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L’Histoire du Blues à La Réunion : Des années soixante-dix à nos jours

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Academic year: 2021

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Université de La Réunion

Faculté des Lettres et Sciences Humaines

Département Histoire

L’Histoire du Blues à La Réunion

Des années soixante-dix à nos jours

Itinéraire d’un genre exogène dans le paysage musical de l’île :

sa place, ses acteurs, ses manifestations

Loris Hervio

Mémoire de Master 2 Recherche – Histoire, parcours océan Indien :

sociétés, culture, pouvoirs

Sous la direction d’Evelyne Combeau-Mari

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2 Illustrations de couverture, de gauche à droite :

- Article et photographies de la venue de Lucky Peterson au théâtre plein air de Saint-Gilles en novembre 1996. Source : Vincent Pion, « Lucky Peterson en concert hier soir. Saint-Gilles à le blues… dans la peau », Le Quotidien du 09/11/1996, p. 13.

- Article et photographies de la venue de Luther Allison au théâtre plein air de Saint-Gilles en avril 1997. Source : Marine [Dusigne], « Luther Allison en concert à Saint-Gilles. Blues, rock and roll et liberté », Le Journal de l’Ile de La Réunion du 19/04/1997, p. 20-21.

- Affiche promotionnelle de l’évènement Crocodile Blues Sessions au Croc Parc d’Etang-Salé en octobre 2010. Source : archive de l’association DégadéZo.

- Affiche promotionnelle du concert d’Eric Bibb au Kabardock, Le Port, en avril 2017. Source : « Eric Bibb », Mairie de Le Port, 2017, [En ligne]. URL : http://ville-port.re/sortir/agenda/eric-bibb/ (consulté en mars 2020).

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3 Remerciements :

Je remercie sincèrement les acteurs musicaux qui m’ont accordé du temps lors des étapes relatives à l’enquête de terrain. Ces entretiens furent absolument essentiels pour l’élaboration de ce mémoire. Sans eux, il aurait été difficilement réalisable et beaucoup plus

terni. Permettez-moi de les nommer ici : Gilbert Pounia, Franswa Baptisto, Thierry About, Laurent Vancheri, Gilles Hervio, Lou Lombardini, Germar Stübler, Patrice Hoareau, Jo Fayol,

Hugues Castillon, Alain Robert, Didier Payet, Albert Barraco et Michel Vatiné. De manière plus générale, merci à tous ceux qui de près ou de loin ont contribué et continuent aujourd’hui de donner vie à la réception et la diffusion du blues sur le territoire.

J’adresse également un merci de poids à destination de l’équipe pédagogique universitaire pour son enseignement en histoire durant toutes ces années, nos échanges et coopérations. Parmi eux, j’exprime bien sûr une reconnaissance particulière envers la professeure Evelyne

Combeau-Mari. Elle accepta volontiers de prendre l’étude présente sous sa direction, de m’apporter ses lumières et suivre l’avancée des recherches.

Merci enfin aux proches, famille comme amis, que ce soient pour leur patience, leurs élans de curiosité vis-à-vis des explorations poursuivies et autres encouragements en attente

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Sommaire

Introduction ... 5

I. Premières interrogations sur le blues : cadre théorique, formel et contexte

musical réunionnais ... 20

II. L’émergence lente et timide du blues à La Réunion (années 1970-1990) ... 62

III. La maturation du blues à La Réunion (années 1990 à aujourd’hui 2020) .. 135

Conclusion ... 256

Sources et Bibliographie ... 278

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6 1. Motivation personnelle :

Sans la musique, la vie serait une erreur. Nietzche « - Gilles ! Ton fils te demande de baisser le volume ! Il n’arrive pas à dormir !

- Quoi ? Comment ça il n’arrive pas à dormir ? Dis-lui d’arrêter ses conneries, la musique ne l’a jamais empêché de dormir ! Et ce n’est pas ce soir que ça va changer. »

Ces phrases ne sont pas issues de la mémoire d’un enfant de trois ou quatre ans, ce qui aurait plus relevé d’une réalité fortement imprégnée du rêve, mais celle d’un garçon en âge de se souvenir. Voici ce que mon père répondit à ma mère quand elle lui transmit mon message. Ces mots, je les entendis depuis ma chambre pourtant située à l’opposé du salon et à distance d’une pièce, d’un couloir et de deux portes. C’est dire comment leur voix et celle des invités devaient s’élever pour couvrir le son puissant de la chaîne hi-fi. Je me souviens avoir sept ans, et c’était loin d’être la dernière fois. Mais à propos de la musique, la réponse était catégorique. Combien de fois me suis-je endormi en musique ? Parfois, je restais éveillé le plus longtemps possible pour continuer de l’écouter. Le brouhaha des conversations et des rires s’en mêlait, comme celui des verres ou des couverts en nombre tapant la table et autres bruits ambiants. Pourtant je ne les entendais plus, ou peu, focalisé par le son des instruments sur lequel j’ai appris à me concentrer. Alors quoi de mieux que cette citation de Nietzche en parlant d’un professeur de philosophie qui nous a transmis une de ses passions : la musique. Cette musique, c’était du blues. Toujours du blues. Même lorsque le lecteur avalait des albums d’autres styles musicaux, le blues finissait par en être. Aujourd’hui, c’est encore le cas.

Des instruments et des disques, la maison en regorge. Plus d’un millier d’albums au compteur, des objets palpables qui favorisent l’établissement d’un lien en perdition depuis l’avènement numérique. Ensemble, ils sont meubles et ont tendance à ébahir les visiteurs : vieux jeu certes, alors qu’ils pourraient tous être réunis dans un disque dur, mais tellement sympathiques au toucher et ne serait-ce qu’à regarder. Chansons et variétés françaises, maloya, reggae, rock, soul, funk, sans tous les citer ou détailler, le blues tient évidemment la place de premier choix. Plus que de l’écouter, je le vis ; sans vouloir parler des émotions qu’il a pu me faire passer durant toutes ces années, en tant qu’amateur et observateur. Amateur pour le plaisir que j’ai pris à en jouer que ce soit via mes envies de batterie, saxophone,

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7 harmonica, basse ou guitare à laquelle je m’initie. Observateur surtout car, depuis nombre d’années, j’assiste au domicile parental aux répétitions de DégadéZo et biens d’autres connaissances souvent de passage pour des moments musicaux ; une seconde grande famille, des musiciens qui restent faire la fête et partager leur vie. Puis-je aussi témoigner que d’autres groupes locaux se produisent en divers lieux et que des concerts blues sont également proposés au sein des programmations de festivals. Prise de conscience sans laquelle l’ignorance aurait eu du mal à émettre l’idée d’un mémoire sur le blues à La Réunion. Avant d’entrer dans le vif du sujet, j’aimerais faire un clin d’œil à tous les passionnés isolés (sans groupe scénique) qui agitent leur instrument ou leurs oreilles au son du blues : mon étude ne les cerne pas mais espère combler un peu plus leurs connaissances locales sur cet intérêt que nous partageons.

2. Mise au point : le blues ?

Pour définir le blues, nous ne pouvons nous limiter à quelques lignes d’un dictionnaire, article ou encyclopédie musicale à portée trop distante de la compréhension d’un processus qui demande réflexion et temps. Parce qu’il est pionnier en la matière, sillonnant les routes depuis les années soixante, historien, conférencier, auteur d’essais, d’articles sur l’histoire de la musique dans un grand nombre de magazines spécialisés, même romancier, membre de plusieurs maisons de production et musicien, spécialiste des musiques d’Amérique du Nord et particulièrement du blues, nous recommandons vivement la lecture de Gérard Herzhaft et notamment ses publications Le blues1 dans la collection Que Sais-Je et son œuvre imminente

La Grande Encyclopédie du blues2. La première est une immersion totale dans le monde du

blues à travers ses aspects d’ethnomusicologie, d’histoire et de sociologie en suivant son cheminement et ses caractéristiques évolutives dans un contexte général mais aussi par Etats, villes, styles, artistes majeurs et enfin sa reconnaissance internationale. La seconde, avant d’entamer son caractère encyclopédique, replace le blues dans des éléments définitoires et thématiques essentiels : « Naissance du blues », « Les règles », « Le blues des dames », « Les expéditions sudistes », « Les Races Records », « La guerre de l’électricité : du Delta à Chicago », « De la Louisiane à Los Angeles », « Les Noirs extirpent leur blues », « Le blues des 1 Gérard Herzhaft, Le Blues, Presses universitaires de France, coll. « Que Sais-Je ? », 2015 (6e édition mise à jour,

première publication en 1981), 128 p.

2 Gérard Herzhaft, La Grande encyclopédie du blues, Fayard, 2012 (10e édition revue et augmentée, première

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8 Blancs », « Le blues honorable », « L’avenir du blues ? ». Ces deux socles, et les nombreuses études privilégiant une incursion dans le blues par des axes particuliers ou l’affinement spécifique d’un trait évolutif (point historique, sociologique, figures emblématiques, analyse stylistique, compilation discographique, archives visuelles…) participent à sa définition ; celle d’un objet culturel en mouvement depuis le début du XXe siècle, d’où l’impossibilité de la réduire en deux mots.

Néanmoins, comment rendre-compte d’un aperçu de base sans s’y étendre trop longuement ? Le blues est bien entendu une musique. A ce titre, il répond à quelques règles musicologiques. « Le blues est un poème chanté de douze mesures […]. En général, le blues est composé de strophes de trois versets selon un schéma AAB, le dernier verset rimant avec le premier répété une deuxième fois. Le blues utilise aussi une séquence harmonique fréquente sur la base de trois accords (premier, quatrième et cinquième degrés) […]. Enfin, le blues est une pièce rythmée avec un glissement vers le temps fort, souple et régulier (swing). »3 Gérard Herzhaft complète cette approche en terme musicaux dans le chapitre

premier de sa publication aux Presses universitaires de France : « le blues – comme toute la musique du sud des Etats-Unis – utilise la gamme pentatonique avec, souvent, une quinte bémolisée (la seule véritable blue-note, car la bémolisation de la tierce et de la septième fait partie intégrante de la gamme pentatonique mineure) »4. Ce système pentatonique est

d’origine extrême-orientale (Chine, Japon, Indonésie), également présent en Europe dans le monde celtique. Il est aussi pratiqué par les Indiens d’Amérique du Nord, ces migrateurs de l’Extrême-Orient, « notamment par les Cherokees, les habitants majoritaires de la basse vallée du Mississippi jusqu’en 1832 ! » ; leur contact avec les esclaves en fuite expliquant un peu plus les racines de ce berceau géographique du blues5. Quant au swing, « la caractéristique

essentielle et la plus originale du blues »6, ce balancement à contre-temps n’existe sous cette

forme qu’en Amérique du Nord7. « Avec le swing, le corps noir est libre de se balancer à

contre-temps, comme il veut, quand il veut, malgré les chaînes ou la mutilation. Le swing qui prend le contre-pied absolu du rythme ‘officiel’ crée une communauté d’identité entre ceux

3 Gérard Herzhaft, La Grande encyclopédie du blues, op. cit., pp. 13-14. 4 Gérard Herzhaft, Le Blues, op. cit., p. 7.

5 Ibid., p. 8. 6 Ibid.

7 Ibid., p. 9. L’affirmation du swing comme rythme caractéristique nord-américain, partagé par la grande majorité

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9 qui le pratiquent : les esclaves noirs, d’origines ethniques et géographique très disséminées. […] Le swing affirme chez les Noirs la liberté de leur corps mais aussi, au-delà, la liberté de leur âme. »8 Cependant, outre la persistance de ce rythme, la structure du blues est loin d’être

stricte. Le spécialiste observe ainsi que « de nombreux blues n’obéissent pas à ces règles : les douze mesures sont souvent treize ou onze, huit ou dix ; les trois accords dominants ne sont parfois que deux ou même un seul dans certains styles (Delta blues). Et les blue-notes ne sont pas toujours si prééminentes, parfois même totalement absentes »9. A l’avenant, si la

pentatonique mineure est favorisée par les Noirs pour se démarquer, au sein du contexte ségrégationniste, de la pentatonique majeure utilisée dans la musique hillbilly, nombreux sont les bluesmen qui continuent de la pratiquer. Nous ne pouvons même pas retenir l’utilisation unique d’une gamme pentatonique générale puisque le blues texano-californien est connu pour son exploitation de la gamme diatonique mineure. Une analyse structurelle qui conduit l’auteur à nous avertir que « Les exceptions à une règle au demeurant jamais fixée sont notables et très fréquentes »10 avant de conclure que « le poème de douze mesures avec une

versification AAB fréquente qu’on appelle blues a une existence musicologique identifiable, mais fluctuante et approximative »11. Pas évident donc de recourir à ce seul thème définitoire,

pointilleux de surcroît pour les connaissances requises qu’il appelle, afin de cerner le blues. Pour comprendre le blues, il serait plus instructif de savoir où, comment et par qui s’est-il progressivement façonné. D’où vient-il ? des Etats du Sud, nul doute. Est-ce le moyen d’expression des victimes de la société américaine esclavagiste ? Assurément non. Le blues y développe un stade embryonnaire, tout au plus. Au temps de l’esclavage, la musique américaine pratiquée par les Noirs répond à une triple fonction. Les work-songs encouragent le travail des champs, de manière à rythmer le labeur et le faire apparaître plus léger. Ces derniers proviennent directement d’Afrique de l’Ouest. Le chant traditionnel africain, caractérisé par une voix soliste et la réponse en chœur du groupe, rythmait déjà les travaux des champs et voyage avec les Africains devenus esclaves pour les plantations américaines. Main-d’œuvre chez les planteurs esclavagistes du Sud, la société chrétienne entame par la suite l’évangélisation de ces nègres. Au début du XIXe siècle, le chant religieux est assimilé par

8 Ibid.

9 Gérard Herzhaft, La Grande encyclopédie du blues, op. cit., p. 14. 10 Gérard Herzhaft, Le Blues, op. cit., p. 7.

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10 les esclaves qui se l’approprient et le transforment, mêlant désormais les cultures africaine et européenne sous la désignation de chants negro-spirituals. Enfin, les plantations sur lesquelles vivent propriétaires et esclaves se métamorphosent à certains moments en lieu de théâtre de chants et danses. L’émersion de la danse des plantations – plantation dance – secrétée par les esclaves, mélange des danses traditionnelles africaines et de celles européennes qu’ils découvrent sur place, devient dès lors la source directe de plusieurs danses apparues sur le continent tout au long du XIXe et XXe siècles. Certes, les formes de cette musique spécifique

exercées sur les plantations, puisant abondamment dans l’héritage africain, précèdent et contribuent à l’avènement du blues. Néanmoins, faute serait de soutenir l’existence de la forme musicale blues au temps de l’esclavage. Gérard Herzhaft déclare que « le blues n’est même pas né de l’émancipation elle-même, mais des transformations de la musique noire sous l’effet des nouvelles conditions socio-économiques créées par l’émancipation. La naissance du blues proprement dit se situerait ainsi très probablement à l’extrême fin du XIXe

siècle ou à l’aube du XXe »12. En effet, les conséquences de l’émancipation provoquent

l’affirmation d’une culture noire. Au lendemain de la guerre civile, les Etats du Sud sont forcés de revoir leur système économique tandis que les Noirs amorcent leur insertion dans cette nouvelle société. Le Sud connaît alors un morcellement des grandes propriétés et le développement d’un sous-prolétariat industriel. Dans les campagnes, la plupart des anciens esclaves noirs sont employés comme métayers assujettis au système de partage des récoltes (sharecropping13) : attribution d’un lopin de terre en échange d’une redevance exorbitante, la

quasi-totalité de la récolte, et d’un endettement à vie. Auteur d’une condition de vie très précaire, ce système est pourtant le moyen de survie majeur des nouveaux libres noirs. D’autres cherchent du travail dans les fabriques, sont embauchés comme forestiers ou bateliers, interviennent sur les chantiers de grands travaux ou prêtent leurs bras aux entrepôts de coton et usines textiles. Leurs conditions ne sont guère mieux : habitat misérable, entassement des familles et du voisinage, sous-éducation, alcoolisme. Cette mutation sociale en conduit une autre, à savoir l’apparition de musiciens professionnels. « En outre, l’existence même d’un sous-prolétariat semi-urbain créait une extraordinaire demande de divertissements : débits de boissons, salles de jeux, tripots clandestins, maisons closes avec partout de la musique. Très vite, une catégorie sociale est apparue dans ces nouvelles 12 Ibid., p. 18.

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11 communautés noires : celle du musicien, aveugle ou handicapé inapte au travail manuel, ‘mauvais nègre’ renâclant au dur labeur de la culture du coton ou tout simplement ayant fait un mauvais coup dans sa communauté d’origine et fuyant la justice. Très souvent itinérant, le musicien, raconteur d’histoires, chanteur de chansons – songster, comme on commence à l’appeler – passe de village en village, de camps forestiers en chantiers de barrages en construction, distrayant ouvriers et contremaîtres, travailleurs agricoles et forestiers, en échange du gîte, du couvert et d’une bouteille de whisky. »14 A mesure que le XXe siècle

avance, le chanteur s’accompagne d’une guitare, instrument peu coûteux, léger pour voyager. Au départ des dernières troupes nordistes en 1877, qui occupèrent jusque-là les Etats du Sud pour s’assurer la reconstruction postesclavagiste, et dans un contexte de réconciliation entre Nord et Sud en vue de bâtir une nation, les Noirs deviennent les cibles de représailles voire de lynchages des Blancs. Ils assistent, sans défense, à l’établissement d’une société sudiste ségrégationniste, fondée sur des actes et des législations racistes. « La ségrégation mise en place dans les années 1870-1880 et qui a duré jusqu’en 1967 dans l’Etat du Mississippi avait pour but la suprématie blanche. Brimades, injustices, mépris, violence fréquente ont été le lot quotidien des Noirs dans ce système dont le principe essentiel était la séparation des races avec, en filigrane, un statut d’infériorité permanent pour les anciens esclaves. Par bien des côtés, d’ailleurs, la ségrégation a été pour les Noirs du Sud une condition pire que l’esclavage »15, rappelle Gérard Herzhaft ; prenant également appui sur l’historien John Hope

Franklin16. Cet isolement, fruit d’une situation sociale postesclavagiste dégradante et bientôt

désespérément atroce par la ségrégation, entraîne dès lors la communauté noire à se définir une identité propre. L’extrême fin du XIXe siècle marque la naissance d’une culture

négro-américaine17, dont les manifestations fondamentales sont les sectes religieuses noires,

animées gospel songs et des prédicateurs noirs parfois chanteurs et joueur de guitare ou de

14 Gérard Herzhaft, Le Blues, op. cit., p. 21.

15 Gérard Herzhaft, La Grande encyclopédie du blues, op. cit., p. 11.

16 A propos de la comparaison entre ségrégation et esclavage, et après avoir invoqué quelques exemples, l’auteur

marque : « Ainsi, le grand historien noir John Hope Franklin n’hésite pas à écrite : ‘… Par plus d’un aspect, la vie des Noirs dans le Sud au début du XXe siècle était plus difficile et plus précaire qu’au temps de l’esclavage.’ », in. Gérard Herzhaft, Le Blues, op. cit., p. 24.

17 Ibid., p. 25 : « C’est finalement nettement moins les traditions africaines – bien sûr largement sous-jacentes

mais, ne l’oublions pas, totalement gommées, écrasées dès l’origine et souvent d’ailleurs mal adaptées aux conditions socio-économiques – que la vie après la guerre civile, véritablement américaine, des Noirs, faite d’isolement et de répression sociale, qui a forgé une identité si particulière au peuple noir américain. Sans vouloir nier le très net et très déterminant apport africain, il nous semble cependant beaucoup plus judicieux de donner à cette culture le nom de ‘négro-américaine’ plutôt que celui d’’afro-américaine’ ».

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12 piano, et l’apparition de la ballade noire : le blues. « Parallèlement [aux gospel songs des rassemblements religieux noirs, héritiers des negro spirituals du temps de l’esclavage], le songster élabore, sur le modèle des ballades populaires d’origine anglo-saxonne, de véritables chansons de geste qui parlent des hommes noirs. Tel fait divers, telle personnalité, tel quartier de telle ville, tel brigand luttant contre la société (… des Blancs) donnent matière à une ballade qui sera colportée de village en ville, de campements d’ouvriers en maison close, qui sera reprise, augmentée, améliorée, adaptée à la personnalité de chaque nouveau conteur. »18

Toutefois, il manque un dernier pas pour que le blues ne soit pas confondu avec la ballade. Certes, quelques-uns peuvent penser à la codification musicale progressive, schéma type abordé comme premier élément caractéristique du genre en début de partie. Mais nous soulignons plutôt ici le passage au « je » et l’expression personnelle des sentiments du bluesman : « Progressivement, le songster, sollicité par une communauté en mal de porte-parole remplace les folk-songs, largement tirés et adaptés du fond commun anglo-irlandais, par des chansons de plus en plus personnelles qui reflètent le mal de vivre de l’ensemble de la communauté noire dans le Sud ségrégationniste. Le songster devient bluesman. Il répond à la situation créée par la ségrégation, la commente, la contourne avec humour, l’apprivoise, la rend presque supportable ! Les folk-songs racontaient les exploits de personnages mythiques auxquels les Noirs pouvaient s’identifier. En devenant bluesman, le songster va plus loin. Il dit je pour la première fois dans l’histoire des Noirs en Amérique, raconte sa vision des choses, ses sentiments. Cette prise de parole individuelle est l’affirmation d’une humanité que le système ségrégationniste veut nier. Elle est un formidable acte de résistance individuel et collectif »19.

En parlant de sentiment, une caractéristique tendancieusement reléguée à un second plan mais fondamentale à notre sens est celle de la puissance émotionnelle du blues. Elle se dégage à tout niveau, que ce soit par le concert rythmique et harmonique des instruments, le musicien soliste accentuant l’expression du morceau de son affecte personnel, ou les paroles chantées délivrant tout le panel des messages sensibles : désarroi, douleur, inquiétude, exaltation, plaisir, passion et tant d’autres. Paul Trynka est l’un de ceux qui a véritablement capté cette énergie, au point de la référencer comme la signature prééminente du genre : « Le

18 Ibid., p. 26.

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13 blues est sans doute, de toutes les formes musicales, la plus viscérale, la plus forte émotionnellement. Et il est paradoxal que les études sur le sujet soient si souvent corsetées de révérence et d’intellectualisme »20. Le blues détient ce principe élémentaire d’être une

musique universelle, au-delà des modes. Partant certes d’un cri, d’une plainte, d’une lamentation à propos des conditions de vie difficiles et malheureuses mais portant dans le même temps des messages d’espoir et de reviviscence, de gaieté et de bonheur éphémères, l’expression privilégiée de la communauté noire américaine fut au cours du siècle adoptée par des populations à travers le monde – plus encore, reconnue comme un genre-source majeur de la musique populaire contemporaine. Parmi les entretiens menés par Paul Trynka, sillonnant les routes à la rencontre de vieux bluesmen, quelques extraits compilés au sujet des racines du blues étalent l’intensité de ce rapport au vécu. Pour Honeyboy Edwards : « Le blues, ça change selon les moments. Si vous jouez bien, les auditeurs se sentiront tristes et seuls au monde ; mais c’est aussi une musique de fête, quelquefois. Le blues a plus d’un tour dans son sac, c’est un truc qui engage votre intelligence, quand vous avez fait l’apprentissage nécessaire et que vous êtes à votre affaire. C’est un sacré stimulant pour l’esprit »21. Ce dernier fait

remonter l’essence du blues au temps de l’esclavage, où les chants rendaient la journée des ramasseurs de coton moins lourde, jusqu’à ce que ce que le nom commun de « blues » s’impose au début du XXe siècle sous les manifestations des musiciens qui jouaient ces mêmes airs22. Ainsi, l’évocation de la tristesse, du chagrin et la réception de cette mélancolie par

l’auditeur dénote la preuve d’un blues réussi ; bien que l’espoir qu’il renferme parfois puisse laisser place à une musique festive, réveiller un état joyeux la durée d’un instant. Nous retrouvons donc la transmission des émotions, partie intégrante de la définition du blues, basée sur les expériences quotidiennes de ceux qui les ont vécues. Ces moments convient alors chacun à se remémorer ses propres épreuves. Eugene Powell se souvient de ce que véhiculait le blues dans sa jeunesse : « Je suis né en 1908, et dans ce temps-là […] Il y avait toujours de la musique quelque part, mais les Blancs jouaient des vieux airs folkloriques – c’est toujours cette musique-là qu’ils ont jouée. Le Noir, lui, il essayait de jouer le blues. Quand il jouait d’un instrument ou qu’il chantait, ça parlait toujours d’une femme qu’il aimait, il essayait d’attirer son attention » dit-il, avant de rajouter : « Le blues vient des gens qui

20 Paul Trynka, Val Wilmer, Portraits du Blues, op. cit., p. 9.

21 Honeyboy Edwards, in. Paul Trynka, Val Wilmer, Portraits du Blues, op.cit., pp. 18-20. 22 Ibid.

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14 travaillaient dans les champs, qui travaillaient et qui tenaient bon. Les thèmes, c’est… la plupart des chanteurs, ils parlent d’une femme, de la fille qu’ils aiment, des sales moments qu’ils vivent, ce genre de choses […] Une fille que vous aimez bien, elle est en train de vous laisser tomber pour un autre, vous essayer de la retenir »23. S’exprimant uniquement sur la

période qu’il a connu, au temps de la ségrégation, Eugene Powell formule lui aussi que le blues servait à raconter les moments difficiles du quotidien pour ne pas céder, rester debout, notamment à propos des conditions rudes du labeur aux champs tant physiquement qu’au prélude d’un misérable rendement de récoltes, à l’instar de ce que connu sa famille24. Mais

dans cette narration jouée du quotidien, il s’attarde beaucoup sur l’expression du sentiment amoureux et de la séduction, combien prépondérants de nos jours. Chanter à l’attention d’une femme pour qu’elle vous regarde ou la retenir lorsqu’elle décide de partir, déclarer son attachement ou son amour en vue de la séduire ou pour la convaincre de rester, voici comment le vieux bluesman détermine le blues. B.B. King, ce colossal et principal ambassadeur du blues, communique la force de cet art transformant le besoin d’expression quotidienne d’une ethnie en une postérité fédératrice de l’être humain : « Le blues a surgi des plantations du Deep South, des spectacles itinérants, des bars et des speakeasies. Lorsque les Noirs sont partis pour les grandes villes du Nord et de l’Ouest, le blues les a suivis et a évolué pour refléter la vie dans les rues comme il avait reflété la vie dans les campagnes. Né du cœur et de l’âme d’un peuple, le blues parle au cœur et à l’âme du peuple. Le blues est plus qu’une simple musique : c’est une façon d’être, d’exprimer ses sentiments. Mes voyages de par le monde m’ont appris que le blues pouvait émouvoir et inspirer aussi bien en Russie qu’en Israël, en Afrique et en Europe, en Asie et en Australie. La musique est un langage universel, et le blues est une part importante de ce langage »25. Paul Trynka retranscrit également la

perception d’Homesick James. Celui-ci proclame : « Le blues existait en Europe avant même d’arriver ici. Le blues existe depuis que le monde est né. Ne croyez pas les gens qui vous disent qu’il est né des chants de laboureurs – il y a des types pleins aux as qui ont le blues, comme le Président (des Etats-Unis) doit l’avoir en ce moment même. Vous saisissez ce que je suis en train de vous dire ? »26. Au premier abord, nous pourrions penser que ses paroles se posent à

23 Eugene Powell, in. Paul Trynka, Val Wilmer, Portraits du Blues, op. cit., p. 17. 24 Ibid.

25 B.B. King, avant-propos, in. David Harrison, Le monde du blues [Adaptation française de The World of Blues par

Nicolas Blot], Soline, 1994, p. 7.

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15 l’encontre des connaissances sur l’avènement du blues. Cependant, ce serait mal comprendre son message. Ici, le bluesman s’intéresse, au-delà du genre musical, à l’esprit du blues, son essence, son âme. Ainsi faut-il saisir que le blues atteint tout le monde, peu importe le statut, l’origine ethnique, l’âge ou le lieu géographique de vie de l’être sensible ; d’où le succès international, l’attrait outre-frontières pour cette musique viscérale. Le grand John Lee Hooker de synthétiser : « Le blues, c’est la vie, voilà tout. […] Les Puissants, les nantis, les pauvres bougres, le blues leur parle, à tous. Son pouvoir d’attraction, c’est qu’il vous prend par les tripes, quelle que soit votre humeur. Le blues, c’est le chagrin, si c’est ça que vous voulez ; et c’est la plénitude, si vous avez le goût du bonheur. […] Tant que la terre tournera, le blues restera vivant »27. Un itinéraire blues, état d’esprit comme expression musicale, que

Gérard Herzhaft se démène à retracer depuis des dizaines d’années. Tout curieux devrait pour cela au moins tenir entre ses mains le condensé de ses recherches pluridisciplinaires. « Le blues a été la création spontanée du peuple négro-américain qui, rejeté dans l’isolement et le désespoir par l’esclavage et plus encore par la ségrégation, a chargé de toute son émotion une des formes d’art qui lui furent véritablement ouvertes en Amérique : la chanson populaire. Dès lors, le blues, pour être compréhensible, se doit d’être replacé dans son contexte réel : l’itinéraire historique, psychologique, sociologique des Noirs en terre américaine, dont il a été l’expression privilégiée et dont il a suivi l’évolution et épousé les contours. »28 De sa naissance

à sa découverte par l’industrie du disque, des premiers enregistrements à l’émergence de styles régionaux, des conséquences de l’immigration noire – des régions rurales du Sud vers les grandes agglomérations puis les villes industrielles du Nord – sur le blues d’entre-deux guerres à celui d’après-guerre, nous laissons au spécialiste le soin de dépeindre ses évolutions. Quoi qu’il en soit, après son impact sur les musiques populaires blanches jusqu’au rock and roll, le blues acoustique comme électrique, soutenu par l’intérêt de centres d’intellectuels, de campus universitaire et de groupes musicaux britanniques, acquiert enfin la reconnaissance de l’Amérique blanche et de la scène internationale. « Le blues, sorti – définitivement ? – de son contexte ethnique qui lui a assuré sa force, s’impose dans le monde entier. Il engendre de très nombreuses vocations, du Japon à l’Argentine, de l’Australie à la Russie sans oublier la France »29. Ce dernier résonne aujourd’hui encore chez ses adeptes dispersés aux quatre coins

27 John Lee Hooker, avant-propos, in. Paul Trynka, Val Wilmer, Portraits du Blues, op.cit., p. 7. 28 Gérard Herzhaft, Le Blues, op. cit., p. 11.

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16 du monde et La Réunion n’échappe pas au phénomène. Cette étude du blues à La Réunion, certes minime et limitée, s’attache à le démontrer en retraçant l’historique et les acteurs de ce mouvement.

3. Problématique et plan :

Ce mémoire, premier à s’intéresser au blues comme objet d’étude dans l’espace réunionnais, repose tout d’abord sur une déclaration personnelle. En effet, nous affirmons que le blues existe à La Réunion. De cette hypothèse de départ, issue d’un regard direct sur l’espace étudié tel indiqué plus haut et que nous tentons ainsi de défendre, notre réflexion s’applique à montrer comment le blues s’est progressivement imposé dans une société qui n’a pas spécialement cherché à se référer à lui. Problématique qui suscite dès lors toute une série de questions potentielles suivantes, auxquelles il convient d’apporter des réponses. A-t-il été étudié ? observé ? mentionné ? Quelle est sa place dans le paysage musical réunionnais ? une forme d’expression majeure ? marginale ? cloisonnée ? Quand est-il arrivé ? Comment s’est-il intégré ? Qu’en est-il aujourd’hui ? Remarquons-nous des changements ? Est-il médiatisé ? Qui en sont les acteurs ? Ses modes de diffusion ?

La première partie constitue une entrée en matière progressive de notre enquête par le biais d’interrogations fondamentales à son égard. C’est-à-dire un socle nécessaire visant, selon divers échelons, la compréhension et la situation actuelle de l’étude amorcée30.

Nous exposons l’approche disciplinaire retenue en favorisant toutefois une proximité avec le projet envisagé. En effet, le choix de distinguer dans un premier temps cette approche particulière résulte des lectures de nos prédécesseurs dont nous avons pris expérience. Parmi les mémoires consultables via la bibliothèque universitaire numérique et consacrés à l’observation du phénomène musical sur le territoire, tous accordent une place importante au cadre théorique et méthodologique tandis que la majorité d’entre eux en choisit une intégration conséquente au sein même du développement. Une base disciplinaire qui,

30 Avant de poursuivre, nous tenons à signaler que nous avions mené une réflexion théorique sur l’historiographie

de notre recherche à grande échelle, soit par quelle continuité épistémologique peut-on en arriver à penser une histoire du blues à La Réunion. Trois évolutions qui rendent réalisable cette conception sont alors à distinguer : l’histoire culturelle, l’histoire contemporaine et la micro-histoire. Cependant, nous avons préféré ne pas intégrer cette réflexion dans le développement suivant ; prenant conscience de son trop grand éloignement avec notre investigation. Néanmoins, la validation du master universitaire reposant sur des critères de connaissance disciplinaire, compréhension, analyse ou capacité d’explication, nous avons tout de même décidé de l’insérer en Annexe 1 comme mince preuve supplémentaire de notre ambition.

(17)

17 pensons-nous, ne doit pas être une présentation vaine de belles paroles, d’où la proximité directe que nous tenons à introduire avec notre étude. Puis, nous mettons au jour les éléments concrets de la démarche suivie en précisant le soutènement des publications locales, celui des ouvrages généraux et documents audiovisuels sur la connaissance du blues, ainsi que les sources orales et archivistiques auxquelles nous avons eu recours.

Manières d’enquêter sur l’histoire du blues dévoilées, nous situons ensuite notre sujet dans le paysage culturel musical de La Réunion. En procédant au recueil des entreprises abouties, nous en dégageons les axes privilégiés et remarquons l’intérêt pluridisciplinaire. Pour plonger dans ce contexte tant historiographique que musical, ne pouvant pas toutes les faire intervenir ici, sont choisies les études dites référentes, couvrant une large période chronologique, dressant un portrait général de la musique à La Réunion, ou à caractère pédagogique afin de rester dans une contextualisation abordable, ainsi que les quelques parutions minoritaires observant la vivacité des musiques internationales à l’intérieur de l’île. Ces études ont été publiées entre 1981 et 2016, accessibles via les rayons ou le catalogue en ligne de la bibliothèque universitaire. Là encore, par observation générale ou fine analyse de certaines publications, il s’agit non seulement de poser l’armature de notre recherche mais aussi de repérer la place du blues dans l’ensemble de ces connaissances disponibles.

La deuxième partie s’intéresse à l’émergence timide du blues à La Réunion, attendu qu’elle prend effet sur le long terme, entre les années soixante-dix et quatre-vingt-dix, et ne rend pas compte de groupes foncièrement blues. Le problème de reconstitution passée réside en l’absence de trace écrite rapportant une date précise de l’arrivée du blues sur l’île. Heureusement pour nous, celle-ci est assez récente et permet le recours à une mémoire orale fraîche en ce sens qu’elle n’a pas encore été entièrement reléguée à une génération qui n’a pas vécu les mots prononcés. Les souvenirs, eux, sont forcément moins frais : les témoins parlent en années approximatives, des éléments peuvent être omis, des titres de musiques oubliés au profit des artistes, etc., mais l’essentiel reste à saisir. Nous partons dès lors des résultats de nos entretiens avec des acteurs de la scène musicale réunionnaise pour reconstruire une base informationnelle.

Ces témoignages sont ceux d’artistes locaux de renom, qui ont vécu l’évolution de la diffusion musicale sur le territoire, en côtoyant les musiques traditionnelles puis le succès des musiques internationales dont la vague britannique ne leur a pas échappé. Ils ont aussi appris

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18 et joué dans leur cercle d’amis, au sein des orchestres de bals, connu les débuts de l’électrification instrumentale et de la sonorisation, monté leur propre formation et assisté à la multiplication des groupes et lieux de manifestation. Au regard de leurs témoignages à propos du blues, nous devons, si elle est connue de tous, certifier la filiation entre blues et rock et confirmer l’influence blues de quelques modèles repris par les musiciens réunionnais.

Après avoir cautionné ces témoignages par le concours d’ouvrages spécialisés et l’illustration de documents audiovisuels, nous nous penchons sur les artistes locaux en question par le biais de leur interview, d’articles de presse et d’études publiées sur le rock à La Réunion où ces allusions et références directes au blues sont évoquées ; rapprochements selon informations : artistes influents, répertoires ou discographie sont alors envisagés.

La dernière partie annonce la maturation du blues sur le territoire, amorcée en fin de siècle et favorisée les deux décennies suivantes, proclamation issue de l’observation d’un changement déterminant à savoir le passage d’une existence perceptible à l’autonomisation de la scène blues réunionnaise. Une force motrice est à l’origine de cette dynamique néanmoins fragile : la volonté des quelques groupes de blues locaux, favorisant ainsi l’ouverture culturelle et la satisfaction d’un public conquis par ce genre musical, sans lesquels la scène blues réunionnaise ne serait que l’intervention ponctuelle d’intervenants extérieurs…

Au cœur du phénomène, nous menons une enquête de terrain auprès des musiciens en recueillant leurs propos afin de répertorier une à une ces formations. D’après une base de données à l’état brute, nous constituons pour chacune d’elle un développement similaire comprenant naissance, historique artistique, présentation des membres, chef-lieu des répétitions, répertoire musical ou encore souvenirs des lieux de production. La composante blues est assurée par l’écoute et l’étude de leur répertoire, confortée de surcroît par les études spécialisées sur le sujet. De plus, nous souhaitons soutenir ces nouvelles connaissances avec une assistance visuelle plurielle. La démarche vise à exprimer la vitalité de ces groupes, témoins d’un présent proche et encore actuel, tout en favorisant une séparation entre cette maturation du blues et son émergence précédente. Lorsque cela s’avère possible, nous incorporons alors des photos de groupe mais aussi l’élaboration de cartes générales proposant le chef-lieu de chaque collectif ainsi que les endroits où ils ont eu l’occasion de se produire. Ce support cartographié, comme les listes de répertoires, rendent facilement possible une réflexion comparative à divers échelons.

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19 Pour finir, nous nous intéressons et retraçons les évènements notoires du blues à La Réunion. En effet, l’architecture emblématique du théâtre saint-gillois et les scènes prestigieuses de quelques salles conventionnées de l’île ont salué la venue de grands bluesmen, d’origine notamment américaine mais aussi française et mauricienne. Ces commandes ont été mises en œuvre par des opérateurs culturels locaux, institutions publiques comme l’Office Départemental de la Culture ou l’agence privée Yellow Moon très impliquée dans l’ouverture au blues. Certains hauts-lieux évoqués ainsi que le Sakifo Musik Festival proposèrent aussi des concerts blues au sein d’une programmation hétéroclite. Fervent messager du blues à l’échelle locale, l’association DégadéZo entreprend également la création originale du Crocodile Blues Sessions. Entièrement dédiée au blues, la manifestation rencontre un beau succès et perdure finalement trois années consécutives, après une reprise et une coordination par la mairie d’Etang-Salé Les Hauts.

(20)

20

I. Premières interrogations sur le blues :

cadre théorique, formel et contexte

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21 L’écriture de l’histoire met en rapport des sources, des approches, des axes de recherches et surtout des méthodes. Pour reprendre une définition retenue lors de nos cours de Master : « L’histoire est une connaissance du passé scientifiquement élaborée »31. Si la

manière d’écrire l’histoire n’a pas toujours été la même, aujourd’hui la scientificité est de mise et se révèle notamment à travers les notes de bas de page. Celles-ci permettent au lecteur de suivre la démarche du chercheur, d’accéder aux références et à la vérification des sources et documents qui, outre le fait de pouvoir être discutables dans l’exercice d’une critique approfondie, ont constitué le socle de son raisonnement. L’historien se juge par sa rigueur.

De même le rôle monumental de la présentation bibliographique, qui n’oserait en aucun cas être absente ou fille de l’oubli, puisqu’elle témoigne de la recherche documentaire, élaborée dès en amont de l’étude présente, et la continuité historiographique dans laquelle s’inscrit notre apport sur la connaissance du blues. Cette continuité est considérée d’un point de vue autant international (dynamique et développement sur la vivacité du blues) que délimité à un espace insulaire (discernement du blues parmi un champ musical étendu à La Réunion). Ces deux éléments méthodologiques que représentent sources et bibliographie sont tenus, pensons-nous, d’être dévoilés et justifiés explicitement afin d’informer le lecteur – historien, musicien, passionné ou simple amateur soit-il – sur le chemin suivi au cours de cette tentative scientifique.

Aussi, la musique est-elle un sujet culturel actif, empreint d’une motivation régulière au sein de la recherche universitaire et des parutions locales. Notre essai, s’il est le premier à se concentrer sur l’existence du blues à La Réunion, s’inscrit indéniablement dans une continuité historiographique et prend forme au sein d’un contexte musical révélé par celle-ci. Il convient ainsi de considérer ces travaux, les explorer et en commenter certains pour saisir les évolutions, appréhender notre sujet – le blues apparaît-il clairement ? est-ce volontaire ? quels axes sont développés à son égard ? – et l’insérer dans ce panorama musical réunionnais.

(22)

22 1. Méthodologie : rappels fondamentaux et directives retenues :

A. Approche disciplinaire : fait et vérification en histoire :

D’abord, il convient de connaître un des sous-bassement essentiels de l’écriture historique : les faits, utilisation et vérification. Dans sa leçon sur Les faits et la critique historique32, Antoine Prost rappelle la méthodologie théorisée par les pères de l’Ecole

méthodique, Langlois et Seignobos, qui « structure le plan de l’Introduction aux études historiques (1897) comme de La Méthode historique appliquée aux sciences humaines (1901) »33. Pour reprendre sa comparaison : « Les faits sont comme les pierres avec lesquelles

on construit les murs de l’édifice nommé histoire »34 ; rôle premier du discours historique qui

revient aux chercheurs et qui apporte toute sa légitimité à la discipline. En effet : « Cette importance accordée au travail de construction des faits s’explique par une préoccupation centrale : comment donner au discours de l’historien un statut scientifique ? comment s’assurer que l’histoire n’est pas une suite d’opinions subjectives que chacun serait libre d’accepter ou de refuser, mais l’expression d’une vérité objective et qui s’impose à tous ? »35

La légitimité de ce discours passe alors par un besoin nécessaire de vérification et celle-ci s’opère par la règle de référence, démarche permettant d’associer le fait et la preuve : « Il [l’historien] donne au lecteur le moyen de vérifier ce qu’il affirme ; ‘les procédés d’exposition strictement scientifiques’ que G. Monod revendiquait pour la Revue historique veulent que ‘chaque affirmation soit accompagnée de preuves, de renvois aux sources et de citations’ »36.

De l’Ecole méthodique à celle des Annales et des multiples courants historiques que les générations ont engendrés jusqu’à aujourd’hui, la règle de référence est un point acquis qui participe à la reconnaissance scientifique de la discipline historique. Marc Bloch, dans son Apologie pour l’histoire, ne manque pas de faire allusion à ce procédé élémentaire : « une affirmation n’a le droit de se produire qu’à la condition de pouvoir être vérifiée ; et pour un historien, s’il emploie un document, en indiquer le plus brièvement possible la provenance, c’est-à-dire le moyen de le retrouver, équivaut sans plus à se soumettre à une règle universelle

32 Antoine Prost, Douze leçons sur l’histoire, Seuil, 1996, pp. 55-78. 33 Ibid., p. 56.

34 Ibid. 35 Ibid.

36 G. Monod, G. Fagniez, Avant-propos du premier numéro de la Revue historique, repris par celle-ci, n°518,

(23)

23 de probité »37. Antoine Prost termine sur ce point en évoquant « une base essentielle au

métier d’historien : pas d’affirmations sans preuves, c’est-à-dire pas d’histoire sans faits »38.

Ainsi, comme nous l’avons entrepris jusqu’à présent, nous nous engageons à suivre cette règle tout au long de notre essai scientifique.

Utiliser les faits pour écrire l’histoire et inclure une preuve de leur existence comme possibilité de vérification par les historiens ou autres lecteurs est une chose. L’établissement de « faits certains »39 en est une autre et il s’effectue par la méthode critique.

Les pères méthodiques, évoqués plus haut, lui ont donné ses lettres de noblesse en appliquant leur démarche à partir des sources écrites, tandis que de grandes figures, « comme L. Febvre, F. Braudel ou J. Le Goff, ont plaidé pour le nécessaire élargissement du répertoire documentaire »40 par la suite. Bien que le support écrit et notamment archivistique ne soit

pas remis en cause, constituant le premier socle de la recherche historique (reconnu par Georges Duby ou Arlette Farge et pour longtemps encore en vigueur41), ce besoin

d’élargissement s’explique par l’évolution des technologies et les apports tout aussi précieux qu’ils peuvent contenir pour dévoiler le passé. Nous tenons à inscrire cette précision puisque notre étude repose certes sur des sources écrites mais également sur des sources orales et audiovisuelles.

Depuis Langlois et Seignobos, la méthode critique se divise en deux approches : externe et interne. « La critique externe porte sur les caractères matériels du document : son papier, son encre, son écriture, les sceaux qui l’accompagnent »42. Celle-ci s’appuie sur les

sciences dites auxiliaires de l’histoire (paléographie, sigillographie ou épigraphie données en exemple) et sert à « discerner les documents probablement authentiques des faux, ou de ceux qui ont subi des modifications » ; appelant dans ce dernier cas des critiques de provenance, de restitution ou d’édition critique43. Authenticité, ou non, accréditée, le recours au second

stade de critique dite interne vient compléter la première approche : elle s’intéresse à « la cohérence du texte, par exemple sur la compatibilité entre la date qu’il [le document] porte

37 « Marc Bloch : Eloge des notes infrapaginales », Apologie pour l’histoire, p. 40. in. Antoine Prost, Douze leçons

sur l’histoire, op. cit., p. 58.

38 Antoine Prost, Douze leçons sur l’histoire, op. cit., p. 58. 39 Ibid., p. 59.

40 Ibid. 41 Ibid. 42 Ibid. 43 Ibid., p. 60.

(24)

24 et les faits dont il parle. […] Que le document soit ou non authentique ne dit rien sur son sens. […] La copie peut avoir été faite fidèlement. La critique interne examine alors la cohérence du texte et s’interroge sur sa compatibilité avec ce que l’on connaît par ailleurs des documents analogues. La critique interne procède toujours par rapprochements »44. Si nous n’avons pas

ou peu recours à la première approche au fil de notre enquête, puisque l’authenticité des archives de presse, des programmations de concerts ou des entretiens oraux est assurée, comme celle des ouvrages généraux et mémoires universitaires, chaque document que nous relevons en correspondance avec notre questionnement est, aussi souvent qu’il puisse l’être, comparé avec ses semblables et enfourné dans l’appareil critique à l’aide des autres supports documentaires dont nous disposons.

Le développement d’Antoine Prost sur la méthode critique ne s’achève pas encore. L’enchevêtrement de questions conduit par les deux approches réunies, de critique externe et interne, engendre un autre échelon de critique et de différenciation précise entre les termes de « sincérité » et « d’exactitude », ainsi que leur rapport vis-à-vis des témoignages désignés comme « volontaire » et « involontaire ». Explications de l’historien : « Toutes les méthodes critiques visent à répondre à des questions simples. D’où vient le document ? Qui en est l’auteur, comment a-t-il été transmis et conservé ? L’auteur est-il sincère ? A-t-il des raisons, conscientes ou non, de déformer son témoignage ? Dit-il vrai ? Sa position lui permettait-elle de disposer de bonnes informations ? Impliquait-elle des biais ? Ces deux séries de questions sont distinctes : la critique de sincérité porte sur les intentions, avouées ou non, du témoin, la critique d’exactitude sur sa situation objective. La première est attentive aux mensonges, la seconde aux erreurs. […] De ce point de vue, la distinction classique entre témoignages volontaires et involontaires est pertinente. Les premiers ont été constitués pour l’information des lecteurs »45, tels les articles de presse, tandis que « les témoignages

involontaires n’étaient pas destinés à nous informer »46 ; en exemples les études et ouvrages

non axés directement sur le blues, les photos ou les vidéos privées des groupes musicaux. L’observation suivante nous paraît donc évidente : « la critique de sincérité et d’exactitude est beaucoup plus exigeante à l’égard des témoignages volontaires »47, c’est-à-dire la presse

44 Ibid., pp. 59-61. 45 Ibid., p. 62. 46 Ibid. 47 Ibid.

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25 (lorsque le blues est avancé en sujet principal) et l’oralité dans notre cas. D’où la tâche cruciale du chercheur de nourrir son doute examinateur en comparant ces derniers entre eux, lorsque la pluralité existe, et de les compléter avec des témoignages involontaires ou des outils dont il peut disposer, comme la statistique, afin de consolider au mieux l’objectivité de ses propos.

B. Démarche concrète : constitution du corpus :

Les éléments de notre démarche ont été évoqués, mettons-la au clair. La phase de recherches, pour reprendre le titre évoqué par Baptiste Mélès dans sa Méthodologie du mémoire de Master48, s’est déroulée en plusieurs étapes distinctes ; ce qui ne signifie pas pour

autant qu’elles ont été effectuées les unes après les autres, bien au contraire.

1. Publications locales :

Premièrement, nous avons lu et analysé avec attention les réalisations estudiantines et autres parutions accessibles à partir de la bibliothèque universitaire, en version matérielle ou numérisée concernant les mémoires. La liste suivante nous a permis de dresser sur l’échelle territoriale un panorama autant musical qu’attestant la variété des motivations, approches pluridisciplinaires, distanciations et interrelations entre les styles musicaux. Tout ceci dans l’objectif d’établir un contexte culturel à diverses entrées, aussi bien pour nous plonger au cœur de cette dynamique qu’interroger ces écrits sur la présence du blues.

Liste par ordre chronologique49 :

• Rose-Marie Var, Le maloya et la recomposition du champ musical réunionnais. Approche anthropologique, Mémoire d’Anthropologie sous la direction de Bernard Chérubini, Université de La Réunion, 1995, 145 p.

• Guillaume Samson, Le reggae à La Réunion. Enjeux et modalités d'une appropriation musico-symbolique. Pour une réflexion théorique sur les créolisations musicales, Mémoire de DEA Lettres et Sciences Sociales Option Anthropologie sous la direction de Christian Barat, Université de La Réunion, 1998, 63 p.

48 Baptiste Mélès, Méthodologie du mémoire de Master, Master, France, 2014, <cel-01225190>

49 Ceux-ci sont analysés en temps voulu, un peu plus loin (2. Paysage culturel musical de La Réunion : observations

(26)

26

• Evelyne Gigan, Traitement médiatique et discours identitaire : le rock local dans "Le Quotidien

de la Réunion" de 1976 à 2004, Mémoire de maîtrise Science de l’Information et de la

Communication sous la direction de Michel Watin, Université de La Réunion, 2005, 410 p.

• Sandrine Barège, Fabienne Jonca, Petites histoires des musiques réunionnaises, Sainte-Clotilde, 4 Epices Editions, 2012, 72 p.

• Thomas Arcens, Vincent Pion, Bourbon Rock. Une autre histoire de la musique à La Réunion, Saint-Pierre, le corridor bleu, 2013, 189 p.

• Jean-Pierre La Selve, Musiques traditionnelles de La Réunion, Kréol’Art, 2015 (3e édition

revue et augmentée – 1984, 1995), 334 p.

• Jimmy Tartéra, La subculture punk de l’île de la Réunion. Une représentation locale d’un idéal

« subculturel », Mémoire de Master 2 Anthropologie et de Sociologie des sociétés de l’océan

Indien sous la direction de Jacqueline Andoche, Université de La Réunion, 2016, 94 p.

2. Ouvrages généraux sur la connaissance du blues :

Ensuite, nous avons acquis des bribes de savoirs essentiels sur l’histoire du blues. Une multitude d’ouvrages est dédiée à ce sujet, que ce soit sur sa naissance, son évolution, ses styles, ses liens au sein des autres formes musicales nées dans le même temps aux Etats-Unis. Ils retracent également son processus de fabrication à partir des apports de différentes cultures, son rôle identitaire dans une société ségrégationniste, son voyage des champs de coton du Sud aux villes industrielles du Nord, sa transformation et sa diffusion grâce à l’électrification des instruments et l’enregistrement des maisons de disques appâtées par les retombées monétaires. Ainsi que son exportation outre-Atlantique vers l’Angleterre suivie plus tard de la France où le blues est désormais joué par une jeune génération de Blancs – qui participe à la reconnaissance internationale des bluesmen Noirs, ceux-ci qui les ont influencés. Sans oublier une histoire plus précise sur des artistes eux-mêmes qui ont voué leur carrière à se surpasser, devenus des figures incontournables de cette musique.

Bien entendu, tous ces ouvrages sont loin d’apparaître dans notre bibliographie, pour la raison évidente que notre recherche concerne une branche spécifique : l’histoire du blues à La Réunion. Seule une minorité de références ont été retenues dans l’objectif de nous aider

(27)

27 à construire une définition du blues et de nous appuyer sur des connaissances générales établies, dernier point nécessaire avant de se lancer dans une enquête de profondeur.

Parmi les titres retenus :

• La grande encyclopédie du blues de Gérard Herzhaft50, une production éminente, même

fondamentale, assurée à l’échelle internationale (traduction en plusieurs langues) et régulièrement mise à jour. Son auteur, spécialiste des musiques américaines et surtout du blues, a sillonné pendant des dizaines d’années les Etats-Unis à la rencontre des acteurs et des lieux de cette musique. Cette œuvre a recours au classement par ordre alphabétique, mêlant les artistes, les festivals, les régions d’effervescence et de diffusion musicale, les lieux de conservation des archives, l’histoire du blues à travers les artistes ou les zones géographiques, les labels, les magazines ou les différents styles. L’introduction des premières pages nous offre des éléments de définition et nous replace dans des contextes historiques pertinents pour entamer le corps de l’ouvrage.

• Du même auteur, Le Blues51 paru dans la collection « Que Sais-Je ? » constitue une

référence incontournable et relate son cheminement, de sa formation à son développement et de sa dynamique à son internationalisation, de manière concise. L’étude du blues y est abordée historiquement, non seulement dans son évolution temporelle mais aussi au regard des contextes socio-économiques qui bousculent la communauté noire et son moyen d’expression musicale dans une société blanche, esclavagiste puis ségrégationniste, au long du XXe siècle.

• Un troisième soutien, traduit en français, s’intitule L’encyclopédie de toutes les musiques52.

Réalisée par une vingtaine de spécialistes en collaboration, l’encyclopédie recense toutes les formes musicales jusqu’à notre époque. Elle est intéressante par son guide d’utilisation où chaque grande catégorie est divisée selon ses styles musicaux, des aperçus simples en chapeau, des pages construites en un corps de texte, retraçant les origines et l’évolution de chaque style, accompagnés de citations, de photos, d’une liste des chefs de file et de

50 Gérard Herzhaft, La Grande encyclopédie du blues, Fayard, 2012 (10e édition revue et augmentée, première

publication en 1979), 445 p.

51 Gérard Herzhaft, Le Blues, Presses universitaires de France, coll. « Que Sais-Je ? », 2015 (6e édition mise à jour,

première publication en 1981), 128 p.

52 Collectif, L’encyclopédie de toutes les musiques [traduction française de The Illustrated Encyclopedia of Music],

(28)

28 quatre mesures de musique caractéristiques de l’objet étudié. Autre travail conséquent des auteurs : en bas de page de toutes les catégories et styles, plusieurs renvois vers d’autres parties de l’encyclopédie pour remarquer les interactions continues de style en style – ce qui prouve ici visuellement que chacun d’eux a beau porter une définition plus ou moins pointue, celle-ci les compartimente afin de faciliter leur étude, ou permettre au musicien de s’identifier le mieux possible à travers l’un d’eux, mais n’évoque et ne freine en rien le débat sur leurs limites. Démarche appréciée, attention cependant car seul le temps permet de ne pas s’y perdre.

• Ensuite, l’ouvrage-source de Paul Trynka Portraits du blues53 dans le sens où des éléments

de définition du blues, son voyage et ses péripéties son évoqués, vécus et racontés par la soixantaine de bluesmen eux-mêmes que l’auteur interrogea pendant plusieurs années : « Quand nous avons envisagé, Val Wilmer et moi, de faire ce livre, nous avons décidé d’en rendre les images – qu’elles soient verbales ou photographiques – aussi honnêtes et brutes que possible. Nous avions en commun cette exigence d’aller aux sources de ces histoires racontées par les musiciens dans leurs propres termes »54. Des chapitres aux titres

évocateurs recensent tour à tour des morceaux d’entretiens des artistes dont le point de vue est inscrit noir sur blanc, à l’état brut, sans modification et sans interruption dans le développement de leurs idées. Cet ouvrage-source nous a paru atypique et regorgeant d’une mine d’informations pour celui qui souhaite se lancer dans une étude approfondie.

D’autres ouvrages complémentaires sont passés entre nos mains. Nous pensons notamment à l’œuvre originale de Mike Evans qui nous propose un voyage en couleurs à travers Vinyles. Les tubes, les pochettes, les labels55 où il fait le point historique sur l’évolution

de l’enregistrement sonore, les maisons de disques, le visuel et la conception artistique des pochettes ainsi que les musiciens qui ont marqué la technique d’enregistrement par le vinyle – le tout référencé par décennie – ; ce qui nous apporte quelques précisions supplémentaires dans notre étude. Ou encore Le monde du blues par David Harrison56, dont l’évolution est

53 Paul Trynka, Val Wilmer (photographe), Portraits du Blues Avant-propos de John Lee Hooker, Portraits du Blues

[traduction française de Portrait Of The Blues par Anne Paumier-Gintrand, Eric Chédaille et Philippe Mortimer], Vade Retro, 1996, 160 p.

54 Paul Trynka, Val Wilmer, Portraits du Blues, op. cit., p. 9.

55 Mike Evans, Vinyles. Les tubes, les pochettes, les labels [traduction française de Vinyl – The Art of Making

Records par Nadia Fisher], Paris, Gründ, 2016, 256 p.

56 David Harrison, Avant-propos de B.B. King, Le monde du blues [adaptation française de The World of Blues par

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29 largement appuyée par les sorties discographiques et sans cesse illustrée par un nombre conséquent de pochettes de labels et photographies d’artistes. Puis un livre sur Les Racines du Rock57 – par décennies, thèmes, et artistes, le tout abondamment décoré encore une fois

– qui a complété nos connaissances sur le lien entre le blues et le rock. Enfin, nous pouvons citer The Real Book of Blues58 qui recense la ligne mélodique, les accords et les paroles de 225

succès du blues : « Instant, no-frills arrangements of 225 great blues numbers : melody line, chords, lyrics. That’s all there is to it ! Just open the book and start playing » ; compositions qui viendront supporter notre enquête lorsque des groupes réunionnais en feront référence en nous indiquant leurs reprises dans ce répertoire des classiques du blues.

3. Documents audiovisuels sur la connaissance du blues :

Nous avons renforcé notre culture générale du blues avec de nombreux films et documentaires, à l’instar de la série documentaire The Blues sous la direction de Martin Scorsese, illustre cinéaste de la scène américaine. Sortie en 2003 à l’occasion du centième anniversaire du blues aux Etats-Unis, la série compte sept films réalisés par Wim Wenders59,

Richard Pearce et Robert Kenner60, Martin Scorsese61, Charles Burnett62, Mike Figgis63, Marc

Levin64 et Clint Eastwood65 où chacun partage son regard sur le thème débattu, mêlant

origines et modernité, afin d’initier le jeune public au blues parfois méconnu – pourtant racine des musiques nord-américaines, moteur des musiques populaires depuis des décennies – ou de combler les amateurs et les attentes dévorantes des passionnés. Notons néanmoins que l’analyse critique, évoquée plus haut, dut démêler le fond historique de la romance et des 57 Florent Mazzoleni, Les Racines du Rock, Hors Collection, 2008, 224 p.

58 The Real Book of Blues, Wise Publications, 1999, 304 p. La dernière page indique « Music compiled and

arranged by Jack Long » et « Music processed by Enigma Music Production Services ». Le catalogue de Music Sales’ comprend dans la même série un « The Real Book of Jazz », « The Real Book of Great Songs » ou « The real Book of Favourite Classics ».

59 Wim Wenders, The Soul of a Man [version française identique], [Enregistrement vidéo], Etats-Unis, Martin

Scorsese Presents, 2003, 1 DVD, 103 min., son., coul.

60 Richard Pearce, Robert Kenner, The Road to Memphis [version française : La Route de Memphis],

[Enregistrement vidéo], Etats-Unis, Martin Scorsese Presents, 2003, 1 DVD, 89 min., son., coul.

61 Martin Scorsese, Feel Like Going Home [version française : Du Mali au Mississippi], [Enregistrement vidéo],

Etats-Unis, Martin Scorsese Presents, 2003, 1 DVD, 77 min., son., coul.

62 Charles Burnett, Warming by the Devil’s Fire [version française : Devil’s Fire], [Enregistrement vidéo],

Etats-Unis, Martin Scorsese Presents, 2003, 1 DVD, 89 min., son., coul.

63 Mike Figgis, Red, White and blues [version française identique], [Enregistrement vidéo], Etats-Unis, Martin

Scorsese Presents, 2003, 1 DVD, 93 min., son., coul.

64 Marc Levin, Godfathers and sons [version française identique], [Enregistrement vidéo], Etats-Unis, Martin

Scorsese Presents, 2003, 1 DVD, 96 min., son., coul.

65 Clint Eastwood, Piano Blues [version française identique], [Enregistrement vidéo], Etats-Unis, Martin Scorsese

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