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Côtoyer l’espace public

Partie 3. La réalisation

3.3. Mes dispositifs de présentation

3.3.4. Côtoyer l’espace public

L’espace public est de plus en plus utilisé comme « l’ultime extension du musée183 ». L’intégration à même les rues et les vitrines d’œuvres d’art ou de

dispositifs-écrans voués à la diffusion artistique confirment la perméabilité entre l’espace d’exposition et l’espace urbain. Cette imbrication entre l’œuvre (privée) et l’espace public est le seuil permettant à l’œuvre d’entrer en relation avec son contexte social.

Examinant cette notion d’intégration de l’art dans l’espace public, chacun de mes dispositifs est pensé pour être le point de rencontre entre un public et mes compositions visuelles. Celles-ci doivent être exposées pour exister. Leurs inscriptions dans le monde dépendent de leur espace d’exposition. Et dans mon cas, visant un public non-exclusif à l’art, il m’importe que le lieu de diffusion communique avec l’espace public. Autrement dit, je souhaite que mes œuvres, disposées ou non dans l’enceinte d’un espace d’exposition de type muséale, soient accessible aux regards depuis la rue. Dans l’idéal, j’aimerais même qu’elles se fondent dans l’environnement urbain. Car si mes œuvres évoquent la société du spectacle et son monopole de l’apparence184,

la ville, elle, la produit. N’oublions pas que l’espace public d’aujourd’hui offre un « vivre ensemble » qui s’apparente de plus en plus à un « consommer ensemble185 », voire à un consommer des images ensemble. De ce point de

vue, il me semble logique que mes œuvres communiquent avec l’espace public ; de remettre dans la ville ce qu’elle a en quelque sorte généré, mais cette fois en contradiction avec l’idéologie dominante, soit selon « une pensée de l’espace avec lequel l’individu n’entretient plus un rapport instrumental ou consumériste186 ».

183 J.-P. UZEL. « Michel de Broin : l’espace public mis à nu par l’artiste même », Spirale,

no191 (2003), p. 47.

184 Guy DEBORD. La société du spectacle, Paris, Gallimard, 1992.

185 J.-P. UZEL, « Qu’est-ce qui est « public » dans l’« art public »? », ETC, no42 (1998), p. 42. 186 P. SIMAY, « Une autre ville pour une autre vie… », loc. cit., p. 11.

Cela dit, produire des œuvres dédiées à l’espace public comporte son lot de contraintes et d’interdits. Plusieurs normes morales doivent être respectées comme la proscription de la violence, de la nudité trop exhibée, de signes religieux ou de sexualité trop explicites, etc. Malgré cela, il n’en reste pas moins qu’exposer dans un espace accessible à tous implique que « tout ce qui paraît en public peut être vu et entendu de tous187 ». En somme, si la

maniabilité de la technique vidéographique autorise l’artiste à une souplesse dans sa création, l’espace public, lui, exige de l’artiste qu’il produise une création éthique devant s’adresser à un large public.

3.3.4.1. La vitrine

Mes œuvres, n’étant pas conçues à l’épreuve des intempéries climatiques, elles ne peuvent être exposées dans un espace public extérieur. C’est pourquoi la vitrine en tant que lieu d’exposition s’est imposée à moi comme solution à la monstration des œuvres. Après tout, la définition étymologique du mot expositio, qui se traduit par « mettre en vue188 », reflète sans

équivoque la fonction principale de la vitrine. Elle est certes un espace privé, mais qui appartient tout de même à l’environnement urbain du fait qu’elle s’expose aux passants et permet à tout le monde d’en faire l’expérience furtive par un simple regard au passage.

Revenant à mon Point de départ de la première partie et à ma volonté de relier mon art à son contexte social, la vitrine est en soi un espace « méso- social189 ». C’est-à-dire qu’elle est l’intermédiaire entre l’espace d’exposition

et l’espace public. De plus, la vitrine dans laquelle s’immisce l’installation

187 H. ARENDT, La condition de l’homme moderne, op. cit., p. 89.

188 « Exposition », dans Alain REY, dir., Le Petit Robert de la langue française, Paris, Les

Éditions Le Robert (version numérique 5.3), 2019, https://petitrobert-lerobert- com.acces.bibl.ulaval.ca/robert.asp

artistique n’est pas obligée d’appartenir à un lieu à vocation artistique. Elle peut appartenir à un commerce, un centre culturel ou n’importe quel endroit intéressé à encourager l’art actuel. Ainsi, des liens se créent entre différents domaines et champs d’expertises, ce qui rend l’expérience artistique d’autant plus unique, voir inusitée : « Quittant le musée [...], l’œuvre d’art peut adhérer de plus près au monde, en épouser les sursauts, en visiter les lieux les plus divers tout en offrant au spectateur une expérience sensible renouvelée190 ». La vitrine m’apparaît alors comme la meilleure manière

d’accoster un public non-exclusif à l’art tout en gardant une certaine appartenance à l’évènement artistique de l’exposition. Comme l’a dit Nathalie Heinich, « l’expérience perceptive visée par l’art peut très bien supporter la pluralité, à condition de s’inscrire dans des cadres sociaux eux- mêmes pluriels191 ».

Finalement, en faisant en sorte d’exposer pignon sur rue, je me concentre sur l’effet que suscite l’œuvre. Quels impacts ont mes dispositifs de présentation sur l’espace public environnant? Agrémentent-ils leur environnement? Est-ce que la disposition des écrans entraîne une convergence de regards de sorte que les passants, même occupés par une tâche quelconque, ont la curiosité de jeter un coup d’œil vers l’installation ? Voilà à quoi je m’attarde lorsque vient le temps d’exposer mon travail de création, car rappelons-le, « réaliser une exposition ce n’est pas seulement l’acte de mettre en relation des objets et un public, c’est aussi l’acte d’investir un lieu192 ».

190 P. ARDENNE, « Art et politique ... », loc. cit., paragr. « Contre la politique de la vision ». 191 N. HEINICH, op. cit., p. 51.

Figure 27 : Joan Berthiaume, Exposition « Décor ta face, maquille ta maison », Galerie Criterium, 2019

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