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Contrer l'offre illégale de jeux en ligne au Québec

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Université McGill - Faculté de droit

Contrer l’offre illégale de

jeux en ligne au Québec

Mémoire de maîtrise

Institut de droit comparé

Alexandra Pasca 12/11/2015

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ii REMERCIEMENTS

En premier lieu, je tiens à remercier le professeur Fabien Gélinas, mon directeur de thèse, pour sa disponibilité et son encouragement tout au long de la recherche et de la rédaction de ce mémoire. Mes remerciements également à Angela Campbell, Vice-doyenne aux études supérieures, pour son dévouement et son enthousiasme dans le cours de méthodologie, qui m’a inculqué une rigueur intellectuelle me permettant de mener avec succès ce projet de recherche. Mes sincères remerciements à Colleen Sheppard pour l’évaluation de cette thèse et ses commentaires qui m’ont aidé à approfondir certains aspects. Mille mercis à Anna Lise Purkey pour ses précieux conseils durant le mentorat de cet été. Un grand merci également au Centre Paul-André Crépeau de droit privé et comparé pour l’organisation du séminaire d’été auquel j’ai eu l’opportunité de présenter mon projet de recherche et d’échanger avec des chercheurs et étudiants en droit, ce qui était fort enrichissant et a alimenté ma réflexion. Ma profonde gratitude à la Faculté de droit de l’Université McGill de m’avoir offert une bourse d’excellence pour mes études de maîtrise. Finalement, j’aimerais remercier ma famille pour son soutien continu : moral et gastronomique.

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iii RÉSUMÉ

Cinq ans après la légalisation des jeux de hasard et d’argent sur Internet, assujettis au monopole de Loto-Québec, la loi s’avère inefficace. Les québécois ont accès à plus de 2 000 sites de jeux illicites, dont la plupart des serveurs sont hébergés à Kahnawake – capitale mondiale du jeu en ligne depuis 1999. L’objectif de ce mémoire est de comprendre les causes de cet échec afin de déterminer les avenues pour un meilleur encadrement du jeu en ligne au Canada, et particulièrement au Québec. L’émergence des jeux en ligne soulève de nouveaux enjeux tant sur le plan légal que sur les plans social, économique et politique. Une étude comparative des deux modèles de réglementation (le modèle prohibitif versus le modèle libéral) est nécessaire afin de comprendre les frictions qui peuvent exister tant au niveau local que national et international. Les diverses solutions mises en œuvre aux États-Unis (avec le cas de la Californie) et au sein de l’Union Européenne (avec le cas de la France) sont des expériences dont nous pouvons bénéficier afin d’améliorer l’encadrement du jeu en ligne au Canada et au Québec. L’effectivité de tout modèle de réglementation repose sur une lutte politique et judiciaire active pour contrer l’offre illégale de jeux en ligne. Un front commun est donc nécessaire non seulement entre les autorités judiciaire et réglementaire (fédérales, provinciales et autochtones), mais également avec d’autres acteurs publics et privés, tel que les services sociaux et de santé, les services policiers, les fournisseurs de services Internet, les institutions financières, les opérateurs de jeux en ligne (locaux et étrangers) de même que des organisations internationales. L’effectivité du droit dans ce domaine requiert une limitation de l’accessibilité aux jeux en ligne illicites, voire une dénormalisation des activités de jeu. Bloquer l’accès aux sites de jeux illicites, comme il est proposé au Québec, est un sujet fort controversé dont il faut néanmoins accepter de débattre ouvertement, dans l’intérêt public.

ABSTRACT

Five years after the legalisation of online gambling under the monopoly of Loto-Quebec, it appears that the existing legislation is ineffective. Quebecers have access to more than 2 000 illegal gambling websites, the majority being hosted in Kahnawake–one of the world’s largest online gambling hosts since 1999. The objective of this thesis is to examine the causes of this failure in order to determine the avenues for better enforcing the regulation of online gambling in Canada, and particularly within the province of Québec. The growth of online gambling raises important social, economical, political and legal issues. A comparative study of two models of regulation (the prohibitive model versus the liberal model) is necessary for the understanding of the tensions that may exist on a local, national and international level. The diverse solutions implemented in the United States (with the case study of California) and in the European Union (with the case study of France) are experiences from which we can learn and benefit in order to improve the enforceability of the regulation of online gambling in Canada and Quebec. The effectiveness of any model of regulation requires active political and judicial initiatives against illegal online gambling operations. A common approach is thus necessary not only among legislative and regulatory authorities (federal, provincial and autochthones), but also with other public and private actors such as health and social services, police services, Internet service providers, financial institutions, online gambling operators (local and foreign), and even international organisations. In order to increase the enforceability of the law in this field, the limitation of the accessibility to illicit online gambling and the denormalization of gambling activities are also needed. Blocking access to illicit online gambling websites, as has been proposed in Quebec, is a very controversial topic but one which should nevertheless be debated openly, in the public’s interest.

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iv ABRÉVIATIONS

AECG Accord économique de commerce global

AGCS Accord général sur le commerce des services ARJEL Autorité de régulation des jeux en ligne

C.cr. Code criminel du Canada

CJUE Cour de justice de l’Union Européenne

FAI Fournisseurs de services Internet

FDJ Française des jeux

GREF Gaming Regulators European Forum

IAGR International Association of Gaming Regulators

IGRA Indian Gaming Regulatory Act

KGC Kahnawake Gaming Commission

LC 1867 Loi constitutionnelle de 1867 LC 1982 Loi constitutionnelle de 1982

NIGC National Indian Gaming Commission

OMC Organisation mondiale de commerce

PASPA Professional and Amateur Sports Protection Act

PMU Pari Mutuel Urbain

RACJ Régie des alcools, des courses et des jeux RCIG Regulation Concerning Interactive Gaming

SAQ Société des alcools du Québec

TFUE Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne

UE Union Européenne

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v TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION ... 7

I. ENCADREMENT JURIDIQUE ET ENJEUX LIÉS AUX JEUX EN LIGNE ... 9

A)LES LÉGISLATIONS DIVERGENTES : SOURCES DE FRICTIONS ... 9

a. Les modèles de réglementation des jeux en ligne ... 11

i) Le modèle prohibitif ... 12

ii) Le modèle libéral ... 14

b. Le problème d’effectivité ... 16

i) Le jeu et l’alcool : des enjeux similaires ... 18

ii) La dénormalisation des activités de jeu ... 20

B)LE CONTEXTE CANADIEN ET QUÉBÉCOIS ... 26

a. Le partage des compétences dans le domaine du jeu... 27

i) Le pacte faustien entre le fédéral et les provinces ... 29

ii) La réglementation du jeu sur les territoires autochtones ... 31

b. Le cas particulier de Kahnawake ... 35

i) Le jeu en ligne : un droit ancestral? ... 37

ii) Nécessité d’une nouvelle table de discussion ... 39

II. AVENUES POUR CONTRER L’OFFRE ILLÉGALE DE JEUX EN LIGNE .. 42

A) ASPECTS COMPARATIFS AVEC LES ÉTATS-UNIS... 42

a. Le rôle actif du fédéral dans la lutte contre les jeux en ligne illicites ... 43

i) Blocage de l’accès aux sites de jeux illicites... 44

ii) Blocage des transactions liées aux jeux illicites... 46

b. Le cas de la Californie : un jeu de pouvoir ... 49

i) Le jeu dans les réserves indiennes américaines ... 50

(6)

vi

B) ASPECTS COMPARATIFS AVEC L’UNION EUROPÉENNE ... 57

a. L’harmonisation des lois en matière de jeu : utopie ou réalité inévitable? 58 i) L’hétérogénéité du degré de protection de l’ordre public ... 60

ii) L’érosion de la souveraineté étatique ... 61

b. Le cas de la France : l’ouverture à la concurrence ... 63

i) Du modèle prohibitif au modèle libéral ... 64

ii) La protection des joueurs menacée ... 66

CONCLUSION ... 71

BIBLIOGRAPHIE ... 74

TABLEAUX Tableau 1 : Les modèles de réglementation du jeu en ligne ... 11

Tableau 2 : Réserves des provinces et territoires canadiens sur l’ouverture à la concurrence des marchés du jeu et de l’alcool ... 19

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7 INTRODUCTION

Les jeux de hasard et d’argent connaissent une expansion sans précédent avec l'arrivée d’Internet. Les casinos virtuels offrent une multitude de jeux de cartes et de loteries; les sites de paris offrent également une variété de mises, notamment sur des courses et des compétitions sportives. Par « jeux en ligne » ou « jeux virtuels », nous entendons tout jeu ou pari sur Internet où le joueur mise de l’argent (ou des objets de valeur) et où la chance prédomine sur les habilités du joueur1. L’émergence des jeux en ligne soulève de nouveaux enjeux tant sur le plan légal que sur les plans social, économique et politique : problème de dépendance, fraude, évasion fiscale, blanchiment d’argent, etc. Malgré la tentative de protéger la population et d’assurer l’intégrité des jeux en ligne, en les légalisant, la loi s’avère inefficace. L’offre légale du jeu en ligne n’a pas réussi à contrer l’offre illégale.

Cinq ans après la légalisation du jeu en ligne au Québec2, les québécois ont accès à plus de 2 000 sites de jeux illégaux, soit le même nombre qu’avant la légalisation3. Quelles sont les causes de cet échec et les avenues pour un meilleur encadrement du jeu en ligne au Canada, et particulièrement au Québec? Les sources du problème d’effectivité étant multiples (législations divergentes sur le jeu, caractère extraterritorial des jeux virtuels, banalisation des activités de jeu, laxisme face aux jeux illicites, etc.), une lutte politique et judiciaire active est nécessaire pour contrer l’offre illégale, notamment par la limitation de l’accessibilité aux sites de jeux illicites, voire la dénormalisation des activités de jeu. Un front commun est donc requis non seulement entre les autorités fédérales, provinciales et autochtones, mais également avec d’autres acteurs tant du domaine public (services policiers, sociaux et de santé) que du domaine privé (fournisseurs de services Internet (FAI), institutions financières, opérateurs de jeux en ligne) de même que des institutions internationales.

1

Mathieu Escande, Droit des jeux d’argent et de hasard : Les mutations de l’ordre public, Paris, L’Harmattan, 2013, par. 525 et s. : Théorie de la « prédominance » [Escande].

2 Règlement sur les jeux sur télématique, RLRQ, c. c S-13.1, r 5, art. 8; Règlement modifiant le Règlement

sur les jeux sur télématique, D. 631-2010, 2010 G.O. 2, 3270 [RMRJT].

3 Québec, Groupe de travail sur le jeu en ligne, Le jeu en ligne : Quand la réalité du virtuel nous rattrape,

par Louise Nadeau et al., Montréal, 2014, pp. 43, 47, en ligne :

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8 Dans un premier temps, nous allons examiner l’encadrement juridique et les enjeux liées aux jeux en ligne (Chapitre 1). Les jeux virtuels bouleversent les concepts traditionnels de territorialité. Ils mettent en scène plus d’une province, voire plus d’un pays. Les législations sur le jeu en ligne divergent d’une juridiction à l’autre. On y distingue deux modèles différents : 1) le modèle prohibitif, qui interdit les jeux en ligne ou les assujettit à un monopole étatique; et 2) le modèle libéral, qui les autorise par le biais d’un système de licences à des opérateurs privés (Section A). Ces deux modèles de réglementation coexistent au Canada, dépendamment de la réglementation du jeu dans chaque province et dans les réserves indiennes. Le cas de Kahnawake (modèle libéral) requiert une attention particulière puisque, depuis 1999, des opérateurs de jeux en ligne sont hébergés sur son territoire dont la légalité est controversée au Québec (modèle

prohibitif). La réglementation du jeu au Canada et au Québec ne peut être donc abordée

hors du contexte constitutionnel, partage des compétences et droits des autochtones (Section B).

Dans un deuxième temps, nous allons examiner les avenues pour contrer les jeux en ligne illicites (Chapitre 2). Les diverses solutions mises en œuvre aux États-Unis (Section A) ainsi qu’au sein de l’Union Européenne (UE), notamment en France (Section B), sont des expériences dont nous pouvons bénéficier afin d’améliorer l’encadrement du jeu en ligne au Canada et au Québec. Deux scénarios sont envisageables, à savoir : a) le renforcement de l’intervention étatique par un modèle de réglementation prohibitif; ou b) l’ouverture à la concurrence et l’harmonisation des lois par un modèle de réglementation libéral. Dans les deux cas, la canalisation de l’offre illégale requiert un contrôle en amont par des mécanismes d’endiguement, tels que le blocage de l’accès et des transactions liées aux jeux illicites. Bloquer l’accès aux sites de jeux non autorisés par les FAI est d’ailleurs une avenue proposée au Québec4 – sujet fort controversé dont il faut néanmoins accepter de débattre ouvertement, dans l’intérêt public.

4 Québec, Ministre des finances, Le Plan économique du Québec : Budget 2015-2016, par Carlos Leitão,

26 mars 2015, en ligne : <www.budget.finances.gouv.qc.ca/budget/2015-2016/fr/documents/Planeconomique.pdf> [Plan Québec].

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9 I. ENCADREMENT JURIDIQUE ET ENJEUX LIÉS AUX JEUX EN LIGNE

Devant l’émergence des jeux virtuels, les juridictions ont choisi des approches réglementaires inégalement restrictives. Certaines juridictions ont adopté des lois spécifiques sur le jeu en ligne, alors que d’autres tentent d’adapter au monde virtuel les lois existantes sur le jeu hors ligne. Afin de comprendre l’encadrement juridique et les enjeux liés aux jeux en ligne, une approche comparative s’impose, comportant une dimension interdisciplinaire et transnationale. L’industrie du jeu dépasse largement le cadre légal et les frontières étatiques. Les activités de jeu sont encadrées tant au niveau local qu’aux niveaux régional et national, voire mondial5

. Une étude comparative de la réglementation des jeux en ligne en contexte canadien et québécois (avec le cas de Kahnawake), aux États-Unis (avec le cas de la Californie) et au sein de l’UE (avec le cas de la France) permet d’illustrer les difficultés rencontrées dans la réglementation du jeu en ligne – tant au niveau national qu’international – ainsi que les enjeux sociaux, économiques et politiques qui se cachent derrière le choix d’un régime de réglementation.

A) Les législations divergentes : sources de frictions

Les législations divergentes sur les jeux en ligne créent des frictions et, surtout, un problème d’effectivité. Les types de jeux offerts et les opérateurs de jeux en ligne légalement établis dans une juridiction ne sont pas nécessairement considérés comme légaux dans une autre juridiction. Il existe trois grandes catégories de jeux : 1) les jeux de hasard et d’argent; 2) les jeux d’adresse; et 3) les jeux mixtes – bien que ces derniers ne soient pas reconnus comme « une catégorie à part entière »6. Il est donc difficile de classifier les jeux mixtes (composés à la fois de hasard, d’argent et d’adresse) dans une de ces catégories. La distinction est importante puisque la majorité des juridictions réglementent les jeux de hasard et d’argent, mais non les jeux d’adresse7. Certains auteurs

5 Alan Littler, Member States versus the European Union: The Regulation of Gambling, Leiden, Boston,

Martinus Njhoff Publishers, 2011, p. 8 [Littler, « Member States v. EU »].

6 Escande, supra note 1, par. 522.

7 Ibid., Julian Harris et al., Gaming Law: Jurisdictional Comparisons, 1ère éd., coll. The European Lawyer

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10 militent toutefois pour l’encadrement des jeux d’adresse qui comportent un enjeu monétaire8. Selon l’approche adoptée9, les jeux dits mixtes sont donc autorisés dans certaines juridictions, mais prohibés dans d’autres.

Contrairement aux jeux hors ligne, qui peuvent être géographiquement délimités, les jeux en ligne sont par ailleurs sans frontières : ils ont un caractère extraterritorial. La majorité des lois exigent que les opérateurs restreignent leurs activités de jeu aux juridictions qui les autorisent, mais en cas de défaut, la compétence des juridictions nationales pour les sanctionner reste limitée et controversée. De nombreux opérateurs de jeux en ligne s’installent par conséquent dans les juridictions plus libérales, tout en offrant des jeux en ligne dans les juridictions plus prohibitives et ce, en toute impunité10. On constate un laxisme judiciaire et politique face à l’offre illégale de jeu en ligne. Une lutte active pour contrer les jeux illicites est donc nécessaire, notamment par la limitation de leur accessibilité, voire une dénormalisation des activités de jeu. L’objectif de ce mémoire est de comprendre les grands modèles de réglementation des jeux en ligne ainsi que leurs limites respectives afin de déterminer les avenues pour un meilleur encadrement du jeu en ligne au Canada, et particulièrement au Québec. Une telle étude est d’autant plus importante que, depuis le dépôt du Plan économique du Québec11 et la signature du nouvel Accord économique de commerce global (AECG)12, des modifications législatives et une certaine ouverture à la concurrence sont annoncées afin de contrer le jeu en ligne illégal.

8 Canada, Manitoba Gambling Research Program, Play-for-Fun/Social-Casino Gambling: An Examination

of Our Current Knowledge, par Jeffrey L. Derevensky et al., 2013, en ligne:

<www.manitobagamblingresearch.com>.

9 Escande, supra note 1, p. 308 : théories de la «prédominance», de la «contamination», de «l’universalité»,

etc. Voir la partie II-B-a, ci-dessous, pour l’analyse de cette question.

10

Sally Gainsbury, et al., « Recommendations for International Gambling Harm-Minimisation Guidelines: Comparison with Effective Public Health Policy » (2014) 30 Journal of Gambling Studies 771, p. 6, en ligne : Springer <link.springer.com/article/10.1007/s10899-013-9389-2> [Gainsbury, « Harm-Minimisation Guidelines »].

11 Plan Québec, supra note 4.

12 Canada, Affaires étrangères, commerce et développement Canada, Texte de l’AECG consolidé, en ligne :

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11 a. Les modèles de réglementation des jeux en ligne

Le jeu s’inscrit dans le contexte historique et les valeurs propres à chaque société, ce qui explique les différences de régimes de réglementation dans ce secteur13. On distingue deux grands modèles de réglementation : 1) le modèle prohibitif, qui interdit les jeux en ligne ou les assujettit à un monopole étatique; et 2) le modèle libéral, qui les autorise par le biais d’un système de licences à des opérateurs privés14. Ces deux modèles de

réglementation des jeux en ligne ont des objectifs communs, soit la protection de l’ordre public et la lutte contre la cybercriminalité (fraude, blanchissement d’argent, l’évasion fiscale, etc.). Le degré de cette protection et l’intensité de cette lutte varient cependant selon le type de jeux prohibés ou autorisés, le champ d’application de la loi, les mesures de prévention contre la dépendance, les mesures de contrôle de l’accessibilité des jeux en ligne, sans oublier la taxation, tel qu’il appert du Tableau 1.

Tableau 1 : Les modèles de réglementation du jeu en ligne

Modèle prohibitif Modèle libéral

Caractéristiques Prohibition Libéralisation

Totale Partielle Partielle Totale

Type de jeux prohibés ou autorisés Théorie de la prédominance Théorie de la contamination Théorie de l’universalité Champ d’application de la loi Joueurs Opérateurs Intermédiaires Opérateurs Intermédiaires Mesures de prévention Campagnes contre le jeu Politique du jeu responsable Mesures de contrôle Mécanismes d’endiguement Mécanismes de surveillance et, dans certains cas, d’endiguement

Mécanismes de surveillance Taxation N/A Redistribution des profits à la collectivité Taxation et frais de licence Frais de licence, sans taxation

Exemples Californie Québec France Kahnawake

13 A. Raiffe, « A Comparative Analysis of Internet Gambling Regulations » (2010) 2 Journal of Regulation

132. Voir la partie II-B, ci-dessous, sur l’analyse de cette question.

14

Voir notamment : Eva Schriever, « Conflict and Coordination Between Diverse Regulatory Environments » dans Swiss Institute of Comparative Law, Cross-Border Gambling on the Internet:

Challenging National and International Law, Züric, Schulthess, 2004, 101; Madalina Diaconu, International Trade in Gambling Services, Global Trade Law Series, Netherlands, Wolters Kluwer,

2010, p. 21; Sanford I. Milar, « Taxation of Regulated Internet Gambling » dans Anthony Cabot et Pindell Ngai, dir., Regulation Internet Gaming: Challenge and Opportunities, Las Vegas, UNLV Gaming Press, 2013, 87.

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12 i) Le modèle prohibitif

Le modèle prohibitif se caractérise par l’interdiction totale ou partielle de l’exploitation, de l’organisation et de la participation à des jeux virtuels. La prohibition totale implique l’interdiction de l’offre et la pratique de tout jeu ou pari en ligne. Le champ d’application du modèle prohibitif total s’étend tant aux joueurs qu’aux opérateurs et aux intermédiaires (FAI, institutions financières, etc.). Des campagnes contre le jeu visent à décourager la participation à ces activités15. Des mécanismes d’endiguement, tel que le blocage de l’accès et des transactions financières liées aux sites de jeux illicites, sont utilisées pour freiner l’offre illégale. C’est le cas aux États-Unis, notamment celui de la Californie qui n’a pas encore légalisé les jeux virtuels. Cela risque toutefois de changer bientôt avec la légalisation du poker en ligne16. Le principe du modèle prohibitif, c’est donc l’interdiction du jeu. Des dérogations peuvent néanmoins être prévues pour permettre l’organisation d’activités de jeu sous le contrôle de l’État (prohibition

partielle).

La prohibition partielle implique une dérogation au principe d’interdiction par l’instauration d’un monopole étatique, soit l’octroi d’une licence exclusive à une entité gouvernementale. L’instauration d’un monopole étatique en matière de jeu vise à assurer l’intégrité des activités de jeu, autrement contrôlés par le monde interlope17

. Derrière ces nobles motifs de protection de l’ordre public se cachent toutefois des intérêts économiques et politiques, le jeu étant une source importante de revenus pour l’État18

. La légitimité du monopole étatique sur le jeu est d’ailleurs remise en question. L’offre légale n’a pas réussi à contrer l’offre illégale et il semble y avoir un conflit d’intérêts19

. Le gouvernement joue à la fois le rôle du diable et d’ange gardien. Il a pour

15 Coalition to Stop Internet Gambling, en ligne : <stopinternetgambling.com>. 16 Voir la partie II-B, ci-dessus, pour l’analyse de cette question.

17 Québec, Institut national de la recherche scientifique : urbanisation, culture et société, Le jeu

pathologique, état des lieux et enjeux éthiques, par Élisabeth Papineau, Laboratoire d’éthique publique,

2001, p. 15, en ligne : <www.ais-info.org/Application/Uploaded/jeu_pathologique_enjeux.pdf> ; Valérie Dufour, « Loto-Québec se lance dans les jeux en ligne », Rue Frontenac (3 février 2010), en ligne : <ruefrontenac.com >.

18 Plan Québec, supra note 4, D. 14 : « le résultat net à atteindre par Loto-Québec pour 2015-2016 est de

1155M$ ».

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13 mission la prévention du jeu pathologique, tout en faisant la promotion et en bénéficiant des activités de jeu, qui sont hautement taxées.

La situation au Canada est complexe puisque les deux modèles de réglementation coexistent. Au niveau fédéral, c’est le modèle prohibitif partiel qui s’applique. Alors qu’au niveau provincial, c’est soit le modèle prohibitif partiel (monopole étatique) soit le modèle libéral (licences privées) qui trouve application, selon les provinces. Le Code

Criminel (C.cr.) prohibe les activités de jeu, sauf celles mises sur pied et opérées par les

provinces20. Il est cependant ambigu quant à savoir si des licences de jeu peuvent être émises à des opérateurs privés21. Au Québec, par exemple, les jeux et paris – virtuels et non virtuels – sont sujets au monopole de Loto-Québec, une société d’État. La situation est quelque peu différente dans d’autres provinces canadiennes (Alberta22, Ontario23, Nouvelle-Écosse24, Colombie-Britannique25, etc.) qui autorisent l’exploitation des activités de jeu par des opérateurs privés, quoique sous la supervision du gouvernement. Le Québec s’apprête néanmoins à le faire lui aussi, mais indirectement, soit par le biais d’un nouveau portail de Loto-Québec qui offrirait des jeux d’opérateurs privés, tel que recommandé dans le rapport du Groupe de travail sur le jeu en ligne au Québec26.

Suite à ce rapport, le Ministère des finances a récemment proposé de mettre en œuvre les trois mesures suivantes : 1) des modifications législatives afin d’obliger les FAI à filtrer les sites de jeux illégaux, inscrits sur une liste établie par Loto-Québec; 2) la création d’un portail sur le site gouvernemental Espacejeux afin d’offrir de nouveaux jeux d’opérateurs privés; et 3) des campagnes publicitaires sur le jeu en ligne27

. Ces mesures sont fort controversées tant pour des considérations d’ordre juridique (validité

20 L.R.C. 1985, c. C-46, art. 207(1)(4)c). 21

Ibid.; Nadeau, supra note 3, pp. 44-46.

22 Alberta Gaming & Liquor Commission (AGLC), en ligne : <www.aglc.gov.ab.ca>. 23 Ontario Lottery & Gaming Corporation (OLG), en ligne : <www.olg.ca>.

24 Nova Scotia Provincial Lotteries & Casino Corporation, en ligne : <gamingns.ca>. 25

British Colombia Lottery Corp. (BCLC), en ligne: <www.bclc.com>.

26 Nadeau, supra note 3, pp. 48 et s.; Plan Québec, supra note 4, G.21.

27 Plan Québec, supra note 4, A.15, G.21 : Les modifications législatives proposées visent la Loi sur la

Régie des alcools, des courses et des jeux, c. R-6.1, la Loi sur la Société des loteries du Québec, c. S-13

[LSLQ] et la Loi sur la protection du consommateur, c. P-40.1; Voir aussi : Québec, Ministère des finances, Le phénomène du recours aux paradis fiscaux, par Luc Monty, 29 septembre 2005, p. 46, en ligne : <www.finances.gouv.qc.ca/documents/Autres/fr/AUTFR_memoireparadisfiscaux.pdf>.

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14 constitutionnelle28) que des considérations d’ordre fonctionnel (conflits d’intérêts, coûts et inefficacité29). Des mesures d’endiguement similaires ont été mises en place, notamment aux États-Unis et en France, ce qui a soulevé des critiques semblables30. Le blocage des sites de jeux illégaux est, par ailleurs, vu comme « un coup d’épée dans l’eau » tant que l’ambiguïté quant à la légalité de l’octroi de licences à des opérateurs privés n’est pas résolue, ce qui impliquerait un amendement du C.cr.31

Cela relance donc le débat sur la privatisation du secteur du jeu.

ii) Le modèle libéral

À la différence du modèle prohibitif partiel, sous lequel les jeux sont sujets à un monopole étatique par l’octroi d’une licence exclusive à une entité gouvernementale, le modèle libéral implique la privatisation du marché des jeux virtuels. Le modèle libéral se caractérise par l’ouverture à la concurrence du marché des jeux virtuels, exploités par une multitude d’opérateurs privés détenant des licences de jeu en ligne. Cette concurrence peut être partielle ou totale. Une libéralisation partielle implique que les licences sont limitées, notamment quant aux types de jeux et paris qui peuvent être offerts et à qui ces licences peuvent être émises. En France, par exemple, seuls certains types de jeux et paris en ligne font l’objet de licences privées, délivrées par l’Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL)32. Dans certaines juridictions, il peut également y avoir un traitement préférentiel des opérateurs locaux par rapport aux opérateurs étrangers33. Quant à la libéralisation totale, elle ne comporte aucune limitation quant à la nationalité ou la localisation des joueurs. C’est notamment le cas à Kahnawake qui

28 Michael Geist, « Quebec’s Website Blocking Plan Gambles with the Open Internet » (30 juin 2015),

MichaelGeist (blogue), en ligne : <www.michaelgeist.ca>; Fabien Deglise et François Desjardins,

« Québec menace la neutralité du Net», Le Devoir (31 mars 2015), en ligne : <www.ledevoir.com>; André Dubuc, « Jeux en ligne illégaux : Québec a la juridiction pour agir », La Presse (31 mars 2015), en ligne : <affaires.lapresse.ca> [Dubuc]; Alain Dubois, « Blocage des sites de casinos : l’intégrité du Net n’est pas menacée mais …», Jeu en ligne (10 avril 2015), en ligne : <jeuenligne.ca>.

29

Pierre Couture, « Québec s’attaque au jeu en ligne illégal », Canoe (26 mars 2015), en ligne : <fr.canoe.ca > [Couture, « Jeu en ligne illégal »].

30 Voir la partie II, ci-dessous, pour l’analyse de cette question. 31

Québec, Assemblée nationale, Journal des débats, 41e lég, 1re sess, Vol. 44, n° 50 (30 avril 2015) (M Marceau) [Journal des débats, 30 avril 2015].

32 Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL), en ligne : <www.arjel.fr> [ARJEL]. 33 Voir le Tableau 2 et la partie II-B, ci-dessus, sur l’analyse de cette question.

(15)

15 héberge des opérateurs de jeux virtuels de différents pays et ce, même si les jeux sont offerts à des joueurs situés à l’extérieur de la réserve indienne34

. Les opérateurs de jeux à Kahnawake paient des frais de licence à la Kahnawake Gaming Commission (KGC)35, mais échappent à toute taxation du gouvernement. Il s’agit donc d’une libéralisation

totale, régie par le libre marché.

Le modèle libéral (partiel ou total) a cependant plusieurs points en commun avec le modèle prohibitif partiel, notamment en ce qui concerne le champ d’application de la loi, les mesures de prévention et de contrôle, voire la taxation. La plupart des lois dans les juridictions qui ont légalisé le jeu, que ce soit par le bais d’un monopole étatique ou de licences privées, s’appliquent uniquement aux opérateurs et aux intermédiaires. Les joueurs ne sont pas condamnés – à la différence du modèle prohibitif total. Une plus grande responsabilité des joueurs est néanmoins invoquée par la politique du jeu responsable, soit la mise en place des mesures de prévention : des messages de mise en garde contre le jeu pathologique, des mécanismes d’auto-exclusion, etc. Au Québec, la contribution pour le financement de programmes liés au jeu pathologique représente 2% des revenus net de Loto-Québec, soit près de 22 millions de dollars36. Des mécanismes de surveillance (vérification de l’identité, de l’âge des joueurs, etc.) et, dans certains cas, des mécanismes d’endiguement (similaires à ceux utilisés aux États-Unis) sont également prévus tant dans les juridictions libérales, comme la France, que les juridictions prohibitives, comme le Québec. Concernant la taxation, c’est l’incitateur principal de la légalisation du jeu, tant par l’instauration d’un monopole étatique que d’un système de licences privées (sauf pour ce qui est de la libéralisation totale, comme à Kahnawake, qui échappe à toute taxation).

Ainsi, les modèles de réglementation présentés ne sont pas complètement séparés, mais s’imbriquent l’un dans l’autre – les jeux virtuels étant encadrés par un spectre de mesures plus ou moins prohibitives ou libérales. Outre les motifs économiques de la légalisation du jeu (taxation), les lois sur le jeu ont toutes pour objectif la protection de l’ordre public

34 Voir la partie I-B, ci-dessus, pour l’analyse de cette question.

35 Kahnawake Gaming Comission (KGC), en ligne : <www.gamingcommission.ca> [KGC]. 36 Plan Québec, supra note 4, D.15, G.20.

(16)

16 et la lutte contre la cybercriminalité. Le degré de cette protection et de cette lutte varie en fonction de l’étendue du champ d’application de la loi (opérateurs, intermédiaires, joueurs), des mesures de prévention et de contrôle mises en place (mécanismes d’endiguement et de surveillance) et du type de jeux en ligne autorisés ou prohibés (jeux de hasard et d’argent, jeux d’adresse, jeux mixtes). Différentes théories sont utilisées pour ce faire, notamment celles de la « prédominance», de la « contamination » et de « l’universalité »37. Ces théories ne sont pas propres à l’un ou l’autre des modèles de réglementation présentés, mais diffèrent d’une juridiction à l’autre – dépendamment de la sévérité de l’interprétation de la « notion de hasard »38

. L’absence d’une définition commune contribue au problème d’effectivité de la mise en œuvre des lois sur le jeu en ligne, puisque cela crée des conflits entre les juridictions prohibitives et libérales.

b. Le problème d’effectivité

Les modèles de réglementation présentés connaissent tous un problème d’effectivité. Une prohibition totale ne permet pas d’enrayer l’offre illégale. Au contraire, elle nourrit le monde interlope : l’histoire en témoigne. La prohibition des activités du jeu39, comme celle de l’alcool40

ou du tabac41, a augmenté la contrebande. La légalisation de ces activités est par conséquent préférable afin d’assurer la protection du public et l’intégrité des jeux en ligne42. Derrière ces nobles objectifs se cachent néanmoins des intérêts économiques et politiques43. Si la majorité des juridictions sont aujourd’hui en faveur de la légalisation du jeu, étant donné l’inefficacité d’une prohibition totale ainsi que les

37 Escande, supra note 1, p. 308.

38 Ibid., Voir la partie II-B, ci-dessous, pour l’analyse de cette question.

39 Sally Gainsbury, Internet Gambling: Current Research Findings and Implications, New York, Springer,

2012, p. 30 [Gainsbury, « Internet Gambling »].

40 Québec, Institut économique de Montréal Le Monopole de la Société des alcools du Québec est-il

toujours justifié?, par Valentin Petkantchin, Montréal, coll. Réglementation, 2005, p. 9, en ligne :

<www.iedm.org/files/oct05_fr.pdf> [Petkantchin].

41 Québec, Ministère des finances, Mémoire présenté à la Commission des finances publiques sur l’étude

des mesures pour contrer la consommation de tabac de contrebande, 2ème version révisée, septembre 2011, pp. 7-9, en ligne : Assemblée nationale du Québec <www.assnat.qc.ca>.

42 Gainsbury, « Internet Gambling », supra note 39, p. 33; Patrick Basham et Karen White, Gambling with

Our Future?: The Costs and Benefits of Legalized Gambling, Vancouvert, Fraser Institute Digital

Publication, 2002.

43 Tom Coryn, Cyrille Fijnaut et Alan Littler, Economic Aspects of Gambling Regulation: EU and US

(17)

17 bénéfices d’une réglementation tant sur le plan social (santé publique) que sur le plan économique (taxation, emplois, etc.), il n’y a pas de consensus quant aux moyens pour y arriver. Quel modèle de réglementation est plus approprié pour l’encadrement du jeu en ligne : le modèle prohibitif partiel (monopole étatique) ou le modèle libéral (licences privées)? Quelles sont les conditions d’un contrôle effectif des jeux en ligne illicites? La perfection étant inatteignable, existe-il une unité de mesure pour déterminer un niveau d’efficacité acceptable?

Malgré l’explosion, au cours des dernières années, de la littérature sur les jeux virtuels, peu de recherches examinent l’efficacité de la réglementation du jeu44

, en particulier celle du jeu en ligne45. La plupart des recherches empiriques concernent le risque de dépendance associé aux jeux sur Internet – mais là encore, elles sont controversées et limitées46. Certains chercheurs trouvent la situation alarmante, en particulier chez les jeunes47, alors que d’autres disent que ces craintes seraient exagérées : le jeu en ligne touchant moins de 2% de la population adulte au Québec48. Ceci ne tient pas compte, toutefois, des 2 000 sites de jeux illicites accessibles aux Québécois, faute de pouvoir « recenser les données relativement aux opérateurs considérés comme illégaux »49. Plus de recherche est donc nécessaire dans ce domaine. À partir des études sur l’évaluation de l’effectivité de la réglementation d’autres biens de consommation potentiellement dangereux pour la santé, tel que l’alcool, nous allons tenter de déterminer les éléments nécessaires pour contrer l’offre illégale de jeux en ligne au Québec.

44 Québec, Institut national de santé publique du Québec, Interdiction de vendre du tabac, de l’alcool et de

la loterie aux mineurs : Analyse de la situation et des écrits scientifiques, par Nicole April et Fanny

Lemetayer, 2013, en ligne :

<www.inspq.qc.ca/pdf/publications/1777_Tabac_Alcool_Loterie_Mineurs.pdf> [INSPQ].

45 Gainsbury, « Harm-Minimisation Guidelines », supra note 10, pp. 2 et s.

46

Canada, Canadian Consortium for Gambling Research, The Social and Economic Impacts of Gambling, par R.J. Williams et al., 2011, en ligne :

<www.uleth.ca/dspace/bitstream/handle/10133/1286/SEIG_FINAL_REPORT_2011.pdf>.

47

Jeffrey L. Derevensky, Teen Gambling: Understanding a Growing Epidemic, Lanham (Md), Rowman & Littlefield Publishers, 2012.

48 Nadeau, supra note 3, pp. 22 et s. 49 Ibid., p. 65.

(18)

18 i) Le jeu et l’alcool : des enjeux similaires

Une comparaison des politiques publiques sur le jeu et l’alcool, qui présentent des enjeux similaires, permet d’alimenter la réflexion sur l’effectivité de la mise en œuvre des lois sur les jeux virtuels. Le jeu pathologique est souvent associé à d’autres comportements de dépendance (tabac, alcool, drogue)50, voire la prostitution51. L’organisme responsable de l’émission de licences de jeu et de permis d’alcool sur le territoire québécois est d’ailleurs le même, soit la Régie des alcools, des courses et des jeux (RACJ)52. Il en est de même dans d’autres provinces canadiennes53. L’alcool, comme le jeu, est régis par un monopole étatique. Le monopole de la Société des alcools du Québec (SAQ), comme celui de Loto-Québec, est remis en question54. La privatisation de la SAQ soulève des enjeux similaires à ceux de la privatisation du marché des jeux et paris : protection de l’ordre public, liberté commerciale, contrer l’offre illégale, etc.55

Le débat est relancé avec l’AECG, conclu entre le Canada et l’UE, qui vise l’ouverture à la concurrence de certains marchés publics56. Les provinces canadiennes tentent de conserver leurs monopoles – ou du moins de limiter l’ouverture à la concurrence des marchés du jeu et de l’alcool, notamment par des réserves de traitement national et des limites à l’accès de ces marchés (Tableau 2).

50

Ibid., p. 24 ; Québec, Institut de la statistique du Québec, Enquête québécoise sur le tabac, l’alcool, la

drogue et le jeu chez les élèves du secondaire: Évolution des comportements au cours des 15 dernières années, par Traoré Issouf et al., 2013, en ligne : <www.stat.gouv.qc.ca>; Nancy M. Petry et Carlos Blanco,

« National Gambling Experiences in the United States: Will History Repeat Itself? » (2013) 108 : 6 Addiction 1032.

51 Douglas M. Walker, Christopher Clark et Jessie Folk, « The Relationship Between Gambling Behavior

and Binge, Drinking, Hard Drug Use, and Paying for Sex » (2010) 14:1 UNLV Gaming Research & Review Journal 15, p. 24.

52 Régie des alcools, des courses et des jeux (RACJ), en ligne : <www.racj.gouv.qc.ca>.

53 Commission des alcools et des jeux de l’Ontario (CAJO), en ligne : <www.agco.on.ca>; Alcohol,

Gaming, Fuel and Tobacco Division of Service Nova Scotia, en ligne : <novascotia.ca>; Saskatchewan Liquor and Gaming Authority (SLGA), en ligne : <www.slga.gov.sk.ca>; Alberta Gaming and Liquor Commission (AGLC), en ligne : <www.aglc.ca>; Manitoba Liquor & Lotteries, en ligne : <www.mbll.ca>.

54 Petkantchin, supra note 40, pp. 3-17, 22, 29; Québec, Université du Québec à Trois-Rivières, Étude de

l’impact financier d’une libéralisation partielle de la distribution des vins et alcools au Québec sur les finances du Gouvernement du Québec, 2ème version préliminaire, par Frédéric Laurin, Mars 2012, en ligne : <fredericlaurin.com>;Denis Lessard, « Le monopole de la SAQ remis en cause » La Presse (8 juillet 2015), en ligne : <www.lapresse.ca>.

55 Ibid., Pierre Couture, « La SAQ sort l’artillerie lourde devant un possible recours collectif », Le Soleil

(30 janvier 2013), en ligne : <www.lapresse.ca>; Khalid Adnane, « Devrait-on mettre fin au monopole de la SAQ ?», La Presse (1er février 2013), en ligne : <www.lapresse.ca>; Isabelle Maher, « Vers la fin d’un monopole », Le Journal de Montréal (24 août 2013), en ligne : <www.journaldemontreal.com>.

(19)

19 Tableau 2 : Réserves des provinces et territoires canadiens sur l’ouverture à la

concurrence des marchés du jeu et de l’alcool

Qu éb ec A lb er ta M a n it o b a On ta ri o T er re -N eu v e et L a b ra d o r N o u v el le co ss e Îl e d u Pr in ce d o u a rd Y u k o n C o lo mb ie -B ri ta n n iq u e N u n a v u t T er ri to ir e d u N o rd -Ou est S a sk a tc h ew a n N o u v ea u -B ru n sw ic k

Alcool Traitement national X X

Accès aux marchés X X X X

Jeux / Paris Traitement national X X

Accès aux marchés X X X X

Toutes les provinces et territoires canadiens ont prévu des réserves relativement à l’accès aux marchés, tant dans le secteur des jeux et paris que dans le secteur des boissons alcoolisées : limites quant au nombre et la nomination des fournisseurs de services, au nombre d’opérations ou la valeur des transactions57

. Des réserves de traitement national, soit la possibilité de discriminer sur la base de la nationalité ou du lieu de résidence, ont également été prévues dans ces deux secteurs par huit provinces et territoires canadiens, dont le Québec58. Les cinq autres provinces et territoires canadiens n’ont pas prévu de telles réserves ni pour les jeux et paris, ni pour l’alcool (Colombie-Britannique, Nunavut, Territoires de Nord-Ouest) ou seulement dans un de ces secteurs (Nouveau-Brunswick, Saskatchewan). Ainsi, la majorité des provinces canadiennes, qu’elles soient prohibitives ou libérales, prévoient des réserves similaires tant dans le domaine du jeu que de l’alcool (traitement national, accès aux marchés) afin de garder un certain contrôle dans ces secteurs d’activités.

Réussiront-elles toutefois à freiner l’ouverture à la concurrence de ces marchés? Cette question est d’autant plus importante au Québec, qui se classe au dernier rang (comparativement aux autres provinces canadiennes) quant à sa politique de santé

57 Ibid., Annexes I et II. 58 Ibid.

(20)

20 publique en matière d’alcool59. L’effectivité de la politique québécoise sur les jeux virtuels n’est guère meilleure : plus de 2000 sites de jeux illicites sont accessibles aux Québécois, soit le même nombre qu’avant leur légalisation60. Vu le manque d’études sur l’efficacité des lois dans le domaine du jeu, nous devons nous tourner vers celles effectuées dans d’autres domaines similaires, notamment en matière de consommation et de vente d’alcool. Quelles mesures adoptées dans le domaine de l’alcool – jugées comme efficaces au Canada et dans d’autres pays – pourraient être adaptées au domaine du jeu, afin d’améliorer la réglementation et réduire la dépendance, tout en tenant compte des particularités propres aux jeux virtuels?

ii) La dénormalisation des activités de jeu

L’effectivité de tout modèle de réglementation (prohibitif ou libéral) repose sur une lutte politique et judiciaire active pour contrer l’offre illégale, afin d’inciter les opérateurs de jeux virtuels et la population en général à respecter la loi. Cette lutte comporte deux éléments importants : 1) la dénormalisation des activités de jeu; et 2) la limitation de l’accessibilité aux sites de jeux illicites. Le premier vise les joueurs, alors que le deuxième vise les opérateurs. Ce mémoire traite principalement du deuxième élément; le premier nécessitant une étude empirique. Le concept de dénormalisation, employé principalement dans la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme, vise à modifier « le climat social » afin de rendre ces activités moins acceptables, désirables et accessibles61. Une politique anti-alcool ou antitabac influence la perception de la sévérité des lois et les comportements des individus, entraînant la réduction de la consommation et des ventes illégales62. La perception de la « désapprobation sociale », agit sur la

59

Ontario, Centre de toxicomanie et de santé mentale, Stratégies pour réduire les méfaits et les coûts lies à

l’alcool au Canada : Une comparaison des politiques provinciales, par N. Giesbrecht et al. 2013, pp. 2,57,

en ligne : <www.camh.ca>.

60 Nadeau, supra note 3, pp. 43-47. 61

Québec, Institut national de santé publique du Québec, Intégration de la dénormalisation dans la lutte

antitabac au Québec : Perspectives de santé publique, Juin 2004, p. 4, en ligne :

<www.inspq.qc.ca/pdf/publications/315-AvisDenormalisationLutteAntitabac.pdf>.

62

Ibid; MJ Paschall et al., « Relationships Between Local Enforcement, Alcohol Availability, Drinking Norms, and Adolescent Alcohol Use in 50 California Cities » (2012) 73:4 J Stud Alcohol Drugs 657-65, en ligne: US National Library of Medicine, National Institute of Health

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21 « perception du risque » d’être sanctionné, donc le respect des lois63. Une politique antijeu aurait-elle le même effet? Permettrait-elle de changer la mentalité actuelle face aux jeux virtuels (source inoffensive de divertissement) et de réduire les activités de jeu, surtout chez les jeunes?

Longtemps considéré comme un vice, nous assistons aujourd’hui à l’autre extrême : la banalisation des activités de jeux de hasard et d’argent. Le jeu est plutôt considéré comme une source inoffensive de divertissement et, dans les cas extrêmes, de pathologie. Jouer n’est plus moralement condamnable, mais socialement acceptable64. La légalisation reflète « l’acceptation sociale »65 des activités de jeu et, à l’inverse, la légalisation du jeu a changé la perception et a encouragé l’acceptation des activités de jeu dans la société66

. C’est une activité récréative relativement populaire : 65%-82% de la population adulte mondiale joue annuellement à des jeux de hasard et d’argent67

. Le jeu –comme l’alcool – est donc un « comportement normalisé », faisant l’objet d’une commercialisation agressive et d’une valorisation dans les médias68

. Une dénormalisation est donc nécessaire afin d’amener la population à changer sa perception et ses habitudes de jeu. Malgré sa popularité et ses contributions économiques à travers la taxation et la création d’emplois, le gouvernement et les opérateurs de jeux ont la responsabilité d’implanter des politiques publiques limitant les effets nocifs du jeu, et non incitant au jeu.

63 Ibid., S. Lipperman-Kreda, J.W. Grube et M.J. Paschall, « Community Norms, Enforcement of Minimum

Legal Drinking Age Laws, Personal Beliefs and Underage Drinking: An Explanatory Model » (2010) 35:3 Journal Community Health 249.

64 Robert T. Wood et Robert J. Williams, « Internet Gambling: Past, Present and Future » dans G. Smith

et al., Research and Measurement Issues in Gambling Studies, San Diego et California, Elsevier Publishing, 2007.

65 H.L.A. Hart, The Concept of Law, Oxford, Clarendon Press, 1961, pp. 86-99; Collin S. Campbell et

Garry J. Smith, « Gambling in Canada From Vice to Disease to Responsibility: A Negotiated History », (2003) 20:1 CBMHJ/BCHM 121, p. 123.

66 Sam Skolnik, High Stakes: The Rising Cost of America’s Gambling Addiction, Boston, Beacon Press,

2011.

67

Gainsbury, « Harm-Minimisation Guidelines », supra note 10, p. 2; Québec, Chaire de recherche sur l’étude du jeu, Enquête ENHJEU-Québec – Portrait du jeu au Québec : Prévalence, incidence et

trajectoires sur quatre ans, par Sylvia Kairouz, Louise Nadeau et Chantal Robillard, 19 février 2014, p. 37,

en ligne : Université Concordia <www.concordia.ca>; Canadian Partnership for Responsible Gambling,

Canadian Gambling Digest 2012-2013, Responsible Gambling Counsil, Juillet 2014, p. 15, en ligne :

<www.responsiblegambling.org > [Canadian Gambling Digest].

(22)

22 Dans l’établissement des politiques publiques en matière de jeu, l’objectif premier devrait être la protection de l’ordre public, et non servir des intérêts économiques et politiques sous-jacents. L’État a l’obligation de veiller à l’intérêt public et la santé publique. Au Québec, comme nous l’avons vu, il est recommandé d’accroître la capacité d’attraction d’Espacejeux par la création d’un nouveau portail sur le site gouvernemental afin d’offrir des jeux en ligne d’opérateurs privés, locaux ou étrangers69

. Il s’agit donc d’une ouverture à la concurrence déguisée. L’objectif est avant tout de s’approprier les revenus de jeux en ligne qui échappent à l’État70. Bien que le marché du jeu en ligne au Québec soit en croissance, les revenus de Loto-Québec sont en baisse : « Espacejeux ne détient que seulement 10 % des parts de marché »71. La situation est semblable à celle observée en France avant l’ouverture partielle à la concurrence : 75% du marché des jeux et paris en ligne était contrôlé par le monde interlope72. L’ouverture à la concurrence et la publicité des nouveaux jeux et paris en ligne offerts en France a toutefois eu l’effet pervers d’augmenter le nombre de joueurs et le risque de dépendance, donc les dangers pour la santé publique73. Afin d’éviter un impact similaire au Québec, avec l’élargissement de l’offre légale de jeux en ligne assorti de campagnes publicitaires, il est fondamental que ces campagnes publicitaires visent, non pas à inciter la participation aux nouveaux jeux offerts sur le portail de Loto-Québec, mais plutôt la dénormalisation des activités de jeu.

Il est raisonnable de penser que la dénormalisation des activités de jeu ait des effets similaires à celle du tabac ou de l’alcool, soit la diminution de la participation à des jeux illicites74. Les résultats des études dans ces autres domaines ne peuvent toutefois être

69 Plan Québec, supra note 4, G.21.

70 Ibid. : « augmenter le dividende versé au gouvernement par Loto-Québec de 13,5 millions de dollars en

2016-2017 et de 27 millions de dollars annuellement par la suite ».

71 Ibid., G.19 : « Les revenus du jeu en ligne au Québec sont passés de 50 millions de dollars en 2006, à

80 millions de dollars en 2009 et à 250 millions de dollars en 2012. […] De 2005-2006 à 2013-2014, le résultat net de Loto-Québec a diminué au rythme moyen de 4,2% par année. »; Couture, « Jeu en ligne illégal », supra note 29.

72 France, Inspection générale des finances, De la mission de l’ouverture à la concurrence du marché des

jeux de hasard et d’argent, par Bruno Durieux, rapport n° 2007-M-107-02 (mars 2008), p. 3, en ligne :

La documentation française <www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/084000253.pdf> [Durieux].

73 Voir la partie II-B-b, ci-dessous, sur l’analyse de cette question.

(23)

23 transposés mutatis mutandis au domaine du jeu, encore moins aux jeux virtuels – du moins une vérification empirique serait requise. Bien que le jeu comporte plusieurs similitudes avec le tabac ou l’alcool, il s’en distingue toutefois à d’autres égards75

. Il convient néanmoins de souligner l’importance d’une éventuelle dénormalisation des activités de jeu, puisque les « normes de la communauté » et l’efficacité du droit sont interreliées76. Lorsque les politiques publiques sont le reflet des normes et valeurs sociales, elles sont plus susceptibles d’être appliquées efficacement.

L’établissement des politiques publiques doit ainsi reposer non seulement sur la menace de sanction (« notion du risque »)77, mais surtout sur un « dialogue interdisciplinaire autour du processus décisionnel collectif »78. La difficulté reste néanmoins entière étant donné les limites du « savoir scientifique »79 dans le domaine des jeux virtuels. Bien que dans la province de Québec, comparativement aux autres provinces canadiennes, le taux de prévalence de joueurs pathologiques soit le moins élevé (0,4% de la population adulte)80, ce taux ne tient pas compte des mineurs (5%)81 et de ceux qui participent à des jeux en ligne illégaux82. Est-ce toutefois possible d’établir une réglementation efficace alors que l’impact des jeux virtuels sur la santé et l’ordre public reste méconnu? Plus de recherche sur le jeu est donc nécessaire, notamment sur l’impact social des jeux virtuels (légaux et illégaux) ainsi que l’effectivité des régimes de réglementation de ces derniers, afin de pouvoir mettre en œuvre les politiques publiques appropriées. Parallèlement, il est également nécessaire de limiter l’accessibilité aux jeux virtuels illicites.

75 Ibid. 76 Ibid.

77 Pierre Trudel, « Le risque, fondement et facteur d’effectivité du droit » dans Karim Benyekhlef (dir.),

Gouvernance et risque : Les défis de la régulation dans un monde global, Montréal, Thémis, 2013, p. 244

et s.

78 Fabien Gélinas, « Le droit à l’ère du risque » dans Benyekhlef, supra note 77, p. 286. 79

Ibid., pp. 284-286.

80 Plan Québec, supra note 4, G.20; Canadian Gambling Digest, supra note 67, p. 16. 81 Nadeau, supra note 3, pp. 20 et 90.

(24)

24 iii) La limitation de l’accessibilité aux jeux en ligne illicites

L’immatérialité des jeux virtuels fait en sorte qu’ils peuvent facilement traverser les frontières étatiques (caractère extraterritorial) et être accessibles à la population. Il n’est plus besoin de se déplacer pour aller au casino; il suffit d’ouvrir son ordinateur à domicile et d’avoir une carte de crédit. Plusieurs mesures sont recommandées afin d’améliorer l’efficacité de la mise en œuvre des lois sur les jeux virtuels. Elles peuvent être regroupées en deux catégories : 1) les mesures de contrôle de l’accessibilité aux jeux virtuels; et 2) les mesures de prévention contre la dépendance (Tableau 3). Ces recommandations sont basées sur l’évaluation de l’effectivité de politiques publiques dans d’autres domaines, notamment pour la consommation d’alcool83

. Bien qu’il ne soit pas possible d’établir une unité de mesure précise d’effectivité, les études donnent un ordre de grandeur allant d’une effectivité limitée (+) à une effectivité modérée (++) ou une grande effectivité (+++).

Tableau 3 : Effectivité des mesures de prévention et de contrôle des jeux en ligne

Mesures de contrôle Mesures de prévention

Type de mesures

Prix et taxation Accès aux sites de jeux et paris

Identification et vérification de l’âge des joueurs

Autoréglementation Interventions ciblées Publicité et éducation

Effectivité ++ / +++ + / ++

Contrairement à ce que nous serions portés à penser, les mesures de prévention seraient moins efficaces que les mesures de contrôle84. Quoique les mesures de prévention soient nécessaires pour encourager le jeu responsable (autoréglementation, publicité et éducation, interventions ciblées, etc.), elles sont insuffisantes. La canalisation de l’offre illégale requiert une limitation de l’accessibilité aux jeux virtuels illicites par des mesures de contrôle : mécanismes de surveillance (identification et vérification de l’âge, limitation du temps de jeu et du montant des mises, taxation, etc.) et mécanismes d’endiguement (blocage de l’accès aux sites de jeux illicites par les FAI, des transferts de fonds par les

83 Gainsbury, « Harm-Minimisation Guidelines », supra note 10, p. 19; INSPQ, supra note 44, p. 14;

CE, L’alcool en Europe : Une approche de santé publique, par P. Anderson et B. Baumberg (traduit par Michel Craplet), Institute of Alcohol Studies, Londres, Juin 2006, p. 440, en ligne :

<ec.europa.eu/health/archive/ph_determinants/life_style/alcohol/documents/alcohol_europe_fr.pdf>

(25)

25 institutions financières, etc.)85. Ces mécanismes d’endiguement, perçus comme trop intrusifs, sont cependant souvent écartées.

Au Québec, aucune mesure de contrôle (mécanismes d’endiguement ou de surveillance) n’est actuellement mise en place pour limiter l’accès aux sites de jeux illicites, mais le filtrage de ces derniers par les FAI est néanmoins envisagé, comme nous l’avons vu. Une surveillance axée uniquement sur les jeux offerts par Loto-Québec est insuffisante, encore faut-il des mesures de contrôle de l’offre illégale afin d’inciter au respect de la loi. Des clients mystères, par exemple, sont utilisés pour évaluer l’effectivité des lois en matière de vente d’alcool et de billets de loteries à des mineurs (60%)86

. Les études démontrent que de tels mécanismes de surveillance augmentent la « perception du risque » (amendes, poursuites, réputation, etc.) et réduisent considérablement les ventes illégales d’alcool (41%)87

. De nouvelles subventions sont d’ailleurs octroyées pour contrer le commerce illégal de tabac88 ainsi que d’alcool et des loteries vidéo89, par un partenariat entre diverses agences (programme ACCES)90. La mise en place et le financement d’initiatives semblables dans le domaine du jeu en ligne est crucial. Des crédits budgétaires ont été accordés afin d’alléger les contributions versées par Loto-Québec91. À qui relèvera toutefois la responsabilité d’assumer les frais de filtrage des sites de jeux illicites? En France, les FAI sont indemnisés par l’ARJEL92

85 Ibid., Escande, supra note 1, par. 708; David G. Schwartz, Cutting the Wire: Gambling Prohibition and

the Internet, University of Nevada Press, 2005; Ontario, Conseil du Jeu Responsable, Centre pour le

développement des meilleures pratiques, Monetary Limits Tools for Internet Gamblers: A Review of Their

Availability, Implementation and Effectiveness Online, par Cynthia Lucar et al., Ontario Problem Gaming

Research Centre, Juin 2013.

86 Québec, Fonds de recherche société et culture, Le respect des lois limitant la vente de produits interdits

aux mineurs : les revendeurs sont-ils plus disposés à demander une preuve d'âge lors de la vente des boissons alcoolisées ou lors de la vente de produits de loterie?, par Isabelle Martin et al., 2009, en ligne :

<www.frqsc.gouv.qc.ca>.

87 INSPQ, supra note 44, p. 20.

88 Décret 200-2015 (2015) Gaz C II, 799-800. 89

Décret 199-2015 (2015) Gaz C II, 799.

90 Programme ACCES Alcool et Tabac, en ligne : Sûreté du Québec <www.sq.gouv.qc.ca>.

91 Québec, Assemblée nationale, Commission des finances publiques : Étude des crédits budgétaires

2015-2016, en ligne : <www.assnat.qc.ca>; Plan Québec, supra note 4, D. 15 : « 63,9 millions de dollars sera

versée à même les crédits budgétaires ».

92 Décret nº 2011-2122 du 30 décembre 2011 relatif aux modalités d’arrêt d’accès à une activité d’offre de

(26)

26 l’équivalent de la RACJ, au Québec. Quoi qu’il en soit, des mesures de contrôle sont nécessaires pour contrer les jeux en ligne illicites.

L’effectivité de tout modèle de réglementation, prohibitif ou libéral, repose sur une lutte politique et judiciaire active pour contrer l’offre illégale. En France, par exemple, la mise en place de mécanismes de surveillance et d’endiguement – similaires à ceux utilisés aux États-Unis et à ceux proposés au Québec – ont permis une certaine canalisation de l’offre illégale de jeux et paris en ligne. Alors que 75% du marché était contrôlé par le monde interlope avant l’adoption de la nouvelle loi sur le jeu en ligne93

; quatre ans plus tard, plus de 60% des sites de jeu sous surveillance de l’ARJEL se sont conformés à la loi94. Au Québec, l’objectif est de contrer au moins 50% du marché interlope du jeu en ligne par le filtrage des sites illégaux95. Le calcul du risque, bien que ce ne soit pas le seul élément à considérer, reste donc un élément important pour assurer le respect des lois, en particulier par les opérateurs de jeux virtuels. En l’absence de menace de sanctions, ces derniers préfèrent s’installer dans les juridictions plus libérales afin d’échapper à la taxation des gouvernements, tout en offrant des jeux et paris dans d’autres juridictions plus restrictives96. Le contexte canadien et québécois en est la preuve, avec le cas particulier de Kahnawake qui héberge des opérateurs de jeux virtuels97 – considérés illégaux au Québec – et ce en toute impunité.

B) Le contexte canadien et québécois

Au Canada, trois régimes de réglementation se superposent dans le domaine du jeu, à savoir : 1) le C.cr., 2) les lois provinciales et, le cas échéant, 3) les lois et règlements dans les réserves indiennes. Le pouvoir législatif fédéral en matière de jeu a été laissé aux provinces par renvoi statutaire dans le C.cr., lequel est néanmoins reconnu prépondérant en cas de conflit. La réglementation des jeux varie donc d’une province à l’autre. Les lois

93

Durieux, supra note 72.

94 France, ARJEL, Rapport d’activité 2014-2015, 30 octobre 2015, pp. 30-31, en ligne :

<www.arjel.fr/IMG/pdf/rapport-activite-2014.pdf> [Rapport d’activité 2014-2015]; Voir la partie II-B-b, ci-dessous, sur l’analyse de cette question.

95 Journal des débats, 30 avril 2015, supra note 31 (Gérard Bibeau). 96 Gainsbury, « Harm-Minimisation Guidelines », supra note 10, p. 6. 97 KGC, supra note 35; Nadeau, supra note 3, p. 47.

(27)

27 provinciales sont applicables aux réserves indiennes, ce qui est toutefois contesté par les autochtones, notamment à Kahnawake. La KGC prétend que ses activités relèvent du pouvoir souverain des autochtones sur leurs territoires et de leur droit à l’autonomie gouvernementale, notamment dans le domaine du jeu. Une analyse de l’encadrement juridique du jeu en contexte canadien et québécois ainsi que dans les réserves indiennes est donc nécessaire et ce, au regard des développements jurisprudentiels récents en matière de partage des compétences et de protection constitutionnelle des droits ancestraux des autochtones.

a. Le partage des compétences dans le domaine du jeu

Le contexte historique du partage des compétences dans le domaine du jeu permet de mettre en perspective le débat actuel au Québec sur les mesures à mettre en place pour contrer l’offre illégale de jeux en ligne. Bien qu’un projet de loi n’ait pas encore été présenté, des modifications législatives sont annoncées afin d’obliger les FAI à bloquer l’accès aux jeux en ligne non autorisés dans la province, comme nous l’avons vu. Ceci soulève plusieurs questions de nature constitutionnelle tant par rapport au partage des compétences, entre le fédéral et le provincial, que l’atteinte à la liberté d’expression (comprise dans un sens large, soit les libertés individuelle et commerciale) de même qu’aux droits des autochtones. Au Canada, le jeu était initialement encadré par le fédéral. Le Parlement a promulgué les premières lois interdisant les jeux de hasard et d’argent en 1875 et 188698. Les dispositions de ces lois ont été essentiellement reprises dans le C.cr. Ce dernier a connu plusieurs amendements en matière de jeu, les deux plus importants datant de 1969 et 198599. Ces années marquent un virage dans l’encadrement des jeux de hasard et d’argent : de la prohibition par le fédéral vers la réglementation par le provincial, voire par les autochtones.

98 Act for Suppressing Gaming Houses and to Punish the Keepers Thereof, 38 Vict., c. 41; Act Respecting

Gaming Houses, R.S.C. 1886, c. 158; Act Respecting Lotteries, Betting and Pool Selling, R.S.C. 1886,

c. 159, ss. 2-3; Act Respecting Gambling in Public Conveyances, R.S.C. 1886, c. 160.

99 Canada, Commission du droit du Canada, The Legalization of Gambling in Canada, par Colin S.

Campbell et al., Publication du gouvernement du Canada, 2005, p. 123, en ligne : Dalhousie University <dalspace.library.dal.ca//handle/10222/10297> [Legalization of Gambling].

Figure

Tableau 1 : Les modèles de réglementation du jeu en ligne
Tableau 3 : Effectivité des mesures de prévention et de contrôle des jeux en ligne

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