• Aucun résultat trouvé

L’hypothèse de la marocanité associative et son exploration sur le terrain français

II LE TERRAIN ET LA MÉTHODE

34 Collectif SOS Al Hoceima Ø 2004 10 Région parisienne

35 Conseil national des Marocains de France CNMF 2004 10 France Légende : association disparue (*) ou inactive (**) lors de l’enquête. La colonne « Type » renvoie au tableau 1.

J’ai essayé de contourner ces obstacles en repérant des « néo-amicales » de manière indirecte, avec l’aide de migrants marocains, associés ou non, et de responsables d’institutions tels que le FASILD ou les services municipaux en charge de la vie associative. Mais ces tentatives étaient partiellement fructueuses : ainsi, à Nantes, j’ai contacté la présidente de l’association Nanagad (pour Nantes Agadir), supposée être une néo-amicale, et obtenu un rendez-vous ; mais elle n’était pas à l’heure dite au lieu indiqué, un immeuble du centre-ville ne comportant d’ailleurs aucun signe extérieur de la présence d’une quelconque association.

Toutes ces raisons ne sauraient cependant suffire. Certes, elles s’expliquent par les contraintes que comporte toute enquête sur un terrain peu familier à l’enquêteur, très rarement exploré par ses prédécesseurs et dont la délimitation, incertaine, procède en partie de son exploration. Mais si ces contraintes n’ont pas été surmontées, c’est que j’explorais ce terrain en adoptant, de manière inconsciente, la grille de lecture implicitement contenue dans une première formulation de ma problématique. En effet, avant de forger l’hypothèse de la marocanité associative, je supposais l’existence, à des degrés divers, d’un « mouvement associatif

marocain » en France, dont les acteurs seraient aisément identifiables, car je supposais – et

c’était mon second préjugé – que ces associations affichaient clairement l’origine nationale de leurs membres, par exemple en utilisant les couleurs nationales marocaines ou en mentionnant le Maroc dans leurs noms.

Cette grille de lecture, aussi biaisée et inopérante soit-elle, sortait confirmée de mes premiers échanges avec des migrants marocains associés que j’avais choisis, pour la région parisienne, parmi les militants de l’Association des travailleurs maghrébins de France (ATmF). Dans ce choix de l’ATmF entraient mon goût personnel, ma sympathie pour certains de ses militants, mais aussi l’accessibilité de cette association, qui dispose de locaux et de permanents tant à Paris qu’à Argenteuil, Gennevilliers et Vauréal. Dans ces entretiens exploratoires, les militants de l’ATmF insistaient sur la distinction nette entre les « vraies » associations « démocratiques » et les « fausses » associations « amicalistes ». Ils sous-entendaient aussi que les secondes, qui avaient été de véritables adversaires de l’ATMF et influentes auprès des migrants marocains, étaient désormais des « coquilles vides » au service des intérêts personnels de leurs présidents respectifs ou pire – de leur point de vue – au service de l’Etat marocain. En l’absence de la distance critique nécessaire, j’ai donc commencé à appliquer cette grille d’observation aux personnes et aux associations rencontrées ou contactées en 2003, en privilégiant celles que je percevais comme « démocratiques ». Je l’ai ensuite abandonné en 2004, au fur et à mesure des entretiens et du travail sur les archives, qui me dévoilaient la vacuité d’une distinction nette, au moment de l’enquête, entre « progressistes » et « amicalistes » ou entre les associations démocratiques et les autres.

Ces deux biais méthodologiques, liés à une formulation provisoire de ma problématique et à cette grille de lecture qu’on pourrait qualifier d’idéologique, expliquent également la faible place réservée dans mon panel aux associations « interculturelles ». Leur dimension marocaine n’est pas évidente à établir, car elles ne satisfont pas aux deux critères de ma définition d’une association de migrants marocains : ceux-ci y sont minoritaires et les activités

sont orientées, non vers le Maroc, mais vers le dialogue entre les cultures et les échanges entre les Français, les migrants et leurs enfants.

Toutefois, comme expliqué précédemment, il me fallait interpréter avec souplesse ces deux critères : d’une part, en prenant en compte les associations « interculturelles » ne respectant pas le critère des activités, mais comptant d’anciens membres (d’origine marocaine) d’associations de migrants marocains, ce qui pouvait permettre de mieux comprendre les logiques de l’engagement associatif, notamment le passage d’un engagement fondé en partie sur l’origine marocaine à un autre, qui semble s’en détacher ; d’autre part, en intégrant dans le panel des associations ne satisfaisant pas au critère des adhérents, car composées en majorité d’enfants de migrants marocains nés en France, mais dont l’étude permettait d’adopter une approche inter-générationnelle de l’hypothèse de la marocanité associative. C’est pourquoi j’ai étudié, dans le premier cas, le Centre interculturel de documentation et dans le second l’association Crépuscule. L’ATmF d’Argenteuil peut aussi, à certains égards, être décrite comme une association « interculturelle ».

Quant au fait qu’une seule association professionnelle soit incluse dans le panel, cela s’explique simplement par la faible présence en France de ce type d’associations, puisque je n’en ai recensé qu’une dizaine. Parmi elles, j’ai choisi Maroc entrepreneurs pour de multiples raisons : la disponibilité de ses responsables, le nombre de ses adhérents, la publicité faite à ses actions, mais aussi les liens entretenus avec d’autres associations étudiées et avec l’Ambassade marocaine, ce dernier point me permettant de combler en partie la faible attention accordée, au début de l’enquête, aux nouvelles formes d’« amicalisme ».

Sur un terrain éclaté, dont la pratique nécessitait de nombreux allers-retours entre les deux zones nantaise et parisienne et à l’intérieur de ces zones, j’ai privilégié au départ les contacts fondés sur la sympathie, facilités par la disponibilité des militants, l’accessibilité et la notoriété des associations. J’ai montré dans ce paragraphe que ce mode d’accès au terrain reflétait les trois principaux biais caractérisant les débuts de mon enquête. Je crois en avoir ensuite désamorcé les effets, en élargissant le panel d’associations étudiés et celui des interviewés (voir plus loin) et, surtout, en problématisant ma recherche de manière plus élaborée, autour des dynamiques politiques et spatiales qui caractériseraient, selon mon hypothèse, la marocanité de ces associations. Cela m’a conduit à abandonner mes trois présupposés concernant l’existence d’un « mouvement associatif marocain » structuré autour de causes communes, d’associations « marocaines » repérables par les seuls attributs de type ethnique ou national et d’une nette distinction entre associations et militants « progressistes » et amicaliste. Au-delà de leur ancienneté, de leur localisation et de la nature de leurs activités, j’ai donc porté, dans la seconde phase de l’enquête (de juin 2004 à décembre 2005), une attention plus soutenue à la diversité des associations rencontrées, en les distinguant en fonction de l’orientation de leurs activités, de leurs objectifs et de leurs discours vis-à-vis du Maroc, ainsi qu’à leur usage de symboles « marocains » ou non ; autrement dit, en fonction des indicateurs définis et illustrés précédemment.

Une fois les 35 associations choisies, j’ai collecté les données me permettant de valider ou non les deux hypothèses de ma recherche, celles de territorialité associative et de militantisme post-colonial. En d’autres termes, j’ai porté mon attention, d’une part sur les pratiques et les représentations spatiales de ces associations, en insistant sur celles concernant l’espace migratoire marocain et pouvant contribuer à réduire la distance qui sépare les migrants du Maroc ; d’autre part sur leurs pratiques et leurs représentations politiques, en mettant l’accent sur celles qui contribuent – ou qui font obstacle – à une identification des migrants à l’Etat- nation marocain, cette identification pouvant être porteuse de différentes significations.

Cette collecte de données s’est donc réalisée sur deux zones aux caractéristiques urbaines et migratoires très différentes. Ce choix est justifié par ma volonté de tenter de comprendre les effets, sur la marocanité des associations étudiées, de la répartition spatiale de la population marocaine en France et des structures locales des opportunités politiques. Ces deux points sont abordés dans le paragraphe suivant.

B - Les villes du terrain

Justifier mon choix des villes du terrain nécessite tout d’abord de mieux localiser les 35 associations étudiées. Parmi elles, une dizaine est « hébergée » par des structures publiques, souvent ouvertes par les mairies (maisons des associations, espaces associatifs, etc.). Ce type de locaux se compose d’une seule pièce, d’un téléphone, d’une boîte aux lettres et de services mutualisés (photocopieur, etc.). Les associations concernées sont de taille réduite ou de création récente, tels les Amis du Maroc, hébergés à la maison des associations de Versailles, ou l’association Français immigrés 44, située dans une maison des associations de Nantes.

Seule une quinzaine d’associations dispose de locaux, le plus souvent loués à un bailleur grâce à des subventions publiques. La moitié des associations « politiques » (types 1, 3, 5, voire 10) entre dans ce cadre. Les exceptions sont celles des deux associations cultuelles locales (Avicenne et Entente et solidarité) qui sont propriétaires de leur lieu de culte et de la Fédération nationale des musulmans de France (FNMF), dont les bureaux parisiens sont loués à l’aide de subventions de l’Etat marocain.

Les relations des associations « politiques » avec les pouvoirs publics n’en sont pas moins conflictuelles et les menaces de fermeture ou d’expulsion des locaux régulières. L’histoire de l’AMF et de l’ATMF fournit des exemples de ce jeu d’équilibre, entre clamer son indépendance et réclamer locaux et subventions. Certaines de leurs sections (ATMF de Clichy, AMF de Puteaux, etc.) ont d’ailleurs disparu suite à la perte de leurs locaux. Toutefois, ces deux associations historiques ont toujours disposé de locaux pour leur siège national, respectivement dans le centre-ville de Saint-Denis pour l’AMF et dans le quartier de la Goutte d’Or (Paris 18ème) pour l’ATmF. Ce dernier local porte encore le nom du Centre de documentation culturelle, aujourd’hui disparu, que l’ATmF avait créé dans les années 1980 (cf. photo 1).

Les locaux les plus vastes sont ceux des ATmF d’Argenteuil et de Gennevilliers. La première était hébergée, jusqu’en 1981, dans les locaux de l’Union locale de la CGT. Aujourd’hui, elle est située dans le vaste quartier du Val d’Argent, au rez-de-chaussée d’un HLM aux côtés d’autres associations, dans un local d’une centaine de m². En empruntant un long couloir affichant l’arabité de l’association (calligraphie, tapis) (cf. photo 2), on accède à quatre pièces qui ont chacune une fonction : l’administration, l’accompagnement scolaire, la bibliothèque et l’accès à l’informatique (cf. photo 3). Selon son président, interviewé, ce local est préservé des dégradations commises par des jeunes (« c’est le respect de l’association dans le quartier

qui a fait qu’on a été épargné »).

Après avoir occupé une salle de 300 m² rue Paul Vaillant-Couturier, l’ATMF de Gennevilliers emménage au début des années 1990 au rez-de-chaussée d’un bâtiment de la cité dite des 3F, dans le même quartier des Grésillons (cf. photo 4). Ce local, un appartement F5 requalifié par le bailleur social, est d’un accès aisé à pied, en voiture et en transports publics. Il permet aussi à l’association de s’ouvrir aux locataires de cette cité, ce qui en fait, parmi les associations étudiées, la plus fortement inscrite dans un quartier d’habitat social, en terme de fréquentation, mais aussi de situation (le quartier des Grésillons) et de site (cf. carte 2). Selon un rapport commandé par la Ville au cabinet d’architectes Pattou [2004], la cité des 3F est en effet un « parc de relégation » pour ménages modestes d’origine étrangère. Son architecture, celle d’un « monolithe urbain […] qui semble faire « barrière » entre le quartier des

Grésillons et le pôle Gabriel Péri en restructuration », est caractérisée par des bâtiments en

linéaire continu, des entrées tournées vers l’intérieur et une addition de locaux de collecte d’ordure ménagères qui complique la traversée de la cité. Si le même rapport recommande de « conforter l’image des locaux associatifs en pied d’immeuble », il préconise aussi de démolir certains bâtiments. Cela provoque l’hostilité des associations, dont l’ATmF, et de certains habitants, qui l’expriment sur les murs et balcons en septembre 2004, en appelant à « vote[r]

non à la démolition de la cité rouge » lors du référendum municipal sur le sujet (cf. photo 5).

Mis à part trois collectifs (CEDAM, CADIME et SOS Al Hoceima) qui sont hébergés chez une des associations membres, neuf des 35 associations enquêtées sont dépourvues de locaux. Leur adresse est donc celle d’un membre de leur bureau. Parmi elles se trouvent, d’une part, des associations d’opposants politiques ou de défense des droits de l’Homme sur le déclin (ASDHOM, CDME, Washma), voire disparues (UNEM), d’autre part des associations de développement des lieux d’origine (AREDF, ATT, Attacharouk, Palmier et savoir). Ces dernières, très dynamiques en terme de mobilisation, envisagent d’acquérir des locaux en France, mais surtout au Maroc, à l’image de Migrations & développement (cf. photo 6), là où se déroule l’essentiel de leurs activités, à travers un partenariat avec des associations locales. Enfin, le Conseil national des Marocains de France (CNMF) projetait, au moment de l’enquête, d’ouvrir des bureaux dans les capitales française et marocaine.

Photo 1 : Siège national de l'ATmF dans le quartier de la Goutte d'Or (Paris 18ème)

Réalisation : A. Dumont, 2007.

Photo 2 : Couloir d’accès aux locaux de l’ATmF d’Argenteuil

Photo 3 : Bibliothèque de l’ATmF d’Argenteuil

Réalisation : A. Dumont, 2004.

Photo 4 : La cité des 3F à Gennevilliers

Photo 5 : Affiches contre la réhabilitation de la cité des 3F à Gennevilliers

Réalisation : A. Dumont, 2004.

Photo 6 : Locaux de l’antenne de Migrations & développement à Taroudannt (Souss, Maroc)

Ectvg"4"<"Nqecnkucvkqp"fg"n)CVoH"fg"Igppgxknnkgtu"fcpu"nc"ekvfi"fgu"5H Nqecn" fg" nÓcuuqekcvkqp"*ekps"rkflegu"gp"tg|/fg/ejcwuufig+ Nqecn"fg"$n)gurceg"hgoogu$"*wpg"rkfleg"gp"tg|/fg/ejcwuufig+ R»ng"f)fiejcpig"Icdtkgn"Rfitk"*dwu."ofivtq."vczk+ D¤vkogpvu"fg"nc"ekvfi"fgu"5H Uqwteg"hqpf"fg"ectvg"<"Rcvvqw."42260 Tficnkucvkqp"<"C0"Fwoqpv."42290 Nfiigpfg"<" Nkokvgu"fgu"twgu"gv"xqkgu"tqwvkfltgu Nkokvgu"fg"n)gurceg"xgtv"fg"nc"ekvfi"fgu"5H 337 P Q G U 322"o 72

Les associations ne disposant pas de locaux ont été plus difficiles à étudier, qu’il s’agisse de les contacter, de convenir d’un lieu de rencontre, puis d’identifier leur espace de vie, les lieux où elles agissent. Ces difficultés étaient en outre renforcées par la discontinuité du terrain choisi. Toutefois, le fait qu’elles disposent de locaux ne suffit pas toujours, paradoxalement, à localiser les associations : la plupart d’entre elles, je l’ai déjà souligné, sont multi-localisées, au sens où leurs lieux d’implantation et de recrutement ne correspondent pas aux lieux de leurs actions (qu’il me fallait observer), à ceux où leur efficacité peut être mesurée ou à ceux où leur influence s’exerce.

Ainsi, les noms d’une majorité des association étudiées (25 sur 35) se réfèrent à un espace, qu’il soit local (quartier, ville, département), national ou international. La moitié d’entre elles (12 sur 25) fait référence à l’espace local, si on regroupe sous cette expression les quartiers français (deux), les villages marocains (deux)87, les villes françaises (cinq)88 ou marocaines (une) et les départements français (un). Les autres associations font référence à la France (cinq), au Maroc (cinq), à l’étranger (deux) et à l’Europe (deux). La référence à l’espace local semble donc aussi forte, voire davantage, que la référence à l’espace national, d’autant que ces données, tirées d’un échantillon non représentatif, sont confirmées par mon recensement d’environ un tiers des associations de migrants marocains en France.

De nombreux travaux cités dans le premier chapitre insistent sur la pertinence de l’échelle urbaine dans l’étude des mobilisations des migrants. Mais comment choisir telle ville plutôt que telle autre ? Dans la première phase de l’enquête, il s’agissait d’inclure dans le terrain deux types de villes, celles situées dans un espace de forte concentration marocaine, telle Gennevilliers (Hauts-de-Seine), et celles situées dans un espace de faible concentration marocaine, telle Nantes (Loire-Atlantique).

Le choix de Nantes s’explique aussi par ma connaissance personnelle de cette ville et des associations de migrants qui y existent, mais aussi par l’existence de travaux portant sur la répartition spatiale des migrants dans cette agglomération [Lebreton, 1993 ; Vanie, 1995], les associations qu’ils y créent [CID, 1985 ; Teffahi, 1997] et sur le « cas nantais » comme illustration des nouvelles tendances sociologiques à l’œuvre au sein de cette population [Belbah, 1990]. Enfin, la polarisation exercée par cette ville sur l’émigration marocaine dans l’Ouest, illustrée plus loin par les statistiques, a également joué un rôle dans ce choix.

Le choix de Gennevilliers procède quant à lui du rôle que joue cette ville dans le champ migratoire marocain considéré dans son intégralité. En effet, plusieurs travaux [Belkhodja, 1963 ; Gokalp ; Lamy, 1976 ; El Hariri, 2003 ; Atouf, 2004, 2005] ont montré que cette commune est le plus ancien pôle d’installation de l’émigration marocaine en France. Ainsi, dans les années 1970, « c’est la forte présence marocaine qui fait l’originalité de

Gennevilliers. La commune compte le plus fort effectif marocain de toute la région

87

Trois associations de développement ne font pas référence dans leur nom à l’espace où elles mènent leurs actions : il s’agit d’Attacharouk, de Crépuscule et de Palmier et savoir. Les deux premières agissent pourtant sur un espace délimité ; respectivement le village de Kasbat Aït Herbil et la commune rurale de Beni Ayatt.

88

[parisienne], et la part des Marocains dans l’ensemble des étrangers y est aussi plus élevée » [Gokalp ; Lamy, 1976 : 3]. Cette implantation, qui date de la première guerre mondiale, s’explique par la création de filières migratoires au départ du Souss pendant l’entre-deux- guerres [Atouf, 2004] et par les recrutements massifs de Marocains dans les usines automobiles de la boucle de Seine. Ainsi, en 1975, les Marocains représentaient près de 40 % des étrangers de Gennevilliers et deux-tiers des actifs étrangers de l’industrie automobile locale [Gokalp ; Lamy, 1976 : 23]. Cette présence marocaine était, au départ, concentrée sur le quartier des Grésillons, là où justement l’AMF et l’ATMF seront les plus actives (et visibles, puisqu’elles y possèdent des locaux) et où l’on parle, dès 1930, d’un « village arabe

des Grésillons » [Ray, 1938 : 169]. En 1936, Joanny Ray comptabilise par exemple 22

commerces tenus par des Marocains dans la commune, contre six tenus par des Algériens [ibid. : 254].

Si aujourd’hui la ville a un peu perdu son caractère de banlieue industrielle [El Hariri, 2003 : 55], Gennevilliers constitue encore un « fief par excellence de l’immigration marocaine » en France [Atouf, 2005 : 64], avec 4 628 Marocains selon l’INSEE, soit 10,9 % de la population communale et près de la moitié des effectifs étrangers (cf. tableau 4). L’une des particularités de cette population, qui souligne l’ancienneté de son installation, est la surreprésentation marocaine masculine (24,3 %) parmi les Gennevillois âges de 40 à 59 ans (22 %) et ceux âges de 60 ans et plus (24,3 %). A l’inverse, dans les mêmes tranches d’âges, la part des femmes marocaines parmi les Gennevilloises est respectivement de 10,9 % et de 3 %. Il s’agit donc d’une population masculine et vieillissante.

Enfin, le choix de Nantes et de Gennevilliers comme points de départ de mon itinéraire de recherche se justifie par une différence majeure entre les deux villes : à Nantes, l’AMF et l’ATMF ont tenté de s’implanter sans jamais y parvenir durablement ; à l’inverse, les deux associations ont d’abord prospéré à Gennevilliers. Ces villes sont donc susceptibles de produire deux configurations locales différentes du militantisme associatif marocain.

Au fur et à mesure des rencontres et des contacts avec d’autres associations que l’ATmF, et à partir du pôle gennevillois, la zone parisienne de mon terrain s’est étendue aux villes d’Argenteuil, de Carrières sous Poissy, de Paris, de Pontoise, de Pré-Saint-Gervais, de Saint- Denis, de Vauréal et de Versailles. Afin de synthétiser ma présentation des statistiques de la présence marocaine dans ces villes (cf. tableaux 4 et 5), je m’en tiendrai au découpage départemental et aux seuls migrants de nationalité marocaine, sur la base des recensements généraux de la population réalisés par l’INSEE.

En 1999, les Hauts-de-Seine, Paris, la Seine-Saint-Denis, le Val d’Oise et les Yvelines appartiennent à la dizaine de départements français qui accueillent le plus grand nombre de Marocains.89 Au total, 23,61 % des Marocains vivant en France résident dans ces cinq départements, qui concentrent plus de 80 % des Marocains de l’Ile-de-France. Toutefois, le

89

Ces départements comptent respectivement 28 301, 23 195, 31 154, 14 718 et 21 654 Marocains. Les autres départements français de forte concentration marocaine (effectifs supérieurs à 15 000 Marocains) sont le Nord (28 307), l’Héraut (20 370), le Vaucluse (18 739), les Bouches-du-Rhône (15 627) et le Gard (15 233).

taux de croissance de cette population entre 1990 et 1999 varie sensiblement selon les départements : devenu négatif à Paris intra-muros, dans les Hauts-de-Seine et les Yvelines (respectivement - 1,11 %, - 1,50 % et - 2,22 %), ce taux est resté positif – tout en diminuant fortement – dans le Val d’Oise (+ 0,43 %) et en Seine-Saint-Denis (+ 0,62 %). Ces deux