous les stigmates de la pauvreté : insalubrité généralisée des immeubles, exiguïté et inconfort des logements, présence de trafic de drogue et de prostitution, activités souterraines (ateliers de confection), précarité des emplois et des statuts d’occupation des logements » (Etude préparatoire à la mise en place d’une OPAH, 2000). Une nouvelle O.P.A.H. a été entamée en janvier 2004, basée cette fois sur la réhabilitation de l’ancien bâti – à travers entre autres des aides publiques destinées aux propriétaires- et non plus sur sa destruction totale. Outre la rénovation des bâtiments en état de dégradation avancée, la mixité sociale était inscrite dans les principaux attendus du dispositif. Ajoutons enfin que le quartier est classé en ZEP du point de vue de la carte scolaire.

Parallèlement à son évolution sociologique, le quartier Sainte-Marthe a fait depuis un certain temps déjà l’objet de petites rubriques dans divers media, papier ou électronique : « La rue Sainte-Marthe est devenue une des petites rues très courues (…) un petit coin perché (…) qui fleure bon le Paris d’antan. Les enfants dévalent les rues, les voisins papotent sur des chaises en bas de chez eux, les artistes passent d’une maison à l’autre (…) épatant pour grignoter au soleil et dîner d’une assiette de tapas ou d’un plat bistrot » (Elle).

« Si loin, si proche, le quartier Sainte Marthe est situé entre Belleville, Goncourt et l’hôpital Saint-Louis. Un petit écrin à ne pas manquer pour son ambiance bordélique, cosmopolite, multiculturelle et pluriethnique. La rue Sainte Marthe a des allures de ruelle napolitaine. Les îlots d’immeubles abritent des cours intérieures propices aux apéro-barbecues entre voisins. La place Sainte Marthe a un charme fou. Ce bouillonnement semble motiver les initiatives originales comme la Rôtisserie ou Dune. Et c’est tant mieux ! » (guide de Paris sur le Net Parissi.com).

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Ce type de communication est peu apprécié des « autochtones », même si certains, les propriétaires ou les gérants de petits commerces, ou d’autres activités, reconnaissent qu’elle peut modifier à leur profit, l’image du quartier. Les quelques cafés-restaurants de la place Sainte-Marthe ont aujourd’hui une clientèle diversifiée de touristes et jeunes cadres. Le trafic de drogue, aux mains de petits « dealers » locaux, trouve là un débouché à leur portée directe. Des petits restaurants moins « touristisques », mais aussi souvent moins pérennes, ouvrent régulièrement dans les rues adjacentes. Les cafés traditionnels du quartier, tentent de se moderniser pour bénéficier eux aussi d’un certain « effet de mode ». Ils demeurent néanmoins des « cafés de proximité » dont la fréquentation distingue symboliquement des clients de passage sur la Place, désignés comme « bobos ». Les rues de Sainte-Marthe font aussi partie de circuits de randonnées à pieds organisées, ce qui peut donner lieu à quelques scènes cocasses.

Méthodologie et conditions d’enquête

Trente-deux personnes ou couples, ont été interrogées de façon formelle. Les entretiens ont souvent été très longs, parfois enregistrés en deux séances, de plusieurs heures chacune. Le plus court doit faire une heure et quart, le plus long plus de quatre heures. Ils ont été entièrement retranscrits. Certains étaient très difficilement compréhensibles en raison de difficultés d’expression en Français de nos interlocuteurs.

L’échantillon des enquêtés n’est pas parfaitement représentatif, car les « nouveaux » y sont sur-représentés par rapport à leur poids numérique (même si statistiquement il est difficile de connaître leur proportion numérique). Ils représentent les deux tiers des enquêtés, alors que dans la réalité il représentent selon toute vraisemblance une petite majorité. Ils sont aussi plus « visibles » dans tous les niveaux d’espaces, dans les espaces publics, dans les espaces collectifs d’immeubles, les cours et les assemblées de copropriétés. Ils occupent des logements plus grands, plus ouverts vers l’extérieur que les autres, car il s’agit souvent d’ateliers, ou d’anciens ateliers, situés dans les cours. Mais s’il fut aisé de rencontrer et de prendre rendez-vous avec ce type d’habitants, c’est aussi parce qu’ils sont des acteurs sociaux en position de domination sociale, symbolique et pratique, comme nous allons le

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voir. Ils étaient d’ailleurs particulièrement disposés à s’exprimer et notre étude semblaient les intéresser.

Des dizaines d’autres discussions, moins formelles, plus ou moins poussées, ont été menées, au gré des rencontres et des occasions. Certaines catégories de résidents nous ont échappé, comme les squatters ou les clandestins, d'autres sont sous-représentées dans nos entretiens. Ainsi il ne fut pas possible d'interroger les migrants chinois dont certains travaillent dans des ateliers « très discrets » du quartier et que nous avons plusieurs fois rencontrés dans de petits appartements-dortoirs occupés à plusieurs. Nous avons vu des lits superposés dans des petits appartements appartenant souvent à d'anciens résidents serbes et loués très cher par la gardienne serbe d'un bloc d'immeubles.

Quelques familles chinoises semblent toutefois mieux loties et pouvaient être disposées à nous recevoir mais la barrière de la langue fut infranchissable. De même, de longs passages d'entretiens réalisés avec des migrants Turcs ou Serbes ont été peu utilisables car incompréhensibles. Mais on avait pu cependant saisir lors des rencontres, beaucoup d’éléments de leurs conditions de vie et de leurs pratiques. Les personnes âgées, présentes dans leurs logements depuis plusieurs décennies, ont accepté les discussions informelles, parfois longues, mais se sont montrées réticentes pour des enregistrements.

D'autres résidents nous ont échappé. Ainsi, des habitants, y compris des jeunes gens probablement encore étudiants, sont mal connus de leurs voisins avec lesquels ils n'entretiennent pas de relations personnelles. Ils ne fréquentent apparemment pas les cafés habituels des résidents du quartier. Nous n'avons eu que quelques discussions informelles, souvent écourtées : parler de leurs expériences d'habiter dans le quartier ne les intéresse manifestement pas. Il semble que leur installation dans le quartier constitue une parenthèse dans leur sentier de vie et leur trajectoire résidentielle, une étape sans doute peu investie. Ces différentes catégories sont difficiles à rencontrer et donc à interroger au contraire des artistes, des animateurs de la vie socioculturelle, des habitués des manifestations ou des lieux de sociabilité du quartier.

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C’est volontairement enfin que nous n’avons pas sollicité d’entretiens auprès de ceux que la majorité des nouveaux résidents appellent familièrement les « lascars », ou d’autres, les « jeunes » avec un air sous-entendu, pour parler des petits « dealers », qui exercent une pression certaine sur ce quartier. Les faibles interactions que nous avons eues avec eux dans les différents espaces du quartier, rues, cours, cafés… étaient toujours à la limite d’un déclanchement d’agressivité. Un chapitre leur est cependant réservé, du point de vue des résidents qui subissent leur présence et leurs activités.

Outre les entretiens proprement dit, l’observation participante a constitué la deuxième méthode d’approche.

Jean-François Poltorak a participé six mois durant à la cellule d’information de l’OPAH qui tenait une permanence hebdomadaire dans un local associatif du quartier, et où les habitants passaient demander tout type de renseignement au sujet de la rénovation du quartier. De ce fait il a pu avoir une position d’observation privilégiée et son « carnet de terrain » a pu être richement alimenté.

Les entretiens semi-directifs ont porté pour une première partie essentiellement sur les thèmes suivants : l’arrivée dans le quartier, les conditions de logement, les sociabilités d’immeubles, les pratiques quotidiennes dans l’espace du quartier (et hors quartier), le réseau social et familial dans le quartier (et hors quartier). Une deuxième partie d’entretien portait sur les trajectoires sociales, familiales, résidentielles. Les noms et prénoms des enquêtés ont été changés. Les noms de rues, qui sont en faible nombre, sont remplacés par rue A, B, C, D, E, dans le même souci d’anonymat.

« Espèces d’espaces »

« Ici, quand je rentre ici, je suis vraiment dans le quartier, je ne suis pas juste dans mon appartement… » (une « nouvelle » résidente).

Pour la majorité des habitants en effet, on habite un quartier, pas un appartement, d’où une certaine difficulté à sérier les spécificités des différents types d’espace, de l’espace privé à l’espace public, en passant par les espaces collectifs de statut privé comme les parties communes d’immeubles, car ces catégories en fait se chevauchent ou pour le moins s’emboîtent les unes dans les autres. C’est ce que nous allons

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développer au cours des différents chapitres, sélectionnant des éléments caractéristiques qui peuvent parfois relever de plusieurs niveaux d’espaces ; le discours des habitants traduisant lui-même cette porosité.

En effet, les catégories de sens commun d’espace privé ou privatif, d’espace public et éventuellement d’espace collectif, que représentent les halls et parties communes d’immeubles, ne s’inscrivent pas ici des mêmes catégories d’appréhension. Outre qu’ils ont entre eux des frontières poreuses, ces types d’espaces fonctionnent et sont vécus de façon fort différente selon les différentes catégories d’habitants.

Une jeune habitante exprime en quelques phrases cette notion d’emboîtement des espaces, privés, collectifs, publics, mais aussi de perméabilité entre ces différents niveaux autorisant un sentiment d’ancrage fort, mais aussi le sentiment d’être dans un isolat, dans un monde à part, avec ses codes et ses langages, « ses propres lois » dit-elle.

« J’ai commencé la peinture dans mon appartement, puis j’ai continué un peu…. dans le couloir…. dans l’escalier, tout le monde a apprécié... j’aurais pu descendre en bas, dans la cour, j’aurais pu continuer dans la rue, j’aurais pu continuer à faire de la peinture justement jusqu’au seuil du quartier. C’est un lieu qui a ses propres lois…ses propres façons de marcher, presqu’un lieu autarcique où il y a une économie propre…peut-être qu’un jour, on aura une monnaie indépendante à Sainte-Marthe (énorme rire) c’est vraiment le lieu anti-mondialisation (rire), le lieu anti-euro, anti-tout !! » .

L’angle d’approche que nous avons retenu, celui des pratiques et des interactions entre acteurs dans les différents niveaux d’espaces, nous a permis de saisir aussi comment les rapports sociaux globaux se construisaient, pour une part, à partir de l’espace résidentiel, qui ici dans certains cas, peut aussi être l’espace de travail. Nous verrons comment les rapports de solidarité, comme les rapports de conflit, d’évitement, de côtoiement, de dénégation….etc, à base territoriale, engagent l’ensemble de la construction du monde social.

Nous entamerons cette plongée dans le quartier Sainte-Marthe par un type d’espace particulier, celui des cours. Espace très socialisé, et très spécifique du quartier, il en est un des meilleurs analyseurs sociaux.

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Nous poursuivrons par l’analyse des rapports sociaux et spatiaux, médiatisés par un groupe d’acteurs spécifiques, les bandes, ou plutôt la bande, de jeunes qui font ouvertement commerce de stupéfiants et/ou d’objets dérobés et dont le poids de la présence est constant.

Puis nous nous intéresserons aux modes d’habiter dans les espaces privatifs. Nous avons utilisé cette expression car la notion d’espace privé peut-être floue et sa limite allégrement franchie dans certains cas d’appropriation spontanées.

Le quatrième chapitre portera sur les copropriétés et leur gestion. La prise en mains, des conseil syndicaux des copropriétés par les nouveaux résidents, est un phénomène général auquel il convient donc de saisir les enjeux.

Enfin le cinquième chapitre envisage quelques « vies d’immeubles », sous forme presque monographique et leur passage à la vie de quartier et cette façon très particulière qu’ont les habitants à déborder, à chaque niveau, de chez eux à l’immeuble, de l’immeuble à la rue et au reste du quartier.

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PHOTO AERIENNE DE SAINTE-MARTHE (Google earth 2006)

Au centre : rues et bâtiments de Sainte-Marthe, en cours de réhabilitation, avec maintien au bâti (sauf 4 immeubles « mis en péril », qui vont être détruits),

Au sud-est : Saint-Louis, rénové après destruction : logements OPAC En haut à droite : le boulevard de la Villette

Sur la gauche : l’Hôpital Saint-Louis et ses pavillons.

Cette photo aérienne permet de visualiser la particularité des cours et des bâtiments artisanaux. On voit également le remplacement de ce bâti, par les résidences OPAC, dont la trame est très différente.

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LE QUARTIER SAINTE-MARTHE DANS LA TYPOLOGIE SOCIOPROFESSIONNELLE DES IRIS – ILE-DE-FRANCE 1999

Typologie et carte E. Préteceille – Fond © INSEE-IGN

Le périmètre du quartier étudié recouvre les trois IRIS (4005, 4002, 4001) qu’Edmond Preteceille a bien voulu visualiser pour nous, dans sa typologie socio-professionnelle de l’espace de Paris et de l’Ile de France.

Comme on le voit le quartier de Sainte-Marthe relève d’un seul type désigné « MAC » (couleur mauve), où l’on trouve beaucoup de catégories moyennes, une surreprésentation de métiers artisanaux et artistiques, ainsi que de chômeurs.

Si l’on se réfère à l’explicitation de cette typologie socio-professionnelle, ce type d’espace se caractérise par une mixité sociale, mais où les catégories populaires représentent à peu près la moitié de la population active ou un peu plus, les catégories intermédiaires, un tiers, les cadres et professions intellectuelles

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supérieures, également un tiers ou un peu moins. (La division sociale de l’espace francilien, E. Preteceille, 2003, rapport OSC, p 18).

A un niveau plus fin de définition, ce sous-groupe, ou type, correspond à l’espace des professions artistiques, des ouvriers non qualifiés, des précaires et des chômeurs.

« Ce type a un profil particulier, puisqu’il compte à la fois une nette surreprésentation des ouvriers non qualifiés de type artisanal, des chômeurs ouvriers, des CDD ouvriers, des personnels de service, des chômeurs employés (…) mais aussi une forte surreprésentation des professions de l’information, des arts et du spectacle, une surreprésentation des professions intermédiaires indépendantes, et enfin une surreprésentation de toutes les catégories de précaires (sauf les apprentis) et de toutes les catégories de chômeurs. » (Preteceille, op.cit. p36)

L’approche empirique du quartier de Sainte-Marthe confirme tout à fait ce descriptif, bien que depuis le dernier recensement complet de l’INSEE (1999) utilisé par E. Preteceille, le quartier ait perdu beaucoup de ses couches populaires et gagné de nombreux membres des « professions artistiques et de l’information ». La proportion de travailleurs précaires, de toutes catégories, est certainement elle aussi plus importante qu’il y a quelques années.

Nous avons joint également la carte de la distribution de l’ensemble des types socio-professionnels des ilôts INSEE (IRIS) sur le périmètre de Paris et des départements limitrophes.

On voit sur cette carte comment le type MAC (caractérisant cette pointe ouest du 10 ème arrondissement) est un type désormais rare dans Paris, et encore présent par taches dans la banlieue nord, est et sud.

La pointe nord-ouest du 12 ème arrondissement (le quartier d’Aligre-Faubourg Saint-Antoine, est désormais à dominante « catégories supérieures » (types bleu de la carte d’E. Préteceille).

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LES VARIATIONS SAISONNIERES DE LA VIE DE COURS

Nous allons entamer cet examen des sociabilités et interactions dans les différents types d’espaces du quartier, par un type d’espace qui lui est très spécifique : les cours. Nous verrons que Sainte-Marthe se caractérise par la forte prégnance des cours dans les vies quotidiennes d’un certain nombre de résidents. En raison de ce qu’elles peuvent représenter comme ressources particulières pour les uns et les autres, elles constituent des enjeux importants et peuvent à la fois cristalliser les conflits, autoriser les rencontres, favoriser du lien social comme de l’exclusion également.

Si l’on considère les particularités spatiales du bâti (voir photo aérienne « Google Earth » et autres photos, en fin du chapitre d’introduction) on peut voir que les immeubles ouvrent presque tous sur des cours intérieures, parallèles aux rues, qui sont communes à plusieurs immeubles. La spécificité de vastes cours qui peuvent faire communiquer une dizaine de bâtiments entre eux, entre plusieurs rues, est appréciée tant elle apparaît inhabituelle voire insolite. Elle n’est pas sans créer des conflits d’usages, entre ceux qui y exercent encore certaines activités économiques, essentiellement clandestines, et ceux qui veulent les réserver à un seul usage résidentiel.

Selon les immeubles et leur composition sociale, c'est-à-dire le poids relatif des différentes catégories de population, les « ambiances » pourront être assez différentes mais n’offriront jamais la banalité de l'anonymat urbain ordinaire. Ces immeubles représentent tous des "mondes en soi". Dans certains, on trouvera une quasi-communauté de vie dont les cours peuvent ainsi devenir une des scènes, en particulier à la belle saison.

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« Avant j’habitais Belleville, un immeuble, une toute petite cour, pas de communication avec les autres immeubles. (…) c'est pas la même chose qu'ici où il y a un pâté de maisons et une cour centrale… ce qui était pas le cas là-bas… c’est peut-être pour ça que je parle d'ergonomie, parce que c'est à la fois ouvert grâce à cette cour (…) la cour-là de l'immeuble, ça me rappelle la cour de la maison dans laquelle je vivais petite. C'était une grande maison, à la campagne dans le Nord, avec une cour.. » (Jamila, 38 ans, documentariste en cinéma, propriétaire, d’origine algérienne)

Désormais de nombreuses entrées disposent de digicodes. Mais un enquêté racontait qu’il lui arrivait, lorsqu’il y a peu de temps encore il résidait au 3ème

étage, d’entrer par la porte d’une adresse qui n’était pas la sienne, parcourait cette rue intérieure que constituait la cour pour arriver à son escalier, correspondant à son adresse.

« Je rentrais par deux endroits, hein, la porte du 4 et par ici, donc justement j'entretenais beaucoup l'idée que j'étais là en permanence en entrant par la rue et en sortant par la cour, tu vois, pareil, inversement le matin, je rentrais par la cour et je sortais par la rue, tu vois, où j'entretenais une espèce comme ça… .d'illusion… que je trouvais très amusante d'ailleurs. Voilà. D'ailleurs c'est comme si finalement les espaces publics étaient des couloirs personnel,s tu vois bon… employés par d'autres gens… que je voulais bien [ton amusé] tolérer sur mon territoire et tu vois, le chemin, bon, la cour tout à coup devenait, ouais, devenait autre chose ». (notons l’utilisation du terme « espace public » pour désigner les couloirs intérieurs de son immeuble, révélatrice de la constante confusion entre les catégories juridiques de l’espace résidentiel).

Reconversion d’usages et prise de possession des cours

Ces cours sont longues et étroites car elles sont occupées en partie par des locaux d’activités. Il s’agissait auparavant de locaux artisanaux ou semi-industriels (serrurerie, menuiserie, imprimeries etc... ). Il y avait encore au début de l’enquête une blanchisserie industrielle dans l’une de ces grandes cours. Puis des ateliers de confection -clandestins pour la plupart - ont remplacé les locaux laissés vacants par les départs des artisans traditionnels. Mais une autre tendance a modéré cette diffusion et cette extension de la confection dans ces ateliers de cours : leur

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récupération par des artistes. Cette reprise en main a pu correspondre à une politique délibérée de certains acteurs privilégiés du quartier.

La concierge-gestionnaire du propriétaire anciennement majoritaire, la SIN2, est un personnage étrange et très controversé. Rabia est accusée par beaucoup de régner en tyran sur tout le quartier, d’outrepasser sa fonction en réglant les attributions de logements en fonction de ses intérêts personnels. Mais malgré un caractère que tous estiment bien trempé, nombreux sont aussi ceux qui reconnaissent le rôle très positif du « personnage ». D’origine algérienne, de la région d’Oran, arrivée comme concierge dans le quartier il y a plus de vingt ans, elle n’a eu de cesse de s’attaquer aux problèmes sociaux les plus criants, à commencer par cette propension des certains jeunes d’origine de familles immigrées à entamer des carrières de « dealer ». Le fait qu’elle avait elle-même à l’époque des enfants adolescents a suscité son engagement et l’a convertie en militante de cette cause.

Depuis une quinzaine d’années déjà, de concert avec le propriétaire, elle n’a eu de cesse d’essayer d’engager un certain nombre d’actions pour contrer cette évolution. Les moyens à sa disposition étaient loin d’être négligeables, étant donné que c’est elle que le bailleur (la SIN) chargeait, et charge encore, de la gestion des ses logements, notamment la quasi-totalité des ateliers en rez-de-chaussée. Elle peut donc jouer sur le choix des locataires au moment du renouvellement des baux. Elle a pu également racheter à bon compte certains espaces, pour elle ou pour sa famille, mais également pour les mettre à la disposition d’une association locale qu’elle a créée. Dans cette association, au nom poétique qui évoque le multiculturel, et reconnue et aidée par les pouvoirs publics, elle a voulu mettre en place des actions de prévention, proposant des occupations aux enfants du quartier afin qu’ils ne s’engagent pas dans le « mauvais chemin ».

Sur son autre volet d’action, le choix des habitants, elle a joué clairement une politique d’attraction des jeunes artistes. Elle a encouragé ainsi et de façon très volontariste, une tendance qui semblait se mettre en place d’elle-même, l’arrivée d’artistes, peintres, sculpteurs, mais aussi comédiens, intermittents du spectacle,

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Société immobilière de Normandie, société privée qui a racheté à la famille bâtisseuse de la cité ouvrière d’origine.

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tous précaires et assez désargentés, mais prêts à s’accommoder avec bonheur de logements petits et souvent sans aucun confort.

Au cours des années, le propriétaire principal a progressivement revendu également une assez importante proportion de ses logements à des particuliers. Ceux-ci sont en général plutôt jeunes - les familles ne sont pas très nombreuses en raison de la faible taille moyenne des logements - de bon niveau culturel, et d’origine sociale variée.

Une femme peintre, par exemple raconte que lorsqu’elle est arrivée et a installé son premier atelier, les actuels locaux d’artistes étaient tous des ateliers de confection:

« Avec tout le bordel et le désordre qui pouvaient en découler, y compris la présence d’atelier clandestins. On ne savait jamais ce qui se passait vraiment, qui étaient les patrons, les employés, qui habitait là ou pas. Il y avait un peu de laisser-aller dans les cours et tout ça… y avait beaucoup d'ateliers de confection des choses comme ça… les cours étaient comme des arrière-cours d'ateliers quoi …et chacun s’y mettait, les gens prenaient un peu les cours pour des poubelles…les habitants comme les ateliers… »

Elle évoque l’arrivée d’une vague de Yougoslaves dans les années quatre-vint-dix, où patrons comme employés de ces ateliers, avaient fui la guerre et l’éclatement de leur pays.

« Un de ces Yougoslaves, qui logeait dans la cour, élevait des poules, il les tuait et les plumait aussi dans la cour, c’était hallucinant, ils étaient tous gentils avec moi mais c’est vrai que c’était une ambiance bizarre. Quand je suis arrivée dans mon premier atelier, je me suis dit : ‘putain, ça craint !’ … ».

Cette reconversion progressive des locaux artisanaux des cours en ateliers d’artistes, ou en studios d’habitation, s’est ainsi trouvée contrer d’autres types d’activités qui avaient commencé à occuper le terrain. Il s’agissait d’activités relevant soit du bricolage privé, ou du secteur informel, plus ou moins délictueux, comme des trafics et des reconversions d’objets dérobés, voitures, vélos etc… qui trouvaient là des coins tranquilles, à l’abri des regards, dans des espaces privés, même de statut collectif, et sans que personne jusqu’alors ne songe à leur faire de remontrance, soit parce qu’il s’agissait de personnes âgées, soit de ménages immigrés, avec des statuts

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pas toujours légaux, qui de leur côté également menaient des activités informelles, comme de la confection à domicile.

Enfin et surtout, aux yeux de la société immobilière principale comme des petits propriétaires bailleurs, un des problèmes de ces cours, et auxquels les nouveaux résidents par leurs pratiques d’appropriation apportent un début de solution, c’est qu’elles étaient devenues et sont encore souvent aujourd’hui les lieux d’exercice d’un actif commerce de drogue (shit, cocaïne surtout). La complexité spatiale des lieux, comme leur mauvais état général offrait et offre toujours de multitudes de cachettes pour entreposer la marchandise. Ce commerce est entre les mains de « jeunes » du quartier - qui parfois sont plutôt de jeunes adultes - dont les familles, le plus souvent maghrébines, sont arrivées dans les années quatre-vingt et qui tiennent en mains le quartier à un certain niveau (nous reviendrons sur ce groupe, leurs pratiques socio-spatiales et les liens qu’ils entretiennent avec les autres habitants dans un chapitre suivant).

Les nouveaux résidents, qu’ils soient artistes occupant les ateliers des cours, ou habitants récents -des appartements des étages ou des rez-de-chaussée, car ils n’y a pas que les artistes qui occupent les rez-de-chaussée- n’ont eu de cesse de prendre en main la question des cours. Les uns ont mené une vraie bataille à travers un investissement important au sein des conseils syndicaux (question sur laquelle nous reviendrons aussi dans un chapitre spécifique). C’est souvent, à la fois grâce à des luttes quotidiennes et minuscules, et parfois plus spectaculaires, que les cours ont pu être en partie débarrassées de tous leurs « encombrants ». Ce qui n’est pas encore réalisé partout. Lorsque c’était déjà le cas, les résidents des rez-de-chaussée ont plus simplement occupé les lieux, lentement et progressivement, en les aménageant, en y mettant tables, chaises et transats. Nombres de plantes vertes, arbres en pot et aménagements divers de types plates-bandes, bancs et fontaines, ont fait leur apparition transformant, du tout au tout, ces lieux. Mais certaines cours n’ont pas encore été touchées par ce phénomène de « jardinisation » et abritent encore des « activités » diverses (voir photos en annexe).

« Le type du fond de la cour qui a son atelier, il a dû me détester : chaque fois qu'il mettait sa voiture dans la cour, je fermais les portes, je mettais des mots (…) En plus c'est hyper dommage, tu vois cette cour, tu mets des plantes vertes, une grande table, quand les gens se

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connaissent un peu, tu peux faire des trucs comme ça, qui sont agréables, faut que les gens aient envie en l'état actuel des choses, t'as pas envie des vieux trucs, de la vieille caillasse, du coup il se passe rien » .

Dès que cette jeune femme, documentaliste dans un journal, est arrivée dans le petit deux pièces en très mauvais état que ses parents l’avaient aidée à acheter il y a quelques années, dans un immeuble dont l’entrée se trouve rue E, mais dont la cour relie entre eux toute une série de bâtiments des rues A et B, elle n’a eu de cesse que tout y fonctionne mieux et soit moins sale et plus avenant.

Mais elle n’est pas la seule, beaucoup de ces jeunes habitants, récemment arrivés, rénovant des espaces bien souvent en très mauvais état, avaient tous la même réaction. Pour que ces nouvelles habitations, déjà difficiles à rénover deviennent vivables, il fallait avant tout que leurs abords et parties communes, soient améliorées, selon les conceptions qui étaient les leurs : des escaliers relativement propres, des poubelles mieux rangées à des places assignées, une cour qui ne serve plus de dépotoir etc…

Une jeune femme, journaliste free-lance raconte ses premières expériences en la matière :

« On a voulu écarter toutes les voitures de la cour parce que c'était insupportable et en plus c'est toujours les mêmes voitures qui se garent et il n'y a pas de place pour tout le monde et nous en plus au rez-de-chaussée habitant avec F, sous la porte on prenait des pots d'échappement à chaque fois, récemment en plus il y a le chat du gardien qui s'est fait écrasé. C'est surtout les gens qui donnent vraiment dans la cour, enfin dont les apparts donnent dans la cour, en fait, les autres donnent pas vraiment dans la cour et je les connais pas, c'est la proximité physique qui donne… la cour on aimerait en faire un lieu de vie euh mais on mène une guerre contre les voitures en ce moment qui viennent se garer ici, c'est des gens qui habitent dans ces immeubles-là . On fait des opérations coup-de-poing la nuit quoi ! [rire]

Il y avait une épave de voiture depuis longtemps donc on l'a sortie, c'est marrant ça a mobilisé des gens du quartier très différents, on a fait ça avec U., avec F. et J. qui habitent aussi dans la cour, des artistes italiens et anglais, le mec qui nous a aidé c'est M., celui qui a la Mercedes… l'ancien, le caïd, qui nous a aidé avec sa voiture et puis N. le gros Serbe qui est en haut, et on a sorti l'épave, la bagnole pourrie elle était dans la cour, on la sortie avec des treuils, et après la Mairie l'a évacuée …

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-Donc c'était en collaboration ?

- Oui, on a fait ça tous ensemble, après on a bu l'apéro … ».

Le Serbe en question se souvient bien de ces histoires de voitures dans la cours. Il était très satisfait que les nouveaux habitants du rez-de-chaussée entreprennent de régler ce problème. Il nous expliquait dans son français approximatif bien qu’il résidait dans le quartier depuis vingt-huit ans (travaillant essentiellement dans la confection).

« Je, pas content pour de ... les voitures ... trop bruit... Je, pas content pour le garage... Il y en a beaucoup les garages, pour garer la voiture…

La cour, elle est toutes les nuits comme des autoroutes !. Je pas reposé ! Je paye à la maison et je repose pas tranquillement ! »

Cette récupération de la cour dont sont extraites les voitures, satisfait ceux qui y vivent sans toujours oser y affirmer leurs droits. Mais ce qu’il y a de plus étonnant dans le cas évoqué, c’est que contre toute attente, ceux qui avaient procédé à cette évacuation de la voiture-épave avaient trouvé un étonnant allié pour la mettre en acte : l'ancien caïd « à Mercédès », qui avait sans doute intérêt à ce qu’un certain ordre règne dans cette cour, un ordre interne et contrôlable, comme lorsque les artistes s’y font quelques « bouffes ». Mais dans d’autres cas ces mêmes petits caïds auront besoin du « laisser-faire » qui règnait jusqu’alors dans les cours pour y trafiquer quelque voiture volée. Leur collaboration ne sera plus alors que franche hostilité.

Ces « occupations » ont cependant mis du temps à s’imposer. L’un des enquêtés, raconte que lorsqu’elles ont débuté, il y a une dizaine d’années, les responsables de la première OPAH avaient tenté d’y mettre bon ordre.

« Un jour le mec à l'imper (il évoque le coordinateur de la première OPAH ) il est venu on était en train de boire un café tranquilles, il vient il dit ‘c'est interdit de mettre les tables dans la cour et les chaises et tout, c'est fini tout ça…’. Franchement on a souri et on a dit : ‘ben non, je crois qu'on va pas arrêter… On fait ce qu'on veut, on fait pas de bruit’, et il commence à s'énerver, le mec ‘si, si, c'est terminé’, voilà, on n'a jamais arrêté, il est venu nous dire ça le mec, il donnait des ordres aux gens, peindre les trucs, les boutiques de telles couleurs, c'était assez fou, que les couleurs soient rouges, vertes ou blancs, peu m'importe

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quel rouge c'est lui qui décidait… (…) ça faisait un peu dirigiste comme si l'endroit devait finalement être figé c'était très désagréable… donc cette cour est devenue un enjeu… il fallait pas que je déborde… alors que ça débordait pas… ».

Progressivement, la proportion de nouveaux résidents, artistes ou pas, devenant plus importante, de plus en plus de cours sont définitivement réappropriées, alors qu’en disparaîssent les derniers locaux industriels ou artisanaux.

« Et puis c'est vrai l'architecture enfin, oui l'architecture et puis le matériel ici dans ce quartier incitent à prendre possession des lieux d'une certaine façon. Parce que tout est à refaire, les choses ne sont pas finies… », nous dit Elena, qui racontait aussi comment le système D a marqué et marque encore le quartier. Jusqu’ici rien n’était légal, depuis les occupations d’appartements ou locaux vides par des squatters, des branchements électriques sauvages etc….

Parfois le rapport de force n’est pas favorable et la cour n’est pas aussi facilement appropriable par les « nouveaux », artistes ou autres. C’est ce qu’explique Agnès qui lors de l’entretien résidait dans un atelier en location, où elle avait commencé à travailler. Elle est comédienne et conteuse. Elle fait de la danse bûto et exerce plusieurs activités de subsistance. L’immeuble est très vétuste. La cour sur laquelle ouvre son studio est petite et peu attirante. Elle a repeint portes et fenêtres, ainsi que les grilles de protection, de couleurs vives pour égayer l’endroit. Malgré ce qu’elle va raconter au sujet de la cour, l’ambiance est assez bonne dans l’immeuble. Les ménages (familles et personnes seules) d’immigrés sont majoritaires. (Outre Agnès nous y avons interrogé une famille camerounaise et un homme célibataire jordanien,). Certains résident là depuis plus de vingt ans, mais le turn-over est aussi élévé.

A l’instar des autres immeubles, il semble difficile de savoir exactement qui réside réellement là en raison du nombre élevé de clandestins et/ou de squatters. Tous les appartements sont minuscules et assez vétustes bien que pour certains extrêmement bien arrangés et presque confortable, selon les normes de ceux qui ont vécu dans la rue ou dans des appartements totalement délabrés. Mais les parties communes sont dans un grand état de délabrement.

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« Oui, oui il y a aussi des petites tensions, parce que il y a certains voisins qui ne sont pas très clairs. Il faut savoir aussi que la cour sert aussi parfois pour cacher de la drogue. (…) Bon, la cour rue A. c'est pareil hein, on sait où sont les planques. Ce qui est désagréable c'est de voir que c’est l'un de ses voisins (rire) Du coup, moi je suis assez distante. Enfin, j'essaye de faire en sorte que ça se passe bien, mais je ne tiens pas à les connaître davantage. Je montre que ça m'agace ce, enfin, je vais pas dénoncer à la police ni, mais, enfin moi je ne cautionne pas ça quoi.

Il y a eu d'ailleurs à un moment donné une grosse tension, une question de territoire, quand je suis arrivée, j'ai senti qu'il y avait tout le monde qui mettait son attention sur moi pour savoir comment j'allais m'inscrire dans l'ensemble, quelle place j'allais prendre, quelle attitude j'allais avoir, je sentais vraiment les yeux braqués sur moi. Et puis bon très vite les gens ont vu que ça se passait bien. Mais j'ai eu un conflit de territoire avec des voisins parce que au début notamment, comme je travaillais dans l'atelier, le midi j'avais toujours des amis qui passaient pour déjeuner avec moi rapidement. On déjeunait dans la cour, et ça, ça n'a pas plu du tout.

(…) Ils ont été ultra violents. Ultra violents, enfin ça a été très violent comme, mais bon moi j'ai pas, moi j'étais calme, je leur ai dit que je comprenais, que je ne voulais pas les embêter, qu'on pouvait trouver des arrangements et que c'était normal que je passe du temps dans la cour, et puis voilà et puis ça s'est calmé, ça s'est résolu, ça se passe très bien maintenant. Mais il y a eu au début un conflit de territoire vraiment, c'était, je pense qu'ils ont eu besoin d'être hyper violents, pour se dire que j'allais pas les envahir alors que je les envahissais pas, vraiment.

(…. ) C'était ‘dégage, nous on veut bien te voir toi, mais on veut pas voir la tête de tes copains’, enfin mes copains, il y avait filles-garçons. Donc mes copains n'avaient pas le droit de séjourner dans la cour.

-des voisins qui sont là depuis longtemps ?

-plus longtemps que moi mais pas très longtemps je crois. Oui, mais il y a des problèmes aussi au niveau des cours, parce que normalement on n'a pas le droit de mettre les vélos, on n'a pas le droit d'y manger, il y a des syndics qui ont voté ça. Mais bon personne ne respecte ce truc là. Mais sous prétexte de ça, il y en a qui pètent les plombs, enfin voilà… ».

Depuis cet entretien et dans le cadre de l’OPAH, l’immeuble a fait l’objet d’une mise en péril (c’est à dire classé comme insalubre et irrécupérable). Il doit être détruit et un petit bâtiment d’habitation le remplacera. Agnès a déménagé vers un autre

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studio de la rue voisine et donnant sur une cour où les artistes ou « nouveaux » habitants sont devenus majoritaires et dont elle profite ainsi pleinement.

Les sociabilités de cours

Ces habitants, surtout les artistes ou qui se vivent comme tels, sont souvent dans des situations précaires, peu confortables matériellement et psychologiquement, qu’atténue la chaleur de ces vies à dimension collective.

Lorsque les habitudes d’appropriation, plus ou moins collective, des cours sont prises, elles se déroulent selon différentes modalités et temporalités. Elles s’organisent presqu’en rituels qui marquent les jours et les saisons.

« Mais ce qui était très marrant c’est que c'était vraiment notre cour, pas dans le sens de la propriété quelque chose qu'on aime, dans ce sens-là, donc on ne voulait pas qu'on nous empêche de faire quoique ce soit dans cette cour quoi… parce que bon on vit dans des endroits petits quand même, donc ce qui nous fait respirer c'est de pouvoir y aller dans la cour, et l'été franchement, on y va très souvent, y a toujours une table dehors, y a des chaises, y a quelqu'un qui est là, l'été quand il fait beau… si on s'installe pour manger, on est rarement seuls… deux ou trois il y en a toujours un qui passe, hop il mange, hop il va chercher une petite bouteille… il ramène un truc à manger aussi (…) y’ a même des moments où A. (un peintre de la cour) met une bassine, comme une petite piscine, pour sa gamine, c'était super, l'été c'est vraiment un chouette endroit ». (Henri, artiste plasticien et peintre résidant et travaillant dans un atelier sans confort d’une cour).

Une jeune femme qui loue un studio-atelier dans une cour, et travaille dans un cabinet d’orthophoniste dans la rue d’à côté, raconte comment « sa » cour constitue le cadre de ses rituels quotidiens.

« Alors la vie quotidienne, j'ai mes petites manies hein, quand on est célibataire à 38 ans, par exemple le matin il faut absolument que je descende dans la cour pour savoir ce qui s'y passe. Alors en été, j'aime bien faire le tour, voir où est-ce qu'André en est, s'il a commencé à bosser, est-ce qu'il a dormi chez lui, pareil pour Henri, Périne, aussi (… )

…Ben on se voit plusieurs fois par jour comme ça, de toute façon on se connaît bien et on se parle facilement… tu vis quelque chose, tu descends, tu croises untel. En plus moi je suis

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comme ça, un truc qui va ou qui va pas, il faut que ceux qui m'entourent soient au courant quoi [rire]. Les échanges se font comme ça. Ou alors en été quand on passe beaucoup de temps dans la cour, quand on traîne aussi beaucoup dans la cour à l'apéro, ça se fait aussi simplement quoi … ça tourne pas forcément autour de ce qu'on vit, on n'est pas non plus… Ça dépend, c'est différent avec chacun, avec Henri. on arrive facilement à des considérations sur la vie, la société, les inégalités sociales… ».

Les rituels de cours peuvent aussi facilement s’inscrire dans les rites de quartier, comme celui qui réunit depuis des années les premiers militants de la vie associative locale, pour l’apéritif, après le marché du samedi. Ce « groupe du samedi » est plus âgé, et sans doute d’un niveau socio-économique supérieur.

« Je n’ai plus la même vie de quartier qu’avant. Alors maintenant c'est plus J., enfin tu vois c'est les gens du marché enfin tu vois tu vois c'est plus les gens de la vie associative … moi j'y trouve mon compte aussi parce que bon ça nous arrivait de nous retrouver à prendre l'apéro après le marché au bistrot … mais souvent on faisait ça dans les cours respectives de chacun » (Femme, la quarantaine, assistante sociale en reconversion professionnelle pour être formatrice).

Dans les vies souvent difficiles de ces jeunes, ou plus très jeunes, artistes en situation précaire, à la recherche constante de moyens de subsistance, la « vie de cour » constitue un cadre de réassurance tout à fait bienvenu.

-Tu te souviens de tes premières impressions quand tu as connu le quartier ?

« En fait c'était chez Sabine et Henri. Et je trouvais ça vraiment joli… Alors j'étais étonnée qu'à Paris encore on puisse vivre sans sanitaire, ni chez Henri, ni chez Sabine, et S. n'avait pas de douche non plus. [silence. Rire en soupir] Mais j'aimais beaucoup l'ambiance, le côté cour aussi, ce que j'aimais beaucoup c'est la vie dans la cour. Tout le temps, quand on vit là l'été, on mange tout le temps ensemble, c'est rare de manger seul. (…) c'est pratiquement impossible d'être seul la journée à moins de décider de s'enfermer. Il faut dire aux autres : ‘foutez-moi la paix !’ [rire]. Il y a toujours soit le thé, soit l'apéritif, soit le repas, il y a toujours quelqu'un pour… pour qu'on mange ensemble et puis chacun amène ses trucs et puis on cuisine, on cuisine aux étages, aux rez-de-chaussée quoi. C'est plus simple, ça donne directement sur la cour. Ouais mais moi c'est vraiment ça que j'aime dans ce quartier ». (Agnès, comédienne, en location dans un atelier de rez-de-chaussée).

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Dans certains cas, en fonction de la composition sociale et professionnelle des nouveaux résidents, leur statut d’occupation, la proportion d’anciens, de ménages immigrés, donnent des situations où les appropriations des cours par les nouveaux sont passées par d’autres canaux et selon d’autres scenarii.

On reproduit ici un morceau de conversation entre deux jeunes voisines, devenues très amies et qui ont répondu en partie ensemble à l’entretien (nous les retrouverons d’ailleurs plus loin, dans le chapitre sur la vie d’immeuble et de quartier). L’une propriétaire, vivant dans un deux pièces au deuxième étage, l’autre résidant chez son copain propriétaire d’un studio au rez-de-chaussée. Elles avaient l’une et l’autre participé aux chantiers de réfection de leurs logements. L’une avait même repeint et décoré en partie elle-même l’escalier commun, pour le rendre plus gai.

Dans l’immeuble où elles résident les récents co-propriétaires sont dominants, mais la cour abritent encore des locaux professionnels traditionnels. La sociabilité de cours a du mal à se ritualiser selon un rythme quotidien pour cette raison. Elle a trouvé cependant trouver à s’exacerber selon un calendrier différent. La fête de la musique de la fin juin, a ainsi été l’occasion d’organiser une « manifestation de cour » des plus spectaculaires :

« -Elena : On a organisé des trucs dans la cour, des fêtes… Ben c'était parti d'une initiative de Juliana…

-Juliana : J'avais consulté hein, j'avais tapé à chaque porte à ce moment-là !

-Elena : Finalement ça c'est bien passé, très bien passé cette soirée ; mais c'était pour la fête de la musique, pas cette année mais l'année dernière (…) et donc chez Julia. Il y avait un projecteur qui diffusait dans la cour, c'est un quartier qui a été bâti sans doute à l'époque proto-industrielle avec des pâtés de maison où devaient habiter tous les ouvriers de la famille qui possédait tout, et puis il y a des ateliers au centre des cours où devaient bosser les gens…

-Juliana : Donc on a cousu un drap…

-Elena : Ce qui est aujourd'hui un pressing industriel, en plein milieu, on projetait des trucs là-dessus.

-Juliana : On a cousu un grand drap, on l'a accroché, au-delà de l'atelier comme ça, donc ça faisait cinéma l'atelier. On projetait…

-Elena : Et puis il y a eu une sono, des gens qui ont passé de la musique, DJ, etc., donc des trucs de bouffe que chacun avait ramené, cuisiné et c'était une « sous-fête » de la musique

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dans la fête de la musique qui est toujours très animée dans le quartier (…) Il y a plein de monde qui est passé .

-Juliana : Oui parce que c'était ouvert. On avait décoré toute la cour…

-Elena : Parce qu’ on avait… Juliana avait quand même pris des risques financiers, parce qu'elle avait quand même loué la sono, on lui avait dit t'es sûre que… Donc nous on a fait quand même un peu passé le chapeau, mais dans le feu du truc, c'est vrai qu'on n'a pas vraiment fait gaffe de demander à chaque personne une contribution, mais avec l'argent des jus de fruit on t'en a filé un peu, on est rentré dans les frais.

-Juliana : Oui

-Elena : On s'est marrés…

-Juliana : Les gens ils passaient même l'après-midi quand on était en train de décorer toute la cour, pour voir ce qui se passait…

-Elena : Jusqu'à 4 heures du matin

-Juliana : C'était super, hein ? avec la guirlande… C'était super beau. -Elena : Et aucun voisin ne s'est plaint, sauf peut-être un peu

Juliana : La déco c'était vraiment beau, on l'a gardée pendant un moment, on avait mis des…

-Elena : On avait mis des très beaux papiers japonais, à moitié dorés, à moitié blancs, à moitié rouges

- Juliana : On avait mis des guirlandes, des trucs dans toute la cour, ça faisait un peu fête populaire…

[Juliana explique qu'elle avait fait du porte-à-porte pour demander l'autorisation] (…) Ben les gens ils s'en foutaient, ils disaient ‘ah tu fais une fête, c'est bien’ et d'un coup ils venaient aussi, je les invitais, je disais ‘bon on fait une fête, c'est pas que pour nous, c'est une fête pour les immeubles ici, notre fête de la musique’. Au départ je voulais que ça soit justement entre nous, enfin pour tous les gens qui habitent et qui donnent sur la cour, voilà quoi, finalement ça a duré jusqu'à une heure, de l’après-midi du lendemain quoi…

-Elena : Mais par contre je ne me souviens plus, est-ce qu'il y a eu des plaintes, peut-être N. sur la fin elle a râlé ….

-Juliana : oui, elle a râlé, mais après cette fête de la musique, on a continué à faire des choses comme ça, collectives, en bas… ».

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Les revers de la vie de cours

Cette « joyeuse sociabilité », qui n’est pas qu’occasionnelle, n’est pas toujours appréciée y compris d’une bonne partie des « nouveaux » résidents, et des artistes, et ce essentiellement en raison des questions de bruit. Les habitants des étages, quand ils sont au moins occupants réguliers ou en position sociale qui les fait s’autoriser à se plaindre, en veulent souvent à ces « bandes » des cours, qui semblent ne penser qu’à eux-mêmes, n’imaginant pas que d’autres résidents ont à se lever chaque matin de bonne heure.

« Dans la cour, M. elle nous a quand même pourri la vie avec H. ! Toutes les nuits, oui. Et encore ça s'est calmé. C'est dommage parce que je pense que c'est possible d'utiliser la cour et de dégager quand on fait vraiment trop de bruit et puis voilà quoi. [à voix basse] Ils étaient tellement imbibés d'alcool ! Comment tu peux ne pas respecter les gens à ce point ! Mais je sais pas ce qui pouvait se passer dans leur tête. Ce qui fait que dès qu'ils font un peu de bruit maintenant, les gens réagissent franchement fort quoi parce que ils ont pas respecté les gens. A. il a déjà fait des fêtes, il n'y a jamais eu aucun problème… » (Patricia, peintre, 40 ans)

Certains interprètent ce peu d’attention aux autres comme un rapport d’ignorance voir de mépris envers des personnes qui ne vivent pas comme « eux ».

« Ils prenaient un peu tous les gens pour des cons quoi. Tous ces gens qui allaient bosser le matin. Et c'était nous, on était rabat-joie, on était déprimés, on était chiants, on était… Je pense qu'ils s'en rendaient compte mais ils ne voulaient pas en tenir compte. Enfin ça c'était une galère, pour nous, c'est vrai que ça a pourri la vie je trouve. Parce que moi j'ai connu l'époque où on s'entendait tous hyper bien .

(…) en fait c’est, y’en a certains qui s’approprient la cour par rapport à … et je pense que … on serait dans un quartier différent avec des gens différents qui n’auraient pas peur d’appeler la police ou des choses comme ça, je pense que ce serait complètement différent. Or là, à mon avis, y’en a plus d’un qui n’ose rien dire de toute façon de peur, soit d’être exclus de leur logement ou qu’il y ait des conséquences, si tu veux pour heu… pour leur, pour leur famille, quoi. Donc, mais bon…

Les fêtes ce genre de choses, on a toujours demandé au début gentiment. Enfin moi j’ai toujours été, parce que je voulais pas du tout me brouiller avec mes voisins, c’est quelque

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chose qui est super important, j’ai pas du tout envie qu’on me traite de conne quand je sors de chez moi ou des choses comme ça, je veux surtout pas, quoi. La guerre des voisins c’est vraiment un truc heu … surtout pas. Et en fait en demandant gentiment heu … ça change pas grand chose. Et le problème dans ces cours là, c’est que elles communiquent toutes et toutes communiquent avec le bruit. Ça fait bien caisse de résonance ». (Marine, étudiante aux Beaux Arts)

Les difficultés de communication avec les autres résidents, et en particulier « ceux des étages », sont signalées dans beaucoup de cas de cours du quartier. Comme on l’a déjà signalé, les familles immigrées vivent beaucoup plus repliées, même si elles ne sont pas toujours silencieuses. Les artistes des cours, souvent conscients d’occuper un peu trop indûment l’espace commun, disent qu’ils tentent parfois mais en vain d’y convier les habitants des étages.

« Oui, alors le truc c'est que les rapports sont en effet vachement forts entre gens des rez-de-chaussée parce que on est la plupart tous artistes, parce que les rez-rez-de-chaussée sont réservés aux artistes, que si l'on n'utilise pas comme atelier, en tout cas on y est, c'est mon cas, parce que j'ai des amis artistes et voilà. Enfin moi je l'utilise pas pour peindre, j'utilise officiellement pour écrire et ce qui est vrai aussi, mais je pense ça viendra surtout plus tard. Et donc en fait les gens qui sont dans les étages du dessus ne sont pas des artistes et ne louent pas forcément à la SIN, donc louent parce qu'ils ont été voir des agences tout simplement, ou de Particulier à particulier, donc c'est des gens qui sont extérieurs parce que par exemple dans la cour ils vont pas oser venir déjeuner, parce que leur appartement ne donne pas directement dans la cour, donc ils ne vont pas mettre une table, ils ne vont pas venir déjeuner. S'ils le font c'est parce qu'on les invite et j'ai remarqué que souvent quand on invite des gens à venir prendre l'apéro, ils ne le font pas trop (…) Donc pareil, il n'y a pas vraiment de sociabilité… A un moment donné, il y avait un couple de jeunes Français, souvent je les ai invités à prendre l'apéro, ils sont jamais venus quoi… » (Agnès, comédienne)

Ces entreprises de revitalisation sociale et de « jardinisation » qu’ont connu les cours de Sainte-Marthe ont entraîné leur « inscription » dans des parcours de visites touristiques. Le quartier Sainte-Marthe est référencé dans certains guides du type « Paris à pied » ce qui en constitue un autre type de petit désagrément, mais dont on rit volontiers.

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« Nous on a des tripotées de petits vieux, de petites vieilles, qui viennent visiter le quartier avec une dame qui leur explique que l’on a l’eau depuis très pas longtemps, enfin des choses comme ça. Donc à chaque fois, j’en apprends plein sur le quartier en me penchant par la fenêtre. Elle fait visiter le quartier, parce que c’est le ‘vieux Paris’, donc ils sont avec leurs chaussures de rando, t’en vois je sais pas combien là, ils rentrent par la porte et puis, hop, ils ressortent par l’autre coté. La plupart regarde par .. les ateliers heu … Non mais c’est marrant parce que les gens nous regardent un peu comme des bêtes, quoi ». (Marine, étudiante aux Beaux Arts)

Nadine (ancienne assistante sociale en reconversion, 40 ans locataire) évoque elle aussi « les touristes qui rentrent dans les cours ? sans se soucier de personne comme si on était au musée bon… moi aussi je le fais d’entrer dans les cours d'immeuble, mais en fait quand c'est chez toi c'est insupportable en fait.. »

Dans le reste de son témoignage Nadine expose bien qu’auparavant les cours n'étaient pas utilisées comme espaces annexes de la maison, comme terrasse ou jardin. Son premier voisin d'en face vivait avec son épouse dans une petite maison donnant exclusivement sur la cour et n'admettait pas que Nadine mette une table et prenne l'apéritif avec ses amis dans la cour, or ce monsieur était ‘né’ dans le quartier. De même, elle raconte bien qu’il y eut des résistances à l'appropriation de la cour par jet de divers objets depuis les fenêtres des étages. Comme si la cour ne devait faire l'objet d'aucune privatisation, quitte à ne servir à rien.

Devant chez elle, dans « sa » cour, elle a installé une petite table de restaurant avec un panneau de menu. Nadine raconte aussi, avec amusement, dans cet entretien que lorsqu’elle était petite sa mère tenait un café-restaurant en grande banlieue parisienne.

Le modèle de « la vie de cour » semble être progressivement devenu le paradigme dominant des nouveaux résidents du quartier. Ainsi Louise a habité un certain nombre d’années « sur cour », où elle avait pris des habitudes. Elle vit désormais depuis quelques années avec Maxime dans un appartement donnant uniquement sur rue, mais ils sont parvenus à transposer certaines pratiques.

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« La cour, elle est accessible aux gens qui vivent sur cour. Mais maintenant l'appartement ne donne pas du tout sur la cour. Alors ce que l'on fait des fois, c'est de s'installer dans la rue.

-Dans la rue ?

-Ben sur le trottoir, en face de notre immeuble. C'est vrai. Quand il fait trop chaud, ou quand on a vraiment envie d'être dehors et qu'on n’a pas envie de faire des kilomètres, ben voilà, et ça j'aime bien aussi, évidemment qu'on ne peut pas faire ça… n'importe où, mais là juste en face je me descends une chaise… »

Louise a passé son enfance dans un village du midi et trouve tout à fait normal d’aller mettre sa chaise sur le trottoir, lire un journal, parler avec ses voisins. Elle admet que si elle se permet cela ici, c’est justement en raison du caractère très permissif du quartier et n’oserait jamais le faire ailleurs.

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De la cour au jardin,

une extension progressive de l’espace privé sur l’espace collectif

Pour clore ce chapitre consacré à la « vie de cours », nous allons reproduire ici un long morceau d’entretien qui illustre très bien ce phénomène d’appropriation progressive des cours et leur « jardinisation » par une partie des nouveaux habitants du quartier. Il s’agit d’une femme de quarante-deux ans, d’origine sociale assez aisée, qui occupe un poste de chargée de mission dans un ministère. Elle vit en couple depuis quelques mois avec un compagnon nettement plus jeune qu’elle, dont elle attend un enfant, au moment de l’entretien.

Elle a acheté il y a huit ans 60 m2 en rez-de-chaussée, plus un sous sol. Cet appartement ouvre à la fois sur rue et cours. Elle a racheté par la suite un studio contigu, toujours en rez-de-chaussée, qu’elle loue à un homme d’une quarantaine d’années et dont elle est devenue assez amie. Cette jeune femme exprime tout au long de son entretien, un très fort attachement à son entreprise de re-construction d’appartement, qui a occupé tout son temps libre et ses économies pendant des années.

S’implanter par la plante…

« Donc ce bout de cour j’ai rendu le truc plus vivable….il a fallu le nettoyer, le balayer, éviter que ça devienne un dépotoir que… le laver, et puis le planter. Le planter pour qu'il y ait des fleurs pour que l'on puisse, l'été pour qu'on puisse vraiment participer, ensemble se mettre dans cet endroit-là qui devienne un endroit agréable à vivre et pas juste un bout de béton quoi.

-Et donc tu l'utilises dès le premier été ?

-Je ne m'y installe pas tout de suite du tout. Pas du tout. Parce que au départ il y avait M

3et tous ses enfants là, je commençais à mettre des plantes ils me pétaient tout… Donc j'ai

commencé par des petits pots en terre comme toute bonne… ben comme tu fais quand tu commences tu vois et puis tout était cassé régulièrement et c'est là où j'ai commencé à mettre

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