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Assemblage, compositions visuelles et mosaïque

Partie 3. La réalisation

3.1. Le montage

3.1.3. Assemblage, compositions visuelles et mosaïque

La pratique de l’assemblage peut être abordée de bien des manières. Elle peut s’appliquer à un mode de pensée, à n’importe quelle habitude de l’être à raccorder les choses entre elles ou tout bonnement surgir du passage des hommes à travers le temps. Nous n’avons qu’à nous référer aux rues de centres-villes recouvertes d’affiches publicitaires anciennes et actuelles pour constater qu’à elles seules elles évoquent un « art de l’assemblage144 » :

Figure 13 : Mikatapani, s. d., 4961 x 3721 px, s. d., unsplash.com 145

144 Stéphanie JAMET-CHAVIGNY, « Les enjeux sémantiques de l’exposition “The art of

Assemblage” », dans Stéphanie JAMET-CHAVIGNY et Françoise LEVAILLANT, dir., L’art

de l’assemblage : relectures, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2011, p. 46.

Dans l’ensemble, l’approche de l’assemblage est une méthode de mise en relation d’éléments et peut être considérée comme un mode de pensée universelle146. Ici, le terme « assemblage » désigne une configuration

artistique précise147. Il se rapporte à ce que je nomme « composition visuelle »

et qui résulte en des rassemblements de mes images (d’archives, documentaires, autodocumentaires, etc.) à l’intérieur d’un même espace (cadre). Par conséquent, l’assemblage est le premier stade de réalisation de mes compositions visuelles.

Figure 14 : Joan Berthiaume, Exemple de composition visuelle, 2019 148

146 Miguel EGAÑA, « Assemblagisme, structuralisme, modernisme, post-modernisme », dans

Stéphanie JAMET-CHAVIGNY et Françoise LEVAILLANT, dir., L’art de l’assemblage :

relectures, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2011, p.70.

147 Ileana PARVU, « Derrière l’assemblage : William C Seitz, Allan Kaprow et l’art de la

construction », dans Stéphanie JAMET-CHAVIGNY et Françoise LEVAILLANT, dir., L’art

de l’assemblage : relectures, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2011, p. 54.

Je pense mes œuvres en termes d’assemblages. En me réappropriant des images d’archives tirées de banques de données publiques; en les considérant indépendamment de leur contexte d’origine; en les décomposant de sorte à n’en conserver que des bribes; en les mettant en relation les unes aux autres, puis avec mes propres captures. Les compositions qui en découlent renvoient forcément à la question d’agencement et d’expérimentations, notamment en usant de l’assemblage en tant que procédé artistique qui consiste à créer des œuvres à partir de réagencement perpétuel de fragments d’images.

Dans cette procédure, j’accorde un point d’honneur à aborder l’image d’un point de vue pluriel — social — en sélectionnant des images aux sources variées. L’assemblage y devient synonyme de « l’hétéroclite, du fragmentaire, de l’aléatoire, du polysémique, de pluraliste, de l’hétérodoxe149 ». De là

ressort mon besoin d’introduire l’hétérogénéité de mon époque à même mes œuvres en engageant le médium vidéographique et infographique (montage vidéo) dans l’assemblage d’éléments provenant de l’univers quotidien et de ma culture visuelle150. D’ailleurs, ces fragments pris de la culture visuelle,

du « réel151 », puis disséminés dans l’œuvre sont une forme de réification. Le

recours aux techniques de l’assemblage en utilisant comme matière première des images vidéo trouvées est une manière d’aborder la culture visuelle et virtuelle sous l’angle de la récupération ; de faire de mes compositions des bricolages d’images vidéographiques. Considérant que le bricolage, dans le langage familier, évoque la réutilisation d’éléments récupérés ailleurs, il en découle une créativité éparpillée entre l’utilisation du recyclage comme méthode et son assemblage comme esthétique.

149 Gillian WHITELEY, « La récupération comme pratique consacrée, ou l’artiste bricoleur »,

dans Stéphanie JAMET-CHAVIGNY et Françoise LEVAILLANT, dir., L’art de

l’assemblage : relectures, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2011, p.82.

150 Ibid., p. 69, 70.

151 Françoise LEVAILLANT, « Introduction : Retour sur l’art de l’assemblage », dans Stéphanie

JAMET-CHAVIGNY et Françoise LEVAILLANT, dir., L’art de l’assemblage : relectures, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2011, p. 21.

Avec la médiathèque que je me suis montée au fil de mon travail de cueillette et de captations vidéographiques, j’en viens à m’inventer des stratégies d’assemblage et de réassemblage. Comme avec le mashup et mes transitions vidéo, les règles esthétiques qui en découlent sont les miennes. Attirée par cette latitude qu’offre la création artistique, c’est en partie cette liberté recensée dans l’histoire de l’art qui m’a amenée à m’intéresser aux mouvements artistiques des années 1960. Sur ce point, la pratique de l’assemblage en art fait référence à un mode d’expression issu de la culture vernaculaire urbaine des années 1950 et 1960 et de l’époque de l’après- guerre. Elle y constituait un langage d’opposition qui réfutait les hiérarchies esthétiques et systèmes de valorisation traditionnels152.

Figure 15 : Lee Friedlander, Washington D.C, Photographie gélatino-argentique, 20,6 x 13,8 cm, 1962, Manhattan, MoMA

À l’instar d’artistes comme Lee Friedlander ou le duo Edward Keinhols et Nancy Reddin Kienholz dont les assemblages réalisés dans ces années stigmatisaient ouvertement le discours télévisuel américain et désacralisaient la télévision en tant qu’objet ostentatoire153, mes compositions visuelles sont le fruit d’une réflexion qui aborde de façon frontale la question du pouvoir de l’image télévisuelle par le biais d’ observations et d’ analyses critiques qui montrent l’exploitation du corps comme bien consommable. Il suffit de porter attention à mes choix d’images et à la manière dont je les agence pour que le regardeur y décèle une prise de position critique quant au rôle qu’a l’image médiatique dans la société — ambassadrice de « la prégnance dans la vie quotidienne du consumérisme de masse154 ». Dans cet ordre d’idée, l’assemblage en tant que construction peut notamment faire référence au mouvement artistique du dadaïsme par sa « capacité à produire un choc entre des éléments juxtaposés et leur effet disruptif […]155 ».

153 C. TRON-CARROZ, « Les assemblages télévisuels... », op. cit., p.183.

154 Pierre DARDOT et Christian LAVAL, COMMUN : essai sur la révolution du XXIe siècle,

Paris, La Découverte, 2014, p. 15.

155 I. PARVU, op. cit., p. 55.

Figure 16 : Hannah Höch, Der Vater, Collage, 34 x 27 cm, 1920, Berlin, Galerie Berinson

La manipulation de la matière télévisuelle peut aussi entrer dans la « lignée entérinée par dada : celle d’une lutte contre l’institution et le pouvoir des médias par le détournement du médium même156 ». Considérant que le

mouvement dada avait une visée sociale des arts quelque peu utopique, cela nous rappelle que l’art de l’assemblage — ses méthodes autant que ses procédures — propose une vision de l’hétérogénéité qui relève parfois d’une pensée utopiste, mais pas vaine.

Utilisant une culture numérique qui remixe des médias d’hier et d’aujourd’hui, mon rapport à celle-ci se construit d’éléments du réel partagés dans les médias qui, eux, changent continuellement. D’où le fait que mes compositions sont perpétuellement en work in progress : « […] le principe de l’assemblage — contrairement à celui du collage toujours fixe — peut-il sous-tendre l’idée de mobilité, l’assemblage pouvant être monté, puis démonté, mais il possède surtout une qualité instable […] 157». Ce qui revient

à dire que mes compositions comportent un aspect d’inachèvement de par leur processus combinatoire. Seule leur mise en espace lors d’exposition artistique offre un résultat fini. C’est dans cette perspective que l’assemblage suppose aussi l’intention de créer un tout cohérent et fonctionnel. Pour ce faire, je procède à des agencements sous la forme de mosaïques d’images. Présenter conjointement des compositions faites de l’addition et la juxtaposition de différentes vidéos en mosaïque permet aux images de se transformer au contact d’autres images, comme une couleur au contact d’autres couleurs.

Aussi, en plus de faire de mes compositions des mosaïques, leur mise en espace sur écran et leur installation se présentent en agglomération de mosaïques. Celles-ci, dont les séquences vidéo jouent simultanément dans un même espace d’exposition et de façon aléatoire, font en sorte que chaque

156 C. TRON-CARROZ, op. cit., p.186. 157 S. JAMET-CHAVIGNY, op. cit., p. 46.

variation dans leur déroulement modifie la perception de mêmes éléments. Ainsi, l’agencement des mosaïques et, de surcroît, des images, offre une plus grande possibilité d’interprétation en laissant au spectateur la liberté de faire ses propres associations. Voilà l’intérêt d’utiliser cette méthode.

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