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Cheminements autour de l'identité urbaine

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Academic year: 2021

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Submitted on 5 Oct 2010

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Cheminements autour de l’identité urbaine

Nicolas Bautès, Claire Guiu

To cite this version:

Nicolas Bautès, Claire Guiu. Cheminements autour de l’identité urbaine. M. Gérardot. La France en ville, Atlande, pp.119-126, 2010, Clefs concours, Géographie des territoires. �hal-00523340�

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Cheminements autour de l’identité urbaine

Nicolas Bautès, UMR ESO 6590 – ESO-Caen Claire Guiu – UMR ESO 6590 – ESO-Nantes

« Je n’eus besoin pour les faire renaître que de prononcer ces noms : Balbec, Venise, Florence, dans l’intérieur desquels avait fini par s’accumuler le désir que m’avaient inspiré les lieux qu’ils désignaient. Même au printemps, trouver dans un livre le nom de Balbec suffisait à réveiller en moi le désir des tempêtes et du gothique normand ; même par un jour de tempête le nom de Florence ou de Venise me donnait le désir du soleil, des lys, du palais des Doges et de Sainte-Marie-des-Fleurs. Mais si ces noms absorbèrent à tout jamais l’image que j’avais de ces villes, ce ne fut qu’en la transformant, qu’en soumettant sa réapparition en moi à leurs lois propres (….). Ils exaltèrent l’idée que je me faisais de certains lieux de la terre, en les faisant plus particuliers, par conséquent plus réels. Je ne me représentais pas alors les villes, les paysages, les monuments, comme des tableaux plus ou moins agréables, découpés çà et là dans une même matière, mais chacun d’eux comme un inconnu, essentiellement différent des autres, dont mon âme avait soif et qu’elle aurait profit à connaître. »

(Proust M., A la recherche du Temps perdu. Du côté de chez Swann).

Dans leur effort pour définir la ville*, A. Bailly, C. Baumont, J-M. Huriot et A. Sallez (1998) soulignent, après de nombreux autres auteurs, l’importance de dépasser la seule description des formes des espaces urbains (agglomération de populations, d’activités et de structures bâties), pour rechercher « ce qui s’y passe et peut s’y passer », c’est-à-dire « la richesse du sens de la ville ». Cet intérêt pour l’étude des situations, des pratiques, des vécus dans la ville s’insère dans la continuité de nombreux travaux soulignant les distinctions entre la ville et l’urbain (Lefebvre, 1968) et proposant de lire la ville à partir de son organisation, de ses signes et de ses mouvements. F. Choay (1972) envisage par exemple, au début des années 1970, de considérer la ville comme un « système non verbal d’éléments signifiants » (Choay, 1972). La ville apparaît comme un espace produit et traversé par des dynamiques, des représentations, des images et des actions, mais aussi comme une « organisation systématique multidimensionnelle ».

Ce passage de la description des formes urbaines à l’analyse des interactions sociales et des significations a encouragé certains chercheurs à s’intéresser à la notion d’ « identité urbaine ». Un courant initié aux Etats-Unis au début des années 1960 dans le domaine de l’urbanisme, autour de K. Lynch (1969) et de J. Jacobs (1961) notamment, a voulu rendre la ville lisible à tous en restaurant les fonctions sociales et symboliques des formes et des espaces publics. K. Lynch, souvent présenté comme l’un des premiers à avoir formalisé théoriquement cette préoccupation, a proposé une lecture de l’urbanisme par l’espace et l’identité. Tout en signalant la difficulté de définir clairement la notion d’identité du fait de

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son champ disciplinaire d’origine, la psychologie, il a identifié une typologie des structures concourant à la production d’une image individuelle de la ville, facilitant sa lisibilité et son appropriation. Dans la continuité de cette approche, la sociolinguistique urbaine s’est attachée à la construction de sens entre individus, groupes et espaces. « Pour les individus membres d’un groupe social, pour les groupes sociaux, les communautés sociales et/ou linguistiques, l’espace est l’aire matérielle, symbolique qui inscrit l’ensemble des attitudes et des comportements dans une cohérence globale » (Bulot, 2002). L’espace est marqué par la culture urbaine, autrement désignée par le terme d’urbanité*, dont les significations sont exprimées au travers de « la dialectique entre les pratiques sociales des lieux et la mise en mot des identités », (Ibid.). Cette définition participe à inscrire la notion d’identité dans le champ des sciences sociales, en mettant notamment l’accent sur la nécessité de la penser comme un construit social. L’identité ne correspond pas à une réalité donnée, mais à un discours qui propose un « ordre des choses, en ré-écrivant (ou en écrivant) l’histoire, l’espace, la culture (Gervais-Lambony, 2004).

Si la notion d’« identité urbaine » a donc été abordée par l’urbanisme, la psychosociologie ou la sociolinguistique urbaine depuis les années 1960, elle a peu été utilisée par les géographes, qui ont par ailleurs largement analysé les modes de production des identités spatiales, mais à partir d’autres échelles et/ou espaces (quartiers, régions, nations). La ville ne serait-elle pourtant pas une échelle/un espace pertinent pour aborder les questions d’identités et d’identifications ?

Les identités sont aujourd’hui généralement définies par les géographes comme des processus de constructions et des stratégies en constante évolution et recomposition (Kaspi et Ruano-Borbalan, 1996-1997). Dans les contributions rassemblées par Lucie K. Morisset, Luc Noppen (2003) ces « identités urbaines » sont généralement abordées au sens large, « à la lumière de la mondialisation et d’une certaine postmodernité. Elles sont changeantes, plurielles, démultipliées et fragmentées ». Les identités sont donc multiscalaires, contextuelles, et se construisent dans l’interaction entre individu et société, et dans les rapports des individus et des groupes à l’espace. L’identité, pour C. Dubar, apparaît ainsi comme « le résultat à la fois stable et provisoire, individuel et collectif, subjectif et objectif, biographique et structurel, des divers processus de socialisation qui, conjointement, construisent les individus et définissent les institutions » (Dubar, 1991). Processus individuels et collectifs se combinent donc dans la production de significations et de signifiants associés à l’espace. S’identifier, écrit G. Di Méo, « revient à se différencier des autres tout en affirmant son appartenance à des catégories, des groupes, mais aussi des espaces » (Di Méo, 2004). Plus que jamais, dans la période actuelle, marquée par l’importance de la multiplication des mobilités, des contacts et des échanges au sein des villes, il convient de considérer combien « les diverses formes de métissage, qui « brouillent » et « interpellent » les systèmes de référence identitaires habituels, requièrent de nouvelles approches de l’identité (Vienne, 2000 [1991]). Par ailleurs, une attention particulière aux modes selon lesquels les identités individuelles sont produites et exprimées collectivement permet d’éviter partiellement le risque de personnalisation, souligné par M. Lussault. L’identité spatiale, qu’il définit comme une « représentation dotée d’attributs (essentialisés et naturalisés, donc posés en évidence par ceux qui les énoncent et s’en servent, dissimulant du même coup l’artifice de leur élaboration et de leur stabilisation » (Lussault, 1997), court en effet le double risque de privilégier les constructions et expressions individuelles, et de prendre en compte l’identité spatiale comme le seul fait de la collectivité ou de la société ou, encore, comme le seul fait du politique.

Plusieurs interrogations traversent en effet la notion d’identité spatiale en général, et d’ « identité urbaine » en particulier : s’agit-il d’identité de l’urbanité, d’identités dans la ville ou bien d’identité de la ville ? Comment articuler ces différentes acceptions ? Une autre façon d’aborder ce sujet serait de s’interroger sur les modes d’identification et les manières d’être en ville, à partir des notions d’urbanité, en les comparant à d’éventuelles identités rurales. Si

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plusieurs auteurs ont longtemps tenté de déterminer des traits comportementaux citadins, le remaniement des catégories d’espaces – urbain, périurbain, rural –, marquées par une mobilité généralisée, permettrait-il de relativiser l’existence d’identités associées à des types d’espaces (voir par exemple Dodier, 2007) ?

1. DES INDIVIDUS DANS LA VILLE : PRATIQUES ET PERCEPTIONS

Dans un premier temps, il est possible d’envisager la ville comme un espace vécu, perçu et de pratiques, et les manifestations d’une identité urbaine comme un ensemble d’« habitudes singulières, qui affleurent à peine à la conscience et ne font l’objet d’aucune revendication. C’est la façon d’être ce que l’on est là où l’on est. Il s’agit là de culture vécue au quotidien, de codes sous-jacents, qui se déchiffrent plutôt qu’ils ne s’affichent » (Nous reprenons ici la proposition de C. Bromberger, qui distingue une culture régionale vécue au quotidien, dont les codes se déchiffrent plutôt qu’ils ne s’affichent, d’un « ensemble de pratiques territorialisées promue volontairement au rang d’emblèmes signalant aux autres des singularités positives, sources de fierté pour les gens du lieu » (Bromberger, 2003). En somme, l’identité dans la ville serait le processus sans cesse renouvelé de construction d’un lien intime entre l’individu, le collectif et l’environnement urbain, par les usages et pratiques du quotidien, les perceptions et les jeux de projections dans l’espace [pour approfondir l’approche des pratiques, des parcours, des perceptions et des identifications dans l’espace urbain, voir Augoyard (1979), Grosjean et Thibaut (2001]. Cette approche rend compte des différentes échelles d’appropriation et d’identification aux espaces dans la ville (les différentes « coquilles de l’homme » définies par Abraham Moles) et s’intéresse à une identité en actes, en pratiques. Cette perspective rejoint la thématique de l’habiter*, définie par Mathis Stock comme un « ensemble de pratiques associées à des lieux ». « Pratiquer les lieux, c’est en faire l’expérience, c’est déployer, en actes, un faire qui a une certaine signification » (Stock, 2004). Les représentations et valeurs associées à certains (hauts) lieux*, certes toujours en constantes redéfinitions, sont collectivement partagées et permettent ainsi de comprendre la jonction entre l’individu (l’habitant), l’espace (l’espace habité) et le collectif (la cohabitation) dans la construction de l’identité dans la ville (Lazzarotti, 2006). Dans Le sens de l’usine, Bernard Lamizet définit la médiation pratique de la ville comme ce qui « va scander l’espace urbain de la temporalité des usages et des parcours de ses habitants. Par elle, la ville cesse de n’être qu’un site pour devenir pleinement un espace de culture et de sociabilité : une médiation entre la dimension collective de cet espace et de dimension singulière de son appropriation par les habitants qui lui donnent, ainsi, sens et signification » (Lamizet, 2008). La co-construction collective de l’identité de la ville s’élabore donc par l’ensemble des pratiques des lieux, hétérogènes, multiples et parfois contestées, « intégrant les valeurs assignées à la mobilité et aux lieux géographiques, les technologies d’habiter et d’habitat, les représentations, conceptions, qualités des lieux et des agencements spatiaux » (Stock, 2004). La ville est à la fois le cadre des actions quotidiennes et le produit des usages habitants. Toutefois, le passage entre l’individu et le collectif n’est pas simple. En effet, les pratiques et expériences dans la ville sont singulières, fluctuantes, et dépendent à la fois des histoires personnelles, des situations, mais aussi des conditions sociales qui façonnent des accessibilités différentielles, des espaces d’horizons aux échelles multiples. Marie Morelle, qui s’intéresse aux enfants des rues à Yaoundé (Cameroun) montre par exemple que « vivre dans la rue n’équivaut peut-être pas à vivre dans la ville » (Morelle, 2007). Les différents travaux retranscrits dans l’ouvrage de Peter Gould sur les cartes mentales (1974) témoignent de l’hétérogénéité des relations affectives et émotionnelles (topophobie, topophilie) aux lieux. Peter Orleans souligne par exemple les écarts de connaissances et d’échelles de mobilités dans la ville entre différents groupes sociaux à Los Angeles. L’échelle de la ville n’est peut-être pas pertinente pour comprendre les modes d’identification de l’ensemble des usagers urbains.

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Par ailleurs, être dans la ville ne signifie pas pour autant être de la ville. La citadinité ne se développe pas nécessairement à l’échelle de la ville entière (Gervais-Lambony, 2001 : 99).

Les aspects relatifs au sensible, au pluri-sensoriel et au mémoriel jouent une place importante dans le façonnement des identités dans la ville, par les multiples interactions, à la fois avec l’environnement urbain et avec les autres citadins. Dans cette perspective, plusieurs chercheurs (J.F. Augoyard, G. Chelkoff, J.P. Thibaut, H. Torgue, R. Thomas parmi d’autres) s’intéressent aux ambiances. L’ambiance, comme « espace-temps qualifié » (Thibaut), est caractérisée par des signaux qui interagissent avec l’environnement construit, la perception, l’affectivité et l’action des sujets, les représentations sociales et culturelles. Parmi les différents paramètres des ambiances, les sons servent « d’indicateurs ou bien de filtres, de masques entre les individus. Ils ont un rôle remarquable dans la formation des codes locaux de sociabilité » (Augoyard, 1982). L’identité sonore des villes a été analysée par P. Amphoux, O. Balaÿ ou Ricardo Atienza. « Les phénomènes sonores sont l’un des matériaux sensoriels par lesquels la vie sociale d’un lieu se façonne au jour le jour. La connaissance de cette fonction de l’environnement* sonore apporte des éclairages nouveaux sur les usages touchant aux délimitations spatiales et sur la représentation de chronologies collectives. Réciproquement, les pratiques quotidiennes modèlent un environnement sonore soit de manière active par la production de sons, soit de manière subjective par la déformation, les codages perceptifs des sons et par l’interprétation symbolique de l’entendu » (Augoyard, 1982).

Le lien intime à la ville, tissé de sensible, d’émotions, d’expérience et de pratiques, se construit aussi par les parcours dans la ville et s’exprime par le corps. Qu'il soit simple présence, mouvement, déplacement ou itinéraire, le corps dans la ville reflète une infinité d’expressions identitaires. Son expression contribue à identifier la ville, qui est alors à la fois un support rendant possible et stimulant l’expression, une source d’inspiration et de création et, parfois, de conflit. L’espace public urbain est un lieu privilégié pour observer le mouvement des corps, qui expriment des rapports intimes entre l’individu (ou le sujet) et le lieu. Les pas des touristes, des passants et des flâneurs, tout comme les pratiques ludiques ou artistiques en ville, qu’H.P Jeudy et P. Berenstein-Jacques (2006) désignent comme des formes de l’expérience physique urbaine, « pratique quotidienne, esthétique ou artistique » rythment la ville et « donnent à voir l’espace public différemment, tant d’un point de vue matériel qu’idéel » (Miaux, 2009). La ville peut ainsi être saisie au travers de cette « corpographie urbaine, mémoire urbaine du corps, mode singulier d’enregistrement de son expérience » (Jeudy et Berenstein-Jacques, 2006).

Mais cette expérience, lorsqu’elle est planifiée, obéit « à un rythme de production de l’exhibitionnisme culturel » (Ibid.). Elle se voit ainsi souvent contrainte, soumise à des effets de mise en scène qui peuvent résulter de volontés individuelles et/ou collectives de singularisation, ou relever de jeux d’influences inscrits, nous le verrons, dans une logique de spectacularisation urbaine de plus en plus marquée.

2. IDENTITÉS EN VILLE ET CULTURES URBAINES

Que ce soit pour (se) singulariser, être visible, plus directement comme forme de revendication politique ou au travers de pratiques culturelles mêlant les registres artistiques, esthétiques et politiques, la ville est traversée d’une diversité des formes d’expressions identitaires affichées et revendiquées qui contribuent à marquer et transformer les espaces urbains. Ces expressions traduisent le complexe jeu identitaire auquel se prêtent les individus et les collectifs, utilisant la ville comme décor ou comme ressource pour l’action. Environnement privilégié des luttes et des formes de mobilisation collective, l’espace urbain peut aussi être directement désigné par les mouvements sociaux comme étant à l’origine des maux qui conduisent à l’action. Les noms, les sens d’usages informent ainsi sur les significations qui lui sont associés, contribuant à réifier l’espace urbain, qu’il soit ville,

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quartier ou rue, ruelle [sur les liens entre créations identitaires et parlers dans la ville, voir Van den Avenne, (2007)].

Ces phénomènes renvoient à deux aspects d’ordres différents. D’une part, ils soulignent la mosaïque sociale et culturelle que constitue la ville d’hier et d’aujourd’hui. Juxtaposition ou association de la différence, la ville révèle et rend visible des formes inédites d’existence et, ce faisant, d’expressions et de mise en valeur culturelle. Ce phénomène est d’autant plus prégnant dans le mouvement actuel de mondialisation, l’accélération des échanges de tous ordres et notamment des flux humains, économiques, informationnels et culturels conduisant à une hybridation des genres, des pratiques sociales et culturelles (Appadurai, 1996) dont la ville est le réceptacle. Ce processus renforce le jeu des représentations, des ressentis et des affects, et exprime des lectures et des manières singulières, parfois difficilement conciliables, de vivre en ville et de vivre la ville.

L’immigration en est certainement l’une des illustrations les plus évidentes, tant elle met en tension identité et altérité, et renvoie à la délicate question du « vivre ensemble ». C. Mata Ribeiro souligne combien l’écriture migrante « enregistre les différentes étapes du processus de rapprochement de la ville d’accueil, du moment de la première rencontre au successif apprivoisement de la ville. Des sentiments tels que la séduction ou le rejet, des représentations préalables, le poids de la mémoire du pays d’origine ou le regard vers l’avenir inhérent aux « horizons d’attente » (Courtemanche et Paquet, 2001), déterminent un mouvement et un rythme spécifiques dans le processus personnel d’intégration et d’identification avec la ville » (Mata Ribeiro, 2004).

Deux formes identitaires majeures peuvent être dégagées de la complexité des processus d’identification à la ville. Celles-ci concernent un nombre illimité d’individus et de groupes. D’une part, des formes d’identités définies par des groupes constitués à partir d’une appartenance de fait à la ville ou à une portion de la ville : associations de riverains, de voisins, associations de défense de patrimoine. D’autre part, des identités constituées par l’existence de collectifs regroupés autour d’autres éléments (communauté de valeur, de pratique, de provenance) qui s’inscrivent dans la ville et sont susceptibles de s’approprier des éléments urbains dans lesquels ils se reconnaissent. Ces éléments sont autant de signifiants identitaires, qui peuvent être des lieux, des emblèmes, parfois créés de toutes pièces, ou des pratiques spatiales spécifiques (rassemblements, manifestations), autant de « structurations symboliques de l’espace physique (qui) peuvent conditionner les pratiques » (Veschambre et Ripoll, 2006).

L’enjeu de l’identité repose dans ces deux cas non sur les lieux en tant que tels, tant varient les échelles d’identifications (rue, place, quartier, ou territoire), mais sur la capacité de ces structurations symboliques (qui passent aussi par l’évocation des lieux) à rendre visible les singularités identitaires du collectif ou du groupe. Les notions d’appropriation et de marquage sont ici utiles pour rendre compte des modes selon lesquels opèrent ces mouvements de construction identitaire, qui résultent le plus souvent de rapports de forces et de conflits, et s’expriment par des formes concrètes et violentes d’appropriation, comme le soulignent F. Ripoll et V. Veschambre (2006) : « les pratiques d’appropriation révèlent combien l’espace est investi, et par là même produit, de manière à la fois matérielle, par occupation, transformation, exploitation…et idéelle, par la production de signes, de marques, de limites... ». Dans le contexte spécifique des espaces urbains, ces pratiques d’appropriation peuvent être matérialisées par des événements (grèves et manifestations, défilés, happenings), des usages de et des expressions spécifiques dans l’espace urbain (militants, artistiques ou mêlant les registres d’action : squat, graffiti, skateboard, hiphop…) plus ou moins réguliers, éphémères, saisonniers ou quotidiens. Ils témoignent de différents modes et niveaux d’appropriation et de marquage, selon qu’ils sont réprimés, tolérés, ou élevés au rang de ce qui est souvent désigné comme des « cultures urbaines ». Dans ce cas, ils n’apparaissent plus comme de seules expressions d’identités en ville, mais tendent à être mobilisés pour participer à la production de l’identité urbaine par les institutions. En effet, l’expression « culture

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urbaine » est apparue en France dans les années 1980 dans le champ institutionnel pour désigner de manière indifférenciée des pratiques culturelles ou artistiques, souvent issues du mouvement hip hop, et des disciplines sportives en ville. Formes contemporaines de jeux poétiques anciens pratiqués sur les places publiques, formes de revendications identitaires ou instruments politiques ? Ce questionnement renvoie à la difficulté de proposer une lecture unique des processus relevant de l’identité urbaine. Dès lors, l’identification personnelle et collective à la ville ou à des fragments de l’espace urbain, et l’appropriation et les nombreux marquages idéels et matériels auxquels conduisent ces constructions identitaires, nous obligent à penser les processus d’identification comme des rapports à l’espace et, après V. Veschambre et F. Ripoll, comme des « formes de capital, sources d’inégalités notamment économiques et symboliques, et des enjeux de pouvoir qui (…) ne se réduisent pas à des rapports de force et de contrainte (matériel) mais incluent des conflits de légitimité, des formes de domination et de lutte symboliques (idéel) » (2006).

Ces conflits et luttes engagent les individus à s’exprimer, à exprimer en ville leurs singularités, qu’elles soient sociales, culturelles, considérées soit comme des éléments structurants leur personnalité, leur communauté ou leur groupe, contribuant à construire une identité collective, soit comme des stigmates qu’ils tentent de lever, des formes de dévalorisation contre lesquels ils s’élèvent. La quête de visibilité, de légitimité et, ici, d’attractivité, engage aussi la production d’identités urbaines par les pouvoirs en place dans les espaces urbains. Comme le soulignait K. Lynch, l’identité urbaine est une notion opératoire dès lors que l’on considère la ville comme un acteur. C’est dans cette optique que nous proposons de poursuivre cette réflexion, au risque de se prêter à une catégorisation quelque peu artificielle distinguant d’un côté, l’expression de singularités identitaires en ville, portées par des individus, sujets ou groupes soucieux tant de visibilité que de légitimité et, d’un autre, le processus qui voit de plus en plus de villes, au travers de discours politiques, de projets urbains voire de modèles de développement largement partagés à l’échelle du monde, à s’inscrire dans la production effrénée d’identités urbaines affichées comme autant de symboles de marketing urbain.

3. LA PRODUCTION DE L’IDENTITE URBAINE

En effet, parallèlement à la multiplication des mobilités, des pratiques et des référentiels d’identifications pour différents groupes dans la ville, on observe une prolifération des discours identitaires sur la ville pris en charge par les urbanistes, architectes, acteurs locaux et élus. La production d’une identité affichée est constitutive d’un projet pour la ville, conçue ici comme un être global, unifié et caractérisé. Cette identité spatiale est pensée comme homogène, sur un territoire défini comme contigu. Elle est « utilisée stratégiquement en fonction des intérêts matériels mais aussi symboliques de leur porteur » (Bourdieu, 1980) et rassemble différents éléments de singularisation, de différenciation et d’identification : emblèmes, icônes, signes, parfois associés à des référents spatiaux (paysages*, styles architecturaux, hauts-lieux, lieux de mémoire etc.). Comment expliquer l’essor d’un discours identitaire sur la ville par différents acteurs, d’une « topique identitaire instrumentalisée dans l’agir collectif » (Lussault, 1997) ? Certains chercheurs y voient une volonté de réponse à la « crise urbaine ». M. Lussault pose par exemple l’hypothèse qu’il « existe un registre identitaire de l’action urbaine dont le rôle serait, justement, de contribuer à pallier cette perte de signification de la ville et, par suite, d’ordonner un monde cohérent de sens, susceptible, à la fois, de soutenir idéologiquement et valider socialement les opérations entreprises et de permettre la structuration d’une société locale harmonieuse, enfin purgée de ses troubles » (p. 523). P. Chaudoir (2000) s’intéresse aux arts de la rue en tant que nouvelles interventions dans la ville, qui « prennent en charge leur époque » et re-donnent sens à la notion de vie urbaine. « Ces nouveaux modes d’intervention festive semblent plutôt partager les finalités de

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l’aménagement et de l’urbanisme de leur époque » (Ibid.).

L’identité de la ville est conçue comme une ressource, dans le cadre d’une politique de développement, pour « faire du collectif », construire de la cohésion interne tout en recherchant l’attractivité et l’affirmation d’une image caractérisée, au sein d’un système de villes concurrentiel. Toutefois, la construction de cette identité a une histoire, et l’on observe aujourd’hui un certain nombre de transformations quant aux acteurs, formes et finalités de ce processus. Il est possible de distinguer différents « régimes d’identité » élaborant, en différents moments, des marqueurs identitaires pour la ville (les travaux de F. Hartog sur les « régimes d’historicité » ont été repris et adaptés par différents géographes. C. Grataloup propose ainsi de parler de « régimes de géographicité », M. Gravari-Barbas de « régimes de patrimonialité », M. Stock de « régimes de l’habiter »). Les écrivains, artistes, voyageurs ont en effet depuis longtemps participé à l’élaboration d’imaginaires pour les villes. La littérature, la photographie ou la presse, mais aussi le cinéma, les chansons et l’ensemble des activités musicales, sont autant de vecteurs qui ont médiatisé et fixé des images, participant ainsi à l’identification des villes. Les histoires locales et nationales ont inscrit la ville dans une continuité, dans des temporalités longues. Érudits et notables locaux ont narré le récit de la ville, avec ses hauts-lieux et ses grands personnages. Ils ont produit un récit des origines du lieu et de sa communauté. A ce sujet, plusieurs historiens ont montré les modes de construction des politiques de mémoire et l’intégration de l’histoire de la ville dans celle de la nation notamment, à partir de l’étude des noms de rue ou de la valorisation de sites (voir par exemple Michonneau, 2007). De même que l’histoire ou les productions artistiques, la spécialisation de certaines activités de production, industrielles notamment, ou bien l’émergence de mouvements sociaux et/ou idéologiques spécifiques, ont pu participer à l’identification de certaines villes. B. Frelon (2005) montre par exemple comment le développement de la “génération beat” et les mouvements hippie, pour les droits civiques, pour les droits des gays et lesbiens, pour la paix, contribuent à façonner à partir des années 1950 l’image de San Francisco comme une “ville ‘ouverte’, multiculturelle, voire anticonformiste et contestataire. Par la suite, ces éléments ont parfois été appropriés et valorisés par les acteurs locaux dans le cadre d’un développement local, d’une politique de patrimonialisation et/ou de mise en tourisme. Dans d’autres cas, ils ont constitué un stigmate dont on a voulu de défaire, par une politique volontaire de « reconversion identitaire », de création d’une nouvelle image à partir de l’art et/ou de la culture. Cognac a ainsi créé un festival du film policier depuis 1982. Vierzon a entrepris une « psychanalyse urbaine » pour se défaire des effets de la chanson de Jacques Brel : la ville a été l’objet d’un projet à la fois artistique et social de « psychanalyse urbaine », développé par l’Agence Nationale de Psychanalyse urbaine. Voir Frédéric Potet, « T’as voulu voir Vierzon et on a vu un psy » [Le

Monde, 16/05/2008].

Mais il s’opère à partir des années 1980 un changement majeur dans les modalités d’identité urbaine : un passage de la ville comme « dépositaire d’un savoir-faire national à une ville identifiée en tant que telle » (Chaudoir, 2000). « D’une visibilité internationale des villes comme représentantes des États-Nations », nous observons à présent « une présence des villes, sans intermédiaire, dans une logique de concurrence internationale et inter-urbaine ». Si l’identité est relationnelle et se construit en interaction, il faut alors prendre en compte les mutations des systèmes de références. La ville ici s’autonomise du principe territorial (région ou nation) et se positionne dans des logiques de réseaux ; elle se distingue des autres unités urbaines de taille similaire. « Il semble que l’on observe l’émergence d’un paradigme identitaire nouveau, formé de régions toutes différentes, d’une part, et d’un réseau de villes comparables entre elles plus que par rapport à leur périphérie d’autre part », soulignent L. Morisset et L. Luppen, (2003). Apparaît alors, à l’échelle des grandes métropoles, une topographie symbolique de lieux culturels (Laborde, 2009), bâtiments d’exception construits sur des lieux en abandon, qui ont pour finalité d’inscrire la ville dans une course au prestige internationale. La « ville événementielle » se distingue à la fois par ses lieux mais également

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par ses temporalités exceptionnelles. Les temps de la ville diffèrent ; le mode de construction mémoriel a lui-aussi changé. Il s’agit avant tout de construire une « citadinité imaginée » (voir Cabantous, 2004).

Dans l’ensemble des productions identitaires, les « représentations objectales » cristallisent des significations qui sont sans cesse renégociées et renouvelées et deviennent objets parfois de conflits. Les mises en scènes et les récits sur la ville ne sont pas nécessairement du goût de tous. Avec l’essor des enjeux sociaux, économiques ou politiques associés à l’identité de la ville, se multiplient les acteurs qui entendent s’emparer de l’identité et construire un discours hégémonique. Plusieurs géographes ont par exemple montré les choix idéologiques sous-jacents aux mises en scènes du paysage culturel urbain par différents acteurs, ainsi que les enjeux économiques et/ou idéologiques qui y sont rattachés (voir par exemple Hertzog et Weber, 2001, ou Kruse, 2005) et les tensions que celles-ci peuvent générer. Dans le même sens et à une autre échelle, plusieurs chercheurs analysent l’engagement de nombreux opérateurs urbains dans des projets urbains au centre desquels figurent la culture et le patrimoine (Garat, Gravari-Barbas ou Melé par exemple). Utilisés dans l’élaboration de stratégies de requalification urbaine ou de projets de développement mettant en exergue de prometteuses industries culturelles (Scott, 2000) censées attirer tant les investisseurs que les classes créatives (Florida, 2002), ces éléments renvoient à la nécessaire production d’images et d’identités urbaines. De tels modèles sont souvent mis en œuvre à l’échelle du quartier, l’un des plus médiatisés en Europe ayant certainement été celui de Raval à Barcelone. Mais l’échelle du quartier ne semble être qu’une étape d’intervention qui contribue à l’élaboration de projets d’envergure. Dans cette orientation, toujours à Barcelone, les premiers élans de régénération urbaine par la culture ont inspiré l’élaboration d’une métropolitaine impulsée à partir de la fin des années 80 qui ne tarda pas à être théorisée comme un modèle d’intervention urbanistique, connu ensuite comme l’« urbanisme stratégique » (Capel, 2009). Les exemples, depuis, tendent à se multiplier dans le monde. Bilbao, San Francisco, Rio de Janeiro, Buenos Aires (Rivière d’Arc, 2002), parmi d’autres espaces urbains, sont concernées par la production d’identités urbaines ou métropolitaines. Celles-ci sont structurées par des systèmes productifs ou clusters, spécialisés dans des activités à fort contenu esthétique et sémiotique. Cette dynamique révèle les différents enjeux de la culture, pour répondre à la fois à des attentes économiques et sociales, susceptibles de favoriser la tolérance, la créativité (Florida, 2002). Il s’agit ici d’observer la mobilisation et, souvent, l’instrumentalisation de la culture dans les politiques urbaines. E. Vivant (2007) par exemple y voit un modèle d'action transposable dont il importe d’analyser les effets possibles. Ceux-ci sont le plus souvent traduits par des processus de « gentrification* » rapide, par une emphase sur l’offre culturelle, le spectacle vivant ou les festivals. Ils esquissent une tendance à l’instrumentalisation de l’art et de la culture à des fins d’attractivités des agglomérations. Dans certains cas, le foisonnement, voire la saturation culturelle et patrimoniale, tend à révéler un jeu de faux-semblants au travers de la production d’espaces de la ville qualifiés d’« authentiques » sans mise en garde sur la relativité d’une telle notion ou, du moins, sans prendre la mesure du fait que l’authenticité n’est autre qu’un ensemble de représentations et de productions émanant de constructions politiques largement relayées par des élites urbaines éduquées (Zukin, 2009).

Toutes ces remarques obligent ainsi à la prudence lorsqu’il s’agit d’associer des attributs identitaires, expressions, pratiques, patrimoines ou héritages, ou encore des éléments matériels ou immatériels relevant de la culture, à des espaces urbains. En effet, cette personnification identitaire de la ville concourt exclusivement à l’élaboration d’un « modèle territorial officiel de l’action légitime » (Lussault, 1997), laissant peu de place aux productions individuelles errantes, ou spontanées.

Ces cheminements ont voulu dérouler les multiples acceptions de la notion d’« identité urbaine », conjuguée au singulier ou au pluriel, en montrant les processus d’identification des

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individus et des groupes dans et à la ville, ainsi que des dynamiques de production d’une identité de la ville. Ces trois entrées font intervenir différentes temporalités et échelles de la ville (rue, quartier, ville). Séparées ici pour les nécessités de la présentation, elles ne fonctionnent que dans l’interdépendance. Philippe Gervais-Lambony (2004) montre par exemple, dans le contexte de villes sud-africaines, la combinaison et l’articulation entre la manière dont les acteurs politiques manipulent les identités, et celle dont les identités individuelles se construisent dans une complexité qui va au-delà de la production politique de territoires identitaires, pour finalement dégager des éléments d’analyse de l’identité urbaine de Johannesburg. La notion d’ « identité urbaine » évoque donc un ensemble de processus identitaires complexes entre l’individu, le groupe et l’espace, de l’ordre du sensible, de l’action et de l’énonciation, dans un espace mouvant en constante redéfinition. L’identité est façonnée par des jeux de connaissances et de reconnaissances à différentes échelles, entre différents acteurs. L’en-tête de ce chapitre a évoqué le rôle du langage (nomination, récit, discours) et de l’imagination dans le processus identitaire. Nous avons souligné par la suite les tensions, enjeux voire conflits entre les différents acteurs pour l’accès au discours. A ce titre, les chercheurs en sciences sociales ne peuvent parler d’identités urbaines sans adopter eux-mêmes une posture réflexive et tenter de mesurer les effets de leurs discours et actions (expertise, aménagement, etc.) dans la production des identités urbaines.

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