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Relation entre les attitudes des parents et des enseignantes envers le français et les langues nationales ivoiriennes, et la compétence en français des enfants d'âge préscolaire en Côte d'Ivoire

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Academic year: 2021

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R e l a t i o n e n t r e l e s a t t i t u d e s des p a r e n t s e t des e n s e i g n a n t e s e n v e r s l e f r a n ç a i s e t l e s l a n g u e s n a t i o n a l e s i v o i r i e n n e s , e t l a compétence en f r a n ç a i s des e n f a n t s d ' â g e p r é s c o l a i r e en Côte d ' i v o i r e

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THÈSE

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PRESENTEE A l ■Ec o l e d e s g r a d u e s DE L ' U N I V E R S I T E LAVAL POUR L' OBTENTION DU GRADE DE M A I T R I S E ES ARTS ( M . A . ) par BEATRICE GRAH-GASSO M a î t r e ès S o c i o l o g i e U n i v e r s i t é d ' A b i d j a n Côte d ' I v o i r e DECEMBRE 1986 (C) D r o i t s r é s e r v é s de B é a t r i c e G r a h - G a s s o 1986

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Cette étude vise à établir s'il existe une relation entre les attitudes des parents et celles des enseignantes envers les langues nationales ivoiriennes, et la compétence en français, langue de l'école, chez les enfants de la maternelle. Le Peabody Picture Vocabulary Test (PPVT) (version française adaptée) a servi à mesurer la compréhension du français de 140 sujets de 4 à 5 ans de 10 maternelles ivoiriennes. Leurs parents et leurs enseignantes ont répondu à des questionnaires d'attitudes envers les langues nationales ivoiriennes et le français. Les résultats ont confirmé l'hypothèse d'un lien positif entre les attitudes favorables des parents envers les langues ivoiriennes et un score élevé des enfants au PPVT. Le petit nombre des enseignantes (10) n'ayant pas permis de vérifier statistiquement la même hypothèse les concernant une analyse descriptive en a été faite. Les résultats n'appuient pas l'hypothèse d'un lien entre les attitudes positives envers les langues ivoiriennes et les mêmes attitudes envers le français chez les parents. Les variables de l'âge et du sexe n'ont pas d'influence contrairement au niveau socio-économique.

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L ' a u t e u r e d é s i r e r e m e r c i e r sa d i r e c t r i c e de t h è s e , Madame M a d e l e i n e B a i l l a r g e o n , p r o f e s s e u r e t i t u l a i r e à l a F a c u l t é des s c i e n c e s de l ' é d u c a t i o n de l ' U n i v e r s i t é L a v a l , pour son a s s i s t a n c e e t sa t r è s g rande

d i s p o n i b i l i t é . Nos r emerciements v o nt égal ement à Madame J o s i a n e Hamers,

p r o f e s s e u r e t i t u l a i r e à l a F a c u l t é des l e t t r e s e t c h e r c h e u r e au Centr e i n t e r n a t i o n a l de r e c h e r c h e s u r l e b i l i n g u i s m e ( C . I . R . B . ) , qui a assumé l a t âche de c o n s e i 11 ère.

Nous a i m e r i o n s f i n a l e m e n t p r o f i t e r de l ' o c c a s i o n pour e x p r i m e r

t o u t e n o t r e r e c o n n a i s s a n c e à n o t r e époux A p p o l i n a i r e Gasso p our sa

compr éh en si on e t son c o n t i n u e l s u p p o r t moral au c o u r s de c e t t e r e c h er c he . Nous n ' o u b l i o n s pas non p l u s n o t r e c o l l è g u e Marc L é t ou rn ea u du s e r v i c e d ' a i d e à l a r e c h e r c h e de l a F a c u l t é des s c i e n c e s de l ' é d u c a t i o n pour sa s é r i e u s e c o l l a b o r a t i o n .

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Résumé ... i

Avant-propos ... ii

Table des matières ... i i i Liste des tableaux ... iv

Liste des figures ... .. ... v

Introduction ... 1

Chapitre premier: Aperçu historique du problème des langues en Côte d'ivoire et cadre spécifique de recherche ... 4

- Problème des langues dans l'éducation préscolaire ivoirienne .... 5

- Situation socio-linguistique en Côte d'ivoire ... 15

- Cadre théorique: influence des facteurs socio-psychologiques en éducation et développement de la bilingualité chez l'enfant d'âge préscolaire ... 22

- Présentation des hypothèses de recherche ... 44

Chapitre deuxième: Méthodologie et description de l'expérience ... 46

- Présentation des hypothèses et des définitions opérationnelles des variables ... 47

- Les sujets ... 48

- Les instruments de mesure ... 52

- Le déroulement de l'expérience ... 57

Chapitre troisième: Présentation et analyse des résultats ... 59

- Caractéristiques des sujets ... 60

- Analyse des hypothèses ... 75

- Interprétation et discussion des résultats ... 83

- Les limites de l'étude ... 87

Chapitre quatrième: Implications pédagogiques des résultats, recherches ultérieures possibles et conclusion ... 89

Références ... 94

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50 51 61 62 63 67 70 72 72 74 76 77 79 81 Représentation des sujets par établissement et

par catégorie socio-économique ... Représentation des sujets par sexe et par âge ... Niveau socio-économique selon l'occupation et le niveau d'étude des parents ... Situation socio-économique des parents selon leur profession et leur niveau d'étude ... Représentation des enseignantes selon leur âge et leur niveau d'étude ... Présentation synoptique de l'analyse d'items du ques­ tionnaire des parents concernant les attitudes envers les langues nationales ivoiriennes ... Présentation synoptique de l'analyse des items con­ cernant les attitudes envers le français ... Résultats au test de Peabody selon le niveau socio- économique du groupe ... Différence des résultats au test de Peabody selon les lettres Duncan ... Résultats au test de Peabody selon l'âge moyen par groupe ... Scores à l'échelle des attitudes des parents face aux langues nationales ivoiriennes et résultats des

enfants au test de Peabody par groupe... Réponses des enseignantes aux questions 13 et 14 .... Scores à l'échelle des attitudes des enseignantes face au français et aux langues nationales ivoiriennes et résultats des enfants au test de Peabody par groupe .. Scores à l'échelle des attitudes des parents face au français et aux langues nationales ivoiriennes et résultats des enfants au test de Peabody par

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Figure 1: La Côte d'ivoire et ses pays voisins ... 6 Figure 2: Carte des principales langues de la Côte d'ivoire ... 17 Figure 3: Présentation du cadre théorique ... 41

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L'intérêt de cette étude trouve son origine dans les quelques années d'enseignement que nous avons passées avec les enfants d'âge pré­ scolaire. Nous avons constaté le rôle important de la langue comme moyen

de communication dans le système éducatif. Or, comme le définit Emile

Durkeim, «L'éducation est l'action exercée par les générations adultes sur celles qui ne sont pas encore mûres pour la vie sociale. Elle a pour but de susciter et de développer chez l'enfant un certain nombre d'états physiques intellectuels et moraux que réclament de lui la société dans son ensemble et le milieu social auquel il est particulièrement destiné (1966, p. 23) *.

En Côte d'ivoire, la langue d'éducation est le français, langue

officielle mais langue exogène. Loin d'être éduqué dans sa langue

maternelle, l'enfant se voit placé à l'école dans un milieu où il doit faire un double effort, celui de s'intégrer à son nouveau milieu qui est différent de sa famille mais aussi celui de comprendre la langue d'ensei­ gnement s'il provient d'un milieu où le français n'est pas la langue de communication. Cela engendre des difficultés qui peuvent parfois aller jusqu'à une absence de communication, qui est vécue par certains enfants lorsqu'ils se trouvent en face d'une enseignante qui leur parle une langue différente de celle qu'ils parlent habituellement. C'est Bernstein (1961, 1975a, 1975b, voir Clément et Hamers, 1979) qui le premier a fourni un cadre théorique nécessaire à la formulation de cette hypothèse qui dit qu'il y a une relation entre le milieu social et le développement linguistique. Pour Bernstein, il y a une différence de langage entre les enfants de niveaux socio-économiques différents; et cette différence est à * Définition faite en 1898 et reprise en 1966 dans «Education et

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l'origine de celle de la réussite scolaire entre les enfants des milieux bourgeois et ouvriers. Cependant, si nous ramenons cette hypothèse à notre cas, on pourrait ajouter que dans le contexte ivoirien le problème est d'autant plus grave qu'il se pose à des enfants qui reçoivent à l'école leur éducation dans une langue exogène, le français, ce qui cause d'énormes difficultés.

Or, en ce qui concerne l'éducation scolaire, Halliday (1973) annonce, à propos de l'échec scolaire subi par l'enfant défavorisé au plan de l'expression orale et écrite, qu'il provient d'une inadéquation fondamentale entre ses capacités linguistiques et les demandes qui sont faites à son égard. Ceci nous pousse à reconnaître que l'emploi, dans le milieu éducatif ivoirien, de la langue française est pour l'enfant de 3 à 5 ans un obstacle souvent difficile à surmonter, et pour l'enseignante de ce premier échelon éducatif une des causes principales de difficultés. L'enfant qui arrive au préscolaire se trouve plongé dans un milieu doublement étranger à cause de l'école d'une part et de la langue d'autre part. Nous affirmons avec Poth (1979) que «l'enfant est placé dans les premiers jours de sa scolarité dans une situation de déséquilibre affectif dû à l'évidente discontinuité entre le milieu familial sécurisant et l'univers scolaire étranger» (p. 15). Ceci est d'autant plus vrai si on lui retire en plus brusquement le support d'une langue familière pour acquérir et maîtriser un monde inconnu dans lequel régnent le parole et l'écriture. Ce n'est pas étonnant qu'il soit dans une condition délicate de frustration et de difficulté d'adaptation.

Ces difficultés rencontrées par l'enfant d'âge préscolaire

seraient principalement d'ordre linguistique mais, puisque le

développement cognitif d'un enfant est lié à son environnement socio-affectif c'est-à-dire à l'attitude de ses pairs, il nous a semblé nécessaire de voir quelles sont les attitudes des principaux intervenants face aux langues dans l'éducation de l'enfant.

L'objectif de cette étude vise d'abord à établir quelle relation existe entre les attitudes des enseignantes et celles des parents face aux

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langues nationales ivoiriennes et la compétence en français langue d'enseignement chez les enfants. En second lieu, nous voulons voir s'il existe une relation entre les réactions socio-affectives marquées par l'apprentissage de la langue seconde et celles suscitées par l'apprentis­ sage de la langue maternelle (Clément et Hamers, 1979). Mais, étant donné que ce sont les processus socio-psychologiques du milieu culturel de l'enfant qui vont l'amener à la compétence dans une langue et puisque le développement de la langue seconde est lié à la valorisation de la langue première, nous posons l'hypothèse de l'interdépendance culturelle et affective. Cela signifiera que les parents et les enseignantes qui auront une attitude favorable envers les langues nationales ivoiriennes auront également une attitude favorable envers le français, ce qui favorisera la

compétence en français langue seconde chez leurs enfants.

Pour atteindre notre objectif, nous présenterons dans un premier chapitre deux parties: une première intitulée problème des langues dans l'éducation préscolaire ivoirienne et une deuxième appelée cadre théorique où nous exposerons l'influence des facteurs socio-psychologiques en éducation et le développement de la bilingualité chez l'enfant d'âge préscolaire. Alors que la première partie situe le problème, la deuxième partie présente la théorie. Dans le deuxième chapitre, nous expliquerons la méthodologie adoptée pour mener à bien notre recherche, tandis que dans le troisième chapitre, nous commencerons par la présentation et l'analyse de nos résultats pour terminer par la discussion qu'ils soulèvent.

Le quatrième et dernier chapitre présentera la conclusion dans laquelle nous exposerons les propositions que la recherche conduit à faire quant à l'utilisation de la langue nationale comme support de l'enseignement au préscolaire.

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APERÇU HISTORIQUE DU PROBLEME DES LANGUES EN COTE D ' I V O I R E ET CADRE S P E CI F I QU E DE LA RECHERCHE

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PROBLEME DES LANGUES DANS L'EDUCATION PRESCOLAIRE IVOIRIENNE

Ce chapitre comporte deux parties. Dans la première partie, intitulée problème des langues dans l'éducation préscolaire ivoirienne,

nous présenterons le pays. Nous parlerons d'abord de sa situation

géographique et socio-culturelle et de ses différents types d'éducation (traditionnelle, moderne et préscolaire), puis de sa situation socio- linguistique, de son multilinguisme, du statut des langues et de leur place dans l'enseignement. Dans la deuxième partie, nous présenterons notre approche théorique. Nous y définirons les concepts du bilinguisme et de l'attitude et nous parlerons également du bilinguisme africain. Nous terminerons ce chapitre par la présentation de nos hypothèses de recherche.

Situation géographique de la Côte d'ivoire

Située en Afrique Occidentale, la Côte d'ivoire est limitée à l'est par le Ghana (ex-colonie britannique), à l'ouest par la Guinée (ex-colonie française) et le Liberia (ex-colonie britannique), au nord par le Mali et le Burkina Faso (ancienne Haute-Volta) toutes deux des ancien­ nes colonies françaises, et enfin au sud par l'Océan Atlantique et le Golfe de Guinée (voir figure 1). La population compte environ 9 797 000

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habitants centrés sur une superficie de 322 000 km . En ce qui concerne sa colonisation, Attin Kouassi (1972; voir Yapi, 1977) affirme que «la Côte d'ivoire, comme tous les Etats qui ont subi la pénétration française ou anglaise, n'a pas échappé au joug de la colonisation. C'est le décret du 10 mars 1893 qui l'a érigée en colonie française ...» (p. 2).

L'année 1960 a été celle des indépendances pour la plupart des républiques africaines issues de l'empire colonial. A l'indépendance, en même temps que chaque pays se dotait d'un système économique, il essayait soit de se doter d'un nouveau modèle culturel, soit de garder l'ancien, c'est-à-dire le modèle de type traditionnel.

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G nÀVrüloo (V J^cru-C-i. n m i : b!, $b,<A^a^ G,t^f)Hù. Laiw-u ^cxV <î«yi^ t tflH

Figure 1: La C5te d'ivoire et ses pays voisins

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En Côte d'Ivoire, le modèle culturel choisi est celui de l'occi­ dent. Ce qui n'a pas manqué de créer des problèmes, dont deux fondamen­ taux:

le premier, c'est la manière dont les valeurs culturelles,

d'inspiration occidentale, sont vécues et ce qu'elles représen­ tent pour la Côte d'ivoire;

le second, c'est la langue dans laquelle elles sont véhiculées. Pour justifier son entreprise, le colonialisme puise dans sa théorie de la supériorité, comme le rapporte Calvet (1974) lorsqu'il affirme que le colonisateur est le conquérant venu du nord pour apporter la civilisation à un peuple inférieur. Puis Houis (1971; voir Calvet,

1974) ajoute ceci: «La langue française, imposée comme langue de

civilisation en Afrique occidentale française, justifie l'exclusivité du

français dans l'enseignement ...» (p. 38).

Tout ceci montre à quel point l'impérialisme ne se résume pas à

un phénomène économique mais s'étend aux facteurs culturels et plus précisément linguistiques. Cette exclusivité linguistique de la langue française, langue exogène, montre que le peuple ivoirien reste encore dépendant. Comme l'affirme Calvet (1974, p. 137), «la libération d'un

peuple consiste aussi à libérer sa parole». C'est dans ce contexte

socio-culturel et linguistique, où seul le français, langue exogène, est imposé, contrairement aux langues africaines dévalorisées, que se situe le problème d'adaptation et de communication que vit l'enfant du préscolaire.

Les problèmes d'adaptation et de communication que rencontrent les enfants du préscolaire découlent de la situation socio-culturelle de la Côte d'Ivoire.

Situation socio-culturelle de la Côte d'ivoire

Sur le plan socio-culturel, la Côte d'ivoire, comme tous les

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socio-culturelle à deux niveaux à l'indépendance. La société ivoirienne s'est vue divisée, d'un côté, en une société traditionnelle rurale qui reste encore attachée à la culture africaine et, de l'autre côté, en une société moderne urbanisée qui n'est pas très différente des sociétés occidentales.

Cette problématique du choix culturel réside dans l'occidenta­ lisation de la société ivoirienne et l'existence de la société tradition­ nelle villageoise. Dans l'histoire sociale de la Côte d'ivoire, ces deux cultures jouent un rôle essentiel.

L'une, culture populaire villageoise, qu'on peut qualifier de traditionnelle, caractérise les centres ruraux du pays. Cette culture populaire est héritière de la culture africaine. Au sein de celle-ci, toutes les activités sont régies par les lois coutumières. La famille y est étendue, c'est-à-dire qu'elle inclut parents, enfants, oncles, tantes, cousins, grands-parents, contrai rement à la famille restreinte qui, elle, se limite aux parents et à leurs enfants. La société traditionnelle respecte les contraintes sociales et ancestrales.

La seconde culture est la culture urbaine, qui s'apparente à la culture occidentale. Cette dernière a des répercussions sur les princi­ paux éléments de la vie africaine. C'est une culture moderne qui s'ins­ pire de celle des sociétés modernes occidentales. Toutes les activités sont régies ici par le système capitaliste, c'est-à-dire la loi de l'offre et de la demande. L'appareil éducatif, l'école, dispense son enseignement dans la langue française, ce qui a pour conséquence des difficultés d'adaptation chez les élèves, d'autant plus que l'école s'inspire du système éducatif et des différentes réformes de l'enseignement de l'ancienne mère patrie, la France. En conséquence, par l'école et la langue de l'école, l'élève se voit coupé de son milieu familial et de ses réalités quotidiennes s'il ne parle pas cette langue exogène au départ. Ce n'est pas seulement dans l'appareil éducatif que cette répercussion de la culture occidentale peut se voir. La famille, élément essentiel, sinon unique de la tradition africaine, n'est pas épargnée. Elle a été particu­ lièrement modifiée dans sa conception. D'abord, la monogamie s'installe

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avec la publication du code civil de 1964. La famille, en se modernisant, devient nucléaire, c'est-à-dire restreinte, n'étant plus composée que du père, de la mère et des enfants.

Face à ces deux caractéristiques de la société ivoirienne, comment l'enfant reçoit-il son éducation?

L'éducation de l'enfant en milieu traditionnel

Dans le contexte traditionnel, l'éducation d'un enfant est l'affaire de tous, c'est-à-dire de tous les membres du clan ou de la communauté. A ce sujet, Abdou Moumouni (1967) affirme que de nombreux faits montrent l'importance accordée à l'éducation. Tout d'abord, les parents et la famille ont un sens aigu de leurs responsabilités dans ce domaine, non seulement vis-à-vis de l'enfant, mais aussi vis-à-vis de la collectivité tout entière qui est en liaison étroite avec la structure tribale, clanique ou même ethnique de la société africaine traditionnelle. C'est la collectivité tout entière qui se sent, se considère comme, ou est jugée responsable de l'éducation: cela se traduit par le fait que toute

la collectivité y prend effectivement part. Dans cette éducation

traditionnelle, une place de choix est réservée à la maîtrise de la langue avec les palabres, les récits, les contes et les légendes. D'une façon tout à fait générale, l'éducation traditionnelle se poursuit graduellement à travers différentes étapes et fait appel à différents moyens adaptés à chacune d'elles.

Tout au long de la première enfance, c'est-à-dire de la nais­ sance à six ans, c'est principalement la mère qui est chargée de l'éduca­ tion de l'enfant; c'est auprès de sa mère que l'enfant prononcera ses premiers mots et apprendra à nommer les choses qui l'entourent. Quant au père, il a très peu de rapports avec les enfants aux cours des premières années. A partir de six à huit ans, selon le sexe de l'enfant, la mère (dans le cas d'une fille) ou le père (dans le cas d'un garçon) assure l'essentiel de l'éducation. Enfin, dès que l'enfant est assez grand pour sortir de la maison familiale, son éducation dans une large mesure devient l'affaire de tous.

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Mais que devient l'enfant dans le contexte moderne et urbain où l'essentiel de l'éducation est assuré par l'école?

L'éducation de l'enfant en milieu moderne

Dans le contexte moderne, l'éducation de l'enfant est davantage

assurée par l'école. Cette école a pris très vite naissance en Afrique. Denise Bouche (1974) affirme que les Français se sont fait très tôt une haute idée de la valeur de leur civilisation: «France, mère des arts, des armes et des lois» disait déjà un poète au XVIe siècle. Ancienne, la vocation pour la mission civilisatrice a revêtu des formes variables selon les possibilités de l'idéologie. Pour la France, dont le but de cet enseignement était (Colonel Schmaltz, 1818; voir Denise Bouche, 1974) «d'amener les habitants indigènes à la connaissance et à l'habitude et d'associer par elles l'étude de notre langue, celles des notions élémen­ taires les plus indispensables, leur inspirer le goût de nos biens et de notre industrie» (p. 308).

La naissance de l'école est aussi due au fait qu'après la

conquête coloniale de l'Afrique, l'impérialisme passe par la période de

l'administration et de l'exploitation économique des colonies. C'est

alors que, devant la nécessité d'un encadrement des indigènes par les

auxiliaires autochtones dans les rouages de l'administration coloniale, se pose le problème de leur formation. En conséquence, dès 1903, il a fallu instaurer un enseignement colonial et élaborer une doctrine coloniale en matière d'enseignement et d'éducation. L'enseignement était organisé en différents niveaux ou secteurs dont l'enseignement primaire élémentaire, l'enseignement professionnel, l'enseignement primaire supérieur et

commercial ainsi que l'enseignement des filles. A cette époque, on

s'aperçoit qu'il n'était pas encore question de l'enseignement préscolaire

bien qu'existant déjà en France depuis 1887. En Côte d'ivoire, sa

création date seulement de 24 ans: ce fut l'arrêté no 23 du 21/8/1962 qui l'autorisa officiellement.

A cette époque coloniale, l'enseignement était tout entier dispensé en français. Non seulement, il était interdit aux maîtres de

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faire appel aux langues africaines, mais les élèves eux-mêmes étaient menacés de sanctions disciplinaires quand ils s'exprimaient en langue

maternelle dans l'enceinte de l'école. Le texte du 10/5/1924, article 64

dit ceci: «Le français est seul en usage dans les écoles. Il est inter­

dit aux maîtres de se servir avec leurs élèves des idiomes du pays».

C'est pourquoi nombreux sont les Africains qui, enfants, ont connu la hantise du «symbole» qui circulait toute la journée de main en main pour échouer en fin de classe dans celle de l'élève que le sort aura désigné aux coups et aux gifles du maître. A ce propos, Moumouni (1967) ajoute

qu'il serait erroné, voire dangereux, de sous- estimer l'influence qu'a exercée en son temps, que continue à exercer encore aujourd'hui et que continuera à exercer pendant une période vraisem­ blablement assez longue, l'enseignement colonial sur tous les aspects de la vie et de l'évolution des pays d'Afrique Noire (p. 52).

Même après 83 ans, dans la mesure où nous sommes en 1986 et que cette influence a commencé en 1903, date des débuts de l'école en Côte d'ivoire, cet enseignement colonial continue d'exercer encore son influence à tous les niveaux, même au préscolaire.

L'éducation préscolaire en Côte d'ivoire

Cette institution, autre héritage du colonialisme français, a pris d'abord naissance dans les villes avant de s'étendre peu à peu dans tout le territoire. Elle fut d'abord créée pour des besoins sociaux plutôt que pédagogiques. En France, sa naissance remonte au début du 19 siècle avec les salles d'asile. C'est sous la Troisième République (fin 19 siècle), comme le soulignent Herbinière-Lebert et Charriet (1966), que l'expression «école maternelle» a été retenue, marquant une évolution vers une vocation plus pédagogique. La finalité de celle-ci, tantôt garderie, tantôt école primaire, ne s'est elle-même modifiée que très lentement avant de devenir celle que nous connaissons aujourd'hui: une institution à part entière, qui est le premier palier du système français de l'éducation nationale.

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En ce qui concerne la Côte d'ivoire, quelles sont les conditions

qui ont favorisé la création des institutions préscolaires?

Elle ne sont pas différentes de celles qui ont présidé à la

création de l'institution en France. Herbinière-Lebert et Charriet (1966) soulignent que «c'est le travail des mères dans les manufactures du 19e siècle qui est la cause profonde du phénomène - l'enfant à l'école, c'est aussi en même temps la femme à l'atelier» (p. 9).

En Côte d'ivoire, avec l'implantation coloniale française, il y a eu une mise en place d'éléments urbains. Cette urbanisation a eu pour conséquence un changement démographique, ce qui a favorisé les déplace­ ments et le contact entre le monde rural et le monde urbain. Ceci

entraîne l'effondrement des structures sociales et des principes de

l'économie rurale, qui, autrefois, étaient fondés sur la parenté ou le

lignage. Ces derniers ne sont plus opérants dans le nouveau système économique basé sur l'accumulation matérielle et financière. Ainsi, les structures sociales traditionnelles vont battre en retraite, au profit d'une immense désorganisation qui les affecte. La famille devenue res­ treinte ne permet plus la présence des grands-parents et des parents collatéraux qui, autrefois, aidaient à la surveillance des enfants.

Cette modification de la cellule familiale n'est pas seulement

causée par la diminution de ses membres, mais aussi par les changements considérables de leurs rôles. Les femmes mariées sont de plus en plus

nombreuses à rejoindre leur époux sur le marché du travail dans les

bureaux ou les entreprises. Ce fait est essentiellement dQ à des raisons économiques, l'augmentation du coût de la vie faisant que les revenus du seul mari sont devenus insuffisants.

Dans ce nouveau contexte social, on peut alors se demander ce que devient l'enfant. Comme le souligne Breese (1969), «c'est l'enfant qui souffre le plus des effets de rupture du cadre familial traditionnel. Ce monde lui est hostile. La conjoncture économique oblige le père comme la mère à travailler à l'extérieur de la cellule familiale, donc à se détacher de lui la plupart du temps» (p. 126).

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Le résultat c'est qu'un besoin d'éducation préscolaire s'est

fait sentir, surtout à cause de la réduction de la famille, qui jadis

était formée de trois générations d'individus. Tout ceci ne rend plus possible la continuation de l'éducation informelle de type communautaire. Les grands-parents n'ont plus la même possibilité de s'occuper de leurs petits-enfants, lorsque les parents de ceux-ci travaillent tous deux et loin d'eux à la ville.

En conséquence, la nouvelle société de consommation engendrée par l'urbanisation croissante et l'économie marchande a trouvé un moyen pour faire face aux besoins d'encadrement des enfants dont les parents travaillent. Le moyen qu'elle a retenu pour venir en aide aux ménages a été 1 'institutionalisation des établissements préscolaires.

Quels sont les buts institutionnels de ces établissements, quels sont leur finalité et leurs objectifs?

Objectifs et buts de l'éducation préscolaire en Côte d'ivoire

Si l'urbanisation rapide de la Côte d'ivoire a amené le gouver­ nement ivoirien à créer des établissements préscolaires, il faut toutefois rappeler que ceux-ci existaient bien avant les «indépendances» africaines. Ils étaient destinés à recevoir les enfants des colons et des assimilés français. Nous pouvons citer le cas de l'orphelinat de la ville de Bingerville qui accueillait surtout les enfants métis dont les pères étaient rentrés en France. Il y avait aussi le Cercle de la R.A.N. (Régie Abidjan-Niger) à Abidjan Plateau. C'est seulement après l'indépendance du pays que les établissements préscolaires prendront plus d'importance et deviendront une réalité socio-éducative. Ceci s'explique aussi par le fait qu'il fallait promouvoir l'éducation dans son ensemble.

Les établissements préscolaires se regroupent en deux catégories:

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les crèches qui ont pour objet de garder, pendant la journée, les enfants bien portants ayant moins de trois ans accomplis. Les enfants y reçoivent les soins d'hygiène exigés par leur âge; les garderies et les jardins d'enfants qui ont pour objet de garder pendant la journée les enfants bien portants de trois à cinq ans et de leur donner les soins exigés par leur âge. Les

jardins d'enfants assurent, en outre, le développement des

capacités physiques et mentales des enfants par des exercices et des jeux en vue de leur insertion dans le cycle d'enseignement primai re.

Sur le plan institutionnel, les différentes catégories d'éta­ blissements sont sous la tutelle du Ministère des Affaires sociales (M.A.S.). Celui-ci regroupe, en son sein, des établissements publics et des établissements privés. Les jardins d'enfants ont une vocation péda­ gogique. A l'origine de sa création, par l'arrêté n° 23 du 21 août 1962 qui autorise officiellement la création des jardins d'enfants publics en Côte d'ivoire, les jardins d'enfants étaient une entreprise exclusivement sociale, au profit des enfants de trois à six ans. Ils accueillaient les enfants débiles souffrant de malnutrition et les enfants des familles qui ne bénéficiaient pas d'un minimum de ressources. Mais, à partir de 1976, des modifications sont apportées à ces finalités sociales. Effectivement,

en 1976, la charte fonctionnelle du Ministère des Affaires sociales

assigne aux jardins d'enfants une fonction éducative prééminente sur la fonction de garderie. Ils deviendront un centre de formation de l'enfant

en vue de son insertion scolaire et sociale. Les jardins d'enfants

privés, qui se développaient parallèlement à ceux du réseau public,

connaissaient cette fonction éducative. Le but de l'institution

préscolaire est de développer chez les enfants une individualité et une joie de vivre, de faire d'eux des individus aptes à s'intégrer dans la collectivité dont ils sont membres. En Côte d'ivoire, ce que l'éducation préscolaire vise, c'est le développement des facultés mentales, affectives, sensori-motrices de l'enfant en vue de son insertion sociale et scolaire.

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En Côte d'ivoire, les institutions préscolaires fonctionnent comme en France. Les enfants sont répartis en trois groupes selon l'âge. Les enfants dont l'âge est compris entre deux et trois ans s'épanouissent en petite section. Le second groupe, âgé de trois à quatre ans, évolue en moyenne section. Le troisième groupe englobe les enfants âgés de cinq à six ans qui se trouvent en grande section. S'inspirant du système éduca­ tif et des différentes réformes de l'enseignement français, l'institution préscolaire fonctionne avec un matériel didactique conçu en France. La langue d'éducation est le français. L'une des conséquences, c'est qu'on voit surgir des difficultés langagières chez les jeunes enfants à qui il faut un effort considérable pour communiquer dans une langue exogène, surtout si dans leur milieu le français n'est pas la langue d'usage. En effet, l'enfant peut être issu d'un milieu où l'on parle les langues endogènes, c'est-à-dire les langues ivoiriennes telles que: le baoulé, l'ébrié, le dioula, etc. La Côte d'ivoire est un état multilingue. C'est ce que nous allons voir dans la partie qui va suivre.

SITUATION SOCIOLINGUISTIQUE EN COTE D'IVOIRE

Le découpage arbitraire du continent africain entre les puis­ sances impérialistes (Angleterre, Allemagne, France) qui a précédé la conquête et la domination coloniales des territoires colonisés par ces

différentes puissances ne correspond à aucune unité linguistique. Les

Etats de l'Afrique Noire contemporaine, nés sur cette base, ont donc eu à faire face à des problèmes linguistiques, qui ont été aggravés du fait de la politique du «diviser pour régner» et de 1'étouffement systématique des langues africaines. Les conséquences de cette diversité du traitement des problèmes culturels par les différentes puissances impérialistes ont

encore ajouté d'autres éléments de complexité, avec un inégal

développement de la langue selon la puissance coloniale et selon la région où elle était parlée. C'est ce qui explique pourquoi la Côte d'ivoire

constitue un véritable carrefour linguistique. Pour cela, comme le

souligne Suzanne Lafage (1983), «tenter de faire une description sommaire de cette situation est une entreprise malaisée, car les auteurs des

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travaux portant sur cette zone ne semblent d'accord ni sur l'identification des groupes ni sur le nombre d'ethnies et de langues» (p. 137).

Les langues

La langue officielle de la Côte d'ivoire est le français. Reconnaissons avec Suzanne Lafage (1983) «qu'il existe environ 65 ethnies qui ont une importance démographique très différente puisque certaines dépassent ou avoisinent le million d'individus, d'autres n'en totalisent que quelques milliers» (p. 138). Cependant, on peut affirmer qu'il y a au moins une cinquantaine de langues nationales, dont les principales sont le dioula (nord), le baoulé (centre), le bété (centre-ouest)(voir figure 2). En plus de ces ethnies, on constate qu'une importante partie de la population est d'origine étrangère: Ghanéens, Maliens, Burkinabés

(Voltaïque) ainsi que Syriens et Européens. Les ethnies de la Côte

d'ivoire peuvent se regrouper en quatre grands groupes, qu'on retrouve également dans les pays voisins: Mandé, Voltaïque, Krou, Akan.

Le groupe Mandé comprend:

Les Mandés du sud: Dan (ou Yacouba) et Lesioura qui habitent dans la région montagneuse de la ville de Man, et le Gouro, à cheval sur la forêt et la savane forestière entre les fleuves Bandama et Sassandra. A ces ethnies s'ajoutent d'autres petits peuples différenciés par la culture.

Les Mandés du nord ou Manding représentés par les Mandés et les Dioulas. Les premiers occupent tout le nord-ouest du pays, jusqu'à la limite de la forêt. Les seconds sont groupés dans la région de Kong.

Le groupe voltaïque comprend principalement les Sénoufos, localisés autour de la ville de Korhogo et les Koulangos dans le nord-est du pays.

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« ¿ n o u f o d i o u l a fi 4 4- ! wobé) b a k w é g o d i é nkrou Fimillis linguistique . . M i l m m dé + ■f 4 4 -4- 44 4 4 4 v o lta ïq u i I O O O O I 2£ L Û £ Q !

L f ftd u d io n tfa la cana f i t «#v» a m > # f » r t r »* »•** 4t fa u ta i l u a t í in it i nous n « ro m indiqua q u i Ics p»mcioaf«s ( « i r é flliim n l A n n u u 2. 3. 9. 10. 11 «t <71 OCEAN A T L A N T I Q U E »: t. V-G U IN EE O o . e n n e * 5 f i " A r>rc' d a p < . vj:::::::: i m a i i n k é : ; : : k o u l a n g o (yaeoubal

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C A R T E DES P R IN C IP A LE S LA NG UES DE CÔTE -D 'IV O IR E (Mint-Jotf DERIVE. Su:«nn. LAf AGE, 19781

Figure II: Carte des principales langues de la Côte d'ivoire

S o u r c e : I n v e n t a i r e des é t u de s l i n g u i s t i q u e s s u r l e s pays d ' A f r i q u e n o i r e d ' e x p r e s s i o n f r a n ç a i s e e t s u r M a d a g a s c a r , P a r i s , S e l a f , 1978.

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Le groupe krou. Il compte une quinzaine d'ethnies (mais avec deux langues qui restent très proches: guérê, bété) qui ont éclaté en petites communautés. Ces villages indépendants s'allient en petit nombre pour former des «cantons». Dida, Godié, Wê, Bakwé et les Krou installés dans l'extrême sud-ouest.

Le groupe akan. Il est composé par les Abrons dans la région de la ville de Bondoukou, les lagunaires dans la forêt du sud (les N'Bato, Ebrié, Ahié, Abê, Abidji) et les Baoulés dans le triangle des savanes qui avancent dans la forêt sous forme d'un V (appelé le V baoulé).

Cette multiplicité de langues liée à tous les groupes ethniques est régie par un statut qui est particulier à chacune.

Le statut des langues

Pour l'instant il n'y a pas encore eu le choix d'une langue

officielle à part le français. Pourtant, déjà en mars 1976, au colloque du Conseil international de la langue française, Hié Néa avait déjà déclaré quatre zones fondamentales de langues majoritaires, prioritaires

et politiques. Les langues qui ont ainsi pu être dégagées sont le

sénoufo, le bété, le malinké et le baoulé. A part ces langues, on peut constater l'existence d'une autre langue de communication, le français de moussa, français populaire africain ou pidgin, dans les milieux urbains multilingues. Marie-José Dérive et Suzanne Lafage (1978) déduisent de la

recherche effectuée par le projet de la Conférence des Ministres de

l'Education en 1975 qu'environ 36% de la population résidente âgée de six ans et plus parle la langue de moussa (le français demeurant la langue du pouvoir n'est parlé correctement que par une infime minorité de la population). Il faut préciser cependant que ce pourcentage englobe 11,9% des résidents âgés de six ans et plus qui sont, selon toute vraisemblance, locuteurs de cette langue de communication, qui est une variété pidginisée et véhiculaire de français. Ce français populaire d'Abidjan est peu intelligible pour un francophone non local et peut être susceptible d'évoluer vers un créole. Ce français de moussa, appelé aussi dago, a une structure propre qui ne respecte pas les règles de la grammaire du

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français standard. A cause du multilinguisme de la population ivoirienne, c'est le dioula qui, en plus du français de moussa, assure le besoin de communication. Cette variété véhiculaire sert aux relations entre le nord et le sud du pays. Elle est surtout utilisée par les non-natifs, le «dioula du marché» comme le dit Lafage (1983): «Pour les mandéphones natifs, cette variété est assez mal considérée et serait à peu près aussi distante du malinké que le 'français populaire d'Abidjan' l'est du français standard» (p. 145).

L'existence de ces deux variétés de langue, le dioula et le français de moussa est certainement à l'origine de l'adoption de la loi du 16 mars 1976 sur la réforme de l'enseignement; cette décision par­ lementaire va avoir des répercussions sur la politique des langues dans le domaine éducatif.

Place des langues dans l'enseignement ivoirien

Les problèmes linguistiques liés à la colonisation et à l'orga­ nisation de l'enseignement du point de vue de son contenu ne sont pas moindres. Dans leur étude, Houis et Bole-Richard (1977) affirment que les puissances anglaise, allemande et belge ont élaboré des politiques linguistiques qui consistent en l'utilisation de certaines langues afri­ caines dans le programme de l'enseignement primaire. Les langues anglaise ou française des Belges n'apparaissent qu'à un stade ultérieur simultanément à une langue africaine, le dernier étant marqué par

l'exclusivité de l'anglais ou du français (Belge). La politique

française, quant à elle, n'a pas suivi les mêmes principes. Le français a été la langue unique de l'enseignement, à l'exclusion de toute langue africaine. Ce sont les deux situations auxquelles ont eu à faire face les Etats indépendants. Ceux qui étaient dans l'orbite coloniale française n'ont pas modifié la situation d'origine, à part le Mali et la Guinée qui, eux, ont choisi très tôt leur type d'enseignement bilingue respectant les régions et adoptant une langue nationale. Quant à la Côte d'ivoire, elle a choisi le français comme langue d'enseignement à tous les niveaux de l'éducation. Deux raisons expliquent ce choix.

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La première trouve son origine dans la conférence de Brazzaville, tenue en 1944, où, entre autres résolutions, on recommanda, dans le cadre de la politique d 1auto-détermination des colonies françaises en Afrique, l'interdiction de l'emploi des langues africaines dans les situations pédagogiques et Tinstitutionalisation de la langue française comme langue d'enseignement.

La deuxième raison, c'est qu'il était difficile de bouleverser du jour au lendemain une situation qui avait prévalu pendant toute l'ère coloniale. Car, au lendemain de l'indépendance, le français s'était imposé par nécessité, l'administration coloniale s'étant refusée à reconnaître un quelconque droit aux langues africaines, y compris le droit d'être des langues maternelles des enfants scolarisés.

Pourtant, d'autres peuples africains voisins de la Côte d'ivoire, tels que le Mali et la Guinée, comme nous l'avons souligné plus haut, ont choisi très tôt un enseignement bilingue. La Côte d'ivoire pouvait en faire autant, pour ses jeunes écoliers du primaire d'abord et du préscolaire un peu plus tard, à cause de sa création plus tardive, mais elle ne l'a pas fait. Les conséquences de cette situation conflictuelle sont multiples. Le français, langue d'enseignement et langue exogène, n'est pas la langue première de tous les enfants. Les problèmes linguistiques, conséquence de la colonisation, rendent difficile l'organisation de l'enseignement du point de vue de son contenu. Notamment, se pose le problème du choix dans les langues nationales à reconnaître et de l'introduction de celles-ci dans l'enseignement; à l'heure actuelle ces questions sont en cours d'étude.

Situation des langues dans l'éducation préscolaire

L'enseignement, à tous les niveaux (préscolaire, primaire, secondaire et universitaire), se fait toujours en français. Toutefois, la loi d'orientation d'août 1977 pour la réforme de l'enseignement officiel constitue un facteur d'unité nationale en même temps qu'elle permet de revaloriser le patrimoine culturel et, comme l'affirme Hié Néa (1976, voir Lafage, 1983),

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La promotion institutionnelle des langues est subordonnée à leur description linguistique, à leur codification, à l'identification et à la consigna­ tion de leur grammaire et lexique, à leur réduction en manuels scolaires, enfin aux productions litté­ raires de tous genres qui, garantissant leur caractère culturel et véhiculaire, justifieraient leur intégration dans l'enseignement (p. 138).

C'est à l'Institut de linguistique appliquée de l'Université nationale de Côte d'ivoire qu'ont été confiés les travaux nécessaires à la promotion de ces langues. Quelques expériences d'utilisation des langues nationales sont menées depuis quelques années au préscolaire. A ce niveau, six classes expérimentales sont aujourd'hui ouvertes: deux classes en région Yacouba en langue yacouba; une classe à Dabou en langue adioukrou et une classe à Korhogo en langue nafala (Sénoufo). Ces expériences d'enseigne­ ment en langue maternelle par l'Institut de linguistique appliquée en milieu rural sont regroupées sous le titre de «l'utilisation des langues maternelles pour l'ensemble des activités préscolaires». L'objectif de ces expériences est de pratiquer, dans ces classes d'élèves de cinq ans, un pré-apprentissage de la lecture et de l'écriture en langue nationale ainsi que de favoriser chez l'enfant l'éveil mathématique. Pour ce faire, il s'agit: - de classer et d'ordonner par thème l'ensemble des jeux à caractère logico-mathématique; - d'élaborer des activités s'inspirant de la logique opératoire et d'autres activités d'éveil permettant d'affiner la perception auditive en utilisant des expériences combinatoires et de sens dans la langue maternelle de l'enfant.

Nous venons de voir dans cette première partie ce qu'il en était de la situation scolaire en Côte d'ivoire, son passé historique, son multilinguisme et ses aspects traditionnels et modernes du point de vue éducatif. Il faut reconnaître que, à cause de la modernisation qui se généralise, la société traditionnelle commence à perdre énormément de terrain, comparativement à la société moderne au sein de laquelle l'éducation de l'enfant se fait dans une institution préscolaire qui engendre des difficultés de communication et d'adaptation aux jeunes enfants qui proviennent d'un milieu où le français langue d'enseignement n'est pas parlé. L'historique de la Côte d'ivoire nous a permis de savoir

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que le français est une langue exogène, donc venue de l'extérieur. Cette situation, que connaît l'enfant d'âge préscolaire ivoirien, nous amène à nous tourner vers les auteurs qui ont abordé le problème du bilinguisme chez l'enfant à qui l'on enseigne dans une langue autre que sa propre langue maternelle.

CADRE THEORIQUE: INFLUENCE DES FACTEURS SOCIO-PSYCHOLOGIQUES EN EDUCATION ET DÉVELOPPEMENT DE LA BILINGUALITE CHEZ L'ENFANT D'ÂGE PRESCOLAIRE

La deuxième partie de ce premier chapitre sera consacrée à la présentation de notre cadre théorique avec la définition des concepts d'attitude et de bilinguisme. La théorie de la bilingualité nous permet­ tra de postuler quelles sont les conditions nécessaires à l'enfant pour qu'il développe une bilingualité sans que cet état nuise à son développe­ ment socio-affectif et cognitif, dans le cas où l'enfant est exposé à plus

d'un code linguistique. Nous verrons également les effets

socio-psychologiques du bilinguisme liés au fait que l'enfant ayant une langue propre reçoit son éducation dans une langue étrangère, c'est-à-dire exogène, qui est loin d'être sa langue maternelle. Nous terminerons par la présentation des hypothèses de recherche.

Le problème de l'inadaptation des enfants causée par la langue nécessite une étude, puisqu'il pourrait ne pas être facile pour un enfant de moins de cinq ans de parler une langue à la maison et de recevoir son éducation dans une autre à l'école. L'enfant africain est marqué, dès l'âge de sa première scolarisation, par une situation de tiraillement grave, dans la mesure où sa langue maternelle, qui lui a permis de s'exprimer et de s'affirmer jusqu'alors, risque en quelque sorte d'être mise brusquement au rebut. Avec la langue de l'école, l'enfant se trouve dans une situation bilingue. Le concept de bilinguisme a été défini par nombre d'auteurs; présentons d'abord leur définition du bilinguisme avant de retenir celle qui s'apparente avec notre étude.

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Le concept de bilinguisme est défini d'une manière différente suivant les auteurs. Il n'est pas dans notre intention d'énumérer ici toutes les définitions mais seulement de retenir celles qui nous semblent avoir un intérêt pertinent pour notre étude. Il s'agit de celles qui s'appuient sur un construit théorique qui nous permet de mieux aborder l'étude du phénomène de l'existence d'une langue maternelle et de l'ensei­ gnement dans une langue seconde pour des enfants de trois à cinq ans.

Bloomfield (1935, voir Titone, 1972, p. 11) considère «le phénomène du bilinguisme sous l'angle psychologique, comme le fait de maîtriser deux langues avec une aisance comparable à celle des sujets dont

elles sont les langues maternelles». Selon Titone, le bilinguisme

consiste en la «capacité d'un individu de s'exprimer dans une seconde langue en respectant les concepts et les structures propres à cette langue

plutôt qu'en paraphrasant sa langue maternelle» (1972, p. 11). «Le

bilinguisme inclut le terme de la bilingualité qui réfère à l'état de l'individu mais s'applique aussi également à l'état d'une communauté dans laquelle deux langues sont en contact» (Hamers et Blanc, 1983, p. 24). Par opposition à la bilingualité d'adolescence, nous nous attarderons sur la bilingualité d'enfance dans laquelle il faut distinguer entre la bilingualité précoce simultanée, c'est-à-dire le développement de deux langues maternelles par l'enfant, et la bilingualité précoce consécutive propre à l'enfant qui acquiert une seconde langue tôt dans l'enfance mais après avoir acquis sa langue maternelle.

Pour les fins de notre travail, l'âge de nos sujets variant entre trois et cinq ans, nous allons retenir la notion de bilingualité précoce consécutive, en opposition à celle de bilingualité précoce simultanée dans laquelle l'enfant développe deux langues maternelles, puisque tel n'est pas le cas pour ces enfants étant donné qu'ils viennent à l'école avec une langue et apprennent dans une autre.

Nous complétons notre définition du bilinguisme avec celle que donnent Hamers et Blanc (1983) lorsqu'ils disent que le terme de

Le bilinguisme

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bilinguisme inclut celui de la bilingualité qui, pour nous, réfère fort pertinemment à l'état d'une communauté africaine ivoirienne dans laquelle deux ou plusieurs langues, c'est-à-dire le français et les langues nationales africaines, sont en contact. Dans ce cas, l'enfant ivoirien serait en situation de développer une bilingualité précoce consécutive.

Développement de la bilingualité

Les recherches en psychologie sociale et en psychopédagogie du développement ont permis de mieux cerner les conditions requises pour que l'enfant développe de façon harmonieuse une bilingualité sans que cet état nuise à son développement général. La littérature sur le développement de la bilingualité fait état de deux types de conséquences possibles de l'expérience bilingue pour l'enfant (Hamers et Blanc, 1983): l'un dans lequel cette expérience bilingue a pour conséquence un épanouissement sur le plan cognitif, émotif et linguistique et l'autre dans lequel l'expé­ rience bilingue de l'enfant est liée à l'absence d'épanouissement cognitif et à l'échec académique. Suivant des frontières sociales, dans le premier cas il s'agit surtout d'enfants de milieu majoritaire et de classe sociale privilégiée, alors que le deuxième semble essentiellement réservé à l'enfant minoritaire uni lingue.

Hamers et Blanc (1983) ont proposé un modèle théorique qui peut être valable pour les enfants du milieu multilingue ivoirien; ce modèle de développement bilingue, tout en se voulant concorder avec une approche générale du développement du langage, considère le prérequis suivant comme essentiel: «le processus de socialisation par lequel l'enfant devient un membre de sa communauté est à la base même du développement langagier et, à plus forte raison, du développement bilingue» (p. 3). Lorsque deux langues sont présentes dans l'entourage de l'enfant, les deux peuvent être utilisées pour remplir des fonctions différentes. L'usage de chacune des langues, africaine et exogène, pour des fonctions distinctes peut mener au développement de divers types de bilingualité. L'enfant ne pourra dégager les dimensions fonctionnelles, sociales et linguistiques du langage que s'il existe une forme adéquate du comportement langagier dans son entourage. Si une langue nationale et la langue française sont présentes

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dans l'entourage de l'enfant, ce dernier va intérioriser les deux modèles langagiers à divers degrés. L'enfant ne développera adéquatement parmi les deux langues que celle qui est la plus valorisée par son entourage. Dans le cas du français et d'une langue nationale ivoirienne, l'enfant développera d'une manière optimale, parmi les deux langues, celle qui est la plus parlée dans son milieu. Si c'est un milieu où l'on parle le français et une langue nationale ivoirienne, ce seront les deux à la fois, et si c'est un milieu où les langues de communication sont des langues nationales ivoiriennes, l'enfant les développera automatiquement. Notons que l'acquisition du langage se fait comme une partie intégrante de l'apprentissage social.

Résumant les données apparemment contradictoires sur les consé­ quences cognitives du développement bilingue, Lambert (1974 et 1977; voir Hamers 1985) fait la distinction entre la bilingualité additive et la bilingualité soustractive: ces deux formes de bilingualité se distinguent en fonction du milieu socio-culturel dans lequel a lieu l'expérience bilingue et, plus précisément, du statut relatif des deux langues. Dans la forme additive de bilingualité, le développement de l'enfant est tel que les deux langues et les deux cultures vont apporter des éléments positifs complémentaires au développement de l'enfant. Â l'opposé, la forme soustractive de bilingualité est celle dans laquelle l'enfant a développé la seconde langue au détriment de sa langue maternelle, ce qui entraîne des désavantages sur le plan du développement cognitif. Cette forme se retrouve lorsque l'entourage dévalorise la langue maternelle de l'enfant par rapport à une langue dominante socialement plus prestigieuse.

En Côte d'ivoire, l'enfant développerait une bilingualité additive s'il provient d'un milieu où le français et les langues ivoiriennes sont valorisées, ce qui n'est pas le cas pour la plupart des enfants. Les milieux qui parlent les langues nationales parlent moins le français et vice-versa. L'enfant des milieux favorisés parle surtout le français. On peut donc dire que, dans le cas de la Côte d'ivoire, ce serait plutôt la forme soustractive de bilingualité que pourrait développer l'enfant puisque le français semble être considéré comme une langue supérieure, étant la langue du pouvoir et la langue d'enseignement,

(32)

alors que les langues nationales ivoiriennes sont davantage parlées par les dominés et les moins nantis. Les langues nationales ivoiriennes et les valeurs qui les caractérisent risquent ainsi d'être rejetées au profit de la langue française, ce qui provoquerait la détérioration des langues

maternelles. Cette situation se retrouve notamment lorsqu'un enfant

faisant partie d'une minorité ethnolinguistique reçoit sa scolarisation dans une langue plus prestigieuse que la sienne. En Côte d'ivoire, la catégorie d'enfants concernés par notre étude appartient au contraire à la majorité ethnolinguistique, étant donné que les détenteurs du pouvoir et ceux qui maîtrisent la langue française ne sont qu'une minorité comparativement au reste de la population.

Bilinguisme et acculturation

Un des premiers problèmes soulevés par le bilinguisme est celui de l'acculturation de l'individu qui, dans un contexte biculturel ici, (culture française occidentale et culture traditionnelle africaine), apprend et fait usage d'une langue exogène, symbole de la réussite sociale. De nombreuses recherches (voir Lambert, 1974) menées sur ce thème tentent d'établir si, compte tenu du principe selon lequel une langue est égale à une culture, l'apprentissage d'une langue seconde détériore la personnalité d'un individu ou tout au moins affecte son identité culturelle.

Gardner et Lambert (1972, voir Dallé, 1983) ont mené une étude, auprès d'Américains d'origine française en Nouvelle-Angleterre et en Louisiane, afin de déterminer comment ils considèrent leur double héritage. Il s'est avéré que certains s'orientaient définitivement vers leur arrière plan français et essayaient d'ignorer leurs racines

américaines. D'autres étaient beaucoup plus attirés vers le pôle

américain au détriment de leur francophonie ou de leur francophilie. D'autres encore se refusaient à penser en termes ethniques tout comme ils ne se considéraient ni français ni américains.

Dans le cas de la Côte d'ivoire, on peut supposer que c'est la classe la mieux nantie qui cherche le plus à s'identifier à la culture

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française avec sa langue et ses habitudes. Quant au reste de la popula­ tion, étant donné qu'elle parle les langues dominées, elle demeure plus proche de la culture africaine Gardner et Lambert (1972) estiment que cette manière de se situer par rapport à son double héritage caractérise l'angoisse des membres d'un groupe ethnique pris dans une forme de biculturalisme soustractif (par opposition au biculturalisme additif) lorsque des pressions sociales s'exercent sur eux afin qu'ils cèdent un

aspect de leur double héritage culturel. C'est à ce niveau que l'action

du milieu à la fois familial et social est déterminante. L'action des parents est également importante selon que ces derniers poussent l'enfant à changer d'affiliation linguistique ou culturelle ou bien qu'ils exercent des pressions sur lui afin qu'il ne s'identifie pas à la culture étrangère. Sa place dans la société va paraître incertaine et cette incertitude de l'enfant peut dégénérer en conflits. D'un autre côté, l'individu qui intègre une communauté culturelle étrangère peut s'assimiler pour un certain nombre de raisons ou bien résister à toute forme d'allégeance culturelle. Ces deux attitudes sont tributaires de certaines conditions socio-économiques dans un contexte donné. Ainsi les conflits sociaux d'origine linguistique se produisent lorsque le statut et le rôle respectif d'une des langues en contact ne sont pas reconnus.

L'étude de Léon (1974, voir Dallé, 1983), menée dans une communauté bilingue française en milieu anglophone ontarien, avait pour objectif de déterminer la nature des rapports qu'entretiennent les membres

d'une telle communauté bilingue. Cette recherche a montré que

l'acculturation vers l'anglais est la plus forte en milieu populaire. Cette acculturation peut se constater également dans la société ivoirienne mais, contrairement à l'étude de Léon, c'est le milieu nanti et favorisé qui s'identifie à la langue et à la culture françaises. Quant au milieu populaire, il reste plus proche de la culture traditionnelle. L'étude de Léon montre également que c'est le groupe le plus vulnérable à l'acculturation vers l'anglais qui manifeste le plus le désir d'affirmer

son identité culturelle française. Cette étude rapporte quelques

indications sur le fonctionnement de la pression de l'anglais sur l'usage linguistique d'un groupe minoritaire bilingue (français-anglais) d'origine francophone. L'usage de l'anglais a une cause principalement économique.

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Parler anglais permet de réussir. Par ailleurs, le sentiment d'insécurité ressenti par le fait d'appartenir à un groupe minoritaire pousse l'indi­ vidu de ce groupe à tenter de s'assimiler au groupe majoritaire. Par un processus analogue, les sous-groupes de statut social inférieur vont chercher la sécurité linguistique vers l'anglais. En effet, leur français de bilingues issus de classes non-éduquées leur donne des complexes d'infériorité linguistique. Pour Léon, deux langues pourraient coexister avec un statut égal dans les classes supérieures ou à la rigueur moyennes. Dans les classes dites défavorisées, l'équilibre instable tendrait à se rompre au profit de la langue de pression, celle des groupes dominants.

On peut se demander si cette situation n'a pas une similitude avec la situation ivoirienne où le français, langue officielle mais exogène, joue un rôle privilégié dans le processus de la stratification sociale. Effectivement, les familles des classes élevées s'en servent et

vivent leur vie quotidienne à l'occidentale. En plus, cette langue

française sert de langue officielle et de langue d'enseignement; élément social au temps colonial, elle n'a pas renoncé à ce rôle dans notre

société moderne. C'est par la langue que l'on va intérioriser les

éléments culturels occidentaux, les éléments culturels français. Cette langue française sera davantage au service de la classe dominante et de sa descendance. Nous saisissons cet écart avec un professeur de l'Université

d'Abidjan, Kavally (1975), quand il dit dans l'un de ses cours que le

rapport avec le français est, en général, pour l'élite et sa progéniture, affranchi, détaché, familier, tempéré, mesuré et maîtrisé tandis qu'il est tendu, révérenciel et emprunté pour les classes défavorisées. Dès lors, nous comprenons que l'introduction de la langue française à l'école en tant que langue d'enseignement ne peut que bénéficier aux enfants qui en ont l'usage facile parce que devenue leur langue maternelle. Il s'agit, en 1'occurrence, de ceux issus des milieux favorisés, tandis qu'elle va constituer un handicap sérieux pour les enfants issus des milieux sociaux défavorisés, car elle sera un instrument de sélection à l'école.

Tout ceci tend à montrer l'importance et la nécessité d'une éducation bilingue appropriée. C'est un phénomène qui ne date pas d'au­ jourd'hui. A propos de la naissance de l'éducation bilingue, Hamers et

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Blanc (1983) soulignent que c'est surtout depuis la seconde guerre mon­ diale que cette éducation a pris une ampleur et une importance à l'échelle mondiale, suite à un certain nombre d'événements d'ordre politique, économique, idéologique et éducationnel dans les pays occidentaux. Sur le plan politique, les pays anciennement colonisés font face â de sérieux problèmes linguistiques à cause du découpage arbitraire des frontières par

les colonisateurs. Par ailleurs, ces pays font également face à de

sérieux problèmes de développement. Or, le développement économique exige la connaissance d'une langue de grande communication, d'où la continuation de l'usage de la langue du pays colonisateur qui demeure souvent la ou une des langues officielles, à côté d'une (ou des) langue(s) nationale(s). C'est le cas de la Côte d'ivoire avec le français comme langue officielle et langue d'enseignement à côté de plusieurs langues nationales. Â cela s'ajoute le problème de la planification de la (ou des) langue(s) d'enseignement pour lesquelles le plus souvent il n'existe pas de textes écrits, pas de matériel pédagogique ni d'enseignant(e) formé(e) pour leur

enseignement. Sur le plan démographique, on assiste à de vastes

mouvements internes comme les exodes vers les centres urbains industriels. Il y a aussi les facteurs historiques que sont l'évolution et la démocratisation de l'enseignement dans le monde, conséquences du développement économique, social, scientifique, politique et technique, notamment la place plus importante des mass-média.

Mais dans quelle(s) langue(s) doit-on enseigner? Un rapport de 1'Unesco (1953) sur l'importance des langues vernaculaires dans le développement général de l'enfant affirme le droit de l'instruction dans la langue maternelle. Dans un certain nombre de pays où la langue du foyer des groupes minoritaires diffère de celle de la société, la législation est venue reconnaître le droit à l'éducation bilingue. John et Horner (1971) affirment qu'en 1967, aux Etats-Unis, le Bilingual Education Act (Title VII) reconnaît le droit aux enfants des minorités de recevoir une éducation dans leur première langue en même temps qu'ils apprennent l'anglais comme seconde langue. Dans le cas de notre étude, l'enfant, dès son jeune âge, se voit coupé de sa langue et plongé dans un système éducatif avec une langue nouvelle.

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Comme les Etats-Unis, la Côte d'ivoire pourrait opter pour une éducation bilingue afin de permettre à l'enfant de recevoir son éducation dans sa première langue d'abord puis en français un peu plus tard. Ce qui permettrait à la Côte d'Ivoire de faire partie des cas concernés par la définition que donnent Hamers et Blanc (1983) lorsqu'ils définissent

l'éducation bilingue comme étant «tout système d'enseignement dans

lequel, à un moment variable et pendant un temps et dans des proportions variables, simultanément ou consécutivement, l'instruction est donnée dans au moins deux langues dont l'une est normalement la première langue de

l'élève» (p. 301). Comme le remarquent les auteurs eux-mêmes, cette

définition ne peut pas être celle des cas que nous étudions dans la mesure où «elle exclut des situations où les élèves étudient uniquement dans une langue qui n'est pas leur langue maternelle. C'est le cas, par exemple, des situations de submersion, où la langue d'instruction à l'école est la langue du foyer pour certains élèves mais pas pour d'autres» (p. 301). En plus, pour qu'une éducation bilingue ait des résultats positifs, il faut d'abord que les deux langues de la communauté soient valorisées par le milieu et par l'enfant. Elles vont alors apporter des éléments positifs complémentaires. Si cette condition est remplie, on pourrait croire que l'enfant sera motivé à apprendre les deux langues et va développer une bilingualité additive qui est plus que la somme des deux langues. Ceci permettra d'éviter un retard dans le développement cognitif et académique de 1'enfant.

Le développement langagier et la facilité de communication qu'un enfant aura dans une langue seront le reflet de son milieu. Dans le contexte ivoirien, la maîtrise de la langue française par l'enfant est plus ou moins fonction de l'origine socio-culturelle de l'enfant, surtout

que la situation des langues et du bilinguisme y est particulière. La

partie qui va suivre permettra de présenter cette situation.

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