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L’état des recherches sur l’ethnicité associative et l’identité marocaine migrante

II LES RECHERCHES SUR LES MIGRATIONS INTERNATIONALES

3. LES RECHERCHES SUR L’IDENTITÉ MAROCAINE MIGRANTE

Plusieurs travaux sociologiques ont été effectués sur l’identité marocaine – définie comme un ensemble de pratiques, de valeurs et de normes – qui ont privilégié l’échelle familiale et celle du quartier. Sans en dresser un inventaire exhaustif, il faut insister sur les changements identitaires à l’œuvre en situation migratoire et distinguer ainsi les migrants marocains des Marocains du Maroc. Les recherches sur la circulation migratoire marocaine permettent d’approfondir cette première approche de l’identité, toujours à l’échelle familiale ou communautaire, mais en tenant compte de la diversité des situations vécues, des lieux fréquentés et de la mobilité spatiale des migrants marocains. Cela permettra d’introduire des notions nécessaires à l’analyse de la dimension spatiale des reformulations associatives de l’identité marocaine, parmi lesquels figurent en premier lieu les notions de champ migratoire, d’extra-territorialité et de reterritorialisation identitaire.

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A - L’identité marocaine en situation migratoire

Dans ce paragraphe, ce qui serait « l’identité marocaine » est abordé sous l’angle du logement, des pratiques religieuses et linguistiques et du sentiment d’appartenance marocaine.

Une enquête comparative sur les logements des migrants kabyles et marocains réalisée à Grenoble [Bekkar et alii, 1999] démontre que les seconds perçoivent leur installation comme moins durable que les premiers et conservent des marqueurs temporels (prières) et spatiaux de la société d’origine. Ainsi, leur espace domestique est coupé en deux, entre celui pratiqué « à

la française » (cuisine, salle de bains, etc.) et celui qui concentre la « culture marocaine », à

savoir le salon, qui affiche l’origine et est le lieu où le sens de l’hospitalité s’exprime. A l’inverse, chez les Kabyles, aucun élément culturel n’est mis en valeur, sauf de petits objets décoratifs. D’autres travaux soulignent la charge identitaire attachée à la construction d’une maison au Maroc [Berriane, 1992 ; Ma Mung, 1996] : matérialisation de l’attachement au pays d’origine, symbole de réussite dans les relations entre familles immigrées, la maison est aussi le signe d’une réussite du projet migratoire aux yeux de la famille, des amis et des connaissances restés au Maroc [El Moubaraki, 1989 : 113]. Pour ces raisons, auxquelles s’ajoute l’image de sécurité financière qui lui est attachée, le secteur de l’immobilier représente 72 % des investissements effectués par les migrants marocains au Maroc en 2005.

La situation migratoire entraîne de nombreux changements au sein des familles : la scolarisation des enfants, par exemple, révèle certaines « discontinuités » entre la culture marocaine et la culture scolaire de l’espace d’installation, que l’objectif de réussite des enfants incite à combler [Hermans, 1994 : 218]. Des changements affectent les rapports de genre et de génération des migrants marocains : par exemple, les unions mixtes, en constante augmentation, sont le « lieu d’acculturation intense » même si elles restent le « privilège des

catégories sociales aisées » [Tribalat, 1995 : 87-89]. L’émancipation de la femme, la baisse

de la fécondité, l’augmentation de l’âge moyen à la maternité, la disparition de la polygamie et l’augmentation des unions libres sont des phénomènes avérés par les études démographiques [Lamchichi, 1999 : 160]. Au-delà de ces travaux spécifiques sur le logement, l’école et le mariage, il existe d’autres indicateurs des changements affectant les pratiques des migrants marocains. Je m’en tiens ici aux pratiques religieuses et linguistiques, telles qu’elles ont été mesurées par l’enquête Mobilité géographique et insertion sociale menée par l’INED et l’INSEE en 1992 [Tribalat, 1994, 1995].

Selon cette enquête, qui a donné lieu à controverse du fait qu’elle utilisait des catégories ethniques contestables [Blum, 1998 ; Le Bras, 1998], les migrants marocains auraient une pratique plus régulière de l’islam (40 %) que les migrants algériens (29%) et plus équilibrée entre les hommes et les femmes. Contrairement aux Kabyles algériens, « les Berbères [marocains] sont les plus pratiquants et tout particulièrement les femmes » [Tribalat, 1995 : 94-95], ce qui irait à l’encontre de l’idée d’un clivage ethnique à base religieuse entre Arabes et Berbères au Maroc. Par ailleurs, les migrants marocains seraient ceux qui respectent le plus les interdits alimentaires (porc, alcool) et le jeûne du ramadan avec, là encore, une certaine

homogénéité interne, puisque les taux de respect vont de 64 % (l’interdiction de l’alcool pour les hommes) à 84 % (la pratique du jeûne pour les femmes) [ibid. : 100-101]. Sur ce point, cette enquête en confirme d’autres, plus restreintes : ainsi, lors d’une enquête menée dans le cadre d’une thèse de géographie en 1980, les migrants marocains interrogés répondaient célébrer les fêtes religieuses à 88 %, tandis que les fêtes nationales marocaines n’étaient célébrées qu’à 23 %, un taux toutefois supérieur à celui des fêtes nationales françaises (10 %) [Lazrak, 1983 : 239]. Les politistes soulignent le rôle de l’islam dans l’identification nationale marocaine, que ce soit au Maroc [Tozy, 1999 ; Zeghal, 2005] ou en migration : dans ce dernier cas, il s’agit d’enquêtes localisées, par exemple sur les boucheries halal d’Ile-de- France, dont la moitié appartiendrait à des originaires du Maroc [Khellil, 2004 : 61] ; mais il peut aussi s’agir de statistiques officielles, telles ceux du Ministère de l’intérieur français, qui estimait en 2000 que 40 % des imams des mosquées françaises étaient de nationalité marocaine. Cette forte religiosité marocaine, reconnue par les autres migrants maghrébins [ibid. : 87], et mesurée aussi en Belgique [Bastenier, 1998], n’est pas nouvelle : dans sa thèse publiée en 1938, Joanny Ray soulignait que l’encadrement maraboutique mis en place en France durant la première guerre mondiale avait eu une emprise plus forte et plus longue sur les migrants marocains que sur leurs homologues algériens. Cette variable religieuse est parfois sollicitée pour expliquer la faible participation des migrants marocains au « mouvement ouvrier maghrébin » en France [Sraïeb et alii, 1985 : 58]. J’aurai l’occasion de revenir sur cette hypothèse dans les chapitres 5 à 7.

Les pratiques linguistiques sont complexes au Maroc.44 En situation migratoire, le poids des berbérophones est plus faible qu’au Maroc, où il est évalué entre 30 % [Sellier, 2003 : 86] et 40 % [Tribalat, 1995 : 20 et 219]. Selon l’enquête MGIS, les Berbères45 ne représenteraient que 22 % des migrants marocains en France. En outre, au berbère et à l’arabe tendrait à succéder le français, y compris au domicile familial. Selon la même enquête, la moitié des migrants marocains arrivés en France à l’âge adulte parlent bien le français, avec une forte inégalité entre hommes (59 %) et femmes (39 %) ; parmi eux, 41 % le lisent et l’écrivent, une proportion égale (40 %) à ceux qui lisent et écrivent leur langue maternelle [ibid.: 39, 43], dont la faible maîtrise s’explique par l’analphabétisme d’une large partie de la population marocaine.

L’enquête constate aussi une « déperdition des langues d’origine au fil des générations ». Ceux ayant migré avant l’âge de 15 ans ne sont pas tous arabophones ou berbérophones, loin de là : 98 % lisent et écrivent le français, tandis que seuls 8 % lisent et écrivent l’arabe ou le berbère [ibid. : 48-49]. Quant aux enfants nés en France de parents marocains, ils ignorent presque totalement ces deux langues. Reste que la transmission culturelle intergénérationnelle

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L’arabe littéraire n’est employé que par l’élite politico-religieuse. L’arabe dialectal (dit « marocain ») domine lors des interactions quotidiennes. L’arabisation a abouti à un troisième type d’arabe, employé notamment par la presse, dit « médian » ou « pandialectal », avec des bases dialectales et des emprunts à l’arabe littéraire. Le français conserve un rôle central au sein de l’administration et constitue une sorte de seconde langue officielle. Issus du même groupe linguistique que l’arabe, trois dialectes berbères se distinguent : le chleuh ou tachel’iht du Sud (plaine du Souss), le tamazight du Maroc central (Moyen et Haut-Atlas) et le rifain du Rif. Le dialecte des Sahraouis est la hassaniya, un arabe mâtiné de mots berbère. Enfin, l’Espagnol est couramment parlé dans le Rif. 45

se fait encore largement par l’apprentissage, oral et / ou écrit, de la langue d’origine. Par exemple, les migrants marocains demeurent attachés aux patronymes arabes ou berbères, perçus comme des marqueurs identitaires [Belbah ; Chattou, 2002 : 150-153].

Très peu de recherches se sont focalisées sur le sentiment d’appartenance marocaine des migrants. Celles qui existent sont basées sur une méthode par sondage, dont on peut toujours contester le bien fondé.46 Mais de telles recherches indiquent toutefois de nouveaux sentiers à explorer, avec d’autres méthodes. Ainsi, les jeunes interrogés par le sociologue Abdel-ilah Hassanain affirment que leur sentiment d’appartenance marocaine repose en premier lieu sur les voyages au Maroc (à 67 %), puis sur la langue (à 62 %). Ensuite viennent la nourriture (à 49 %) et la « mentalité » (à 22 %), dont la définition, nécessairement subjective, n’est pas explicitée. Le logement et les pratiques vestimentaires sont très peu cités (de 4 à 5 %). Enfin, une majorité déclare « se sentir Français et Marocain » (à 51 %), les autres se déclarant davantage « Marocains » (à 31 %) que « Français » (à 9 %). Mais une proportion non négligeable ne se reconnaît dans aucune des trois affirmations (« autres » à 9 %). Le point commun de ces jeunes est sans conteste leur rejet des termes de « deuxième génération » (80 %) et de « Beurs » (69 %) [Hassanain, 1995]. Ces données confirment la prégnance du sentiment de « double appartenance », déjà mesurée au début des années 1980 parmi les jeunes d’origine portugaise [Oriol et alii, 1984].

Abdel-ilah Hassanain désigne le sentiment d’appartenance marocaine par le terme de « marocanité » : celles des jeunes serait construite en référence « au passé de ses parents, à

l’histoire de sa communauté, même s’il n’est jamais allé au Maroc » [ibid. : 56]. D’autres

sociologues, en employant le même terme de marocanité, la distingue de l’identité nationale marocaine, en rappelant que la marocanité « n’est pas et ne pourrait pas être un article

d’importation. Elle ne sort pas de leurs valises […]. Elle est un produit local et syncrétique »

[Gaudier ; Hermans, 1991 : XVII]. Ces précisions semblent brouiller la compréhension du sentiment d’appartenance : qu’est-ce que cette « marocanité » des migrants ? Comment la définir, si ce n’est en rapport avec l’identité « d’origine » ? Sur ce point, les recherches de Mustapha Belbah et Zoubir Chattou sur la naturalisation française des migrants marocains sont éclairantes.

D’après la quarantaine d’entretiens réalisés, les migrants marocains naturalisés français interprètent leur double nationalité selon différentes logiques de continuité, de rupture et de compromis avec leur trajectoire personnelle. Classiquement, les raisons invoquées pour justifier la naturalisation sont d’ordre pratique, liées au droit au séjour, à l’accès à l’emploi public et à la liberté de circuler [Belbah ; Chattou, 2002 : 175-176]. La naturalisation est ainsi souvent justifiée dans le cadre d’une stratégie de la mobilité [ibid. : 43], mais elle a aussi des effets sur le sentiment d’appartenance du migrant et révèle son positionnement paradoxal entre la société d’origine et celle d’installation.

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Les chiffres tirés d’Abdel-ilah Hassanain résultent d’un sondage effectué auprès de 135 jeunes nés de parents marocains (54 hommes, 81 femmes) âgés de 15 à 25 ans.

Un interviewé l’exprime à merveille en expliquant, d’une part que plus il devient français, plus il se sent marocain, d’autre part que son sentiment d’appartenance franco-marocaine varie en fonction de l’espace national dans lequel il se trouve.47 Attaché à l’islam, à la langue et la culture du Maroc, où résident ses parents, il valorise aussi sa double nationalité, qui facilite sa circulation et sa promotion sociale. Les auteurs concluent sur ces paradoxes en les posant comme « constitutifs d’une même identité à l’épreuve de l’immigration » [ibid. : 148]. Cette identité « paradoxale » ne concernerait donc pas les seuls naturalisés.

Ces observations rejoignent mes interrogations initiales sur l’absence de contradiction, pour l’individu, entre sa sédentarisation dans un pays, son attachement à celui d’origine et sa mobilité spatiale entre ces deux pays. D’autre part, le fait que l’interviewé se sente Marocain en France et Français au Maroc rejoint certaines conclusions des études transnationales citées : pour le dire simplement, le sentiment d’appartenance de l’individu dépend en partie du lieu où il se trouve. Dans le cas d’individus mobiles, circulants entre deux espaces nationaux, le sentiment d’appartenance se trouve en prise avec l’injonction des Etats-nations, qui ne reconnaissent que deux catégories d’individus : les nationaux et les étrangers, voire les nationaux et les « ethniques ». Quelles que soient l’intensité et la régularité de leur circulation dans l’espace transnational, les migrants se trouvent confrontés aux deux conceptions dominantes : la nationalité et l’ethnicité (voire la race) [Basch et alii, 1994 : 34]. L’individu doit s’adapter à cette conception exclusive de l’appartenance en jouant le jeu de l’identité / altérité, c’est-à-dire en se conformant, en se singularisant ou, la plupart du temps, en adoptant alternativement l’une et l’autre stratégie en fonction des situations.

Le mot stratégie est justifié, car la double appartenance, si elle peut être douloureusement vécue, n’en participe pas moins aux enjeux et aux luttes de distinction [Bourdieu, 1979] au sein de la population migrante marocaine. Selon des diplomates marocains cités par Mustapha Belbah et Zoubir Chattou, les jeunes Français issus des migrations marocaines seraient de plus en plus nombreux à demander un passeport marocain, alors même que son utilité est faible, comparée à celle du passeport français. Pour les deux auteurs, qui rapprochent cette attitude de celle de Marocains devenus Français par acquisition et « exhibant » leurs deux passeports aux yeux de ceux qui n’en ont qu’un seul, « les enjeux sociaux de distinction

opèreraient ainsi dans les deux sens » [ibid. : 46].

Le sentiment d’appartenance national dépend donc à la fois des injonctions des Etats-nations, des stratégies de distinction des acteurs (individuels) et de leurs pratiques des lieux et des territoires. Ainsi, « l’identité résulte d’un travail permanent et renouvelé de construction

sociale et politique, mais aussi géographique du fait de l’extrême mobilité des agents sociaux » [Di Méo ; Buléon, 2005 : 47]. Ce brouillage identitaire, autre conséquence de la

dissociation croissante entre identité, territoire et citoyenneté, n’est pas synonyme de fluidité

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« Avoir la nationalité, c’est plus qu’une facilité, c’est un choix pour une qualité de vie… mais, pour l’essentiel, je reste marocain. […] J’ai d’ailleurs l’impression que plus je deviens français, plus je me sens marocain et plus je le revendique. C’est drôle, cet attachement à la marocanité, au pays d’origine et puis… c’est difficile à expliquer. […] Quand je suis ici, je me sens marocain et quand je suis là-bas je me sens français. C’est bizarre… » [Belbah ; Chattou, 2002 : 29, 31].

parfaite des appartenances : parmi le désordre apparent, un « ordre des identités » est décelable, à l’échelle de l’histoire du siècle et de celle des « destins personnels » [Oriol, 1985]. Cette hypothèse – formulée autrement – a été explorée dans le cadre d’une thèse sur la structuration du champ migratoire marocain. Elle a aboutit à l’élaboration de la notion d’identité de la mobilité ou d’« identité migrante marocaine » [Schaeffer, 2004].

B - L’identité marocaine et le champ migratoire

Avant de présenter cette notion d’identité migrante marocaine et d’examiner ses rapports avec l’unité d’étude de ma recherche (les associations), il faut retracer le cheminement des recherches analysant l’identité des migrants marocains en rapport avec le champ migratoire lui-même, car cela permettra de mieux mesurer l’intérêt de cette notion pour l’élaboration des hypothèses dans le prochain chapitre.

L’identité collective des migrants d’une même origine a d’abord été étudiée par des sociologues qui, d’une part, font l’hypothèse de la formation de communautés issues des migrations et, d’autre part, lient celle-ci à une configuration socio-spatiale spécifique des migrants dans l’espace d’installation. En résumé, leur thèse est que l’identité d’origine (ethnique, nationale, religieuse) se perpétue dans les lieux de forte concentration de migrants se réclamant de cette identité (ethnique, etc.).

Concernant les migrants marocains, quelques études monographiques mettent en évidence que dans les lieux de forte concentration immigrée marocaine, la proximité socio-spatiale permet le développement de relations de voisinage quasiment semblables à celles existantes au Maroc. Un sociologue ayant travaillé dans un quartier « marocain » du Nord de la France y constate même que « le sentiment de la qaraba [proximité, voisinage] est plus fort que celui de

la cohésion communautaire » [El Moubaraki, 1989 : 120] avec des Marocains résidant

ailleurs en France. Dans son étude sur l’hypothétique « communauté maghrébine en France », Mohand Khellil reprend cette idée d’un lien logique entre le sentiment communautaire et la concentration socio-spatiale, qui permet la formation d’une collectivité locale (asabiyya), la seule exception étant selon lui le sentiment d’appartenance à la communauté des croyants (umma) [Khellil, 2004 : 45-48]. Bertrand Badie souligne lui aussi l’originalité de l’Umma, qui est « à l’origine d’une représentation complexe de l’espace, dans laquelle se combinent, de

façon instable, l’identification à une terre sacrée, à un domaine de rayonnement de l’Islam, à un territoire stato-national et à un terroir particulier » [Badie, 1995 : 99]. Le fait qu’elle soit

la seule exception est toutefois contestable, à la lumière des travaux précédemment présentés sur l’espace transnational et ceux se basant sur une définition plus complexe du territoire. Cette question reste donc ouverte.

Les géographes insistaient au départ, eux aussi, sur le caractère localisé de la communauté (rurale, régionale, etc.). A compter des années 1980, d’autres géographes prennent en compte les différentes échelles et lieux de l’identité des migrants. Ils peuvent s’appuyer pour cela sur les acquis de la sociologie de l’identité des groupes minoritaires, qui décrit les différentes

stratégies identitaires mises en œuvre par leurs membres [Camilleri et alii, 1990]. Mais c’est la prise en compte du champ migratoire dans son ensemble qui a permis de dépasser le lien, apparemment logique, entre concentration socio-spatiale et identification communautaire.

Forgée bien avant la vogue « transnationaliste » des années 1990, la notion de champ migratoire [Béteille, 1974 ; Simon, 1979] désigne l’espace social et relationnel des migrants et les différents flux qui relient les lieux d’origine et d’installation. Ces flux sont fortement structurés par des réseaux48, à tel point que l’on peut parler de système migratoire. Le champ migratoire désigne alors une « mise en relation structurée des lieux que les flux entre les

différents points du système migratoire produisent » [Faret, 2003 : 283]. Le système

migratoire est donc composé de structures – les réseaux – et de dynamiques – les flux [ibid. : 224]. Dans un contexte de globalisation des flux et de complexification des champs migratoires, une troisième notion a été créée, celle de circulation migratoire, pour désigner l’ensemble des flux provoqués par la migration internationale [De Tapia et alii, 1997, 1999 ; Hily ; Ma Mung, 2003 ; Ma Mung, 1998]. Ces trois notions (champ, système et circulation migratoire) contribuent à une meilleure compréhension des liens entre les migrants et leur espace d’origine, y compris des liens identitaires. Ceux-ci étaient auparavant étudiés pour les seules diasporas, définies comme des groupes ethniques dispersés dans le Monde suite à un exil forcé (Juifs, Grecs et Arméniens étant alors les diasporas archétypales).

Devant la croissance du phénomène diasporique, des définitions et des typologies ont été proposées [Medam, 1993 ; Sheffer, 1986, 1993 ; Cohen, 1997]. Leur limite principale réside dans l’extension du champ des études diasporiques, à tel point qu’il devient difficile désormais de distinguer les diasporas des autres communautés transnationales, malgré une tentative récente de clarification [Bruneau, 2004]. Les recherches d’Emmanuel Ma Mung [1994, 1999a, 1999b, 2000] sur la diaspora chinoise permettent de répondre à cette limite, en définissant le concept de diaspora par trois critères. Le premier est la multipolarité de la migration, qui précise l’idée de dispersion en admettant l’existence de plusieurs centralités ; le second est l’interpolarité de la migration, qui induit l’idée de réseaux migratoires complexes, reliant les différents espaces de transit et d’installation ; le troisième est le développement d’une identité collective de type ethnique, au sens weberien, c’est-à-dire fondée sur la croyance en une origine commune, que les migrants vont chercher à maintenir par un travail de mémoire. La discontinuité territoriale qui s’ensuit s’accompagne d’une spatialité spécifique, « l’extra-territorialité », qui émerge par la prise de conscience par le groupe de sa configuration spatiale – interpolarité et multipolarité – et une positivation de cette configuration, par la création d’une « culture de diaspora ». Ces recherches montrent qu’un sentiment d’appartenance commune peut exister malgré la dispersion, lorsque la continuité généalogique peut se substituer à l’absence de continuité spatiale ; autrement dit, lorsque « la

construction d’une mémoire / histoire collective permet de réunir les lieux de la diaspora en un territoire virtuel, de regrouper par la pensée les lieux en un ensemble, en un espace métaphorique » [Ma Mung, 2000 : 159]. L’extra-territorialité est donc un sentiment.

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Du latin retis (filet), le réseau est « un ensemble de lignes interconnectées qui permettent la circulation des flux, et donc le fonctionnement de l’interaction spatiale » [Brunet ; Dollfus, 1990 : 400].

Ce sentiment d’extra-territorialité, qui caractérise la diaspora, est observé chez des migrants marocains à Marseille et Perpignan [Sala ; Tarrius, 2000 : 126]. Pour ces auteurs, ces migrants ne relèvent pourtant pas d’une configuration diasporique mais d’un nouveau type de nomadisme ; c’est que leur définition de la diaspora inclut d’autres critères que ceux