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La place du spectateur dans l'esthétique de l'abbé Du Bos /

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Texte intégral

(1)

-.

, .-LA PLACE DU SPECTATEUR DANS L (ESTHÉTIQUE DE LI ABBÉ DU BOS

by

Maureen WEBSTER

A thesis subm1tted to the

Faculty of Graduate Studies and Research in partial fulfillment ,of the reqU1remen4,

,for the degree of Master of Arts

Department of French Language and L iterature McGill University, Montreal

Marth 1983

~ Maureen Webster, 1983

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(2)

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La pl ace du spectateur dans llesthêtique de 11 Abbê Du Bos

La Quere 11 e entre 1 es Anc i enS et l es Mode rnes, et l a mort de

Louis XIV ont créé une atmosphère de libération intellectuelle et morale qui a engendré une nouvelle théorie esthétique. Les Réflexions critiques sur la pOésie et sur la peinture de Jean-Baptiste Du Bos accordaient aux Arts une importance capitale dans 1 a vi e de l' homme et rendait 1 e spectateur

a

l a foi s seul objet et seul juge de l'entrepnse artistique.

Les théories de Du BoS avaient leur origine dans la philosophie de Oes- ' cartes et de Locke, dans la théorie ancienne de la Rhétorique, dans l'expé-rience personnelle de Du Bos, et dans 1 'hédonisme de son temps. Ou Bos éla-bore une v~ritable psychologie du spectateur. Le rêsultatest une théorie esthétique qui pourvoit aux besoins d'une société qui souffre d'atrophie émotive; elle fournit au spectateur les moyens de jouir des passions fortes

~ travers les arts, sans subir la douleur et la souffrance qui les accompa-gnent dans la r~alité.

La théorie de Ou Bos érige corrme but primordial de tout art d'émou-voir le spectateur en t'!voquant ·le pathétique. Il existe une tension entre l'artiste qui doit avant tout répondre aux exigences émotives du spectateur, et le spectateur qUl, lui. cherche a se laisser séduire par le jeu subtil des émotions initi~ par l'artiste. Cette théorie a une influence énonne sur les conditions de l'artiste de l'époque, aussi bien que des implications stylistiques et morales lmportantes.

Impliclte dans les Réflexions critiques est l'idée de la relativité du goat. Celle-ci se base sur une nouvelle conception de l'individu et sur

1 a théori e des cl i ma ts que Du Bos app li que au domaine des arts. Ce tte noti on de relativisme fournit une arme efficace contre le dogmatisme littéraire de l'époque et fonde la critique comparée.

Les idées de Du Bos. peu connues aujourd' hui, ont pourtant lai ssê leur marque sur les arts et sur la pensée esthétique du XVII le siècle.

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La place du spectateur dans lles.th~tique de l'Abbé Du Bos

" •

The Quarrel between the Ancients and the Moderns and the death of Louis XIV created an atmosphere of intellectual and moral liberation which • gave birth to a new aesthetic theory. The R~flexions critiques sur la poésie et sur la ee i nture de Jean-Bapt; s te Du Bos bes towed upon the Arts a new and important place in life, making the spectator both object and judge of the artistic endeavour.

The ongine of Du Bos 1 ideas can be found in the philosophy of

Des-cartes and Locke, in the ancient theorie of Rhetoric, in Du Bos' own experience with the Arts, and in the hedonism of his time. Du Bos creates a veritable psychologie around the spectator. The result is an aesthetic theory which

4Q fulfills the needs of a society suffering from emotional

atro~~y,

and which

allows the spectator tCl succumb to the pl-easures and pangs of passion through the artistic mode, without undergoing the pain and suffering which would be prese n tin rea l i ty .

Du Bos' theory would make the principal aim of art to create pathos in the spectawc There must exist a constant tension between the artist who must. above a11 other criteria, meet the emotional needs of the spectator, and the spectator who himself desires to be seduced by the subtile emotiona'l games orchestrated by the artisL This theory had a great deal to say about the changing conditions of the artist of the day, as well as tremendous stylistic and moral 1mplications.

Implic1t in the RHlexions critlques lS the idea of the relativity of

taste. This is a reflection of the emerging concept of the "self", as well as of Du Bos 1 appl i cation of the theory of cl imates ta the Arts. The notion of

relativism becomes an effective weapon in the struggle against the literary dogmatism of the time, and lays the foundations for comparative criticism.

However poorly recognized todaY"Du Bos' ideas nonetheless left the;r mark on the art and the aesthetic thought of the eighteenth century.

(4)

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INTRODUCTION

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TABLE DES MATIERES

...

1 CfiAPITRE 1 - 'Le monde en mouvement ••.••••• : ••••••••• : •••••• ~ ... '~~

CHAPITRE II - La psychologie du spectateur ... 1\

J~i

CHAPITRE III - La dynamique de l'esthétique du pathétique ... 38 CHAPITRE IV - La relativité du goOt, ... ,73 CHAPITRE V - La portée des Rl6.teUo~ cM..:Uqu,u ••••••••••••••••••••• 99 BIBLIOGRAPHIE ...•.••...•••....•••...•••..•••••••..•.•••....••... 119

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Pour l'êtudiant du dix-hui tiêîne siêcle 'les expressions Si.tcle. dei>

I.um.<.l!L.u et SU.c.te phU.o40Ph-iqUe. dênotent non seulement des progrès monumen-taux dans le domaine de la con,aissance pure, mais ~ussi la mise en question

\

de tout un monde de pensées et de perspecti ves acqui ses par 1 es hornnes au

1

,

cours des si~cles. Cette ~ciprocitê entre la Philosophie et la Critique aura des résonnances profondes A travers le dix-huitiême siècle; de nombreux mouvements d'idées trouveront leur genèse. dans cette dialectique. Dans le domaine des arts ,et de la critique littéraire, Philosophie et Critique se rencontreront et éventuellement se fusionneront en une science nouvelle: l'Esthêtique.

Selon Paul Hazard, le mot lIesthêtique" paralt pour la première fois en 1735 1. Pourtant depuis la Renaissance la philosophie et la critique littêraire étaient Hroitement liêes, les deux disciplines s'enrichissant l'unè de l'autre 2, Ce n'est qu'au dix-huitième siècle que surgit le dêsir d'af.finner une réflexion critique indépendante. désir né d'abord d'un besoin

1- Paul Hazard. La Pensée europêenne au XVII le s i ~cle. Pari s. Fayard, 1963, p. 353. D'après Hazard le mot aurait

éU

utilisé par

Alexandre Gottl ieb Baumgarten dans sa thèse de doctorat,

Meditationes philosophicae de nonnullis ad poema pertinentibus. 2- Ernst Cassirer. La Philosophie des Lumières. Paris, Fayard, 1966,

p. 275. l

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(7)

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d'ordonner et de rassembler les fils coomuns de la thêorie'des arts littê-raires et visuels. tissés au hasard durant les siècles prêcêdents. Mais ce dêsi r reflétait aussi 1 a volontê d'accorder aux arts leur place lêg1 time dans 1 e challl> de l 1 acti vi tê huma i ne:

En appeler simplement

a

la délectation ne suffit plus; les horrmes du XVIIIe siècle veulent lui rêser-ver son dOOlaine inaliênable. situer ce plaisir dans le projet d'uo complet épanouissement de l'humanitê de l' hOll1Tle. ::l

Dans l'échafaudage d'un premier systèrœ d'esthêtique pour le dix-huitiême siècle, on doit accorder aux "Réflexions critiques sur la pOêsie et sur la peinture" de Jean-Baptiste Du Bos une place prêpondêrante. Car elles représentent l a première tentati ve d'examiner de façon phi losophique les di-verses questions d'esthêtique et de les considérer dans une perspective syn-thêti que 4. C'est avec Du Bos que 1 a critique des arts quitte le concret pour entrer dans l'abstrait. Au début du livre ses buts sont clairs: il veut "expliquer l'origine du plaisir que nous font les vers et les tableaux" 5 et "examiner en Philosophe conment il arrive que les Arts fassent tant

3- Jean Starobinski. L'Invention de la liberté 1700-1789. Genève. Editions d'Art Albert

ski

ra,

1964,

p.

9.

4- A. Lombard. L'Abbé Du Bos. Un initiateur de la pensée moderne

(1670-1742). Genève, Slatkine Reprints.

1969,

p. 214. lombard

ci te aussi Brunetiêre et Sulzer.

5- Jean-Baptiste Du Bos. Réflexions critiques sur la poésie et sur. la peinture. Genève, S1atkine,

1967,

p.

3.

(8)

r=e=--_ _ _ - - - -< - .

3

-/

d'effet sur les honmes" 6. Car c'est

a

partir du RIDIIIInt ob l'on se demande

coament l'I!tre htllla1n rêag1t devant l'oeuvre d'art et quelle faculte en juge, qu'il ne s'agit plus d'une preoccupation du goOt mais dlune pnfoccuPation d'esthet1que 7.

'-6- Jean-Baptiste Du Bos. Reflexions critiques· Introduction,

p. 4. "

7- Raymond Naves. 'Le GoOt de Voltaire. Geneve, Slatk1ne Repr1nts,

(9)

I.J

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...

CHAPITRE 1 - Le monde en mouvement

·1 Si l'on constate qu'au dêbut du dix-huitiême siêcle. il conmence

a

se fai re entendre une nouvel 1 e voi x en matiêre de cri tique esthétique, on doit se hater de soul igner que quelque rêvo1utionnaires que soient les

ra-mifications de cette nouvelle théorie, mille liens l'attachent encore aux courants critiques qui l'ont précédêe et aux préocc\upations arti stiques de l'époque. Dês la Renaissance,

a

l'instar d'Aristote et d'Horace, des trai-tês sur l'art de 1 a pOésie abondaient-, chacun s'efforçant de fonnuler une t doctrine qui expliquerait de façon cohérente la fonction de l'art, les qua-,lités de l'oeuvre d'art. et les rêgles

a

suivre pour arriver au rêsultat

1

voulu. Toute la dernière partie du XVIIe si~cle et le dêbut du XVIIIe siècle étaient dominés par une critique basée sur une doctrine générale. celle de Boileau et des ses dis.cipjes. Ils soutenaient le principe d'une beauté idéale et absolue

a

laquelle tout art devait se confonner pour plaire. La théorie sousentendaient non seulement un certain absoluti sme dans la méthode

a

suivre pour atteindre cet idéal, mais aussi la certitude d'une opinion ~,-unique et infai llible dan~ le jugement de l'oeuvre.

Au moment de la pub1; cation des Réflexions criti'ques de Du Bos en 1719, la critique se penchait encore principalement sur la condamnation de la mauvaise poésie et des ses poêtes. et sur les diverses questions du goOt: la source du gont et son rôle dans le jugement de 110euvre d'art.

(10)

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Jamais doctrine nia conféré autant d' autor1U ft

la critique. c'est-a-dire

a

la raison qui juge de la confonnite d'une oeuvre avec les lois et les

rè-gles... jamais les écrivains - les médiocres bien entendu - n' ont H~ aussi candidement persuadés que l'application exacte d'une fonnule pouvait creer un chef d'oeuvre. l

Si. au temps de Du Bos. des fi ssures dans cet éd; fi ce apparemnent

5

-• l

in~branlable coomencent ~ @tre vlsibles, c'est en partie gr!ce l la Querelle entre les Anciens et les Modernes a laquelle Du Bos aurait participe.

On ne saura i t exag~rer l'importance de ce débat.

Il a marqué certainement un des grands toumants de l 'espri t humai n, et tout ce qui a é~ êcri t 3 cette ~poque sur l'art, la critiqu~. l'histoire

meme

s'y rattache par quelque coté.

, "

Quoiqu'aucun des partis combattants n'en soit sorti victorieux. la Querelle a ouvert les voies de la discussion et de la rêflexion critique, quasi 1nter-dites par le dogmatisme du siècle prêc~dent. Cette rupture avec les certi-tudes du passé a déclencM un mouvement de libération intellectuelle qui a rendu le terrain propi ce au développement de nouvelles idées.

Le parti que prend Du Bos dans la Querelle est ambigu. D'après Folkierski, il "ne prend aucune part importante ... il en parle IpeU. elle

n'entre guère dans le cercle de ses intérêts; il ne s'occupe directement ni de la questi on des rapports entre les Mciens et les Modernes, ni de celle des

1- A. Lombard. L'Abbé Du Bos 1nitiateur. pp. 181-182.

2 - Ibid.. p. 183.

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(11)

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-rêg 1 es Il 3. Pau 1 Hazard semb 1 e- le ranger, au contra ire, du cote des

Moder-0nes 4. D'après Lombard, Breitinger aurait trouvé dans les "Reflexions cri-tiques", "l'apologie des Anciens la plus philosophique et la plus profonde qu'on ,ait jamais ecrite" 5 Lombard lui-rn@me trouve que l'argumentation de Du Bos démolit les doctrines des Modernes, surtout en ce qui concerne leurs applications littéraires 6

Malgré des pages 00 Du Bos semble se ranger. incontestablement du cOte

~ des Anciens, sa position est très nuancée.

A

l'idéal classique d'un art

mo-ralisant, ,Du Bos oppose un art qui est essentiellement amoral; aux prédica-tions de Boileau et de son école que l'artiste doit obeir aux règles, Du Bos affirme qu'ùne oeuvre peut plaire sans les règles, plaçant ainsi

l'origina-l

"

lite avant l'f~ltation dans la hierarchie des valeurs artistiques. Du Bos

/

refuse le çoncept d'un jugement universel et rationnellement justifié; il n'y ~ que le goOt particulier et personnel. Dans la mesure où les idées de Du Bos reprêsêntent souvent un défi aux principes fixes de la critique de sori temps, son oeuvre constitue une poussée indéniable .vers le modernisme.

Si Du Bos ne se place jamais complêt ment ni d'un cOté ni de l'autre dans la Querelle, cette s Munteano, aurai t "fait mine

3- Wladyslaw Fo1kie . Entre le C1assi cisme et le Romantisme. Paris, librairie Ancienne Honor~ Champion,

1925,

p.

156.

4- . Paul Hazard. The European Mind~ trad. Lewis May . . ..London, Hollis

and Carter,

1953,

pp.

404-40 .

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5- A. Lombard. L'Abbé Du Bos Initiateur. p. 269.'

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(12)

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-de rebondi r" 7 sous la Rêgence, fourni t

a

Ou Bos l' arri êre-p l an parfait pour l'exposê de ses idêes. Car de tout ce dêbat'une seule prêoccupation revient inlassablement

a

la surface des Réflexions: l'impression produite sur le spectateur par les poèmes anciens et modernes. La Querelle marque le dêbut d'une nouvelle façon de voir les rapports entre l'Homme et les Arts. Elle n'est que le tremplin qui propulse la critique artistique hors ~cret

pour entrer dans le domaine de la philosophie.

~ Si la Querelle a libêrê l'esprit des hommes pour leur permettre de chercher de nouvelles solutions aux problêmes contemporains de l'art, ce mou-vement a fini par mener

a

une nouvelle impasse; on voit en consêquence, une' révolte de l'esprit philosophique contre les excès du r~tionalisme. Comme

beaucoup de ses contemporains, Du Bos, jeune, êtait rationaliste et

cartê-8 !.J '

sien, porte-parole de l'esprit moderne . Mais peu

a

peu une distinction s'est faite dans son esprit, entre les sciences qui sont un système de con-naissances, et les arts qui relèvent de. l'imagination. A l'affirmation que

"Rien ne prépare mieux que les mathématiques ~ bien juger des oeuvres de l'espritll 9, Du Bos oppose une autre: "Or s'11 est quelque matière ot! 11

faille que le raisonnement se taise devant l'expérience, c'est assurément dans les questions qu'on peut faire sur le mérite d'un poême.~1 10 Mais on

,,~---7-

B.

Jf 8-nelle, Marcel lbi d •.

9- Jean Terrasson. Dissertation critique sur l'Iliade d'Homer. Paris, 1715, p.

65.

10- Jean-Baptiste Du Bos. PP". 366-367. Réflexions critiques.

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(13)

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8

-sent que la véhêmence de Du Bos ~ontre l'esprit de géométrie dé loin le domaine des arts et risque de porter atteinte A la

•.. 1 'esprit philosophique qui rend les hommes si rai-sonnables, et pour ainsi dire, si conséguens, fera bientOt d'une grande partie de l'Europe. ce qu'en fi-rent autrefois les Gots et les Vandales. supposé qu'il continùe ~ faire les mêmes progrès qu'il a faits de-puis soixante-dix ans. Je vois les arts essentiels négligés; les préjugés les plus utiles

a

la conserva-tion de la sociétê. s'abolir; et les raisonnements spé-culatifs prêférés ~ la pratique. Nous nous conduisons sans êgard pour l'expérience ... ; et nous avons l'im-prudence d'agir, comme si nous étions la première géné-ration qui eat sçu raisonner. 11

. Toute rêvo1te provoque une réactio~ 1a.révolte contre le cartésia-nisme a provoqué la réaction du sentiment. Dorénavant pour Du Bos. il ne sera plus question de logique et de raisonnement dans le jugement des oeuvres d'art. Ce qui compte sera uniquement la r@action émotive du spectateur. Le but de l'art sera de plaire, 'et ce critêre satisfait. on aurait trouvé 1I

es-' sentiel.

Evidemment, Du Bos nlétait pas le premier A revendiquer le droit du spectateur de juger d'une oeuvre d'art indépendamment des rêgles. Moliêre et Racine avaient déjA soutenu le bien-fohdê ~e l'approbation du parterre. opinipn basée plutôt sur le sentiment que sur une conn~issance profonde des r~gles 12. Boileau, 1ui-rneme avait affinœ qu'"un ouvrage qui n'est point

13

goOté du pUblic est un três mêçhant ouvrage" Mais. COITJTle flraunschvig

11- Jean-Baptiste Du Bos. Réflexions critigues. II. xxxiii. p. 476. 12- Marcel Braunschvig. L'Abbé Dubos [si~' Rénoyateyr de la crjtjqye

ay

l8e siècle. Toulouse,

1904.

p.

1 .

Nicolas

tome Boileau-Despréaux. Oeuvres complètes de BOi1eau-DesI. Paris. Dabo, Tremblay, Feret et Gayet. ,.~

1819.

p.

T

9.

réaux,

(14)

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a précis~: ilL 'appel au sentiment conme

a

l'arbitre supr!me des oeuvres d'art n'est chez Molière et Racine qu'une protestation d'auteur contre les p!dants qui les chicanaient au nom des règles.1I

14 Et en ce qui concerne Boileau, 1~ vrai sens de ses idêes sur la valeur de l'opinion publique ne se comprend que par rapport ~ l'ensemble de sa pensêe. Pour Boileau le Beau, c'est-A-dire ce qui frappe les hommes, est inextricablement liê au Vrai. Or on ne peut juger du vrai qu'en appliquant les règles; ce qui si~

gn1fie qu'une oeuvre ne peut plaire que si elle obéit aux règles. Madame Dacier et le Père Rapin confirment cette conviction:

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Les règles et c~ qui p1aTt ne peuvent être deux choses opposées. 15

On ne peut plaire sQrement que par les règles: il'faut donc en établir; car l'art n'est autre chose

C

••• ]

que le -bon sens r!duit en méthode. ] 6 Dans ce climat artistique la voix de Du Bos résonne:

Par la

meme

raison, l'ouvrage qui ne touche'point et qui n'attache pas, ne vaut rien; et si la criti~

que n'y trouve point A reprendre des fautes contre les règles c'est qu'un ouvrage peut être mauvais, sans qu'il y ait des fautes contre les ~gles, comme' un ouvrage plein de fautes contre les règles, peut être un ouvrage excellent. 17

9

-,.

14- Marcel Braunschvig. L'Abbé Du Bos Rénovateur de la critique. p. 19.

15~ Madame Dacier. La Poêtique d'Aristote. Pr~face. (Cité par Lombard). 16- Renê Rapin. Rêflexions sur la poêtique d'Aristote. New York,

Georg 01ms Verlag,

1973.

réimpression de l'édition de Paris,

1674.

17- Jean-Baptiste Du Bos. Réflexions critigues. II,. xX;,i,

(15)

l

Peu importe les défauts de forme de l'oeuvre; si elle a du mérite. elle sera pleinement appréciée par le public. En jugeant par impression, le spectateur ne se trompe pas.

Outre les idées qui se propageaient ~ l'époque où Du Bos écrivait, il Y a un deuxième mouvement dans les arts, peut-être encore plus puissant que celui qu'ont provoqué la Querelle et la révolte contre le cartésianisme. Il s'agit de la fermentation sociale qui a caractérisé les dernières années du règne de Louis XIV et la Régence. Si l'esthétique de Du Bos plaçait au centre l'être humain, le spectateur, c'était en grande mesure grace ~ la concordance de facteurs sociol'ogiques et littéraires. Les théories de Du Bos sont en quelque sorte la nêflexion de la sensibilité d'une entité socia-le qui se regardait et qui se définissait, un groupe dont socia-le dénominateur commun êtait'souvent un intéret pour les Arts et les Lettres.

En fonction d'un nouvel ordre de valeurs sociales, il s'est installé un nouvel ordre de valeurs esthétiques. Car la période qui a donné naissan-ce aux "Réflexions critiques" était une époque de transition 00 les vieilles vâleurs, les lois de Dieu et du Prince, étaient mises en question. Pour bon nombre d'intellectuels de l 'époque de Du Bos, Dieu était mort au XVIIe siècle, et on cherchait encore a combler le vide laissé par son absence. L'hypothèse religieuse avait tout rangé dans le domaine de l'expliqué ou de l'explicable. Le monde ~ta;t figé, ses limites morales déterminées, ses idéaux des absolus. Avec les incursions du rationalisme, la stabilité a disparu; on doutait de tout. ,Méme le clergé, dont Du Bos fa~ait partie, devenait de plus en plus séculier et mondain dans son at~itude. On ne sau-rait sousestimer l'importance de ce malaise spirituel:

(16)

Au XVIIe siècle, les sombres ou grotesques décou-vertes de la désillusion conduisaient

a

une conver-sion spirituelle; c'était l'occaconver-sion de choisir entre l'éphémère et l'~ternel, entre les vanités du monde et les certitudes de la foi. Au XVIIIe siècle, les oeuvres littéraires et les arts (complices tradition-nels de l'illusion) n'expriment guère ce mouvement de conversion

t ... )

Car rien ne nous invite

a

dépasser la désillusion: la constatation horrifiée du ravage des chai rs sous le fard nous dêvo'i'le une réali té apparem-ment sans contrepartie et sans lendemain. La désil-lusion n'est plUS une étape dans une aventure spiri-tuelle, c'est un jugement dernier. 18

.

,

11

-En dehors du domaine religieux, des changements politiques et écono-miques ont également bouleversé l'équilibre social du temps de Du Bos. Le despotisme de Louis X~V fut remplacé par le libéralisme du Régent -- libéra-lisme tant souhaité, mais qui a fini par transformer la société. Car des cendres de la révolution sociale dont la Régence aait en quelque sorte le catalyseur, il naquit la suprématie de l'idéal bourgeois. En déménageant la Cour de Versailles

a

Paris, le Duc d'Orléans déplaçait le centre de gravité de toute une société. Pour Michelet la Régence apparatt conme "une révéla-tion, une révolurévéla-tion, une création" 19

La nature pr.ofonde de cette révolution et ses effets sur les Arts de l'époque seront examinés dans le chapitre suivant. Contentons-nous de dire ici que cette atmosph~re de p~rip~tie sociale et de mouvement perp~tuel

qui avait ~ son origine le rejet de l'ancien régime et de ses valeurs, ne pouvait avoir que des répercussions prodigieuses sur l'esthétique du temps.

18- Jean Starobinski. L'Invention de la liberté. Genêve, Editions d'Art Albert Ski ra, 1964, p. 86.

19- Jules Michelet. Histoire de France, tome XIV, Préface. p. l

. 1

(17)

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12

-G. Janneau situe le d~but de la "r~volution estMtique" en 1715 20. Sgard le place vers 1700 quand dêj~ "le parti d'Orl~ans" dont Fontenelle, l'abb~

de Saint-Pierre et Du Bos IIsongeaient moins ~ Homêre qu'aux idées anglaises,

au lib~ralisme, ~ l'économie politique, II la libre penséell 21. Louis XIV

avait réussi ~ rendre Versailles le centre culturel d'un peuple entier, mais le style officiel qulon avait voulu majestueux et hêroTque, s'était dégéné-ré aux cours des longues années de son rêgne. en pompe et faste. On êtait

a

la recherche d'un art moins austêre, moins idéaliste, moins grandiose. La transposition de l'art du domaine officiel au domaine privé a vu l'essor de la réflexion esthétique libre.

IINouvelle cour", goOt IImodernell

, "art nouveau":

la génération de la Régence a bien senti, assur~ment, l a va l e1ur du changement

L ..

J

Liberté, sens ua l i t~, appe 1

du p~sent sont les nouvelles vertus du temps. La

hiérarchie, la morale, les rêgles sont oubliées. Ce modernisme audacieux et provoquant est le premier trait de l'esprit nouveau. 22

",

~

L'oeuvre de Du Bos est certainement la réflexion de toutes ces tendances. Ce mouvement de pensées engendra'une nouvelle conception de l'art et une

esth~tique générale qui, tout en étant étroitement liée

a

la critique

1itt~-raire. ne peut se dissocier de la science de l'homme et de la société.

20- G. Janneau. L'Epoque Louis XV. Paris, Presses Universitaires de France.

1967,

p.

6.

21-

22-Jean Sgard. Style Rococo et st~le Régence, Du colloque d'Aix-en-Provence sur la Régence. 196. Paris, Librairie Armand Colin,

1970, p. 12.

Ibidq p. 13.

(18)

.

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1

CHAPITRE II - La psychologie du spectateur

Dans les premiers t!tonnements du dix-hu;ti~me si~cle vers une corn-prêhension des agissements psychiques de l'homme, il ~tait inêvitable qu'il ait ~ affronter le phénomên€ de la conscience réceptive, c'est-a-dire. la manière dont l 'homme perçoit les objets. Le sentiment vif que l 'homme éprou-vait devant l'objet appelé "beau", était très différent de celui produit par son interaction avec les autres Objets qui l'entouraient. Cet effort de con-nattre la vie intérieure de l 'homme, et de sonder ses réactions esthétiques était en opposition directe avec l'attitude critique traditionnelle. Elle avait porté principalement sur l'oeuvre d'art plutot que sur les mécanismes du jugement. En précisant ses intentions, Du Bos a pleine conscience de l'audace de son approche:

Des entreprises moins hardies peuvent passer pour etre téméraires, puisque c'est vouloir rendre compte

a

chacun de son approbation et de ses dégoQts; c'est vou-loir instruire les autres de la manière dont leurs pro-pres sentiments naissent en eux. Ainsi je ne sçaurois espérer d'etre approuvé"si je ne parviens point

a

faire reconnaHre au lecteur dan"s mon livre ce qui se passe en lui-même, en un mot les mouvemens les plus intimes de son coeur. l

Cette dépendance étroite entre l'esthétique et la psychologie qui nous paratt

1- Jean-Baptiste Du Bo~. Réflexions critiques. l, i, p. 3.

P

13

-,

1

(19)

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si évidente aujourd'hui, n'était pour le dix-huitiême siêcle qu'une théorie

a

peine esquissée. Du Bos en fait le point de départ de sés idées et jette ainsi les bases de 1 'esthHique moderne:

Les Réflexions criti

1

ues fondent la critique

moder-ne, par la richesse et a variété des aperçus qu'elles contiennent. C'est en fait un systême complet de psy-chologie et d'esthétique. 2

1- Origines de la théorie de Du Bos

Bien que la plupart des historiens littéraires placent Du Bos dans le mouvement anti-cartês;en du début du siêcle, une analyse approfondie de sa pensée montre que cette désignation est trop facile. Dans son "Traité des Passions", Descartes Hait, d'après Fo1kierski, le premier ii soumettre la question du goOt ~ une analyse philosophiqUê 3. Pour Descartes il y avait une différence essentielle entre la manière dont on jugeait du Bien et du Mal et celle dont on jugeait du Beau et du Laid. Les premiers relevaient de

la Raison et les derniers du domalne des sens. Dans la psychologie carté-sienne les perceptions du Beau et du Laid sont celles qui provoquent les pas-sions les plus violentes, puisque toute réaction qui vient des sens est plus forte que celle qui vient de la Ralson. Descartes conclut que, parce que nos perceptions du Beau ne sont pas soumises ~ la Raison, elles sont infiniment moins vraies et moins fiables que les autres. Le domaine littéraire n'en-trait même pas en considération chez Descartes, car la littérature n'était

2- Roger Mercier. La Réhabilitation de la nature humaine - 1700-1750. Villemonble, Editions "La Balance",

1960,

p.

202.

Voir aussi Braunschvig, p. 75.

(20)

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-qu'artifice humain et n'avait donc aucun rapport avec la verite 4. Pour Du Bos, les arts au contraire, peuvent et doivent I!tre soumis

a

l'analyse; et c'est justement parce qu'ils relêvent des passions que ce n'est point par la Raison qu'il faut les juger mais par la voie du sentiment. Si Du Bos refuse l'esprit de dêduction de la philosophie de Descartes, il en conserve l'idée d'évidence: le sentiment du spectateur face d l'oeuvre d'art sera mis à l'épreuve et son jugement porté au niveau de valeur universelle. Du Bos reste donc cartésien par son besoin d'utiliser la Raison pour b3tir un système esthétique, meme si cette esthétique a comme principe de base le refus du rationalisme.

Les traces d'inspiration cartésienne sont difficilement perceptibles dans les idées de Du Bos; to~tefois il n'en est pas de meme pour l'influence

1

de " empi ri sme ang lai s que Du Bos aura it tenu en hau te es t ime 5. Il 'prete

a

l'observation et surtout d l'expérience une importance capitale dans sa théo-rie:

4-

5-Combien l'expérience a t'elle découvert d'erreurs dans les raisonnemens philosophiques qui étoient tenus dans les siècles passés pour des raisonnemens solides?

Comme nous reprochons aux anciens d'avoir cru l'horreur du vuide et l'influence des astres, nos pe-tits neveux nous reprocheront un jour de semblables er-reurs, que le raisonnement entreprendroit en vain de démeler, mais que l'expérience et le tems sçauront bien mettre en êvidence. 6

Le Gont de Voltaire. P. 106 (notes).

Munteano. L'Abbé Du Bos - Esthéticien de la persuasion passionnelle.

P. 320.

6- Jean-Baptiste Du Bos. Réflexions critiques. II, xxiii, pp. 359-360.

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Que penser de ces systèmes de po~sie, qui, loin d'être fondés sur l\expérience, veulent lui donner le démenti, et qui prétendent nous démontrer que des ou-vrages admirés de tous les hommes capables de les en-tendre depuis deux mille ans, ne sont rien moins qu'admirables? 7

Non moins négligeable est le rôle de l'expérience personnel de Du Bos -dans la formation de ses idées. S'il se fie à l'observation, c'est parce

que celle-cl est basée d'abord sur ses propres réactions en tant que

specta-t~ur. A la fOlS horrme de lettres et homme du monde, Du Bos avait un goOt

prononcé pour les arts, et fut grand amateur du théatre et surtout de l'opé-ra 8 ' Pour ce dernier son admil'opé-ration n'a jamais lassé:

Enfin les sens sont si flattés par le chant des ré-cits, par l'harmonie qui les accompagne, par les choeurs, par les symphonies et par le spectacle entier, que l'3me qui se laisse facilement séduire ~ leur plaisir, veut bien ~tre enchanté par une fiction dont l'illusion est palpable, pour ainsi dire. 9

L'expérience personnelle de Du 80S suffit pour justifier le succès de l'opéra.

Dans la mesure 00 il serait possible d'accorder une valeur quantita-tive

a

l'influence des révélations d'un autre dans la pensée de Du Bos, il faudrait reconnattre que la plus grande part appartient ~ la psychologie de John Locke. Du Bos rencontra Locke en 1698 lors d'un voyage ~ Londres et

10 leur amitié était maintenue par une correspondance assidue jusqu'en 1703

7- Jean-Baptiste Du Bos. Réflexions critiques. II, xxiii, p. 361. 8- Lombard. L'Abbé Du Bos - Inltiateur. P. 44.

9-

(22)

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17

-Du Bos aurait ~té en grande mesure responsable du lancement en France de la, traduction Coste de l' "Essay concerning Human Understanding" 11 L'oeuvre a suscité un

intér~t

profond

~

la psychologie et a

~ert

au dix-huitième siècle un nouveau domaine d'exploration~ celui de l'esprit humain.

Pour Locke, afin de comprendre la nature psychologique de l'homme, il fallait recourir aux sources, aller jusqu'~ la genèse de l'esprit humain. Avant les empreintes laissêes par les sensations, l'esprit n'est rien, une feuille blanche. L'esprit n'est que la somme des impressions faites par les objets externes sur nos sens. Les sensations sont donc antérieures A toute connaissance. Devant l'affirmation de Descartes que les idées sont innées, la philosophie de Locke représentait un renversement de valeurs complet; d'autant plus qu'elle devait aboutir

a

la psychologie du désir et de "l'in-quiétude" 12 une notion qui êtaH;./fbndarnentale

a

la psychologie de Du Bos:

The uneasiness a man finds in himself upon the absence of anything whose present enjoyment carries the idea of delight with it. is what we call desire; which is greater or less as that uneasiness is more or less vehement. Where, by the by. it may be of sorne use ta remark, that the chief, if not the only spur to human activity and action is uneasiness. 13

On trouve la première idée transposée chez Du Bos de la manière suivante: "Les hommes n'ont aucun plaisir naturel qui ne soit le fruit du besoin; plus

11- Lombard. L'Abbé Du Bos - Initiateur. P. 73. 12- Traduction du mot "uneasiness".

13- John Locke. ,~A_n--;~~~~~~~~~~~~.-;,;~~. réd. Peter

H. Nidditc .

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le besoin est grand, plus le plaisir d'y satisfaire est sensible." 14 Et "1'inquiétude" de Locke devient l'ennui de Du Bos:

l'ennui qui suit bientOt l'inaction de l'3me est un mal si douloureux pour l'honme, qu'il entreprend souvent les travaux les plus pênibles~ afin de s'épar-gner la peine d'en être tounnentE:'!. b

Le vrai malaise de l'honme est créé par la vacuité. Du coup les sensations deviennent nécessaires 3 l'existence même. Du Bos apporte 3 la psychologie de Locke la dimension vécue: comme 1 1 homme n'a conscience de son existence

qu'a travers ses sensations, son bonheur dépend de la multiplication et de la variation de ses expériences. Le plaisir ne s'acquiert qu'en renouvelant et en intensifiant constamment ces expériences sensorielles. Ici les liens entre la psychologie et l'esthétique de Du Bos se resserrent.

Dans les réflexions et les observations de Du Bos il est permis de voir une confirmation directe de la doctrine leibnitzienne selon laquelle toute joie esthé-tique se fonde sur l'"êlêvatlon de l'~tre", sur la vi-vacité et l'élévation de l'intensité des forces psychi-ques. Le plaisir que procure ce pur sentllTlent de vivre peut l'emporter de três loin sur l'aversion qui peut nattre, disons de la considération de l'objet en tant que tel. 16

Effectivement, "esthêtlque du pathétique prôné par Du Bos cherche 3 provo-quer habilement des petites sensations douloureuses afin dl~lever l'intensité de la r~actl0n émotive du spectateur. Pour Du Bos, qui croyait d~ja ferme-ment

a

la valeur du sentiment et de l'exp~rience dans la critique esth~tique,

14- Jean-Baptiste Du Bos. Rêf1exions critigues. l, v. p. 6.

15- Ibid., J. i, p. 6.

(24)

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- 19

l'"Essay concerning HlII1an Understanding" fournissait une confirmation et une base philosophique solide! ses théories, ~ la'fois empiristes et

sen-sualis~es.

En examinant ses sources d'inspiration possibles, il f~udrait cher-cher au-del~ de l'héritage proprement philosophique Du Bos. Dans un excel-lent article intitulé "L'Abbé Du Bos, esthéticien de la persuasion passion-nelle" Munteano fait un argument convaincant pour l'influence de la Rhêtor;-que dans les théories de Du Bos. D'aprês Munteano. Du Bos se serait servi

de la Rhétorique ~ double registre: non seulement comme technique pour véhi-culer ses théories. mais aussi comme fondement même de ces théories.

Au collège de Beauvais Du Bos a dO se rendre compte des pouvoirs per-suasifs de la Rhétorique, et ses allusions fréquentes dans les "Réflexions"

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aux rhéteurs anciens. ~ Quintilien en particulier, confirment cette notion:

La profession de Quintilien étoit d'enseigner aux hommes l'art d'êmouvoir les autres hommes par la force de la parole: cependant Quintilien mat en parall~le

le pouvoir d~ la Peinture avec le pouvoir de l'art Oratoire. 17

Ce rOle formatif que Du Bos accorde ~ la Rhêtor~ dans les arts mérite cependant un examen plus d~taill~. Munteano raypelle que les trois devoirs de l'éloquence sont d'instruire (docere), de plaire (delectare) et d'émouvoir

(movere) .

Pour Du Bos, le premier, c'est-à-dire l'instruction du spectateur, ne

17- Jean-Baptiste Du Bos. Réflexions critiques. 1, iv, pp. 38-39.

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convient que pour les ouvrages de l'esprit: les traitês historiques ou phi-losophiques, ou les discours qui ont comme but principal de communiquer des faits. Ceux-ci s'adressent surtout

a

l'esprit et peu sont ceux pour qui la

'r~flexion et la mêd1tation constituent un vêritable plaisir:

Cette conversation avec soi-même met ceux qui la sçavent faire,

a

l'abri de l'êtat de langueur et de mis!re dont nous venons de parler. Mais comme je

l'ai di t, les personnes qu'un sang sans aigreur et les humeurs sans venin ont prêdestinêes

a

une vie intêrieure si douce, sont bien rares. la situation de leurl~spr1t est même inconnue au commun des

hom-mes ••• •

la plupart des hommes passent par des moments 00 ils n'ont plus enviè de penser

a

rien, où l'ame ressent le besoin de se livrer "aux impressions , que les objets extêrieurs font sur e1le" 19. Un poème lyrique l'emportera toujours sur un poême didactique car, "quel que soit le mêrite de ces Po~es,

on en regarde la lecture comme une occupation sérieuse, et non pas comme un plaisir" 20. Dans la psychologie de Du Bos, ces oeuvres constituent une "insuffisanae esthêtique" 21: '~18- 19- 20- 21- ,22-1

\ Les homnes aimeront toujours mieux les livre, qui les toucheront que les livres qui les instrui-ront. Comne l'ennui leur est plus

a

charge que l'ignorance, ils prêfèrent le olaisir d'être êmus au plaisir d'être instruits. 22 h

Jean-Baptiste Du Bos. Réflexi ons cri tiques.

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i, Ibi d. , p.

&.

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'Ibid. , ix, p. 67.

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Munteano. L'Abbê Du Bos, esthêticien. P. 339. Jean-Baptiste Du Bos. Rêflexi ons critigues. 1. ix,

p. ,,9.

p. 68.

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On voit donc pourquoi, dans son systême qui reste fid~le en toute autre ma-niêre aux lois de la Rhétorique, Du Bos êcarte dêlibérêment l lidêe de 11

185-truction dans les arts pour soutenir que le but principal, le "subl ime" de la poêsie doit etre de plaire et d'êmouvoir 23.

Cette prise de position plonge Du Bos dans un 'dêbat, lourd de consê-quences esthêtiques et psychologiques qui reste, d'après Munteano, irrêduc-tible ! ce jour:

'Du cou~, les "Rêflexions" deviennent 11instrllllent

de l a cri se itmlêmoria le que 11 alterna the i ns trui re-êmouvoir, autant dire raison-coeur, fait peser, des

'i

an t1quitê, sur la conscience de l'homme, et tout autant sur le processus technique de la crêation. 24

En enlevant aux arts leur fonction didactique Du Bos confie

&

l'artiste la mission unique d'atteindre le coeur des hommes. Ses conseils aux po~tes et aux peintres sont impr~gnês des techniques de la persuasion oratoire et

,

llartiste prend souvent l'allure d'un demi-dieu dont 1 'apogêe du talent con-siste

~

"amener [les hommes] 00 l'on veut" 25:

De tous les talens qui donnoit de l'empire sur les autres honmes, le talent le plus puissant n'est pas la supêrioritê d'esprit et de lumiêres: c'est le talent de les êmouvoir ! son grê. 26

23- Jean-Bap,tiste Du Bos. Rêflexions critiques. 11. i, p. l. 24- Munteano. L'Abbê Du Bos, esthêticieo. P.331..

25- Jean-Baptiste Du Bos. Rêflexions critisues. l, xxxiii. p. 297. 26- Ibid., l, iv, p. 41.

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22

-Les idées de Munteano S4r la valeur persuasive de la Rhétorique dans les arts, trouvent leur place'

a

la'fois dans la psycho1?gie et dans 11esthétique He Du Bos. '

Leith conçoit l'histoire de 11esthétique depuis 11Antiquitê comme

u~~ dialectique entre l'art utilitaire ou édifiant, et l'art qui a comme but unique de flatter les sens et de toucher le coeur 27. Cette perspective aide ! mieux comprendre les origines de 11

esthétique de Du Bos. Les Duts oratoi-res d'é~uvoir et de plaire au spectateur s'inscrivent dans un mouvement plus vaste qui prenait de 11ampleur A 11époque où il écrivait les "Réflexions".

Il s'agit d'une nouvelle conception du plaisir; pourrait-on

meme

par-ler de sa rêhabi1itation. Condamnê traditionnellement par l'Eg1ise qui dê-nonçait ses charmes malêfiques, le plaisir comne un but lêgitirnJ de l'activité humaine avai t fini par se revaloriser vers la fin du dit-septUme s,i~c1e. Les Epicuriens, se'basant sur les prémisses que le tourment moral infligé par le péché présentait un puissant obstacle A la rêa1isation d'un plaisir immoral, avaient réussi A identifier le plaisi,r avec la vertu:

27-

28-On peut etre philosophe et sacrifier aux Graces sans qui l 1 amour même ne saurait plaire: ne

peuvent-elles pas s'accorder avec la sagesse? J'ai toujours trouvé que cette inclination pour les choses aimables, adoucit les moeurs, donne de la politesse et de l'hon-netetê, et prépare A la vertu, laquelle. ainsi que l'a-mour, ne saurait etre que dans un naturel sensible et tendre. 28

A.' Jarres Leith. The Idea of Art as propaTanda in France 1750-1799. Toronto, University of Toronto Press,

965,

p.

3.

Rêmond le Grec. Dialogue sur la Volupté. Nouveau Mercure, sep-tembre 1719, p.

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-L'Eglise

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son tour, essayant de garder son emprise sur ceux qui se seraient laissê tenter par l'esprit l1bertin, s'est efforcée de rendre la vertu moins pênible, moins rigoureuse. Le bonheur et la gr3ce, auparavant incompatibles. se sont réconciliés, et le plaisir devenait un ~lêment utile, voire même né-cessaire

a

l'épanouissement de la nature humaine: ilLe plaisir est l'objet, le devoir et -le but / De tous'les êtres raisonnables.1I

29 Conçu d'abord comne l'effet secondaire d'une action vertueuse, ou comme le produit du discernement " ~ rationnel, le plaiSir se transpose

a

un registre supérieur; il devient un

be-soin primordial, le seul mobile de l'existence. Ici nous rejoignons DtÎ;!Sos: la jouissance esth~tique pure n'a ni

a

se justifier ni

a

se rationaliser.

>-1

Elle correspond

a

une impérative naturelle de l'homme et se donne comme seul but de charmer et de séduire avant toute réflexion.

11- LIart contre l'ennui

L'3me a ses besoins conrne le corps; et l'un des plus grandS besoins de l'homme est célui d'avoir l'esprit oc-cupé. L'ennui qui suit l'inaction de l ' b est un mal si douloureux pour l' honme,' qu' i 1 entreprend souvent les travaux les plus pénibles, afin de s'~pargner la peine d'en etre tourmenté •.. 30

Cette idée n'est êvidenment pas nouvelle. On la retrouve chez Montaigne et chez Pascal:

29-

30-L'!me qui n'a point de but estably, elle se perd: car, comme on dict, c'est n'estre en aucun lieu, que

Vol tai re. A t-ne de G... . Contes en vers et pOési es diver.ses. Paris, Nelson, 1936, p. 213. '

Jean-Baptiste Du Bos. Réflexions critigues. 1. i, p. 6.

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d'estre par tout. 31

Et l'homme quelque heureux qu'il soit, s'il n'est diverti et occupé par quelque amusement qui empêche l'ennui de se répandre, sera btentOt chagrin et mal-heureux. 32

Mais pour Pascal, ce "divertissement" n'a qu'une valeur toute péjorative, \

éar il constitue une insuffisance spiritue1le; il évoque le vide et l'impuis-sance de l'homne qui s'est détourné de Dieu. Et dans les "Maximes et Ré-flexions sur la Comédie" et dans le "TraiU de la Concupiscence':, Bossuet

\

condamne les arts et les spectacles cornne indignes de la vie chrétienne. Du Bos, au contraire, ne voit rien de pernicieux dans la jouissance esthétique, et semble soustraire à la question toute considération morale ou re.1igieuse. Le vrai vice est l'inactivité, la paresse, mais "peut-être est-_ ce un bonheur-pour la société que ce vice ne puisse pas être déraciné. Bien des gens croyent que lui seul il empêche plus de mauvaises actions que toutes

,~

les vertus Il 33. Les arts et les spectacl es servent

a

occuper " hornne et

a

adoucir la douleur de son existence; ils n'ont besoin d'aucune autre justi-fication: ilLe mouvement naturel de 1 'honme est de se li vrer

a

tout ce qui l'occupe. Il 34 La plupart des hommes n'ont qu 1 une ressource contre l'ennui: liSe 1 ivrer aux impressions que les objets étrangers font sur nous. Il 35

31- Michel de Montaigne. Essais, tome l, Ed. M. Rat. Paris, Editions Garnier Frères, 1962, p. 29. ,.

-32- Blaise Pascal. Pensées. Paris, Librairie Fischbacher, 1883, p. 414. 33- Jean-Baptiste Du Bos. Réflexions critiques. l, ii, p. 24.

34- lbi d., 1, i i, p. 25.

35- lb; d. , 1, i , p. 9.

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-Entratn~, emport~ par le mouvement de l'oeuvre qu'il contemple, le spectateur Qublie momantan~ment sa dêtresse. Cependant, du fait que Du Bos juxtapose souvent le plaisir que le spectateur pourrait se procurer devant un beau ta-bleau ou une oeuvre dramatique. et celui qu'il pourrait êprouver

a

un combat de gladiateur ou

a

l'exêcution publique d'un criminel. il devient êvident qu'il cherche le mouvement et l'intensitê pour eux-mêmes. Plus le mouvement est puissant, plus la r~action du spectateur s'intensifie.

Vêritablement l'agitation 00 les passions nous tien-nent (. •

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est si vive. que tout autre ~tat est un ~tat de langueur aurpe~ de cette agitation. Ainsi, nous cou-rons par instinct après les objets qui peuvent exciter nos passions. 36

\

"Notre nature est dans le mouvement" disait Pascal; "le repos entier est la mort" 37. Voil~ ce que Du Bos transfonne en valeur esthêtique. une estht!ti-que qui, paradoxalement: relêgue au second plan tout critêre proprement art1s-tique . , Le "beau" chez Du Bos est d'abord fonctionnel; la valeur

psychologi-r

que de l'êmoi l'emporte sur n'importe quelle autre considération esth~tique. Pour revenir de nouveau

a

la fonnule de Pascal: liCe n'est donc pas l'amuse-ment seul qu'il recherche, un amusel'amuse-ment languissant et sans passion l'en-nuiera." 38 La recherche du plaisir esthétique devient la recherche du pathê-tique. une impulsion instinctive de "homne. et une façon de vivre pour s'~-chapper

a

l'ennui d'une ame en plein repos.

36- Jean-Baptiste Du Bos. R~flexions critiques. I, i. p. 1l.

f7-

Pascal. Pensêes. P.417. 38-

lEi!:..,

p. 413 .

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III- , Retenti ssement sociologique

L'art, quelque soit l'époque 00 on ·1 'observe, n'est jamais l'expres-sion de l'ensemble de la société mais "l'apanage de ceux qui détiennent le pouvoir et la richesse" 39. L'art doit.s'as,tTeindre

a

répondre aux goOts et

a'

la culture de ceux-ci. Il serait inutile d'entreprendre une analyse de la fonction psychologique de l'art chez Du Bos sans s'interroger su'r les desti-nataires d'une telle théorie, sans se demander

a

quel s~ectateur Du Bos

s'a-r

dressait.

Quelque conservateur qu~so~t le ton des "Réflexions critiques", Du Bos était trop mondain pour être insensible

a

l'esprit de réaction qui. pénétrait la société de son temps. C'était une société qui se libérait de l'austérité de la cour de Madame de Maintenon et qui revendiquait ses dro'its

de vivre pleinement, intensément Si les

derni~res années du règne de Lo is nt vu la réhabilitation du plaisir, la Régence l'a porté

a

son paroxysme. La moralité lég~re de la Régence est un fait connu, mais au-deH de la réjouissance physique pure, il s'est établi la moralité du plaisir en général. C'était une conception intellectuelle et philosophique du plaisir qui permettait tout pourvu que les effets n'en soient pas nuisibles

a

la longue: "Le philosophe est celui qui ne se refuse aucun plaisir qui ne produit pas des peines plus grandes et qui sait s'en

fabri-quer." 40 On s' exa ltait des agrêments de l a conversation. du bal. drjeu. de

39- Starobinski. L'Invention de la liberté. P.13.

40- Philip Stewart. lle masque et la parole',r"Raris, Librairie José Corti,u1973, p. 38.

(32)

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tout ce qui produisait des sentiments agrêables 41. Mais il s'agissait d'un plaisir réfléchi qui excluait les vraies passions, car celles-ci ris-quaient de devenir souffrance. Seules les émotions ~ fleur de peau étaient pennises. Pour Du Bos. l'amour est une faiblesse qui ma'ftrise et désespêre l'hOlTlTlE! 42. En rapportant les opinions d'un "po~te très vanté chez une na-tion voisine" avec qui il semble ~tre en parfait accord, Du Bos écrit: "L'amour n'est pas une' pass; on gai e: le véritable amour

L .

~ es t presque toujours chagrin, sombre et de mauvaise humeur. Il 43

,

L'hédonisme de l'époque exigeait qu'on s'amuse sans se laisser pren-dre au jeu, qu'on goQte ~ tous les plaisirs sans en pennettre

a

aucun de de-venir tyrannique. Du Bos et la société de son temps ont bien compris la va-leur culturelle du jeu telle que Huizinga l'analyse:

{,. ~ the consciousness of pl,ay being "only pretendit àoes not by any means prevent i t from proceedi ng with the utmost seriousness, with an absorption. a devotion that passes into rapture and, temporarily at least. cornR1etely abolishes that troublesome "only" feeling

r ..

~ Play. turns to seri ousness and seri ousness to play. Play may rise to heights of sublimity that leave seri ousness far beneath. 44

Chez l'aristocratie cette 'recherche du plaisir prend une allure

presque frénétique durant la Régence. Deux événements, l'un d'ordre politique

41- Mercier. La Réhabilitation de la nature humaine. P. 88. 42- Jean-Baptiste Du Bos. Réflexions critiques. l , xv;i;, p. 148.

43-

-

Ibid., p. 138.

44- Johan Huizinga. Homo Ludens A Study of the play element in culture. Boston t Beacon Press, , 955, p. 8.

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et l'autre d'ordre économique produisent une lêsion profonde au sein de la classe privilégiêe 45 Dans un effort de ramener la participation di-recte des nobles dans le gouvernement, Philippe d'Orl~ans avait pris des

me-sures pour déléguer certains pouvoirs aux membres de l'aristocratie. Celle-ci s'avérant incompétente et indisCelle-ciplinée, on a vu le retour au despotisme de Louis XIV. Pour exacerber la perte du pouvoir politique nouvellement ac-quis, il arrive la faillite du système de Law, désastre êconomique qui a

ruiné bon nombre d'aristocrates, les laissant dêpossédês et déroutê-s. Ayant perdu leur pouvoir r~el, les nobles-se sont repliés sur le:urs privilèges artificiels. La Cour, qui avait consacré ces privilêges ~ perpétuité, s'é-tait fragmentée en plus petites entités 00 la gênéalogie comptait moins que

/

,/ la brillance d'esprit. La société des Salons de Madame de Lambert ou de la duchesse du Maine, ne répugnait pas

a

accueillir des gens de tous'rangs de

la vie pourvu que leur compagnie soit illuminante et stimulante. La bour-geoisie aisée, éprise des mêmes goOts et style de vie que l'aristocratie, était tomMe en proie -au meme ennui et souffrait du ~me besoin de divertis-sement. De curieux liens se sont développés entre ces deux groupes de dê-classés 46 Le désespoir des uns cOtoyait l'optimisme des autres. Tout en se dêtestant. ils êtaient impuissants contre l'attrait irrésistible qu'ils éprouvaient l es uns pour les autres. Au fur et

a

mesure que leurs di fférences externes s'effaçaient, leurs préoccupations internes se ressemblaient. La participation active leur ayant été refusée, ils accordaient aux loisirs une

45· •.

tome 1.

46- Arnold Hauser. The Social History of Art. New York, Alfred A. Knopf,Inc.,

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importance primordiale. Ce n'est pas une cofnc1dence que le thême de "l'en-nui", de la n~cessit~ pour "hollJl1e de s'occuper, revient inlassablement dans les, "r~flexions critiques". Horrrne du monde, homme de lettres, et ecclesias-tique dans un monde qui faisait peu de cas de considérations spirituelles,

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l'abbê Du Bos exprimait les besoins d'une nouvelle élite culturelle qui se fonnait.pour qui les arts étaient bien plus qu'un ornement dans la vie. Qui-conque trouvai t le moyen de penser, de bouger et de senti r, ne serait-ce qu'artificiellement, pouvait se persuader de son existence, fuir l'ennui et le néant.

IV- Art thérapeutique

L'activité intellectuelle extraordinaire et le vive int~r!t pour les arts qui caract~risaient la Régè'nce ne peuvent s'expliquer que.partiellement par les transfonnations sociologiques qui rendaient la lutte contre l'ennui

Cl Q l'occupation principale d'une nouvelle classe aisée et inactive. Du Bos

de-..

vance de plusieurs siêcles les critiques de l'êcole psychanalytique qui accor-dent aux arts une fonction thérapeutique, perrœttant

a

l'holTlJle d'exorciser

\

ses frustrations et ses menaces intérieur • de jouir pleinement

a.

travers l'oeuvre d'art de pass i ons qui sera ient i nto l ement douloureuses dans la réalité. Au-deH du simple besoin de s'occuper, les "Réflexions critiques" êvoquent des besoins psychologiques beaucoup plus. profonds chez le spectateur de l'époque:

On éprouve tous les jours que les vers et les tableaux causent un plaisir sensible; mais il n'en est pas moins difficile d'expliquer en quoi consiste ce plaisir qui res-semble souvent

a

l'affliction, et dont les symptOmes sont quelquefois les mêmes que ceux de la plus vi ve douleur.

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(35)

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"L'art de la Poésie et l'art de la Peinture ne sont jamais plus applaudis que lorsqu'ils ont réussi

a

nous affl i ger . 47

v:û

Du Bos n'est pas le premier

a

avoir parlé de ce plaisir qu'on

éprou-\/

ve devant un spectacle hideux. Saint Auguhin essaie de l'expliquer dans les Confessions:

What i s the reason now tha t a spectator desi res to be made sad when he beholds doleful and tragical passages, which himself could not endure to suffer? Yet for all that he desires to feel a kind of

passionateness, yea, and his passion becomes .his pleasure too. 48

Nicole avait déjA constaté lui aussi que les passions excitées par la tragé-die ne sont pas suivies des mêmes peines que celles qui sont suscitées par

----les passions réell~s 49. Mais pour Saint Augustin et pour Nicole ce genre de plaisir est une perversion dangereuse que la religion et la raison doivent supprimer. A vra; dire toute la psychologie et l'éthique du XVIIe siècle traitent les passions de forces insidieuses qu'il faut vaincr..e par un effort vai llant de la Raison:

47- 48- 49-

50-t '

Seul possède une valeur éthique l'acte qui se rend ma'ttre de ces "perturbations", qui manifeste la victoire de la part active de l'âme sur sa part passive~.J La volonté raisonnée dominant les impulsions des sens, les instincts et les passions, tels sont le signe et l'essen-ce de la liberté de l'homme. 50

Jean-Bapti~te Du Bos. RHlexi ons cri tiques. l, i. p. 1.

Saint Augustine. Saint Au~ustine's Confessions, Trad. William Watts, Tome 1. New York. The acmillan Co ..

1912,

p. lOlo

Pierre Nicole. Traité de la comédie, éd. Georges Couton. Paris, SocitHé d'édition "Les Belles Lettres", 1961, Chap. IV.

Cassirer. La Philosophie des Lumières. P. 128.

(36)

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,Loin de voir les passions comme faiblesse et perversion, la psychologie du dix-huitieme si~cle les revalorise et leur accorde une importance fo~damen­ tale; on y cherche "l'impulsion originaire indispensable de la vie de l'3me" 51. Cette nouvelle attitude vis-3-vis des passions~ on la retrouve chez Du Bos:

Ai nsi nous courons par insti nct apr~s les objets qui peuvent exciter noS passions, quoique ces objets fassent sur nous des impressions qui nous coOtent souvent des nuits inquiètes et des jours douloureux: mais les hommes en g~néral souffrent encore plus 11 vivre sans passions, que les passions ne les font souffrir. 52

On sent néanmoins que cette acceptation de la nécessité des p~ssions se fai t 11 regret. Du Bos, corrme ses contemporains, méprisai t les grandes passions dans un effort d'~viter les souffrances qui les suivaient inévita-blement. Qu'on trouve comme solution de s'adonner au libertinage, qui tour-nait en ridicule les passions profondes car elles devenaient obsessionnelles et empêchaient qu'on goOte ~ d'autres plaisirs. ou 3 la morale bourgeoise qui cherchai t le bonheur dans la modêrati on ("Le bonheur fini t ot! commence

le désir; il dépend de ne rien souhaiter" 53), on assiste au début du dix-huitième siècle au phénomêne de la disparition des grandes passions. On se trouvait dans une impasse: il s'agissait ou bien de souffrir des passions, ou bien de souffrir de leur absence. C'est dans ce contexte qu'on peut

par--.

1er de la théorie de l'art thérapeutique de Du Bos.

51- Cassirer. La Philosophie des Lumières. P. 128.

52- Jean-Baptiste Du Bos. R~flexions critiques. I, i, pp. 11-12. 53- Pierre-Jacques Brillon. Le Théophraste mOderne~ ou Nouveaux

Caractères sur les moeurs. Parls,

Brunet, l 00,

p.

461.

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Il serai t trop simpliste de vo; r chez Du Bos uniquement 11

t!labora-•

ticn de la théorie d'Ari stote qui se résume par la fonnule de_Ja "purgation des passions". Du Bos s'en inspire, certes, mais il y a une sérieuse diffê-rence

a

souligner. Aristote insiste beaucoup sur le critère moral dans le choix des plaisirs: "Dès lors le plaisir propre d'une activité excellente est moralement bon, le plaisir propre d'une activité mauvaise est moralement mauvais." 54 Quant aux arts, on ne doi t jamais viser au hasard le plaisir, mais l'artiste doit chercher avant tout ~ créer des oeuvres édifiantes et moralement acceptables. Du Bos, au contraire, écarte les considérations éthiques pour développer une esthétique qui cherche le pathétlque pour lui-même. Lombard suggêre que Du Bos aura; t ajouté dans un autre chapi tre que

"purger les passions" voulait dire "les corriger en faisant voir leurs con-séquences funestes" pour j usti fi er ses théori es sur le thédtre devant la morale 55. Quoi qu'il en soit, il est certain que la théorie de Du Bos dê-passe la fomule d'Aristote pour rejoindre la critique psychanalytique con-temporaine. Sans doute Du Bos était-il convaincu que les excês possibles engendrés par sa théori e se prouveraient moi ns dangereux que " atrophie êmo-tive qui affligeait les honmes de son temps.

Dans un monde où. pour éviter les conséquences pénibles du sentiment vrai, hommes et femmes se livraient

a

un jeu élégant d'émotions feintes et de mensonges raffinés, 00 chacun se rivalisait d'hypocrisie, comment pourrait-on

54- Aristote. Le Plaisir, éd. Festugi~re. Paris, Librairie philosophi-que J. Vrin,

1946,

p. 37.

(38)

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.• 33 •

s'étonner que les arts s'érigent en substitut aux vraies passions, qu'ils se constituent conme une sorte d'espace neutre 00 l'on pouvai t laisser tomber les masques et laisser emporter sa sensibilité en toute sécurité, sachant que la douleur que " oeuvre pourrait occasi onner ne sera; t que passagêre:

Le plaisir qu'on sent ~ voir les imitations que les Peintres et les PoHes sçaven t fa; re des objets qui auroient exci té en nous des passions dont , a réalité nous auroit été

a

charge. est un plaisir pur. Il n'est pas sui vi des i nconvêniens dont les émotions séri euses qui auro; ent été causée s par " objet même, seroi ent accompagnées. 56

1

Le "Massacre des Innocens" de Le Brun "excite notre imagination sans nous affliger réellement" 57 La mort de Phèdre dans la pièce de Racine "nous émeut et nous touche sans laisser en nous la semence d'une tristesse dura-ble" 58. Le sentiment devient un acte esthétique. On vit par des émotions empruntées avec lesquelles on joue provisoirement et

a

volonté. se sentant curieusement soulagé aprês.

Ou Bos n'aurait pas pu se rendre compte de la portée de sa thêor1e. Il était conscient qu'il y avait quelque chose de quasi magique dans l'attrait du pathHique:

Un channe secret no~s attache donc sur les ; mi ta-ti ons que l es peintres et les poètes en sçavent faire,

56- Jean-Baptiste Du Bos. Réflexions critiques. I, i;1, p. 29. 57- Ibid., p. 30.

58- Ibid ..

,

1

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