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Partie 2. Processus de sélection et de créations d’images

2.1. Images d’intérêt

2.1.3. Images d’archives

À force de nourrir mon intérêt pour l’image médiatique, j’ai pu identifier le type d’images qui m’accrochait. À partir de là, je suis devenue en quelque sorte une chasseuse d’images mettant en scène le corps et son « credo de l’apparence92 ». Avec le temps, chasser dans mon environnement immédiat

ne m’a plus suffi. Je savais pertinemment que dans le contexte éthologique actuel, le web — devenu support d’une mémoire planétaire — est peuplé d’images prises par des « kodakomaniaques93 » qui, munis de leur appareil,

parcourent fébrilement le monde afin d’accroître leur production d’images. Afin de ne pas m’encombrer avec les droits d’auteur, je me suis rapidement concentrée sur la recherche de vidéos appartenant au domaine public. En naviguant sur diverses bases de données, l’image d’archive m’est apparue comme un incontournable. Même qu’elle est devenue un point central de ma recherche-création. Je me suis mise à m’identifier de plus en plus à la phrase de Marie Fraser : « l’archive est souvent la source première à partir de laquelle l’artiste travaille 94».

Au travers de mes recherches, j’y ai sélectionné principalement des vidéos datant de l’après-guerre rappelant l’avènement de la télévision. Ce sont particulièrement les vidéos publicitaires réalisées entre les années 1950 et 1980 qui ont attiré mon attention. En les regardant, tous les échantillons publicitaires me semblaient plus pertinents les uns que les autres du fait qu’ils portaient tous la trace des habitudes de consommation de la société et de son imaginaire. Les publicités de ces années étaient bien plus qu’un bref interlude, elles étaient littéralement des films! Des publicités d’une durée de quinze minutes ne peuvent que souligner le poids qu’a eu la publicité sur l’objet originel de la télévision qui, relayant sans cesse un

92 Annette MESSAGER, Annette HURTIG, et Johanne LAMOUREUX, op. cit., p. 39. 93 J.-J. WUNENBURGER, op. cit., p. 78.

discours marketing, s’en est retrouvée pervertie. L’idéalisme américain véhiculé de manière si flagrante répondait en tout point à mes fondements de recherche. Bourriaud nous fait remarquer que « notre expérience visuelle s’est complexifiée, enrichie d’un siècle d’images photographiques, puis cinématographiques95 ». De ce fait, les vidéos d’archives ont été une source

inouïe à la compréhension de notre rapport à l’image et à l’évolution du langage télévisuel (en termes de transformation graduelle dans le temps). Dans cet ordre d’idée, je m’attarde à déchiffrer les différentes manières de mettre en scène le corps, l’individu et son univers matériel (principalement domestique). Elles nous permettent de jeter un regard sur le passé de sorte à mieux appréhender les crises du temps présent, tant sur le plan individuel que collectif.

Figure 5 : Joan Berthiaume, Compilation de vidéos d’archives des années 1950 à 1980, 2018 96

Ces images d’archives évoquant l’avènement de la télévision nous rappellent que les images télévisuelles sont à l’origine même des stéréotypes les plus répandus et que « la télévision reste bien l’expression et l’émanation d’un

95 N. BOURRIAUD, Esthétique relationnelle, op. cit., p. 20. 96 Vidéo disponible en ligne : https://youtu.be/InK9JNSb3Jw

ensemble typique de mœurs de traditions, de sensibilités, d’habillements, de goûts97» qui servent souvent de modèle pour une grande partie de la

population.

Aussi, comme Internet le fait aujourd’hui, la sphère télévisuelle d’autrefois fait apparaître une mémoire collective inédite. Et si je dis « d’autrefois », c’est bien parce que la télévision d’aujourd’hui n’est plus ce qu’elle était avant les années 2000. Contrairement à aujourd’hui où nous décidons quelle émission nous écoutons et l’heure à laquelle nous le faisons, le poste de télévision faisait réellement partie des objets temporels98 des industries

culturelles contemporaines. C’est-à-dire qu’elle mobilisait tous les spectateurs devant leur téléviseur à la même heure. Bernard Stiegler explique ce phénomène en détail :

Les industries de programmes, et plus particulièrement l’industrie

médiatique de l’information radiotélévisée, produisent en masse des

objets temporels qui ont pour caractéristique d’être écoutés ou regardés

simultanément par des millions, et parfois des dizaines, des centaines, voire des milliers de millions de « consciences » : cette coïncidence temporelle massive commande la nouvelle structure de l’évènement, à

laquelle correspondent de nouvelles formes de conscience et d’inconscience collectives99.

Par l’image d’archive, je m’intéresse donc à l’objet temporel que fut la télévision comme à l’objet temporel qu’est la publicité100.

Enfin, même si je considère que tout processus de production audiovisuelle participe à la construction d’une identité collective, le genre de la vidéo d’archive me semble particulièrement intéressant du fait qu’il constitue en lui-même une médiation entre le regard et l’image101, qu’il véhicule un

97 J.-J. WUNENBURGER, op. cit., p. 114-115, 167.

98 Désignant le film, la mélodie ou l’émission de radio (Stiegler, 2007, p.13).

99 Bernard STIEGLER, La technique et le temps, vol. 2, Paris : Galilée, 1994, p. 276. 100 La publicité est un objet culturel dès lors où « c’est elle qui nous dira le mieux ce que

nous consommons à travers les objets » (Baudrillard, 2013[1985], p.230).

discours médiatique qui lui est propre. Et de surcroit, l’utilisation de vidéos et de films d’archives spécialement publicitaires rappelle à quel point elles ont déjà été un instrument de propagande efficace102! Dans ma frénésie de

recherche de vidéos d’archives, j’ai cumulé des trouvailles jusqu’à pouvoir en faire une banque de données vidéographique avec laquelle j’ai pu effectuer des classements, resélections, puis des corpus associant les vidéos entres-elles. J’approfondirai ce processus dans la troisième partie de ce mémoire.

102 Caroline TRON-CARROZ, « Les assemblages télévisuels d’Edward Kienholz comme

réemplois critique d’un objet emblématique », dans Stéphanie JAMET-CHAVIGNY et Françoise LEVAILLANT, dir., L’art de l’assemblage : relectures, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2011, p.188.

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