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Trop d'images : entre image médiatique et image du corps

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Trop d'images : Entre image médiatique et image du

corps

Mémoire

Joan Berthiaume

Maîtrise en arts visuels - avec mémoire

Maître ès arts (M.A.)

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Résumé

Ce mémoire aborde en profondeur diverses notions et concepts interreliés en art, philosophie et psychologie sociale comme la représentation du corps et son instrumentalisation dans l’image publicitaire ou encore l’hypermédiatisation et son conditionnement esthétique. Les différentes parties de cet ouvrage sont construites dans la même lignée que ma démarche de création, c’est-à-dire de manière fragmentée et dont la finalité témoigne d’un art de l’assemblage. En m’appuyant sur une vision personnelle étoffée par des recherches sur l’image du corps et sa médiatisation, j’exprime comment notre rapport à la société et à notre production d’images me sert de filon artistique. J’illustre mes propos avec des travaux d’artistes d’avant-garde des années 1960 et, bien entendu, avec les images issues de ma pratique artistique des deux dernières années. Ces dernières présentent principalement des installations vidéo multiécran comprenant des mosaïques d’images qui mettent de l’avant un travail de montage vidéo et de composition visuelle conçue d’images d’archives, de captures vidéographiques ainsi que macrovidéographiques d’ordre documentaire.

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Table des matières

Résumé ... ii

Table des matières ... iii

Liste des figures ... iv

Remerciements ... vii

Introduction ... 1

Partie 1. Fondements de recherches ... 5

1.1.Point de départ ... 5

1.2. Les images qui nous entourent ... 8

1.2.1. L’image publicitaire ... 10

1.2.2. Écranocratie ... 12

1.2.3. L'image du corps ... 14

1.2.4. L'image de soi ... 17

1.3. Comportements psychosociaux liés à l’image du corps ... 19

1.4. Production de l'apparence et gestes d’esthétisation ... 22

1.5. Bref compte rendu d’une prise de conscience ... 26

1.6. Conclusion de la 1re partie ... 27

Partie 2. Processus de sélection et de créations d’images ... 28

2.1. Images d’intérêt ... 28

2.1.1. L’instrumentalisation du corps et sa mise en scène ... 29

2.1.2. Langage symbolique ... 31

2.1.3. Images d’archives ... 33

2.2. Le macrovidéographique ... 37

2.3. L’évolution de mes captations vidéographiques ... 39

2.4. Conclusion de la 2e partie ... 43

Partie 3. La réalisation ... 44

3.1. Le montage ... 44

3.1.1. Les transitions vidéo ... 46

3.1.2. Méthode de comparaison par succession et juxtaposition d’images ... 50

3.1.3. Assemblage, compositions visuelles et mosaïque ... 52

3.1.4. Une approche picturale du traitement de l’image en vidéo ... 58

3.2. Le son ... 61

3.3. Mes dispositifs de présentation ... 63

3.3.1. Des matériaux obsolètes ... 63

3.3.2. L’écran télévisuel et le multiécran ... 67

3.3.3. L’installation vidéo ... 72

3.3.4. Côtoyer l’espace public ... 74

3.3.4.1. La vitrine ... 75

3.4. Conclusion de la 3e partie ... 78

Conclusion ... 79

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Liste des figures

Figure 1 : Joan Berthiaume, Schéma sur l’image du corps et sa médiatisation, 2017 ... 14 Figure 2 : Dr Andre A. Cueto, Use vacuum to aid hair growth, article de magazine

publié dans le Popular Science, nov. 1938 ... 23 Figure 3 : Annette Messager, L'album collection №18 – Les tortures volontaires,

2011[1972] ... 24 Figure 4 : Joan Berthiaume, Notre production d’images, image fixe tirée de

l’Examen de projet [Présentation publique], communication personnelle

[Présentation Prezi], 1er mai 2018 ... 30 Figure 5 : Joan Berthiaume, Compilation de vidéos d’archives des années 1950 à

1980, 2018 ... 34

Figure 6 : Joan Berthiaume, Tatouage en cours, capture macrovidéographique, 2017, Québec, La Suite Tattoo Club ... 37 Figure 7 : Joan Berthiaume, Compilation de captures vidéos documentaires

(extraits), 2018 ... 39 Figure 8 : Joan Berthiaume, Aperçus de captures vidéos autodocumentaires, 2018 ... 40 Figure 9 : Joan Berthiaume, Aperçus de captures vidéos volontaires autogérés,

2018 ... 42 Figure 10 : Joan Berthiaume, Aperçu du tableau de recensement des mouvements

visuels, 2019 ... 48

Figure 11 : Joan Berthiaume, Mashup d'un casting, vidéo, 2018 ... 49 Figure 12 : Joan Berthiaume, Méthode de comparaison par juxtaposition vidéo,

2019 ... 50 Figure 13 : Mikatapani, s. d., 4961 x 3721 px, s. d., unsplash.com ... 52 Figure 14 : Joan Berthiaume, Exemple de composition visuelle, 2019 ... 53 Figure 15 : Lee Friedlander, Washington D.C, Photographie gélatino-argentique,

20,6 x 13,8 cm, 1962, Manhattan, MoMA ... 55 Figure 16 : Hannah Höch, Der Vater, Collage, 34 x 27 cm, 1920, Berlin, Galerie

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Figure 17 : Joan Berthiaume, Corps cathodiques, support artisanal en acier, écran, tube cathodique, carte graphique et composantes électroniques, haut-parleurs et lecteur vidéo, 2019 ... 65 Figure 18 : Joan Berthiaume, Corps cathodiques, support artisanal en acier,

écrans, tubes cathodiques, cartes graphiques et composantes

électroniques, haut-parleurs et lecteur vidéo, 2019 ... 65 Figure 19 : Cildo Meireles, Babel, installation, 2001, Londres, Tate Modern ... 66 Figure 20 : Joan Berthiaume, Dispositif de présentation 2, support artisanal en

acier, écrans, tubes cathodiques, cartes graphiques et composantes électroniques, haut-parleurs et lecteurs vidéo, 2019 ... 68 Figure 21 : Joan Berthiaume, Dispositif de présentation 3, support artisanal en

acier, écrans, tubes cathodiques, cartes graphiques et composantes électroniques, haut-parleurs et lecteurs vidéo, 2019 ... 68 Figure 22 : Joan Berthiaume, Dispositif de présentation 1, support artisanal en

acier, écran, tube cathodique, carte graphique et composantes

électroniques, haut-parleurs et lecteur vidéo, 2019 ... 69 Figure 23 : Joan Berthiaume, détail de Dispositif de présentation 1, support

artisanal en acier, écrans, tube cathodique, carte graphique et

composantes électroniques, haut-parleurs et lecteurs vidéo, 2019 .... 69 Figure 24 : Joan Berthiaume, L'arrivée, 2017, Montréal, Place des Arts ... 70 Figure 25 : Harun Farocki, Cinemania, installation multividéo, 2012, Ithaca

(Université Cornell), Johnson Museum of Art ... 71 Figure 26 : Joan Berthiaume, Capture d'image de la documentation vidéo de

l'exposition « Décor ta face, maquille ta maison », Galerie Criterium,

2019 ... 73 Figure 27 : Joan Berthiaume, Exposition « Décor ta face, maquille ta maison »,

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« J’aime qu’on dise cette femme, cette personne, n’est pas à sa place. C’est là qu’il faut être toujours déplacée dans l’inconvenance. C’est ce choix-là d’être artiste1 ».

1 Annette MESSAGER, dans Heinz PETER SCHWERFEL, Annette Messager – pudique et

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Remerciements

Eh bien, ce n’est que dans l’écriture de cette dernière introspection, les remerciements, que je réalise enfin tout ce que cette maîtrise a recelé, tout ce que je n’ai pas pu contrôler, tout ce qu’elle a fait grandir en moi. Quant à ce mémoire, j’y ai vidé ma tête. Et comme avec tout le reste, le plus dur fut de savoir quand s’arrêter. N’est-ce pas Jays, savoir fixer ses limites. J’y travaille le frère, juré! D’ailleurs, lors de l’écriture, j’ai souvenir de m’être dit à un moment qu’une partie de ce mémoire (d’autant qu’une partie de ma pratique artistique) est en fait une affaire de famille. J’en viens donc à adresser mes premiers remerciements à mes parents, à ma famille, à vous tous qui m’avez encouragée et soutenue à votre manière. Ce serait un peu long de tous vous nommer, surtout que la famille s’est agrandie ces derniers temps! Mais sache, toi qui lis ces lignes et qui m’a vue devenir la femme que je suis, que tu es dans mes pensées autant que je suis dans les tiennes. De toute évidence, j’aimerais remercier Éric, mon partner qui, nous le savons, est bien plus que cela. Merci pour ton soutien inestimable, pour l’intégralité de tes relectures. Bref, pour tes deuxièmes shifts!

Je souhaite également remercier Jacques Samson, sculpteur et pédagogue, pour son aide précieuse; la coopérative Spira pour leur programme La

collaboration; et finalement tous les gens qui ont contribué d’une manière

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Introduction

La création artistique est bien plus qu’une forme d’expression. Elle est un remède aux fausses certitudes et aux œillères que nous pose parfois la vie face à la polysémie du monde. Elle est un moyen par lequel l’individu peut extérioriser ce qui le tiraille de l’intérieur, en extraire la quintessence pour ensuite en arpenter chaque recoin. C’est du moins, ce que mes deux dernières années de recherches-créations me révèlent. Je n’y ai pas développé que des œuvres ou qu’un projet, mais bien un champ d’expertise couvrant tout un travail sur l’image et plus particulièrement celle du corps. Elle est l’ultime point d’ancrage de ma pratique. C’est autour de celle-ci que s’articule ma recherche, mes intentions, puis mes réalisations. En vue de démystifier toutes les composantes, j’ai construit ce mémoire en trois parties.

Dans la première partie, je pose les fondements de recherches en articulant mes pensées et observations avec mes recherches théoriques. Ces dernières traitent de l’image médiatique actuelle, de son influence sur l’image de soi et de notre relation au corps. Précisément, « Mon point de départ » débute en me situant au sein du contexte social qui est le nôtre. Avec cette contextualisation, je nuance le monde auquel je fais référence et j’aborde par le biais de l’art les raisons pour lesquelles je m’y inscris. J’enchaîne ensuite avec « Les images qui nous entourent » par lesquelles est développé le rapport que j’entretiens avec ces dernières, ce qu’elles animent en moi pour que j’en vienne à diriger mon attention autour de leur langage visuel marketing destiné à la consommation marchande. La section « L’image publicitaire » explique pourquoi celle-ci dérange et comment je perçois son abondance comme aliénante, notamment dans la manière qu’elle parvient à conditionner notre regard et infiltrer notre quotidien. C’est un point que j’approfondis dans la section suivante, « Écranocratie », dans laquelle j’observe l’effervescence des écrans autant dans la sphère publique que

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privée et ma fascination pour le rôle qu’y joue l’image. Comme si l’hypermédiatisation actuelle était conséquente de la présence importante ou de l’envahissement des écrans dans nos vies. Ce qui m’intéresse dans cette propagation de l’écran repose principalement sur la façon dont les gens s’en servent pour y diffuser une projection d’eux-mêmes allant dans le même sens que la publicité. À partir de là, je développe mon cadre théorique et conceptuel sur la représentation du corps et sa médiatisation avec les sections « L’image du corps » et « L’image de soi ». J’y définis comment nous pouvons interpréter ces derniers et le rôle qu’y jouent les notions d’idéaux de beauté. J’y effectue un rapprochement entre ma vision iconographique du corps et le concept de « corpopolitique » en soulignant le fait que tous deux ont pour fonction sociale d’être vus et de projeter un portrait idéalisé de soi. Puis, avec « l’image de soi », je fais mention de la notion d’identité pouvant être rattachée à la représentation du corps et sa médiatisation à l’écran. Affirmant que l’image du corps devient un pilier de l’image de soi, c’est avec le chapitre « Comportements psychosociaux liés à l’image de soi » que j’aborde l’incidence ou l’impacte du phénomène sur notre rapport au corps en suggérant que plus les apparences prennent de l’importance dans la vie d’un individu, plus elles influencent ses comportements. Puis, suivant les observations des comportements psychosociaux liés à l’idéal de beauté du corps, le chapitre « Production de l’apparence et gestes d’esthétisation » explique comment le fait de se consacrer à la production des apparences a généré des gestes médicaux d’esthétisation et une culture de soins corporels, ceux-ci se rapportant à la fois à des modes et des cultures de consommation. Enfin, je termine la première partie avec « Bref compte rendu d’une prise de conscience » qui dévoile une prise de conscience personnelle quant à ma production d’images.

Dans la deuxième partie, je développe mon processus de sélection et de création d’images. Au début, avec le chapitre introductif « Images d’intérêts », j’explique brièvement ce qui m’a amené à relever les différents points qui

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m’intéressent dans l’image. Précisément, je les décortique en trois sections. La première, intitulée « L’instrumentalisation du corps et sa mise en scène », se focalise sur la représentation visuelle du corps selon sa fonction séductrice ou consommatoire. La deuxième, intitulée « Langage symbolique », aborde l’image et le corps médiatisé en tant que système de signes. J’y souligne un intérêt particulier à démêler les signes iconiques des représentations populaires instrumentalisant le corps. La troisième, intitulée « Images d’archives », explique comment celle-ci est devenue pour moi un incontournable et pourquoi je me suis concentrée sur les vidéos publicitaires des années 1950 à 1980. Ensuite, avec le chapitre « le macrovidéographique », je fais mention de mon utilisation de la caméra selon ma volonté de montrer des plans inhabituels du corps, notamment lorsqu’il est question de gestes d’esthétisation. Puis, dans le chapitre « L’évolution de mes captations vidéographique », j’y développe les différentes manières avec lesquelles j’envisage l’acte filmant, passant d’une posture documentaire à une autre, plus personnelle, et finalement à une dernière d’ordre participative.

Enfin, dans la troisième partie, il est question de mes procédés de réalisations et les œuvres qui en découlent. Le chapitre « Le montage » décortique les étapes de postproduction de mes vidéos en quatre sections. Commençant avec « Les transitions vidéo », j’initie la manière dont j’ai développé une méthodologie du montage me permettant d’associer mes vidéos entres-elles. Enchaînant avec « Méthode de comparaison par succession et juxtaposition d’images », j’explique comment j’use du montage vidéo pour mettre en relations différentes gestes d’esthétisation. Dans « Assemblage, compositions visuelles et mosaïque », je scrute en profondeur la pratique de l’assemblage en art; ce que j’entends par composition visuelle lorsque je parle de mes œuvres; ce qu’elles signifient pour moi; la position idéologique qu’elles prennent et pourquoi j’en fais des mosaïques. Puis, dans « Une approche picturale du traitement de l’image en vidéo », j’aborde mon

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rapport à l’image virtuelle selon mes choix esthétiques et la manière que je la calibre au montage (colorimétrie, texture, rythme). Le chapitre « Le son » survole brièvement comment je retravaille le son en symbiose avec l’image. Quant au chapitre « Mes dispositifs de présentation », j’y étale en plusieurs sections mes choix de constructions en termes de matériaux et d’installation. J’explique donc comment et pourquoi je réutilise la technologie analogique dans « Des matériaux obsolètes ». La section « L’écran télévisuel et le multiécran » développe les raisons pour lesquelles je souhaite à tout prix utiliser non seulement l’écran, mais une accumulation d’écrans. Je précise ensuite mon intérêt à concevoir des dispositifs spatiaux, visuels et sonores dans « L’installation vidéo ». Finalement, dans la section « Côtoyer l’espace public » et la sous-section « La vitrine », j’aborde l’importance d’intégrer l’art dans la ville et comment la vitrine peut y contribuer.

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Partie 1. Fondements de recherches

1.1. Point de départ

Dans un premier temps, il faut savoir que cette recherche vouée à la création artistique s’inscrit dans un contexte social particulier que je tente de définir en saisissant ses nuances et ses impacts sur ma vie comme sur ma création. Ce n’est qu’au cours de ces deux dernières années de recherches-créations que j’ai pu constater cette inflexion à aller vers ce que j’ai connu, vers le contexte dans lequel j’ai grandi, vers le monde qui est le mien. C’est par ce constat que les mots de Paul Ardenne font écho à ma manière de concevoir la pratique artistique lorsqu’il écrit « l’art doit être hic et nunc, corrélé aux choses de tous les jours, en relation étroite avec, précisément, le “contexte”2 ». Un art qui s’ouvre à des questions sociales, à la politique, aux

pensées de toutes sortes qui nous submergent et qui a trait au contexte dans lequel nous nous trouvons. Je perçois cet art non pas comme « le reflet mécanique des conditions positives ou négatives du monde », mais plutôt comme un « miroir hyperbolique » du monde, de son contexte social et temporel3.

Concevant que « l’art est à la fois l’objet et le sujet d’une éthique4 », il est

avant tout reflet de la volonté de s’exprimer dans un contexte social précis. Qu’en est-il du contexte social dans lequel mes recherches-créations s’inscrivent? Faisant référence à « la société des loisirs et de l’individualisme » souvent théorisé sous le nom de « société

2 Paul ARDENNE, « Art et politique : ce que change l’art “contextuel” », L’art même, no 14

(2008): 2-7, http://www.lartmeme.cfwb.be/no014/pages/page1.htm (Page consultée le 20 octobre 2017).

3 Jean BAUDRILLARD, Illusion, désillusion esthétiques, Paris, Sens & Tonka, 1997, p. 16. 4 Nicolas BOURRIAUD, Esthétique relationnelle, Paris, Presses du réel, 2001, p. 18.

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postindustrielle »5, les qualificatifs qui me semblent appropriés pour

caractériser le « contexte sociologique contemporain6 » auquel je ferai

référence tout au long de ce texte sont notamment : société consumériste, matérialiste, individualiste, industrialisée, contrôlée, aseptisée, etc. Maintenant, il est à préciser que lorsque je mentionne ce contexte social, je fais référence à celui dans lequel je me trouve, soit celui issu d’une culture nord-américaine. Une culture qui, comme bien d’autres, est plus que jamais « adaptée à l’ère des masses7 ». Je développerai ce point dans le prochain

chapitre.

L’art, comme je le vis, s’active donc par une volonté de m’exprimer, mais aussi par la possibilité d’agir à partir de, dans et sur ma propre réalité, ma propre culture. Comme l’écrit Marie Fraser, « l’artiste est à l’intérieur du monde qu’il observe […] le monde qu’il observe n’est pas un monde objectif, mais son propre monde »8. Il ne s’agit donc pas d’agir en tant qu’observateur

d’une réalité extérieure, au contraire, il est question de créer à l’intérieur du monde observé. D’autant plus que c’est en se positionnant au cœur d’une problématique qui est sienne que la création devient un travail engagé. Dans cet ordre d’idée, Fraser, professeure en histoire de l’art à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), explique qu’une démarche artistique peut prendre différentes postures dont celle de l’anthropologue, et qu’à partir de telles analogies, il nous est plus aisé de comprendre comment l’art reformule son rapport à la réalité :

La double posture de l’artiste, anthropologue et archéologue, permet littéralement de « creuser » le réel et ses composantes matérielles, de jeter

5 Bernard STIEGLER, « Le désir asphyxié, ou comment l’industrie culturelle détruit

l’individu », Manière de voir, Le Monde diplomatique, 96 (décembre 2007), p. 10.

6 Celui d’« un système social au sein duquel les liens traditionnels ont été détendus, brisés,

éclatés, une société de “déliance” » (Bolle De Bal, 2003, p.104).

7 Jean-Jacques WUNENBURGER, L’homme à l’âge de la télévision, Paris, Presses

universitaires de France, 2000, p. 13.

8 Marie FRASER, « Des formes de vie à la restitution du présent. De l’artiste anthropologue

à l’archéologue », Globe, Revue internationale d’études québécoises, L’actualité de l’art au Québec, vol. 17, no 1 (2014), p. 158.

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un regard critique sur ce qui le constitue en termes d’objets, de formes de vie et de modes d’existence, de structures sociales et symboliques. L’art touche ainsi à des aspects de la réalité, de la culture matérielle et du présent que l’anthropologie et l’archéologie ont largement explorés9. Ce rapprochement qu’elle fait entre l’artiste, l’anthropologue et l’archéologue dans ces écrits m’a interpellée en particulier lorsqu’elle souligne qu’ils étudient tous les mêmes problématiques, notamment concernant le rapport que les sociétés entretiennent avec le monde et la culture, les relations humaines et l’identité10 . De ce point de vue, ma démarche artistique

déployée dans, et nourrie par ce travail de maîtrise est sans aucun doute empreinte d’une approche anthropologique, voire ethnologique. Celle-ci est stimulée par le rêve de modifier la production d’images dominantes — ou du moins de contribuer à son amélioration, d’en démasquer les conventions de sorte à promouvoir une culture visuelle saine qui mettrait de l’avant des valeurs d’ordre social avant celles d’ordre économique. Certes, cette aspiration peut paraître utopique à l’heure actuelle, mais j’ai l’intime conviction que la création artistique possède la marge de liberté pour y parvenir.

Suivant ce qui vient d’être dit, je décortiquerai mon sujet de recherche en plusieurs composantes factorielles portant sur l’image médiatique et ses interactions psychosociales.

9 Ibid., p. 169. 10 Ibid., p. 159.

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1.2. Les images qui nous entourent

Démultipliées, les images sont omniprésentes dans les espaces publics, les réseaux de communications, etc. Certains parlent d’hypermédiatisation, d’autres de propagande d’hyperconsommation. Une réalité que nous côtoyons dès notre plus jeune âge par les médias dits de masse. Présents sous forme de norme culturelle prégnante, « les mass médias sont plus qu’un simple canal de diffusion de l’information et de la culture. Parce qu’ils transforment les contenus transmis et le style de participation à la vie culturelle, on constate qu’ils contribuent à façonner de nouveaux rapports à la culture et à renouveler les pratiques11 ». C’est en réaction à cet

environnement médiatique dans lequel j’ai grandi que j’érige ma pratique artistique. D’un côté, la culture visuelle qui nous entoure me fascine, de l’autre, elle m’habite par le besoin d’intervenir. Lorsque j’essaie d’expliquer ce besoin d’intervenir, je me réfère aux mouvements des années 1960 où l’artiste était justement devenu celui qui agissait en produisant à l’intérieur d’un système qui le dépassait et dont l’individualité importe moins que les opérations qu’il exécute. Nous n’avons qu’à nous référer à des artistes inspirés par les mouvements d’avant-garde féministe comme Patty Chang dont les réalisations vidéo et performances artistiques accordent plus d’importance à des actions voulant contribuer à changer le monde qu’à la retranscription partiale de ce monde. Dans cet état d’esprit, il me semble incontournable d’intervenir face à cet ersatz d’images dans lequel nous nageons et qui nous dépassent. Après tout, en tant que citoyenne, je fais partie de ces « spectateurs qui consomment l’image proliférante, en tous temps et tous lieux, du restaurant au moyen de transport, des centres commerciaux aux bancs d’écoles12 ». Force est de constater que n’importe

quelle image peut être diffusée tant qu’elle réponde à « l’idéologie du jour du

11 Lise SANTERRE, De la démocratisation de la culture à la démocratie culturelle, Québec,

Ministère de la culture et des communications, 1999, p. 18.

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politiquement correct13 ». Toutefois, ce qui me préoccupe davantage est que

l’image semble subir une sorte de massification du langage visuel centré sur l’harmonie et l’agencement de formes dans l’intention de plaire au regard ou du moins, de répondre aux normes esthétiques14 sociétales. Comme l’écrit

Bernard Stiegler, « [u]ne immense part de la population est aujourd’hui privée de toute expérience esthétique, entièrement soumise qu’elle est au conditionnement esthétique en quoi consiste le marketing, qui est devenu hégémonique pour l’immense majorité de la population mondiale15 ». Par là,

je peux affirmer qu’il y a aujourd’hui — et depuis l’après-guerre — un renchérissement du lien de causalité entre les normes d’esthétisation sociétales régies par le culte de la consommation et une sorte de massification du langage visuel dont témoigne l’environnement médiatique dans lequel nous vivons. « [P]aradoxalement, notre monde moderne souffre d’une réelle perte d’informations, suite à l’explosion des communications qui a produit un état de surinformation16 ». Comme si le fait de côtoyer trop

d’images nous rendait culturellement conditionnés à celles-ci. Ainsi, inconsciemment, nous en venons à penser le monde qui nous entoure et à le refléter selon un filtre esthétisant propre aux stratégies esthétiques de marketing employées par les médias de masse. Dans cet ordre d’idée, à travers les sections qui suivent se dessinera une posture contestant la conception individualiste de l’existence où l’individu se retrouve continuellement aux prises à son image. Passant de « L’image publicitaire » à « L’image de soi », j’aborde différents concepts axés sur la production de l’apparence et interroge le rôle que joue l’image dans notre relation au corps et à sa représentation.

13 Ibid., p. 148.

14 Dans cette première partie, le terme « esthétique » est employé selon sa définition courante

pour le qualificatif signifiant « conforme à une certaine beauté, à une certaine harmonie », ou encore, « relatif aux moyens développés pour maintenir ou améliorer l’apparence physique » (Côté, 2017).

15 B. STIEGLER, loc. cit., p. 21.

16 Olga KISSELEVAK, Cyberart, un essai sur l’art du dialogue, Paris, L’Harmattan, 1998,

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1.2.1. L’image publicitaire

L’image d’ordre publicitaire est à l’évidence celle qui me dérange le plus. Elle est issue de techniques promotionnelles où « tout doit devenir consommable17 » :

La publicité constitue une catégorie spécifique d’images entièrement régies par le principe de persuasion. Le film publicitaire vise à rendre un produit commercial désirable et met en place un discours et un scénario visuels où la vérité objective est entièrement recouverte par une représentation idéale. Comme toute activité commerciale qui cherche à obtenir un effet, ici l’achat d’un produit, la publicité met l’image au service d’une perception avantageuse destinée à induire un comportement d’acquisition. De manière générale, la publicité pose même un problème moral dans la mesure où elle peut être prise pour une information alors qu’elle n’est qu’une démarche animée par la promotion de l’apparaître18.

En regardant une image publicitaire, il n’y a généralement pas de question à se poser. La « publicité lénifiante19 » est explicative dans sa forme, voire

expéditive, et ne cherche pas à répondre à la polysémie du monde dans lequel elle s’immisce. Sa sémantique est socialement dirigée non seulement pour que l'on consomme des biens et des services, mais aussi pour que sa lecture nous renvoie à d’autres images allant dans le même sens. Comme si nous étions « condamnés à la publicité, au faire-croire, au faire-voir, au faire-valoir20 ». Et à force d’être constamment sollicité par une avalanche

d’images conçues pour vendre, on en vient aveuglé. Lydya Assayag, directrice du réseau québécois d’action pour la santé des femmes, affirme qu’en Amérique du Nord la population est sujette à près de 1500 publicités par jour21.

17 B. STIEGLER, loc. cit., p. 12.

18 J.-J. WUNENBURGER, op. cit., p. 95.

19 Jean MAISONNEUVE et Marilou BRUCHON-SCHWEITZER, Le corps et la beauté, Paris,

Presses universitaires de France, 1999, p. 117.

20 Jean BAUDRILLARD, Illusion, désillusion esthétiques, Paris, Sens & Tonka, 1997, p. 30. 21 Jean-Simon CHARTIER, « Un corps à la carte », 2018,

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Dans ce contexte, comment ne pas être blasé de l’image publicitaire, du rêve américain et de son utopie néo-libérale fondée sur la consommation à tout prix? La réalité est qu’au fil du temps, les images diffusées par les médias de masse se sont enracinées dans le paysage urbain au point d’en devenir partie intégrante, et que même si nous n’y croyons plus, nous les supportons. Il est vrai qu’en voyant une image publicitaire, on sait d’instinct que la forme est bien plus intéressante que le fond. Formulé dans les mots de John Cage, « ils ont mis la charrue avant les bœufs : la publicité qu’ils font vaut mieux que ce dont ils font la publicité22 ». Malgré cela, le règne de

l’image publicitaire ne semble pas s’arrêter. Au contraire, elle a repris du pep par le « design libidinal de notre culture »23 cherchant à générer du désir

et par sa touche humoristique. Elle continue de foisonner en s’attribuant le rôle d’adoucir la réalité quotidienne avec un peu de ludisme. Avec de telles astuces, on ne peut nier l’efficacité de l’image publicitaire pour infiltrer notre quotidien avec éloquence. C’est dans la même veine que Baudrillard dit que « notre monde moderne est publicitaire dans son essence » et que, tel qu’il est, « on dirait qu’il n’a été inventé que pour en faire la publicité dans un autre monde »24. C’est-à-dire que par la publicité, « la société se donne à voir

et à consommer sa propre image25 ».

22 John CAGE, Journal : comment rendre le monde meilleur (on ne fait qu’aggraver les choses)

Genève, Héros-Limite, Contrechamps éditions, 2003, p. 53.

23 Id., De la séduction : l’horizon sacré des apparences, Paris, Denoël-Gonthier, 1981, p. 36,

214.

24 Id., Illusion, désillusion esthétiques..., op. cit., p. 30, 33. 25 Id., Le système des objets…, op. cit., p. 241.

(19)

1.2.2. Écranocratie

S’il semble difficile de caractériser l’époque dans laquelle je me trouve, il semble en revanche plus facile de cerner ce qui influence mon rapport au monde et à autrui : l’écran. Étant témoin et actrice de cette « écranocratie », le rôle qu’y joue l’image me fascine. En effet, même si l’image ne naît pas forcément de l’écran — à l’instar de l’image plastique26 qui prend forme à

partir de matériaux et du travail manuel — toute image désormais se partage, se diffuse, se répand par le biais d’écrans. Il s’agit là de l’action même de médiatisation27.

L’écran dans notre salon, dans notre bureau, dans nos rues et finalement dans notre poche diffuse des images qui sont faites pour être vues par le plus grand nombre et appréciées de tous. Dans cet ordre d’idée, les médias numériques se transforment en « une énorme machine à produire des apparences »28 vouée à conditionner le regard et à imprégner nos esprits. Par

outrance, elle génère une dépendance à l’écran qui ne met pas seulement en cause un outil de diffusion, ses performances et ses usages, mais l’être même de l’individu qui médiatise ou qui remplace la vie par l’écran.

On utilise finalement l’écran afin de médiatiser notre propre image en tant qu’image de l’être, image de soi, la « forme-moi [virtuelle] (Ichform), l’absolue auto-expression et exhibition” de soi en tant qu’image29 ». Là où cette action

me perturbe, c’est lorsqu’on en vient à adopter des techniques de marketing inspirées du monde marchand pour se transformer — volontairement ou

26 Relatif aux arts plastiques.

27 À savoir le processus par lequel des médiations sont instituées de sorte à relier les

acteurs sociaux entre eux (Bolle De Bal, 2003, p.105).

28 J.-J. WUNENBURGER, op. cit., p. 5.

29 Alessandro BERTINETTO, Fichte : la philosophie de la maturité. Tome I : Les derniers

exposés de la Doctrine de la science, Toulouse, EuroPhilosophie Éditions, 2017,

http://books.openedition.org.acces.bibl.ulaval.ca/europhilosophie/323 (Page consultée le 16 décembre 2018)

(20)

non — nous-mêmes en produits30. Tout devient permis lorsqu’il est question

de bien paraître à l’écran. Comme si être beau31 suscitait chez la clientèle

l’impression de réussite et de succès :

Chaque jour, partout dans le monde, le réseau des médias remplace la réalité par des mensonges […] des mensonges visuels, tangibles, sur ce qu’est vraiment la vie des humains et de la nature. Tous les mensonges se fondent en une colossale tromperie : l’idée que la vie elle-même est une marchandise et que ceux qui ont les moyens de l’acheter sont, par définition, ceux qui la méritent32 !

Il serait donc juste d’affirmer que l’écranocratie se niche au sein d’« un système médiatique traitant la beauté ou souvent ses ersatz, en produits de consommation33 ». Forcément, l’individu s’y perd. Comment reconnaitre de

nos jours qu’un sourire à l’écran est sincère ou que la simple image d’un individu est authentique si le plus souvent se montrer sur un écran est synonyme de porter un masque afin de bien paraître? En fin de compte, Erving Goffman avait sans doute raison lorsqu’il cita George Santayana en affirmant que « nous composons et nous jouons le personnage de notre choix34 ».

30 B. STIEGLER, loc. cit., p. 15.

31 Il est à préciser ici que l’emploi du terme « beau » réfère à une certaine idée de la

perfection ; à une certaine conception de la beauté correspondant à un idéal ou à certains canons esthétiques occidentaux — voire aux simples canons de la mode.

32 John BERGER, « De la résistance des choses peintes », Le Monde diplomatique, avril 1996,

paragr. « Trop de mensonges visuels »,

https://www.monde-diplomatique.fr/1996/04/BERGER/5408 (Page consultée le 19 octobre 2017)

33 J. MAISONNEUVE et M. BRUCHON-SCHWEITZER, op. cit., p. 18.

34 Erving GOFFMAN, La mise en scène de la vie quotidienne I: La présentation de soi, Paris,

(21)

1.2.3. L'image du corps

Aussi loin que l’on puisse remonter dans le passé, qu’il s’agisse d’un dessin ou d’un volume retrouvé sur une surface x, le corps a fait l’objet de représentations autant peintes que sculptées. Maintenant, avec la technologie, on ajoute à cela sa représentation immatérielle par l’écran. C’est en effet avec la société post-industrielle où la super-informativité a atteint son apogée qu’apparaît le terme de « corps virtuel35 ». En fait, la transposition

du corps à l’image est chose de toute époque et joue vraisemblablement un rôle important dans la construction de l’identité culturelle, sociale et personnelle. C’est pourquoi l’image occidentale du corps et sa médiatisation sont devenues pour moi un champ de recherche où s’établissent des relations de cause à effet entre son instrumentalisation dans les médias, son langage visuel/plastique et ses répercussions sur l’individu.

Figure 1 : Joan Berthiaume, Schéma sur l’image du corps et sa médiatisation, 2017

(22)

À l’abord de ce schéma, je me dois de définir ce que l’image du corps signifie pour moi. Elle ne s’arrête pas à la représentation ou à la reproduction du corps mis en image. Dans la même optique que Baudrillard lorsqu’il écrit « une image, c’est justement une abstraction du monde en deux dimensions, c’est ce qui ôte une dimension au monde réel, et par là même, inaugure la puissance de l’illusion36 », j’étudie l’image du corps dans son pouvoir à

susciter des impressions. Autrement dit, je perçois les images qui nous entourent comme étant des constructions, des mises en scène relevant du paraître. On cadre le corps, l’isole, puis le fige — voire le dénature — au sein d’une image construite de toutes pièces de sorte à projeter à nos semblables une image biaisée, embellie de notre corps, de nous-mêmes. Celle-ci s’y retrouve réduite à la simple représentation d’une apparence physique bonifiée. Comme si le corps lui-même importait moins que sa forme — au sens littéral — jugée selon une certaine idée de la proportion, de la beauté, voire de la perfection comme l’indique Jean Maisonneuve et Marilou Bruchon-Schweitzer : «  les rapports entre corps et beauté ne sont pas d’ordre contingent, mais procèdent d’une affinité latente et d’une image idéale37 ». En effet, l’image du corps semble enfermée dans des idéaux de

beauté dont les normes diffèrent d’une culture à l’autre. Et même si ces idéaux changent visiblement avec les époques, il en résulte une sorte d’« inculcation sociale des jugements de beauté38 » où l’attrait physique d’un

individu est défini par le consensus social  :

Être beau dans nos sociétés, c’est donc posséder certaines caractéristiques corporelles et faciales perçues comme attrayantes par l’entourage. C’est aussi s’embellir conformément à des codes propres à une culture (coiffure, maquillage, habillement) définissant ce que doit être une apparence désirable, selon le sexe, l’âge, la position sociale d’un individu donné39.

36 J. BAUDRILLARD, Illusion, désillusion esthétiques..., op. cit., p. 13. 37 J. MAISONNEUVE et M. BRUCHON-SCHWEITZER, op. cit., p. 3.

38 Cette inculcation sociale du jugement de la beauté rappelle la théorie de Kant selon

laquelle l’expérience du beau se rapporte au « sensus communis » envisageant « la

communauté comme fondements dernier du jugement esthétique » (Parret, 1992, p.341).

(23)

Dans la société occidentale, ce sont les « formes vénusiennes classiques [...] nettement infléchies vers la minceur40 » qui reviennent toujours. Surtout

dans les médias de masse (clip vidéo, pub, TV, magazine, etc.), les corps qu’on y voit répondent tous de façon générale aux canons classiques de la beauté grecque (charpentés et toniques), mais avec une forme accrue de la minceur et linéaire — à croire que l’image médiatique est lipophobe malgré notre société repue de nourriture. De là ressort l’idée que, pour être attrayante, l’image que renvoie notre corps doit correspondre au stéréotype de la beauté. Contribuant « à cristalliser un type de beauté occidentale quasi totalitaire41 », cette conception de l’image du corps ne laisse pas beaucoup

de place aux variations de corps et à l’expressivité du corps qui lui sont propre — considérant que « le corps avait d’abord été tenu comme “le lieu ou plutôt l’actualité du phénomène d’expression”42 ».

Finalement, lorsque je traite de l’image du corps, je m’intéresse au concept avancé par Paul Ardenne de « corpopolitique43 » où la question du corps et

de ses représentations est abordée selon la manière qu’on a de positionner celui-ci dans ce monde. À l’exemple du portrait photographique, la pose fait office de figuration sociale du soi. Le corps y est perçu au-delà de sa définition physique. Ce qui est directement perceptible, l’enveloppe corporelle et le comportement habituel d’un individu, devient un « corps-scène44 » affichant sa construction et sa théâtralité. Poussant plus loin

l’analogie, l’individu « donne sa représentation et organise son spectacle “à

40 Ibid., p. 95.

41 J. MAISONNEUVE et M. BRUCHON-SCHWEITZER, op. cit., p. 96.

42 Maurice MERLEAU-PONTY, Pierre PARLANT, et Arno BERTINA, Le cinéma et la nouvelle

psychologie, Paris, Gallimard, 2009, p. 72.

43 Paul ARDENNE et Louis-Pierre CHARBONNEAU, « Entre micro et macropolitique », Inter,

Art actuel, no 93 (Printemps 2006), p. 17.

44 Emma LAVIGNE, Electric body : le corps en scène : 19 octobre 2002-13 juillet 2003 :

(24)

l’intention des autres” personnes45 ». Autrement dit, j’observe le corps dans

sa dimension sociale de sorte à envisager le corps en tant qu’image, une image avec laquelle l’individu se retrouve souvent aux prises, contraint de répondre à des normes de bien-paraître. Il s’agit donc de se pencher sur la manière que nous avons de nous afficher au monde, d’être dans un monde spécifique à l’humain et où « l’image du corps contribue principalement à la construction de notre identité, à la formation du “Je”46 ». Ainsi, en continuité

avec le corpopolitique, « notre image du corps [est un] lieu très sensible de notre identité47 ». Surinvestis, spécifiquement lorsque l’image du corps

devient l’image de soi, à savoir un pilier identitaire, c’est tout l’équilibre intime et relationnel qui est menacé.

1.2.4. L'image de soi

De l’image du corps à l’image de soi, la notion d’identité fait inévitablement surface. A-t-elle toujours été accompagnée par une certaine dimension de mascarade? Est-ce que notre rapport identitaire et l’image qu’on a de soi-même sont obligatoirement influencés par le corps et les apparences? La locution latine esse est percipi répond en quelque sorte à ces questionnements. Sa signification, « “j’existe si je suis perçu” » ; « “être, c’est être perçu’’48 », rappelle le concept de corpopolitique et comment il est

important de prendre place physiquement — de manière à être perçu par d’autres.

Voilà que s’ajoutent à la perception de l’autre « les nouveaux canons de la photogénie49 ». Une image de soi qui se doit d’être pour ainsi dire plus belle

45 E. GOFFMAN, ...I : La présentation de soi, op. cit., p. 25.

46 Jacinto LAGEIRA, « Un geste inoubliable », dans Ouvrir Couvrir, par Paul ARDENNE et al.,

Lagrasse, France, Éditions Verdier, 2004, p. 128.

47 J. MAISONNEUVE et M. BRUCHON-SCHWEITZER, op. cit., p. 27.

48 Anne CAUQUELIN, L’exposition de soi : du journal intime aux webcams, Paris, Eshel,

2003, p. 72.

(25)

à l’écran qu’en vrai. Encore là reviennent les fameux canons de beauté. Par leurs filtres qui conditionnent notre regard, l’image de soi peut dériver en une source d’insatisfactions justifiée par un seul écart entre « corps idéal » et « corps perçu »50.

Or, l’image de soi est aujourd’hui un prérequis, un passage obligé à l’affirmation de soi. Et l’ironie là-dedans c’est que l’image identitaire s’est d’abord imposée aux citoyens par un besoin d’identifier les criminels ou les individus dangereux. En effet, dès la seconde moitié du XIXe siècle, les

autorités judiciaires exigeaient des photographies signalétiques (portraits pris de face et de profil accompagné d’une description écrite) des criminels51.

Maintenant, nous disposons tous de cartes d’indentées avec portrait, criminel ou non. De là découle une unification de l’identité sociale sur l’identité corporelle. Comme si l’image devenait indissociable de l’être. Une sorte de brouillage entre la frontière du réel et de l’image, « entre le vécu engagé et le vécu simulé52 », un dédoublement de l’individu par l’image

médiatique issue de la technologie qui a maintenant imprégné notre existence quotidienne53. Le Moi numérisé en image est désormais toujours

accessible du bout des doigts et devient comparable à ce que Baudrillard appelle « Le Narcisse digital [...] Hypostase du double artifiel, le clone54 ». En

somme, l’image médiatique en tant que portrait de soi apparaît de plus en plus comme un prolongement de soi, comme une « extension corporelle numérique55 ».

50 J. MAISONNEUVE et M. BRUCHON-SCHWEITZER, op. cit., p. 35.

51 Giorgo AGAMBEN, « Comment l’obsession sécuritaire fait muter la démocratie », Le Monde

diplomatique (janvier 2014), paragr. La vidéosurveillance, de la prison à la rue.

52 J.-J. WUNENBURGER, op. cit., p. 151.

53 Marga BIJVOET, Art as inquiry : toward new collaborations between art, science, and

technology, New York, Peter Lang, 1997, p. 3.

54 J. BAUDRILLARD, De la séduction …, op. cit., p. 233.

(26)

1.3. Comportements psychosociaux liés à l’image du corps

Prenant pour assise théorique l’étude de la psychologie sociale, mes recherches-créations réfèrent à des comportements individuels et normatifs consacrés à l’image corporelle. Par la médiatisation de l’image de soi, j’observe le corps dans sa dimension sociale de sorte à examiner sa corpopolitique. Et un aspect de cette démarche qui m’importe est la compréhension des facteurs externes qui font que les gens mettent en scène leur corps ou s’évertuent à produire une image esthétisante d’eux-mêmes. Tel qu’abordé dans la section précédente, on assiste de plus en plus à l’abolition de l’écart entre l’image que l’individu donne de lui et la perception qu’il renvoie56. Dans cet ordre d’idée, je veux ici précisément faire allusion

aux implications psychologiques qu’un tel rapport à l’image peut avoir à un niveau social — car lorsqu’il s’agit d’attitudes d’un point de vue sociétal, comme le dit si bien Jean-Luc Nancy, « le singulier est pluriel57 ».

Dans une perspective où les phénomènes relationnels sont remplacés par la présence virtuelle (sur l’exemple des réseaux de communications, plateformes web de partage, réseaux sociaux, etc.), on en vient à :

Traiter autrui en maintes circonstances comme une simple apparition à l’écran, qui parle sans que l’on ait besoin d’écouter, qui nous regarde sans qu’on ait besoin de la regarder. Nos rapports aux autres se développent ainsi sur le modèle de ce rapport virtuel [...]58.

Sur ce point, nous ne pouvons pas nier le fait que l’écran interfère avec nos modes d’existence de sorte à modifier nos rapports humains et à prioriser l’évolution technique. En fait, l’omniprésence de l’écran, en faisant de l’image un moyen de communication accessible à tous, a contribué à couper les liens physiques de l’humain avec la vie. D’ailleurs, pendant la pandémie

56 Didier ANZIEU, Le Moi-peau, Paris, Dunod, 1995, p. 149.

57 Jean-Luc NANCY et Chantal PONTBRIAND, « Un entretien », Parachute, no 100 (décembre

2000), p. 22.

(27)

de COVID-19, le contact humain s’est vu entièrement remplacé par le contact numérique à des fins sanitaires. En confinement, l’écran est devenu le lien avec la famille, les amis, le travail, le monde extérieur. Cela se rapporte à ce que Bolle De Ball affirmait en disant que « naissent et se développent des désirs de reliance : les individus isolés souhaitent être reliés, c’est-à-dire liés à nouveau et liés autrement »59. Quant au rôle que

viennent y jouer l’image du corps et la figuration sociale du soi, il semblerait qu’il y ait corrélation entre un manque de reliance sociale et les rapports dysfonctionnels que nous pourrions entretenir avec notre image. Comme si cette corrélation accentuerait le besoin de contrôler son image. Laurent Turcot, professeur d’histoire à l’Université du Québec à Trois-Rivières, affirme que l’énergie dépensée à changer son apparence révèle une perte de sens collectif dans notre société60. Poussée à l’extrême, l’image de son corps

devient une raison de vivre : « En 1926, Mlle Geoffre, une femme travaillant dans le domaine de la mode, demande à son chirurgien Louis Dujarier de procéder à une liposuccion. Ce dernier refuse, mais elle menace de se suicider si on lui refuse l’opération61 ». Déjà à l’époque, ce type de

comportement montrait l’ampleur que peut prendre le besoin de plaire et, par le fait même, d’intégrer la norme. Autrement dit, nous voyons aujourd’hui « la société comme composée d’ensembles d’individus qui tentent perpétuellement de se séduire et de s’apprivoiser les uns les autres en rompant et en renouant des liens62 ». C’est là « le charme et le piège des

apparences63 ». Le charme car tout est question de séduction et le piège car

cela nous coince dans un idéal à atteindre.

59 M. BOLLE DE BAL, loc. cit., p. 113.

60 J.-S. CHARTIER, Corps à la carte, documentaire, loc. cit. 61 J.-S. CHARTIER, « Un corps à la carte », site web, loc. cit. 62 J. GODBOUT et A. CAILLÉ, op. cit., p. 31.

(28)

Un autre fait inhérent aux répercussions que l’image du corps peut avoir sur les comportements psychosociaux est l’incontournable recours au jugement d’autrui64. D’où l’importance d’avoir une image de soi qui nous

rend fières, car rappelons-le, avoir honte de son image est à coup sûr lié au regard de l’autre : « une honte soutenue [est] causée non pas par une action déplacée, mais par la crainte du jugement de l’autre »65.

Être confronté à la fois au besoin de plaire et de faire partie « d’une culture en fin de compte normalisée, standardisée, sans grandes marges de manœuvre66 » engendre finalement l’adhésion aux traitements esthétiques

d’embellissement corporel. Une adhésion qui se fait subrepticement, sans même que l’on se rende compte qu’il s’agit souvent là d’un comportement de consommation ou d’uniformisation dû à l’effet de groupe67. Baudrillard

explique que lorsqu’un individu suit la mode initiée ou promue par une personnalité connue (disons la coiffure), l’individu ne se réfère aucunement aux milliers de semblables suivant la même mode, mais seulement à l’image de marque68 elle-même (disons Madonna) correspondant à l’archétype

sublime dont seule l’image évoque l’originalité69. Ainsi, « l’idéal esthétique,

objet de désir et d’identification, nous normalise et nous individualise en même temps70 ». Voilà à quels types de comportements se réfèrent mes

recherches sur l’image du corps et sa mise en scène dans la vie de tous les jours.

64 J. MAISONNEUVE et M. BRUCHON-SCHWEITZER, op. cit., p. 123. 65 M.-C. DAIGNAULT, loc. cit., p. 23.

66 J.-J. WUNENBURGER, op. cit., p. 114.

67 Je traduis l’effet de groupe en l’attention que porte un individu à être populaire. En soi,

c’est un phénomène social caractérisé par l’imitation du comportement d’autres

personnes afin de respecter certaines normes propres au milieu dans lequel il souhaite s’insérer.

68 Aussi nommé dans le domaine du marketing « branding » et dont le terme anglophone

renvoie à une sorte de marquage de type commerciale.

69 J. BAUDRILLARD, Le système des objets…, op. cit., p. 257. 70 J. MAISONNEUVE et M. BRUCHON-SCHWEITZER, op. cit., p. 94.

(29)

1.4. Production de l'apparence et gestes d’esthétisation

Creusant toujours plus mon sujet de recherche, il prend forme en contestant les fondements d’une conception individualiste de l’existence. Celle où l’individu est continuellement aux prises avec son image et selon laquelle il est amené à la consommer davantage pour satisfaire des standards idéalistes. Je fais notamment référence à l’énergie dépensée dans la production de l’apparence. Se rapprochant de ce que Guy Debord intitule le « monopole de l’apparence71 », je caractérise la production de l’apparence par

la volonté de contrôler autant notre forme physique que l’univers matériel qui nous entoure, ou encore, je le rapporte à la maxime dénoncée dans les écrits d’Hannah Arendt stipulant que « l’homme ne puisse rien accomplir de plus grand que sa propre apparence72 ».

J’intitule « gestes d’esthétisation » ce qui implique en règle générale des traitements esthétiques appliqués au corps ou consacrés à la sphère domestique. Ceux-ci sont variables, mais souvent l’emploi de gestes d’esthétisation chez un individu est influencé par la façon dont il a été soumis à certains « déterminismes biologiques » (le corps qu’il a reçu à la naissance) et « déterminismes sociaux » (la culture dans laquelle il vit et les normes esthétiques qu’elle sécrète). Dans une société comme la nôtre — avec ses déterminismes sociaux et la pression médiatique actuelle — se pratique une panoplie de gestes d’esthétisation. Voyant que les canons et les modes varient à travers le temps, on peut constater que le progrès scientifique va de pair avec la prolifération de nouveaux produits ou de nouvelles techniques d’intervention esthétique. Du harnais antiride au moule à nez, toutes sortes de machines ont été inventées avec l’espoir de pouvoir atteindre l’idéal de la beauté propre à son époque.

71 Guy DEBORD. La société du spectacle, Paris, Gallimard, 1992.

72 Hannah ARENDT, La condition de l’homme moderne, Paris, Calmann-Lévy, 1994[1959],

(30)

Figure 2 : Dr Andre A. Cueto, Use vacuum to aid hair growth, article de magazine publié dans le Popular Science, nov. 1938

L’artiste Annette Messager en fait justement l’énumération dans son œuvre

Les Tortures volontaires. Précisément, par son installation photographique

elle fait l’inventaire des « tortures volontaires » (interventions esthétiques) que la femme s’est infligées au fil du temps « pour être plus belle, plus jeune, suivant les critères sociaux du moment73 » qui étaient avant tout déterminés

par le goût des hommes de l'époque et qui ont sans doute déterminé les standards de beauté des femmes (heureusement, aujourd’hui les stéréotypes des femmes ont changé de sorte à valoriser de plus en plus

73 Heinz-Peter SCHWERFEL, Plaisirs, déplaisirs, le bestiaire amoureux d’Annette Messager,

(31)

l’acceptation de son corps tel qu’il est). Ces images, puisées dans les annonces de produits de beauté et de soins féminins, dévoilent un autre aspect du corps. Celui d’un corps possédé par la culture de la consommation et le besoin de séduire : décoré, embelli, soigné et fétichisé74.

Figure 3 : Annette Messager, L'album collection №18 – Les tortures volontaires, 2011[1972]

74 Annette MESSAGER, Annette HURTIG, et Johanne LAMOUREUX, Annette Messager : faire

(32)

Ainsi, ce que je qualifie de geste d’esthétisation concerne aussi bien le recours à l’ajout au corps d’objets ou matériaux décoratifs (vêtements griffés, bijoux, etc.) que le recours aux artifices appliqués directement au corps (maquillage, coiffure, bronzage, tatouage, etc.). Dans les deux cas, les gestes d’esthétisation sont voués à améliorer l’image du corps, de soi, et de sa façade sociale. Pour d’autres, les gestes d’esthétisation apportés au corps sont surtout des gestes de domestication :

Notre société n’a pas rompu avec les tentatives de domestication du corps qui caractérisent notre histoire. Tout en gardant un caractère cérémoniel, les soins du corps ont envahi l’espace privé et intime de la salle de bains. Ils nous aident tout à la fois à nous conformer aux prescriptions sociales et à occulter des réalités déplaisantes. Nos divers masques nous permettent de faire illusion et d’émettre des informations flatteuses sur nous-mêmes. En ce sens, plus qu’une grâce de la nature, une apparence attrayante est aussi une véritable construction sociale, un

art de la représentation. Chacun peut ainsi, dans une certaine mesure,

contrôler les impressions qu’il induit, par une véritable ‘’mise en scène’’ [...]75.

C’est de cette même construction sociale à laquelle on soumet le corps qui me semble altérer notre relation à l’image du corps.

(33)

1.5. Bref compte rendu d’une prise de conscience

À la lumière de ces éléments propres à la problématique que constitue notre production d’images, c’est en faisant déborder ma recherche du cadre artistique vers celui de la sociologie et de la psychologie qu’il m’est possible de prendre mieux conscience du rôle de l’image médiatique dans les processus d’acceptation de soi.

Aussi, me pencher sur l’avalanche d’images qui nous entoure m’a fait prendre conscience que parfois, en nous prêtant « au déluge de clichés consuméristes76 », nous devenons ce que Warhol dénonçait à travers son art,

soit « le médium de cette gigantesque publicité que se fait le monde à travers la technique, à travers les images77 ». C’est-à-dire que parfois nous ne savons

même pas pourquoi nous produisons des images. Nous le faisons simplement, parce que c’est amusant, parce que c’est ce que tout le monde fait : prendre de « belles » images. J’apprécie particulièrement ce passage du texte de Baudrillard qui l’explique comme suit :

Vous croyez photographier telle chose par plaisir, en fait c’est elle qui veut être photographiée, vous n’êtes que la figure de sa mise en scène, secrètement mû par la perversion autopublicitaire de tout ce monde environnant. Là est l’ironie pataphysique de la situation. Toute métaphysique est en effet balayée par ce renversement de situation où le sujet n’est plus à l’origine du processus, où il n’est plus que l’agent, ou l’opérateur, de l’ironie objective de ce monde. Ce n’est plus le sujet qui se représente le monde (I will be your mirror!), c’est l’objet qui réfracte le sujet et qui subtilement, à travers toutes nos technologies, lui impose sa présence et sa forme aléatoire78.

Alors, peut-être qu’avant de publier des images sur les réseaux sociaux, avant d’ajouter encore des images dans le monde, nous devrions nous interroger sur nos motifs et sur ce que cette action peut réellement nous apporter.

76 J. BERGER, loc. cit.

77 J. BAUDRILLARD, Illusion, désillusion esthétiques, op. cit., p. 36-37. 78 Ibid., p.31.

(34)

1.6. Conclusion de la 1

re

partie

J’ai commencé cette première partie en expliquant mon besoin de m’inscrire dans le contexte social actuel. Cette contextualisation m’a permis de spécifier comment je pense notre monde et pourquoi je trouve important de m’y inscrire par la création artistique. Puis, en scrutant la culture visuelle qui nous entoure, j’ai expliqué mon intérêt pour les stratégies esthétiques de marketing employées par les médias de masse qu’entretient l’économie et son culte de la consommation. En m’intéressant au langage visuel dont témoigne l’environnement médiatique actuel, j’essaie d’en démêler son influence par rapport au cheminement de l’image de soi de l’individu, son équilibre intime et relationnel. La question du corps et de ses représentations y fait surface en m’amenant à observer le corps dans sa dimension sociale de sorte à l’envisager en tant qu’image. Une image parfois conditionnée par les normes d’esthétisation sociétales régies par le culte de la consommation et de laquelle ressort une présentation du corps hypermassifier. Évoquant un besoin récurrent de produire une image de nous-mêmes valorisante, j’y aborde le contrôle des apparences, du corps et de l’image qu’ils renvoient. J’aborde par ces grandes lignes ma volonté de déployer mon travail de recherche-création dans une étude de l’image occidentale du corps en vue d’en démystifier les mécanismes qui sous-tendent la mise en scène du soi. Il est question d’interroger l’influence qu’a l’image médiatique et l’abondance d’images sur notre relation au corps et à sa représentation. Cette ultime dimension est l’élément déclencheur de ma conscientisation du culte des images auquel nous nous prêtons continuellement sans toujours nous en rendre compte.

(35)

Partie 2. Processus de sélection et de créations d’images

2.1. Images d’intérêt

Infiltrant autant la sphère publique que privé, l’univers physique et virtuel, l’image médiatique est partout. Je parle de celle qui, télévisuelle ou non, s’expose ici et là, tantôt comme publicité, tantôt comme surexposition du soi dans les médias sociaux. Devenue un phénomène social, définir précisément la place qu’elle occupe dans la société occidentale reviendrait, aujourd’hui, à définir toutes les formes qu’elle peut prendre ; tout ce qui lui sert de support, de plateforme de partage ; tout ce qu’elle représente. L’on peut toutefois tenter de démystifier comment l’abondance d’images peut parvenir à nous influencer, voire à nous définir en tant qu’individus sociaux. C’est dans cette perspective que j’ai démontré dans la première partie comment notre culture visuelle devient un espace de réflexions, d’observation, d’interprétation autour duquel j’interroge les répercussions que peuvent avoir une ou des images médiatisées.

Dans cette deuxième partie, il sera question de l’usage que je fais à des fins artistiques de la « superfluité d’images79 » qui m’environne. Cela dit, la

culture visuelle sur laquelle je me base est vaste et ce n’est pas n’importe quel type d’images qui m’intéresse. C’est pourquoi, avant d’entrer dans la pratique, il faut spécifier quelles sont les images qui attirent suffisamment mon attention pour donner matière à mes créations.

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2.1.1. L’instrumentalisation du corps et sa mise en scène

À plusieurs reprises au fil de mes recherches-créations, lorsque je devais résumer verbalement à mes pairs mon sujet de recherche, je faisais mention de l’instrumentalisation du corps dont font foi principalement les images publicitaires afin d’expliquer le type d’images qui captaient mon attention dans la culture visuelle à laquelle je fais référence. En décortiquant ma définition personnelle de l’instrumentalisation du corps, j’ai pris conscience qu’elle pouvait prendre deux sens. Le premier sens renvoie à l’apparition du corps tel quel. Cernant principalement les images à travers le langage visuel marketing (dont la fonction est de rendre attrayante la consommation marchande par le biais de la forme, la couleur, la ligne, les accessoires, etc.), cette forme d’instrumentalisation du corps apparaît en particulier dans l’image propagandiste d’un mode de vie idéal où le corps est la matrice : « Mode et publicité nous disent : vous devez mettre votre corps en valeur, l’investir non selon l’ordre de la jouissance, mais en fonction de signes réfléchis et médiatisés par des rites de prestige ou des modèles de masse80. »

Pensons notamment au message encourageant la femme à faire de son corps un objet de désir en faisant tourner les têtes sur son passage, et être adulée par son charme. À cet égard, comme l’a dit Anna Arendt, « admiration publique et rémunération en espèces sont de même nature et peuvent se substituer l’une à l’autre. L’admiration publique est, elle aussi, une chose à utiliser, à consommer81 ». Donc, ici, l’instrumentalisation du corps s’exécute

par la mise en scène du corps à des fins publicitaires ou, du moins, à des fins de séduction.

Le deuxième sens renvoie à ce que Baudrillard nomme « notre vision instrumentale82 » par laquelle le corps est réduit à son utilité de

80 Jean MAISONNEUVE, « Le corps et le corporéisme aujourd’hui », Revue Française de

Sociologie, vol. 17, no 4 (1976), p. 566.

81H. ARENDT, op. cit., p.97. 82J. BAUDRILLARD, op. cit., p. 61.

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consommateur. Mis dans d’autres termes, certains parlent de domestication

du corps propre « au corps de consommation et d’exploitation sans cesse

étalé par une publicité lénifiante83 » qui devient une forme de propagande.

Donc, dans ce cas-ci, l’instrumentalisation du corps fait référence non pas seulement à la mise en scène du corps à travers l’image, mais aussi au corps qui se montre en acte de consommation.

C’est donc l’apparition du corps dans l’image qui attire d’abord mon attention. En effet, qu’il s’agisse d’une image publicitaire, de marque (branding), commerciale, télévisuelle, cinématographique, etc., la mise en scène du corps est un incontournable.

Figure 4 : Joan Berthiaume, Notre production d’images, image fixe tirée de l’Examen de projet [Présentation publique], communication personnelle [Présentation Prezi], 1er mai 2018

C’est une constante à laquelle j’ai toujours été sensible, explicable de par mes racines familiales qui, fortement marquées par une culture « américanisé[e]84 », m’ont introduit dans un mode vie consumériste où la

83J. MAISONNEUVE et M. BRUCHON-SCHWEITZER, op. cit., p. 74, 117. 84 E. GOFFMAN,... I : La présentation de soi, op. cit., p. 64.

Figure

Figure 1 : Joan Berthiaume, Schéma sur l’image du corps et sa médiatisation, 2017
Figure 2 : Dr Andre A. Cueto, Use vacuum to aid hair growth, article de magazine publié dans le  Popular Science, nov
Figure 3 : Annette Messager, L'album collection №18 – Les tortures volontaires, 2011[1972]
Figure 4 : Joan Berthiaume, Notre production d’images, image fixe tirée de l’Examen de projet  [Présentation publique], communication personnelle [Présentation Prezi], 1er mai 2018
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