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La sécurité alimentaire selon la perspective d'Inuit du Nunavik

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Academic year: 2021

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La sécurité alimentaire selon la perspective d’Inuit du

Nunavik

Mémoire

Léa Laflamme

Maîtrise en santé communautaire

Maître ès sciences (M.Sc.)

Québec, Canada

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RÉSUMÉ

Cette étude exploratoire vise à mieux comprendre la sécurité alimentaire selon la perspective et le vécu d’Inuit du Nunavik (Québec). Des entrevues semi-structurées avec dix-neuf femmes inuites de différentes générations, occupations et statuts socio-économiques d’une communauté du Nunavik ont été réalisées. De plus, un atelier avec des aînés de la communauté sur les mots utilisés dans la langue inuite pour décrire la faim, la satiété et différentes sensations alimentaires a permis d’approfondir les concepts culturels entourant l’expérience alimentaire et la sécurité alimentaire. Les résultats suggèrent que la notion de ce qui constitue une nourriture suffisante et adéquate est construite à partir des expériences individuelles et de la culture et tend à varier selon les générations. Plusieurs participantes ont mentionné avoir manqué d’aliments dans leur maison dans un passé récent. Cependant, les ressources au niveau de la famille élargie et de la communauté tendaient à alléger la situation lorsqu’elle était transitoire.

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ABSTRACT

This exploratory research seeks to better understand food security from the perspective of Inuit from Nunavik (Quebec). Nineteen semi-structured interviews were conducted with Inuit women from different generations, occupations and socio-economic status of one community in Nunavik. Additionally, a workshop with elders explored different sensations of food as they are described in Inuit language. This workshop allow for a deepening of the cultural concepts surrounding the experience of eating and food security. The results suggest that the notion of what constitutes sufficient and adequate food is built from individual experiences and socio-cultural context, and tends to vary across generations. Many of the participants interviewed experienced food shortage in their home in the recent past. However, resources within extended family and community tend to alleviate the situation when it was transitory.

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TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ... III ABSTRACT... V TABLE DES MATIÈRES ... VII LISTE DES TABLEAUX ... IX LISTE DES FIGURES ... IX LISTE DES ABRÉVIATIONS ... XI REMERCIEMENTS ... XIII

INTRODUCTION ... 1

I. RECENSION DES ÉCRITS ... 5

1.1 LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE : DÉFINITION ET CONCEPT ... 5

1.1.1 Évolution théorique et pratique de la sécurité alimentaire ... 5

1.1.2 Conceptualisation et mesure de l’expérience de l’insécurité alimentaire ... 8

1.1.3 Sécurité alimentaire et universalité ... 11

1.2 ALIMENTATION DES INUIT DU CANADA ... 13

1.2.1 Nutrition et consommation alimentaire : passé et présent ... 13

1.2.2 Approvisionnement alimentaire des familles inuites ... 17

1.2.3 Alimentation, santé et identité culturelle... 21

1.3 LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE CHEZ LES INUIT DU CANADA: ANALYSE CRITIQUE DE LA LITTÉRATURE EXISTANTE ... 22

II. CADRE MÉTHODOLOGIQUE DE RECHERCHE... 27

2.1 TYPE D’ÉTUDE ... 27

2.2 TRAVAIL TERRAIN : LA COMMUNAUTÉ D’INUKJUAK,NUNAVIK ... 29

2.3 ENTREVUES INDIVIDUELLES SEMI-STRUCTURÉES... 32

2.4 ATELIER D’INUKTITUT ... 35

2.5 PROCESSUS ANALYTIQUE ... 36

2.6 VALIDATION DES RÉSULTATS ... 36

2.7 CONSIDÉRATIONS ÉTHIQUES ... 38

III. RÉSULTATS ... 41

3.1 PORTRAIT DES PARTICIPANTES À L’ÉTUDE ... 41

3.2 ALIMENTATION ET BIEN-ÊTRE ... 44

3.3 QUE SIGNIFIE AVOIR ASSEZ D’ALIMENTS? ... 49

3.4 EXPÉRIENCE DE L’INSÉCURITÉ ALIMENTAIRE ... 57

3.5 LE RÔLE DES RÉSEAUX SOCIAUX DE PARTAGE DANS LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE ... 62

3.6 PISTES DE SOLUTION ET D’INTERVENTION ... 66

IV. DISCUSSION ... 71

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4.1.1 Les rôles multiples de l’alimentation dans le bien-être ... 71

4.1.2 Suffisance et adéquation alimentaire : sensations et significations... 72

4.1.4 Importance de la famille élargie et de la communauté dans la sécurité alimentaire ... 78

4.1.5 Pistes de solutions proposées par les participantes pour la sécurité alimentaire au Nunavik .. 81

4.2 RÉFLEXIONS SUR LA MESURE D’INSÉCURITÉ ALIMENTAIRE CHEZ LES INUIT ET LES CONSIDÉRATIONS MÉTHODOLOGIQUES POUR DE FUTURES RECHERCHES ... 83

CONCLUSION ... 89

ANNEXE 1: HOUSEHOLD FOOD SECURITY SURVEY MODULE (HFSSM) ... 93

ANNEXE 2 : LOCALISATION DU NUNAVIK ET D’INUKJUAK ... 97

ANNEXE 3 : GUIDE D’ENTREVUE ... 99

ANNEXE 4 : GOÛT ET SENSATIONS ALIMENTAIRES : LEXIQUE PRÉLIMINAIRE INUKTITUT/ANGLAIS ... 101

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LISTE DES TABLEAUX

Tableau 1 : Les dimensions de l’insécurité alimentaire élucidée dans la recherche

qualitative de Radimer (1990) ……… p. 8 Tableau 2 : Portrait socio-économique et de sécurité alimentaire des participantes à

l’étude………p.43

LISTE DES FIGURES

Figure 1 : Les communautés du Nunavik………p.97 Figure 2 : Les régions inuites du Canada……….p.98

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LISTE DES ABRÉVIATIONS

CBJNQ : Convention de la Baie James et du Nord Québécois

FAO : Organisation des nations unies pour l’alimentation et l’agriculture FCNQ : Fédération des coopératives du Nouveau-Québec

HFSSM : Household Food Security Survey Module ICC : Inuit Circumpolar Council

ITK : Inuit Tapiriit Kanatami

NNHC : Nunavik Nutrition and Health Committee NRI : Nunavut Research Institute

PDAM: Personne d’âge moyen

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REMERCIEMENTS

Mes remerciements vont d’abord aux habitants d’Inukjuak qui ont accepté de participer à ce projet. C’est le partage généreux de leurs expériences et vécus qui ont rendu ce mémoire possible. Je remercie également les personnes et organismes du Nunavik qui m’ont appuyé et conseillé tout au long de ce projet. Un merci tout particulier au personnel de la Maison de la famille Sungirtuivik pour leur accueil chaleureux lors de mes séjours. Je remercie également les familles du Nunavik qui m’ont hébergé au courant des dernières années et qui m’ont gentiment initié à la richesse de leur culture.

Mes plus sincères remerciements à mon directeur de maîtrise, Christopher Fletcher, qui m’a guidé avec patience et bienveillance tout au long de mon parcours à la maîtrise. Ses connaissances approfondies de la culture inuite et son approche anthropologique ont grandement enrichi ce mémoire et m’ont permis de poser un regard différent sur la nutrition et la santé. En tant que nutritionniste, ma vie professionnelle en sera grandement influencée et je l’en remercie profondément. Je tiens également à remercier Anne-Marie Hamelin, chercheuse spécialisée dans le domaine de la sécurité alimentaire, qui m’a conseillée dans les premières étapes de ce projet. Je remercie grandement les deux examinateurs de ce mémoire, Bernard Roy et Mylène Riva, qui ont su alimenter mes réflexions sur la sécurité alimentaire, l’alimentation et la recherche. Leurs commentaires et suggestions dans le rapport d’évaluation ont permis de peaufiner ce mémoire et nourrirons certainement mes projets futurs.

Je remercie le Nunavik Nutrition and Health Committee pour le support donné au projet et les conseils judicieux de ses membres à ses différentes étapes. Je tiens à remercier chaleureusement Amélie Bouchard Dufour de la Régie Régionale de la Santé et des Services Sociaux Nunavik (RRSSSN). Ses conseils, son expérience et son écoute m’ont été d’un grand recours.

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Merci également à mes amis et à ma famille pour leur patience, leur support et leurs encouragements. Un merci tout particulier à Claudia Fournier et à mon père Gaston qui ont attentivement relu et commenté ce mémoire.

Enfin, dans la réalisation de ce projet de maîtrise, j’ai eu la chance de bénéficier du soutien financier de plusieurs organismes. Je tiens à souligner le soutien financier du Conseil de Recherche en Sciences Humaines du Canda de même que le Centre pour la santé des Inuits et les changements environnementaux Nasivvik. Je remercie également la RRSSSN et Santé Canada pour le soutien financier lors du travail terrain au Nunavik.

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INTRODUCTION

La sécurité alimentaire chez les Inuit est une préoccupation majeure de santé publique. Certaines enquêtes populationnelles ont révélé des prévalences d’insécurité alimentaire jusqu’à dix fois plus élevées chez les Inuit que dans le reste de la population canadienne, ce qui est énorme et alarmant. Plusieurs facteurs défavorables à la sécurité alimentaire ont d’ailleurs été identifiés dans les communautés nordiques, dont de récents changements socio-économiques et environnementaux qui affectent l’accès aux aliments. Or, jusqu’à maintenant, la problématique a principalement été observée à partir d’un concept qui a été développé pour des non-Inuit, en dehors du contexte particulier des communautés de l’Arctique. Cela limite le développement et l’évaluation de programmes de sécurité alimentaire qui reflètent la réalité, les valeurs et les façons de concevoir le monde des Inuit (Ford et Beaumier, 2011; Inuit Tapiriit Kanatami (ITK) & the Inuit Circumpolar Council (ICC), 2012; Lambden, Receveur, et Kuhnlein, 2007; Power, 2008).

Telle que définie en santé publique, la sécurité alimentaire existe « lorsque tous les êtres humains ont, à tout moment, un accès physique et économique à une nourriture suffisante, saine et nutritive leur permettant de satisfaire leurs besoins énergétiques et leurs préférences alimentaires pour mener une vie saine et active (Gouvernement du Canada, 1998) ». Si le besoin de nourriture suffisante est fondamental à l’existence humaine, la perception de suffisance, le sentiment de manque ou d’insécurité relativement à la nourriture ne répondent pas nécessairement à des standards absolus (Webb et al., 2006). Les goûts et les besoins alimentaires varient d’une personne à l’autre et d’une culture à l’autre. De même, les pratiques relatives à la production, la préparation, le partage et la consommation des aliments propre à chaque culture vont influencer la façon d’accéder aux aliments et de faire face aux difficultés. Dès lors, la sécurité alimentaire est façonnée par la culture et le contexte.

L’alimentation contemporaine des Inuit du Canada est mixte : elle est basée sur des aliments du marché importés et des aliments produits localement provenant de la chasse, de la pêche et de la cueillette (Kuhnlein, Receveur, Soueida, et Berti, 2008). Ces derniers ont une grande valeur d’un point de vue social et culturel pour les communautés. Le lien entre

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ces aliments, l’identité et le bien-être des Inuit est d’ailleurs largement reconnu (Borré, 1991; Freeman, 2005; Searles, 2002; Stairs et Wenzel, 1992; Therrien et Laugrand, 2001). Néanmoins, le concept en ce moment utilisé en santé publique pour mesurer la sécurité alimentaire tient compte uniquement des aliments accessibles sur le marché. De plus, certains aspects culturels fondamentaux susceptibles d’influencer la sécurité alimentaire, dont l’importance du partage et de l’équité au sein des communautés inuites, ont été peu étudiés en regard de la problématique. Le besoin de mieux saisir le sens de la sécurité alimentaire du point de vue des Inuit a récemment été soulevé dans la littérature, et ce, dans le but de mieux intervenir et de mesurer la sécurité alimentaire plus adéquatement (Inuit Tapiriit Kanatami (ITK) & the Inuit Circumpolar Council (ICC), 2012; Lambden, et al., 2007; Power, 2008). Dans cette optique, l’objectif principal de la présente étude exploratoire est de mieux comprendre la sécurité alimentaire selon la perspective et le vécu d’Inuit vivant dans une communauté du Nunavik (Québec). Les objectifs spécifiques sont les suivants : 1) explorer les différentes significations que peut prendre l’expression « avoir assez d’aliments »; 2) explorer comment l’insécurité alimentaire se manifeste dans le contexte du Nunavik; 3) mieux comprendre les différentes stratégies utilisées au sein des familles inuites pour contrevenir à un manque d’aliments ou pour maintenir une alimentation satisfaisante et 4) dégager des dimensions de l’insécurité alimentaire et de la sécurité alimentaire propre au contexte inuit. Il est important de mentionner que cette recherche ne vise pas à développer une mesure de l’insécurité alimentaire propre au contexte inuit. Cependant, les dimensions de l’insécurité alimentaire et de la sécurité alimentaire qui en découleront amèneront des pistes de réflexion pour de futures recherches sur la mesure de la sécurité alimentaire.

Pour répondre à l’objectif de recherche, nous avons réalisé des entrevues semi-structurées avec des femmes de différentes générations, occupations et conditions socio-économiques de la communauté d’Inukjuak, au Nunavik. Les thèmes abordés se référaient aux expériences et aux perceptions concernant la situation alimentaire familiale. Un atelier de langue inuite avec des aînés de la communauté a également permis d’approfondir les concepts de satiété, de faim et d’autres sensations reliées aux aliments tels qu’ils sont exprimés dans la langue inuite, et ce, dans le but de mieux ancrer la compréhension de la sécurité alimentaire dans le contexte culturel. Ce mémoire est divisé en cinq sections. La

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première présente la recension des écrits. Elle débute avec la description du concept de sécurité alimentaire utilisé en santé publique et de son évolution afin de bien situer comment il est compris et utilisé actuellement en santé publique. Ensuite, un portrait de l’alimentation passée et actuelle des Inuit et des aspects socioculturels entourant l’alimentation permettent de mettre en contexte le sujet de l’étude. La section se termine par une analyse critique de la littérature existante sur la sécurité alimentaire des Inuit au Canada qui permet de dégager l’objectif de la présente étude. Les deux sections suivantes décrivent respectivement la méthodologie détaillée utilisée et les résultats de l’étude. Enfin, la quatrième section est une discussion sur les résultats, incluant les forces et limites de l’étude et certaines considérations méthodologiques pour de futures recherches. Des pistes de réflexion sur la mesure et les interventions de sécurité alimentaire dans le contexte du Nunavik y sont également incluses.

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I. RECENSION DES ÉCRITS

1.1 La sécurité alimentaire : définition et concept

Dans cette section, nous présenterons le concept de sécurité alimentaire et son évolution. La compréhension des bases sur lesquelles repose ce concept nous éclairera sur son utilisation actuelle en santé publique. Nous décrirons comment l’outil de mesure de l’insécurité alimentaire le plus utilisé en Amérique du Nord et ailleurs a été développé pour subséquemment réfléchir à ses forces et lacunes lorsqu’il est utilisé auprès des populations inuites. Enfin, nous nous questionnerons sur les dimensions universelles de la sécurité alimentaire, et nous dégagerons quatre grandes dimensions de la sécurité alimentaire qui serviront en partie de cadre conceptuel à cette étude.

1.1.1 Évolution théorique et pratique de la sécurité alimentaire

Durant les quatre dernières décennies, la littérature visant à conceptualiser et à définir la sécurité alimentaire s’est multipliée. Un grand nombre d’agences internationales de développement et de chercheurs ont porté un vif intérêt envers la problématique, et ce, particulièrement dans les années 1980 et 1990. Le concept s’est élargi et approfondi au fil des ans, mais il est aussi devenu plus complexe : il est passé d’une vision principalement axée sur la production et la disponibilité alimentaire au niveau national et mondial vers une approche plus nuancée basée sur l’accès des individus et des ménages aux aliments (Maxwell et Smith, 1992).

Les premières bases du concept de sécurité alimentaire ont été établies lors de la Conférence mondiale de l’alimentation de 1974 tenue dans un contexte de crise alimentaire mondiale. L’insécurité alimentaire était alors perçue principalement comme un problème d’approvisionnement alimentaire dont les manifestations évidentes étaient la faim et la malnutrition. Les politiques publiques pour enrayer le phénomène se sont concentrées sur la stabilité de l’approvisionnement alimentaire et des prix pour soutenir l’expansion de la

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consommation alimentaire mondiale (Pottier, 1999; United Nation, 1975). Au début des années 1980, les travaux de l’économiste Amartya Sen publiés dans le livre Poverty and

famine amenèrent une nouvelle perspective sur la sécurité alimentaire et contribuèrent à sa

redéfinition. Selon les observations de Sen (1982), la rareté des ressources alimentaires à elle seule était insuffisante pour expliquer les famines et la malnutrition. Les contraintes économiques, politiques ou sociales qu’avaient les individus à avoir accès aux aliments sur le marché ou par d’autres moyens contribuaient en bonne partie au problème.

Dans cette optique, de nombreux organismes nationaux et internationaux à travers le monde ont redéfini la sécurité alimentaire en mettant l’accent sur la notion d’ « accès ». En 1983, la FAO définissait la sécurité alimentaire de la façon suivante: « assurer à toute personne et à tout moment un accès physique et économique aux denrées alimentaires dont elle a besoin (dans Maxwell et Smith, 1993, traduction libre, p. 68)». Dans son rapport sur la pauvreté et la faim en 1986, la Banque Mondiale stipulait que pour que la sécurité alimentaire existe, il fallait « garantir l’accès à toute personne et en tout temps à des aliments en quantité suffisante pour mener une vie saine et active (World Bank, 1986, traduction libre, p. V) ». D’autres organisations et groupes d’experts de santé publique ont par la suite défini la sécurité alimentaire de manière semblable ou légèrement différente en mettant de l’avant quelques précisions ou différences conceptuelles. Par exemple, certaines définitions visent spécifiquement un groupe de personnes, tel que les ménages ou les communautés (Dietitians of Canada, 2007; Frankenburger et Goldstein, 1990; Hamm et Bellows, 2003), tandis que d’autres précisent l’importance d’un mode d’acquisition alimentaire qui respecte la dignité des personnes (Anderson, 1990; Hamelin, Beaudry, et Habicht, 2002; Kendall, Olson, et Frongillo, 1995). Certaines soulignent la nécessité de soutenir un système agroalimentaire durable (Dietitians of Canada, 2007; Hamm et Bellows, 2003; Staatz, 1990), ou encore de rendre les communautés autosuffisantes (Dietitians of Canada, 2007; Hamm et Bellows, 2003). Néanmoins, la définition la plus largement acceptée et endossée par le gouvernement canadien est celle qui découle d’un consensus d’experts au Sommet mondial de l’alimentation de 1996. Selon eux, la sécurité alimentaire existe « lorsque tous les êtres humains ont, à tout moment, un accès physique et économique à une nourriture suffisante, saine et nutritive leur permettant de satisfaire leurs

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besoins énergétiques et leurs préférences alimentaires pour mener une vie saine et active » (Gouvernement du Canada, 1998, p. 11).

Réaffirmée en 2002, cette large définition inclut tout comme celles qui l’ont précédée un approvisionnement alimentaire fiable et l’accès à des aliments en quantité suffisante en tout temps. Elle comporte cependant une nouvelle notion d’innocuité alimentaire et de nutrition adéquate qui répond aux besoins. Elle se distingue du fait qu’elle tient compte du contexte en soulignant l’importance des préférences alimentaires qui sont déterminées socialement et culturellement. Le concept n’est plus un but, mais une série d’actions qui contribuent à une vie saine et active (Clay, 2002). Les experts présents au Sommet de 1996 ont aussi reconnu que la pauvreté est une cause majeure de l’insécurité alimentaire et que la lutte à la pauvreté est essentielle pour améliorer l’accès aux aliments (Gouvernement du Canada, 1998).

Large, globale et faisant consensus, cette définition représente un cadre de référence pour situer les actions à entreprendre dans le Plan d’action du Canada pour la sécurité

alimentaire (Gouvernement du Canada, 1998). Elle est néanmoins complexe. En effet, la

relation entre l’accès à des aliments sains et nutritifs, le statut nutritionnel et la santé est complexe plutôt que simple et directe (Clay dans Pottier, 1999). Les besoins nutritionnels dépendent de l’âge, du sexe et de l’état de santé des individus (Maxwell, 1996). Le lien entre l’alimentation et la santé est aussi fortement culturel. Ces constats sont à l’origine d’un autre changement dans la façon de penser la sécurité alimentaire, soit d’une manière plus subjective, ce qui a mené à diverses recherches qualitatives pour capturer l’essence du problème à partir de ceux qui le vivent (Hamelin, Beaudry, et Habicht, 2002; Radimer, Olson, Greene, Campbell, et Habicht, 1992; Wolfe, Frongillo, et Valois, 2003). Au Canada et aux États-Unis, la demande croissante d’aide alimentaire dans les années 80 et 90 a été le premier signe d’une problématique sociale préoccupante dans un contexte d’abondance alimentaire, ce qui a mené à diverses études pour mieux cerner le problème (Riches, 2002; Tarasuk, 2001a).

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1.1.2 Conceptualisation et mesure de l’expérience de l’insécurité

alimentaire

Les travaux d’un groupe de chercheurs de l’Université Cornell aux États-Unis ont largement contribué à élaborer le concept de l’insécurité alimentaire dans le contexte américain, canadien et au-delà et ont permis l’élaboration d’un outil de mesure de l’insécurité alimentaire (Radimer, Olson, et Campbell, 1990; Radimer, Olson, Greene, Campbell, et Habicht, 1992). À partir d’entrevues qualitatives avec des femmes ayant un faible revenu du nord de l’État de New York, les chercheurs de Cornell ont fait ressortir la complexité et les multiples facettes de l’expérience de l’insécurité alimentaire. Des dimensions quantitatives, qualitatives, psychologiques et sociales ou normatives de l’insécurité alimentaire ont été dégagées ainsi que leurs manifestations au niveau individuel et des ménages. Elles sont illustrées au Tableau 1 ci-dessous.

Tableau 1

Les dimensions de l’insécurité alimentaire élucidée dans la recherche qualitative de Radimer (1990)1

Individual level Household level Quantitative Insufficient intake Food depletion

Qualitative Nutritional inadequacy Unsuitable food

Psychological Lack of choice, feelings of

deprivation Food anxiety

Social Disrupted eating patterns Food acquisition in socially unacceptable ways

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Les travaux subséquents de Hamelin et al. (2002) au Québec (Canada) ont révélé une catégorisation similaire à celle de Radimer et al. (1999), mais ont souligné le besoin de distinguer les composantes de base de la sécurité alimentaire, soit les dimensions quantitatives et qualitatives, de ses conséquences potentielles au niveau physique, psychologique et social (voir Tableau 1). De plus, Hamelin et al. (2002) ont dégagé une nouvelle composante, soit l’aliénation ressentie quant au manque d’aliment. Selon les auteurs, ce sentiment d’aliénation pourrait se développer dans le contexte d’une société d’abondance où la majorité des personnes n’expérimentent pas de manque d’aliments.

La dimension quantitative est centrale au concept de sécurité alimentaire (Maxwell, 1996; Radimer, et al., 1992; Tarasuk, 2001b). Elle réfère à des apports alimentaires insuffisants au niveau individuel et à l’épuisement des ressources alimentaires au niveau du ménage (Radimer, et al., 1992; Tarasuk, 2001b). Dans les entrevues effectuées par Radimer et al. (1992), le manque d’aliments au niveau individuel ou du ménage pouvait se présenter selon divers niveaux de sévérité, allant de sauter un repas à passer toute une journée sans manger. La faim et la malnutrition étaient des conséquences possibles, mais non certaines, de l’insécurité alimentaire (Radimer, et al., 1992). La dimension qualitative de l’insécurité alimentaire se rapporte quant à elle à une diète inadéquate du point de vue nutritionnel et à la consommation d’aliments qui sont considérés de moindre qualité (Radimer, et al., 1992; Tarasuk, 2001b). Hamelin et al. (2002) ont également fait ressortir l’aspect de la monotonie de la diète dans l’expérience de l’insécurité alimentaire. Les deux autres dimensions de l’insécurité alimentaire, soit psychologique et sociale, ne sont pas directement reliées aux aliments, mais n’en sont pas moins importantes du point de vue de la santé. Il a été démontré que l’incertitude et l’anxiété par rapport à l’accès aux aliments ont un impact significatif sur la santé mentale et physique, même si l’individu ou le ménage n’a pas expérimenté un véritable manque d’aliments (Hamelin, Habicht, et Beaudry, 1999; Willows, Iserhoff, Napash, Leclerc, et Verrall, 2005; Winicki et Jemison, 2003). La dimension sociale correspond à la déviation par rapport aux normes sociales dans l’acquisition, la sélection ou la consommation d’aliments et a notamment été associée à l’exclusion sociale (Tarasuk, 2001b).

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Les différents travaux entrepris sur l’insécurité alimentaire ont également démontré que les familles qui la vivent font appel à toutes sortes de stratégies pour l’éviter ou la gérer. Par exemple, la quantité est souvent préservée aux dépens de la qualité. On a également remarqué des différences au sein des membres d’une même famille quant à la sévérité de l’insécurité alimentaire. Les parents, particulièrement les mères, ont tendance à se priver pour nourrir leurs enfants. On remarque également différents types d’insécurité alimentaire, que l’on caractérise de transitoire ou de chronique, ou encore de saisonnière (Tarasuk, 2001b).

Une mesure de l’insécurité alimentaire, le Household Food Security Survey Module (HFSSM), a été développée à partir des différents items révélés dans l’étude de Cornell (Bickel, Nord, Price, et al., 2000; Kendall, et al., 1995; Radimer, et al., 1992). Au Canada, on utilise ce questionnaire légèrement modifié dans les enquêtes populationnelles depuis 2004. Il comprend 18 énoncés se rapportant à des situations caractéristiques de l’expérience de l’insécurité alimentaire en lien avec la capacité financière des ménages d’avoir accès à des aliments adéquats, et ce, au cours des douze mois précédents (Santé Canada, 2007). Le questionnaire est présenté à l’Annexe 1. Dix des énoncés se rapportent aux adultes ou au ménage en général et huit énoncés se rapportent spécifiquement aux enfants. Ce questionnaire permet de mesurer la sécurité alimentaire selon une échelle de sévérité : sécurité alimentaire, insécurité alimentaire modérée et insécurité alimentaire sévère (Santé Canada, 2007). Il permet de différencier l’insécurité alimentaire chez les enfants de celle chez les adultes d’un même ménage. Le HFSSM est à ce jour la mesure la plus valide de la sécurité alimentaire puisqu’elle est ancrée dans une compréhension approfondie du phénomène et a été validée auprès de différentes populations (Coates et al., 2006; Frongillo, 1999; Webb, et al., 2006). Ces limites se situent au niveau de son caractère unidimensionnel. Bien qu’elle permette de différencier l’insécurité alimentaire chez les adultes de celle chez les enfants, elle ne permet pas de connaître le niveau d’insécurité alimentaire de chacun des membres d’un ménage. La mesure ne permet pas non plus de connaître la durée et la fréquence de l’expérience de l’insécurité alimentaire (Webb, et al., 2006). De plus, les dix-huit items se restreignent principalement aux dimensions qualitatives et quantitatives. Les dimensions psychologiques et sociales élucidées dans les études qualitatives ne sont pas bien prises en compte. Pour l’instant, l’anxiété au niveau du

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ménage est le seul aspect psychologique identifié comme partie intégrante de l’insécurité alimentaire dans la mesure (Tarasuk, 2001b).

En plus de suivre l’état de la sécurité alimentaire dans les populations et de permettre d’évaluer les effets d’intervention, le HFSSM permet de faire des corrélations pour mieux comprendre les différents facteurs de risque de l’insécurité alimentaire (Webb, et al., 2006). Le revenu est le principal déterminant de l’insécurité alimentaire dans les pays occidentaux (Che et Chen, 2001; Rose, 1999). Les familles monoparentales et celles qui dépendent de l’assistance sociale comme source de revenus sont aussi plus à risques de souffrir d’insécurité alimentaire (Vozoris et Tarasuk, 2003). Les conséquences physiques, psychologiques et sociales sont nombreuses. Les personnes qui souffrent d’insécurité alimentaire ou qui en ont souffert par le passé reportent un état de santé moindre, un soutien social faible, plus de problèmes de santé chronique, de stress et d’états dépressifs (McIntyre, Williams, Lavorato, et Patten, 2013; Vozoris et Tarasuk, 2003). La sécurité alimentaire est dès lors considérée comme un important déterminant social de santé au Canada en raison de ses conséquences sur la santé, mais aussi comme un problème en lui-même dans un pays où les aliments sont généralement disponibles et abondants (Campbell, 1991). Ces dernières années, un intérêt particulier dans la littérature scientifique et les médias a été porté à l’insécurité alimentaire chez les Inuit et les Premières Nations en raison des prévalences élevées mesurées avec le HFSSM (Dawson, 2012; De Schutter, 2012; Huet, Rosol, et Egeland, 2012; Rosol et al., 2011; Willows, Iserhoff, Napash, Leclerc, et Verrall, 2005).

1.1.3 Sécurité alimentaire et universalité

Il ne fait aucun doute que le besoin de nourriture suffisante, saine et nutritive soit universel. Le droit à l’alimentation, reconnu pour la première fois en 1948, est un des droits de l’homme les plus fondamentaux (Damman, Eide, et Kuhnlein, 2008; Organisation des Nations Unies, 1948). Le rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à l’alimentation le défini le comme suit:

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« Le droit d’avoir un accès régulier, permanent et non restrictif, soit directement ou au

moyen d’achats financiers, à une alimentation quantitativement et qualitativement adéquate et suffisante qui correspond aux traditions culturelles du peuple auquel le consommateur appartient, et qui lui procure une vie physique et mentale, individuelle et collective, épanouissante et exempte de peur (De Schutter, 2013) ».

Chaque État est tenu de remplir et de renforcer le droit à l’alimentation en mettant en œuvre des politiques et des programmes pour améliorer la sécurité alimentaire de la population (Damman, et al., 2008; Oshaug, Eide, et Eide, 1994). Pour mieux cibler et évaluer les interventions de sécurité alimentaire dans une population donnée, il est important de comprendre comment elle est perçue et vécue et de trouver une méthode pour différencier les personnes selon leurs différents degrés d’insécurité alimentaire (Power, 2008; Webb, et al., 2006). L’expérience de l’insécurité alimentaire varie en effet d’une culture et d’un endroit à l’autre. Par exemple, le sentiment de manque au niveau alimentaire exprimé par une personne dépend de ses valeurs culturelles et personnelles et peut coïncider ou non avec des standards externes ou absolus (Webb, et al., 2006). Il faut également arriver à voir quelles facettes de la sécurité alimentaire sont plus importantes que d’autres dans un endroit donné (Webb, et al., 2006). Enfin, le lien de causalité entre les déterminants de la sécurité alimentaire et la situation alimentaire d’une personne ou d’un groupe de personnes ne se présente pas toujours de la même manière. Par exemple, le revenu est un déterminant important de la sécurité alimentaire, mais il n’y sera pas reliée de la même façon pour les personnes qui ont une agriculture d’autosuffisance ou encore ceux qui dépendent d’aliments provenant de la chasse, la pêche et la cueillette (Webb, et al., 2006).

Coates et al. (2006) ont fait ressortir les aspects communs de l’expérience de l’insécurité alimentaire à travers différentes cultures et endroits du monde en comparant une vingtaine d’études sur le sujet. Selon eux, il semble que les quatre dimensions fondamentales de l’expérience de l’insécurité alimentaire dégagées dans l’étude de Cornell (voir Tableau I, p.7) soient universelles. Il existerait toutefois des sous-dimensions spécifiques au contexte qui sont importantes à considérer. De récentes recherches ont voulu faire ressortir certains aspects uniques de la sécurité alimentaire pour des sous-groupes de la population nord-américaine tels que les personnes âgées et les immigrants (Quandt, Arcury, McDonald,

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Bell, et Vitolins, 2001; Wolfe, Frongillo, et Valois, 2003). À notre connaissance, très peu de recherches publiées à ce jour ont tenté de comprendre la sécurité alimentaire selon la perspective et le vécu des différents peuples autochtones à travers le Canada. Pourtant, le mode d’acquisition alimentaire et le lien entre les aliments, la santé et l’identité culturelle de ces peuples présentent souvent des caractéristiques uniques qui sont à même d’influencer la façon de concevoir la sécurité alimentaire (Power, 2008). La prochaine section aborde les aspects de l’alimentation propre aux communautés inuites de l’Arctique Canadien.

1.2 Alimentation des Inuit du Canada

Cette section vise à mettre en contexte le sujet de l’étude en dressant un portrait de l’alimentation des Inuit. Elle est basée sur la recension des principales enquêtes et recherches épidémiologiques sur la nutrition des Inuit d’une part, et sur la littérature ethnographique et culturellement orientée d’autre part. Nous décrirons d’abord l’évolution de la composition de la diète des Inuit depuis le milieu du XXe siècle jusqu’à aujourd’hui. Nous verrons comment certaines problématiques de santé émergentes dans les communautés inuites sont liées aux récents changements dans l’alimentation. Puisque nous considérons que la notion d’« accès » aux aliments est centrale pour comprendre la sécurité alimentaire, nous décrirons ensuite les différents moyens utilisés par les familles et les communautés inuites pour se procurer des aliments. Finalement, nous présenterons quels liens les Inuit établissent entre les aliments, l’identité et le bien-être, ce qui est à même d’influencer le sens de la sécurité alimentaire et l’expérience de l’insécurité alimentaire.

1.2.1 Nutrition et consommation alimentaire : passé et présent

À partir de la deuxième moitié du XXe siècle, les Inuit se sont rapidement sédentarité et intégré à l’économie de marché dominante. Ils ont dès lors eu un accès croissant à des denrées alimentaires importées. Avant, la diète inuite était principalement composée de viande et de gras de mammifères marins et terrestres, d’oiseaux (oie, ptarmigan) et de poissons. Les baies, racines et feuilles de plante abondantes durant l’été et au début de l’automne complémentaient la diète, mais la consommation de végétaux demeurait faible

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(Brody, 1982; Draper, 1977; Fletcher, 2004; Graburn, 1969). Cette alimentation riche en protéines et en gras animal semblait bien adaptée au mode de vie et au climat nordique (Wing et Brown, 1979). On peut cependant se demander comment une diète aussi faible en glucides pouvait subvenir aux besoins d’un mode de vie actif comme celui des chasseurs. Les glucides sont en effet la source la plus importante d’énergie pour les muscles. Certaines hypothèses adaptatives avancent le fait que le métabolisme des acides cétoniques, qui transforment les gras en sucres, serait particulièrement développé chez les Inuit (Draper, 1977). D’autres proposent que le sucre contenu dans le sang des mammifères ait pu pallier une diète faible en fruits et en grains, principales sources de glucides dans d’autres cultures (Wing et Brown, 1979).

Si la diète inuite était plutôt simple dans sa composition par le passé, les Inuit utilisaient différentes techniques pour varier le goût et la conservation des vivres. Ces techniques sont toujours utilisées aujourd’hui. Dans son livre Living Artic, Brody (1990) décrit qu’autrefois, lorsque les chasseurs ramenaient un animal au camp, une partie de la viande était consommée crue. Certaines parties de la viande pouvaient ensuite être bouillies, gelées ou séchées. Le gras des mammifères marins, appelé misirak, servait de trempette pour la viande. Une technique particulière était de mélanger de la viande à du gras dans des proportions spécifiques, puis de la faire vieillir dans une peau de phoque entreposée dans une cache sous des roches. Si elle était faite correctement, la viande faisandée pouvait se conserver ainsi très longtemps sans devenir impropre à la consommation, ce qui permettait un accès à une source alimentaire en cas de pénurie. Appelée igunaq, cette viande à saveur forte et distinctive est encore aujourd’hui fort appréciée de certains Inuit.

Les Inuit de l’Arctique canadien ont à présent accès à divers aliments frais et transformés importés du « Sud » (Searles, 2002). Différents fruits et légumes, viandes d’élevage, produits céréaliers et produits transformés se retrouvent dans les repas partagés entre amis et avec la famille, sans compter la malbouffe. Néanmoins, les aliments traditionnels, c’est-à-dire « les espèces animales et végétales culturellement identifiées comme des aliments et récoltées à partir de l’environnement local (Kuhnlein, Receveur, Soueida, et Egeland, 2004,traduction libre, p.1448)», contribuent de façon significative aux apports alimentaires

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(Blanchet et al., 2000; Blanchet et Rochette, 2008; Johnson-Down et Egeland, 2010; Searles, 2002).

Au Nunavik, l’enquête de santé de 2004 chez les adultes a montré que 16 % de l’énergie totale de la diète provenait des aliments traditionnels. La contribution des aliments traditionnels à l’apport énergétique était plus grande chez les Inuit plus âgés (28 %) que chez les jeunes adultes (11 %). On remarque également des fluctuations dans le type et la fréquence de consommation d’aliments traditionnels selon les saisons et entre les communautés (Blanchet et Rochette, 2008). Comparés aux résultats de l’enquête de Santé Québec de 1992 dans la même région, les résultats du questionnaire de fréquence montrent une diminution significative de la consommation d’aliments traditionnels (Blanchet et Rochette, 2008). Au Nunavut, l’enquête de santé de 2010 auprès des enfants démontre qu’en moyenne, 8.4 % de l’énergie totale de la diète provient des aliments traditionnels. En revanche, 35 % de l’énergie totale de la diète provient des aliments et boissons pauvres en nutriments et denses en énergie (Johnson-Down et Egeland, 2010).

Ainsi, on peut dégager deux grandes tendances: d’une part, la consommation d’aliments traditionnels tend à diminuer dans les communautés en comparaison avec la période d’avant la sédentarisation. D’autre part, les générations plus jeunes consomment généralement moins d’aliments traditionnels que leurs aînés au profit d’aliments du marché souvent pauvres en nutriments et denses en énergie (Kuhnlein, et al., 2004). Ce phénomène, nommé « transition nutritionnelle », a largement été documenté chez les Inuit (Blanchet, et al., 2000; Hopping et al., 2010; Kuhnlein et Receveur, 1996; Kuhnlein, et al., 2004; Sheikh, Egeland, Johnson-Down, et Kuhnlein, 2011; Thouez, Rannou, et Foggin, 1989). Il a été associé à une augmentation des risques d’obésité et de maladies chroniques telles que le diabète de type 2, les maladies cardiovasculaires et le cancer (Galloway, Young, et Egeland, 2010; Kuhnlein, et al., 2004; Sheikh, et al., 2011; Zienczuk, Young, Cao, et Egeland, 2012). Plusieurs facteurs complexes et interreliés pourraient expliquer cette transition. L’augmentation des emplois salariés dans les communautés qui limitent le temps pour les activités de production d’aliments traditionnels en fait partie. Le manque d’argent chez certains pour l’achat d’équipement de chasse et de pêche, souvent très coûteux, y joue probablement aussi pour beaucoup. Il existe également des facteurs défavorables à la

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transmission des connaissances de chasse/pêche aux plus jeunes, dont la fréquentation obligatoire de l’école où l’enseignement est occidentalisé, le manque d’intérêt ou encore l’augmentation de la pratique de sports récréatifs. Une plus grande accessibilité aux aliments importés et des changements de préférences alimentaires sont également à considérer (Chan et al., 2006; Condon, Collings, et Wenzel, 1995; Gombay, 2010b; Kuhnlein et Receveur, 1996).

À notre connaissance, peu d’études récentes se sont intéressées aux liens que les générations plus jeunes entretiennent avec la terre et les aliments traditionnels. Ces études mettent généralement en relief les habitudes de consommation, de même que les préférences alimentaires des jeunes par rapport à leurs aînés. D’ailleurs, il semble que les jeunes aient tout de même une forte préférence pour les aliments traditionnels, bien que les études à ce sujet ne soient pas récentes (Wein et Freeman, 1992; Wein, Freeman, et Makus, 1996). Une enquête a également révélé que les générations plus jeunes d’Inuit, tout comme les plus âgés, attribuent aux aliments traditionnels de nombreux bienfaits au niveau socioculturel et de la santé en général (Lambden, et al., 2007). De même, bien que les jeunes soient moins actifs dans les activités de subsistance que leurs aînés, certains jeunes hommes continuent de faire des efforts considérables pour fournir des aliments traditionnels à leur parenté proche et élargie (Collings, 2009; Condon, et al., 1995; Pearce et al., 2011). En bref, les réalités de la vie moderne font en sorte qu’une alimentation basée exclusivement sur la subsistance n’est plus vraiment possible, mais les aliments traditionnels demeurent significatifs pour le bien-être et l’identité, pour les jeunes comme pour les aînés.

De nombreuses recherches épidémiologiques ont permis de démontrer les bienfaits reliés à la consommation d’aliments traditionnels (Blanchet, et al., 2000; Kuhnlein et Receveur, 2007; Lucas et al., 2004; Young, Moffatt, et O’Neil, 1993). En plus d’être riches en vitamines et minéraux tels que la vitamine A et D, le fer, le magnésium et le zinc (Blanchet, et al., 2000; Kuhnlein et Receveur, 2007), ils pourraient contribuer à la santé cardiovasculaire grâce aux gras mono et insaturés, aux antioxydants et aux composés phytochimiques qu’ils contiennent (Dewailly et al., 2001; Young, et al., 1993). Ces recherches confirment généralement ce que de nombreux Inuit pensent par rapport aux

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aliments traditionnels, c’est-à-dire qu’ils sont les meilleurs pour eux (Gombay, 2010b). En outre, le lien qu’établissent les Inuit entre la santé et les aliments traditionnels va bien souvent au-delà des bénéfices physiologiques. Il s’inscrit dans une perspective holistique de la santé et une vision du monde propre à la culture inuite.

1.2.2 Approvisionnement alimentaire des familles inuites

Un peu après la Deuxième Guerre mondiale, le gouvernement prévoyait que la chasse et la pêche de subsistance allait disparaître (Brody, 1982). Or, tous les types d’animaux mentionnés précédemment sont encore chassés régulièrement aujourd’hui. Au Nunavik, chaque saison offre une variété particulière d’animaux et de végétaux. Fletcher (2004) observe que le caribou, le phoque et le poisson sont généralement disponibles à l’année. Les oiseaux migrateurs, le béluga et la baleine sont chassés aux printemps et à l’été. Vers la fin de l’été et au début de l’automne, la chasse au caribou s’intensifie, d’autant plus qu’il est plus gras à cette période de l’année. C’est également à ce moment que se fait la cueillette des petits fruits. Une grande variété pousse au Nunavik, dont la camarine noire, les bleuets et la chicouté (Cuerrier, 2012).

Le partage d’aliments traditionnels fait partie intégrante de la culture inuite. La littérature ethnographique sur le sujet est considérable (Gombay, 2005, 2009; Kishigami, 2004; Labrèche, 2006; Lévesque, de Juriew, Lussier, et Trudeau, 2002; Saladin d'Anglure, 1967; Searles, 2002; Wenzel, 1995; Wenzel, 2000). Autrefois, le partage d’aliments permettait de mieux faire face aux variations saisonnières et d’optimiser la distribution des ressources au sein d’un groupe (Gombay, 2010b; Labrèche, 2006; Wenzel, 2000). De façon générale, les Inuit vivaient en plus grands groupes durant l’hiver et étaient plus dispersés l’été (Gombay, 2010b; Labrèche, 2006). Dans les périodes de pénurie alimentaire qui survenaient le plus souvent à la fin de l’hiver, les chasseurs partageaient leurs prises avec tout le monde (Labrèche, 2006). Les produits alimentaires devenaient des biens collectifs (Saladin d'Anglure, 1967). Être bon chasseur, généreux et partager la nourriture au sein du ilagiit1

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selon des normes sociales établies était et est encore aujourd’hui valorisé dans la culture inuite (Freeman, 2005; Labrèche, 2006; Stairs, 1992; Wenzel, 2000).

Au courant du XXe siècle, à mesure que les denrées des non-Inuit se sont faites plus abondantes et que les Inuit se sont sédentarisés, les épisodes de pénuries alimentaires ont diminué en intensité et sont devenus rares (Graburn, 1969; Searles, 2002). Selon plusieurs auteurs, le partage s’est transformé et adapté à la modernité (Duhaime et al., 2003; Searles, 2002; Stern, 2005; Wenzel, 2000). Les produits non-Inuit se sont peu à peu intégrés dans les réseaux locaux de partage d’aliments, bien que les aliments traditionnels représentent la majorité des produits partagés. Également, les nombreux changements socio-économiques ont amené les Inuit à redéfinir l’éthique du partage. Par exemple, Searles (2002) a observé que certains travailleurs à temps plein qui ne peuvent pas chasser régulièrement peuvent participer indirectement à la production d’aliments traditionnels en contribuant à l'achat du matériel des chasseurs.

Il existe au Nunavik un programme de support aux chasseurs, qui a été créé en vertu de la Convention de la Baie James et du Nord québécoisen 1975. Ce programme subventionné par le gouvernement provincial vise à encourager la chasse comme mode de vie et supporte financièrement les activités de chasse et de pêche, l’accès aux territoires éloignés ainsi que les échanges de produits entre les communautés. Il est unique en son genre au Canada puisqu’il est protégé par un accord légal et laisse aux communautés la gestion du budget qui est alloué proportionnellement à la taille de la population (Thériault, 2009). Plusieurs communautés possèdent un congélateur communautaire où les chasseurs peuvent vendre une partie ou la totalité de leurs prises. Le prix est déterminé par le conseil municipal. La viande ou le poisson sont par la suite entreposés et laissés à la disposition des personnes qui en ont besoin, et ce, gratuitement (Duhaime, 1990). Ainsi, pour plusieurs Inuit qui considèrent que les aliments traditionnels devraient être partagés et non vendus, le programme est considéré comme acceptable et est vu comme une nouvelle forme de partage dans les communautés modernes (Gombay, 2005, 2009; Kishigami, 2000). Si tous les Inuit résidents de la communauté y ont accès, les administrateurs du programme dans les communautés peuvent favoriser certains sous-groupes, comme les personnes âgées et les mères monoparentales, lorsque la quantité de viande est limitée (observations

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personnelles2). Également, lorsqu’une viande d’exception comme le béluga est disponible dans la communauté, les autorités qui gèrent le programme s’assurent que chaque maisonnée en reçoive une part égale (observations personnelles).

Quelques études ont tenté de quantifier les échanges et dons de nourriture au sein de communautés inuites modernes du Canada et d’ailleurs (Duhaime, et al., 2003; Poppel, Kruse, Duhaime, et Abryutina, 2007). Le Household Food Supply Networks in the

Circumpolar Arctic a dressé un portrait des réseaux d’approvisionnement alimentaire

formels et informels des ménages inuits du Nunavut, du Nunavik, du Labrador et du Groenland (Duhaime, et al., 2003). L’objectif de l’enquête était de rendre compte du recours, ou du non-recours, à trois types de transaction : le don, le prêt et l’achat alimentaire. Les résultats démontrent qu’une majorité des ménages aurait effectué un don (92.3%) et un prêt (50.9%) dans l’optique d’un approvisionnement alimentaire au courant de la semaine précédant l’entretien (Duhaime, Chabot, et Gaudreault, 2002). C’est au Nunavik qu’il y aurait eu le plus de mentions de don par rapport aux autres régions (Duhaime, et al., 2002).

Les aliments du marché représentent une part de plus en plus importante de l’alimentation des Inuit, que ce soit pour ceux qui n’ont pas accès aux aliments traditionnels, ceux qui les préfèrent à ceux-ci ou encore pour amener de la variété à l’alimentation (Gombay, 2010b). Puisqu’aucune voie terrestre ne relie le Nunavik au reste de la province de Québec, l’approvisionnement alimentaire des aliments du marché se fait uniquement par bateau et par avion. Le bateau représente une solution plus économique que l’avion pour la livraison de denrées non périssables et d’autres articles de nécessité. Il passe deux fois par année dans les communautés du Nunavik : au début de l’été et à l’automne (observations personnelles). L’avion est une avenue plus coûteuse, mais s’avère nécessaire pour le transport des denrées périssables, ou lorsque les glaces empêchent la livraison par bateau. Quelques familles inuites achètent des aliments du Sud directement par cargo ou par commande de bateau. À titre indicatif, seulement 3% des familles inuites de Kangiqsujuaq au Nunavik ont fait une commande par bateau en 2002 (Lawn et Harvey, 2004). La variété

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et la qualité des aliments du marché peuvent varier beaucoup d’un village à l’autre. À Kangiqsujuaq, en 2002, 57% des familles ont jugé que la variété des fruits et légumes était « parfois » suffisante (Lawn et Harvey, 2004). Il n’y a pas d’autres études à notre connaissance qui aient mesuré la satisfaction des consommateurs quant à la variété ou la qualité des aliments disponibles au Nunavik.

Le programme Aliment poste permettait jusqu’à tout récemment de diminuer les coûts des aliments sains transportés par avion dans les communautés nordiques (Gouvernement du Canada, 2012). Depuis 2012, le programme est remplacé par Nutrition Nord Canada. Ce nouveau programme a réduit considérablement la liste des aliments non périssables éligibles pour augmenter la contribution donnée aux aliments sains périssables (Gouvernement du Canada, 2012). Son accueil mitigé dans les communautés nordiques a cependant retardé sa mise en application et les administrateurs du programme ont misé sur une application des règles du nouveau programme plus graduelle pour laisser le temps aux magasins d’alimentation et aux communautés de s’adapter. Outre ce programme, l’administration régionale Kativik offre un programme d’aide pour diminuer le prix de certaines denrées alimentaires et des articles de nécessité (Gouvernement régional Kativik, 2013). Néanmoins, une récente étude montre que les produits alimentaires sont en moyenne 81% plus chers au Nunavik que dans la ville de Québec (Duhaime et Caron, 2012).

En regard du coût élevé des aliments du marché, les aliments qui proviennent de la chasse, de la pêche et de la cueillette peuvent être vus comme une alternative économique et avantageuse. Des recherches quantitatives à travers le Canada ont démontré que ces aliments ont une valeur économique considérable par rapport aux aliments du marché équivalents sur le plan nutritionnel (Berkes et al., 1994; Chabot, 2003; Usher, 1971). S’il est intéressant de quantifier la valeur nutritive et économique des aliments traditionnels, les Inuit accordent généralement de la valeur aux aliments traditionnels pour des raisons autres qu’économiques ou nutritionnelles (Gombay, 2010b). Comme nous le verrons dans la section suivante, la production, le partage et la consommation d’aliments traditionnels reposent sur une série d’actions significatives qui relient le chasseur à sa communauté et à son environnement et qui contribuent au sentiment identitaire et au bien-être de la communauté.

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1.2.3 Alimentation, santé et identité culturelle

Les Inuit accordent généralement une grande valeur aux aliments traditionnels quant à leurs effets sur la santé du corps et de l’esprit des individus (Borré, 1991, 1994; Chan, et al., 2006; Lambden, et al., 2007; Searles, 2002). Or, contrairement au modèle biomédical qui relie l’effet des nutriments ou d’une diète particulière à la santé physique ou mentale, les Inuit établissent un lien global entre les aliments et le bien-être qui implique de multiples et complexes relations avec l’environnement et les autres membres de la communauté (Borré, 1991; Therrien et Laugrand, 2001). L’état de santé dépend de la qualité des relations personnelles, la qualité de la relation avec l’environnement, les animaux, les personnes décédées et les esprits (Therrien, 1995; Therrien et Laugrand, 2001). La santé d’un individu est intégrée au sein du bien-être de la communauté, tel que résumé dans l’extrait suivant : « “In fact, health is conceived less as a personal matter, as in Western societies, than as a harmonious order in which the person is integrated in an encompassing social, temporal, spiritual and non-empirical environment (Therrien et Laugrand, 2001, p. 1)” ».

Le corps et l’esprit sont considérés comme complémentaires et sont unifiés par les interactions sociales. Un esprit sain permet un corps sain et vice-versa (Borré, 1991, 1994; Therrien et Laugrand, 2001). Pour les Inuit de Clyde interviewés par Borré (1991), tout le processus allant de la production à la consommation d’aliments traditionnels permet au corps et à l’esprit de s’unifier. Le maintien du cycle humain-animal est également important pour assurer le bien-être. Les animaux sont considérés égaux aux hommes. Ils partagent un même environnement avec lui. La relation homme-animal en est une de co-dépendance : en tuant le phoque, le chasseur peut nourrir sa famille et la population de phoques peut survivre et se reproduire. Certains Inuit croient que s’ils ne chassent pas correctement, les animaux vont disparaitre parce qu’ils auront été offensés (Freeman, 2005; Gombay, 2010b). En distribuant la viande de l’animal tué, le chasseur permet de maintenir un ordre social et de permettre aux autres membres de la communauté, même ceux qui ne chassent pas, de vivre cette relation privilégiée avec la nature (Borré, 1991).

Pour les Inuit, les aliments sont fortement reliés à l’identité. Par leurs choix alimentaires ainsi que par tout le processus qui va de la production à la consommation des aliments, ils

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expriment leur identité personnelle et collective et se situent par rapport au reste du monde (Searles, 2002). Le célèbre adage « on est ce qu’on mange » prend tout son sens dans la culture inuite (Freeman, 2005). En effet, de nombreux aînés Inuit considèrent que leur corps est « fait » des aliments traditionnels qu’ils ont consommés. Par exemple, les Inuit de Clyde River interviewés par Borré considèrent que le sang de phoque est présent dans tous les Inuit et qu’il permet la vie. De manière générale, les Inuit font une distinction nette entre les aliments du marché et ceux qui proviennent de la chasse, de la pêche et de la cueillette. Ils nomment ces derniers niqituinnaq, ce qui signifie littéralement les « vrais aliments » (Gombay, 2010b).

Pour conclure, la production, le partage et la consommation d’aliments traditionnels permettent de cultiver et de préserver des valeurs importantes dans la culture inuite, dont la générosité, la collaboration, la patience, l’endurance et la modestie (Stairs, 1992; Stairs et Wenzel, 1992). La non-propriété des biens alimentaires est une caractéristique importante de la culture inuite. Les Inuit font d’ailleurs une distinction entre eux et « les autres » du fait de leur système de partage d’aliments et du fait qu’ils dépendent des uns et des autres (Searles, 2002; Stairs et Wenzel, 1992).

1.3 La sécurité alimentaire chez les Inuit du Canada:

analyse critique de la littérature existante

Depuis les dix dernières années, les chercheurs et professionnels de santé publique se préoccupent de plus en plus de la situation de la sécurité alimentaire dans l’Arctique canadien. Plusieurs facteurs de vulnérabilité à l’insécurité alimentaire y ont été identifiés, dont le faible statut socio-économique des populations, le coût élevé des aliments et les changements environnementaux. À l’été 2012, la population du Nunavut a fait entendre sa voix sur la problématique en créant le groupe Feeding my family (Dawson, 2012). Par l’entremise de ce groupe, plusieurs manifestations ont été organisées au Nunavut et à Ottawa pour protester contre le coût élevé des aliments dans les communautés nordiques. Plus récemment, le rapporteur de l’ONU pour le droit à l’alimentation en mission au Canada a fait état de la grave situation d’insécurité alimentaire dans les communautés

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nordiques (De Schutter, 2012). La sécurité alimentaire est donc un sujet d’actualité au moment de la rédaction de ce mémoire.

Autrefois, la sécurité alimentaire des Inuit dépendait principalement de la disponibilité des animaux et de l’habileté des chasseurs à chasser (Emudluk, 2008). Certains documents d’archives font le récit de périodes de famine particulièrement difficiles chez les Inuit du Canada qui se produisaient surtout à la fin de l’hiver lorsque les réserves de nourriture étaient épuisées et l’accessibilité aux animaux compromise (Czonka, 1992; Graburn, 1969). Plusieurs Inuit aujourd’hui âgés de plus de quarante ans ont été marqués par de tels épisodes dans leur jeunesse (Gombay, 2010b). Si les Inuit ne vivent plus ce genre de situation aujourd’hui, il n’en demeure pas moins que les récents changements socio-économiques et environnementaux affectent l’accès aux aliments traditionnels et du marché. Les principaux facteurs de vulnérabilité à l’insécurité alimentaire qui ont été identifiés pour les Inuit du Canada sont le faible statut socio-économique (Bernard et Duhaime, 2005; Duhaime, 2009; Duhaime et Bernard, 2008), le coût élevé des aliments commerciaux et du matériel de chasse (Chan, et al., 2006; Duhaime et Caron, 2012; Lambden, et al., 2007), les facteurs de stress environnementaux (Donaldson et al., 2010; Ford, 2009; Ford, Berrang-Ford, King, et Furgal, 2010; Furgal et Seguin, 2006; Prowse, Furgal, Wrona, et Reist, 2009; Tremblay et al., 2008; Van Oostdam et al., 2005), les changements dans les préférences alimentaires (Kuhnlein et Receveur, 1996; Kuhnlein, et al., 2004; Wein, et al., 1996) et les problèmes de dépendance à l’alcool et aux drogues (Ford et Beaumier, 2011). D’un autre côté, nous avons vu à la section précédente que les mécanismes et réseaux de partage d’aliments dans les communautés inuites sont encore bien présents aujourd’hui (Gombay, 2010a, 2010b; Kishigami, 2000, 2004; Searles, 2002). Selon certains auteurs, ils ne seraient pas suffisants pour assurer un accès adéquat dans le cas de ménages à faible revenu où il n’y a pas de chasseur (Chabot, 2003, 2008; Duhaime, et al., 2002). Néanmoins, le lien entre la sécurité alimentaire et les réseaux de partage d’aliments demeure mal compris (Chan, et al., 2006; Duhaime, et al., 2002; Power, 2008).

La prévalence de l’insécurité alimentaire se situerait entre 40 et 86% dans les communautés inuites du Nunavut et du Nunavik (Egeland, Pacey, Cao, et Sobol, 2010; Lawn et Harvey, 2003, 2004; Rosol et al., 2011), ce qui est beaucoup plus élevé que la moyenne des

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ménages canadiens, soit 7.7% (Santé Canada, 2012). La validité de l’outil présentement utilisé pour mesurer la prévalence de l’insécurité alimentaire chez les Inuit, une version très légèrement modifiée du HFSSM, est toutefois mise en doute par certains acteurs sociaux. Le HFSSM est basé sur une compréhension en profondeur de l’expérience de l’insécurité alimentaire vécue par des familles américaines à faible revenu (Radimer, et al., 1992). Bien qu’il s’agisse de l’outil existant le plus largement validé (Tarasuk, 2001b; Wolfe et Frongillo, 2000), il se concentre sur l’habileté des ménages à se procurer des aliments du marché et ne prend pas en compte toute l’expérience entourant la consommation et le partage des aliments traditionnels (Inuit Tapiriit Kanatami (ITK) & the Inuit Circumpolar Council (ICC), 2012; Power, 2008).

Plusieurs auteurs ont émis des hypothèses sur les raisons des prévalences élevées d’insécurité alimentaire chez les Inuit du Canada (Egeland, et al., 2010; Lawn et Harvey, 2003, 2004; Rosol, et al., 2011). Toutefois, peu de recherches ont tenté de comprendre la situation à partir de la parole des Inuit (Beaumier et Ford, 2010; Ford et Beaumier, 2011; Power, 2008). Il existe en effet très peu d’études qualitatives sur la sécurité alimentaire chez les Inuit du Canada, ce qui constitue une lacune dans la compréhension du phénomène, de surcroît pour la mesure et l’intervention (Power, 2008). Une étude à Igloolik (Nunavut) a fourni une compréhension de l’expérience de l’insécurité alimentaire chez les Inuit à partir de données narratives (Beaumier & Ford, 2010; Ford & Beaumier, 2011). Elle a permis d’élaborer un cadre conceptuel détaillé sur la complexité de l’interaction entre les différents facteurs de stress qui peuvent affecter la sécurité alimentaire. Cependant, elle aborde peu la façon dont les familles perçoivent la sécurité alimentaire et font face aux difficultés. Il est également important de noter que le contexte du Nunavik présente beaucoup de similitudes avec le Nunavut, mais aussi des divergences importantes qui peuvent influencer la situation de sécurité alimentaire, notamment au niveau politique. Le Nunavut est depuis 1999 un territoire distinct et possède son propre gouvernement, contrairement au Nunavik qui est une région administrative semi-autonome de la province de Québec (Gouvernement du Nunavut, 2010). On peut donc penser que les Inuit du Nunavik ont un pouvoir différent sur les politiques publiques qui peuvent influencer la sécurité alimentaire. De plus, contrairement au Nunavik, le Nunavut commercialise les aliments traditionnels et les rend disponibles à l’achat dans les magasins

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(Mason, 2007; Myers, 2000). Cela modifie le rapport entre la chasse, l’argent et les aliments traditionnels et peut influencer l’éthique du partage d’aliment. De plus, à notre connaissance, aucune étude qualitative portant spécifiquement sur la sécurité alimentaire n’a été menée au Nunavik.

Dans ce contexte, la présente étude exploratoire aura pour but de donner la parole aux Inuit d’une communauté du Nunavik afin de mieux comprendre la sécurité alimentaire de leur point de vue et ce, afin d’aider les communautés et la santé publique à mieux intervenir.

L’objectif général est de mieux comprendre la sécurité alimentaire selon la perspective et le vécu d’Inuit vivant dans une communauté du Nunavik. Les objectifs spécifiques poursuivis seront :

1. Explorer les différentes significations que peut prendre l’expression « avoir assez d’aliments » ;

2. explorer comment l’insécurité alimentaire se manifeste dans le contexte du Nunavik ;

3. mieux comprendre les différentes stratégies utilisées au sein des familles inuites d’Inukjuak pour contrevenir à un manque d’aliments ou pour maintenir une alimentation satisfaisante ;

4. dégager des dimensions de l’insécurité alimentaire et de la sécurité alimentaire propre au contexte inuit.

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II. CADRE MÉTHODOLOGIQUE DE RECHERCHE

2.1 Type d’étude

La méthodologie s’inspire de recherches précédentes ayant fait la lumière sur le phénomène de l’insécurité alimentaire en Amérique du Nord (Hamelin, et al., 2002; Quandt, et al., 2001; Radimer, et al., 1992), tout en tenant compte des spécificités de la recherche avec les Inuit et du contexte (Bird, Wiles, Okalik, Kilabuk, et Egeland, 2009; Dorais, 2001). Dans la présente étude, nous avons eu recours à des entrevues qualitatives afin de comprendre la complexité et la diversité des expériences et des perceptions relatives à la sécurité alimentaire d’Inuit et de leur donner une occasion de s’exprimer sur la problématique dans leurs propres mots (Creswell, 2009; Ulin, Robinson, et Tolley, 2005). En outre, nous avons mené un atelier avec des aînés de la communauté dans le but de faire ressortir différents concepts reliés à la faim, à la satiété et à d’autres sensations alimentaires tels qu’ils sont exprimés en Inuktitut, la langue des Inuit, pour mieux ancrer la compréhension de la sécurité alimentaire dans le contexte culturel. Les expériences antérieures sur le terrain de l’étudiante-chercheure et sa participation à la vie communautaire ont permis de bien resituer les propos des participantes et leur interprétation dans le contexte socioculturel. Ce dernier aspect est une clé méthodologique pour la recherche qualitative avec les communautés autochtones (Bird, Wiles et al. 2009).

Le cadre conceptuel de l’étude repose sur la revue de la littérature et les objectifs de recherche. Il comprend les quatre grandes dimensions de l’expérience de l’insécurité alimentaire élucidée dans les études de Radimer (1990) et Coates (2006). La présente étude exploratoire n’avait pas pour but spécifique de valider ces dimensions dans le contexte inuit. Elle cherchait plutôt à faire ressortir en quoi le sens et l’expérience de la sécurité alimentaire est unique dans le contexte du Nunavik, pour ensuite observer les similitudes et divergences avec ce qui a été élucidé jusqu’à maintenant dans les recherches semblables auprès d’autres populations. Ainsi, les quatre dimensions ont été utilisées de manière inductive, c’est-à-dire qu’elles ont été développées, définies et formées à travers tout le processus de recherche (Creswell, 2009). Le cadre conceptuel est également constitué du

Figure

Figure 1. Les communautés du Nunavik
Figure 2. Les régions inuites du Canada

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