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ARTheque - STEF - ENS Cachan | Corps agissant et corps communicant au sein des jeux sportifs

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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A. GIORDAN, J.-L. MARTINAND et D. RAICHVARG, Actes JIES XXVI, 2004

CORPS AGISSANT ET CORPS COMMUNIQUANT

AU SEIN DES JEUX SPORTIFS

Éric DUGAS

UFR STAPS, Paris V

MOTS-CLÉS : SÉMIOTRICITÉ – COMMUNICATION PRAXIQUE – JEUX SPORTIFS – MÉTACOMMUNICATION – LOGIQUE INTERNE

RÉSUMÉ :Au sein de l’espace des jeux sportifs, et plus particulièrement dans les pratiques physiques de duels interindividuels (tennis, badminton, jeux de lutte, etc.) et de duels collectifs (football, basket-ball, etc), les joueurs contre-communiquent avec malice avec les adversaires. Ce contexte interactionnel privilégie la décision et la stratégie motrices, la feinte, le leurre et donc la métacommunication praxique. Ainsi, le corps du joueur agissant est-il un corps communiquant dont l’étude présentée se situe dans le champ de la « sémiotricité » créé par Pierre Parlebas.

ABSTRACT : At the heart of all competitive sport, and especially in one on one situations (tennis, badminton, etc) and team games (football, basketball, etc), players from opposing teams tactically interact. Their interaction enhances decision making and movement strategy, as well as dummy moves and therefore metacommunicational practice. So, the player’s body, actively communicating, is going to be studied hereafter within the field of “semiotricity” invented by Pierre Parlebas.

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1. INTRODUCTION

Depuis trop longtemps en STAPS, l’individu qui agit est confondu avec une machine biomécanique en mouvement dépensant de l’énergie. Les biomécaniciens, les biologistes règnent en maître dans le champ des activités sportives. De même, dans le dernier tiers du siècle dernier, cet homme « bio-automate », se substitue en un homme robotisé doté sensiblement des mêmes apparats qu’un ordinateur. Nous sommes dans l’ère de la cybernétique et de la neurophysiologie.

Au sein des sciences cognitives, les théories s’affrontent : d’un côté, pour les cognitivistes, l’information que l’individu agissant perçoit n’est qu’un signal que l’on traite selon le schéma classique de la théorie de l’information (puis du modèle du « traitement de l’information »). A l’autre extrémité, les connexionnistes réduisent la conscience à des interactions entre neurones. Le sportif est déshumanisé, décontextualisé, dépourvu d’intentionnalités et en fait, restreint à un « corps-machine ». Si ce modèle machiniste est riche d’enseignement pour viser de hautes performances et indispensable pour établir de nouveaux records dans des activités telles que l’athlétisme ou la natation, on peut se poser des questions avec des pratiques physiques où, ce qui prévaut relève davantage des critères décisionnel et tactique.

Ne pouvons-nous pas dépasser cette vision réduite du pratiquant qui évolue au cours d’un jeu sportif ? N’existe-t-il pas, de préférence, un objet original qui nous rendrait indépendant des autres sciences tout en les questionnant ? Un objet qui décrirait et expliquerait en profondeur les situations ludomotrices dans lesquelles s’épanouissent les pratiquants ?

La science de l’action motrice défendue par Pierre Parlebas, qui n’est le cœur d’aucune autre science, peut relever un tel défi. En effet, le point de vue adopté se focalise sur la mise en jeu corporelle au cours des pratiques physiques et sportives, c’est-à-dire dans ce rapport indissociable entre le sujet agissant et le contexte dans lequel il évolue. Cette perspective scientifique ne prend pas en compte le corps comme objet spécifique, concept du corps par ailleurs trop polysémique et donc difficilement définissable, mais une autre notion qui le surplombe : la conduite motrice, qui est définie comme « l’organisation signifiante du comportement moteur » (Parlebas, 1999).

Dans ce contexte, « la conduite motrice est le comportement moteur en tant qu’il est porteur de signification » (Ibid, 1999). Par analogie, la conduite motrice est au jeu sportif ce que la conduite verbale est à la langue. En effet, si nos sociétés modernes privilégient l’interaction verbale pour communiquer entre deux ou plusieurs individus situés dans un même espace, bon nombre de jeux sportifs, quant à eux, favorisent « l’interaction motrice ». Celle-ci se façonne de façon spectaculaire au sein des jeux sportifs. Dans cet univers ludomoteur, et, particulièrement, dans les duels interindividuels ou collectifs, on ne parle pas, on interagit. La conduite observée n’est plus verbale, mais motrice.

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2. LA SÉMIOTRICITÉ

2.1 Activités physiques et sémiotricité

Aujourd’hui, nous nous intéresserons non pas à la communication verbale mais à la communication praxique au sein des jeux sportifs. On entre ainsi de plein pied dans le champ de la sémiotricité, crée par Pierre Parlebas (1976) et qui se définit par la « nature et champ des situations motrices envisagées sous l’angle de la mise en jeu de systèmes de signes directement associés aux conduites motrices des participants » (1999). En somme, dans le large spectre scientifique de la sémiologie, on peut distinguer entre autre, la linguistique, les rites et coutumes, le code de la route, le code des sourds et muets, mais aussi… la sémiotricité.

Dans ce nouveau champ, le signe linguistique est remplacé par le signe corporel. Ainsi, la première face du signe dyadique utilisé en linguistique par les héritiers de F. De Saussure (1972), « le signifiant », n’est pas le son que l’on entend, mais la manifestation motrice observable (gestes, postures, déplacements, etc.). La deuxième face du signe praxique, « le signifié », représente quant à lui le sens tactique et relationnel associés à ces comportements. Mais attention, le signe praxique n’est pas doté des mêmes caractéristiques que le signe linguistique ; par exemple, il n’est pas arbitraire comme le signe linguistique, mais profondément motivé ; ou encore, la production motrice n’est pas linéaire comme en linguistique car le pratiquant agit avec son corps dans les trois dimensions.

Par ailleurs, La sémiotricité peut désigner également l’étude des signes émis de façon non intentionnelle comme par exemple les signes issus de l’environnement physique. Pour une meilleure compréhension, on distinguera deux catégories de pratiques sportives classées selon leur degré de sémiotricité :

- La première catégorie concerne les jeux sportifs de basse sémiotricité dans lesquels l’environnement physique et/ou humain tend à être dénué d’incertitude pour le pratiquant ou les pratiquants. C’est le cas des sports dans lesquels l’individu agit en isolé tels que les lancers et les sauts en athlétisme, la gymnastique ou encore la natation en couloir. Le gymnaste, le nageur ou l’athlète ne déchiffre plus l’environnement, la lecture du milieu physique est d’une clarté sans faille. Ici, l’apport de la biologie, de la physiologie et de la biomécanique est incontestable pour atteindre de hautes performances. De fait, le critère sémioteur tend à disparaître au fil des entraînements et est supplanté par une importante dépense énergétique et/ou par de hautes coordinations motrices. Ce constat vaut aussi dans les activités où la coopération et la limpidité de la communication praxique entre partenaires sont les vecteurs de la réussite motrice. La transparence interactionnelle existe de façon exclusive dans les pratiques telles que le patinage et la danse en duo ou encore la natation synchronisée. Au sein de ces activités, la répétition, l’automatisme et l’adaptation font

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partie du lot quotidien des pratiquants pour atteindre l’excellence motrice. Le décodage sémioteur de l’environnement tend donc à disparaître au profit du stéréotype moteur.

- La deuxième catégorie de pratiques physiques renferme les activités de haute sémiotricité. L’incertitude liée à l’environnement physique ou/et humain est à son zénith. La sémiotricité est alors à son apogée car le pratiquant doit sans cesse interpréter le contexte humain ou physique dans lequel il évolue. Il tente de prélever les bons indices parmi tous les stimuli qu’il perçoit. Passons rapidement sur l’incertitude liée au milieu physique, comme par exemple dans l’activité du surf, afin de nous plonger dans l’univers de la communication praxique entre deux ou plusieurs participants.

Dans ce contexte interactionnel original, la communication corporelle peut être transparente mais aussi opaque pour autrui. C’est le cas notamment des jeux collectifs au cours desquels les joueurs d’une équipe communiquent sans ambiguïté avec leurs partenaires mais contre-communiquent avec malice et tromperie avec les adversaires.

Le sujet agissant n’est plus une simple machine informationnelle, mais devient un stratège dans lequel la décision praxique devient la clé de la réussite motrice. La contre-communication motrice se retrouve d’ailleurs de façon exclusive dans les activités de duels interindividuels tels que les sports de combat ou les jeux de raquettes. La feinte, le leurre et donc la métacommunication motrice est le sel de ces activités sociomotrices. Le signe corporel de l’adversaire n’est plus conventionnel, ni limpide : il devient polysémique ! À un signifiant peut correspondre plusieurs signifiés. Les signes envoyés par l’adversaire, porteurs d’intentions dissimulées, sont interprétés et décodés dans le feu de l’action.

Par exemple, le porteur du ballon au football va-t-il dribbler ou tirer ? L’univers du jeu sportif devient ainsi un jeu de dupes. Les sports collectifs sont donc le siège de multiples interactions motrices dans lesquelles s’inscrit le décodage de l’autre ou des autres, l’anticipation sur les intentions adverses et la prise incessante de décision. Agir, c’est d’abord préagir dans un jeu de communications et de contre-communications motrices. Alors, comment analyser cette effervescence relationnelle, ce réseau de communications sans parole, véritable dénominateur commun des duels sportifs collectifs ? Autrement dit, quels sont les différents types de signes qui existent au sein de l’interaction motrice ?

2.2 Les signes praxiques

Tout d’abord, Pierre Parlebas (1999) distingue les gestèmes, des praxèmes. Les gestèmes sont des signaux conventionnels, simple substitut à la parole. Dans les jeux sportifs, ce sont par exemple les codes arbitraux, véritable communication universelle entre les joueurs et l’arbitre, mais aussi les

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injonctions tactiques, comme on voit ici entre le catcher et le lanceur au base-ball, ou encore les demandes très claires entre partenaires (comme par exemple l’appel de balle avec la main).

Nous pouvons distinguer aussi des gestèmes de type socio-affectif qui peuvent exprimer des comportements de joie ou de colère en fonction des péripéties du déroulement du jeu. Quant au praxème, il est défini « comme toute conduite motrice interprétée comme un signe, dont le signifiant est le comportement observable et le signifié le projet tactique correspondant tel qu'il a été perçu » (1999). De fait, toute action de préaction d’un joueur peut être décodée par les adversaires et/ou les partenaires, même si le joueur observé ne le souhaite pas. En effet, tous les pratiquants d’un jeu collectif qui voient agir un individu peuvent interpréter le ou les signifiants corporels émis par ce même joueur. Autrement dit, le corps du sportif agissant devient un corps communiquant, même à son corps défendant, contrairement à l’interaction verbale.

Si nous prenons l’exemple du Waldner, l’un des plus grands champions de tous les temps au tennis de table, on s’aperçoit souvent, au travers de ces affrontements, qu’avant sa riposte, il fixe non pas la balle qui lui est destinée, pour affiner et ajuster son geste technique, mais plutôt le placement, la posture et les gestes de son adversaire. Nous pouvons émettre l’hypothèse selon laquelle il interprète jusqu’au dernier moment la signification du signifiant corporel de l’adversaire qu’il détecte. Bref, il encode et décode le praxème de son opposant.

Enfin, si ce sportif est toujours à 40 ans l’un des tous meilleurs mondiaux, encore demi-finaliste aux derniers Jeux olympiques d’Athènes, ce n’est pas un hasard. À son âge, sa longévité sportive n’est pas due non plus à des qualités physiques ou techniques exceptionnelles supérieures à ses jeunes adversaires ; sa longévité est davantage liée au sens aigu de la stratégie et de l’adaptabilité motrice. Il sait, comme on dit dans le jargon sportif, lire très tôt le jeu de l’autre et imposer à l’autre la réponse motrice qu’il souhaite. En fait, il préagit efficacement dans le sens où il crée ou impose les conditions les plus favorables à son projet tactique en cours.

Le décodage du praxème 3- Tactique

De feinte

Sa : modification brutale des appuis : le ballon est conduit de l’extérieur du pied gauche : contre-pied

Sé : dribble sur la droite du défenseur 2-Tactique

franche

Sa : orientation du corps vers la droite avec la balle conduite de l’intérieur du pied gauche. Sé : dribble sur la g a u c h e d e l’adversaire 1- Code bio-mécanique Sa : corps en mouvement avec une balle Sé : conduite de b a l l e v e r s l’adversaire

Figure 1 : Mécanisme de base de la métacommunication praxique. Le décodage d’un praxème par le défenseur dans le cas d’un 1 contre 1 : Le cas du dribble au football.

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2.3 La métacommunication

Pour mettre en évidence le mécanisme de base de cette métacommunication praxique, observons de façon simplifiée l’opposition entre deux joueurs lors d’un match de football : le porteur du ballon tente de dribbler un adversaire et signifiant corporel laisse à penser qu’il veut déborder sur la gauche de l’adversaire

Dans cette situation, que pense le défenseur de ce que fera l’attaquant ? Le défenseur va-t-il prévoir que l’attaquant adopte sa tactique franche ou qu’il préfère jouer le contre-pied ? On voit bien que diverses interprétations praxiques se mêlent et se démêlent dans un subtil jeu interactionnel.

3. CONCLUSION

En conclusion, dans le cadre de la sémiotricité, le pratiquant n’est plus une simple machine, un simple répondant réactif, il s’humanise et possède des intentions qui peuvent changer le cours de l’action. Au cœur des jeux sportifs collectifs et des duels interindividuels, la technique et la condition physique sont bien évidemment des facteurs nécessaires à l’accomplissement moteur mais ceux-ci restent subordonnés aux facteurs décisionnels et tactiques du joueur.

En effet, la logique interne des activités de duels met au devant de la scène sportive une contre-communication praxique fondée sur l’opacité réciproque des intentions de deux protagonistes. Dans ce contexte le signe praxique surplombe la notion habituelle de « l’information », car le signe est interprétable.

Dans l’univers des activités physiques, la sémiotricité est encore peu utilisée. Pourtant le décodage de l’environnement humain ou physique s’apprend et peut avoir des conséquences non négligeables sur le plan éducatif et sur le plan de l’entraînement sportif. Espérons que cette richesse soit exploitée au mieux et qu’elle ne devienne pas le chant du « signe ».

BIBLIOGRAPHIE

DE SAUSSURE F. (1972). Cours de linguistique générale. Paris : Payot, 1972.

PARLEBAS P. (1976). Activités physiques et éducation motrice. PARIS : Revue EPS, Dossier EPS, 4.

PARLEBAS P. (1999). Jeux, sports et sociétés. Lexique de praxéologie motrice. Paris : INSEP-Publications.

Figure

Figure 1 : Mécanisme de base de la métacommunication praxique. Le décodage d’un praxème par le défenseur dans le cas d’un 1 contre 1 : Le cas du dribble au football.

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