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TO AVTPOV HIEPOV : utilisation et symbolisme de la grotte du levant hellénistique et romain

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Academic year: 2021

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Τὸ ἄντρον ἱερόν : Utilisation et symbolisme de la grotte du levant

hellénistique et romain

Mémoire

Julie April

Maîtrise en archéologie

Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

© Julie April, 2015

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RÉSUMÉ

Le territoire du Levant, par endroits montagneux, est propice à l’établissement d’installations rupestres. Plusieurs sanctuaires se présentent sous la forme de grottes dédiées à différentes divinités. Ce mémoire de maîtrise se concentre principalement sur l’utilisation et le symbolisme de ces sites sacrés aux époques hellénistique et romaine.

À partir de récits d’explorateurs du XIXe siècle, de rapports archéologiques ou encore à des

commentaires épigraphiques, nous tenterons d’identifier les divinités auxquelles ces sanctuaires étaient dédiés. De plus, l’iconographie et les écrits d’auteurs anciens permettront d’émettre des hypothèses quant aux motivations des Anciens dans leur choix de la grotte comme lieu de culte. Le questionnement initial sera donc répondu à l’aide d’un cadre mécanique multidisciplinaire qui sera essentiel à une meilleure compréhension du phénomène et à la formulation d’hypothèses.

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ABSTRACT

Over the history, occupants of Levantine coast used the mountainous area of their territory to create installations. Many sanctuaries were made in natural or rock-cut caves. Those sanctuaries are associated to different divinities. This master’s thesis aims to understand the use of sacred caves which date to the hellenistic and roman period in this specific area.

The writing of XIXe century explorers, the archaeological publications and the epigraphic

documents help to determine the divinities in association with caves in the Levantine area. Also, the iconology and the writing of ancient authors are essential for a better understanding of the motivations which lead the Ancients to the use of cave as a place of worship. Our multidisciplinary approach provides a better comprehension of the phenomenon and allows us the formulation of some hypotheses.

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TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ ... III ABSTRACT ... V TABLE DES MATIÈRES ... VII LISTE DES FIGURES ... IX REMERCIEMENTS ... XI INTRODUCTION ... 1 ÉTAT DE LA QUESTION ... 2 INTÉRÊT DU SUJET ... 7 CORPUS ... 8 APPROCHES THÉORIQUES ... 10 L’approche postprocessuelle ... 11 Le processualisme et le cognitivisme ... 13 Archéologie du rituel ... 15 MÉTHODOLOGIE ... 15

Critères de sélection des données ... 16

MISE EN CONTEXTE ENVIRONNEMENTALE ET HISTORIQUE ... 20

Région et climat ... 20

Situation politique et religieuse ... 21

1. DESCRIPTION DES DONNÉES ... 26

1.1ADLOUN ... 28 1.2APHAKA(AFKA) ... 29 1.3BYBLOS ... 31 1.4BIADH ... 33 1.5DOLICHE ... 34 1.6GERASA ... 37 1.7HUARTÉ(HAWARTI) ... 40 1.8MARATHUS ... 41 1.9PANIAS ... 43 1.10SARBA ... 45 1.11TEMNINE ... 46 1.12SA’ARA ... 49

1.13WADIRAMM(WADIIRAM) ... 51

1.14WASTA ... 55

2. UTILISATION DES SANCTUAIRES : LES DIVINITÉS ... 57

2.1LAGRANDEDÉESSE ... 57

2.2ZEUS ... 70

2.3PANETLESNYMPHES ... 76

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3. LE SYMBOLE DE LA GROTTE ... 102

3.1THÉORIESSURL’UTILISATIONDESGROTTESSACRÉES ... 102

3.1.1 Le numineux ... 102

3.1.2 Le rationalisme ... 110

3.2LAPERCEPTIONDELAGROTTE... 118

3.2.1 De la grotte au temple monumental... 118

3.2.2 Les « grottes » appareillées dans le monde romain ... 124

CONCLUSION ... 129

SOURCES ANCIENNES ... 136

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LISTE DES FIGURES

Figure 1 : Disposition des différentes grottes sacrées dans la région du Levant. (APRIL 2014) .. 27 Figure 2 : Reproduction de symboles relevés par Renan dans plusieurs grottes de la région

phénicienne. Ces symboles, gravés de manière irrégulière, se retrouvent sur les parois rocheuses de plusieurs grottes phéniciennes. (RENAN 1864) ... 29 Figure 3 : Vue aérienne de la grotte d’Aphaka. (ALIQUOT 2009, p. 259) ... 31 Figure 4 : Intérieur de la grotte de Byblos. (RENAN 1864, pl. XXVIII) ... 33 Figure 5 : Plan des deux mithraea de Doliche. (SCHÜTTE-MAISCHATZ et WINTER 2004,

numérisation du plan en annexe) ... 36 Figure 6 : Tabula ansata (tablette à anses) gravée à l’entrée du mithraeum 1. (SCHÜTTE-MAISCHATZ et WINTER 2000, p. 96.) ... 36 Figure 7 : Entrée de la grotte qui se trouve au sud du temple de Zeus. (Photo : APRIL 2014) ... 39 Figure 8 : Entrée secondaire de la grotte qui se trouve au sud du temple de Zeus et vue sur le temple.

(Photo : APRIL 2014) ... 39 Figure 9 : Plan de la cité de Marathus (Amrit). Le sanctuaire se trouve au nord-est (dans le coin

inférieur gauche). (RENAN 1864, pl. VII) ... 42 Figure 10 : Grotte du sanctuaire de Marathus. A : Entrée de la grotte; B : Paroi du bassin; C : Bloc

de rétention d’eau qui ferme le bassin. (DUNAND et SALIBY 1956, p. 9) ... 43 Figure 11 : Plan du sanctuaire de Pan à Panias. (BERLIN 1999, p. 29) ... 45 Figure 12 : Intérieur du nymphée de Temnine el-Faouqa. (ALIQUOT 2010, p. 299) ... 48 Figure 13 : Entrée du nymphée de Temnine el-Faouqa (KRENCKER et

ZSCHIETZSCHMANN 1938, p. 139) ... 48 Figure 14 : Reconstitution du plan général du mithraeum de Sa’ara. (Par COURBON 2010 d’après

les plans de KALOS 2001, p. 286.) ... 51 Figure 15 : Bétyle d’Allat (SAVIGNAC 1934, p. 584) ... 54 Figure 16 : Plan du sanctuaire. La grotte est désignée par la lettre « G » à l’extrême droite du plan.

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Figure 17 : Graffiti de la grotte de Wasta. (RENAN 1864, p. 651.) ... 61 Figure 18 : Graffiti de la grotte de Wasta. (RENAN 1864, p. 652.) ... 63 Figure 19 : Le droit de cette pièce présente le buste d’Élagabal et le revers illustre Pan dans une

grotte au-dessus d’un arc clôturé. (SNG, 1981, American Numismatic Society, Palestine-South Arabia, 884) ... 85 Figure 20 : Vue en plan du mithraeum de Huarté. (GAWLIKOWSKI 2006) ... 89 Figure 21 : Tentative de reconstitution du mithraeum de Sa’ara représentant la scène de la

tauroctonie dans une niche à l’extrémité du sanctuaire. (KALOS 2001, p. 272) ... 94 Figure 22 : La partie supérieure de l’abside du sanctuaire de Sa’ara présentait les signes du zodiaque

(KALOS 2001, p. 2) ... 100 Figure 23 : Interprétation du processus religieux. (RENFREW 1994, p. 49) ... 116 Figure 24 : Mithraeum de Sa’ara. (KALOS 2001) ... 123

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REMERCIEMENTS

Le premier remerciement revient à mon directeur de recherche, M. Thierry Petit, qui m’a soutenue tout au long de ma rédaction. Il m’a encouragée à fréquenter l’Université de Strasbourg où j’ai eu la chance de suivre des cours particulièrement stimulants. J’ai aussi eu la chance, grâce à mon directeur, de fréquenter l’Institut des études anciennes. Je tiens à remercier tous les enseignants de l’Institut ainsi que les collègues que j’y ai rencontrés pour leur inspiration et qui m’ont amené à compléter un certificat en études anciennes. Plus particulièrement, merci à Karine Laporte et Cathelyne Duchesne.

Je remercie les membres du jury soit, mon directeur, M. Thierry Petit, Mme Pascale Fleury et M. Réginal Auger.

Les enseignants d’archéologie furent aussi une constante source d’inspiration. Un merci tout particulier à Allison Bain et Réginald Auger que j’ai eu la chance de côtoyer durant mon stage avancé de fouilles archéologiques à l’îlot des Palais à Québec.

Merci à mes amis et collègues Olivier Roy, Antoine Loyer Roussel, Vincent Rousseau, Marie-Chantale Savard, Zocha Houle-Wierzbicki et Dominique Lauzier pour le support moral collectif. Je tiens à remercier ma famille de m’avoir toujours soutenue dans mes études et qui continue de le faire. Un grand merci à Carl Boutet Gingras pour son soutien inconditionnel.

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INTRODUCTION

À son apogée géographique, la Grande Syrie s’étendait sur l’ensemble du Levant. À l’intérieur de ce territoire, un peu à l’écart de la rive méditerranéenne, se découpe un paysage aux montagnes imposantes1. Ces dernières furent partie intégrantes de la vie des Anciens qui

les ont à la fois habitées, exploitées ou, encore, simplement explorées. Les aménagements dus à cette présence humaine dans les montagnes ne sont pas négligeables et peuvent prendre différentes formes qui nous renseignent sur la vie et les activités des Anciens. Dissimulées dans ces hauteurs, des grottes naturelles comme artificielles furent aménagées et parfois à des fins cultuelles. Notre recherche porte plus précisément sur les grottes sacrées du Levant durant les périodes hellénistique et romaine.

L’influence de la culture gréco-romaine a certainement bousculé le monde oriental. Malgré la portée de cette influence tout autour de la Méditerranée, le Proche-Orient est resté distinct du reste des royaumes hellénistiques et plus tard de l’Empire romain. Le choc entre les différentes cultures présentes sur le territoire semble avoir amené, dès l’Antiquité, un auteur à observer les cultes qui y étaient pratiqués. Nous faisons ici référence à l’auteur ancien Lucien de Samosate2. Au IIe siècle ap. J.-C., poussé par la curiosité que lui inspiraient

les cultes dédiés à la Déesse syrienne, il a voyagé sur toute la Syrie afin de comprendre et d’observer les phénomènes liés à ce culte. La particularité de cet auteur face à son sujet est sa région d’origine. En effet, celui-ci est un « Assyrien »3 élevé dans la tradition

gréco-romaine4. Il porte un regard critique sur les différentes religions de son époque. Ces dernières

l’intriguent, d’où le motif de ses voyages, mais il semble aussi s’en moquer5. Le récit de son

voyage en Syrie, publié sous le titre La déesse syrienne, est écrit vers 150 ap. J.-C. et présente

1 WILKINSON 2003, p. 15.

2 Samosate est une ville qui fait aujourd’hui partie de la Turquie. Elle fut la capitale du Royaume de Commagène

qui résista longtemps aux Romains avant d’être annexée à la province romaine de Syrie en 17 ap. J.-C. (SARTRE 2001, p. 503-504)

3 À cette époque, les termes « Syrien » et « Assyrien » sont utilisés indifféremment selon les auteurs et leur

provenance à cause d’une certaine confusion qui existait. Dans De dea syria (I), Lucien alterne ces deux termes comme s’ils étaient synonymes. (FRYE 1997)

4 ODEN 1976, p. 29. 5 Ibid., p. 27.

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le culte hiéropolitain de « la Junon assyrienne », comme Lucien l’appelle lui-même. Il considère que c’est dans la ville de Hiérapolis que le culte est le plus prestigieux au regard de la monumentalisation du temple et de la richesse des offrandes particulièrement impressionnantes. Ainsi, cet auteur nous offre la première investigation en lien avec la religion du Levant.

État de la question

La religion au Proche-Orient

Lucien n’est pas le seul à s’intéresser aux temples monumentaux. On peut aussi constater cet engouement en se reportant aux ouvrages des XIXe et XXe siècles. De

nombreux auteurs ont consacré leurs recherches à la religion antique du Proche-Orient, mais en se cantonnant principalement aux grands temples romains6. Principalement, l’intérêt se

concentrait sur les temples situés dans les grands centres urbains comme ceux de Palmyre et d’Apamée7. Les auteurs portaient surtout leur intérêt sur l’époque romaine puisque, bien

souvent, le dernier état des monuments et même des villes correspondait à cette période. Par ailleurs, peu d’informations sur les temples antérieurs ont subsisté face à ces installations romaines. Durant près de deux mille ans, l’attention de certains auteurs est restée polarisée sur ces temples monumentaux bien que beaucoup de sanctuaires rupestres et de grottes naturelles, modestement aménagés, pouvaient apporter de l’information sur les différentes religions antiques au Proche-Orient.

Ernest Renan, auteur de la seconde moitié du XIXe siècle, se distingue de ses

contemporains par son intérêt envers les petits sanctuaires régionaux du Levant, alors que ses contemporains se concentraient sur les régions citées dans les textes bibliques. Renan a parcouru la Phénicie en décrivant plusieurs grottes qu’il voyait sur son parcours8. Il avait

bien saisi l’importance que représentaient celles-ci dans l’architecture locale :

6 KRENCKER et ZSCHIETZSCHMANN 1938 ; SAGAL 1997 ; TAYLOR 1967. 7 SAGAL 1997.

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3 Rien ne porte à croire que les Phéniciens aient eu la voûte à clef. Ce principe du monolithisme qui domina l’art phénicien et syrien, même après l’adoption de l’art grec, est bien le contraire du style hellénistique […] À une époque où l’on ne savait pas faire de voûte, un creux naturel était une chose précieuse, qu’on se hâtait d’approprier aux besoins de l’homme9.

Déjà à cette époque, dans son ouvrage Mission en Phénicie, Renan constatait l’urgence d’agir pour préserver ce qui restait des traces de la présence phénicienne sur le territoire. Lors d’un second voyage, quatre ans seulement après le premier, il avait remarqué une flagrante détérioration des sites. En effet, « la trace d’une foule de travaux dans le roc a disparu »10 à

la suite de nombreux écroulements de rochers. Comme la conservation de ce type de sanctuaires est ardue et que ces derniers n’ont pas la chance d’être enfouis comme la majorité des sites archéologiques, ils méritent qu’on leur prête une attention particulière. De plus, bien que Renan souligne de manière juste la particularité phénicienne du travail de la pierre, ses interprétations méritent d’être reconsidérées comme nous le démontrerons dans notre interprétation.

Près d’un siècle plus tard, le postprocessualisme, en plus de procurer un apport théorique important aux recherches sur le symbolisme, a entraîné la publication de nombreuses recherches traitant de la religion du Proche-Orient antique11 et depuis, ce sujet

n’a toujours pas perdu de son intérêt. En effet, des ouvrages très récents12 abordent la religion

gréco-romaine au Proche-Orient, mais l’angle de recherche a évolué. Aujourd’hui on ne s’intéresse plus uniquement aux sanctuaires des grandes villes, mais aussi à la vie religieuse des petites localités et à l’aménagement du territoire qui en résulte. Les aspects théoriques de l’utilisation territoriale présentés dans ces ouvrages furent d’ailleurs essentiels à la présente étude.

Les grottes de l’Antiquité

L’étude des grottes sacrées de l’Antiquité s’est longtemps tournée uniquement vers la Crète où cette pratique d’utiliser les grottes comme lieux sacrés est particulièrement important. L’ouvrage de Vance Watrous, The Cave Sanctuary of Zeus at Psycho, en est un

9 RENAN 1864, p. 822-823. 10 Ibid., p. 328.

11 GOEDICKE et ROBERTS 1975 ; TEIXIDOR 1977 ; Le GLAY 1986. 12 LIPINSKI 1995 ; KAISER 2008 ; ALIQUOT 2009.

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bon exemple13. Bien qu’assez documentées, les grottes crétoises ont été surtout l’objet de

recherches descriptives plutôt qu’analytiques tels que le présente les ouvrages de Paul Faure14

et de Loeta Tyree15.

Un volume substantiel, publié par Henri Lavagne, marque la recherche sur les grottes sacrées dans les années 80. L’étude du symbolisme de la grotte à travers l’époque grecque puis romaine est au cœur de sa publication Operosa antra16. Le phénomène des grottes

ornementées qu’il qualifie d’operosa antra n’est pas particulièrement présent dans la région qui nous intéresse soit, le Levant. Lavagne se concentre, en effet, sur les grottes de l’Égypte lagide, mais son analyse reste pertinente pour comprendre le symbolisme des grottes de manière plus générale dans la l’Antiquité. Selon ses recherches, la transition de la période classique vers la période hellénistique se caractérise par l’intégration des grottes artificielles dans les cités. Ensuite, il note que le passage de l’antre hellénistique à l’antre romain se caractérise par l’entrée de la grotte dans les jardins privés. Chez les Romains, on tente de recréer la grotte sans se soucier de sa ressemblance avec la nature et des formats miniatures sont créés dans les cours privées. Dans la dernière partie de cet ouvrage, l’auteur identifie deux types de grottes tout à fait romaines : les grottes impériales et les mithraea. Ce dernier cas concerne directement notre étude.

L’ouvrage permet de percevoir la vision de ces sanctuaires selon différents points de vue retrouvés dans une vaste gamme de ressources littéraires. Par exemple, l’auteur utilise plusieurs mythes gréco-romains, des poèmes des différentes époques, des inscriptions provenant des sanctuaires et même des théories d’auteurs plus modernes tels que Freud. Il offre généralement sa traduction personnelle de ces sources primaires souvent en latin ou en grec ancien afin d’appuyer ses propos et d’apporter une vision renouvelée ou plus précise de ces sources. En 1990, Siebert17 consacre un article à l’imaginaire et les images de la grotte

dans la Grèce archaïque et classique. Plus précisément, il s’intéresse aux représentations de scènes mythologiques impliquant la figuration de la grotte sur les vases attiques. Cet aspect iconographique de l’étude des grottes sacrées apporte une autre vision, moins littéraire, qui 13 WATROUS 1996. 14 FAURE 1964. 15 TYREE 1974. 16 LAVAGNE 1988. 17 SIEBERT 1990.

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5 permet de comprendre le concept de la grotte chez les Anciens. Ainsi, Siebert conclut que l’accent est souvent mis sur la nature et qu’une grotte peut être simplement représentée par une branche feuillue et archée. Lavagne met aussi l’accent sur la nature et remonte aux traditions grecques afin d’expliquer l’origine des grottes hellénistiques et romaines. De façon générale, il considère la grotte comme la limite entre deux mondes bien distincts : le monde des hommes et celui des dieux. Ainsi, les grottes ne font pas partie du territoire de l’homme.

L’ouvrage de Lavagne met en perspective le symbolisme de la grotte à travers les époques. Il distingue bien l’époque classique, de l’époque hellénistique et de la période romaine. La transition vers l’époque hellénistique se caractérise par l’intégration des grottes dans les cités. La plus grande différence avec l’époque classique réside dans le fait que ces grottes sont majoritairement artificielles. Toutefois, il convient de préciser qu’Henri Lavagne ne considère que les grottes de l’Égypte lagide dans son étude des grottes hellénistiques. Ensuite, le passage de l’antre hellénistique à l’antre romain se caractérise par l’entrée de la grotte dans les jardins privés. À cette époque, on tente de recréer la grotte sans se soucier de sa ressemblance avec la nature et on utilise des artifices afin d’avoir une image plus expressive de la grotte. C’est-à-dire que les grottes artificielles seront décorées abondamment (mosaïques, coquillages, peintures, etc.) et prendront différentes formes dans les cités et les domaines.

Les grottes du Levant

Ce n’est que très récemment que certains chercheurs ont orienté leurs recherches vers le phénomène des grottes cultuelles du Proche-Orient. La vie religieuse au Liban sous

l’Empire romain reste centrale pour la compréhension des sanctuaires rupestre du Levant antique. En effet, l’auteur, Julien Aliquot, s’intéresse à tous les types de sanctuaires se trouvant sur le territoire libanais et non seulement aux temples monumentaux issus de la tradition gréco-romaine. Son catalogue des sanctuaires ruraux en comprend cent-vingts de toutes formes. Considérant que c’est l’une des caractéristiques principales de l’architecture religieuse de la région libanaise, l’auteur insiste sur le caractère rupestre d’un grand nombre de sanctuaires et d’installations cultuelles. Parmi ces derniers, six prennent la forme de grottes et seront retenus parmi les données de cette recherche.

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Aliquot souligne aussi le fait que les temples ruraux du Liban romain n’avaient fait l’objet d’aucune synthèse. L’auteur poursuit l’objectif d’en créer une par son étude. Il explique cette lacune par la vision faussée qu’on a trop longtemps portée sur les cultes régionaux. En effet, il faut les considérer et les étudier de manière spécifique, mais en les assimilant à l’univers de la religion romaine du Proche-Orient. Corinne Bonnet exprime les fondements de cette idée :

Le monde du Liban antique est profondément affecté par les mutations culturelles qui remodèlent l’Orient romain (et déjà hellénistique) et connaît une réorganisation structurelle en profondeur. Loin d’être le conservatoire des traditions ancestrales, il évolue et réagit au contexte ambiant, donnant ainsi naissance à un « paysage religieux » original et fécond18.

Ainsi, il ne faudrait plus considérer ces cultes comme des vestiges de la tradition orientale qui stagnent et se dégradent depuis un millénaire. Ils sont plutôt des témoins de la religion gréco-romaine du Proche-Orient qui est unique et marquée par le multiculturalisme. Nous tenterons d’étudier les sanctuaires de notre corpus dans cette perspective.

Plusieurs travaux en cours portent plus largement sur le paysage religieux du Levant. Entre autres, les ouvertures interdisciplinaires permettent d’aborder les problématiques sous de nouveaux angles souvent plus sociaux ou environnementaux. Ainsi, l’archéologue Corinne Bonnet a tout récemment publié un ouvrage sur les sanctuaires des cités phéniciennes à l’Époque hellénistique. L’Université Saint-Joseph de Beyrouth, dans le cadre d’un Atlas des espaces religieux du Liban, prépare aussi une série d’ouvrages qui allient sciences des religions, géographie et histoire. Une section d’un de ces volumes sera d’ailleurs consacrée aux grottes et sanctuaires du Liban. De plus, la thèse de Nour Farra Haddad, doctorant à la Lebanese University en 2008, porte sur les lieux communs de pèlerinage au Liban et elle consacre un chapitre entier aux grottes. Ces ouvrages mettent surtout l’accent sur l’utilisation de ces grottes cultuelles à l’époque moderne par les groupes chrétiens et musulmans.

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7 En effet, l’utilisation des grottes en tant que sanctuaires est un phénomène encore bien vivant de nos jours dans cette région. Dans l’un de ses articles19, Nour Farra Haddad souligne

un aspect particulièrement intéressant de la question des grottes cultuelles ; les cultes antiques semblent avoir eu des répercussions sur les cultes modernes dans les grottes du Liban. Déjà Renan avait constaté ce phénomène : « En général, les pèlerinages communs aux musulmans, aux chrétiens et aux autres sectes, en Syrie, indiquent des centres de cultes païens »20.

D’ailleurs, les cultes chrétiens associés à la Vierge et étudiés par Haddad, sont pratiqués dans des grottes que l’on interprète comme étant d’antiques sanctuaires d’Astarté. Certains de ces sanctuaires qui étaient utilisés durant l’Antiquité furent l’objet de fouilles archéologiques et sont intégrés à ce mémoire.

Intérêt du sujet

Malgré les recherches récentes, aucune ne porte directement sur les grottes du Levant antique. On trouve seulement des sources qui traitent les sanctuaires de manière individuelle. Cette étude tente donc de combiner plusieurs données permettant d’établir des hypothèses plus larges. Une autre particularité de notre recherche se situe dans son cadre géographique. La zone concernée correspond à ce qu’on peut appeler la Grande Syrie21. Ce terme se

rapporte à la limite géopolitique, à laquelle on se réfère pour désigner l’évolution de la province romaine de Syrie. Bien que les frontières aient été constamment modifiées dans l’Antiquité, la Grande Syrie englobe toutes les grottes de notre corpus. Par contre, cette appellation fait référence à la période romaine. Comme cette recherche inclut aussi la période hellénistique, les termes « Proche-Orient » ou « Levant » seront préférés. Ce cadre spatial, en plus de délimiter l’implantation romaine en Orient, a permis de regrouper assez de données pour mener à terme notre recherche. De plus, bien que plusieurs cultures coexistent sur ce territoire, il est possible d’établir des liens entre celles-ci puisqu’elles partagent des éléments de culture communs pouvant remonter jusqu’à l’Âge du bronze22. En effet, des références

iconographiques de cette période seront perceptibles dans les décorations de certaines grottes et font en sorte qu’il est cohérent de regrouper les sanctuaires de cette région malgré leurs

19 HADDAD 2006 (B). 20 RENAN 1864, p. 329.

21 La grande Syrie inclut la Syrie, le Liban, la Palestine, la Jordanie et Israël. (SARTRE 2001, p. 166 n. 101) 22 KEEL et UEHLINGER 2001, p. 38.

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particularités. Les conquêtes d’Alexandre le Grand couvraient évidemment un territoire plus élargi que le Levant, mais l’établissement fut plus temporaire dans les régions éloignées de la côte méditerranéenne. La côte levantine reçut principalement les influences du monde classique puisque le contact y fut plus prolongé.

Le cadre chronologique choisi peut aussi constituer une particularité de ce mémoire. À la fin des conquêtes d’Alexandre en 323 av. J.-C., les religions du Levant connurent des changements provoqués par l’implantation des cités grecques et la création de l’Empire séleucide. C’est le début d’un nouveau syncrétisme au Levant qui est d’ailleurs caractéristique de la période. Ces mutations se poursuivirent lorsque les Romains reprirent le territoire durant le Ier siècle av. J-C. Ainsi, notre étude se distingue par son intérêt envers la

présence gréco-romaine en Orient et l’impact religieux en résultant. Les grottes concernées étaient parfois déjà en utilisation avant cette période, mais nous pourrons observer leur adaptation à cette nouvelle réalité culturelle. La limite de la recherche se situe en 312 ap. J.-C. alors que Constantin se convertit au christianisme. À la suite de cette conversion, en 313 ap. J.-C., l’Édit de Milan est proclamé et le christianisme est officiellement accepté dans l’Empire et deviendra rapidement la religion officielle. Des mesures de conversions furent mises en place pour changer les habitudes religieuses de la population. Dès lors, le cadre religieux du Proche-Orient change drastiquement et se distingue de nos objectifs plutôt centrés sur la religion païenne. La distance entre les interprétations des religions païennes et celles de la religion chrétienne sont, en effet, trop éloignées pour se combiner dans une même recherche et la conversion de Constantin marque l’entrée dans une nouvelle phase religieuse pour tout l’Empire. De plus, les grottes des périodes chrétiennes et postérieures font déjà l’objet d’autres recherches. Par ailleurs, le sort des sites de notre corpus durant la présence chrétienne sera brièvement discuté en conclusion.

Corpus

Des recherches documentaires ont permis d’identifier quatorze grottes à caractère sacré dans la région du Levant. Évidemment, certaines contraintes s’imposent d’ores et déjà puisqu’on peut supposer que plusieurs des sanctuaires rupestres ayant été en fonction durant l’Antiquité ne sont pas connus, ou qu’ils n’ont simplement jamais fait l’objet d’une étude ou d’une description dans une publication. Ainsi, ce corpus se compose des informations de

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9 seconde main disponibles. On peut donc comprendre que ce n’est pas un corpus exhaustif, mais qu’il permet une vue d’ensemble sur les types de cultes pratiqués dans les grottes au Levant. Parfois, des inventaires des lieux de culte tel celui que présente Aliquot23, offrent un

accès à un grand nombre de données sur les sanctuaires libanais. Les grottes recensées dans les autres pays proviennent majoritairement d’articles qui ne traitent qu’une seule grotte à la fois.

Ces grottes, ayant été aménagées par l’homme, constituent en elles-mêmes des données archéologiques. Lorsque la divinité vénérée est identifiable par les inscriptions ou l’iconographie, l’utilisation de ces sanctuaires se clarifie. Quelques-unes des grottes offraient la possibilité d’entreprendre des fouilles archéologiques qui ont permis la découverte d’artefacts identifiant le culte pratiqué et la période d’utilisation. Dans d’autres cas, aucune fouille ne fut effectuée, mais l’épigraphie permet de comprendre l’utilisation de la grotte et parfois même l’origine géographique des pèlerins.

Énoncé de la question spécifique de recherche

Comme le montrent les pages précédentes, aucune étude n’a porté de façon spécifique sur les grottes du Levant antique. Certes, elles sont parfois incluses dans les recherches sur les cultes ruraux et cataloguées24, mais personne n’a tenté de regrouper toutes ces grottes

sacrées connues dans le cadre d’une même étude. Une telle recherche permet de mettre en lumière les particularités de ce type de sanctuaires dont le symbolisme peut se transformer au fil des siècles et au contact de différents groupes culturels.

Dans le cadre de ce mémoire, la question de recherche se pose en deux volets. D’abord, à quelles divinités peuvent être associées les grottes naturelles et artificielles au Proche-Orient antique? Ensuite, nous nous pencherons sur le symbole de la grotte selon les influences culturelles. Pour ce faire, les théories en lien avec l’utilisation de l’antre seront abordées ainsi que la perception de cette dernière selon les époques. Le but est de comprendre le lien entre l’utilisation de la grotte et les différentes divinités ainsi que de distinguer des facteurs, par

23 ALIQUOT 2009. 24 ALIQUOT 2009.

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exemple, politique, économique ou religieux, qui ont pu influencer, selon les époques, l’établissement de ce type de sanctuaire.

Avant de débuter l’analyse, les données retenues seront présentées au chapitre 1. Un bref portrait des sites antiques dans lesquelles se trouvent ces grottes archéologiques accompagnera chaque description. Pour arriver à démontrer que l’antre possède une symbolique dans certains cultes, le chapitre 2 portera sur l’analyse des éléments liants les divinités de notre corpus et l’antre. De cette manière, les grottes seront classées selon les divinités qui y sont vénérées soit : la Grande Déesse, Zeus, Pan et Mithra. Cet ordre de présentation est chronologique étant donné qu’il semblait plus logique de parler du culte de Mithra à la fin, celui-ci étant plus tardif sur ce territoire. À l’opposé, le culte de la Déesse semble être le plus ancien puisqu’il a précédé l’hellénisation de l’Orient. En ce qui a trait aux deux autres cultes, ceux de Pan et de Zeus sont associés à l’époque hellénistique et donc contemporains pour le Levant. Le chapitre 2 traite donc du premier volet de la problématique.

Le second volet de celle-ci, traité au chapitre 3, est d’ordre plus théorique. Les principales théories utilisées pour la recherche seront présentées dans l’introduction, mais le dernier chapitre d’interprétation reviendra plus en profondeur sur certaines théories afin de déterminer les différentes possibilités qui permettent d’expliquer l’utilisation de la grotte. De plus, cette section se penche sur le symbole de la grotte dans la mentalité grecque et romaine. Ainsi, nous cernerons les origines de l’utilisation des grottes du Levant et aussi l’utilisation de ce type de sanctuaires dans l’Empire de manière générale.

Approches théoriques

La présente recherche ne requiert pas d’intervention archéologique sur le terrain. Elle se base plutôt sur des recherches antérieures menées par des archéologues et des explorateurs ayant différentes approches. Ainsi, quelques approches théoriques qui ont pu influencer la perception des sanctuaires qu’avaient ces chercheurs seront décrites. Ces théories sont aussi directement en lien avec l’interprétation des données traitée au chapitre où nous reviendrons sur plusieurs des concepts présentés.

Deux grandes approches seront ici exposées. Leur utilisation peut sembler contradictoire étant donné que le postprocessualisme (ou l’archéologie contextuelle) et le

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11 processualisme (ou Nouvelle Archéologie) ont longtemps été perçus comme les deux grandes théories archéologiques entrant l’une en contradiction avec l’autre. Toutefois, la distinction n’est pas si claire et l’évolution de ces théories a tendu à des rapprochements entre celles-ci25. Étant donné que cette recherche sur les grottes sacrées traite particulièrement de l’aspect

religieux, nous tenterons de mettre de l’avant les différentes méthodes et théories utilisées pour traiter des phénomènes religieux.

L’approche postprocessuelle

Les études portant sur la religion en archéologie se rattachent souvent au postprocessualime. Cette approche théorique est de mise lorsque l’on tente d’interpréter des symboles et de comprendre leur signification culturelle26. L’un des objectifs de cette

recherche est de comprendre le symbolisme de la grotte au Proche-Orient durant l’Antiquité. Ainsi, les grottes en elles-mêmes sont des symboles, mais les représentations iconographiques qui se trouvent dans ces dernières seront aussi des symboles à interpréter. Le postprocessualime des années 198027, créé en réponse au processualisme (Nouvelle

Archéologie28), vise à cerner les motivations et les idées des individus au travers de leur

production matérielle. Notre recherche est donc directement en lien avec les préoccupations générées par ce renouveau théorique. Ainsi, le raisonnement et le questionnement de départ s’inscrivent clairement dans ce courant de pensée.

Le développement de l’archéologie postprocessuel a aussi permis le développement de théories liées au symbolisme religieux qui sont propres à l’archéologie et principalement à la culture matérielle. D’après Ian Hodder, les assemblages de culture matérielle, c’est-à-dire les assemblages céramiques et architecturaux et tout ce qui a été produit ou aménagé par l’homme, reflètent un processus organisationnel de catégorisation des groupes culturels. Étudier ces processus de catégorisation permet d’interpréter les changements dans une certaine catégorie d’assemblage à travers le temps29. Il définit un assemblage non pas comme

25 MOUSSETTE 1995, p. 4. 26 TRIGGER 2006, p. 501-502. 27 LOEWEN 2010, p. 20. 28 MOUSSETTE 1995, p. 3. 29 HODDER 1982, p. 17.

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12

une forme individuelle, mais telle une série de formes qui partagent certains attributs distinctifs, ce qui permet de les catégoriser puis de leur donner un sens en interprétant ces différentiations30. De plus, ces formes sont indissociables du contexte social31. Hodder utilise

ici l’exemple d’une bouteille de sherry, qui selon les marques et les époques, peut prendre différentes formes tout en se rapprochant d’une certaine standardisation. Ces dernières peuvent être révélatrices d’une marque haut de gamme ou encore de la marque étant la plus populaire. Ainsi, la classification est une étape importante de la méthodologie et peut être la base d’interprétations. C’est souvent ainsi que l’on a déterminé la présence d’un lieu de culte, grâce à la classification des artéfacts.

La majorité des grottes qui seront présentées plus bas, qu’elles soient naturelles ou artificielles, sont la manifestation de l’adaptation des différents peuples du Levant antique à l’environnement auquel ils étaient confrontés. Pour Hodder, les symboles matériels (incluant les espaces religieux et l’iconographie) ont plusieurs sens. Ces sens – action, structure et contenu –, selon la théorie de l’archéologie contextuelle introduite par Hodder, doivent être étudiés de manière indissociable des uns des autres et ce, en considération du contexte environnemental, physique et social, et des changements historiques. (Hodder 1987:2) De plus, la complémentarité des données fait partie de la démarche contextuelle et dans ce mémoire plusieurs sources seront mises en relation : sources archéologiques, iconographiques, épigraphiques et historiques.

Parmi les approches du postprocessualime, la phénoménologie a eu une influence particulière pour l’étude des religions. Les origines de cette théorie proviennent de l’Allemagne du XIXe siècle32. Depuis, celle théorie a évolué et est toujours d’actualité. Au

départ, selon les écrits d’Otto, la religion chrétienne se présentait comme supérieure à toutes les autres. Aujourd’hui, les phénoménologues tentent plutôt de comprendre la perception du sacré selon la culture de l’observateur. Cette pratique ne s’étend plus seulement à la religion, mais aussi au simple sentiment ressenti par quelqu’un face à une construction naturelle ou humaine. Par exemple, certains s’intéressent aux sentiments de l’observateur face à un

30 Ibid. 31 Ibid., p. 23. 32 OTTO 1971.

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13 bâtiment impérial et au decorum qui s’articulait autour33. Dans le cadre de cette recherche, la

phénoménologie permettra une meilleure compréhension des religions de l’Antiquité. Cette théorie revêt ici une importance particulière et elle sera davantage approfondie au chapitre 3 lorsqu’il sera question de la sacralité d’un lieu de culte par la considération du numen34.

Bien que spéculative, l’approche phénoménologique reste pertinente35. Elle permet

« d’éveiller l’historien à l’originalité de la religion et tempérer en lui la tendance à la confondre avec le social ou l’économique »36. André Couture, professeur à l’Université

Laval, ajoute que « les préoccupations phénoménologiques peuvent certainement aider l’historien à mieux appréhender les situations historiques qui l’intéressent : pareillement, l’étude attentive de l’histoire ne saurait nuire au phénoménologue qui cherche à cerner la spécificité des formes d’expériences religieuses »37. Comme notre démarche engage à la fois

l’histoire et la science des religions, cette théorie permet d’apporter un angle d’approche supplémentaire à la réflexion.

Moussette présente un autre aspect fortement inspiré du postprocessualisme à considérer en archéologie des religions :

[…] c’est l’idée qui se cache derrière les objets physiques qui est importante, parce qu’elle contient la connaissance nécessaire à leur production, leur usage et même leur place dans la culture […]. En effet, la culture matérielle et le système d’idées qui lui est lié forment un environnement d’origine anthropique qui, combiné au milieu naturel, agit sur les manières de penser et de vivre sa culture38.

Ainsi, Moussette insiste sur l’importance des idées en archéologie. Étant donné que cette recherche ne pourrait se conduire sans chercher l’idée derrière l’utilisation de la grotte sacrée, l’approche postprocessuelle est nécessaire à une meilleure compréhension de cette pratique religieuse.

Le processualisme et le cognitivisme

33 COX 2010.

34 Ce terme sera défini au chapitre 3. 35 TRIGGER 2005, p. 474.

36 COUTURE 2009, p. 13. 37 Ibid. p. 19.

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14

Bien que les approches postprocessuelles forment le fondement de cette recherche, des courants issus du processualisme présentent des aspects théoriques qui peuvent être pertinents pour l’étude des religions. Ils permettent d’avoir une vision fondée sur des éléments concrets en lien avec la pratique religieuse. Ainsi, les hypothèses qui relèvent du courant processualiste permettent de mieux saisir les raisons qui ont motivé l’utilisation de la grotte. Par exemple, le simple côté utilitaire pourrait expliquer l’utilisation de certaines d’entre elles. Toutefois, nous verrons que cette théorie n’explique pas tout à elle seule étant donné que certaines grottes sont difficiles d’accès et la commodité ne semble pas avoir prédominé dans la sélection du lieu de culte.

La théorie cognitiviste39 de Renfrew identifie des indicateurs de rituel afin d’aider

l’archéologue à reconnaître celui-ci. Il nomme seize facteurs qui ne sont pas obligatoirement présents sur un lieu de culte, mais qui sont de bons indicateurs initiaux pour suspecter la présence d’un tel lieu. Plusieurs de ces éléments peuvent être observés dans les sites en lien avec notre recherche40. Étant donné que notre intérêt se porte sur les grottes, les sanctuaires

naturels feront l’objet d’une attention particulière. Le premier critère énoncé par Renfrew rappelle l’importance des sites naturels dans la mise en place du rituel (grotte, ruisseau, sommet de montagne). Il mentionne en second temps que les lieux de culte peuvent aussi prendre la forme de temples ou d’église. Par la suite, il indique que la structure et les équipements utilisés pour le rituel peuvent se refléter dans l’architecture (banquette, autel, etc.). En effet, plusieurs des grottes ont été identifiées comme lieux de culte grâce à des aménagements de banquettes. En dernier temps, il mentionne la possible présence d’une aire de purification. Nous verrons que l’eau revêt une importance particulière dans les lieux de culte naturels. Parmi les autres éléments observables, il propose de noter la présence de symboles, d’une image de culte ou encore d’une niche. Tous ces points ne s’appliquent pas à l’ensemble des sanctuaires, mais plusieurs sont fréquents dans l’un ou l’autre des sanctuaires. Plus il y a d’éléments observables, plus l’hypothèse de la présence d’un lieu de culte est forte. Ces identificateurs furent utiles pour définir si les grottes pouvaient réellement

39 Pour le lien entre l’approche processuelle et cognitiviste voir KRONENFELD et al. 2011, p. 453-455. 40 RENFREW 1994, p. 51.

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15 être considérées comme des lieux de culte. En cas d’une incertitude quant à leur fonction cultuelle, les grottes furent exclues du corpus.

Archéologie du rituel

Outre ces grands courants que sont le processualisme et le postprocessualisme en archéologie, l’archéologie du rituel comporte ses propres courants théoriques. Certains archéologues perçoivent une dichotomie entre rituel et religion. Plusieurs définitions peuvent s’appliquer au terme « religion ». Parfois, on la définit en l’opposant au terme rituel. Ce dernier met de l’avant le caractère non-observable de la religion. En effet, la religion se passe d’abord dans la tête des humains et s’observe principalement dans les sources textuelles.

Dès lors, certains archéologues disent étudier le rituel plutôt que la religion. Le rituel a un caractère plus tangible étant donné les traces d’aménagements liés au culte. Par ailleurs, et paradoxalement, certains aspects du rituel sont observables, mais ne laissent pas de traces : « Ritual studies is a distinct academic field that gives special attention to the performance aspect of the rites themselves (gesture, aesthetics, space, choreography, praxis, meaning) and not just to a rite’s social function or cultural context »41. Ainsi, l’appréhension du rituel et de

la religion ne peut se faire avec les mêmes méthodes, mais il n’en reste pas moins qu’ils sont interreliés. Or, ceux-ci sont trop souvent étudiés de manière séparée :

For the most part, archaeologists who emphasize the structural elements of religion focus on the symbolic aspects of ritual, often by using historical or ethnohistorical sources. In contrast, those archaeologists who emphasize ritual practice in their analyses tend to focus on the ways that material remains can inform on the actions and experiences of past ritual participants42.

La présente recherche s’intéresse autant aux sources matérielles qu’aux sources historiques pour ne pas séparer religion et rituel puisque les deux sont primordiaux lors de l’analyse des lieux de culte.

Méthodologie

41 Encyclopedia of Religion, « Ritual Studies », 2005, p. 7856. 42 FOGELIN 2007, p. 56.

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16

L’atteinte de l’objectif général de notre recherche comprend trois étapes méthodologiques. La première est l’exploration du sujet fondée sur des recherches documentaires. Cette méthode ne peut être exhaustive et certaines données n’ont pas été prises en considération lorsque l’accès au document était impossible. Tel que mentionné précédemment, certaines régions ont bien documenté les grottes sur leur territoire à l’aide de prospection et de fouilles archéologiques comme c’est le cas du Liban. Au contraire, dans d’autres pays, peu d’information était disponible. Il est probable que plusieurs grottes se trouvent en ces territoires, mais qu’elles n’aient pas fait l’objet de publications. Par ailleurs, toutes les informations trouvées sont de seconde main à l’exception récits d’explorateurs et des sources anciennes.

Critères de sélection des données

La problématique se divise en deux sections : dans un premier temps, identifier la relation entre la grotte et les divinités vénérées dans celle-ci et dans un second temps saisir l’esprit du lieu en lien avec le symbolisme qu’on lui accorde. Pour répondre à la première partie de la problématique, il est nécessaire de connaître la divinité ou, du moins, le type de culte qui était pratiqué dans la grotte. Toutefois, même si la divinité est méconnue, il n’en reste pas moins qu’une grotte peut s’intégrer à la seconde partie de la problématique.

À cette étape, il devient important de définir ce qui est considéré comme étant une grotte. Le terme « grotte », au contraire du terme « caverne », ne désigne pas seulement une cavité naturelle. Comme certaines des grottes du corpus étudié sont d’origine anthropique, il est préférable d’utiliser le terme « grotte ». Le mot « antre » sera aussi utilisé en tant que synonyme. Aucune définition ne précise à partir de quelle profondeur un creusement de la paroi rocheuse devient une grotte, dès lors il est important de préciser que seules les cavités permettant au minimum à un homme de se tenir debout à l’intérieur furent sélectionnées pour intégrer le corpus. Ainsi, plusieurs sanctuaires rupestres, composés d’un simple creusement peu profond, parfois dans le but de représenter des idoles religieuses dans la pierre, furent écartés de notre corpus.

La décision d’écarter certaines données fut aussi motivée par le manque de preuve attestant de la présence d’un lieu de culte. Par exemple, il est vraisemblable qu’un mithraeum

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17 se soit trouvé à Sî dans une grotte, mais aucune preuve ne le confirme encore43. De plus, les

données textuelles sont parfois les seules sources d’informations disponibles sur certaines grottes. L’exemple de celle de la nativité est éloquent. Selon un certain passage des écrits de saint Jérôme, la grotte de la nativité, où Jésus serait né, avait été consacrée par Hadrien en tant que lieu de culte à Adonis et Vénus après la naissance du Christ44. Toutefois, comme

aucun document archéologique ou épigraphique ne vient appuyer ces écrits, ils seront laissés de côté pour cette recherche.

En ce qui concerne l’étude des cultes pratiqués, certaines informations sont essentielles pour distinguer le type de culte. Ainsi, pour qu’une grotte puisse répondre à la première partie de la problématique liée aux divinités, il a fallu au minimum qu’elle présente au moins l’un des éléments suivants : une inscription qui est assez éloquente pour permettre d’identifier le culte, des artefacts révélateurs d’un culte particulier ou encore des représentations iconographiques que l’on peut associer à une divinité. Certains sites sont beaucoup plus riches en informations puisque les fouilles archéologiques qui s’y sont déroulées, mais tous ont, au minimum, été décrits dans une publication. Dès lors, seules les grottes que l’on peut avec certitude associer à un culte ont été sélectionnées.

Pour la seconde partie de la problématique, trois grottes s’ajoutent à l’analyse. Elles correspondent aussi aux critères préétablis, mais le nom de la divinité n’est pas identifiable. Celles-ci permettront de mieux comprendre l’utilisation de la grotte et son symbolisme même si la divinité vénérée est inconnue.

Traitements des données

Comme il a été dit, une recherche documentaire a permis de constituer le corpus. Afin de compléter celle-ci et de faire une recherche la plus exhaustive possible, certains chercheurs qui se sont intéressés aux grottes de la région ont été contactés. Julien Aliquot a fait part de son intérêt et de ses conseils pour cette recherche. Nour Farra-Haddad a fait parvenir de ses articles qui ont été d’une grande utilité et M. Laurent Tolbecq a aussi fait part de ses recommandations en ce qui a trait au monde nabatéen. Seule l’une des grottes du corpus,

43 Pour le moment, le seul indice qui mène à cette hypothèse est un petit fragment de fresque qui fut retrouvé

près d’une grotte. Ainsi, les observations manquent pour prouver la présence d’un lieu de culte dans la grotte. (BIKAI 1999).

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18

celle de Jerash, a pu être visitée étant donné le climat politique qui était incertain alors que nous avons visité la région en 2014.

Le principal problème qui s’est présenté lors de la collecte heuristique est le manque d’information sur certains sites. Les récits d’explorateurs du XIXe siècle sont parfois trop

succincts et dans certains cas, aucune recherche ne fut entreprise sur le sujet depuis. Le phénomène contraire s’est aussi produit. Lorsque les recherches archéologiques sont trop récentes, les publications ne sont pas toujours disponibles. Ainsi, cette recherche a pu être conduite malgré ces contraintes. Par ailleurs, les données ont fourni assez d’informations pour effectuer l’analyse et l’interprétation des lieux de culte.

Les sources

Complémentarité des données

L’approche utilisée est multidisciplinaire. Cette complémentarité des données est essentielle à une meilleure compréhension de l’utilisation des grottes. L’apport des auteurs anciens permet de mieux cerner la vision de l’époque et les données archéologiques permettent d’augmenter les connaissances de manière plus spécifique pour chaque cas. Ainsi, nous tentons d’identifier les divinités associées aux grottes du Proche-Orient.

Sources archéologiques

Dans ce travail, les artefacts sont mentionnés principalement à des fins de datation ou encore d’indice de fréquentation des lieux de culte. Parmi ceux-ci, nous retrouvons la numismatique qui, en plus d’offrir des éléments de datation, peut être intéressante pour l’iconographie. Certains exemplaires sont révélateurs de l’importance de certains cultes. En outre, peu de culture matérielle en contexte s’est accumulée dans les grottes puisque les réutilisations et les pillages se sont succédés. Bien que rarement présente, la céramique permet de réellement voir l’évolution du culte avec les périodes creuses où les offrandes se font plus rares. Les grottes en elles-mêmes et leur architecture peuvent être considérées comme de la culture matérielle. L’aménagement anthropique permet d’en apprendre beaucoup sur la vision et l’utilisation de la grotte selon les époques. Toutes les sources matérielles mentionnées proviennent de publications archéologiques.

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19 Sources épigraphiques et iconographiques

Les données épigraphiques et iconographiques ont permis aux chercheurs d’identifier certaines divinités des sanctuaires. Les principales inscriptions seront mentionnées dans la description des données. Les documents iconographiques se présentent sous plusieurs formes. Ils sont parfois de simples graffitis ou encore d’importantes fresques, mais permettent d’en apprendre davantage sur le culte pratiqué lorsque les inscriptions sont absentes.

Les auteurs anciens

Pour compléter l’heuristique, des extraits d’auteurs anciens seront présentés tout au long des chapitres d’analyse et d’interprétation. Les textes d’auteurs anciens nous ont paru pertinents pour comprendre l’utilisation de la grotte. En effet, ce mémoire tente, entre autres, d’expliquer les motivations qui ont entrainé l’utilisation de ce lieu particulier. Comme certains auteurs tels Porphyre, Sénèque, Lucien de Samosate mentionnent clairement leur point de vue quant à l’utilisation de la grotte sacrée, il nous semble assez logique de les présenter. Nous resterons toutefois consciente des biais qui peuvent être décelés dans l’opinion de ces auteurs.

Plusieurs extraits se sont révélés pertinents. Lorsque possible, les extraits traduits dans le mémoire proviennent des éditions des Belles Lettres. Par exemple, L’antre des

Nymphes de Porphyre fait exception. Celui-ci a été publié assez récemment par les éditions Verdier, mais n’est pas disponible aux Belles Lettres. Les traductions ont été vérifiées, mais aucun changement n’était nécessaire selon les modestes compétences linguistiques de l’auteure de ce mémoire. De plus, le lecteur doit être conscient de l’effort interdisciplinaire derrière l’utilisation des sources textuelles qui est hors de nos compétences acquises durant notre formation en archéologie.

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20

Mise en contexte environnementale et historique

Région et climat

Caractérisée par une grande diversité de ses milieux géographiques, le Levant est souvent traité dans les études en fonction des frontières étatiques actuelles plutôt que de manière globale. En effet, les atlas sont souvent spécifiques à un pays seulement. Toutefois, les auteurs de l’Atlas des sites du Proche-Orient ont préféré aller au-delà de ces frontières et ont tenté une corrélation afin de « mettre en évidence des relations entre le milieu d’une part, les communautés humaines et leur évolution d’autre part » 45. Comme l’ensemble des

pays actuels du Levant ont été, à un moment ou à un autre, inclus dans le territoire de l’Empire romain, nous allons considérer la région comme un tout sans se préoccuper des frontières modernes.

D’un point de vue géographique, le territoire du Proche-Orient se divise en trois grandes zones : le domaine méditerranéen, le domaine montagneux et les plaines et plateaux steppiques. Les grottes incluses dans ce mémoire ne sont pas nécessairement situées dans des domaines montagneux puisque ces derniers peuvent atteindre des altitudes rendant l’accès très difficile. Par contre, le rivage méditerranéen est plus susceptible d’accueillir ce type de structure puisqu’il inclut les collines et les basses montagnes proches de la Méditerranée ayant une altitude inférieure à 1000 m46. Ainsi, ces montagnes moins

imposantes se retrouvent près des villes et des environnements ruraux de la côte levantine.

Le climat explique bien le schéma des établissements humains dans la région du Proche-Orient. Cette dernière est plutôt sèche en général, mais le croissant fertile suivant les montagnes du Zagros et la côte levantine reçoivent davantage de précipitations que le reste de la région et cela a permis la pratique de l’agriculture dès les périodes préhistoriques47. Ainsi, les établissements humains se font en général dans cette zone. Les

premiers lieux d’habitation liés à l’implantation de l’agriculture prennent la forme de

45 HOURS et LOMBARD 1994, p. 27. 46 Ibid., p. 29.

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21 campements à aire ouverte ou de grottes48. Ainsi, les grottes naturelles étaient utilisées pour

le côté utilitaire en tant que résidence pour les groupes sédentaires entre 18 000 et 7000 av. J.-C. Les grottes artificielles de cette période quant à elles étaient souvent aménagées en chambres funéraires49.

Les sites naturels de la région étaient considérés comme des lieux propices à l’établissement de sanctuaires bien avant les premiers contacts avec le monde hellénistique. Les montagnes étaient d’ailleurs centrales dans les religions du Levant. Plusieurs sanctuaires de sommet, autrefois vénérés par les peuples de l’Âge du bronze ou du fer, tels les Hittites, ont encore une fonction religieuse à l’époque romaine50. Plus spécifiquement,

la fréquence des sanctuaires rupestres, dont les grottes artificielles, constitue une caractéristique importante de la région. Dans sa recherche, Julien Aliquot conclut que cette tendance très ancienne prend une dimension particulière durant la période romaine51.

Situation politique et religieuse

Suite aux conquêtes d’Alexandre, l’empire se divise entre les grands généraux macédoniens. Le royaume séleucide, créé sous Séleucos Ier Nicator, intègre dès lors les

conquêtes du Proche-Orient. Avant l’installation des Macédoniens, le territoire qui sera celui du royaume séleucide faisait partie de l’Empire perse. Afin de gérer leur territoire, les Perses l’avaient divisé en satrapies. Comme cette stratégie s’était révélée efficace, les Séleucides gardèrent ce système politique52. L’Empire perse avait aussi su gérer la diversité culturelle

caractéristique du royaume. Les Perses se distinguaient d’ailleurs par leur ouverture religieuse. De manière générale, aussi longtemps qu’un temple payait ses taxes envers l’Empire, les Perses n’interféraient pas dans les religions locales53. Dès son arrivée, Séleucos

Ier s’installe dans le cœur de son royaume en établissant une capitale à Suse et une à

Babylone54. Pour rapprocher la royauté de l’Occident, son fils Antiochos fonde Séleucie du

48 Ibid., p. 27. 49 Ibid., p. 27 ; WILKINSON 2003, p. 48. 50 WILKINSON 2003, p. 206. 51 ALIQUOT 2009, p. 80. 52 ERRINGTON 2008, p. 112-113. 53 BRIANT 1990, p. 53. 54 BRIANT 1990, p. 49.

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22

Tigre sur le territoire actuel de l’Irak55. Vers le début du IIIe siècle, la capitale est transférée

à Antioche suite à la bataille d’Ipsos qui permet à Séleucos d’intégrer le Levant56. Suivant

cet événement, de nombreuses cités sont créées près de la Méditerranée vers 300 av. J.-C. telles que Panias ou encore Apamée. Dans ces nouvelles fondations hellénistiques, les Macédoniens immigrants apportaient leur mode de vie et la culture grecque en établissant des gymnases, des théâtres et des temples comme on pouvait en trouver dans les cités de la Grèce57.

Vu la grandeur du territoire, le royaume séleucide disposait non seulement de la plus vaste population, mais aussi de la plus diverse du monde méditerranéen58. Cette diversité se

reflétait dans le multiculturalisme des grands centres. Le pluralisme pouvait se ressentir dans la pratique religieuse puisque les Macédoniens ont tenté de conserver les cultes traditionnels de leur cité d’origine, mais en intégrant certains aspects des religions locales. Souvent, la divinité prenait une apparence grecque, mais le culte restait fondamentalement attaché aux traditions régionales59.

C’est d’ailleurs à partir du IIIe siècle av. J.-C. que le Proche-Orient entre dans ce que

certains appellent « l’âge du syncrétisme »60. Le terme syncrétisme est aujourd’hui

fréquemment utilisé pour parler d’une synthèse entre plusieurs religions. Toutefois, ce terme, dans son utilisation la plus stricte, représenterait spécifiquement la situation religieuse du Levant entre le IIIe siècle av. et le IIIe siècle ap. J.-C61. Ainsi, sa présence est certainement

applicable à la réalité concernée par cette recherche. Le syncrétisme religieux se réalise pleinement durant la période concernée à cause du contexte historico-politique, social et religieux en place à cette époque. Ces transformations religieuses sont le trait distinctif d’une phase entière de l’histoire de la Méditerranée. Le terme est donc particulièrement important à saisir étant donné le cadre chronologique et géographique de ce mémoire. D’abord, le syncrétisme n’aurait pas été possible sans la politique de liberté religieuse adoptée par les

55 Ibid. 56 BUGH 2006, p. 45. 57 ERRINGTON 2008, p. 112-113. 58 BUGH 2006, p. 43. 59 Ibid., p. 310-313. 60 XELLA 1999, p. 131. 61 Ibid., p. 135.

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23 Perses achéménides. De plus, ces derniers avaient apporté une certaine unification du territoire. Les conquêtes d’Alexandre le Grand renforcèrent cette idée d’unité puisqu’en propageant la langue grecque, des nouveaux contacts entre les peuples furent possibles. Xella croit même qu’une certaine notion de conscience individuelle de la religion prit place à cette époque au Levant62.

C’est donc un ensemble de facteurs qui a permis au syncrétisme de se produire et qui fait en sorte que le terme s’applique à cette période en particulier. Tout cela se caractérise par une chute des barrières ethniques et ce mouvement religieux sera perceptible dans plusieurs sanctuaires traités dans notre recherche. Nous aborderons, entre autres, quelques aspects de la religion nabatéenne et phénicienne. Ainsi, le syncrétisme débute à la période hellénistique et se poursuit durant quelques siècles dans l’est de l’Empire romain.

Les premiers contacts entre le monde romain et l’Empire séleucide se produisirent dès le début du IIe siècle av. J.-C. et ne furent pas des plus amicaux. Leur première rencontre,

provoquée par les conflits entre les Carthaginois et les Romains, se situe aux débuts de l’expansion territoriale de l’Empire romain et se conclut par une victoire de ces derniers63.

Par ailleurs, le royaume séleucide était devenu de plus en plus difficile à défendre aux le Ier

et IIe siècle av. J.-C. avec, entre autres, l’émergence du royaume nabatéen et la montée de

certaines dynasties arabes. Cette période est aussi marquée par la révolte des Maccabées en Palestine lorsque les Juifs s’opposèrent à la domination des Séleucides. Les troubles politiques internes affectent donc la stabilité du royaume à l’avantage des Romains64.

En 64 av. J.-C., le général romain Pompée prend le contrôle du Levant65 sans trop de

difficultés alors qu’Antiochos XIII est à la tête du royaume séleucide. Durant les trois premiers siècles de notre ère, le contrôle romain s’étend plus largement vers l’est. Le royaume nabatéen tombe sous domination romaine à partir de l’an 106, sous Trajan. Certains sites obtiennent des Romains le titre de colonies au fil du temps, tels que Gerasa au cours

62 Ibid. p. 134.

63 BALL 2000, p. 9. ; SICKER 2001 p. 9. 64 BALL 2000, p. 9.

65 Il prend alors possession de de la Cilicie, de la Phénicie, de le Syrie et de la Palestine et des autres régions

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24

du IIIe siècle, alors que d’autres gardent une certaine indépendance vis-à-vis de l’État

romain66.

Il n’y a pas de grands changements religieux lors de la transition entre l’administration séleucide et romaine, si bien que l’on parle parfois de religion hellénique pour désigner la diversité religieuse qui se perpétue dans l’Est durant la période hellénistique et romaine67. Toutefois l’occupation romaine implique la mise en place du culte impérial

dont la pratique est encore assez mal connue en ce qui concerne la Syrie68. Durant cette

période, le syncrétisme perdure et on peut faire une distinction entre les divinités locales et les divinités de nature universelle qui s’étendent sur tout l’Empire. C’est souvent par les épithèses que l’on peut déterminer les divinités locales résultant d’un syncrétisme69. L’État

romain introduit parfois des cultes nouveaux dans les cités et marque la monnaie locale par ces thèmes. Généralement, les locaux accordent une nouvelle épithèse à ces divinités. Si bien que, pour eux, chaque village a, par exemple, un Jupiter distinct70. Cette assimilation s’est

produite au Proche-Orient comme dans le reste de l’Empire romain. C’est d’ailleurs la source d’une certaine confusion entre les divinités locales et romaines. L’ambiguïté est particulièrement visible dans le cas des divinités féminines qui prennent les noms d’Allat, d’Artemis, d’Athéna ou encore d’Atargatis selon le contexte71.

Durant la présence romaine en Orient, de nouveaux cultes d’inspiration orientale émergent à Rome et se répandent dans l’Empire. C’est le cas pour le culte de Mithra qui sera traité dans les chapitres suivants, mais aussi d’Isis. Les religions d’Orient étaient respectées par les Romains et reconnues par ceux-ci comme étant les plus anciennes religions. Bien que le culte romain n’ait pas de lien direct avec le culte d’origine, les Romains n’hésitaient pas à exagérer le côté « étranger » du culte. Ces divinités étaient donc des dieux romains orientalisés plutôt qu’un retour des cultes orientaux tel qu’ils avaient existé72.

66 MILLAR 2010, p. 16. 67 TROMBLEY 1993. 68 DIRVEN 2011. 69 KAISER 2013, p. 113.

70 Notons l’exemple de Jupiter dolichéen qui se retrouve fréquemment sur la monnaie de Doliche. 71 Ibid., p. 117-120.

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25 Dès lors, la religion était indissociable du contexte politique de l’époque hellénistique et romaine puisque les changements d’occupation entrainaient des mutations religieuses. La complexité de la religion est d’ailleurs caractéristique de cette période. Des changements seront aussi apportés suite à l’émergence du christianisme qui se développe dans la région à partir du Ier siècle ap. J.-C. Les répercussions sur les grottes sacrées et la religion païenne de

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1. DESCRIPTION DES DONNÉES

Les sites dans lesquels se trouvent les grottes sacrées sont ici présentés par ordre alphabétique selon leur appellation antique. Dans certains cas, seul le nom moderne du site est connu et c’est sous ce nom que le site sera identifié. Ainsi, une brève présentation de chaque site permettra de mieux comprendre le contexte d’implantation des différentes grottes. Suite à la description du site, une description de la grotte retenue sera présentée. Le tout permettra de donner une idée générale sur le contenu et l’organisation du corpus de données. Les différentes données qui pourraient permettre de mieux comprendre l’utilisation de la grotte, comme des aménagements cultuels, les artefacts et les inscriptions, seront aussi mentionnées. En plus de ces observations, il faut voir la grotte en elle-même comme une donnée à étudier. En effet, l’architecture des grottes et leur environnement (le sanctuaire, la ville, le contexte historique, etc.) seront à prendre en considération afin de comprendre la transformation des sites selon les époques. Les descriptions à venir ont été formulées à partir des publications existantes sur le sujet. Seul le site de Gerasa a été visité par l’auteure durant la rédaction de ce mémoire.

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Figure

Figure 2 : Reproduction de symboles relevés par Renan dans plusieurs grottes de la région  phénicienne
Figure 5 : Plan des deux mithraea de Doliche. (SCHÜTTE-MAISCHATZ et  WINTER 2004, numérisation du plan en annexe)
Figure 8 : Entrée secondaire de la grotte qui se trouve au sud du temple de Zeus et vue sur  le temple
Figure 9 : Plan de la cité de Marathus (Amrit). Le sanctuaire se trouve au nord-est (dans le  coin inférieur gauche)
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Références

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