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Aspects comparatifs avec l’Union Européenne

La situation de la réglementation du jeu dans l’UE est comparable à celle du Canada et des États-Unis. Les États membres doivent respecter les lois et traités de l’UE, tout comme les provinces canadiennes et les États américains doivent respecter les lois et traités du palier fédéral. La particularité de l’UE est qu’elle vise à harmoniser les lois

285 Dubuc, supra note 28. Steven Stradbrooke, « Loto-Quebec Talking to Amaya Gaming About Licensing

58 nationales sur le jeu afin d’instaurer un marché commun286

. Une telle harmonisation des lois est-elle nécessaire, souhaitable et faisable? L’harmonisation des lois permettrait-elle de canaliser les jeux illicites, tout en préservant la souveraineté des États? Le cas de la France, qui a récemment ouvert son marché de jeux et paris en ligne à la concurrence – passant du monopole étatique (modèle prohibitif) à un système de licences privées (modèle libéral) – illustre le double discours de la libéralisation des marchés, opposant la liberté commerciale à la protection de l’ordre public.

a. L’harmonisation des lois en matière de jeu : utopie ou réalité inévitable?

L’harmonisation des lois en matière de jeux virtuels est présentée comme une des meilleures avenues pour améliorer l’efficacité du contrôle des jeux illicites287

. Les législations nationales sont perçues comme inefficaces et inadaptées à l’offre transnationale des jeux en ligne288. Ayant un caractère extraterritorial, les jeux virtuels dépassent les frontières physiques des États. La légalité des opérateurs privés, qui détiennent des licences dans certains États, n’est pas nécessairement reconnue ailleurs, ce qui engendre des conflits entre les juridictions. L’absence d’un encadrement harmonisé augmenterait également la cybercriminalité289 et les risques de dépendance290, quoique les études sur l’impact des jeux et paris virtuels soient controversées291. L’harmonisation des lois est donc nécessaire afin de régler les problèmes de jeux transfrontières292. Est-ce toutefois une utopie ou une réalité inévitable?

286 Michel Barnier, « Quelle réglementation des jeux de hasard et d’argent en Europe ? Bilan et

perspectives », Conférence du Parlement Européen, présentée à Bruxelles, 27 juin 2012, en ligne : Europa <europa.eu>.

287 Gainsbury, « Harm-Minimisation Guidelines », supra note 10, p. 9; Margaret Devaney, « Online

Gambling and International Regulation: an Outside Bet (2009) 18:3 Information & Communications Technology Law 273-283, pp. 276-277 [Devaney].

288

Escande, supra note 1, par. 517 et s.; CE, Document de travail, « The EU’s Online Gambling Regulatory Approach and the Crisis of Legal Modernity », par Salvatore Casabona, Centre de Singapore, Janvier 2014, No.19, en ligne: <aei.pitt.edu/47671/1/WP19-Online-Gambling-Regulations.pdf>.

289 Clare Chambers-Jones et Henry Hillman, Financial Crime and Gambling in a Virtual World: A New

Frontier in Cybercrime, Cheltenham (UK), Northampton (USA), Edward Elgar Publishing, 2014,

pp. 67 et s.

290 Simon, Planzer, Empirical Views on European Gambling Law and Addiction, Suisse, Springer, 2014. 291

Devaney supra note 287, p. 278.

292 Littler, « Member States v. EU », supra note 5, pp. 230, 514 et s.; Matthew W. Mauldin, « The

European Union, State-Sponsored Gambling, and Private Gambling Services: Time for Harmonization? (2008) 36:413 GA. J. INT'L & CoMP. L. 413, pp. 430, 440 et s.

59 Dès 1991, la Commission Européenne a étudié la possibilité d’harmoniser les lois afin d’instaurer un marché commun dans le secteur du jeu293. À ce jour, elle n’y est toujours pas parvenue. Le processus d’harmonisation est néanmoins amorcé et il a pris de la vitesse ces dernières années. La Commission Européenne a enjoint une quinzaine d’États de modifier leur réglementation sur le jeu afin de la rendre conforme au droit communautaire (certaines procédures sont encore pendantes294). Le Parlement Européen a également émis plusieurs recommandations, résolutions et propositions de directives, afin d’encourager la coopération internationale et l’établissement de standards communs en matière de jeux et paris virtuels295. Le plan d’action vise donc la coopération entre les autorités de régulation des jeux et paris en ligne, incluant les associations internationales tel que l’International Association of Gaming Regulators (IAGR) et le Gaming Regulators European Forum (GREF)296, et ce en priorisant la « conformité des cadres réglementaires nationaux au droit de l’UE »297

. Deux obstacles majeurs se dressent cependant face à l’harmonisation des lois dans le secteur du jeu, à savoir : i) l’hétérogénéité du degré de protection de l’ordre public; et ii) l’érosion de la souveraineté étatique.

293 CE, Gambling in the Single Market – A Study of the Current Legal and Market Situation: Executive

Summary and Pan-European Community Market Review, Vol. 1, Luxembourg, 1991, en ligne : Archive of

European Integration < aei.pitt.edu>.

294

CE, communiqué, IP/13/1101 « La Commission enjoint à certains États membres de mettre leur réglementation en matière de jeux de hasard en conformité avec le droit de l’UE » (20 novembre 2013), en ligne : <europa.eu> [IP/13/1101].

295 CE, Policy Department Economic and Scientific Policy, Online Gambling Focusing on Integriy and a

Code of Conduct for Gambling, IP/A/IMCO/ST/2008-13, Novembre 2008, en ligne : Parlement Européen

<www.europarl.europa.eu>; CE, Recommandation de la Commission du 14 juillet 2014 relative à des

principes pour la protection des consommateurs et des joueurs dans le cadre des services de jeux d'argent et de hasard en ligne et pour la prévention des jeux d'argent et de hasard en ligne chez les mineurs,

2014/478/UE, en ligne : Parlement Européen <www.europarl.europa.eu> [2014/478/UE]; CE, Résolution

du Parlement européen du 10 septembre 2013 sur les jeux d'argent et de hasard en ligne dans le marché intérieur, 2012/2322 (INI), en ligne : Parlement Européen <www.europarl.europa.eu>; CE, Proposition de Directive du Parlement Européen et du Conseil relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme, COM/2013/045 final -

2013/0025 (COD), en ligne : Parlement Européen <www.europarl.europa.eu> [COM/2013].

296

Rapport d’activité 2014-2015, supra note 95, p. 40.

297

CE, Vers un cadre européen global pour les jeux d’argent et de hasard en ligne, SWD(2012)345final, pp. 4, 6-8, en ligne : Parlement Européen <www.europarl.europa.eu>; Voir aussi : CE, Livre vert sur les

jeux d’argent et de hasard en ligne dans le marché intérieur, SEC(2011)321final, en ligne : European

60 i) L’hétérogénéité du degré de protection de l’ordre public

L’harmonisation des lois sur le jeu implique un consensus quant au degré de protection de l’ordre public. Un tel consensus est cependant difficilement atteignable, puisque chaque État a une vision différente des dangers associés au jeu et des mesures de protection nécessaires afin de protéger l’ordre public298

. Les législations nationales sur l’organisation et l’exploitation des jeux sont profondément ancrées dans l’histoire, la culture et les valeurs propres à chaque société299. Certains États utilisent une approche plus sévère (théories de la « contamination » ou de « l’universalité »), alors que d’autres utilisent une approche plus souple (théorie de la « prédominance »)300. Laquelle de ces approches permettrait une éventuelle harmonisation des lois dans le secteur du jeu?

La théorie de la « prédominance » suppose la réunion de trois éléments : une mise, dans l’espoir d’un gain, relativement à un jeu dont le résultat dépend en grande partie de la chance (domiant factor test)301. La théorie de la « contamination » réprime tout jeu dans lequel il y a quelque trace de hasard (any chance test)302. Quant à la théorie de « l’universalité » elle ne fait pas de distinction entre les jeux de hasard et les jeux d’adresse, mais s’applique à tout jeu comportant un enjeu de valeur (gambling instinct

test)303. L’harmonisation des lois requiert une définition et une approche communes quant

à l’encadrement de tous les types de jeux – qu’ils soient de hasard et d’argent, d’adresse ou mixtes. L’UE définit les jeux comme « tout service impliquant une mise ayant une valeur monétaire »304. Ceci correspond à la théorie de « l’universalité », qui accorde un degré élevé de protection de l’ordre public.

298

Escande, supra note 1, par. 518-519; Pricilla T. Cheng, « Call a Spade a Spade: Barriers to Harmonisation and Conflicting Messages in European Union Internet Gambling Policy » (2011) 36:2 Brook. J. Int’L L. 693 [Cheng].

299 Escande, supra note 1, par. 520, 655, 714. 300

Ibid., par. 527-627.

301 Ibid., par. 578. Cette approche est utilisée tant en Europe qu’aux États-Unis et au Canada.

302 Ibid., par. 603-614. Cette approche est utilisée dans certains États américains (Tenessee, Maryland,

Louisiane, Géorgie, Mexique, etc.)

303 Ibid., par. 615-627. Cette approche est également utilisée dans certains États américains (Arizona,

Kansas, Illinois, Hawaï, Iowa, etc.)

61 L’approche de l’UE vers l’harmonisation des lois sur le jeu, à l’aide de la théorie de « l’universalité », vient cependant limiter la souveraineté étatique. La majorité des États européens ont adopté la théorie de la « prédominance », qui est la plus souple et laisse une grande marge d’interprétation aux juges305

. Bien que les États membres soient, en principe, libres de choisir le mode de réglementation des activités de jeu sur leur territoire (modèle prohibitif ou libéral), l’effet inverse se produit en pratique. Si la prohibition est souvent la règle en droit national, elle est l’exception en droit communautaire. Les États membres de l’UE doivent démontrer le caractère nécessaire des restrictions à la liberté de commerce pour atteindre les objectifs d’intérêt général fixés, de manière cohérente et systématique, et ce sans un traitement préférentiel aux opérateurs locaux306. On assiste ainsi à l’érosion de la souveraineté étatique au profit de l’ouverture à la concurrence.

ii) L’érosion de la souveraineté étatique

Plusieurs États européens ont été enjoints de modifier leurs lois nationales sur le jeu afin de les rendre conformes au droit communautaire307, au nom de la liberté commerciale. Les activités de jeu sont considérées comme des activités économiques308. Les lois nationales qui interdisent les jeux autorisés dans d'autres États membres sont considérées comme contraires à la libre prestation de services et à la liberté d’établissement, au sens des articles 49 et 56 du Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE)309. Certaines restrictions peuvent néanmoins être justifiées par des « raisons impérieuses d’intérêt général »310, tel que la protection de l’ordre public et la lutte contre la cybercriminalité. La Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE) a établi des critères

305 Escande, supra note 1, par. 527-549 : France, Allemagne, Autriche, Italie, Luxembourg, Danemark,

Hongrie, etc.

306 Littler, « Member States v. EU », supra note 5, pp. 334 et s. 307

IP/13/1101, supra note 294; CE, communiqué, IP/06/436, « Libre circulation des services : la Commission examine les restrictions imposées au Danemark, en Finlande, en Allemagne, en Hongrie, en Italie, aux Pays-Bas et en Suède aux paris sportifs » (4 avril 2006), en ligne : <europa.eu>; CE,

communiqué, IP/07909, « Libre prestation des services : la Commission prend des mesures pour lever les obstacles à la prestation de services de paris sportifs en France, en Grèce et en Suède » (27 juin 2007), en ligne : <europa.eu>.

308 C-275/92, Her Majesty’s Customs and Excise v Schindler, [1994] ECR I-010239, par. 37; C-124/97,

Laara, Cotswold, Microsystems Ltd. & Oy Transatlantic Softwar Ltd. v Kihlakynnansyyttaja &Suomeon Valtio (Finnish State), [1999] ECR I-6067, par. 43 [Laara] .

309 Version consolidée du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, [2012] JO C 326/01 [TFUE]. 310 Escande, supra note 1, par. 777 et s.; Hörnle, supra note 206, pp. 163-164.

62 généraux afin de permettre aux tribunaux nationaux de déterminer les circonstances dans lesquelles des mesures restrictives nationales seraient justifiées. Bien que les États aient une large marge d’appréciation dans la réglementation sur le jeu, les mesures mises en place doivent être « cohérentes, proportionnées et non-discriminatoires » envers les autres États membres311. La jurisprudence de la CJUE est cependant inconstante et ambigüe relativement à l’interprétation de ces critères, oscillant entre le respect des souverainetés étatiques et l’ouverture à la concurrence.

Dans une série d’arrêts rendus contre l’Italie312

, la CJUE exigeait la reconnaissance des opérateurs de jeux ayant une licence dans un autre État membre. L’Italie a dû modifier sa loi à plusieurs reprises afin d’ouvrir à la concurrence son marché de jeux et pairs313

. Il y a eu ensuite un revirement de jurisprudence, avec l’arrêt Santa Casa314, qui est venu préciser qu’il n’y avait pas une obligation de « reconnaissance mutuelle »315. Ce n’est pas parce qu’un régime de licences est instauré dans un État, qu’un monopole étatique n’est pas justifié dans un autre316. Afin de déterminer si une mesure restrictive nationale est justifiée, il faut examiner les objectifs poursuivis, notamment la protection de l’ordre public. Cette approche favorise un large pouvoir d’appréciation dans la réglementation du jeu, laissé aux États317. Récemment, la CJUE a cependant adopté de nouveau une position

311 Ibid., par. 786 et s.; TFUE, supra note 309, art. 18.

312 C-67/98, Questore di Verona v Zenatti, [1999] ECR I-7289 [Zenatti] ; C-243/01, Criminal Proceedings

against Gambelli, [2003] ECR I-13031; C-338/04, Procuratore della Repubblica v Placanica, [2006] ECR

I-01891; C-260/04, Commission v Italie, [2007] ECR I-07083.

313 Décret n° 156 du 15 février 2001; Décret-loi n° 203 du 30 septembre 2005; Décret n° 223 du 4 juillet

2006 devenu la Loi n° 248 du 4 août 2006, GURI no 18, 11 août 2006; Décret n° 39 du 28 avril 2009 devenu la Loi n° 39 du 23 juin 2009 [Loi n° 39].

314 C-42/07, Liga Portuguesa de Futebol Profissional v Departamento de Jogos de Santa Casa da

Misericordia de Lisboa, [2009] ECR I-07633.

315Alan Littler et al., In the Shadow of Luxembourg: EU and National Developments in the Regulation of

Gambling, Leiden, Boston, Martinus Nijhoff Publishers, 2011, pp. 20-27, 238 et s. [Littler, « EU and

National Developments »].

316Laara, supra note 308, par. 36; Zenatti, supra note 312, par. 34; C-6/01, Associação Nacional de

Operadores de Máquinas Recreativas (Anomar) et al. v Estado português [2003] ECR I-13519, par. 80;

Aimée Jeanne, « La libre prestation de services et la protection des consommateurs : une conciliation délicate », Colloque CRUE de la Cour de Cassation, présenté à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne), juin 2007, (2007) Dossier nº16 Revue Mensuelle Lexisjuriscalsseur (Europe) 45, en ligne :

<www.courdecassation.fr/IMG/File/pdf_2007/15-03-2007/15-03-2007_actes_colloque.pdf>.

317

C-347/09, Bezirksgericht Linz (Autriche) v Jochen Dickinger et Franz Ömer [2011] ECR I-08185, par. 101; C-203/08, Sporting Exchange Ltd v Minister van Justitie [2010] ECR I-04695; C-258/08,

Ladbrokes Betting & Gaming Ltd and Ladbrokes International Ltd v Stichting de Nationale Sporttotalisator [2010] ECR I-04757.

63 plus stricte, notamment dans l’affaire Engelmann318. Sans déterminer si l’objectif était susceptible de relever de la nécessité de protéger l’ordre public, la CJUE a conclu qu’un monopole étatique sur le jeu était injustifié, car disproportionné et discriminatoire319. Cette position est conforme à celle qui avait été adoptée dans l’affaire Antigua, devant l’OMC320

. Elle implique une « reconnaissance conditionnelle »321, soit la reconnaissance des opérateurs qui détiennent une licence de jeu et qui sont sujets dans l’État d’origine à une réglementation semblable à celle de l’État d’accueil.

Ainsi, les mesures restrictives de la libre prestation des services et la liberté d’établissement des opérateurs de jeux sont plus difficilement justifiables par les États ayant un modèle de réglementation libéral que par ceux ayant un modèle

prohibitif. Une prohibition totale ou partielle (monopole étatique) des jeux et paris

virtuels n’est pas nécessairement incompatible avec le droit de l’UE, pourvu que l’objectif soit la protection de l’ordre public et la lutte contre la criminalité, et non la perception de taxes322. Une libéralisation partielle, par contre, soit l’expansion de l’offre légale des jeux et paris, mais l’exclusion – directe ou indirecte – des opérateurs de nationalité étrangère, risque de constituer une mesure incohérente, disproportionnée et discriminatoire323. Les actions de la Commission Européenne et les développements récents de la CJUE, concernant la compatibilité des lois nationales sur le jeu avec le droit communautaire, ont donc conduit à l’érosion de la souveraineté étatique. Les États membres sont de plus en plus contraints à modifier leurs lois sur le jeu afin d’ouvrir leur marché à la concurrence, tel qu’illustré notamment par le cas de la France.

b. Le cas de la France : l’ouverture à la concurrence

Le marché français de jeux en ligne s’est récemment ouvert à la concurrence. Initialement assujettis au monopole étatique, certains jeux virtuels sont maintenant régis par un

318 C-64/08, Criminal Proceedings against Ernest Engelmann, [2010] ECR I-08219 [Engelmann]. 319 Ibid., par. 37, 40.

320

Cheng, supra note 298, p. 707.

321 Littler, « EU and National Developments », supra note 315, pp. 20-74, 99-103. 322 Littler, « Member States v. EU », supra note 5, p. 234 et s.

64 système de licences privées. La France est donc passée d’un modèle de réglementation

prohibitif à un modèle de réglementation plus libéral. Le modèle libéral français inspire

les autorités étrangères, européennes et au-delà, qui envisagent de réformer leur réglementation du jeu en ligne324. Le Québec, par exemple, prend cette direction puisque, comme nous l’avons vu au premier chapitre, Loto-Québec pourrait offrir un nouveau portail avec des jeux d’opérateurs privés. L’AECG prévoit par ailleurs l’ouverture à la concurrence de certains marchés publics au Québec325. Avec la libéralisation des marchés, la tendance actuelle est donc vers l’ouverture à la concurrence, entraînant la privatisation du marché des jeux et paris virtuels326. Le discours utilisé en faveur de l’ouverture à la concurrence dans le domaine du jeu est le même que celui utilisé pour le maintien du monopole étatique, à savoir : la canalisation des jeux illicites pour une meilleure protection des joueurs. Le modèle libéral permet-il toutefois d’atteindre un niveau de protection et d’efficacité plus élevé que le modèle prohibitif?

i) Du modèle prohibitif au modèle libéral

La particularité en France réside dans le fait que certains jeux virtuels font l’objet de licences privées (modèle libéral), alors que d’autres sont assujettis au monopole étatique (modèle prohibitif). Comme au Canada, les activités de jeux sur le territoire français sont prohibées, à moins d’une dérogation expresse327

. Un monopole est accordé à deux établissements gouvernementaux : La Française des jeux (FDJ) pour les loteries et le Pari Mutuel Urbain (PMU) pour les paris mutuels328. Trois secteurs de jeux en ligne échappent cependant au monopole de la FDJ et de la PMU : les paris hippiques, les paris sportifs et le poker en ligne329. Légalisés en 2010, soit la même année qu’au Québec, ils sont régis par l’ARJEL– une institution indépendante du gouvernement, qui peut émettre

324 Rapport d’activité 2014-2015, supra note 94, p. 42. 325 AECG, supra note 12.

326

Escande, supra note 1, par. 1005-1009.

327 Loi n° 83-628 du 12 juillet 1983, incorporée dans le Code de la sécurité intérieure (CSI), art. L. 324-1 à

L. 324-5, en ligne : Legifrance <legifrance.gouv.fr>.

328

Loi du 21 mai 1836 portant prohibition des loteries, incorporée dans le CSI, art. L.322-1, en ligne : Legifrance <legifrance.gouv.fr>; Loi du 2 juin 1891 ayant pour objet de réglementer l'autorisation et le

fonctionnement des courses de chevaux, en ligne : Legifrance <legifrance.gouv.fr>.

65 des licences à des opérateurs privés330. Contrairement au Québec, où tous les jeux sont sujets au monopole étatique, on fait en France une distinction entre la réglementation des jeux et paris « hors ligne » et « en ligne»331, ces derniers ayant été ouverts à la concurrence.

Les pressions de la Commission Européenne et les contentieux avec la société Zeturf332 ont mené à l’ouverture du monopole étatique français sur certains jeux virtuels. Établie à Malte et détentrice d’une licence de paris sur des courses hippiques en ligne, Zeturf offrait des paris hippiques en France, en violation du monopole de la PMU. Le Conseil d’État a conclu que le monopole de la PMU était justifié, puisqu’il vise la protection de l’intérêt général et la lutte contre le blanchissement d’argent333

. Cette décision a cependant été rendue après l’ouverture du marché des jeux en ligne par la loi du 12 mai 2010334. Cette loi vise notamment à lutter contre les jeux en ligne illicites335. L’ARJEL peut sanctionner les opérateurs non agréés336

, voire bloquer les transferts de fonds337 et l’accès aux sites de jeux illicites338. Plus de 1600 mises en demeure ont été envoyées aux opérateurs leur demandant de se conformer à la loi française, dont la majorité a obtempéré339. Seule une infirme minorité a dû faire l’objet d’un blocage par les FAI340, notamment suite aux décisions rendues dans Stanjames et 5Dimes.

330 ARJEL, supra note 32. 331

Escande, supra note 1, par. 359.

332C-212/08, Zeturf [2011] I-05633, infirmant CA Malte (9 janvier 2007), infirmant CA Paris (4 janvier

2006), confirmant Trib gr inst Paris (8 juillet 2005).

333

Ibid.

334 Loi n° 2010-476, supra note 329.

335 France, Assemblée Nationale, Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle

budgétaire, Rapport d’information sur la mise en application de la loi n° 2010-476 du 12 mai 2010

relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne, par Aurélie Filippetti et Jean-François Lamour, rapport n° 3463 (25 mai 2011), en ligne :

<www.assemblee-nationale.fr> [Rapport n° 3463]; France, Sénat, Commission des finances, Rapport

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