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La marocanité associative en France. Militantisme et territorialité d'une appartenance exprimée à distance.

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Submitted on 11 Feb 2008

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La marocanité associative en France. Militantisme et

territorialité d’une appartenance exprimée à distance.

Antoine Dumont

To cite this version:

Antoine Dumont. La marocanité associative en France. Militantisme et territorialité d’une apparte-nance exprimée à distance.. Géographie. Université de Poitiers, 2007. Français. �tel-00250180�

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Université de Poitiers

Ecole doctorale de sciences humaines, économiques et sociales

Laboratoire Migrinter (UMR 6588), Maison des Sciences de l’Homme et de la Société

Antoine DUMONT

La marocanité associative en France.

Militantisme et territorialité d’une appartenance

exprimée à distance.

Thèse présentée en vue de l’obtention du Doctorat de Géographie

Soutenue le 21 novembre 2007

Co-dirigée par Catherine NEVEU et Emmanuel MA MUNG

Composition du jury :

- William BERTHOMIÈRE, géographe, chargé de recherche au CNRS, Migrinter, Université de Poitiers

- Mohamed CHAREF, professeur de géographie à l’Université Ibn Zohr d’Agadir

- Emmanuel MA MUNG, géographe, directeur de recherche au CNRS, Migrinter, Université de Poitiers

- Catherine NEVEU, anthropologue, directeur de recherche au CNRS, LAIOS, EHESS - Martin VANIER, professeur de géographie à l’Université Joseph Fourier de Grenoble - Catherine WIHTOL DE WENDEN, sociologue, directeur de recherche au CNRS, Centre d’études et de recherches internationales

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La marocanité associative en France.

Militantisme et territorialité d’une appartenance

exprimée à distance.

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Université de Poitiers

Ecole doctorale de sciences humaines, économiques et sociales

Laboratoire Migrinter (UMR 6588), Maison des Sciences de l’Homme et de la Société

Antoine DUMONT

La marocanité associative en France.

Militantisme et territorialité d’une appartenance

exprimée à distance.

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Remerciements

Parmi toutes les personnes qui m’ont aidé lors de mon enquête de terrain, je souhaite remercier plus particulièrement Nourredine Anouar, Mohamed Benhadou, Ali El Baz, Mohamed Ezzouak, Mokhtar Ferdaoussi, Zahra Hrifa, Abdellatif Lagnaoui, Abdel Ghani Moussalli, Abdallah Moubine et Rida Teffahi. Ces militants associatifs et syndicaux m’ont ouvert leurs portes, confié leurs archives, livré leurs réflexions. Ils ont guidé mon exploration d’un terrain dont j’ignorais presque tout au départ. Je remercie tous les autres interviewés, ainsi que tous les militants rencontrés durant ces années.

Patrick Veglia, de l’association Génériques, a eu l’amabilité de m’autoriser à reproduire ici d’anciennes affiches associatives. D’autres personnes militantes et universitaires m’ont fourni des informations indispensables à la bonne marche de l’enquête. Qu’elles soient ici remerciées, même si leurs noms ne figurent pas en toutes lettres sur cette page.

Ces remerciements s’adressent aussi aux membres de l’équipe Migrinter, notamment aux plus jeunes d’entre eux, doctorants et jeunes docteurs. Je remercie surtout mes deux directeurs de thèse, qui ont eu l’habilité nécessaire pour m’indiquer les voies à suivre et celles à éviter dans la réalisation de cette thèse. Leurs conseils m’ont permis d’extraire du terrain ce que vous vous apprêtez à lire.

Ma reconnaissance va enfin à la Région Poitou-Charentes, pour avoir financé les premières années de ma recherche, et aux Universités de Poitiers et de Valenciennes et du Hainaut Cambrésis, qui m’ont permis de la poursuivre, tout en découvrant le métier d’enseignant.

Je salue très chaleureusement mes amis de Bretagne et d’ailleurs, mes frères, ma soeur, mes parents et Lucie, qui a enduré ma mauvaise humeur durant les heures de rédaction.

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« Le savoir est une attitude, une passion. C’est même, au fond, une attitude illicite : comme le goût de l’alcool, de l’érotisme ou de la violence, le besoin de savoir entraîne la formation d’un caractère qui n’est plus en équilibre. Il est tout à fait faux de dire que le chercheur poursuive la vérité, c’est elle qui le poursuit. Il la subit. Le Vrai est vrai, le fait est réel indépendamment du chercheur : simplement, le chercheur en a la passion ; la dipsomanie du fait détermine son caractère, et il se soucie comme d’une guigne de savoir si ses constatations engendreront quelque chose de total, d’humain, d’accompli, ou si elles engendreront quoi que ce soit. C’est une nature contradictoire, souffrante, et cependant extraordinairement énergique. »

Robert Musil, L’homme sans qualités.

« Il n’y a rien dans la disposition des lieux, pas même la distance, dont l’effort des hommes ne puisse triompher avec le temps. »

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Sommaire

INTRODUCTION GENERALE... 10

PREMIÈRE PARTIE

LA MAROCANITÉ ASSOCIATIVE,UNE HYPOTHÈSE NOUVELLE DANS LE CHAMP DES RECHERCHES SUR LES MIGRATIONS INTERNATIONALES ... 20

CHAPITRE UN :

L’ETAT DES RECHERCHES SUR L’ETHNICITE ASSOCIATIVE ET L’IDENTITE MAROCAINE MIGRANTE... 30 CHAPITRE DEUX :

L’HYPOTHESE DE LA MAROCANITE ASSOCIATIVE ET SON EXPLORATION SUR LE TERRAIN FRANÇAIS... 76

SECONDE PARTIE

TRANSPOSITION ET AUTONOMISATION IDENTITAIRES DES MIGRANTS MAROCAINS DANS LE CHAMP ASSOCIATIF FRANCAIS... 132

CHAPITRE TROIS :

LA TRANSPOSITION EN FRANCE DES IDENTITES NATIONALE, ETHNIQUES ET RELIGIEUSES VECUES AU MAROC134 CHAPITRE QUATRE :

RESSOURCES ET MOTIFS DE L’ENGAGEMENT ASSOCIATIF DES MIGRANTS MAROCAINS... 173

TROISIÈME PARTIE

UNE HISTOIRE DES ASSOCIATIONS DE MIGRANTS MAROCAINS EN FRANCE... 209

CHAPITRE CINQ :

NAISSANCE ET BIPOLARISATION D'UNE EXOPOLITIE MAROCAINE EN FRANCE (1912-1981)... 211 CHAPITRE SIX :

DE LA BIPOLARISATION DE L’EXOPOLITIE MAROCAINE A LA FRAGMENTATION DES ASSOCIATIONS DE MIGRANTS (1981-1995) ... 283 CHAPITRE SEPT :

MULTIPOLARISATION DES ASSOCIATIONS ET RECOMPOSITIONS AUTOUR DE NOUVEAUX MOTS D’ORDRE (1995-2005) ... 354

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QUATRIÈME PARTIE

DYNAMIQUES POLITIQUES ET SPATIALES DE LA MAROCANITÉ ASSOCIATIVE EN FRANCE

... 415

CHAPITRE HUIT : LES MODALITES D’EXPRESSION ET LA STRUCTURATION ASSOCIATIVE DU PATRIOTISME MAROCAIN A DISTANCE ... 418

CHAPITRE NEUF : MAROCANITE ASSOCIATIVE ET MILITANTISME POST-COLONIAL... 463

CHAPITRE DIX : MAROCANITE ET TERRITORIALITE ASSOCIATIVES DANS L’ESPACE TRANSNATIONAL... 516

CONCLUSION GENERALE... 575

SIGLES UTILISES...589

BIBLIOGRAPHIE...593

TABLE DES MATIERES...613

LISTE DES CARTES...619

LISTE DES ENCADRES ET FIGURES...620

LISTE DES PHOTOGRAPHIES...621

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Introduction générale

« La migration marocaine a engendré une construction identitaire stable dans la double dimension de la durée et de l’espace, un véritable système relationnel et circulatoire […], système qui fonctionne de plus en plus en système autonome, et qui constitue, à notre sens, l’un des liens les plus forts, entre le Nord et le Sud de la Méditerranée et au-delà, une plate-forme chaque jour plus ouverte sur le reste du monde. »

Gildas Simon, 2005.

Au début du 21ème siècle, plus de deux millions de Marocains résident hors des frontières du Maroc, dont 500 000 environ en France, qui demeure le premier espace d’installation des migrants marocains dans le Monde. Des traces de présence marocaine y sont relevées dès la fin du 17ème siècle. L’émigration marocaine contemporaine vers la France tirerait son origine de la venue à Nantes, en 1909-1910, d’une dizaine d’ouvriers en provenance du Souss pour travailler dans une usine métallurgique [Ray, 1938 : 33, 44]. Le lien de causalité entre l’essor de cette émigration et la mise en place du Protectorat français sur le Maroc, le 31 mars 1912, fait encore débat [Belbah ; Veglia, 2005], mais il est établi que les années 1960 sont celles de la généralisation des départs vers la France. La fermeture progressive des frontières françaises et européennes à l’immigration de travail ne stoppe pas ce mouvement migratoire, qui concerne désormais femmes et hommes, enfants et retraités, ruraux et urbains, commerçants et salariés, élites socio-économiques et main-d’œuvre non qualifiée. Aujourd’hui, l’émigration marocaine vers la France étonne à la fois par l’ancienneté de ses filières et par la diversité de ses acteurs.

Le long des différents flux reliant leurs lieux d’origine et ceux où ils s’installent dans le Monde, les migrants marocains ont constitué un nouvel espace social et relationnel, un champ migratoire au sens de Gildas Simon [1979]. Ces dernières années, des recherches doctorales ont été consacrées à certaines dimensions de ce champ migratoire considéré à partir de la France, qu’il s’agisse de la place de Strasbourg dans ce champ et de la structuration de ce dernier [Schaeffer, 2004], des réseaux transnationaux du développement tissés par les migrants originaires du Souss [Lacroix, 2003] ou de l’extension, par la circulation migratoire, de l’espace vécu des femmes marocaines de Gennevilliers et de Poitiers [El Hariri, 2003].

Ces recherches se sont inscrites dans la réflexion théorique sur la circulation migratoire, soit l’ensemble des flux animant ce champ, et ont permis de consolider les connaissances empiriques de la géographie de la migration marocaine en France. Ailleurs en Europe, des chercheurs se penchent sur les associations de migrants marocains en Espagne et en Italie et la superposition des espaces politiques dont elles témoignent [Danese, 2000], sur l’intégration des élites d’origine marocaine dans les espaces politiques locaux belge, français et néerlandais [Bousetta, 2001] et sur la réappropriation de l’identité marocaine par les jeunes nés de parents immigrés aux Pays-Bas [Van Heelsum, 2002]. S’est ainsi créé un véritable sous-champ

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d’étude pluridisciplinaire, matérialisé par des colloques1, des séminaires et des publications auxquels prennent part des chercheurs marocains, qu’ils travaillent sur les questions de circulation migratoire [Charef, 1999, 2000], de double nationalité franco-marocaine [Belbah ; Chattou, 2002] ou de politique migratoire marocaine [Belguendouz, 2003, 2005]. Au-delà de l’unité de leur objet d’étude – une population définie par son origine nationale et son espace de résidence – ce qui réunit selon moi ces différents auteurs est une commune réflexion sur la persistance d’un sentiment d’appartenance marocaine parmi ces migrants, malgré l’ancienneté historique et la diversité socio-spatiale de leur émigration, et par-delà la distance qui sépare ces migrants – et leurs enfants, voire leurs petits-enfants – de leur espace d’origine.

Sentiment d’appartenance et distance sont donc ici les deux concepts-clés d’une réflexion géographique nourrie d’une observation du champ migratoire franco-marocain, réflexion qui rejoint, à mon sens, celle des politistes qui s’intéressent à la dissociation croissante entre l’Etat, la nation et le territoire ; ou, pour le dire plus précisément, entre le territoire national, conçu comme un espace borné, approprié et contrôlé de manière homogène par l’Etat-nation, et la multiplicité des sentiments d’appartenance d’individus mobiles, qui s’exerce à l’égard de lieux distincts et distants de ceux où ils vivent et qu’ils pratiquent au quotidien. Un des objets d’étude qui a le plus bénéficié de cette convergence d’intérêts scientifiques entre géographes et politistes (mais aussi historiens, sociologues, etc.) est sans doute celui de diaspora.

Ce concept, qui désigne une formation socio-spatiale déjà ancienne, a été récemment revisité de manière collective [Anteby-Yémini et alii, 2005], mais aussi critiqué pour l’engouement qu’il aurait suscité au détriment de celui de nation [Bordes-Benayoun ; Schnapper, 2006]. Sans me positionner à ce stade dans ce débat, ni chercher à savoir s’il existe une « diaspora

marocaine », je dois préciser ici les deux éléments – sur lesquels je reviendrai – que ma

réflexion emprunte aux travaux sur les diasporas. D’une part, il s’agit de la notion d’extra-territorialité conçue comme le sentiment qui permet de « réunir les lieux de la diaspora en un

territoire virtuel, de regrouper par la pensée les lieux en un ensemble, en un espace métaphorique » [Ma Mung, 2000 : 159]. Cette notion, qui vise à qualifier le sentiment

d’appartenance à un espace et à un groupe, est déjà utilisée dans d’autres cadres que celui des diasporas au sens strict, à propos par exemple des nouvelles formes de nomadisme dont feraient justement preuve certains migrants marocains en France [Sala ; Tarrius, 2000]. D’autre part, il s’agit de la notion d’espace transnational : proche de celle de champ migratoire, elle désigne l’espace social construit par les migrants par-delà les frontières nationales à travers leurs activités quotidiennes et leurs relations sociales, économiques et politiques [Basch et alii, 1994 : 27]. Cette notion est utilisée dans nombre d’études sur les migrations internationales2, notamment pour singulariser l’espace de vie et de circulation de « communautés transnationales » qui ne peuvent être qualifiées de diasporas [Bruneau, 2004].

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Par exemple, le colloque international intitulé Moroccan transnationalism, qui s’est tenu du 13 au 15 juillet 2005 à l’Université du Sussex, Brighton (Grande-Bretagne), dans le cadre du réseau européen Imiscoe.

2

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Plutôt que de diasporique, cet espace est alors être qualifié de « territoire circulatoire » [Tarrius, 2000, 2001, 2005], de « territoire migratoire » [Faret, 2003] ou de territoire de la mobilité [Schaeffer, 2004]. Le terme d’espace transnational disparaît donc chez les auteurs cherchant à décrire les nouvelles formes territoriales qui émergent dans cet espace. A l’inverse, le terme est conservé chez les auteurs qui s’intéressent davantage aux mobilisations associatives des migrants qu’aux territoires que ces mobilisations contribueraient à construire [Lacroix, 2005]. La réflexion peut enfin viser à qualifier ces mobilisations associatives en les distinguant de celles des diasporas ; c’est le cas de la notion de « nationalisme transnational » proposée par Riva Kastoryano [2006] et sur laquelle je reviendrai.

Cette diversité des approches théoriques de la notion d’espace transnational s’explique par le fait que, malgré nombre d’études sur ses manifestations concrètes, sa conceptualisation est encore balbutiante. Ainsi, tandis que certains géographes plaident pour étendre l’usage des termes transnational et transnationalité à d’autres populations que les migrants internationaux [Jackson et alii, 2003 : 13-15], d’autres auteurs plaident pour une délimitation plus stricte de ce champ d’études [Portes et alii, 1999 ; Vertovec, 1999]. Dès lors, de mon point de vue, l’espace transnational n’est pas encore une notion aussi opératoire que celle de champ migratoire : la réalité socio-spatiale qu’il désigne ne peut être appréhendée en tant que telle, en dehors des manifestations concrètes de transnationalité, dans tel ou tel lieu, le long de tel ou tel réseau. Autrement dit, l’espace transnational et la transnationalité ne peuvent suffire à qualifier la spatialité spécifique de telle ou telle population. Cela est également valable pour tous les acteurs majeurs de l’espace transnational, parmi lesquels les associations de migrants figurent en bonne place [Amiraux, 1999 ; Faist, 2000, 2004].

Comment qualifier la spatialité de ces associations ? Quel rôle joue t-elle dans la spatialité du groupe migrant dont elle émane ? Cette double question est au centre de ce travail de thèse. Commencer à y répondre nécessite de mieux cerner ce qu’est une association de migrants. Selon ma définition, il s’agit d’une association créée dans le pays d’installation par des personnes nées étrangères à l’étranger et résidant dans le pays depuis plus de trois mois, autour d’activités orientées en grande partie vers le(s) pays d’origine, indirectement ou non. Le premier critère, démographique, est donc fondé sur la définition de l’immigré au sens de l’INSEE. Selon ce critère, une association de migrants marocains rassemblera des migrants originaires du Maroc, qu’ils aient ou non acquis la nationalité de l’Etat d’installation. On pourrait, de la même façon, imaginer des associations de migrants maghrébins, africains ou simplement étrangers, c’est-à-dire des associations d’originaires de différents pays.

Le choix du second critère est, quant à lui, fondé sur un postulat : comme je m’intéresse à la persistance d’un sentiment d’appartenance marocaine parmi ces migrants malgré la distance qui les sépare du Maroc, je privilégie, parmi leurs activités associatives, l’observation de celles qui sont orientées directement ou non vers le Maroc, car je postule qu’elles sont les plus susceptibles de m’informer sur ce sentiment d’appartenance et sur ses significations collectives. Enfin, si j’emploie le terme de « migrants », omniprésent dans les travaux du laboratoire Migrinter, c’est pour dépasser la dichotomie immigré / émigré présente dans d’autres travaux et dans les politiques publiques. Cette dénomination me permet notamment

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de souligner que les associations que j’étudie articulent les espaces d’origine et d’installation. On remarquera néanmoins que la migration, au sens de changement durable de lieu de résidence, paraît achevée pour nombre de ces « migrants », à tel point qu’en France, leur sédentarisation définitive semble acquise.

Ainsi définies, les associations de migrants marocains en France jouent-elles un rôle dans la spatialité du groupe dont elles sont issues ? Oui, si l’on considère que ces associations permettent à tous les migrants marocains présents en France d’exprimer leur sentiment d’appartenance marocaine et contribuent à réduire, au moins symboliquement, la distance qui les sépare du Maroc. Mais en quoi s’agit-il d’un rôle particulier ? Autrement dit, comment ces sentiments s’expriment-ils ? Et comment la distance avec le Maroc est-elle réduite ? Ces questions appellent quelques remarques sur les spécificités de l’expression associative de ce sentiment d’appartenance.

Tout d’abord, il s’agit d’une expression collective de sentiments individuels, au sens où ceux-ci sont agrégés puis organisés dans des activités, des objectifs, des discours et des symboles communs. Ensuite, cette mise en commun est volontaire : elle procède d’une intention des personnes, qui ne sont a priori nullement obligées d’adhérer à telle ou telle association. De ce fait, c’est aussi une expression marginale de la marocanité, au sens où peu de migrants rejoignent les associations concernées. En effet, mon enquête de terrain, réalisée en région parisienne et dans l’Ouest de la France, m’a conduit à réviser à la baisse le nombre de migrants marocains associés entre eux. Le problème se pose alors de l’efficacité des actions de ces associations et de leur impact sur la vie quotidienne des migrants marocains. Enfin, parmi les quelque 300 à 350 associations de migrants marocains existantes en France, toutes n’ont pas la même régularité dans leurs activités, ni le même nombre d’adhérents. Dès lors, non seulement certaines associations participent plus que d’autres à l’expression collective et volontaire des sentiments d’appartenance marocaine, mais d’autres formes d’expression de ces sentiments sont toujours possibles, en particulier des formes privées (familiales, par exemple). C’est alors le caractère public des associations qui serait leur troisième spécificité.

Ces remarques conduisent à penser que la question initiale est sans doute mal posée : si les associations de migrants marocains joue un rôle dans la spatialité de ce groupe considéré dans son ensemble, ce rôle s’exerce par le filtre du champ associatif français. Autrement dit, la spatialité des migrants marocains, que les chercheurs qualifient tantôt de nomade, tantôt de circulatoire, en se basant sur leurs observations des pratiques et des représentations spatiales des membres de ce groupe, ne relève pas du même ordre que la spatialité des associations étudiées. D’emblée, il convient d’affirmer leur triple dimension collective, volontaire et publique. Leur spatialité n’est donc pas « l’émanation » de celle des migrants marocains dans leur ensemble, même si elle peut contribuer à sa mise en scène dans l’espace public français.

A ce stade, ma réflexion peut-elle s’appuyer sur des travaux menés sur les associations de migrants - marocains ou non – en France ? Apparus dans les années 1980, ceux-ci sont restés presque tous centrés sur l’espace d’installation. La réduction de la distance avec l’espace d’origine et l’expression d’une appartenance autre que française sont alors lues par le prisme

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d’un « nationalisme méthodologique », car interprétées en termes de « communautarisme » et qualifiées de phase transitoire dans le processus d’intégration des migrants à la société française. Affirmer cela n’est pas nier les apports de ces travaux, qui ont dû défricher un champ de recherches entièrement nouveau, mais souligner le contraste avec les travaux français et européens les plus récents : ceux-ci étudient les associations de migrants en terme de « transnationalisme » et interprètent positivement le maintien et l’entretien de liens avec les pays d’origine et l’expression d’appartenances autres qu’« autochtones ».

A cette opposition entre la plupart des travaux d’hier et la majorité de ceux d’aujourd’hui, échappent certaines recherches qui étaient et restent centrées, d’une part sur une conception du migrant comme acteur de son parcours dans l’espace d’installation, notamment dans le champ politique [Wihtol de Wenden, 1988], d’autre part sur les champs migratoires auxquels ces associations de migrants appartiennent plus ou moins. Il en est ainsi des travaux de Marina Hily et Michel Oriol sur les associations de migrants portugais en France. Décrites comme des mobilisations organisées favorisant la « circulation de sens » entre les membres du groupe migrant, contrairement aux mobilisations instituées plus contraignantes, ces associations de migrants ne seraient pas seulement des « médiations entre les Etats [d’origine et d’installation] et les communautés émigrées » mais d’abord « des lieux de décentrement de

la définition des appartenances » [Oriol ; Hily, 1985 : 9].

C’est une telle voie que je souhaite emprunter ici. Car, en effet, de quoi s’agit-il quand il est question d’exprimer un sentiment d’appartenance marocaine au sein d’une association ? De démontrer sa fidélité à ses origines ? Mais lesquelles ? Est-ce une fidélité aux membres de la famille restés au Maroc ou une manifestation de son appartenance au peuple marocain ? Un attachement au bled, au quartier urbain ou à la région d’origine ? Ou est-ce un attachement au territoire national ? Enfin, s’agit-il d’exprimer son allégeance au roi, son attachement à l’Etat marocain, ou s’agit-il d’en contester certains fondements, voire d’en imaginer d’autres ?

Le sentiment d’appartenance marocaine peut donc revêtir plusieurs significations selon les individus, car il se rapporte à la nation marocaine comprise à la fois en tant qu’Etat, territoire et peuple. Ce sentiment d’appartenance politique, spatiale et / ou sociale est désigné, tout au long de cette thèse, par le terme de « marocanité », au sens de nationité marocaine. Benedict Anderson distingue ainsi la nationité (nationness) de la nationalité documentaire (nationality), la possession de la seconde n’entraînant pas l’expression de la première, et inversement [Neveu, 1993 : 287]. Le terme de marocanité est peu utilisé dans la littérature et, quand il l’est, c’est dans un sens variable, qui oscille entre deux pôles : soit un vague attachement affectif au pays d’origine [Gaudier ; Hermans, 1991 ; Hassanain, 1995 ; Bekouchi, 2003], soit une appartenance exclusive à la nation marocaine [Belguendouz, 2003]. Pour moi, le terme de marocanité, au sens de nationité marocaine, se distingue à la fois de l’ethnicité marocaine et du nationalisme marocain. Toutefois, ces deux dernières notions sont utilisées dans ma recherche, car l’étude du sentiment d’appartenance nationale nécessite d’articuler les théories sociologiques du nationalisme [Birnbaum, 1997] à celles interactionnistes de l’ethnicité [Poutignat ; Streiff-Fenart, 1995], notamment lorsqu’il s’agit de la délimitation par les

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groupes sociaux de leurs frontières réciproques, délimitation qui se réalise par des conflits d’intérêts entre groupes et dans leur rapport aux Etats [Dieckhoff ; Jaffrelot, 2006 : 102-103].

Si les sentiments et les cœurs sont insondables, les significations collectives de la marocanité, elles, peuvent être étudiées au travers des activités, des objectifs, des discours et des symboles des associations. L’hypothèse de mon travail est que toutes ces significations associatives de la marocanité forment un ensemble structuré par des dynamiques spatiales et politiques spécifiques, qui s’inscrivent elles-mêmes dans le temps long (plusieurs décennies). Cet ensemble structuré, je l’appelle la marocanité associative. Le déterminisme auquel semble renvoyer le mot « structure » est contrebalancé par les mots « associés » et « accordent », qui renvoient à une approche interactionniste des appartenances et au caractère volontaire de l’engagement associatif. Le pluriel de « significations » est aussi essentiel, car leur diversité conditionne la pertinence de l’hypothèse de la marocanité associative : si ces significations étaient uniques, elles délimiteraient sans nul doute une frontière stable entre le « nous » des migrants marocains et des « eux » très divers (« Français de souche » ou Marocains du Maroc, par exemple) : il vaudrait mieux alors continuer à parler d’ethnicité et de nationalisme. Ici au contraire, l’accent est mis d’emblée sur les circulations de sens et, plus précisément, sur les circulations de significations de la marocanité entre les membres des associations, entre les associations elles-mêmes, voire entre ces associations et l’ensemble du groupe des migrants.

Mais en quoi ces significations associatives de la marocanité permettent-elles aux associés – et aux migrants marocains bénéficiaires des actions des associations – de réduire la distance qui les sépare du Maroc ? L’hypothèse de la marocanité associative répond à cette question centrale de mon travail en distinguant, parmi les significations associatives de la marocanité, celles qui témoigneraient à la fois de l’émergence d’un type singulier de militantisme et de la construction d’une nouvelle formation socio-spatiale. Avant de préciser ces deux hypothèses secondaires (inclues dans la principale), je dois revenir sur les éléments dont dépendent, et qui expliquent, les significations associatives de la marocanité.

Ces éléments relèvent à la fois du contexte historique, migratoire et politique dans lequel émergent les associations et des dispositions des acteurs eux-mêmes (les migrants marocains associés). Il s’agit donc d’une part des injonctions identitaires des Etats-nations d’origine et d’installation à l’égard des migrants marocains, injonctions qui prennent des formes spatiales et politiques, d’autre part des stratégies de distinction de ces migrants et de leurs associations, donc de leurs pratiques et de leurs représentations spatiales et politiques. Les multiples combinaisons de ces éléments expliquent la diversité des significations associatives de la marocanité, qui participent à une formation socio-spatiale et à un militantisme singuliers.

En effet, en réaction aux injonctions de l’Etat marocain, qui se manifestent surtout par la promotion d’un « nationalisme de longue distance » [Anderson, 1998], les associations de migrants marocains les plus actives développeraient, selon mon hypothèse, un patriotisme marocain à distance, soit un attachement au territoire d’origine revêtant différentes formes (affectives, culturelles, idéologiques, juridiques et utilitaires) selon les époques et les espaces, mais qui ne se confondrait jamais totalement avec le nationalisme marocain. En outre, aux

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injonctions de l’Etat français, ces associations s’adapteraient en manifestant un militantisme de type post-colonial, soit une mise en scène de significations politiques et historiques de la marocanité qui les singulariseraient dans l’espace d’installation. En ce sens, les significations associatives de la marocanité dépendraient non seulement de la phase du processus migratoire, mais aussi de la phase de décolonisation des pratiques et des représentations politiques à leur égard en France.

Ce qui m’apparaît central dans ces deux formes de militantisme, qui ne seraient pas exclusives l’une de l’autre, c’est une autonomisation des associations de migrants marocains, définie comme le processus historique par lequel ces associations s’affirment et affirment leur identité en se différenciant des autres groupes par des initiatives, des actions délibérées et, en particulier, par des mobilisations dont les migrants marocains sont à la fois les acteurs et les bénéficiaires. Cette affirmation et cette différenciation ne sont pas deux aspects séparés de l’autonomie, mais bien la double forme qu’elle prend simultanément, car elle s’exprime à la fois par un « savoir-faire », une capacité du groupe à se constituer et maintenir un monde, et par un « pouvoir-faire », une capacité de ce groupe à agir et transformer ce monde [Ma Mung, 1999a : 40-47]. L’autonomisation est donc une notion qui complète celle de stratégies de distinction, en précisant que la distinction s’accompagne d’une affirmation identitaire sur la longue durée. Cette notion est intégrée à l’hypothèse de la marocanité associative, selon laquelle ce sont les migrants associés qui « accordent » des significations à leur marocanité.

L’observation de cette autonomisation dans les pratiques (activités, objectifs) et les représentations (discours, symboles) des associations me permet d’explorer l’hypothèse de l’existence d’une nouvelle formation socio-spatiale, ou d’une spatialité associative propre aux migrants marocains en France. Il s’agit de comprendre, en un même mouvement, comment les significations associatives de la marocanité se matérialisent dans l’espace et comment le patriotisme à distance et / ou le militantisme post-colonial contribuent à signifier l’espace. Dans ce but, mon observation des pratiques spatiales des associations se focalisera sur les lieux d’action des associations, c’est-à-dire sur l’espace des situations [Lussault, 2000, 2007 : 191-218] qu’elles construisent et qui ne témoignent pas tous d’une égale condensation identitaire, sociale ou territoriale [Debarbieux, 1995]. Ces lieux d’action étant distants, non seulement les uns des autres, mais aussi de ceux dont elles tirent leurs ressources et de ceux où se vérifient les retombées de leurs actions, les associations doivent alors initier des déplacements matériels et immatériels entre ces différents lieux. La raison d’être de cette « circulation associative » serait de maximiser l’efficacité des actions, compte tenu des ressources disponibles. Or, ce que je veux aussi montrer, c’est que l’accumulation de ces ressources est soumise aux injonctions géographiques des autres acteurs spatiaux des champs associatif et migratoire concernés, et en particulier des Etats d’installation et d’origine.

Dès lors, l’efficacité des actions impliquerait là aussi l’autonomisation des associations, qui se manifesterait par une disjonction entre, d’une part les espaces locaux et nationaux dont elles tirent leurs ressources et auxquels elles sont identifiées par les autres acteurs et, d’autre part, l’espace transnational auquel leurs membres se sentent réellement appartenir. La formation socio-spatiale des associations de migrants marocains se situerait alors quelque part dans cette

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contradiction assumée entre la nécessité d’ancrage local dans l’espace d’installation et les stratégies de réduction de la distance spatiale avec le pays d’origine. Elle correspondrait partiellement à la formation socio-spatiale telle que la définit Guy Di Méo, soit une « construction sociale simultanée par l’espace géographique et par ses paysages, par les

réalités économiques, les pratiques et les contraintes qu’elles imposent, par les représentations idéologiques, mais aussi par les stratégies, les actes et les discours du pouvoir, des pouvoirs qui se glissent dans toute institution et dans tout rapport social » [Di

Méo, 1998 : 165]. En effet, dans la formation socio-spatiale que serait la marocanité associative en France, les instances idéologiques et politiques domineraient les instances géographiques et économiques, pour des raisons qu’il me reviendra d’expliquer. Cela reste toutefois compatible avec l’usage de l’expression de « formation socio-spatiale », tant celle-ci désigne à la fois une réalité géographique et une grille de lecture de cette réalité [Di Méo ; Buléon, 2005 : 68]. Dans sa récente redéfinition du terme, Guy Di Méo souligne d’ailleurs que ce sont les instances idéologiques et politiques « qui s’avèrent les déterminants les plus

actifs de territoires aujourd’hui en pleine recomposition » [Lévy ; Lussault, 2003 : 376].

Mais si la marocanité associative est une formation socio-spatiale, comment nommer plus précisément sa dimension spatiale caractérisée, dans cette hypothèse, par une contradiction entre la nécessité d’ancrage local et la réduction de la distance avec le Maroc ? Je propose le terme de territorialité associative dans l’espace transnational, en partant du sens que Claude Raffestin donne à la territorialité, celui d’un « ensemble de relations prenant naissance dans

un système tri-dimensionnel société-espace-temps en vue d’atteindre la plus grande autonomie possible compatible avec les ressources du système » [Raffestin, 1980 : 143, 145].

Le lecteur reconnaîtra ici la notion de « système relationnel, circulatoire et autonome » dont parle Gildas Simon dans l’extrait proposé en introduction de ces lignes. Il retrouvera surtout la notion d’autonomisation, qui est au cœur de l’hypothèse de la marocanité associative.

Science politique et géographie ont donc beaucoup à apprendre l’une de l’autre. Et c’est la rencontre, qui conserve un goût de nouveauté [Rosière, 2007], entre ces deux disciplines que ce travail de thèse souhaiterait modestement incarner. Il s’agit de combler autant que possible le décalage existant entre les problématiques centrées sur le champ migratoire et celles centrées sur le champ politique de l’espace d’installation, décalage qui explique que les interactions entre ces deux champs soient si peu étudiées. Mon travail témoigne donc d’une approche interdisciplinaire, bâtie sur des questions communes aux deux disciplines. Une telle approche est devenue indispensable pour comprendre les mobilisations de migrants orientées vers leur espace d’origine, quel que soit leur nationalité [Dufoix, 2005 : 14]. Le terrain des associations de migrants marocains en France s’y prête particulièrement, du fait de leur ancienneté, de leur nombre et de leur diversité. Les manières dont elles reformulent l’appartenance marocaine de leurs membres résultent d’une multitude de facteurs, qui ressortent des espaces d’origine, d’installation et du champ migratoire. Ces reformulations contribuent en retour à transformer ces trois entités politiques et spatiales et à interroger le lien entre identité, territoire et citoyenneté. Ainsi, au-delà de l’analyse des significations associatives de la marocanité en France, ce travail cherche à cerner l’espace légitime de la marocanité ; c’est-à-dire à comprendre quels sont – s’ils existent – les échelles et les espaces

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légitimes d’exercice de la citoyenneté des migrants marocains dans les deux pays. Au Maroc, peut-on accepter que les migrants soient non seulement des nationaux mais de réels citoyens extra-territoriaux ? En France, peut-on exercer sa citoyenneté en se regroupant selon son origine nationale et en agissant en direction de, ou en référence à son espace d’origine ? Et est-ce que le fait que cet espace fût colonisé par la France modifie les données du problème ? La question posée est donc aussi celle de l’ethnicité post-coloniale, abordée ici sous l’angle du militantisme.

Pour mener à bien cette tâche, la première partie dresse un état des recherches sur l’ethnicité associative et l’identité marocaine migrante, dont les résultats et les lacunes au regard de l’objet étudié (chapitre 1) m’amène à formuler une nouvelle hypothèse, celle de la marocanité associative, explorée sur le terrain français. Fragmenté, ce terrain est constitué de deux zones d’enquête, parisienne et nantaise, d’une trentaine d’associations anciennes et récentes, aux activités diverses et de dimensions inégales, mais qui répondent toutes à mes deux critères de définition. J’ai exploré les significations associatives de la marocanité en ayant recours à une trentaine d’entretiens individuels et autant d’observations participantes, ainsi qu’à quantité de sources primaires, notamment les archives des associations les plus anciennes (chapitre 2).

Dans une seconde partie, je m’attache à décrire la transposition partielle et inégale des composantes religieuse, patriotique et monarchiste de l’identité nationale marocaine (Allah, el

Watan, el Malik) et de ses variantes ethniques (arabe, berbère, juive, maghrébine et sahraouie)

au sein des associations de migrants marocains en France. Cette autonomisation identitaire vis-à-vis des appartenances vécues au pays d’origine s’explique par les structures d’opportunités politiques en France et par la composition des flux migratoires marocains vers la France (chapitre 3). Mais elle s’explique aussi, au niveau des individus, par les ressources et les logiques propres à l’engagement dans le champ associatif français, c’est-à-dire par la dotation en capitaux (économique, culturel, social, temporel et spatial) des migrants marocains associés et par la place de leur engagement dans leur projet migratoire et leur parcours dans la société d’installation (chapitre 4).

De ce point de vue, l’association de migrants marocains apparaît comme une mise en commun de leurs marocanités individuelles. Celles-ci n’acquièrent de significations collectives que par la pérennité des associations, leur multiplication et la multiplication des liens entre elles et avec les autres acteurs collectifs en France et au Maroc (Etat, partis, syndicats et associations pour l’essentiel). Nous assistons alors à une véritable structuration historique de ces significations associatives de la marocanité des migrants, qui est l’objet de la troisième partie, dont les données sont tirées des archives et des entretiens. Cette structuration historique est aussi spatiale et politique, en ce qu’elle s’explique par la composition et la direction des flux migratoires et par les changements politiques en France et au Maroc. C’est pourquoi l’histoire des associations de migrants marocains en France s’avère tellement passionnante. Au cours des années 1960 et 1970, le lecteur aura l’impression d’assister à une véritable expansion spatiale du champ politique marocain en France, plus précisément dans des foyers de travailleurs, des « quartiers immigrés » et des usines automobiles de la région parisienne. Ces dynamiques historiques seront décrites, selon le degré de cohérence interne entre les

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différentes significations associatives de la marocanité, en termes de polarisation et de bipolarisation (chapitre 5), laissant place ensuite à la fragmentation des années 1980 et 1990 (chapitre 6) et, après 1995, à une multipolarisation permettant les profondes recompositions à l’œuvre jusqu’à aujourd’hui (chapitre 7).

La quatrième partie intègre ces données historiques à l’exploitation des données tirées des entretiens, des observations et de toutes les autres sources primaires contemporaines, dans le but d’explorer les dimensions spatiale et politique de l’hypothèse de la marocanité associative. Je reviens tout d’abord sur le lien entre la démocratisation du Maroc, la promotion d’un nationalisme de longue distance par l’Etat marocain et l’existence de formes diverses de patriotisme à distance parmi les associations étudiées. J’étudie en particulier les différents modalités d’expression d’un patriotisme marocain à distance puis une tentative récente (2003-2006) de structuration associative de ce patriotisme (chapitre 8). Dans un second temps, c’est l’hypothèse d’un militantisme post-colonial marocain qui est explorée, sur la base des données historiques et de l’observation des pratiques et des représentations politiques plus récentes. Cette hypothèse me permet de préciser la place tenue par l’ethnicité dans le militantisme marocain en France, mais aussi de comprendre la continuité historique de ce militantisme, à l’aune des reconversions militantes et de la réappropriation par ces migrants associés de leur propre histoire, militante, migratoire et franco-marocaine (chapitre 9). L’exploration de l’hypothèse de la marocanité associative s’achève par l’analyse des dynamiques spatiales des associations étudiées, qui se traduisent par une territorialité associative dans l’espace transnational, dont je dégage les principales caractéristiques. La place de ce chapitre en fin de thèse se justifie par la continuité avec les deux chapitres précédents : il prolonge en effet la réflexion de la troisième partie et du chapitre 8 sur la distance qui sépare les migrants marocains – et leurs associations en France – du Maroc ; mais il poursuit aussi la réflexion sur l’autonomie de ces associations, entamée dans le chapitre 3, vis-à-vis du Maroc, et complétée dans le chapitre 9, vis-à-vis de la France (chapitre 10).

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Première partie :

LA MAROCANITÉ ASSOCIATIVE,

UNE HYPOTHÈSE NOUVELLE DANS LE

CHAMP DES RECHERCHES SUR LES

MIGRATIONS INTERNATIONALES

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Introduction à la première partie

Il s’agit ici d’introduire à l’état des travaux présentés dans le premier chapitre, en précisant les questions initiales de ma recherche et les enjeux sociaux auxquels elle est liée.

A l’origine de cette thèse, il y a un double constat. D’une part, deux des plus anciennes associations de migrants marocains3 existent toujours, plusieurs décennies après leur création (1960 et 1981), et mènent des activités à la fois orientées vers l’espace d’origine et ancrées dans la vie quotidienne en France. Cette longévité peut paraître paradoxale, dans un champ associatif marqué par le caractère ponctuel et informel des mobilisations. En outre, ces deux associations ont dû s’adapter aux changements de composition des flux migratoires et aux changements politiques intervenus en France et au Maroc. Composées d’une majorité d’ouvriers seuls ou célibataires d’origine rurale et d’une minorité d’exilés politiques provenant surtout des villes marocaines, elles regroupent désormais plusieurs générations migratoires, hommes et femmes, dont des jeunes nés en France. Créées en opposition au régime marocain, elles en sont devenues des interlocutrices. Reste qu’au-delà de leur domaine d’action spécifique et de leur insertion dans les réseaux associatifs les plus divers, ces deux associations semblent attachées à la conservation de leur dimension marocaine.

D’autre part, quantité d’associations ont été créées jusqu’à aujourd’hui par des migrants marocains, qui oeuvrent dans des domaines auparavant inédits, dans les champs culturel, éducatif, politique ou religieux, en faveur du développement des lieux d’origine ou pour le soutien aux investissements au Maroc. Cette multiplication d’associations « marocaines » peut sembler contradictoire avec la sédentarisation perçue comme définitive des migrants marocains en France et les processus qui l’accompagnent, dont les nombreuses acquisitions de la nationalité française. Si elles rassemblent d’abord des personnes ayant migré à l’âge adulte, ces associations souhaitent aussi attirer les personnes ayant migré en bas âge, voire celles qui sont nées en France, afin d’assurer la transmission, sinon d’une identité marocaine, du moins d’un intérêt pour le pays d’origine de leurs parents.

Quelles sont les raisons de la persistance des premières associations et du dynamisme des secondes ? Pourquoi certains migrants marocains créent-ils et, surtout, continuent-ils de créer dans l’espace d’installation des associations tournées vers l’espace d’origine ? Pourquoi un tel dynamisme associatif dans un contexte de stabilisation des flux d’entrée, de sédentarisation des migrants et de leurs enfants et de croissance du nombre de ceux ayant acquis la nationalité française ? Ces trois éléments du contexte, apparemment contradictoires avec le second constat évoqué, doivent être interrogés afin d’éclairer d’une manière nouvelle des thèmes de recherche déjà explorés pour d’autres groupes de migrants.

3

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Le fait qu’il existe des centaines d’associations de migrants marocains en France, alors que les flux migratoires en provenance du Maroc se stabilisent, peut s’expliquer simplement : le nombre de ces associations ne dépend pas directement du nombre de migrants « associables » mais, par exemple, des incitations et des opportunités à s’associer, de la largeur du spectre d’activités et d’objectifs qui peuvent être poursuivis en direction de l’espace d’origine. Ces deux facteurs très généraux peuvent s’appliquer aux deux espaces d’origine et d’installation. Dans le premier cas, les changements politiques au Maroc ont un impact sur les mobilisations associatives des migrants marocains en France : la question est alors celle du lien entre ces associations et la démocratisation du Maroc. Dans le second cas, ces mobilisations associatives s’expliquent par des changements dans les conditions de vie des migrants marocains en France : la question, plus classique, est ici celle de leur « intégration » à la société française et, pour des associations orientées vers le Maroc, de leur capacité à utiliser les ressources puisées en France pour œuvrer en direction du pays d’origine. Cette recherche vise à tenir les deux bouts de cette chaîne explicative en traitant des points de vue, français et marocain, c’est-à-dire en considérant les migrants en tant qu’immigrés et en tant qu’émigrés. A ce stade, se posent les questions relatives à la sédentarisation des migrants marocains et à l’augmentation du nombre de ceux qui acquièrent la nationalité française.

La sédentarisation des migrants marocains en France n’est pas synonyme d’immobilité spatiale. Comme le montrent les travaux du laboratoire Migrinter présentés dans le premier chapitre, elle s’accompagne d’une intensification de la circulation migratoire entre la France et le Maroc. Depuis que le regroupement familial a pris le pas sur la migration de travail, le mythe du retour est devenu beaucoup moins prégnant que dans les années 1960 et 1970, et les incitations de l’Etat français au retour volontaire ont démontré leurs limites [Chevassu, 1990 ; El Hariri, 1994]. La population migrante marocaine, dans sa majorité, sait que sa vie est désormais en France et que, si retour il y a, il se réalisera le plus souvent après la mort, avec l’enterrement au pays d’origine. Toutefois, ces évolutions s’accompagnent d’une mobilité croissante des migrants marocains entre les deux espaces nationaux. Dans le cas marocain, les flux humains, financiers et matériels concernent des volumes et des valeurs considérables.

Ainsi, les transferts financiers des émigrés vers le Maroc, qui étaient de 480 millions de Dirhams en 1971 et d’environ 5 milliards en 1981, ont atteint la somme de 35 milliards de Dirhams en 2003, soit 3,4 milliards d’Euros et 9 % du PIB marocain, contre 3 % en Algérie et 2 % en Tunisie ; puis 40,5 milliards en 2005, soit 4 milliards d’Euros. En moyenne annuelle, les transferts ont représenté 6,5 % du PIB de 1975 à 2000 et, jusqu’à aujourd’hui, leur montant a constamment augmenté, à quelques exceptions près (1988, 1993, 1994, 1995, 2002). Leur taux moyen de croissance annuelle s’est ainsi élevé à 15,6 % de 1971 à 2001, soit une multiplication par 77 des montants transférés en trente ans [Sefrioui, 2005 : 42-43]. En 2001, le Maroc est à la 4ème place mondiale pour la valeur des transferts opérés par les émigrés, derrière l’Inde, le Mexique et les Philippines. Les transferts représentent sa première source de devises, devant les recettes touristiques et les exportations de phosphates.

Parallèlement, les retours annuels lors des vacances d’été, qui concernaient 100 000 personnes en 1973 et un million en 1990, ont continué de s’accroître pour atteindre plus de deux

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millions de personnes pour la période de juin à septembre dans les années 2000. Ces mobilités s’accompagnent d’une circulation intense de marchandises [El Hariri, 2003], qui contribue au développement d’entreprises de transports souvent créées par les migrants eux-mêmes. Elles prennent également la forme de nouveaux genres de vie, avec l’apparition de « retraités de

l’entre-deux », qui résident alternativement dans les deux pays [Schaeffer, 2001].

La sédentarisation en France s’accompagne donc de relations intenses et régulières avec le Maroc, où les migrants ont, pour la plupart, conservé de la famille et bâti une maison. Dans leur cas, sédentarisation et circulation migratoire ne semblent pas se contredire. Mais quel rôle jouent les associations de Marocains dans cette sédentarisation et cette circulation migratoire ? Ces questions renvoient à deux autres processus aux implications très politiques : la « naturalisation »4 et « l’intégration » en France.

Depuis 1990, les Marocains sont les plus nombreux des étrangers à acquérir la nationalité française chaque année. Pour prendre la mesure du phénomène, citons encore quelques chiffres. En 1961, 490 Marocains deviennent français. Le chiffre annuel des acquisitions est à peu près stable jusqu’en 1967, avec un accroissement soudain (1425), suivi d’une diminution. Il faut attendre 1973 pour que ce chiffre dépasse à nouveau le millier. En 1980, il approche les 2 000, dépasse les 3 000 dès 1985 et les 4 000 en 1988, pour atteindre presque 8 000 Marocains en 1990. Dans la décennie suivante, les acquisitions de la nationalité française concernent chaque année environ 10 000 Marocains [Belbah ; Chattou, 2002 : 197-198].5 A la fin de la décennie, les migrants marocains représentent plus de 18 % des étrangers devenus français chaque année en France, de sorte qu’en 1999, 25,6 % des migrants marocains en France possèdent la nationalité française (24,2 % des hommes et 27,3 % des femmes). Bien qu’inférieur aux taux atteints par les Algériens (environ 26 %) et surtout les Tunisiens (environ 40 %) à la même date, ce taux a presque doublé en neuf ans.6 Cette évolution est notable car, jusqu’à la fin des années 1980, l’acquisition de la nationalité française était très mal perçue à la fois par les migrants marocains, par leurs associations – y compris celles des opposants politiques – et par l’Etat marocain, pour des raisons que je chercherai à élucider.

Nombreux sont donc les migrants marocains qui deviennent français. Encore faut-il distinguer entre l’acquisition volontaire et l’acquisition automatique. La première, c’est la naturalisation, au sens propre du mot : elle donne lieu au dépôt d’une demande, qui doit répondre à certains critères (résidence, moralité, assimilation, etc.) pour être acceptée par l’administration, car la naturalisation n’est pas un droit mais une faveur de l’Etat. L’acquisition volontaire s’opère aussi par déclaration, suite à un mariage avec un(e) Français(e) et qui, contrairement à ce que laisse supposer le terme, implique le dépôt d’une demande qui n’est pas systématiquement acceptée.7 Quant aux acquisitions automatiques, elles concernent avant tout les jeunes. Il s’agit d’une part des enfants de parents marocains qui viennent d’être naturalisés : c’est

4

Je parlerai par la suite d’acquisition de la nationalité française, dont la naturalisation est une des modalités. 5

Ces chiffres incluent les trois modes d’acquisition : par décret, par effet collectif, par déclaration. 6

Source : RGP 1990 et 1999. 7

Au contraire, la tendance est au renforcement du contrôle par le maire de la régularité du mariage mixte, donc à la réduction de l’exercice de ce qui reste un droit.

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« l’effet collectif ». D’autre part, malgré une brève remise en cause par la loi dite Méhaignerie en 1993, qui ne touchera finalement que les jeunes nés en 1976, l’acquisition de la nationalité demeure automatique à 16 ou 18 ans (selon la volonté des parents) pour les enfants nés en France de parents étrangers (ici, marocains).8 Ainsi, selon qu’elle est volontaire ou automatique, l’acquisition de la nationalité française n’a pas la même signification ni la même portée symbolique : si la naturalisation du migrant peut être perçue comme un reniement de son appartenance marocaine, il semble aller davantage de soi que les enfants de migrants et ceux ayant migré en bas âge acquièrent la nationalité française.

Cependant, en France, la naturalisation est conçue comme l’aboutissement du processus d’intégration, lui-même jugé à l’aune de la distanciation du migrant vis-à-vis de sa société d’origine et de son assimilation à la société d’installation. S’agissant des Franco-marocains, l’intensité de leur circulation migratoire et, plus généralement, le maintien et l’entretien de leurs liens avec le pays d’origine contredisent cette conception, de même que les travaux de sociologues qui, sur la base d’entretiens avec les intéressés, décrivent la naturalisation des migrants marocains comme « l’élément pivot de toute stratégie de mobilité », du fait qu’elle facilite les allers-retours, dans un contexte de fermeture des frontières de l’espace Schengen [Belbah ; Chattou, 2002 : 43]. Les auteurs constatent toutefois que le passeport français est « doté d’une forte charge affective », notamment chez les retraités, et qu’il peut être utilisé dans une stratégie de distinction sociale vis-à-vis du groupe d’appartenance [ibid. : 45-46].

Ce rappel de quelques caractéristiques de la migration marocaine en France a pour objectif de contredire l’idée répandue qui identifie l’intégration des migrants – et son supposé aboutissement, la naturalisation – à leur sédentarité. Au contraire, les recherches inscrites dans le paradigme de la mobilité ont montré qu’une intégration non sédentaire à la société d’accueil pouvait exister pour les migrants marocains [Tarrius, 2001 : 47-48]. L’idée d’une corrélation entre intégration et mobilité est également avancée par Laurent Faret, à propos des migrants mexicains aux Etats-Unis [Faret, 2003 : 267]. Dans cette perspective, les processus de sédentarisation, de naturalisation et de circulation des migrants marocains de France ne sont plus contradictoires ; leur articulation éclaire même d’une manière nouvelle l’existence, la persistance et la multiplication d’associations de migrants marocains en partie tournées vers l’espace d’origine, sans toutefois en expliquer les raisons profondes. Celles-ci sont l’objet de cette recherche, dont l’interrogation centrale peut provisoirement être formulée ainsi : comment l’engagement associatif des migrants dans l’espace d’installation participe t-il d’une (re)formulation de leur appartenance nationale et de leur rapport à l’espace d’origine ? Cette question en appelle d’autres, dont certaines ont déjà été traitées par la recherche sur les migrations internationales. Elles sont présentées ici selon l’espace dans lequel elles s’inscrivent prioritairement : la France, le Maroc et le champ migratoire franco-marocain.

En France, les associations de migrants orientées, même en partie, vers l’espace d’origine sont souvent supposées freiner l’intégration à la société française. Plutôt que de partir d’un postulat

8

Cette dernière catégorie est exclue des statistiques citées plus haut. Elles en représenteraient environ 30 %, soit 3 000 personnes chaque année.

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aussi contestable, je propose de prendre acte du fait que s’associer ne va pas de soi. Cela revient à s’interroger d’emblée sur ce qui réunit ces migrants en tant que Marocains au sein de ces associations, donc à étudier les identités collectives (re)construites et mobilisées par ces associations et les motifs de l’engagement des individus. Pourquoi certains migrants choisissent-ils de s’engager dans une association « marocaine » ? Un tel engagement est-il exclusif de tout autre, par exemple dans un syndicat français ou dans une association indifférente à l’origine nationale de ses membres ? Nous le verrons, les chercheurs ont déjà dévoilé quantité de raisons qu’ont les migrants de s’associer. La tendance à créer des associations de compatriotes est d’ailleurs l’un des caractères communs des populations migrantes dans le Monde contemporain [Moya, 2005]. Mais, en France, et pour des raisons ayant trait au modèle républicain d’intégration et de citoyenneté, sur lesquelles je reviendrai, la légitimité de ces associations reste fragile, d’autant plus quand elles regroupent une seule nationalité de migrants et s’orientent vers l’espace d’origine. C’est alors la thématique du « communautarisme » ethnique ou religieux qui domine le sens commun et le discours des médias et des pouvoirs publics.

Un travail d’enquête sur l’ethnicité supposée de ces associations est donc nécessaire et je l’effectue tout au long de cette thèse. Ce travail me permet de répondre à certaines questions initiales, liées au degré d’exclusivité de l’appartenance marocaine, telle qu’elle est vécue par les migrants associés ; et à la définition de frontières, par ces associations, vis-à-vis des autres groupes (associatifs ou autres). La place de cette « ethnicité associative » est examinée par la recherche de traces historiques de l’existence d’un mouvement associatif marocain en France, l’expression renvoyant à celle de « mouvement social », c’est-à-dire une série d’actions concertées et revendicatives en faveur d’une cause [Neveu, 1996 : 11]. Cependant, étant donnée leur diversité, ces associations peuvent être former un tel mouvement ? Et l’idée d’une homogénéité ethnique des migrants marocains (ou berbère, maghrébine, etc.) et d’une ethnicisation de leurs associations n’est-elle pas totalement vaine, face à la diversification de la composition socio-économique et démographique de la population marocaine résidant en France ? Et si ni la conscience ethnique, ni la conscience de classe ne parviennent à unifier les associations, que reste t-il de l’hypothèse d’un mouvement associatif marocain ? Faut-il alors se rabattre sur l’idée d’une conscience nationale préservée malgré la distance spatiale avec le Maroc ? Finalement, existe-t-il une voire plusieurs « causes marocaines » en faveur desquelles les associations seraient susceptibles de mobiliser les migrants ? Ceux-ci possèdent-ils des intérêts communs, des revendications autres que la seule nostalgie du pays ?

Du point de vue de l’Etat marocain, tous les migrants marocains demeurent des nationaux, y compris ceux naturalisés français, car la nationalité marocaine est inaliénable. L’expression officielle pour désigner les migrants est celle de « Marocains résidant à l’étranger » (MRE)9, ce qui en soi est significatif. La double nationalité franco-marocaine est permise par les deux Etats. En outre, l’Etat marocain considère que les enfants de Marocains nés en France sont des Marocains potentiels et ils sont enregistrés comme tels, lorsque leur naissance a été déclarée

9

Cette expression a remplacé l’éphémère « Résidents marocains à l’extérieur » (RME) et la plus ancienne et durable « Travailleurs marocains à l’étranger » (TME).

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au consulat le plus proche. Ainsi, en 1999, la Direction des affaires consulaires et sociales (DACS) du Ministère marocain des affaires étrangères et de la coopération évalue le nombre des Marocains vivant en France à 860 000, tandis que l’INSEE le fixe à 504 096, auquel s’ajoutent les 133 962 Marocains devenus français. En 2004, la DACS comptabilise 1 024 766 Marocains résidant en France, soit la moitié de l’ensemble des MRE d’Europe !

A rebours de cette conception extra-territoriale de la nationalité, l’Etat marocain adopte une politique ambiguë, puisqu’il n’accorde pas aux MRE le droit de vote et d’éligibilité au Parlement, donc une réelle citoyenneté extra-territoriale marocaine, alors que des lois marocaines, encadrées par des accords bilatéraux franco-marocains, continuent de s’exercer sur ces migrants, notamment en matière de droit de la famille. Cette inégalité des droits politiques entre « Marocains de l’étranger » et « Marocains du Maroc » peut favoriser l’émergence d’intérêts communs aux premiers. Mais sont-ils assez puissants pour que leur défense constitue une « cause marocaine » en migration ? Les chapitres sur l’histoire des associations y répondront. D’autres intérêts communs, esquissés plus loin, peuvent exister à l’échelle du champ migratoire franco-marocain. Auparavant, je souhaite revenir sur les deux constats de départ de cette thèse et tenter de les expliquer par la situation politique marocaine.

Parallèlement à l’augmentation du nombre d’associations de migrants marocains en France, on constate depuis le début des années 1990 une forte dynamique associative au Maroc, qui précède de quelques années l’ouverture du système politique marocain (première alternance gouvernementale en 1998, succession royale en 1999). La contemporanéité de ces deux phénomènes pose la question de la relation à établir entre cette démocratisation et le rapport des migrants avec le Maroc. Autrement dit, quels sont les liens entre les champs associatif et politique marocain et ces associations de migrants en France ? Est-il vrai que la démocratisation du pays d’origine facilite la création d’associations de migrants qui en sont originaires dans l’espace d’installation [Østergaard-Nielsen, 2003a] ? Si c’est le cas, cela veut-il dire que la démocratisation du Maroc renforce le sentiment d’appartenance marocaine des migrants et les incite à agir envers leur pays d’origine ? Ou cela signifie t-il simplement que, du fait de la démocratisation, il devient moins coûteux matériellement et symboliquement pour ces migrants de s’associer, sans être perçus comme des opposants au régime marocain ?

La réponse à cette double question nécessite, elle aussi, d’étudier l’histoire des associations de migrants marocains en y intégrant l’histoire politique du Maroc contemporain, afin de savoir s’il existe des corrélations, des correspondances entre la démocratisation marocaine et la diversification des associations de migrants marocains. Il convient d’écrire cette histoire en tenant compte de tous les acteurs et non du seul Etat marocain (Palais, gouvernement, institutions) : les relations éventuelles des associations de migrants avec la presse marocaine et les partis politiques marocains doivent être inclues dans cette histoire, en particulier pour la période récente. Il convient enfin d’écrire l’histoire des relations conflictuelles, dans l’espace d’installation, entre les associations d’opposants politiques et les amicales créées en 1973 par l’Etat marocain.

Figure

Tableau  1  :  Proportion  de  migrants  marocains  adhérant  à  une  association  en  Europe  selon  la  profession exercée et la durée de séjour en 1998
Tableau 2 : Les dix principaux types d'activités des associations de migrants marocains
Tableau 3 : Liste des associations de migrants marocains étudiées lors de l'enquête de terrain
Tableau 4 : La présence des Marocains dans les villes de la zone « parisienne » du terrain
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