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Deux philosophes français et le renouveau thomiste : l’esprit médiéval dans les oeuvres de M. Gilson et de M. Maritain. --.

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(3)

This thesis is submitted in partial fulfilJment of the requirements of McGill University for the degree of Master of Arts

by Sister Margaret of the Sacred Heart Dooling, I

(4)

Deux philosophes fran~ais et

le renouveau thomiste

L'esprit medieval dans

(5)

Table des Matieres

Avant-Propos

Premier Chapitre - Le renouveau thomiste - Le role de

l'Eglise Catholique 1 - 19 Deuxieme Chapitre - La Pensee Moderne 20 - 47 Troisieme Chapitre - L'oeuvre de M. 3. Maritain

dans le renouveau thomiste Quatrieme Chapitre - L'oeuvre de M. E. Gilson

dans le renouveau thomiste Cinquieme Chapitre - La Croisee des Chemins

48~~ 75

75 - 103

(6)

Avant-Propos

Dans tous les pays, pendant taus les siecles, l'Homme s'efforce de resoudre le probleme de l'univers, de comprendre ce que c'est que le monde, ce que c'est que la nature humaine, de penetrer dans le royaume des cieux au-dela de ce monde o~

il habite, en un mot, de s'expliquer

a

lui-meme, avec tous

ses rapports avec la Nature et les Forces qui tiennent en exis-tence cette planete ou il se trouve sans trop savoir comment et pourquoio

Aussi loin que l'on remonte dans l'histoire on est en pre-sence de ces efforts de tout comprendre, de tout expliquer, et de nos jours~ quand les sciences ont fait tant de progres, on

se voit en face d'une determination obstinee de trouver le met de l'enigme, de tout raisonner, de tout eclaircir. Au

dix-septieme siecle, Descartes, cherchant l'explication de sa propre nature, de son origine et de sa destinee, acceptant toujours la Revelation Divine et l'autorite de l'Eglise mais mecontent des explications philosophiques qu'on lui avait donnees, conQut la methode de doute scientifique et se pro-mit de ne rien accepter sans l'avoir examine, lui-meme, d'une maniere analytique, scientifique. Tout en se croyant l'en-fant fidele de l'Eglise Catholique, Descartes posait deja

les fondements de ce systeme rationaliste qui devait, apres le renversement de la philosophie scolastique, mener

a

taus

(7)

lea systemes medernes dent ancan ne semble satisfaire le

ooenr hwmain, dont ancun ne donne de rep•nse suffisante aux preblemes de l'univers.

On rejeta le systems scolastiqne, on se mefia des

grands maitres Th•mas d'Aqnin et Aristote; on conQnt la

raison hnmaine ce~~e une faculte independante

a

l'egard

des choses, theorie qui la priva de sea appuis necessaires,

les sens, et au terme, on arriva, assez naturellement,

a

mepriser cette faculte

a

laquelle Gn avait attribue des

qualites qui ne lni appartiennent pas. C'est pourquei lea philosephes qui ont continue dans cette voie sont arrives

a

nn scepticisme presque complet; c'est ce que Descartes,

grand penseur et chretien sincere, n'a pas prevu et ce

qu'il aurait desavoue, lui-meme.

Aujourd'hui, le cercle a ete complete et au vingtieme

siecle, an retrouve la philosophie thomiste, cette philosophie

que l'on avait enterree au dix-huitieme sieale comme etant peu

scientifique et demodee; cette philosophie qui convenait au

meyen age avant les grandes decouvertes scientifiques n'etait

plus acceptable au dix-huitieme siecle et l'on mit de oote ce

systeme qui ne saurait rien comprendre,

a

ce qu'il semblait, aux pr0gres faits dans le monde de science. Mais si cette

philosaphie contenait deja au treizieme siecle des elements

de verite, cette verite ne saurait changer avec les annees,

(8)

modifier notre conception du monde, ne sauraient non plus contredire des principes vrais depuis tous les ages. or, 11 doit etre possible de demontrer que les principes

scien-tifiques de nos jours ne sont pas contraires aux principes

philosophiques du treizieme siecle; il s'agira, alors, de concilier la science du vingtieme siecle et la sagesse du treizieme, et pour les unir il faudra distinguer avec beau-coup de soin.

Parmi les nombreux philosophes eminents qui s'interessent

a

ce probleme, il y a deux Fran~ais qui jouent un role dans ce renouvellement philosophique dont il serait impossible d'exa-gerer 1' importance, et c' est

a

1' oeuvre de :VI. Etiienne Gilson et de M. Jacques Maritain que nous proposons de consacrer ces quelques pages.

(9)

Premier Chapitre

Le renouveau thomiste Le r81e de l'Eg1ise Catholique "La doctrine de saint Thomas n'est pas le bien de saint Thomas", nous dit M. Jacques Maritain. "Elle est le bien

commun de l'Eglise et des hommes. Seule entre toutes les autres doctrines, son caractere propre est d'etre desappro-piee, strictement impersonne1le, absolument universelle." 1

"Voila pourquoi ce n'est pas le catholicisme qui est tho-miste, c'est le thomisme qui est catholique; et il est

2 catholique parce qu'il est universaliste."

C'est cette philosophie catholique et universelle que les Papes du dix-neuvieme et du vingtieme siecles vont pre-senter au monde dans l'espoir de restaurer la paix dans les coeurs des hommes. A la fin du dix-neuvieme siec1e il est

a.ssez evident que le monde n' est pas en paix, n' est pas heureux de ce bonheur que lui avaient prords les precheurs de la nouvelle philosophie; ---la liberte, l'egalite, ces ideaux glorifies des Revolutionnaires, n'existent pas plus apres la Revolution qu'avant,

a

ce qu'il parait, et les gens de~us dans leurs esperances cherchent, par tous 1es moyens,

a

realiser leur ideal,

a

trouver cette Utopie dont on leur avait parle.

L'introduction de la machine pour aider dans le travail humain, au lieu de resoudre les prob1emes deja existants, en 1. Jacques Maritain, Le docteur angelique, P. 26

(10)

- 2

a cree de nouveaux et les hommes sont inquiets, malheureux et trop souvent incroyants, ou du mains sceptiques.

Reconnaissant le besoin que les hommes ont d'un en-seignement specifique et bien defini, les Papes leur pro-posent la philosophie de saint Thomas, systeme clair,

con-cis, bien pense qui ne laisse rien d'obscur et qui s'adresse

a

l'homme tout entier, tenant compte du corps aussi bien que de l'ame, preparant l'homme pour l'eternite tout en s'effor-~ant de lui accorder le plus de bonheur possible dans le temps. Mais c'est une philosophie chretienne qui a ete construite au moyen age, epoque ou la vie rut beaucoup plus simple

---comment l'adapter

a

la vie compliquee du monde scientifique et rationaliste du dix-neuvieme siecle et du vingtieme?

Voila le probleme qui confronte les Papes et au premier

abord, ils pourraient bien sembler un peu mal

a

l'aise dans cet effort de conciliar les progres scientifiques modernes avec les principes philosophiques medievaux, mais des le

moment ou l'on remet la philosophie et la science dans leurs propres spheres, les difficultes s'evanouissent et l'on n'a plus de peine

a

reconcilier les decouvertes recentes avec les verites anciennes et 11on voit clairement qu'il n'y a pas

ne-cessairement de contradiction entre les theses philosophiques du treizieme siecle et les inventions scientifiques du vingt-ieme, ---- encore une fois, _il est question de distinguer

(11)

- 3 iillli

avant d'unir.

Dans l'Eglise Catholique, bien entendu, saint Thomas n'avait jamais perdu son prestige, mais on avait ete un peu 6bloui par les "id~es claires" de Descartes; enthou-siaste des progres scientifiques, on avait oublie en quel-que sorte la necessi te de tenir les principes e.ternels pour ne pas etre emporte par des nouveaut~s, et il fallait rappe-ler meme aux bans chretiens ·;ombien la sagesse de saint Tho-mas etai t belle et conforme

a

toutes lea epoques. Voila la

tache que se proposait Pie IX ---- de mettre les hommes en garde centre les nouveautes qui pourrai:.,nt bien les seduire. Se trouvant en face de taus les problemes moraux, sociaux, religieux amenes par les progres des sciences physiques et par les philosophies modernes, Pie IX, pour tenir tete

a

ces principes materialistes qui menaqaient d'absorber et de perdre le monde qu'il voulait

a

tout prix sauver, se retira de ce monde pour se refugier dans la priere et la contempla-tion; ce n'etait pas, comme l'on croyait volontiers, qu'il rut l'ennemi de tout progres materiel, ce n'etait pas qu'il voulQt mettre un ter.me aux experiences scientifiques qui rendraient la vie plus facile aux hommes ----q'aurait ete une tache impossible et nul mieux que lui ne reconnut l'im-possibilite d'une telle entreprise. Ce n'etait pas non plus cet "esprit d'archatsmem que reprouve M. Maritain

(12)

.. 4

-qui l'inspirait, "cet esprit -qui voudrait supprimer lama-chine et la technique"o3 Mais voyant toutes chases sous !'aspect eternel, il comprenait tout le danger pour la par-tie spirituelle de l'hormne, d'une vie mecanique, car "si la machine et la technique ne sont pas domptees, soumises de force au bien humain, c'est

a

dire, entierement et ri-goureusement subordonnees

a

l'ethique religieuse et ren-dues instruments d'une morale ascetique, l'humanite est

4

litteralement perdue". Voila ce que craignait Pie IX, la perte, la ruine des ames humaines; ce qu'il voulait, c'est sauver l'humanite, et l'humanite n'apercevant pas le danger, ne voulut pas etre sauvee. Ne trouvant pas, pour le moment, le moyen de reconcilier ces progres mo-dernes avec la "morale ascetique" qu'il faut, le Pape tourne le dos aux inventions, aux nouvelles idees et ne s'occupe plus que du salut eternel de son peuple. Ace moment-la, une telle attitude fut veritablement une sauve-garde, car si l'on veut vaincre le material il faut

tou-jours se servir des armes spirituelles; c'est pour se fa-qonner ces armes necessaires que Pie IX s'eloigna du

com-'

bat, laissant a son successeur la gloire de concilier lea

progr~s a~ec la verite, les progres recents, modernes, a-veo lea verites anciennes, eternelles. Il comprenait

3o Jacques Maritain, Songe de Descartes, P. 231 4. Ibid.

(13)

- 5 tiii

toute !'imprudence de l'action qui precede la contemplation, la folie de cette devise du Faust pantheiste,"Au commence-ment e.tait l'action"t devise qui "est inscrite sur

l'eten-dard de la mort". 5 Il n•y a rien de vraiment grand qui se fasse dans le monde sans que l'on se retire du monde pour contempler avant d'agir ---- ce sont les successeurs qui

reussissent

a

faire ce que les contemplatifs ont reve. Leon XIII a su profiter de la sagesse de son pre-decesseur et 11 n'a pas tarde

a

en tirer les conclusions les plus heureuses. Tout en soutenant les doctrines de-finies par Pie IX, tout en reconnaissant la haute impor~

tance du role de l'Eglise qui a pour tache de preparer les ames humaines pour la vie celeste, Leon XIII trouve le terrain prepare de sorte qu'il peut, qu'il ose rendre la vie plus aisee, cette vie terrestre des hommes, sans risquer de leur faire oublier qu'ils sont toujours les citoyens de la cite de Dieu. Voyant, done, en ces pro-gras modernes une raison de remercier Dieu qui avait donne tant de pouvoir aux hommes, 11 chercha le moyen de se servir de toutes ces nouvelles inventions pour rendre plus de gloire

a

Celui qui en etait la Cause. Quand il s'agit de la pensee moderne, des rationalistes qui veulent nous faire croire que "la verite est facile

a

atteindre, qui entreprennent de 'soumettre toutes chases 5. Jacques Maritain, Trois Reformateurs, P. 63

(14)

- 6

-au nive-au de la raison' ••••• des soeptiques ••••• qui mettent

en doute la veraoite de la raison et disent que la verite

est impossible

a

atteindre, ••••• des anti-intellectualistes

qui dese$perant de !'intelligence et de la raison demandent

la verite

a

la volonte,

a

!'instinct, au sentiment ou

a

l'ao-6

tion", alors, c'est autre chose. Leon XIII, pas plus que Pie IX ne s'efforce de defendre les principes rationalistes,

materialistes qui sent repandus dans le monde de son temps; certes il ne rejette pas les decouvertes scientifiques

parce qu'elles sont nouvelles mais il ne refuse pas non

plus la philosophie medievale parce qu'elle est ancienne.

I l sait bien que les chases vieilles ne sont pas

necessaire-ment fausses, ni les chases nouvelles necessairenecessaire-ment vraies; 11 comprend que sa tache est de combiner ce qui est vrai et

vieux avec ce qui est vrai et jeune. Ce qu'il cherche

a

faire c'est appliquer des principes vieux comme le monde aux

problemes modernes. bout?

Comment s'y prendre pour en venir a '

Il existe dans l'Eglise des outils tout faits, une ga-rantie dont on ne saurait douter l'efficacite ---- l'auto-rite du Saint-Esprit, la Revelation, cette Revelation que

Dieu Lui-meme a donnee aux hommes pour les preserver des

erreurs qui pourraient facilement les mener

a

une impasse. 6. Jacques Maritain, Introduction Generale

a

la Philosophie,

(15)

- 7

-C'est que !'intelligence humaine ne suffit pas

a

saisir ce qui est surhumain; il faut le lui reveler. Et voila ce au'a :J..

fait le Createur dans l'Ecriture Sainte. Alors, si l'on ad-met la possibilite d'une Revelation, l'on ne voit aucun

in-convenient

a

verifier les conclusions philosophiques en les soumettant

a

une Revelation, surtout, si les hommes gardent toujours le droit de raisonner et de refuser d'accepter ce qui est carrement contradictoire; en ce cas, la Revelation sert pour affir.mer les conclusions raisonnables et pour

faire connaitre ce qui est autrement au-dessus de la raison. Voila le principe de ce grand philosophe du moyen age, Tho• mas d'Aquin qui n'hesita jamais

a

se reclamer de la

Revela-tion, sans d'ailleurs diminuer le mains du monde le role de !'intelligence; et voila ce que suggere Leon XIII aux phi-losophes modernes qui semblent eprouver une certaine repu-gnance

a

accepter une philosophie qui avoue des le debut

son respect pour la verite revelee. On peut comprendre leur position, car bien certainement, une philosophie n'est pas vraie parce qu'elle depend d'une Revelation et s'en vante, "une philosophie peut se reclamer d'une Revelation et etre fausse, mais ce n'est pas parce qu'elle s'en inspire; c'est parce qu'elle est une mauvaise philosophie •••••••• mais una philosophie peut s'inspirer d'une Revelation et etre vraie et c'est parce qu'elle est une bonne philosophie"• 7 7. Etienne Gilson, L1Esprit de la philosophie medievale,

(16)

- 8

-Il s'agit, done, de voir si cette "philosophia perennis" qui s'inspire franchement de la Revelation peut etre classee

comme une bonne philosophie, une philosophie vivante qui

con-vient

a

tous les hommes dans toutes les circonstances. C'est

ce que Leon

XIII

affirme

a

plusieurs reprises en enjoignant

aux seminaires et aux universitas d'avoir recours

a

l'en

-seignement de saint Thomas d'Aquin dans leurs problemes

phi-losophiques. Evidemment, ce systeme n'est pas une oeuvre

complete et fermee qui n'admettra pas d'additions; au

con-traire, il faudra augmenter et perfectionner ce systeme en

y ajoutant tout ce qui a ete appris avec certitude depuis

le moyen Age, toutes les decouvertes scientifiques, toutes les verites prouvees, mais toujours en accordant aux pre

-miers principes etablis par saint Thomas la place qui leur

est propre.

Meme

dans l'Eglise Catholique il fallait insister sur

la vision large de ce philosophe medieval et sur la possi-bilite de trouver la reponse aux questions modernes dans ses principes fondamentaux et eternels, car tout en avouant la force et la beaute de la theologie de saint Thomas, on sem-bla etre convaincu que les problemes sociaux, politiques,

meme moraux de ce vingtieme siecle, si illumine, si

scien-tifique avaient besoin d'une reponse plus moderne et on

(17)

- 9 iilii

du moyen age, pour le rendre plus conforme aux temps pre-sents. Mais Leon

XIII,

et apres lui, Pie X et Pie XI ant constate que non seulement les problemes du treizieme

siecle mais aussi ceux de notre age, si savant, si pro• gressif qu'il soit, trouvent dans cette philosophie uni-verselle une solution complete et suffisante, car, apres tout, la nature humaine ne change pas beaucoup avec les siecles; elle reste au fond toujours pareille et les memes desirs, les memes passions se manifestent au vingtieme

siecle qu'au treizieme. En fin de compte, c'est le bon-heur parfait et durable que les hommes cherchent ~ toute epoque et ils ne reussiront jamais dans cette recherche, pas plus de nos jours qu'au temps de saint Thomas. Il n'y a rien au monde qui puisse satisfaire l'ame humaine; quoi que les hommes possedent il leur reste quelque chose a

de-sirer: on ne doit pas trouver son bonheur parfait sur la terre, autrement on risque de le perdre au ciel. Et voila precisement ce que le monde moderne a l'air de vouloir: le bonheur parfait, ici et maintena.nt, une sorte de paradis ter-restre ou Dieu n'est pour rien. On court apres les plaisirs, plaisirs sensuels, plaisirs intellectuals et l'on n'est ja-mais completement satisfait---saint Augustin, longtemps avant saint Thomas, nous explique ce malaise qui nous afflige en nous prevenant que Dieu nous a crees pour Lui-meme et ne

(18)

...

10

...

nous laissera pas trouver notre contentement hors de Lui~ Le thomisme ne pretend pas nous fournir tout ce qu'il faut pour combler les desirs de l'ame humaine; ce que saint Tho-mas promet, c'est la verite autant qu'il est possible de la

posseder dans ce monde, autant qu'il la connait lui-meme (et

11 serait le premier

a

avouer combien ses recherches sont

inadequates). Pour lui, il croit qu'apres de longues annees

de travail, d'un travail acharne et incessant, ce qu'il a

presente

a

ses semblables, ce n'est que"de la paille". Mais

ce n'est pas l'opinion de Sa Saintete, Leon XIII, qui char-chant le moyen de combattre l'esprit de scepticisme,

d'agnos-ticisme qui se faisait sentir dans le monde eut recours aux

oeuvres de cet humble moine, oeuvres qu'il avait etudiees avec beaucoup d'interet pendant les annees ou il

s'acquit-tait des fonctions de l'Eveche de

Perugie.

Par les circon-stances memes dans lesquelles il commenqa son pontificat, il fallait regler les differends entre l'Eglise et l'Etat,

tache delicate vu les antipathies de certains gouvernements vis-a-vis de l'Eglise. Se souvenant des etudes qu'il avait faites avant son elevation

a

la Papaute, Leon XIII s'avisa

de puiser dans les oeuvres de ce philosophe catholique du moyen age pour trouver la solution de ce probleme du

dix-neuvieme siecle et c'est la dans les oeuvres de ce religieux qui mourut en 1£74 que Leon XIII trouva en 1880 la reponse

(19)

- 11

-a

cette question difficile:"Est-ce que l'Eglise est supe• rieure

a

l'Etat?" Il apprend que, dans le monde comme il existe, l'Etat est souverain et independant dans sa propre sphere, c'est

a

dire pour maintenir l'ordre public et pour sauvegarder le bien-etre physique des citoyens; c'est

a

l'Eglise de veiller sur les ames humaines, de montrer la voie

a

la vie eternelle et tant que les lois de l'Etat ne mettent pas en danger le salut eternel des citoyens,

l'E-glise n'a ni le besoin ni le devoir d'intervenir. ·"Dieu

a repart1. entre le pouvoir ecclesiastique et le pouvoir

civil le soin de procurer le bien du genre humain. Il a

prepose le premier aux chases divines et le second aux

chases humaines. Chacun d'eux dans son ordre est souverain; chacun d'eux est refer.me dans des limites parfaitement

de-terminees, et tracees en exacte conformite avec sa nature et son principe. Chacun d'eux est done circonscrit dans

une sphere ou il peut agir et se mouvoir en vertu des lois qui lui sont propres." 8 Alors, si un moine du treizieme

siecle avait trouve le moyen de reconcilier l'Eglise et l'Etat au dix-neuvieme siecle, et ainsi de resoudre un

probleme politique moderne, il etait assez naturel de

cher-cher dans ses theories philosophiques la reponse aux ques-tions qui agitaient le monde des philosophes. L'esprit

(20)

- 12

-moderne qui refusait d'accepter Dieu et l'Ecriture Sainte, se moquait des idees fanatiques du moyen age qui essaya de reconcilier la philosophie grecque et la foi chretienne, mais l'esprit moderne, malheureusement, confondit l'esprit

des Averroistes pour qui Aristote est le maitre dent le "ipse dixit" mit fin

4

toute querelle et !'esprit medieval qui apprecia le genie de ce savant sans en etre l'esclave. "L'ipse-dixitisme' est le fait des Averroistes, mais ce niest celui ni de saint Bonaventure, ni de saint Thomas

9 d' Aquin."

C'est une science sure et experimentale que cherchaient les modernes, science

cu

les transcendantaux n'avaient pas de place, ou seulement les experiences demontrees aux sens comptaient. ~~is apres trois siecles de telles experiences pourrait-on dire que l'on est, apres ces trois cents ans de doute et de scepticisme, meilleur, ou plus heureux, ou plus huma.in? Serait-il possible que l'on fut la victime de

"cette philosophie, de ces raisonnements vains et trompeurs" dont parle l'Apotre Paul? C'est evidemment la pensee de Sa Saintete, Lean XIII, qui dans une lettre encyclique du 4

aout, 1879, met en garde les chretiens centre ces raisonne-ments "qui abusent !'esprit des fideles du Christ et

cor-rompent la purete de la foi parmi les hommes. Voila pour-quoi", explique le Pontife, "les pasteurs supremes de

9. Etienne Gilson, Esprit de la philosophie medievale, 2e serie, Po

(21)

~

-l'Eglise ont constamment juge qu'il etait aussi de leur charge de promouvoir de toutes leurs forces la science vraiment digne de ce nom, et de veiller en meme temps avec une diligence

par-ticuli~re

a

ce que partout, toutes les sciences fussent en -seignees en conformite avec la foi catholique •••••••••. mais principalement la philosophie, puisque, assurement, la droite regulation des autres sciences depend d'elle pour beaucoup." 10

Il est clair que le Pape considere la philosophie comme superieure aux autres sciences et reconnait ses droits

regu-lateurs mais il n'a aucunement envie de nier la place des sciences dans la vie humaine, ni de defendre

a

son peuple le droit de profiter des decouvertes scientifiques. C'est seule-ment qu'il a peur que son peuple ne se perde dans les choses materielles oubliant la vie spirituelle qui est propre

a

la race humaine; alors, il veille toujours sur la vie intellec-tuelle car si les hommes ne suivent pas les conseils de la droite raison ils se hasardent dans des voies dangereuses. "Comme il est inscrit en effet dans la nature de l'homme de prendre la raison pour guide de ses actes, si l'intelligence commet quelque faute, la volonte, elle aussi, declinera fa-cilement sur le meme objet. Il arrive ainsi que la devia-tion des opinions qui ont leur siege dans !'intelligence, influe sur les actions humaines et les vicie. Au contraire, si l'esprit des hommes est sain, s'il tient avec fermete

a

10. Leon XIII, Lettre encyclique, - Aeterni Patris

(22)

14

-des principes vrais et soli-des, il sera, pour la societe comme pour les individus la source des plus grands bien-faits." 11

Il ne se lasse pas de maintenir les droits de la raison, meme en cherchant

a

faire valoir les droits de la foi; "ce

n1

est pas en vain", nous dit-il, "que Dieu a place la lumiere de la raison dans l'esprit de l'homme, et tant s'en faut que la lumiere surajoutee de la foi eteigne ou diminue la vigueur de !'intelligence; elle la partait plutot, et en augmentant ses forces la rend capable de se porter plus haut". 12

Il est manifeste que le Pape ne diminue nullement la valeur de la raison humaine, mais il est egalement manifeste qu'il ne regarde pas cette raison comme suffisante pour la solution de tous les problemes qui se presentent aux hommes. Parlant en Pasteur supreme des fideles, il declare sans equi-voque la necessite de ramener

a

la foi ceux qui errent dans la voie hasardeuse d'une fausse philosophie et affirme que "loin d'en souffrir le moindre detriment, les sciences de la nature elles-memes en si grand honneur aujourd'hui, et qui par tant de splendides decouvertes s'attirent partout une ad-miration sans pareille, gagneraient singulierement, elles aussi,

a

une restauration de l'ancienne philosophie". l3 Et

a

tous ceux qui cherchent la verite, meme

a

ceux qui ne sent pas de la foi catholique, auxquels il ne peut parler aveo tl. Io1<1.

12. Ibid. 13. !bid.

(23)

-- 15

--l'autorite d'un pere, il recommande de la maniere la plus insistante cette philosophie scolastique qui peut bien ser-vir d'appui aux experiences scientifiques et il soutient que "aagement mise en oeuvre, la philosophie scolastique appor-terait

a

ces recherches un merv~illeux accroissement de force,

de lumiere et de richesses". Parmi tous les docteurs il yen a un "qui s'eleve

a

une hauteur incomparable, leur prince et leur ma1 tre

a

tous, Thomas

et'

I1.quin", cu' il de cri t comme ''d' un esprit docile et penetrant, d'une memoire facile et sOre, d'une parfaite integrite de vie, surabondant en science di-vine et humaine ••... Il n'est &ucune partie de la philoso-phie qu'il n'ait approfondie avec autant de vigueur que de sagacite: des lois du raisonnement; de Dieu et des substances incorporelles; de l'homme et des autres realites sensibles; des actes humains et de leurs principes, il a traite en telle sorte que rien ne manque

a

son enseignement, ni l'abondante moisson des questions, ni l'exacte disposition des parties, ni la perfection de la methode, ni la solidite des principes ou la force des arguments, ni la clarte et la propriete de !'expression, ni l'aisance dans l'explication des points les

14

plus difficiles". Il continue et nersiste

a

faire re-marquer la nature universelle et ~stholi~ue de cet

en-seignement, de la"souveraine ,:.:.mplitude" de cette doctrine qui contient deja au treizieme siecle " les germes de 14. Ibido

(24)

15

verites presque infinies que les maitres des ages poste -rieurs auront

a

developper au moment opportun et avec les

fruits les plus abondants". 15

Il n' exige pas alors qu'on accepte le thomisme tel quel sans tenir compte des experiences scientifiques qui ont ajoute

a

notre science sans changer en quoi que ce soit les principes fondamentaux; au contraire, il en

courage les etudes scientifiques dans l'espoir d'aug menter la science humaine et de repandre la verite di

-vine.

Nous avons insiste un peu longuement peut-etre sur

le role de Leon XIII et sur les conseils qu'il donne dans ses lettres encycliques, mais ces lettres ont penetre si

profondement dans la vie intellectuelle de l'Eglise

Catho-lique, ont eu des resultats si importants dans la vie in-tellectuelle meme hors de l'Eglise qu'il serait difficile d'exagerer !'importance de l'impulsion donnee par le Pon~ tife

a

l'etude de saint Thomas.

Le clerge seculier et regulier, les seminaires, les

universitas se sont empresses de suivre ces conseils et l'on voit presque tout de suite une veritable renaissance

de la philosophie scolastique. Dans la fameuse

universi-te de Louvain qui devait servir en quelque soruniversi-te de centre

de jailissement, non seulement les ecclesiastiques mais

(25)

17

aussi les jeunes etudiants en philosophie se sont interes-,

ses au mouvement et sous la direction d'un savant comme le Cardinal Mercier, de professeurs comme

Nys,

de Wulf, Thierry, Deploige et plusieurs autres ont contribue

a

approfondir,

perfectionner et repandre le systeme de saint Thomas. Dans tous les pays du monde se voit le meme phenomene, et la phi-losophie scolastique, negligee, oubliee depuis l'age classi-que est, de nos jours, encore une fois en honneur.

Si Leon XIII a pour saint Thomas d'Aquin la plus haute estime et recommande l'etude de ses oeuvres de la maniere la plus urgente. son successeur, Pie X va encore plus loin et de crainte que cette recommandation ne soit le mains du monde ambigUe affirme nettement sa volonte, "En ce qui con-cerne les etudes, nous voulons et ordonnons expressement que la philosophie scolastique constitue le fondement des etudes sacrees". C'est toujours la philosophie de saint Thomas dont 11 est question et il ne veut pas qu'on se meprenne sur ce qu'il desire; done il continue,"Et ce qui est capital, c'est que lorsque Nous prescrivons de suivre la philosophie scolas-tique, Nous ente~ons surtout celle qui nous a ete leguee par saint Thomas d'Aquin. Nous declarons done que tout ce qui a ete edicte par Notre Predecesseur reste pleinement en vigueur, et en tant que besoin, Nous l'edictons

a

nouveau et le con-firmons, et ordonnons qu'il soit par tous rigoureusement

(26)

ob-18

...

serve. Que, dans les Seminaires

ou

on aurait pu le mettre en oubli, les eveques en imposent et en exigent !'observance;

prescriptions qui s'adressent aux Superieurs des Instituts religieux." 16

Plus recemment, Pie XI exprime encore une fois le desir

que l'on forme les jeunes clercs sur la philosophie et la

theologie de saint Thomas, parce qu'il voit dans cette phi-losophie le seul moyen d'eviter tous les maux qui resultant

des erreurs modernes, repete avec ses Predecesseurs illustres que 11 pour ecarter les erreurs qui sont la source et

l'ori-gine de tous les malheurs de notre temps, il faut se tenir

a

l'enseignement de l'Aquinate plus religieusement que jamais ••••••• en philosophie, il sauvegarde la force et le pouvoir

de !'intelligence humaine, ainsi que Nous 11avons dit et 11 prouve l'existence de Dieu par les plus fermes arguments; en

theologie dogmatique il distingue l'ordre surnaturel de l'or-dre nature!, et met en lumiere les raisons de croire et les

dogmes eux-memes: sur le terrain proprement theologique, il montre que tout ce qui est de foi repose, non sur l'opiniont mais sur la verite et qu'on ne peut rien y changer; en

ma-tiere biblique, il no~~ donne la notion veritable de !'in-spiration divine; dans l'ordre moral, s·ocial et juridique,

il pose des principes exacts sur la justice legale et so-ciale et sur la justice commutative et distributive, et 11

(27)

...

19

...

explique les rapports de la justice avec la charite; •••••• Enfin, centre cette erreur repandue de tous cotes, selon

la-quelle la liberte de la raison humaine est independante de

Dieu, notre Docteur affirms les droits de la Verite premiere

et l'autorite du souverain Maitrett. l?

Il est evident que les Papes croient trouver la

solu-tion de tous les problemes qui harassent le monde aujourd'hui,

dans la philosophie de saint Thomas et c'est cette philoso-phie qu'ils offrent aux hommes ---- dans l'Eglise ordonnant avec toute la plenitude de leur autorite de Pare et de Maitre, hors de l'Eglise conseillant avec toute l'ardeur de leur

cha-rite d'Apotre et d'Ami.

Voyons maintenant ce que sont ces erreurs modernes

qu'ils trouvent si dangereuses et qu'ils esperent guerir en

y appliquant le remede de l'enseignement de saint Thomas.

(28)

Deuxieme Chapitre

La Pensee Moderne

Il serait impossible de resumer l'histoire de la pen-see moderne en un seul chapitre et nous ne nous proposons rien de la sorte, mais nous pouvons reussir peut-etre

a

marquer les plus grandes etapes dans le developpement de ces philosophies modernes qui, datant du dix-septieme

siecle ont commence par une certaine mefiance

a

l'egard

des doctrines scolastiques incarnees dans la philosophie thomiste et qui ont fini par mettre de cote cette philo-sophie catholique, universelle, pour en construire une basee non pas sur les principes eternels que les

scolas-tiques acceptaient comme evidents de soi, mais sur des

demonstrations scientifiques qui voulaient tout prouver,

tout soumettre au niveau de la Raison humaine. Mais ces

systemes clairs, raisonnables ne sont pas adequats,

a

ce

qu'il parait; ils n'ont pas reussi

a

satisfaire les hommes et apres tant d'annees d'oubli, la philosophie medievale

semble, de nos jours, en et~t de donner la reponse

a

beau-coup de problemes souleves par les modernes.

D'abord, ou faut-il chercher les fondements de la

philosophie di te moderne? "A des ti.tres bien differents, trois hommes dominent le monde moderne et commandant tous

les problemes qui le tourmentent; un reformateur religieux,

un reformateur de la philosophie, un reformateur de la mo-l

ralite, Luther, Desc&rtes, Rousseau." "La figure de 1. Jacques 1-t1ari tain, Trois Ref'ormateurs, P. 42

(29)

21

-Descartes domine toute la philosophie des trois derniers

si~cles; sa signific~tion historique est in6puisable; la

tentative a

ete

magnifique~ent conduite. Mais ce que M. Etienne Gilson (Le Realisme methodique, dans Philosophia Perennis, t. II, P. 748) ecrivit recemment

a

propos du

cogito peut s'appliquer d'une fa~on generale

a

cette ex-perience tragique qu' a

ete

le rationalisme classique:

'L'experience cartesienne fut une entreprise metaphysique admirable et marquee au coin du plus pur genie; nous lui devons beaucoup, ne serait-ce que d'avoir brillament prouve que toute experience de ce genre est condamnee d'avance

a

un echec.'" 2 C'est alors dans la methode

con~ue

par ce reformateur de la philosophie au dix-septieme siecle en France que nous allons trouver les germes des idees mo-dernes, cette methode de doute universal qui ne veut rien accepter qui ne puisse etre prouve d'une faqon raisonnable et claire, ---- mais "le magasin des idees claires est le Bon Marche de la sagesse" 3 et Descartes, sans le vouloir, bien entendu, en faisant hommage

a

la Science a nie la Sa-gesse. Pourtant, il ne faut pas concevoir la philosophie de Descartes comme la negation consciente et deliberee de la philosophie scolastique; etudier le systeme de Descartes c'est etudier le travail d'un grand penseur, s'effor~ant de concilier la physique aristotelicienne acceptee sans demon-2. Jacques Maritain, Songe de Descartes, Avant-Propos

(30)

22

-stration par les scolastiques, avec les nouvelles decouvertes, et arrivant

a

la conclusion qu'il manque quelque chose

a

la scolastique ---- la demonstration mathematique. Descartes constate, par exemple, que la doctrine d'Aristote et de saint

Thomas de !'union substantielle de !'esprit et du corps ne

d'Oi t pas etre acceptee, puis qu' il n' y a pas de preuve. De

la, presque taus ses differends avec les philosophes sco-lastiques, differends qu'il sera d'autant plus difficile

a

regler que Descartes est lui-meme sincere et cherche avec

enthousiasme la verite, ca.r il faut toujours rappeler, en

considerant le systeme de Descartes, "qu'il ne s'agit pas

de mettre deux philosophies aux prises l'une avec l'autre, mais de les regarder, l'une et !'autre, aux prises avec la

4

verite". Il a refuse la preuve thomiste de !'existence par la causalite parce qu'il a refuse la doctrine des formes substantielles. Il veut separer !'esprit du corps, voyant l'ame comme res cogitans et le corps comme res extensa et puisqu'il y a une incompatibilite absolue entre ces deux idees, la pensee et l'etendue, l'union de l'ame avec le

corps n'est pas une union substantielle mais purement

me-canique; l'impossibilite, done, avec une telle conception

de proceder comme fait saint Thomas des chases

a

Dieu. Or,

il s'en raut de beaucoup que Descartes nie la possibilite

(31)

23 ..

de prouver l'existence de Dieu. "Je pense, done, je suis", no us di t-il, et de ce "Cogi to, ergo sum'', de 1' idee de lui-meme comme substance pensante, il va droit

a

l'idee de Dieu. Resumons brievement la preuve ---- puisq_u'il pense ( et il ne saurait en douter), alors il sait qu'il existe et se

con-nait done comme une substance pensante. Puis s'il veut re-joindre Dieu, c'est dans cette substance pensante qu'il trouve le point de depart, c'est parmi ses idees qu'il va trouver Dieu. Des le moment ou nous avons l'idee de l'in-fini, du parfait, il faut qu'il y ait une cause de cette idee et puisqu'il est impossible qu'une cause contienne moins de perfection que son effet, la cause de cette idee

doit etre elle-meme infinie et parfaite; d'ou il conclut que la Cause infinie existe, ---- Dieu existe. "Et la premiere surprise eprouvee par un lecteur scolastique", nous assure M. Gilson, 'tetai t de voir Descartes prouver !'existence de Dieu comme cause d'une idee. n•abord, c'etait la suivre une voie inutilement obscure et de-tournee. Si le principe de causalite per.met de prouver l'existence de Dieu, pourquoi ne pas parti~ d'effets dont la substantialite est immediatement evidente, comme sont les corps en general, ou en particulier, celui de l'etre qui pense?" $ Mais Deseartes a deja rejete l'enseignement

(32)

- 24

-scolastique sur l'union du corps et de l'esprit; 11 ne lui est plus per.mis d'aller des chases aux ideeso Alors, qu'est-ce qui lui reste, apres s'etre ferme la metaphysique thomiste que de partir d'une pensee pour prouver !'existence de Dieu? Ce n'est rien de completement nouveau qu'il a introduit,

---dej~ au cinQuieme siecle, saint Augustin, au onzieme siecle,

saint Anse~e avaient suggere des preuves qui etaient plus proches parentes de celle de Descartes que de celle de saint Thomas. Ce n'est pas

a

cause de cela que l'on lui donne ce titre de "Pere" des philosophies modernes, c'est plutot en raison du doute qu'il a fait entrer da.ns l'es:prit des homm.eso Ce doute introduit par Descartes qu'il n'a pas reussi

a

e-clairer va aboutir tout naturellement au scepticisme,

a

l'agnosticisme qui sont caracteristiques du monde modernea Mettre en doute ce qui est evident, et alors s'efforcer de

le prouver, c'est suivre une voie dangereuse, car on risque de. soulever des difficultes impossibles

a

resoudre parce qu'elles n'existent pas en verite. Voila ce que Descartes semble avoir fait quand il a essaye de demontrer !'existence du monde exterieur, entreprise que M. Gilson juge inutile et pas tres heureuse. "Apres avoir passe pendant une vingtaine de siecles pour le type meme de ces evidences que seul l'in-sense peut songer

a

mettre en doute, !'existence du monde

(33)

25

exterieur a enfin requ de Descartes sa demonstration

meta-5

physique." Et sur quels principes, Descartes base-t-il sa demonstration? Sur le principe de causalite, en recon-naissant !'interaction entre le corps et l'esprit.

Puis-qu'il n'y a pas de connaissance evidente sauf celle qui part de la pensee, alors !'existence du monde materiel ne peut pas nous etre evidente et elle a besoin d'etre prouvee; il va la prouver en montrant que les sensations doivent avoir une cause, que nous ne sommes pas nous-memes la cause de ces sensations, que nous ne possedons pas"l'idee claire" de Dieu comme cause de nos sensations; alors nous pouvons inferer que les choses existent et sont les causes de nos sensations.

Les inconsistences qui se trouvent dans cette preuve, ses disciples ne tardent pas

a

les voir et ce qu'ils ne peuvent prouver, ils vont l'accepter sans preuve et

ad-mettre que "s'ils ne savaient pas que le monde exterieur existe ils le croyaient sur la foi de la Revelation. Alors

sur-vint Berkeley qui fit observer que rien ne change dans le recit de la Genese, soit que l'on admette !'existence de la matiere, soit que l'on la nie, d'ou il conclut

a

son tour et fort logiquement, que n'etant ni capables de

sa-voir, ni tenus de croire que le monde materiel existe, le plus

(34)

... 26

-sage etai t de dire qu' 11 n' existe pas". 7 Nous voila. lances

dans la voie qui mene directement A toute l'incertitude,

a

tous les doutes des modernes; et la responsabilite, qu'il veuille 11

avouer

ou non, repose en grande partie sur Descartes

qui bien certainement, n'avait jamais compte sur un tel resul-tat, car 11 n'etait lui-meme ni incroyant, ni sceptique, ni agnostique. En effet, il taut lui rendre cette justice qu'il

n'a jamais voulu donner sa methode comme methode universelle;

11 aurait ete le premier

a

comprendre combien 11 ~ut necessaire

de mettre des bornes et des bornes etroites

a

une telle methode

---- celle du doute universel. Mais 11 ne lui manquait pas de disciples pour repandre son enseignement et pour y ajouter

chacun ses propres idees et le maitre n'etait pas capable de

mettre un terme

a

l'activ1te de ses disciples. Parmi les

modernes, "certes, 11 (Descartes) eut

ete

fort etonne de voir

ses neveux a~f1rmer 1'1ndependance de la raison humaine

a

l'egard de Dieu

revelant:

ce sont cependant ses neveux, les

enfants de son esprit, les petits cartesiens".

e

Et malgre

ce doute qu'il a introduit dans la philosophie, il ne se

se-para jamais de la doctrine de l'Eglise; tant s'en fa.ut, "11 a cru de bonne foi servir par sa philosophie les interets de la religion; bien plus, 11 etait persuade d'apporter au monde une - · - · · - - - - · - . . - - - w

7. Etienne Gilson, Ibid., P. 9

(35)

27

-philosophie chretienne plus satisfaisante aux sentiments d'un lecteur chretien, plus faite

a

leur mesure, plus savoureuse, plus facile, plus aimable, en un mot, pour celui-ci que la lourde scolastique encombree du fatras du

9

monde moderne .•... " Et il y avait des chretiens

sinceres, fideles, meme des ecclesiastiques qui s'inspiraient de lui, sans d'ailleurs se faire du mal.

Mais voila le commencement des philosophies modernes qui devaient finir )ar i'aire de la raison humaine une f'aculte qui n'avait besoin ni de la Revelation, ni des sensations, et de la, arriver par la suite, au mepris le plus complet qui soit, de cette meme intelligence,

a

la conviction que notre intelligence n'est pas en rapport avec la realite et alors tout ce que nous apprenons par cette intelligence et par l'aide des sens est faux ---- en d'autres termes notre intelligence ne sert que pour nous tromper et il faut

toujours etre sur ses gardes et se mefier de cette faculte. A quoi une telle attitude mene-t-elle? Laissons parler un

de ceux qui en ont fait !'experience, "A ceux qui ne l'ont pas connu,

a

ceux memes qui l'ont connu, il est impossible de ressentir adequatement, en 1929 ce que fut la situation spirituelle des annees du modernisme.

(36)

28

-"C'etait l'epoque ou beaucoup de jeunes pretres n'avaient

a

la bouche que le devenir et l'immanence, la transformation evolutive des expressions de la foi, la prismatisation de l'ineffable

a

travers des formules

dogmatiques toujours provisoires et deficientes, les mefaits de toute connaissance abstraite, l'impuissance de la raison

'conceptuelle' ou 'notionnelle'

a

etablir les verites

supremes d'ordre naturel, le caractere idolatrique,

super-stitieux (et surtout suranne) du principe de contradiction.

Une generation courageuse, intellectuellement desarmee, et qui sentait peser sur elle une catastrophe imminente,

cherchait en hate dans le pragmatisme un moyen de ressaisir tant bien que mal les r~alites de vie dont une education attentive l'avait soigneusement privee. Elle n'apercevait

de salut, et d'organe de verite que dans l'action. Le

mepris de !'intelligence passait pour le commencement de la

sagesse et devenait axiomatique. " 10

Et d'ou derive cet anti-intellectualisme? Si l'on veut tracer le mouvement, on arrivera, je crois, au

rationalisme auquel la methode de Descartes avait donne une si grande impulsion. Le poison du doute qu'il avait injecte fermentant dans les esprits humains a produit l'erreur

----ce que Descartes n'a ni prevu, ni ----certainement voulu.

(37)

Pour lui, il s'agit d'une espece d'inspiration, cette

doctrine qu'il a fa~onneea la suite d'un songe qu'il tenait lui-meme "pour un ev~nement si decisif qu'il jugeait cette affaire 'la plus importante de sa vie' et il en promit de

11 solennelles actions de graces par un pelerinage

a

Lorette". Et en quoi consiste le rationalisme de Descartes? C'est

dans une conception qui refuse la condition vraiment humaine de l'intelligence et veut en faire une faculte angelique. "Le peche de Descartes est un peche d'angelisme; il a fait de la Connaissance et de la Pensee une perplexite sans

remede, un abime d'inquietude, parce qu'il a con~u la Pensee humaine sur le type de la Pensee angelique. Pour tout dire en trois mots: Independan~e a l'egard des chases, voila ce qu'il a vu dans la pensee de l'homme et ce qu'il y a plante,

12 voila ce qu'il a revele d.'elle-m~me

a

ella-meme."

Comme consequence toute naturelle du systeme de Descartes, Malebr&nche, son disciple, mais d'un esprit inferieur

a

celui de son maitre, poussant aux dernieres limites la psychologie ne voulut voir aucune interaction entre l'ame et le corps de l'homme; ce que l'un produit n'est que !'occasion d'une production de l'autre, de sorte que l'idee du corps, nous ne la possedons pas de nous-memes--elle nous est donnee par Dieu. Alors nous ne sommes pas

11. Jacques Maritain, Songe de Descartes, P. 17 12. Jacques Maritain, Trois Reformateurs, P. 78

(38)

30

-capables de voir les chases en elles-m~mes mais seulement en Dieu.

S'apercevant que justement le doute souleve par

Descartes contre le principe de causalite empeche que la preuve de l'existence de Dieu n'ait une valeur raisonnable, pour eviter cette faute, Malebranche annonce qu'il n'y a pas besoin de prouver l'existence de Dieu ---- c'est une chose que nous savons directement et immediatement par une intuition sure et indubitable. C'est lui qui s'en prend aux philosophes medievaux d'avoir accepte les doctrines des philosophes paiens et lui-meme prepare la voie pour les

philosophes modernes sceptiques- qui ne sont guere de tres bons chretiens. "Sa doctrine de l'indemonstrabilite de l'existence du monde exterieur, combinee avec celle de la vision en Dieu, prepare immediatement l'idealisme de

Berkeley; son occasionnalisme, qui suppose l'impossibilite de prouver aucune action transitive d'une substance sur une autre, prepare immediatement la critique dirigee par

Hume contre le principe de causalite, et il suffit d'ailleurs de lire Hume pour constater qu'il a conscience de prendre en

13 cela la suite de 11alebranche."

De l'ontologisme de Malebranche au pantheisme de Spinoza, ce n'est pas un passage tres long, ni tres difficile. "La

13. Etienne Gilson, Esprit de la philosophie medievale, lere serie, P. 15

(39)

31

-scolastique commence par les chases; Descartes commence

par la pensee; moi, je commence par Dieu." Ce sont les mots

de Spinoza, lui-meme; il commence par l'idee de l'Absolu

(Dieu) et descend aux chases. De l'idee qu'il se fait de "substance" (il decrit "substance" comme ce qui existe de

soi et en soi) il conclut que la seule substance qui existe, c'est Dieu; et toutes les chases qui nous environnent dans le monde ne sont que des modes de cette substance divine.

Mais dire que toutes choses sont Dieu, cela revient

a

nier

Dieu, la Perfection meme, car les imperfections qui existent dans les chases sent evidentes et incontestables. Et quant

a

la moralite, avec une telle conception, comment attribuer

aux hommes la responsabilite de leurs actions? Si Dieu est

tout et tout est Dieu, il n'y a plus de place ni pour la

liberte ni pour la moralite et l'on se demande s'il y a lieu

meme pour la connaissance humaine. Il faut admettre que les pommes apprennent peu

a

peu et avec combien de peine; mais

Dieu, par sa nature, doit tout connaitre, immediatement et

parfaitement; alors comment se fait-il que la connaissance

humaine est si imparfaite, si incomplete, puisque cette

nature n'est qu'un mode de la substance divine?

Un peu plus tard, Kant va poser la question, "Q,u'est-ce que l'on peut savoir avec certitude?", et il arrive

a

la

(40)

32

-conclusion que nous pouvons savoir que les chases

existent et c'est tout ---- nous ne pouvons savoir ce que sont les chases, rien de plus que ce seul fait, qu'elles existent; doctrine qui mene infailliblement au scepticisme.

"Depuis la decadence metaphysique medievale les philosophes

regardaient la connaissance comme la simple application d'une forme sur une matiere, --·-- empreinte causee en nous

par Dieu, pour Descartes et les inneistes, par les corps

pour les sensualistes. Ce rapport de forme

a

matiere, Kant ne songe pas

a

examiner s'il rend bien le propre de la con-·

naissance, il l'eccepte tel quel, mais ---- c'est ici son

coup de genie ---- il le retourne: car l'esprit est actif,

remarque-t-il; done ce n'est pas le role materiel et

receptif, c'est le role informateur qui lui convient; c'est l'objet qui est matiere, la pensee qui est forme, exactement comme dans le cas de l'intellect pratique et de la

fabri~ation artistique. Des lors connaitre c'est fabriquer,

14

nous ne connaissons que ce que nous faisons." A quoi

aboutit cette philosophie speculative de Kant? Si fabriquer est l'essence de connaitre, quel sera done l'objet de notre intelligence? Evidemment ce sera ce que nous faisons et

puisque nous ne faisons certes pas le monde ou nous sommes nes et ou nous vivons nous ne sommes capabloode le connaitre

14. Jacques Maritain, Reflexions sur !'intelligence et

(41)

- 33

-qu'en tant que nous le transformons "en un monde phenomenal qui est notre oeuvre. Nous voila bien autonomes, bien

installes dans notre immanence, ne recevant aucune deter-15 mination du dehors faisant la verite comme des dieux." Alors la verite n'est plus objective et absolue; elle est purement subjective et conditionnee par nous.

En meme temps que Kant travaillait

a

cette philosophie speculative qui contenait les germes d'un mepris fatal de !'intelligence, nous retrouvons de l'autre c8te la philo-sophie sensualists d'un Jean Jacques Rousseau, philophilo-sophie qui ne se soucie pas beaucoup de !'intelligence, systeme ou les puissances appetitives triomphent de la Raison; philo-sophie sociale qui ne veut pas reconnaitre cet instinct pour la societe qui se trouve au fond du coeur humain, faisant de l'homme un individu solitaire qui n'est entre dans la societe que par le "contrat social", contrat libre et nullement necessaire et qui devrait lui laisser toute la liberte compatible avec le bien-etre du groupe, car

l'autorite reside dans les individus, theorie qui ressemble

a

celle de l'Anglais Hobbes mais sans exagerer comme fait Hobbes le pouvoir de l'Etat.

Avant ce temps-la,

a

la fin du dix-septieme siecle, on avait eu le systeme de Leibnitz qui commence par un effort 15. Jacques Maritain, Ibid., P. 35

(42)

34

-de conciliar toutes les philosophies, effort abortif, bien entendu, puisqu'il n'y a pas moyen de concilier le vrai et le faux; il est mieux connu pour la philosophie qu'il a developpee lui-meme, l'optimisme qui affirme que le monde est le meilleur possible et nie la possibilite que Dieu

puisse en concevoir un meilleur. Naturellement, l'optimisme suscita tout de suite des conflits et Voltaire a lance contre lui des satires fines et apres;

a

l'autre bout de la route nous rencontrons le pessimisme d'un Schopenhauer qui,

disciple de Kant, ,ne voit l'univers que comme la ''Volonte" se manifestant dans les individus. Puisque le monde est mauvais et plein de souffrances, et le desir, la "volonte" d'exister est fort, il faut expulser cette volonte et ainsi se delivrer des peines de !'existence, doctrine d'un

pessimisme outre qui est l'antithese meme de l'optimisme. Au dix-neuvieme siecle, reagissant contre les theories de Kant, le positivisme fait apparence avec Auguste Comte qui croit demontrer que seulement les phenomenes exterieurs nous sont connus d'une maniere certaine, positive. Il y a selon lui, trois epoques dans l'histoire de la connaissance, la premiere epoque, ou taus les phenomenes du monde exterieur s'expliquent par rapport aux dieux; la deuxieme ou les

(43)

35

-le troisieme et la derniere epoque, epoque du positivisme ou l'on observe les faits positifs et ou l'on arrive

a

la perfection de la science humaine. Suivant d'assez pres le positivisme nous avons tout naturellement le pragmatisme qui ne voit aucune valeur dans la connaissance humaine sauf

l'activite ---- l'essence du vrai et du beau, c'est l'utilite, theorie qui se termine dans le materialisme et qui a penetre meme dans l'education et dans l'art puisque l'on n'y cherche plus le vrai et le beau mais le profitable et l'utile.

Et tous ces systemes modernes que nous avons esquisses si brievement qui ont commence par attribuer

a

l'intelligence des fonctions qui en auraient fait une faculte surhumaine

aboutissent

a

un dementi du caractere humain de cette faculte puisque l'on doute de la possibilite d'arriver

a

la verite par le moyen de la Raison humaine. Descartes avait refuse

a

!'intelligence les instruments, les outils qu'il lui

fallait pour travailler d'une maniere efficace, en niant l'union substantielle du corps et de l'esprit, en faisant de la raison une faculte independante des chases; et quand on aura complete le cercle, on finira par croire que

!'intelligence ne vaut rien, n'etant pas capable de mettre

a

notre portae la verite.

(44)

36

-Le monde moderne semble avoir perdu l'equilibre; on a quitte la via media des scolastiques qui voyaient le

monde comme etant compose de matiere et de forme, les hommes comme des etres composes de corps et d'esprit; qui

n'hesitaient pas

a

accepter sans preuve ce qui etait evident ni

a

raisonner sur les mysteres de l'univers tout en

admettant qu'il yen eut qui etaient au-dessus de leurs raisonnements. Ils trouvaient Dieu dans le monde comme Createur et Conservateur et se faisaient une idee de sa beaute, de sa perfection, en observant la beaute et la

perfection des chases creees. Ils n'etaient pas follement optimistes jusqu'a croire ce monde le meilleur possible et

a

repeter que tout est pour le mieux dans ce meilleur des mondes; ni lugubrement pessimistes jusqu'a affir.mer que

tout ce qui existe est mauvais et le plus sage est de se debarrasser le plus tot possible de la vie et ainsi de la souffrance.

Les scolastiques n'avaient pas developpe la science experimentale et ils avaient done parfois une idee fausse des qualites physiques de l'univers; mais malgre cela ils semblent avoir ete plus pres de la verite metaphysique que les modernes qui confondant la verite metaphysique avec les verites physiques s'efforcent de la prouver par les lois

(45)

37

physiques ou du moins de la rendre conforme

a

ces lois. Et c'est une tache impossible qu'ils se proposent, car la metaphysique qui est au-dessus de toutes les sciences

phy-siques ne peut pas etre soumise a~~ lois de ces sciences ni jugee par elleso Ce sont des voies obscures ou ils s'egarent, des voies qui menent non pas

a

l'espoir de la vie mais au de-sespoir de la mort.

C'est contre ces philosophies enormement dangereuses surtout pqur les jeunes gens que ~~1. Bergson a combattu avec tant de succes et nous lui devons d'avoir delivre la jeunes~e d'un scepticisme desesperant, d'un agnosticisme intolerable.

tnrr

J.~! L o Bergson a l'immense merite", nous dit M. Maritaint

"d'avoir lutte seul (seul dans l'universite), pendant long-temps, contre le materialisme soi-disant positif et contre le relativisme kantien qui se partageaien~ le monde officiel, et je me rappelle encore l'accent de reprobation avec lequel un de nos maitres en Sorbonne, mort aujourd'hui, condamnait le 'mysticisme judeo-e.lexandrin' et, pour tout dire, le cle-ricalisme de cet admirateur de Plotin. Cependant les exces memes de la methode critique et de la religion de la Science

devaient susciter une reaction instinctive dans le sens de la vie concrete et de la spontaneite, sinon meme dans le sens du degout de la raison. Il n'est pas etonnant que la

(46)

- 38

jeunesse se laisse porter de bon gre par les idees que M.

Bergson lui propose avec tant d'eclat. Les foules se

pres-sent a ses cours du College de France et la philosophie de l'intuition apparait comme le sommet de la pensee

contem-16

porain".

Et neanmoins, on doit se demander si M. Bergson a

evi-te

lui-meme les dangers qu'il a vus si clairement. Examinons

d'un peu plus pres cette philosophie de l'intuition qui a

se-duit tant de jeunes Frangais au commencement du vingtieme

siecle. D'abord, voyons comment le probleme s'est presente.

pour :M. Bergson. "Imaginons un jeune penseur jetant les yeux

sur les vastes plaines de ce qu'on appelle la culture moderne

notamment sur les champs fecondes par la philosophie; le

spec-tacle, il faut l'avouer, ne devait pas etre tres encourageant il y a vingt-cinq ou trente ans, ---- po~~ ne pas parler du temps present. Du cote de ~a metaphysiq_ue, un desert aride

a

souhait, coupe ~a et la de maquis impenetrables; du cote

de la philosophie naturelle, d'immenses terrains trop

ar-roses au contraire, effondres, recouverts par les eaux re-siduelles de la science, et annexes par les pionniers du progres.

Taine, Spencer, Darwin, Berthelot, Buchner, etc.,

e-taient les maitres. Tout !'effort de la p.hilosophie

(47)

- 39 ...

derne aboQtissait au mathematisme on mecaniame universal, et '

a nn ven~rable melange de materialisme et de scepticisme

qu'en appelait esprit scientifique ou positif." 17

Ce n'est certes pas un spectacle tres encourageant qui

a'est deploye devant lui. Le monde scientifique, positif du

vingtieme aiecle n'ajcutait foi qu'aQX demonstrations mathe-matiques et basant sa metaphysique sur le mathematisme pre-duisi t na turellement un systeme materialiste et mecanique

qui ne tenait plus compte des transcendantaux; ~ui admettait l'Abso1u inconnaissable ne reconnaissant "d'autre realite que le phenomena, c'est-a-dire l'apparence et l'accident ••••••••• tout se passait comoe si l~ieu n'existait pas, l'homme n'avait

point d'ame, le libre arbitre etait une illusion incompatible avec le determinisme scientifique et le monde devait un jour

18 etre demonte par 1es savants comme un grand jouet meca.nique".

Voila alors ce qui confrontait 1es jeunea gena, voila de quoi 1.~. Bergaon devait les delivrer, du materialisme, du

me..-canisme ,, du rationalisme qui .refuaent aux hommes la

posai-bilite d'atteindre l'Absolu et les livrent au malheur d'un

~ I t '"1 '

materialisme sans remue. (u es -ce ''-i.u ~ va opposer a ces systemes dont il est si mecontent? Pas plus que les autres

M.

Bergson n'espere trouver la rdponse duns l'usage legitime

de l'Intelligence, cette faculte qui est incapable de saisir 17. Jaoques Maritain, Ibid., P. 101

(48)

40

-la realite vitale; mais examinant ses propres etats, 11 trouve qu'il y a une autre faculte qui peut atteindre ce que !'Intelligence ne saurait jamais comprendre

---c'est !'Intuition, qui est evidemment d'une nature tout autre que l'Intelligence, car, nous dit-il, "Elle s'ef-force de rompre avec les precedes de !'Intelligence

---19

concept, percept, image". Ce n'est nullement un

effort de rehcbiliter l'Intelligence; au contraire, "In• tuition et Intelligence representant deux directions

op-20

posees du Travail Conscient", "!'Intelligence est ac-cordee sur la matiere et l'Intuition sur la vie". 21

Alors, quand il s'agit des sciences physiques, quand il s'agit d'etudier la matiere, l'Intelligence peut tra-vailler de son mieux mais quand il est question de sal-sir le reel directement en lui-m~me, il faut avoir

re-cours

a

!'Intuition; et pour quiconque voudra se servir

de cette Intuition, 11 faudra un effort intense et meme douloureux. Il faut encore remarquer que cette Intuition n'a rien

a

faire avec l'analyse qui est le caractere propre

de !'Intelligence, "l'analyse opere toujours sur l'immobile, 22

!'Intuition se place dans la mobilite".

Et quel est l'objet de !'Intuition? C'est la Duree

qui se presente

a

!'Intuition comme la seule realite

19. Henri Bergson, Introduction

a

la lJ~taphysique, P. 6 20. Henri Bergson, Evolution Creatrice, P. ~98

21. Henri Bergson, Ibid., ~194

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