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L'Inde dans les sciences sociales

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Academic year: 2021

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HAL Id: ird-01293082

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Submitted on 24 Mar 2016

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L’Inde dans les sciences sociales

Denis Vidal, Philippe Cadène

To cite this version:

Denis Vidal, Philippe Cadène. L’Inde dans les sciences sociales. Denis Vidal, Philippe Cadène. France. ORSTOM, 1987. �ird-01293082�

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Département

H

c(:Conditions d’un développement indépendant))

L’INDE

DANS LES SCIENCES SOCIALES

TEXTES RASSEMBLÉS PAR PHILIPPE CADÈNE- DENIS VIDAL

(4)

La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux termes des alineas 2 et 3 de l’article 41, d’une part, que les e copies ou reproductions strictement reservees ii l’usage prive du copiste et non destinees ii une utilisation collective s et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans

un but d’exemple et d’illustration, a toute representation ou reproduction integrale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite s (alinea I*r de l’article 40).

Cette representation ou reproduction, par quelque proc6d6 que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnee par les articles 425 et suivants du Code penal.

(5)

SOMMAIRE

-

,Liste des participants

...

-

Présentation des débats. Philippe Cadène, Denis Vidal

...

5

7

PREMIERE PARTIE PERSPECTIVES ET EN JEUX

DE LA RECHERCHE EN SCIENCES SOCIALES EN INDE

-

Aperçu sur l'histoire des sciences sociales en Inde. Roland Lardinois 17

-

Commentaire sur l'exposé de Roland Lardinois. Kapil Raj

...

25

-

Drfbat

...

26

DEUXIEME PARTIE ETUDES URBAINES EN INDE

-

Recherches urbaines en Inde. Isabelle Milbert

...

39

-

Débat

...

46

TROISIEME PARTIE RECHERCHES COMPARATISTES SUR LA DEMOCRATIE INDIENNE

-

Towards the concept of a post-colonial democracy. A schematic view.

-

Commentaire sur l'exposé d'Ashwini K. Ray. Henri Stern

...

Ashwini

K.

Ray

...

57

67

-

Commentaire sur l'exposé d'Ashwini K. Ray. Christiane Hurtig

....

71

-

Commentaire sur l'exposé d'Ashwhi K. Ray. Martin Verlet

...

73

(6)

Ce texte reprend les communications et les débats de la jour- née consacrée à G l’Inde dans les sciences sociales )> qui a eu lieu

le vendredi 12 juin 1987 à l’ORSTOM, 30 rue de Charonne, 75011

Paris.

Cette journée fut organisée à l’initiative des chercheurs de I’ORSTOM engagés dans la coopération avec l’Inde. Sa prépara- tion fut assurée par Philippe Cadène, Véronique Dupont, Monique Selim et Denis Vidal.

Le présent compte rendu a été réalisé par Philippe Cadène et Denis Vidal, à partir de notes manuscrites prises par Véronique Dupont et d’enregistrements au magnétophone transcrits avec l’aide de Kathie Jubert-Stark.

Pour faciliter la participation aux débats du nombre le plus large de participants, les interventions ont été effectuées, au gré des per- sonnes présentes, en français ou en anglais. A l’exception de la com- munication du professeur Ashwini Ray présentée en anglais et laissée dans cette langue dans le texte qui suit, les débats ont été retrans- crits en français afin de rendre plus aisée la lecture. Les traductions ont été réalisées par Philippe Cadene et Denis Vidal.

Les transcriptions respectent au plus près la réalité des débats. Quelques adaptations ont cependant été faites, dans le but de rendre le texte plus lisible. Les épreuves de cette publication ont été remises aux différents intervenants pour correction.

(7)

LISTE DES PARTICIPANTS

Ananda Abeydeera (I.N.A.L.C.O., Paris) ; Gabriella Airenti (Uni- versité de Milan) ; Maurice A w a r d (M.S.H., Paris) ; Jacky Assayag (C.E.I.A.S., Paris) ; Olivier Barbary (ORSTOM, Paris) ; Frédérique Bourgeois (Institut de géographie, Paris I) ; Jean-Joseph Boillot (CEPII, Paris) ; Philippe Cadène (C.E.I.A.S., ORSTOM, Paris) ; Jean- Luc Chambard (C.E.I.A.S., I.N.A.L.C.O., Paris) ; Catherine Champion (C.E.I.A.S., Paris) ; Georges Courade (ORSTOM, Paris) ; Pierre Coute (School of Planning, Ahmedabad) ; Olivier Degeorges (I.U.A.P. Paris VII) ; Julien Dillenseger (ENPC ENTPE, Paris VIII) ; Olivier Dollfus (U.E.R. de Géographie, Paris VII) ; Jean-Paul Duchemin (ORSTOM, Paris) ; Véronique Dupont (ORSTOM, Ahmedabad) ; Marie-Hélène Durand (ORSTOM, Paris) ; Marie Fourcade (C.E.I.A.S., Paris) ; Jacques Gaucher (E.F.E.O. Ecole d’Architecture, Nantes) ; Bertrand Gérard (ORSTOM, Paris) ; Violette Graff (C.E.R.I., C.E.I.A.S., Paris) ; El Has- san Hafsi (ENPC ENTPE, Paris VIII) ; Olivier Herrenschmidt (Labora- toire d’ethnologie et de sociologie comparative, Paris X) ; Michael Houseman (Laboratoire d’ethnologie et de sociologie comparative, Paris X) ; Christiane Hurtig (Fondation des Sciences Politiques, C.E.R.I., C.E.I.A.S., Paris) ; Michel Izard (Laboratoire d’anthropologie sociale, Paris) ; Christophe Jaffrelot (Institut $Etudes Politiques, Paris) ; Sylvy Jaglin (ENPC ENTPE, Paris VIII) ; Marie-José Jolivet (ORSTOM, Paris) ; Lajpat Jagga (I.C.S.S.R., New-Delhi) ; Hélène Lamicq (I.U.P., Paris XIII) ; Pierre Lantz (Paris VIII) ; Roland Lardi- nois (C.E.I.A.S., Paris) ; Emile Le Bris (ORSTOM, Paris) ; Gérard Lenclud (Laboratoire d’anthropologie sociale, Paris) ; B. Lootvoet (ORSTOM, Paris) ; Thierry Lulle (ORSTOM, Paris) ; Charles Malamoud (C.E.I.A.S., Paris) ; Claude Markovits (C.E.I.A.S., Paris) ; Eric Meyer (C.E.I.A.S., Paris) ; Isabelle Milbert (Interurba, ORSTOM, Bordeaux) ;

Rashmi Patni (University of Rajasthan, Jaipur) ; Pascale Phelinas (ORSTOM, Paris) ; Jean Racine (Groupe Indra, C.E.G.E.T., Bordeaux) ;

Kapil Raj (EHESS, ENST, ORSTOM) ; Ashwini Ray (Centre for Poli- tical Studies, J.N.U., New-Delhi) ; Marie-Louise Reiniche (C.E.I.A.S., Paris) ; Dominique Roland (A.P.U.D., Paris VII) ; Satish Sabbenval (Centre for historical studies, J.N.U., New-Delhi) ; Sunanta Sen (Centre for economic stddies, J.N.U., New-Delhi) ; Monique Selim (ORSTOM, Paris) ; Carlo Severi (Laboratoire d’anthropologie sociale, Paris) ;

Brigitte Silberstein (C.E.I.A.S., I.N.A.L.C.O., Paris) ; Isabelle Stephan (Paris I) ; Catherine Stephan (Paris I) ; Henri Stern (C.E.I.A.S., Paris) ;

Sujainathan (Bibliothèque Nationale, Service Indien, Paris) ; Alice Thorner (C.E.I.A.S., Paris) ; Martin Verlet (ORSTOM, Paris) ; Denis Vidal (ORSTOM, C.E.I.A.S., New-Delhi) ; Roland Waast (ORSTOM, Paris) ; Anne-Marie Wallulah (C.E.I.A.S., Paris).

(8)

Bertrand Gérard

Président de la Commission Sciences Sociales de

SORSTOM.

Qu’une journée de réflexion centrée sur c l’Inde dans les sciences

sociales )) ait pu se dérouler dans le cadre d’un institut de recherche

dont la direction venait de décider de restreindre le nombre des cher- cheurs appelés à travailler en Inde, est un signe de <( bonne santé scientifique D. Cela montre en effet que ni la direction ni les chercheurs ne confondent les exigences de la réflexion scientifique avec les con- traintes inhérentes à toute institution ; cela montre également que nul ne s’inscrit dans l’amalgame, toujours possible, entre une énon- ciation qui tire sa force de la position institutionnelle de celui qui la

profère et le discours propre issu d‘une réflexion scientifique dont la communauté des chercheurs est la seule garantie.

La présence à cette journée de chercheurs appartenant à des institutions différentes : les unes françaises, les autres indiennes, parmi lesquelles on remarquait des spécialistes des sociétés africaines amér- indiennes ou autres, témoignait de ce que le développement des liens entre les communautés scientifiques de ces deux pays débordait le. cadre des seules <( études indianistes D.

I1

y a là une dynamique d’ou- verture et d’échanges dont l’enjeu est l’enrichissement réciproque des chercheurs et par là-même des institutions qui servent de cadre

à leurs activités.

Quelles que soient la qualité des débats et les perspectives qui en découlent, des journées telles que celle qui s’est tenue à I’ORSTOM

à propos des perspectives de la recherche en science sociale en Inde n’auront les effets positifs que la communauté scientifique est en droit d’en attendre que dans la mesure où elles contribueront à déblo- quer et surmonter les difficultés institutionnelles rencontrées en vue de l’intégration des chercheurs de chaque pays dans des problémati- ques et des actions de recherche définies et mises en œuvre en com- mun.

Pour nous, chercheurs français, l’Inde demeure un pays à décou- vrir tant sur le plan de la recherche théorique que sur celui de l’ap- plication des recherches scientifiques à des questions concrètes. Nous ne pouvons faire l’économie de l’expérience acquise par les cher- cheurs indiens y compris pour traiter de questions ou de problèmes qui se posent en Afrique ou dans toute autre région où travaillent nos chercheurs ; en retour, notre expérience acquise dans d’autres régions du monde et en France même peut, nous l’espérons, consti- tuer un apport réel pour les chercheurs indiens.

(9)

PRESENTATION DES DEBATS

Philippe Cadène,

Chercheur au C.E.I.A.S.

Denis Vidal,

Chargé de recherche à Z’ORSTOM (département H )

La réalisation d’une journée de débat consacrée à la place et à

l’enjeu que représente l’Inde dans les sciences sociales nous a semblé particulièrement importante au moment où la direction de I’ORSTOM reconsidère la politique de coopération scientifique de l’organisme.

L’ORSTOM est en effet largement partie prenante de l’intensifi- cation des relations scientifiques et culturelles développées depuis quelques années entre la France et l’Inde. Des liens de plus en plus nombreux et étroits unissent aujourd’hui bon nombre de chercheurs français à certains de leurs collègues indiens. Des échanges ont lieu, des dialogues s’établissent, des collaborations se poursuivent, et cela dans un contexte extrêmement favorable. En effet, d’une part l’intérêt des chercheurs français pour les études indiennes est ancien (voir les importantes contributions de sanscritistes et d’anthropologues fran- çais à la connaissance du monde indien), d’autre part la qualité de la communauté scientifique indienne qui occupe une place sans cesse croissante sur la scene internationale offre l’occasion de travailler avec des partenaires de choix.

Le débat que nous désirions voir s’engager nous paraît d’autant plus important qu’au-delà de la politique particulière de l’un ou de l’autre des organismes français de recherche, l’intérêt est aujourd‘hui reconnu de comparer des sociétés différentes, de confronter des dis- ciplines diverses et de mettre en relation la recherche fondamentale et la recherche appliquée. Pourtant, la réalisation de ces objectifs n’est pas toujours facile à établir : parfois, la collaboration ne dépasse pas le stade du slogan ; souvent, elle donne lieu à la seule juxtaposition de résultats de recherche acquis indépendamment les uns des autres. Ainsi la question était-elle de savoir si en organisant le dialogue entre chercheurs indiens et chercheurs français, entre représentants des différentes disciplines des sciences sociales, entre spécialistes plus ou moins investis dans des recherches appliquées, plus ou moins spé- cialisés sur l’Inde, on arriverait à réunir les conditions d’une réflexion collective dont chacun pourrait tirer profit. Cela impliquait de ne pas considérer comme acquis l’intérêt d’une recherche française en Inde. Notre objectif était autant de montrer les difficultés d’une telle entre- prise que de dégager les éléments prometteurs d’une pareille coo- pération.

Nous avons choisi d’organiser le débat autour des trois thèmes suivants :

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-

Perspectives et enjeux de la recherche en sciences sociales en Inde.

-

Etudes urbaines en Inde.

-

Recherches comparatistes sur la démocratie indienne.

Le premier thème correspond directement à nos préoccupations. Roland Lardinois, démographe au Centre $Etudes de l’Inde et de l’Asie du Sud (qui prépare un recueil en langue française de certaines des meilleures contributions indiennes aux sciences sociales) a bien voulu se charger d‘un exposé sur l’histoire des sciences sociales en Inde. Kapil Raj, spécialiste de sociologie des sciences et allocataire de l’ORSTOM, a ensuite entamé le débat.

Le second thème consacré à l’urbanisation s’est imposé pour plu- sieurs raisons. Tout d’abord, les recherches sur l’urbanisation et les socio-systèmes urbains dans les pays en développement tiennent une place particulièrement importante au sein de I’ORSTOM. D’autre part,

un grand nombre de chercheurs français, spécialistes ou non des recher- ches indiennes, ont engagé depuis quelques années des études sur les villes de ce pays. Enfin, le gouvernement indien se montre très inté- ressé par l’approfondissement d’échanges entre spécialistes des pro- blématiques urbaines, comme l’illustre la tenue au cours des derniè- res années de plusieurs colloques sur la ville réunissant des membres des communautés scientifiques des deux pays. Une rencontre sur le même thème est d’ailleurs prévue en janvier 1988 à Hyderabad. Le thème de la ville permet en outre de poser de façon cruciale la ques- tion du rapport entre recherche fondamentale et recherche appliquée, qui est au centre des préoccupations de 1’ORSTOM. C’est d’ailleurs pourquoi l’introduction de ce débat a été demandée à Isabelle Milbert, chercheur à l’ORSTOM, qui possède une grande expérience de la pla- nification urbaine en Inde.

Le choix du troisième thème, consacré à la démocratie, s’explique par l’originalité du système politique indien et l’exemplarité de l’Inde parmi les pays en voie de développement. Plusieurs politologues français consacrent leurs travaux à l’étude de ce modèle politique, souvent en collaboration avec leurs collègues indiens. Le débat sur la nature de la démocratie indienne est également important car ce pays, par son système politique, offre un exemple utile à toute réflexion sur les conditions socio-politiques du développement, thème de travail qui intéresse de nombreux chercheurs de I’ORSTOM. Ce débat offre en outre l’avantage de mesurer, sur un problème particulièrement sensible, l’apport du comparatisme. Le débat est introduit par un exposé du professeur Ashwini Ray, directeur du <( Centre for Political

Studies D de l’université Jawaharlal Nehru de Delhi, qui se trouvait

à Paris, à l’invitation conjointe du CNRS, de la MSH et de I’ORSTOM. Après ce premier exposé, nous avons demandé des réponses à Henri Stern, anthropologue au Centre d’Etudes de l’Inde et de l’Asie du Sud, à Christiane Hurtig, politologue au Centre d’Etudes et de Recher- ches Internationales, à Martin Verlet, sociologue à YORSTOM et au Professeur Satish Sabberwal, sociologue à l’université Jawaharlal Nehru de New-Delhi.

*

* *

Les discussions relatives à l’histoire des diverses disciplines en Inde et les témoignages des chercheurs français travaillant en relation ou en collaboration avec des collègues indiens montrent avec force

(11)

l’importance de l’apport indien dans le développement des sciences sociales. Roland Lardinois explique par exemple que l’élaboration de la sociologie en Inde s’est développée aux mêmes rythmes qu’en Occi- dent et durant les mêmes périodes. I1 montre également comment l’histoire de l’Inde, d’abord faite par les occidentaux, a été réinvestie progressivement par des chercheurs autochtones. Isabelle Milbert et Alice Thorner mettent en avant la qualité des économistes indiens, titulaires de chaires importantes dans le monde anglo-saxon. Ashwinï Ray et les chercheurs qui participent au débat consacré à la démocra- tie témoignent de l’importance du débat suscité par les thèses des politologues, des historiens et des sociologues indiens.

Dès l’Indépendance, l’Inde possédait, grâce à la qualit6 de sa

communauté scientifique, les moyens d‘une grande autonomie vis-à- vis de l’expertise étrangère. Les gouvernements successifs ont le mérite d’avoir su offrir aux chercheurs des conditions de travail stables. Les équipes de recherche foisonnent, et consacrent leur travail à des thè- mes très variés, dans un contexte où l’interdisciplinarité est encoura- gée. La haute administration est très liée à ces équipes ; elle n’hésite pas à utiliser leurs compétences pour l’élaboration des politiques de développement économique ainsi que pour la formation des gestion- naires destinés à les mettre en place. La prudence des Indiens face aux expériences étrangères et leur capacité à adapter aux conditions locales des politiques ayant prouvé leur efficacité seront d’ailleurs remarquées au cours des débats.

*

* *

A côté de ces aspects positifs, les intervenants, français comme indiens, s’accordent également pour mettre l’accent sur certaines fai- blesses de la recherche indienne. Isabelle Milbert note, par exemple, qu’en dépit des liens entre administrations et milieu scientifique, il

exis te des difficultés de communication dommageables pour une uti- lisation concrète des recherches effectuées. Philippe Cadène remarque le retard de certaines universités régionales par rapport aux dévelop- pements recents des problématiques et des méthodologies. Jean-Joseph Boillot relève le contraste entre la qualité des recherches économiques et un certain retard des analyses sociologiques, dont découlent selon lui les difficultés des chercheurs indiens à élaborer des paradigmes spécifiques à leur société. Marie-Louise Reiniche retrace l’histoire de la coopération entre Indiens et administrateurs anglais et regrette, com- me Denis Vidal, une utilisation encore insuffisante de ce corpus d’in- formations administratives et juridiques. Maurice Aymard fait remar- quer cependant, comme historien travaillant dans le domaine euro- péen, qu’il en est de même dans notre pays ; bon nombre des retards attribués aux chercheurs indiens sont en fait partagés par notre com- munauté scientifique. Enfin, la faible place tenue par les travaux de terrain parmi les études réalisées en Inde est souvent présentée comme un obstacle important au dkveloppement de la recherche dans certains champs des sciences sociales.

*

* *

L’urgence des problèmes que connaît l’Inde a m h e cependant les chercheurs de ce pays à formuler dans plusieurs domaines des deman-

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des de collaboration. Ces demandes s’expriment d‘au moins deux manières.

I1

existe, d’une part, des demandes formelles, exprimées, soit par le gouvernement, soit par des équipes de recherche, en vue de colla- borations sur des problèmes techniques. Les divers domaines de la recherche urbaine offrent des exemples divers de ce type de deman- des : planification urbaine, mise en place de plans de financement de la construction, gestion des transports, construction de divers réseaux, etc. Dans le champ plus général du développement, l’expérience fran- çaise en Afrique et en Amérique Latine suscite par ailleurs des curio- sités de la part de nos collègues indiens. Le récent accord signé entre I.C.S.S.R. et 1’ORSTOM témoigne de l’étendue des champs de commun intérêt.

Il existe, d’autre part, des demandes informelles. Elles s’expri- ment de façon plus individuelle, au gré des rencontres entre cher- cheurs. Elles concernent aussi de nombreux domaines et elles doivent Ctre prises en compte avec la plus grande attention dans le contexte d’une coopération entre les deux pays.

11

s’agit surtout de demandes dans des domaines théoriques ou méthodologiques marquant le souci permanent de nos collègues indiens de renouveler les modèles préva- lents, gui sont souvent d’origine anglo-saxonne.

réponse de la communauté scientifique française à ces deman- des est déjà bien engagée. La tradition existe déjà avec la création de Contributions to Indian sociology, fondée par Louis Dumont et David Pocock, qui, aujourd’hui, sous la direction de chercheurs indiens, reste au cœur des débats sociologiques en Inde. I1 faut également citer l’im- portance des travaux de Daniel Thorner qui ont été au centre de la réflexion sur les conséquences de la révolution verte en Inde.

Hélène Lamicq et Isabelle Milbert précisent alors l’apport de l’ex- périence française en matière de planification et de gestion urbaine. Jean-Joseph Boillot souligne l’intérêt des économistes indiens pour la planification indicative mise en place par leurs collègues français. Par ailleurs, les apports des chercheurs français en matière d’approche théorique et méthodologique se réalisent, au gré des séjours des cher- cheurs dans les deux pays et par la réalisation de programmes con- joints. L’enjeu de ces relations est particulièrement important puis- qu’il s’agit à la fois de contribuer à inventer des paradigmes mieux adaptés pour l’analyse du système indien et de travailler dans le sens d’une démarche comparatiste à la mise en perspective des spécificités de la situation indienne.

***

L’intérêt de ces relations d’échange et de coopération pour la communauté scientifique française a été aussi souligné. I1 réside d’abord dans la rencontre d’un monde scientifique multiple et varié, qui possède sa dynamique propre et qui sait développer des probléma- tiques particulières. Les participants s’accordent ensuite pour recon- naître la nécessité de prendre en considération, dans les études de sciences sociales, l’exemple indien, en raison de sa taille et de l’origi- nalité de son expérience tout au cours de son histoire et dans la période postérieure à l’indépendance. Mais l’intérêt de l’expérience indienne se précise véritablement dans les débats internes aux diver- ses disciplines.

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La mise en place d‘une pareille coopération ne peut cependant véritablement avoir lieu que si elle est envisagée dans la durée et ses résultats ne peuvent se concrétiser qu’après plusieurs années. Les dif- ficultés de l’entreprise ont été plusieurs fois évoquées durant les débats.

Une première difficulté réside dans la crainte de la communauté scientifique indienne de perdre son autonomie et ses prérogatives au contact de l’étranger. Elle oppose par exemple de fortes résistances au financement de groupes de recherche nationaux par des organisa- tions étrangères.

La curiosité pour les expériences et les travaux étrangers est cer- tes bien réelle, mais elle ne se concrétise pas toujours dans les politi- ques de recherche. Et surtout, les chercheurs indiens réalisant vérita- blement des études sur la France sont rares, quelle que soit la disci- pline envisagée.

Un autre problème naît de la division au sein même de la com- munauté scientifique française entre spécialistes de l’Inde et non spé- cialistes, et également entre chercheurs réalisant des études théoriques et chercheurs travaillant dans des domaines plus appliqués.

Spécialisteslnon spécialistes, le débat est déjà ancien et transpa- raît souvent dans les interventions des chercheurs français. I1 faut, pour le comprendre, situer la recherche française en Inde dans son contexte historique : d’une part, dès le XIX“, la recherche hindologique

française, fondée sur l’étude des textes sanscrits, connaît un impor- tant développement ; d’autre part, dès ses débuts, 1’Ecole française de sociologie a intégré la dimension indienne dans ses perspectives théo- riques, avec Bouglé, mais aussi Durkheim et Mauss. Enfin, les travaux de Louis Dumont s’inscrivent à la suite de cette tradition et influen- cent grandement (mais non exclusivement) le développement des étu- des anthropologiques et sociologiques de l’Inde dans les dernières décennies. Ce n’est que dans une période récente, sauf exception, l’exemple de Bettelheim, que des chercheurs venus d’horizons diffé- rents, possédant une expérience d’autres aires culturelles, ont engagé des études dans le domaine indien. Leur arrivée se traduit, de façon plus ou moins exclusive, par un intérêt plus prononcé pour les pro- blèmes du changement social et du développement. Elle entraîne une certaine hétérogénéité du milieu, qui rend parfois le dialogue difficile. Elle provoque un important débat sur le poids relatif des particulari- tés indéniables de la société et de la civilisation indiennes par rapport aux changements contemporains, dont l’étude semble exiger de nou- velles problématiques.

I1 n’est pas sans intérêt de remarquer que ce débat trouve un éch0 en Inde. Dans un contexte différent, les chercheurs indiens se partagent toujours en effet entre ceux qui prêtent une plus grande confiance aux théories générales élaborées en sciences sociales et ceux qui appellent de leur vœux la constitution de modes d’analyse et d’éla- boration de modèles de développement mieux appropriés à l’exemple indien. Ces interrogations sont d’autant plus importantes qu’elles sont constamment posées dès qu’il s’agit d’élaborer ou d’évaluer des politiques de développement.

L’opposition entre études fondamentales et études appliquées s’inscrit entièrement dans ce cadre de discussion. Ce clivage entre deux styles de recherche reprend d’ailleurs très souvent la division précé- dente opposant spécialistes et non spécialistes des questions indiennes.

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En effet, si la recherche appliquée n’est bien souvent guère éloignée dans ses problématiques et ses méthodes de la recherche théoriquei elle est toutefois moins spécialisée, elle repose généralement sur des travaux de courte durée et est moins familiarisée avec les conditions particulières de la société étudiée. Son intérêt, néanmoins, réside sou-

vent dans le regard neuf et comparatif que la multiplicité des expé- riences dans des pays divers peut apporter.

*

* *

L’enseignement le plus marquant de cette journée réside peut- être dans ce constat : les intervenants se sont accordés pour recon- naître l’égalité de niveau de la recherche indienne avec les autres communautés de chercheurs et son indépendance de fait. Mais, pas davantage que pour les autres communautés scientifiques, cela ne garantit à celle-ci la certitude de trouver des voies de recherche spé- cifiques. L’acquisition de l’autonomie institutionnelle nè suffit pas

B

assurer une moindre vulnérabilité vis-à-vis des modes intellectuelles d’une période donnée. Or, les chercheurs indiens, tout particulière- ment dans le domaine des sciences sociales, sont constamment & la recherche de ce que pourrait ou devrait être leur spécificité afin de trouver les instruments répondant le mieux possible aux questions et aux défis que pose leur société.

Les discussions sur la démocratie indienne illustrent bien ce point.

Le Professeur Ashwini Ray met l’accent sur l’inadéquation des analyses classiques de la science politique pour définir la nature spé- cifique de la démocratie indienne et pour rendre compte de manière adéquate de l‘ensemble de contraintes que ce régime a dû affronter, d’abord dans le contexte du colonialisme puis dans le contexte inter- national contemporain. Plutôt que de partir de la nature formelle des institutions (démocratie libérale, démocratie populaire ou dictature), Ashwini Ray propose d’utiliser la notion de société post-coloniale qui lui semble devoir être le trait le plus marquant du destin des sociétés qui ont connu la colonisation occidentale.

O r le débat qui suit l’exposé d’bshwini Ray est tout à fait intéres- sant, non seulement parce qu’il prend acte des critiques formulées, mais aussi parce qu’il renoue le dialogue en quelque sorte à partir de ces critiques. C’est ainsi que Henri Stern, sans sous-estimer les effets de la colonisation, pense que c’est plutôt en cherchant une dynamique propre à la société indienne qu’on peut rendre compte de sa spécifi- cité, même à l’époque contemporaine. Christiane Hurtig estime que, peut-être plus que les antécédents historiques des institutions, c’est la prise en compte de l’arrivée en nombre de nouvelles couches de population, affrontées aux conséquences actuelles de la transforma- tion de la société indienne, qui permet de mieux en comprendre l’évolution actuelle. Quant à Satish Sabberwal, il insiste plutôt sur la nécessité de replacer en quelque sorte la réalité politique actuelle de l’Inde dans une histoire longue. On ne saurait faire référence à

tous les intervenants dans ce débat, mais on constatera que chacun des chercheurs présents privilégie une perspective différente pour analyser une même réalité contemporaine. Le problème n’est plus alors de faire une référence abstraite au comparatisme ; il est déjà de savoir quel type de comparaison privilégier. Car, c’est largement

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en fonction du champ de comparaison adopté, implicitement ou explicitement, que la réalité de la sociétC indienne apparaîtra dans une plus ou moins grande spécificité.

Dès Iors ce qui est mis à jour, dans le tour même que prend le débat, c’est la nécessité fondamentale d’une expression plurielle des points de vue marquant, par contraste, la pauvreté relative des analy- ses qui prétendent tout savoir d’une société et de ses besoins, du seul fait que tel ou tel type d’analyse est devenu provisoirement hégémo- nique au sein d’une discipline donnée, d‘une communauté idéologi- quement homogène, ou pour un groupe de décideurs particulier.

Ainsi l’intérêt des confrontations du type de celles qui ont étb organisées dans le cadre de cette journée de l’ORSTOM se révèle bien lié à une exigence fondamentale. En effet, moins encore que dans tout autre domaine de la recherche, il n’existe de connaissances dans les sciences sociales qui puissent prétendre au statut de pures descrip- tions du réel. Si les résultats acquis peuvent se prévaloir d’une objec- tivité et méritent d’être connus, cela ne réside pas uniquement dans la capacité des chercheurs à s’abstraire de toute subjectivité ou de tout préjugé culturel. Ce sont, au contraire, ces ressorts que toute recherche mobilise implicitement, et plus que tout, dans ce domaine, il serait absurde de prétendre l’ignorer car là se situent les ressorts de cette confrontation et les présupposés que toute recherche mobilise implicitement.

Au-delà de la volonté de savoir et de la rigueur mise à l’œuvre dans l’acquisition des connaissances, la possibilité d’objectivité de la recherche réside aussi ailleurs : dans la libre-communication des idées et la critique des argumentations et des rdsultats. C’est l’acceptation de cette norme fondamentale, à savoir la reconnaissance d’une capa- cité critique chez les autres, qui donne force et intérêt à la recherche scientifique. Et dans les sciences sociales, plus que dans tout autre domaine, le savoir a besoin pour mieux s’orienter et pour progresser,

de cet enrichissement et de cette mise à l’épreuve que constitue le dialogue entre des gens dont les intCrêts ne renvoient nécessairement ni aux mêmes origines ni aux mêmes orientations.

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PREMIERE PARTIE

PERSPECTIVES ET ENJEUX

DE LA RECHERCHE EN SCIENCES SOCIALES EN INDE

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APERCU SUR L’HISTOIRE DES SCIENCES SOCIALES EN INDE

Exposé de Roland Lardinois,

Chargé de recherche au C.E.I.A.S., C.N.R.S.

Je voudrais présenter un bref aperçu de l’histoire des sciences sociales en Inde en m’excusant du caractère improvisé de mon inter- vention. Mes intentions sont très modestes ; rappeler quelques faits, quelques noms et quelques dates, esquisser une chronologie, laisser entrevoir quel type de questions il faudrait me semble-t-il poser.

I1 peut sembler d’un intérêt purement académique de présenter ce thème en un lieu et devant des chercheurs plus préoccupés par les problèmes de développement de l’Inde contemporaine que par les questions d’histoire. I1 me semble cependant que l’histoire des sciences sociales indiennes (c’est-à-dire essentiellement ici l’anthropologie socia- le, la sociologie, l’économie et l’histoire) méritent une réflexion qui peut être profitable tout particulièrement à ceux qui pratiquent ces disciplines en étroite collaboration avec les chercheurs indiens. Un

premier contact même superficiel et rapide avec le monde intellectuel indien révèle, de notre point de vue, un milieu très dense, très struc-

turé : il y a une vie intellectuelle de type moderne qui s’organise autour d’instituts, d‘universités, de journaux et de revues ; il y a des débats qui se développent autour de thèmes spécifiques qui n’auraient pas, en dehors de l’Inde, l’éch0 particulier qu’ils ont. Bref on est en présence d‘une intelligentsia et d’un champ scientifique national qui a son histoire propre, une autonomie relative par rapport aux autres domaines sociaux; il y a des demandes, des intérêts et des enjeux spécifiques qui varient bien sûr selon les dkciplines, comme on l’a entendu ce matin à propos des études urbaines. I1 me semble qu’une réflexion autour de ces probkmes est indispensable si l’on veut réelle- ment comprendre nos collègues indiens, les questions qu’ils posent, pourquoi et comment ils se les posent. Et cela, afin de mieux com- prendre les questions que nous, nous pouvons poser au monde social indien. Si l’on ne fait pas ce détour par l’histoire pour comprendre, en gros, comment se sont constituées des problématiques spécifiques dans chacune des disciplines qui nous intéressent, on a toutes les chances de se laisser piéger et d’entrer malgré soi dans des débats déjà constitués qui n’ont peut-être rien à voir avec les problèmes que l’on souhaite étudier.

J’aborderai très brièvement les trois grandes périodes autour des- quelles se constitue la chronologie de cette histoire. D’une part, les années de la fin du XVIII’ siècle et du début du XI* siècle qui sont

marquées par ce que Raymond Schwab appelle ((La Renaissance orientale D (Paris, Payot, 1950).

(20)

naissance des universités et l’institutionalisation des sciences sociales en conjonction avec la naissance du mouvement d’indépendance natio- nale. Enfin, les années postérieures à l’indépendance (1947) qui sont celles de la planification du développement et des sciences sociales.

1. LA RENAISSANCE ORIENTALE

Les conditions de l’apparition et la mise en place des discours savants sur le rrionde social indien sont inséparables de l’ensemble des bouleversements politiques, économiques, sociaux et culturels qui ont accompagné l’imposition du pouvoir colonial à partir de la fin du

X V ~ “ siècle. Dès leur arrivée en Inde, les Britanniques héritent les fonctions de collecte de l‘impôt foncier et d‘administration de la jus- tice. L’imposition dans les années 1790 d’une nouvelle politique fon- cière qui aboutissait à la privatisation des droits traditionnels sur le sol, alors garantie par le droit occidental, demandait que soit démêlé

(( le dédale de la coutume et des législations locales >>. C’est en réponse

à cette demande que les premiers administrateurs coloniaux comme William Jones, Henry Thomas Colebrooke et Charles Wilkins initient un vaste mouvement de connaissance où les intérêts économiques et politiques se mêlent aux spéculations philosophiques et littéraires.

Au début du XIX“ siècle, ce que l’on nomme avec David Kopf

l’orientalisme britannique recouvre un fait complexe : la naissance en Inde d’un champ intellectuel au sens moderne du terme et, plus par- ticulièrement, la mise en place d’un champ de production des dis- cours savants sur le monde social indien. Celui-ci s’organise autour d’un groupe d’agents spécial.isés que l’on désigne comme les orienta- listes, d’une société savante fondée en 1784 par William Jones :

1’Asiatic Society of Bengal et sa revue l’dsiatic Researches, d’une institution : le Collège de Fort-William, et d’un corps de disciplines dominantes : l’étude des langues et des littératures de l’Inde.

Depuis les premiers travaux de Bernard Cohn, on a l’habitude de faire des orientalistes un groupe distinct et d’opposer ceux-ci aux administrateurs coloniaux et aux missionnaires. I1 est nécessaire toute- fois de reformuler ces distinctions qui ne me semblent pas toujours pertinentes. D’une part, les orientalistes (occidentaux) se recrutent parmi les deux autres groupes ; d’autre part, il faudrait pour être complet étendre l’étude du milieu orientaliste à sa composante indien- ne, c’est-à-dire aux fractions de lettrés indiens traditionnels qui gravi- tent autour du Collège de Fort-William et sont eux-mêmes d’origines sociales et culturelles diverses. On devine donc que la catégorie des

<( orientalistes D ne constitue pas, loin s’en faut, un groupe homogène

et qu’elle appelle une sociologie plus fine des groupes d’agents qu’elle recouvre. Pour aller à l’essentiel, je dirai que l’orientalisme à cette &poque se constitue comme un champ spécifique (j’emprunte la notion de champ aux travaux de Pierre Bourdieu) dont les polarités et les enjeux se dessinent et dont la structure est déjà plus complexe qu’on ne le pense communément. Quelques remarques m’aideront à préci- ser ces réflexions.

. Une première dualité importante apparaît dans le domaine scien- tifique entre la colonie et la métropole qui ne fait que redoubler la dualité du pouvoir colonial indien

-

(il faudrait d’ailleurs s’interro- ger sur cette coupure entre les discours des savants, ce que l’on dési-

(21)

gne maintenant comme l'indianisme, et son archéologie ; sur ce point je renvoie aux travaux de Sylvia Murr et de Catherine Weinberger- Thomas publiés dans Purushautha)

-

répondant à des demandes diverses qui émanent de lieux différents : il y a, je les ai mention- nées, les demandes du gouvernement colonial, en Inde, qui ne s'accor- dent pas toujours avec les demandes de l'échelon supérieur du pou- voir colonial, celles de l'East India Company formulées par la Cour des Directeurs à Londres. Mais il y a aussi les demandes et les intérêts propres aux milieux intellectuels européens (français et allemand d'ailleurs avant d'être britannique ; cf. R. Schab et S. Murr) qui s'in- téressent à l'Inde. La découverte du sanscrit, les premières recher- ches sur le droit hindou et sur les systèmes fonciers sont prises dans ce réseau de déterminations multiples et complexes.

Une étude des enjeux intellectuels (et politiques) autour desquels se constitue ce champ de production des discours savants sur le monde social indien met en évidence la permanence d'autres oppositions : je pense en particulier aux débats entre langue savante (le sanscrit) et langue populaire (comme si l'on oubliait que les langues dites popu- laires, le bengali, le tamoul par exemple n'étaient pas traversées par cette opposition) ou, encore, entre religion savante (le brahmanisme) et l'hindouisme populaire (des basses castes). Tout cela peut paraître de l'histoire ancienne fort éloignée de nos préoccupations sur les sciences sociales aujourd'hui en Inde. En fait, les problématiques qui se sont mises en place dès cette époque sont loin d'être oubliées et elles imprègnent encore de nombreuses recherches. Que l'on songe par exemple aux controverses suscitées à propos de l'hindouisme par les notions de petite et de grande Tradition développées par les anthropo- logues américains dans les années 1950 ou, encore, comme j'ai essayé de le montrer, aux difficultés que soulève la définition de la famille indivise.

Dans un premier temps, on peut bien sûr rapporter ces prises de position aux origines sociales des agents qui les soutiennent. Et l'on ne manque pas de noter que les administrateurs-orientalistes, d'origine aristocratique et de formation classique (latin, grec), sont plutôt portés vers l'étude du sanscrit, tandis que les missionnaires, d'origine sociale plus modeste et moins bien dotés en capital scolaire et culturel sont partisans des langues vernaculaires. Si cette vue n'est pas fausse, elle reste très schématique et fort incomplète. Le milieu missionnaire est lui-même fort divers quant à sa structure et à l'ori- gine sociale de ses agents. I1 faudrait préciser les époques et les lieux :

ce qui est vrai des milieux jésuites au XVIII' siècle en Inde du Sud n'est pas vrai des milieux protestants au début du XIX' siècle au Ben- gale. A l'origine des études sanscrites et tamoules, les contributions missionnaires sont importantes. Et la position de William Carey de la mission protestante de ,Serampore, près de Calcutta, au début du XIX" est beaucoup plus ambiguë. Là encore, il faut avoir à l'esprit la dualité entre la colonie et la métropole où se tramaient d'autres enjeux.

Je prendrai un dernier exemple qui illustre cette dualité. En 1818 paraît à Londres wn livre que les historiens considèrent, aujourd'hui encore, comme la première histoire de l'Inde : History of India de James Mill. Cette publication soulève des polémiques, en particulier avec les orientalistes dont les productions favorables à la culture et

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est fonctionnaire de l’East India Company, mais à Londres et non en

, Inde où il n’est jamais allé ; de plus, il ignore le sanscrit ou toute autre

langue indienne. Cette polémique se solde par le triomphe de James

Mill dont les thèses deviennent le point de vue légitime dominant et, en contrepartie, la défaite des orientalistes (fermeture du Collège de Fort-William, coupures de crédits pour les publications, redéfinition des programmes de recherches, etc.). L’importance de cette polémique n’est pas anecdotique me semble-t-il, car elle marque un renversement important des positions de pouvoir dans le champ des études indien- nes : les orientalistes deviennent en position dominée en Inde, mais en position dominante dans certaines fractions du champ académique ‘européen (création de chaires de sanscrit à Paris et à Oxford, par exemple, réorientation des orientalistes en Inde vers une demande plus spécifiquement indienne, etc.). L’ouvrage de Mill apparaît non comme une interrogation sur l’Inde mais plutôt comme un discours de légitimation du pouvoir colonial en Inde. Ce que je voudrais suggé- rer, c’est que l’on ne peut réellement comprendre les tenants et les aboutissants de cette polémique sans la resituer dans le champ de la science coloniale où elle s’insère et qui lui donne son sens, et sans reconstruire les relations que ce champ entretient avec le champ du pouvoir colonial. Qui a intérêt à un moment historique donné à la vérité sur le monde social indien ? Pourquoi, par exemple, les orienta- listes ont-ils raison en 1790 et tort en 1820 ?

2. L’INSTITUTIONALISATION DES SCIENCES SOCIALES

Je parlerai d’institutionalisation des sciences sociales pour dési- gner le moment où ces disciplines sont reconnues comme telles dans le champ académique et scientifique, lorsque cette reconnaissance donne lieu à la création de chaires d’enseignement, à l’ouverture d’instituts de recherche, à la naissance de publications spécialisées, enfin, à l’apparition de chercheurs professionnels dans chacune de ces disciplines.

Mais je ferais dans le même temps quelques réserves. Je crois qu’il ne faut pas surestimer cette période, comme le font certains auteurs (pour des raisons d’ailleurs très différentes selon que ces auteurs sont américains ou indiens). Pour certains, on ne peut parler de sciences sociales en Inde avant la fin du XIX‘ siècle, pour d’autres,

pas avant la période indépendante, pour d’autres encore, la recherche des pionniers et des précurseurs s’étend jusqu’aux auteurs des dhar- masastra ! Tel historien du début du siècle jusqu’alors reconnu com- me le fondateur de l’histoire économique (R.C. Dutt), est aujourd’hui critiqué pour son aspect partisan - voire, certains lui dénient la qua- lité d’historien professionnel. Bref, ce que je veux souligner, c’est que la définition même du caractère scientifique ou non de ce type de production est un enjeu de lutte permanent dans le champ scientifi- que. Mon propos n’est pas ici de prendre parti pour une production, une période contre une autre, mais de rendre compte du pourquoi et du comment de ces enjeux. Aussi, lorsque je parle d’institutionalisa- tion, je désigne essentiellement un changement de conjoncture, une restructuration du champ des sciences sociales qu’il s’agit d’éclairer. De ce point de vue, plusieurs faits sont à prendre en compte.

(23)

sance d’un vaste mouvement réformiste et d’une pensée sociale qui s’expriment dans le langage de la religion et que l’on désigne comme un mouvement de renaissance de l’hindouisme : le Hindu Revival. L’une des conséquences est le développement d’un travail réflexif des Indiens sur leur culture et leurs traditions dont l’exemple le plus caractéristi- que est certainement Rammohun Roy, communément reconnu comme le pionnier du mouvement réformiste indien. Les thèmes de réflexion privilégiés de ce mouvement sont multiples : les structures familiales et le système des valeurs associées, la situation de la femme, l’infan- ticide féminin, les mariages d’enfants, le kulinisme, la situation des veuves, le rite de satî, l’éducation, etc. Les écrits des intellectuels indiens du XIX“ siècle témoignent d’une pensée sociale, réformiste,

progressiste, et non bien sûr d’un véritable travail sociologique ou anthropologique au sens moderne de ces termes. Mais, dans bien des cas, on assiste à une importation de ces problématiques dans le champ des sciences sociales lorsque celui-ci s’institutionnalise dans la seconde moitié du XIX“ siècle.

Deuxièmement, le XIX‘ siècle est également marqué par le déve-

loppement d’une intense vie associative très variée : il peut s’agir d’as- sociations religieuses et réformistes dont la plus célèbre est le Brah- mo Samaj ; d’associations politiques (Landholder’s Society, Zamindar’s Association)

:

d’associations lettrées pour la diffusion de l’enseigne- ment et de la culture occidentale (ce sont par exemple les multiples School Book Societies ou les Literary Societies) mais, aussi, d’asso- ciations aux marges du monde académique comme la Bethune Society de Calcutta, la Bengal Social Science Association (qui était la bran- che indienne de l’International Social Science Association) et, surtout l’association positiviste indienne très active à Calcutta à la fin du

XIX“ siècle. C’est en particulier autour de ces dernières associations

que se constituent de véritables cercles sociologiques dont l’influence dans les milieux intellectuels indiens (en fait, surtout bengalis) fut importante jusque dans les dernières décennies du XIX‘ siècle.

Troisièmement, la création d’un système d’enseignement européen vers 1820 achève le profond bouleversement du champ culturel indien. Malheureusement peu de recherches importantes, à ma connaissance, ont été entreprises dans ce domaine. Je me contenterai donc de ce qui m’apparaît comme quelques suggestions de recherche. I1 faudrait entreprendre ici une sociologie des milieux lettrés traditionnels autour des années 1760-1820 qui est une période de crise (au moins au Ben- gale

-

mais cette notion de crise est elle-même très contreversée) :

crise économique, politique, sociale dont les conséquences sont, en ce qui nous concerne, un déclin du système d’enseignement traditionnel, l’effondrement du patronage des lettrés indiens par les cours princiè- res, une émigration de ces lettrés vers Calcutta et une reconversion, variable selon les groupes, dans des professions urbaines indépendan- tes ou dans l’administration coloniale.

Dans cette conjoncture, la diffusion de l’éducation européenne, liée à la maîtrise de la langue anglaise, contribue à l’apparition de nouveaux groupes d’intellectuels qui rentrent en concurrence dans le

champ culturel : ce sont eux qui constituent les leaders du mouvement réformiste et, plus tard, les cadres du mouvement nationaliste. Face à la fermeture, de droit ou de fait, des positions les plus élevées de l’administration coloniale (1’Indian Civil Service), certaines fractions d‘intellectuels indiens trouvent des débouchés dans les universités qui.

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s’ouvrent dans les années 1850. On peut faire l’hypothèse qu’à la fin du XIX“ siècle, l’université devient le pôle dominant du champ intellec-

tuel indien et l’histoire la discipline également dominante. La biogra- phie de R.G. Bhandarkhar (1837-1925)’ historien spécialiste de l’Inde ancienne, pourrait servir ici d’illustration.

Quatrièmement, on ne peut comprendre bien des effets que pro- duisent ces différents mouvements d‘investigation du social sans prendre en compte une tradition statistique coloniale qui se met en place dès la fin du XVIII“ siècle. Un des effets majeurs les plus cons- tants de ces travaux statistiques est un effet d‘objectivation, effet qui va croissant à partir des années 1870 et de la mise en place des recen- sements décennaux. Je donnerai quelques exemples pour illustrer mon propos. Au début du XIX“ siècle, ce sont les premiers comptages

démographiques qui mettent en évidence le déséquilibre du sex-ratio dans les provinces du Nord-Ouest de l’Inde et, par là, l’infanticide des jeunes filles. Et les tentatives de mise en place de l’état civil visent à contrôler la politique de répression à l’égard de ces pratiques. Les pre- mières statistiques sanitaires publiées par l’armée puis les données censitaires régulières, objectivent épidémies et famines et contribuent à en faire un enjeu politique. Et il en va de mCme de l’enregistrement de la situation matrimoniale lorsque << orthodoxes >> et c( progressis-

tes x s’affrontent autour de la réforme de l’âge au mariage entre

1880 et 1920.

Mais cette tradition statistique coloniale a eu un autre effet impor- tant sur le développement des sciences sociales indiennes, en particu- lier de l’anthropologie. L’enregistrement des castes lors des recense- ments (outre les effets sociaux pervers produits sur les rapports entre les groupes) est à l’origine de nombreuses investigations ethnographi- ques qui ont donné lieu à la publication de rapports provinciaux (Cas- tes and Tribes Reports) aujourd’hui encore sources de références. Les recherches anthropologiques d’abord liées aux recensements s’en dis- tinguent progressivement et, en conjonction avec les travaux indivi- duels de quelques intellectuels indiens, une véritable école anthropolo- gique indienne se dégage : en 1905 est organisé le Ethnographic Sur- vey, en 1915 naissance du Journal of the Bihar and Orissa Research

Society, en 1921 Sarat Chandra Roy qui poursuit une œuvre assez soli-

taire fonde la revue Man in India, enfin, à l’indépendance est créé le Anthropological Survey of India.

Cinquième et dernier point que je ne ferai que mentionner (mais qui n’est pas le moins important), c’est la naissance du mouvement nationaliste (le Congrès national indien est fondé en 1885). Celui-ci va profondément marquer tous les débats scientifiques (sciences socia- les et sciences exactes incluses) qui se polarisent autour des deux positions extrêmes, science coloniale/science indigène (swadeshi) ou, encore, dans l’opposition entre science et swaraj (indépendance).

Je voudrais maintenant revenir sur le développement plus parti- culier de la sociologie. C’est à Bombay qu’est créé en 1919 le premier institut de sociologie par Patrick Geddès qui était un géographe.

I1

est remplacé par G.S. Ghurye quelques années plus tard. K.M. Kapadia,

I. Karve et M.N. Srinivas, pour ne citer que les noms les plus connus, ont été élèves de Ghurye. Mais on devine, à la lumière des faits que je viens d’évoquer, qu’il est difficile d’isoler cet événement pour en faire la date fondatrice de la sociologie indienne. Paradoxalement, alors que c’est à Calcutta que la vie intellectuelle était concentrée, que

(25)

le positivisme y avait été le plus sensible, que la sociologie était ensei- gnée avec la philosophie à l’université dès les années 1900, Calcutta n’émerge pas comme un grand centre de recherche sociologique. (Cependant, c’est un centre important pour l’anthropologie et pour l’économie.) En dehors de Bombay, le second centre important est Lucknow, fondé il est vrai par deux Bengalis. Je voudrais ici attirer l’attention sur l’école de sociologie de Lucknow qui est assez peu connue. Elle se développe dans les années 1930 autour de Radhakamal Mukerjee et de D.P. Mnkerji dont les biographies mériteraient une présentation détaillée. Par leur enracinement dans le mouvement de renaissance bengalie, leur engagement politique et leur activisme social, leurs trajectoires socio-professionnelles font assez bien appa- raître, me semble-t-il, les contradictions, ou les tensions, qui les ani- ment et qui laissent leurs marques sur le type de sociologie qui s’est développée à Lucknow : une sociologie très critique, tant à l’égard des approches européocentriques de l’Inde que de certaines tradi- tions indiennes.

3. LA PLANIFICATION DES SCIENCES SOCIALES

Pour résumer mon propos, je dirai que dans les années 1930, en simplifiant, la recherche en Inde se structure autour de deux pôles :

d’une part, une recherche conduite par des fonctionnaires coloniaux, pour la très grande majorité membres de l’ICS, induite directement par les besoins pratiques de l’Etat colonial (les travaux sur les castes en fournissent, en un sens, l’exemple le plus caractéristique) et, d’au-

tre part, une recherche de type académique, conduite par des cher- cheurs indiens qui appartiennent pour une grande part au champ universitaire et sont très influencés par le mouvement nationaliste (une illustration pourrait en être l’école historique indienne).

Mais ce ne sont là que des pôles extrêmes. Entre les deux, toutes les situations sont possibles et l’ensemble est beaucoup plus com- plexe que cette opposition ne le laisse entrevoir. Ainsi, de nombreux fonctionnaires coloniaux britanniques font, parallèlement ou succes- sivement à une carrière administrative, une œuvre de chercheur : on peut citer le cas de J.H. Hutton, Commissaire du recensement de 1931 et, quelques années plus tard, professeur d’anthropologie à Cam- bridge, ou celui de Moreland, premier grand historien de l’Inde moghole. Du côté indien, on observe des cas de trajectoires, pour une part, homologues. Ainsi R.C. Dutt quitte l’administration coloniale pour se consacrer à la rédaction de son histoire économique de l’Inde. Ils peuvent au contraire rester dans l’administration et se consacrer

A

un travail essentiellement de recherches : c’est le cas par exemple de L.K. Ananthakrishna Iyer, Superintendant of Ethnography pour 1’Etat de Cochin au début du siècle et, ultérieurement, Directeur du département d’anthropologie de l’Université de Calcutta.

Ce ne sont là que quelques exemples afin de suggérer des types de trajectoires qu’il faudrait envisager dans leur globalité. Pour cela, une sociologie du champ de l’administration coloniale est nécessaire :

j’ai souligné que l’opposition fondamentale est ici entre I’ICS (dont les membres semblent avoir détenu un quasi monopole de la recher- che), et les autres services coloniaux, tout particulièrement, les servi- ces de l’éducation qui était le corps le plus prestigieux de l’ensemble

(26)

des corps subalternes à I’ICS (et le seul corps facilement accessible aux Indiens). Pour de multiples raisons (origine sociale des agents, définition des postes, subordination à l’ICS), les fonctionnaires bri- tanniques des services de l’éducation, à quelques exceptions notables, n’ont pas conduit de grandes recherches sur l’Inde, laissant ainsi cette place vacante pour les fractions académiques des intellectuels indiens. Enfin, pour comprendre le développement des sciences sociales au début du siècle, il faudrait analyser la politique scientifique colo- niale et la réponse du mouvement nationaliste que j’ai évoquée pré- cédemment. La planification du développement et des sciences socia- les, si elle s’impose avec force après l’indépendance, a ses origines dans les expériences des années 1930. Aussi, là encore, je crois qu’il ne faut pas surestimer la coupure que représente l’indépendance. Cer- tes, la nature du système politique change ; de même que changent les moyens mis à la disposition de la recherche autant que ses finali- tés. Mais il y a aussi une assez grande permanence des structures et des agents dans ces structures (de nombreuses institutions de recherches mises en place dans les années 1930 ne font que changer de nom, en conservant parfois leur sigle).

Le Indian Advisory Committee créé en 1899 et, surtout, le Board of Scientific Advice créé en 1903 sont les deux premiers organismes chargés de définir une politique scientifique coloniale. Celle-ci vise à

la fois à rationaliser l’exploitation des ressources du pays au profit du commerce britannique et à répondre aux problèmes spécifiques du développement rural (problèmes que la répétition des famines sou-

lève de manière aiguë). Dès la mise en place de ces organismes, une opposition qui va subsister se manifeste entre, d’une part, I’IAC parti- san d’une division entre une recherche fondamentale faite en Angle- terre et une recherche appliquée faite en Inde et, d’autre part, le BSA qui défend l’indépendance de la recherche faite en Inde. Le dévelop- pement du mouvement swadeshi à partir des années 1905-1910 qui met en cause la finalité de la politique scientifique coloniale contribue à la définition, par le mouvement nationaliste, d‘une contre-politique plus favorable aux intérêts indiens. C’est au milieu des années 1930 que se situent les premiers efforts de planification économique associés à une réorganisation des services statistiques et à des propositions de gran- des enquêtes socio-économiques. En 1934 un Planning Committee est mis en place auprès du gouvernement de l’Uttar Pradesh ; et il faut noter que les sociologues et les économistes de Lucknow sont étroite- ment associés à cette expérience. En 1938 est fondé le National Plan- ning Committee que préside Nerhu et auquel participe, entre autres, Radhakamal Mukkerj ee. On voit encore apparaître ici l’intérêt que représente l’étude de l’école de Lucknow. A ma connaissance (mais peut-être est-ce un manque d’information) il me semble que la socio- logie qui s’est développée à Bombay est restée plus indépendante des demandes qui émanaient du champ politique.

Je terminerai par un rapide survol du développement institution- nel qui marque les années postérieures à l’indépendance. L’université qui reste dans les quinze premières années le centre de la recherche voit son influence diminuer pour des raisons structurelles (afflux d’étudiants, encadrement insuffisant) et politiques (les universités pas- sent sous le contrôle des Etats fédéraux, le choix de la langue d’en- seignement n’est pas fixé). Elles sont concurrencées par de nouveaux instituts de recherche (Delhi School of Economics, Institute of Econo-

(27)

mic Growth, Indian Statistical Institute) et par la création des Insti- tutes of Technology.

En 1968, la création du Indian Council for Social Science Research (ICSSR) marque un nouveau développement de la politique en scien- ces sociales. Une dizaine d'instituts de recherche centrés sur les pro- blèmes du développement sont alors créés. Dominés par des écono- mistes, ces instituts qui peuvent associer recherche et enseignement, conduisent des études principalement au niveau régional et en liai- son étroite avec les demandes, en fait, des Etats fédéraux. Dans ce contexte, on voit que la question de l'autonomie de la recherche con- duite dans ces instituts se pose de manière aiguë. Les chercheurs rap- pellent d'ailleurs très fréquemment l'indépendance et la liberté de travail dont ils jouissent, pointant ainsi l'ambiguïté de leur position. Enfin, je voudrais signaler l'existence d'un autre groupe d'instituts consacrés aux études de cc développement alternatif n. Je.pense en par-

ticulier aux instituts qui se réclament de l'idéologie gandhienne ou

post-gandhienne (par exemple le mouvement Bhoodan de Vinoba Bhave). Je pense qu'il serait erroné de ne pas les prendre en compte. Souvent financés par le ICSSR, ces instituts appartiennent de fait au champ scientifique indien, comme en témoigne le fait qu'ils peuvent servir, pour certains sociologues, de pôle négatif de référence.

Bien d'autres questions auraient pu être abordées ici, par exemple, l'étude des publications dont je n'ai rien dit ; celles relatives au rôle de l'Etat comme incitateur de recherches ; ou, encore, les relations que les sciences sociales indiennes entretiennent avec le champ inter- national de la recherche (je pense en particulier aux rapports de domi- nation avec les Etats-Unis sur lesquels le livre récent de George Rosen apporte des Cléments éclairants, au moins pour les sciences Cconomi- ques dans la conjoncture des années 1950-1960), etc.

Cet exposé sommaire n'aura peut-être pas été complètement inu- tile si j'ai pu faire entrevoir la profondeur historique qu'il faut pren- dre en compte pour penser l'histoire des sciences sociales indiennes et l'extrême complexité du champ auquel on a affaire.

COMMENTAIRE SUR L'EXPOSE DE ROLAND LARDINOIS

Kapil

Raj,

Enseignant à 1'E.N.S.T.

Ma réflexion sur l'histoire des institutions et des disciplines scien- tifiques en Inde m'amène à penser que les sciences sociales dans ce pays restent héritières, et en même temps prisonnières, des perspecti- ves de la période que Roland Lardinois a décrite, en particulier en ce qui concerne l'influence de l'orientalisme puis les diverses probléma- tiques du XIX" siècle. Je pense que le contexte de la colonisation bri-

tannique est très important pour les sciences sociales, au sens con- temporain du terme. La colonisation britannique donne une nouvelle vie à une élite hindoue qui prend une nouvelle conscience de son identité à travers les travaux des orientalistes. Dans le même temps, leur orgueil est blessé par le colonialisme comme par le prosélytisme des missionnaires européens.

(28)

A cause de cela, il y a au milieu du XIX“ siècle des mouvements

réformistes, un nouveau regard sur l’hindouisme, qui donnent lieu 21 une conscience nationaliste. C’est dans ce contexte qu’est ressenti le besoin de développer les sciences sociales afin d‘enrichir la capacitd d’analyse du mouvement nationaliste. Pour les marxistes en particu- lier, cela paraissait essentiel parce qu’en liaison nécessaire avec le développement technologique.

Après l’indépendance, certaines disciplines prennent beaucoup d’importance, en particulier l’économie et la sociologie. Mais il n’y a

pas de véritable créativité. En fait, on prend comme donnée certains modèles développés en Occident et on veut montrer que l’on peut faire aussi bien en Inde. Mais il n’y a pas de renouvellement, pas

de

questionnement.

I1

y a peut-être une exception qu’il faut mentionner ; c’est en his-

toire (Southern Studies) où il y a des chercheurs qui commencent

B

réexaminer les données sous un angle différent. Mais ce n’est pas le cas dans ma discipline, en histoire et en sociologie des sciences

s’exprime surtout un ressentiment d’inspiration nationaliste.

Déjà au XIX“ siècle, il y a le sentiment, argumenté sur la base de

l’orientalisme, que les hindous avaient tout inventé avant l’arrivée des musulmans, lesquels avaient accaparé ce savoir sans reconnaître leur dette. Ensuite, viennent les Européens qui nous redonnent ce savoir. C’est vécu comme une seconde insulte. Puis pour retourner le cou- teau dans la plaie, arrive Joseph Needham qui vient rétablir les faits historiques du développement scientifique. Manque de chance, il attri- bue presque toute l’origine de ce développement aux Chinois. L’Inde n’est même pas mentionnée ! Ce n’est bien sûr qu’un exemple, mais

il

est également révélateur à mon sens du climat dans lequel se sont

développées les sciences sociales en Inde.

DEBAT

Philippe Cadène

Je voudrais ajouter quelques remarques concernant la géographie. On parle en effet avec raison de l’influence britannique dans le déve- loppement des sciences sociales en Inde. En géographie cependant, à travers cette influence britannique, c’est 1’Ecole française de géogra- phie régionale de Vidal de la Blache qui a pénétré les universités. L’impact fut si important, qu’aujourd’hui encore, dès que l’on quitte les universités des plus grandes métropoles où les chercheurs lisent beaucoup les travaux américains et sont très marqués par les orienta- tions et les méthodes développées outre-atlantique depuis les années cinquante, dans beaucoup d’autres lieux, je pense aux universités que je connais bien dans le Rajasthan, nos collègues indiens lisent tou- jours Vidal de la Blache et réalisent des travaux qui répondent à

ses indications et à celles de ses successeurs. Le géographe franpis est ainsi accueilli avec un grand intérêt. I1 existe un réel désir de connaître l’évolution et les tendances actuelles de la discipline dans notre pays.

Références

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Mais Je travail démarre sur un canevas très libre, simple, chacun apportant par la suite son idée.. De ce fait nous tenons compte des individualités

Il arrive enfin tout essoufflé, il voit une sur laquelle il lit :.. « Aujourd’hui la piscine

4) Calculer la somme de soixante premiers entiers

Montrer que les

Associer chaque courbe à sa fonction. 2) Montrer que est la médiane issue de du triangle. 3) Ecrire une équation cartésienne de la médiane issue de du triangle. Tracer. 4)

Déterminer alors les coordonnées du point intersection de C et.. Etudier la position relative de C

[r]

4- On charge à présent le moteur (pour R h = 0) en le faisant entraîner une charge qui représente un couple résistant de 10Nm s’ajoutant au couple de pertes (supposé