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Transcénique stéréo : paysages mobiles

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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CHRISTIAN BARON

TRANSCÉNIQUE STÉRÉO:

Paysages mobiles

Mémoire présenté

à la Faculté des études supérieures et postdoctorales de l’Université Laval dans le cadre du programme de maîtrise en arts visuels

pour l'obtention du grade de maître ès arts (M.A.)

ÉCOLE DES ARTS VISUELS

FACULTÉ D'AMÉNAGEMENT, D'ARCHITECTURE ET DES ARTS VISUELS

UNIVERSITÉ LAVAL QUÉBEC

2013

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RÉSUMÉ

En soulignant les similitudes entre la révolution virtuelle à celle qui eue lieu au dix-neuvième siècle, avec la mécanisation des transports et de l'image, l'installation vidéo intitulée Transcénique stéréo questionne les impacts des technologies numériques sur notre façon d'être et de se déplacer dans le monde. Le pouvoir libérateur du récit, qui émerge de l'acte de se déplacer et de se représenter ces déplacements, est opposé à la cartographie comme outil de possession et de contrôle. Différentes technologies de l'image analogique sont étudiées afin de comprendre leur mode opératoire et d'en retracer les applications à l'ère du numérique. Finalement, les notions de prise de vue et de montage cinématographique sont analysées afin de comprendre comment ces techniques peuvent être applicable à l'image numérique, et ce, dans l'espoir d'en saisir son « essence ».

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REMERCIEMENTS

Je tiens tout d'abord à remercier mon directeur de maitrise David Naylor.

J'ai une pensée spéciale pour Randy Lee Cutler et Patrik Andersson qui m'ont encouragé dans la poursuite de mes études universitaires et pour ma copine, Fanny Tsang, qui m'a soutenu tout au long de la rédaction de ce mémoire.

J'aimerais tout naturellement remercier ma famille; ma mère, mon père et

mon frère Martin ainsi que mes ami(e)s; Marie-Isabelle Dubord, Alvaros Reyes, Véronique Rainville, Frédéric Pitre-Joyal, Nataliya Petkova, Maxime Lajeunesse et tous les autres que j'oublie de mentionner, mais qui jouent un rôle important dans ma vie.

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Ce mémoire, intitulé Transcénique stéréo: paysages mobiles, est présenté en accompagnement de l'exposition intitulée

Transcénique stéréo qui fût présentée à la Galerie des Arts visuels

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TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ ii

REMERCIEMENTS iii

INTRODUCTION 8

CHAPITRE 1: L'exposition 11

1.1 L'exposition : Transcénique stéréo 11

1.2 Le dispositif de captation et de diffusion 12

1.3 Un néologisme : Transcénique 14

CHAPITRE 2: Le récit 16

2.1 Les mouvements de caméra 16

2.2 Le déplacement 19

2.3 Le récit d’un déplacement 22

CHAPITRE 3: La mécanisation 25 3.1 La vision ferroviaire 25 3.2 La photographie 26 3.3 Le panorama 26 3.4 Le panorama photographique 28 3.5 La chronophotographie 30

CHAPITRE 4. Les modes de présentation 33

4.1 Les modes de présentation 33

4.2 Le montage versus le plan 34

4.3 Transcénique 37

CONCLUSION 41

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TABLE DES FIGURES

Fig. 1 : Christian Baron. Vue d'ensemble de l'exposition Transcénique stéréo (2011). 11

Fig. 2 : Les frère Lumière. La sortie des usines Lumière (1895). 13

Fig. 3 : Les frère Lumière. La sortie des usines Lumière (1895). 13

Fig. 4 : Eugène Promio. Panorama du Grand Canal vu d'un bateau

présente Venise (1896). 17

Fig. 5 : Félix Mesguish. Passage d'un tunnel en chemin de fer pris de l'avant

de la locomotive (1898). 19

Fig. 6 : Christian Baron. Aile d'avion (2009). 20

Fig. 7 : Christian Baron. Skytrain (2009). 21

Fig. 8 : Auteur inconnu. Illustration du Panorama Transsibérien (1900). 27

Fig. 9 : Eadweard Muybridge. Détail : San Francisco from California Street Hill, (1878). 29

Fig. 10: Eadweard Muybridge. Un homme montant les escaliers (vers 1885). 32

Fig. 11: Auteur inconnu. Le Kinétoscope de Thomas Édison. 34

Fig. 12: Christian Baron. « Le traversier », Transcénique stéréo (2011) . 37

Fig. 13: Christian Baron. « La Gondole », Transcénique stéréo (2011). 39

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Ils se croient pris entre des forces qui les dépassent : un excès de monde qui leur parviendrait par toutes sortes de réseaux, et en même temps, une absence de monde, parce que ces images qui scintillent sur des écrans ne sont pas le monde.

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INTRODUCTION

L'industrie cinématographique hollywoodienne parait encline ces dernières années à des élans nostalgiques. Plusieurs productions américaines récentes abordent des thématiques associées à l'origine du cinéma; que l'on pense au dernier film de Martin Scorcese, Hugo (2011), un film en trois dimensions inspiré de la vie de Georges Méliès, ou encore au film L'artiste (2011), un film européen qui pastiche le cinéma muet hollywoodien des années 1930 et qui a remporté un vif succès lors de l'édition 2012 de la cérémonie des Oscars. En effet, ce long métrage de Michel Hazanavicius a raflé la statuette la plus prestigieuse décernée par l'Académie soit celle du meilleur film. Jean Dujardin, l'acteur principal du film, a quant à lui remporté celle du meilleur acteur.

Cette nostalgie, qui se réfère aux tout premiers films ou encore à l'âge d'or du cinéma, n'est pas étrangère à la révolution numérique qui transforme les façons de faire dans l'industrie cinématographique et qui impacte les modes de consommations des produits audiovisuels. Au-delà de l'image qui se multiplie et qui se présente sous différentes formes, c'est tout le rapport au temps et à l'espace qui semble bouleversé par ces innovations; de la même façon que la révolution industrielle mécanisa les transports et la vision, l'ère numérique dématérialise notre expérience du monde. Plus l'information se déplace rapidement, sous forme d'image et de son, moins l'individu en ressent la nécessité; l'expérience virtuelle du lieu pouvant alors compenser une présence réelle. Comme Walter Benjamin le précise : « La manière dont opère la perception – le médium dans

lequel elle s'effectue – ne dépend pas seulement de la nature humaine, mais aussi de l'histoire 1 ».

Le rythme effréné d'adaptation sensorielle qu'impose une multitude de nouvelles plateformes numériques fractionne notre attention et impose un rapport médiatisé à l'espace et au temps. L'invention du cinéma altéra, à sa manière, la façon d'être dans le monde. Deux temporalités, l'une linéaire, d'origine cinématographique, et l'autre multiple, issue des médiums numériques, cohabitent dans mon travail. Les vidéos que je présente exposent des traversées, des montées, des passages, en somme; elles se présentent comme des allégories pour ce changement de paradigme duquel nous sommes les contemporains.

Ce mémoire accompagne une réflexion déjà entamée dans ma démarche artistique, il se veut être le

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complément écrit d'un questionnement qui se déploie de manière formelle dans ma production vidéographique qui, dans ce cas précis, se présente sous la forme d'une installation vidéo. Le premier chapitre est donc spécifiquement consacré à la description de mon exposition de fin de maitrise intitulée Transcénique stéréo (2011) afin d'ancrer, dans le réel, mon travail de réflexion. Tout d'abord, le chapitre s'ouvre sur une brève présentation des éléments formels et thématiques des projections vidéos. Ensuite, les dispositifs de captation et de diffusion sont abordés; ces derniers contiennent des éléments conceptuels qui sont traités implicitement et explicitement dans les chapitres subséquents. Une présentation claire de ces éléments facilitera autant la lecture du mémoire qu'une meilleure compréhension de ma démarche. Finalement, j'offre une définition du néologisme « transcénique » afin de préciser le sens dans lequel il est employé dans ce mémoire.

Une production cinématographique raconte toujours une histoire; que ce soit un film de fiction, un documentaire ou même, un film de nature expérimental. Afin de comprendre comment ce médium opère, deux mouvements de caméra, soit le travelling et le plan panoramique, seront analysés dans le deuxième chapitre. L'idée de récit est ensuite abordée dans le concept de mouvement, et, plus précisément, dans les modes de transport. Ceux-ci influencent nos perceptions et modifient l'expérience du déplacement et par conséquent, les récits que l'on en fait. La caméra, lorsqu'elle se meut sur des rails, ou tout autre appareillage, effectue elle aussi un déplacement. Comment ce mouvement de caméra affecte-t-il le récit à l'écran? Le théoricien A.J. Greimas, et particulièrement sa grille d'analyse actantielle sont appelés en renfort afin de comprendre la portée de ce type de mouvement.

Le troisième chapitre se penche sur la mécanisation de la vision et des transports à l'aide de différentes technologies de l'image qui ont précédé, ou ont été contemporaines à l'apparition du cinéma. En quoi les caractéristiques formelles de ces différentes technologies nous informent-elles sur la nature du cinéma? Le train, moyen de transport qui est apparu avec la révolution industrielle, est présenté ici non pas uniquement pour la locomotion, mais aussi pour son impact visuel auprès des passagers. C'est ce qu'aborde la section sur la vision ferroviaire. La naissance de la photographie est comprise comme une mécanisation de la vision et le panorama, quant à lui, est présenté comme un spectacle où les fantasmes de déplacement semblent s'incarner. Ensuite, le panorama photographique est analysé, en opposition à mes œuvres vidéo, sous l'angle de la possession du territoire et de la cartographie. La chronophotographie, considérée par certains comme le chainon manquant entre la photographie et le cinéma, soulève des questionnements quant à sa relation au

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récit ainsi qu'à ses modes opératoires.

Dans le dernier chapitre, je tente d'abord de définir ce qui constitue le « cinéma », est-ce la combinaison de la caméra et du projecteur ou n'y a-t-il pas d'autres éléments à considérer? Finalement, les notions de montages et de plans cinématographiques sont analysées dans un questionnement formel sur la « nature » du cinéma et dans le but d'inscrire mon travail vidéo dans une réflexion critique en continuité avec les sujets soulevés par le septième art.

L'apparition de nouvelles technologies secoue notre manière d'être dans le monde; peut-être qu'un regard dans le rétroviseur va nous permettre de mieux naviguer dans notre processus d'adaptation. Ainsi, au lieu de nous laisser simplement porter par celles-ci, nous serons en mesure de manœuvrer adéquatement notre intégration et serons en mesure d'éviter certains écueils.

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CHAPITRE 1 : L'EXPOSITION

1.1 L'EXPOSITION : Transcénique stéréo

L'exposition intitulée Transcénique stéréo (2011) présentée à la Galerie des arts visuels de l'Université Laval est constituée de deux projections vidéos doubles. Les vidéos diffusées en galerie sont des œuvres sans titre, mais pour faciliter la compréhension et la lecture du mémoire, je leur ai accordé des titres de travail. La vidéo projetée sur le mur sud de la galerie est titrée Le traversier : cette projection fait près de 2 mètres de haut par 7,1 mètres de large. La seconde, intitulée La

Gondole, est projetée sur le mur ouest de la salle. Ses dimensions sont plus modestes, elle fait

environ 1 mètre par 3,55 mètres.

Fig. 1 : Christian Baron. Vue d'ensemble de l'exposition Transcénique stéréo (2011) présentée à la galerie des arts visuels de l'Université Laval.

Le dispositif mis en place à la prise de vue permet de capter simultanément des images de chaque côté d'un véhicule en mouvement dans un angle de vue approximatif de 70 degrés. Les images captées sont ensuite juxtaposées et synchronisées pour la projection en galerie. Ce dispositif que j'ai imaginé permet une vision synchrone de chaque côté d'un transporteur et rend techniquement possible une vision autrement impossible. La projection Le traversier présente les images captées à bord d'un navire effectuant la navette entre Sainte-Ignace de Loyola et Sorel-Tracy à l'automne

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2010. Le son de cette vidéo est diffusé à partir de deux haut-parleurs sur trépied ainsi que d'un amplificateur de basse fréquence afin de recréer de façon la plus réaliste possible l'amplitude des fréquences captées à la prise-de-vue. Le son amplifié remplit la galerie et établit une corrélation certaine entre l'immensité du paysage, la grandeur de la projection et sa portée sonore. La seconde vidéo est la captation d'une remontée en télésiège de type gondole réalisée en janvier 2011 au centre de ski du Mont-Sainte-Anne. Le son de cette vidéo, intitulée La Gondole, est diffusé dans deux paires d'écouteurs disposées sur une petite table que le public peut utiliser afin d'entendre la piste sonore. Les écouteurs isolent le visiteur dans l'espace de la galerie et recréent cette sensation de confinement que l'on peut avoir dans une télécabine de type gondole.

1.2 LE DISPOSITIF DE CAPTATION ET DE DIFFUSION

Lors d'une captation, la scène enregistrée n'est pas l'événement en soi, c'est-à-dire que l'action présentée n'est pas créée exclusivement pour la caméra, mais qu'elle existe de façon autonome. Cependant, dans un monde dominé par les médias, où tout devient spectacle, il devient extrêmement difficile de départager entre l'événement et sa médiatisation. Le premier film tourné par les frères Lumière, soit La sortie des usines Lumière (1895), est particulièrement révélateur en ce sens. Ce court-métrage semble avoir été produit pour remplir deux fonctions, la première étant de tester l'appareillage et la seconde, comme outil de promotion afin de présenter au public la nouvelle invention. Dans la première version du film, les ouvriers paraissent réellement sortir de l'usine après avoir terminé leur quart de travail; hommes et femmes portent des vêtements qui semblent appropriés à la situation. Les frères Lumière étaient soucieux de l'image de leur entreprise et ils auraient hésité à présenter publiquement des images de leurs employés portant des vêtements salis par le travail. Les deux autres versions du film présentent un contraste remarquable avec la première et la légende veut que ces autres versions de La sortie des usines Lumière (1895) furent tournées un dimanche après la messe. Dans celles-ci, on peut y observer des ouvriers en complets et des femmes portant de longues robes d'un blanc immaculé ainsi que des chapeaux que l'on devine être portés lors de grande occasion. Ces habits sont peu propices au travail salissant de la manufacture. Conscient de la puissance de l'image cinématographique, les frères Lumière ont semblé vouloir la contrôler dès le départ, et ce, dans le tout premier film qu'ils ont réalisé. Ainsi, dès l'origine, le caractère spectaculaire du médium remet en question la possibilité de faire une distinction entre l'événement capté et sa médiatisation.

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Fig. 2 et 3 : Les frères Lumière. À gauche, image tirée de la première version de La sortie des

usines Lumière (1895) et à droite, image tirée de l’une des deux autres versions de La sortie des usines Lumière (1895).

Dans le cas de mon projet, la captation des images s'est effectuée selon une série de règles définies à l'avance. Pour la captation, les directives étaient les suivantes :

4. La scène captée doit se dérouler sur un véhicule motorisé ayant une trajectoire prédéfinie par une institution privée ou publique

5. Le voyage sera capté dans son entièreté

6. Les deux caméras doivent être placées sur ledit véhicule et pointer en des directions opposées à un angle de 180 degrés

7. La caméra doit être fixe sur le véhicule

8. Les paramètres de captations des deux caméras doivent être identiques

Les directives pour le montage et la diffusion des images répondaient aux règles suivantes : 3. Les vidéos captées en simultané doivent être synchronisées à l'écran

4. La vitesse de diffusion doit être égale à la vitesse de captation

5. Les vidéos ne doivent pas être altérées – Les séquences ne doivent pas être coupées ou modifiées

6. La position gauche-droite des images doit être respectée et celle-ci est relative à la direction du mouvement

Avec des règles aussi simples et précises, il aurait été possible de sous-traiter ce projet en engageant, par exemple, un opérateur de caméra, un monteur vidéo et un projectionniste. L'intérêt du projet ne réside donc pas dans sa réalisation technique, mais plutôt dans sa conceptualisation.

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1.3 UN NÉOLOGISME : TRANSCÉNIQUE

Dans mon travail, le néologisme « transcénique » est utilisé comme un adjectif qui est relatif au déplacement du point de vue dans un paysage, peu importe que ce dernier soit réel ou virtuel. Le préfixe « trans » veut dire traverser et l'utilisation que je fais du mot « scénique » emprunte son sens du terme anglais « scenic » qui veut dire « digne d'être contemplé ». En anglais, le terme « scenic » est souvent utilisé comme synonyme de paysage.

Le terme transcénique utilisé dans ce mémoire est à la fois un néologisme sémantique et un néologisme d'emprunt, ici, un calque issu de l'anglais. Lorsqu'un mot déjà existant est utilisé dans un autre sens que celui employé jusqu'alors, on qualifie la nouvelle utilisation du mot de néologisme sémantique.

Néologisme sémantique

La seule occurrence que j'ai répertoriée du terme transcénique dans la langue de Molière se trouve dans un ouvrage politique. Ce terme est utilisé dans l'expression « acteur transcénique », c'est-à-dire, un acteur politique qui n'est pas limité à agir politiquement sur une forme de pouvoir (exécutif, législatif, juridique, diplomatique, militaire), mais qui transcende ces divisions afin d'exercer son influence sur différents niveaux de gouvernement. Son influence peut-être nationale et transnationale. C'est ce sens que semble prendre l'expression « acteur transcénique » dans l'ouvrage

de Paul Balta et Georges Corm intitulé L'avenir du Liban dans le contexte national et

international: «passons en revue, brièvement, le rôle des acteurs régionaux transcéniques.2 » L'OLP, par exemple, est l'une des forces politiques que les auteurs classent parmi les acteurs régionaux transcéniques dans le conflit libanais; cette organisation exerce son influence sur le conflit au Liban sans être l'organe politique officiel du pays. Le terme transcénique est attribué par ces auteurs au politologue Joseph Maïla qui l'utiliserait dans Liban, Syrie, Israël : Ménage à trois3, un article

publié dans Les Cahiers de l'Orient en 1988, afin de classer les différents acteurs politiques du

2 Paul Balta et Georges Corms (1990), p.109.

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conflit. Le terme transcénique n'est pas employé dans ce sens dans ce mémoire. Néologisme d'emprunt

Il existe des exemples d'utilisations du terme anglais « transcenic » qui vont dans le sens où je l'utilise dans ce mémoire. Par exemple, aux États-Unis, une entreprise d'imagerie virtuelle qui produit des outils de cartographie et de navigation numérique en trois dimensions se nomme Transcenic. Dans une poursuite judiciaire contre Google et AOL, la mission de l'entreprise est décrite comme suit : « Transcenic has developed and continues to develop spatial referenced image

capture, organization and display technology, including the patented technology 4». Cette entreprise

emploie l'idée de déplacement du point de vue dans le paysage en développant des technologies d'imagerie numérique permettant la navigation virtuelle à partir d'images d'un espace réel.

De 1995 à 2011, une division de la compagnie de train de la New Zealand Railways Corporation

s'est appelée « Tranz Scenic5», associant ainsi, dans sa raison sociale, les notions de déplacement et

de vue panoramique. Cette division de l'entreprise a depuis changé de raison sociale, par contre, la division KiwiRail Holding Limited garde cette expression dans l'adresse électronique de son site

web, soit le www.transzenic.ca.nz. Dans son nouveau site, la publicité met l'emphase sur la beauté

des paysages que la ligne ferroviaire traverse : « Truly one of the world’s great scenic train trips through the dramatic contrast of dry beech forests and tussock land on one side of the Alps and lush

green landscapes on the other. »6 L'entreprise n'utilise pas la même orthographe que le terme anglais

transcenic duquel je me réclame, mais le sens dans lequel elle emploie l'expression « Tranz Scenic »

est très similaire à celui que je veux lui donner dans sa version française. Je soupçonne d'ailleurs que l'épellation inusitée du terme « Tranz » fait référence à la lettre « Z » de la Nouvelle-Zélande et que les communications de l'entreprise ont voulu faire un jeu lexical dans le nom de cette division d'entreprise.

4 Stephen B. Brauerman et Richard D. Kirk (2011), p.1. 5 «Tranz_Scenic» In Wikipedia (2012).

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CHAPITRE 2 : LE RÉCIT

2.1 LES MOUVEMENTS DE CAMÉRA

Ma pratique artistique se décline dans différents médiums comme la photographie, le cinéma, la vidéo et l'installation vidéo. Ma pratique vidéo s'inscrit en continuité avec ma démarche cinématographique. Je considère que ce médium a hérité plusieurs de ses composantes formelles du septième art, faisant ainsi écho à la pensée de Marshall McLuhan : « the 'content' of any medium is

always another medium7 ». McLuhan précise le sens de cet axiome dans l'introduction de la seconde édition de son livre phare intitulé Understanding Media : The Extensions of man:

The medium is the message » means, in terms of the electronique age, that a totally new environment has been created. The « content » of this new environment is the old mechanized environment of the industrial age. The new environment reprocesses the old one as radically as TV is reprocessing the fillm. For the

« content » of TV is the movie. 8

C'est comme cinéaste que j'ai abordé le médium vidéo et l'installation vidéo, comme cinéaste que je me suis questionné sur les spécificités du médium et de ses modes de présentation. Ironiquement, car j'ai très peu utilisé cette technique cinématographique dans mes productions personnelles et professionnelles, c'est dans ma production vidéo que je m'intéresse au travelling cinématographique. En fait, cela fait écho à la pensée de McLuhan, car c'est aussi comme photographe que j'abordais le cinéma. Dans les films que j'ai réalisés, la caméra était presque toujours sur trépied, immobile. Le travelling cinématographique, plus qu'une technique, caractérise pour moi « l'essence » même du cinéma; ce qui le différencie des autres arts. C'est une technique puissante dont il faut se servir avec sagesse et parcimonie. Andréï Tarkovski considère le cinéma comme un médium qui permet de capter le passage du temps; pour ce réalisateur, le travelling occupe une place particulière dans son œuvre. D’ailleurs, Sacrifice (1986), le dernier film qu’il a réalisé avant sa mort, s’ouvre et se termine par ce type de mouvement de caméra dans de très longs plans-séquences. Le travelling cinématographique est rendu possible par la capacité de la caméra film à capter le franchissement d'une distance, il peut raconter une histoire à lui seul. Parlant d'un court-métrage réalisé par Pascal Aubier et qui est constitué d'un seul plan cinématographique, en l'occurrence, un travelling, Tarkovski souligne : « that the film has no editing, no acting and no décor. But the rhythm of the

7 Marshall McLuhan (1964), p.23. 8 Ibid, p. IX.

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movement of time is there within the frame, as the sole organising force of the – quite complex –

dramatic development 9». Tarkovski affirme qu'il est possible de faire un film sans montage, sans

acteur, sans décor, mais qu'il est impensable de faire un film sans saisir le passage du temps.

Les prises de vue réalisées dans le cadre de mon projet furent effectuées dans des conditions techniques similaires à celles des premiers opérateurs de caméra il y a plus d'un siècle ; c'est-à-dire à l'aide d'une caméra positionnée sur un trépied à partir d'un véhicule en mouvement. C'est Eugène

Promio10, un opérateur des frères Lumière, qui a réalisé le premier travelling de l'histoire du cinéma

lors de son passage à Venise en 1896 : « Si la caméra immobile permet de reproduire des objets mobiles, on pourrait peut-être retourner la proposition et essayer de reproduire à l'aide du cinéma

mobile, des objets immobiles. 11» Le film de Promio, intitulé Panorama du Grand Canal vu d'un

bateau présente Venise (1896), montre Venise à partir du véhicule qui caractérise cette ville

utopique, soit la gondole. L'architecture de Venise et ses gondoles constituaient le rêve romantique de l'ancien monde, ils constituent logiquement le contenu de la nouvelle machine à rêve, soit le cinéma. Le cinématographe, comme extension de la vue, rend obsolète la nécessité de se déplacer à Venise pour visiter la ville comme aujourd'hui, les conférences vidéos ont rendu obsolète le déplacement des participants. Ce court-métrage réalisé en 1896 a agi à titre de catalyseur pour mon projet ; les deux vidéos présentées en galerie sont des déclinaisons thématiques de ce dernier. Le

traversier est donc une référence maritime au film de Promio tandis que La gondole, surnom que

l'on donne à un type spécifique de téléphérique, souligne, par la linguistique, la parenté entre les deux œuvres.

Fig. 4: Eugène Promio. Image tirée du film de Eugène Promio intitulé Panorama du Grand Canal

9 Andréï Tarkovski (1986), p.114.

10 Son prénom est source de discorde. Parfois, il est appelé Jean Alexandre Louis Promio. 11 Jacques Rittaud-Hutinet (1985), p.142.

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vu d'un bateau présente Venise (1896).

Au commencement du cinéma, les premiers « travelling » étaient appelés à tort des « panoramas ». Dans le langage cinématographique actuel, le terme panoramique (ou le diminutif « pan ») sert à décrire un mouvement latéral ou vertical de la caméra lorsque celle-ci est ancrée sur un point de pivot, comme un trépied ou encore le corps de l'opérateur. Le terme travelling s'applique lorsque la caméra est en déplacement dans l'espace. Lors des premiers déplacements de caméra, celle-ci était placée sur des rails – ou sur tout autre véhicule offrant un déplacement relativement stable - et se déplaçait sur une droite. Les développements technologiques, comme la fabrication de caméras plus légères, l'utilisation de grues et la mise au point de systèmes de contre-poids (Steadycam) permettent aujourd'hui de réaliser des mouvements de caméra ultras complexes et illimités quant à la direction de ceux-ci. Le terme travelling est utilisé aussi pour décrire l'effet de ce mouvement de caméra à l'écran.

L'utilisation du terme travelling s'est imposée dans l'industrie cinématographique car il est important de distinguer un mouvement de la caméra sur son axe, que l'on nomme simplement un « plan panoramique », d'un déplacement dans l'espace de celle-ci. La différence entre ces deux techniques est subtile pour un néophyte; même les premiers cinéastes confondaient ces dernières. Comme le souligne Rittaud-Hutinet, la programmation présentée par les frères Lumière entre le 12 juin et le 18 juin 1898 à la Salle des Dépêches du Progrès de Lyon témoigne de cette confusion alors qu'ils présentaient des films réalisés à partir de trains en mouvement comme étant des panoramas. On pouvait lire sur l'une de ces affiches, en caractère gras, le sous-titre suivant : Panorama du chemin

de fer à l'entrée du tunnel de Perrache suivi des titres des films projetés comme Passage dans le tunnel et Sortie du tunnel12, des courts-métrages constitués uniquement de travelling. Pour le film

Passage dans le tunnel (1898)13 réalisé par Mesguish, un opérateur Lumière, la caméra fut placée devant la locomotive et celle-ci filmait les rails d'un train pénétrant dans un tunnel. Jacques Rittaud-Hutinet décrit l'effet de ce mouvement de caméra à l'écran : « Cette fois, la caméra devient un peu le

train lui-même, son mouvement, sa vitesse.»14 Le travelling, comme technique, est utilisé

fréquemment pour suggérer le point de vue subjectif d'un personnage. Lorsqu'un plan de caméra suggère que le point de vue présenté à l'écran est celui d'un des protagonistes du film, on qualifie ce

12 Ibid, p.37.

13 Probablement le même film que Passage d'un tunnel en chemin de fer pris de l'avant de la

locomotive (1898). Au début du cinéma, il était fréquent qu'un film porte plusieurs titres.

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dernier de « subjectif ». À l'opposé, une prise de vue de la ville de New York à vol d'oiseau en ouverture de film sera qualifiée d'« objective » parce qu'elle s'inscrit dans les dispositifs de narration associés au concept de narrateur-dieu. En se déplaçant dans l'espace, la caméra semble prendre vie. Dotée d'un corps, la caméra se dissocie de la machine à voir que peut constituer l'appareil photographique. Dans un travelling, pour reprendre les idées de McLuhan, la caméra est l'extension du corps et non simplement une extension de la vue. Le travelling cinématographique traduit donc en image cette relation singulière de l'homme déplacé par la machine.

Fig. 5: Félix Mesguish, image tirée du film de, Passage d'un tunnel en chemin de fer pris de l'avant

de la locomotive (1898).

2.2 LE DÉPLACEMENT

Dans le pire des cas, l'homme qui marche ou qui se déplace par des moyens mécaniques change de point de vue, dans le meilleur des cas, ce dernier évolue. Ce déplacement recèle, au minimum, un potentiel de changement de perspective et au maximum, un potentiel de rencontre qui peut s'avérer heureuse ou désastreuse. L'homme pré-moderne voyage à pied, à cheval, à dos d'âne et de chameau, ou encore, à bord de navire. Ces déplacements mus par des forces animales et naturelles possèdent les caractéristiques mêmes de ces forces; c'est-à-dire qu'ils sont soumis aux aléas de la nature. La locomotion animale n'offre pas une constance du mouvement et ses origines organiques la limite à plusieurs égards comme le note déjà en 1825, James Adamson dans son livre intitulé Sketches of

our information as to Rail-Roads:

L'animal ne se déplace pas d'une manière uniforme et continue, mais au contraire d'une façon irrégulière et comme boiteuse, ou le corps se soulève et retombe à chaque mouvement réciproque des membres. Si cela est nettement sensible lorsque l'on monte à cheval, la même chose se produit lorsqu'un cheval tire une voiture. Nous-mêmes, lorsque nous marchons ou courons, nous ne nous mouvons pas d'une manière régulière. Chaque pas soulève notre corps et le laisse retomber, et c'est ce soulèvement permanent de la masse de notre corps qui limite notre mouvement et impose des frontières aussi étroites à notre vitesse. Une machine ne

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connaît pas de telles limitations ; la locomotive roule régulièrement et vite sur les

rails, elle n'est nullement limitée par la vitesse de ses mouvements.15

La bête doit se reposer, paître, etc. et la force éolienne, quoique puissante, n'est pas une source d'énergie constante. Ce type de déplacements rappellent à l'homme sa condition d'être imparfait; c'est donc conscient de ses limites, des limites de la bête et de sa dépendance aux éléments que l'homme pré-moderne voyageait. L'homme moderne, quant à lui, se déplace en train, en voiture, en avion, en sous-marin et même, en navette spatiale. La mécanisation des transports qui rend les déplacements indépendants des forces de la nature change le rapport que l'homme entretient avec le territoire et le paysage. Lorsqu'il vole au-dessus des montagnes et des océans, lorsqu'il regarde de haut le monde sous ses pieds, le monde à ses pieds, il partage le ciel avec les dieux qui l'occupent.

Fig.6: Christian Baron. « Sans titre », Image tirée du live The Vancouver Years/Les Annnées Vancouver (2009).

Ce changement de posture ne se fit pas sans heurt comme le souligne Clément Chéroux. Il note que pour les premiers voyageurs du train, spectateurs passifs, regarder le défilement latéral et rapide du paysage est une activité bouleversante qui demande acclimatation; ce n'est plus le mouvement chaotique de la diligence auquel les voyageurs étaient habitués. La vitesse du train est « quatre fois supérieure à celle des attelages les plus rapides, la vitesse des premiers trains entraîne une

15 James Adamson, Sketches of our information as to Rail-Roads, Newcastle, 1825 p.51-52 cité d'après Wolfgang Schivelbusch (1990), p.16.

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troublante surabondance des impressions visuelles16». Le mouvement mécanisé et rapide généré par le chemin de fer nécessite donc une acclimatation du regard :

Face à la célérité du train, les commentaires des premières décennies s'accordent majoritairement pour noter une déficience du regard. Avec la seconde génération d'usagers celle qui apparaît après les années 1860, le regard semble s'accoutumer, ou s'éduquer. La vitesse n'est plus une entrave, mais une curiosité, le paysage n'est

plus dédaigné, mais regardé avec attention.17

La locomotive offre aux passagers une vision lisse du paysage, celle-ci n'est plus entravée par le caractère imparfait de la locomotion humaine ou animale. À bord du wagon, le point de vue du passager glisse dans l'espace qui se présente devant lui; il n'a plus à parcourir des kilomètres à pieds, à gravir ces montagnes maintenant transpercées de tunnel, à sentir l'effluve des chevaux en course. Le monde est images qui s'animent dans la fenêtre du wagon dans une projection double. D'un côté, le paysage défile à vive allure, de l'autre, le voyageur contemple son propre reflet; celui d'un homme qui se voit regarder le paysage défiler sous ses yeux. Cette posture phénoménologique place le sujet dans une situation particulière, semblable à celle que rapporte Marc Augé : « c'est le mouvement même du voyage qui le séduit et l'entraîne. Ce mouvement n'a d'autre fin que lui-même – sinon celle de l'écriture qui fixe et réitère son image.18». Libéré momentanément de certaines entraves animales et contraintes charnelles, le voyageur peut disparaître dans un monde imaginaire, porté par un mouvement idéalisé.

Fig. 7: Christian Baron. Skytrain, image tirée du livre The Vancouver Years/Les Années Vancouver (2009).

16 Clément Chéroux (2002), p.2. 17Ibid, p.2

(22)

2.3 LE RÉCIT D'UN DÉPLACEMENT

Les scénarios que j'ai écrit et réalisé en cinéma comportaient une trame narrative minimale. Je cherchais une façon de narrer le destin des personnages en réduisant au maximum les péripéties de ceux-ci, tout en fournissant une structure garantissant au spectateur une compréhension du récit. Mon travail en vidéo s'inscrit donc dans la continuité de cette démarche. Le travelling est un récit en soi, c'est l'histoire d'un déplacement qui a un début, un milieu et une fin. Dans la structure narrative classique tel que décrite par Aristote, le personnage principal doit subir une évolution pour qu'il y ait un récit. Dans les vidéos que je présente en galerie, il y a un scénario; dans l'un, c'est l'histoire d'une traversée, dans l'autre, celle d'une remontée. Cependant, le personnage joué par un acteur a été éliminé, il est remplacé par la caméra. Dans ce type de production, lorsqu'il n'y a pas de personnage représenté à l'écran, j'émets l'hypothèse que le schéma actanciel développé par Algirdas Julien Greimas peut s'appliquer autant dans la diégèse qu'en dehors de la diégèse. Je suis d'avis que c'est hors diégèse que le film prend réellement son sens. A.J. Greimas synthétise son schéma ainsi: «sa simplicité réside dans le fait qu'il est tout entier axé sur l'objet du désir visé par le sujet, et situé, comme objet de communication, entre le destinateur et le destinataire, le désir du sujet étant , de son

côté, modulé en projection d'adjuvant et d'opposant.»19 Pour illustrer mon point, j'appliquerai cette

grille d'analyse à la structure narrative ainsi qu'à la structure formelle du film de Mesguish intitulé

Passage d'un tunnel en chemin de fer pris de l'avant de la locomotive (1898). Le film de Mesguish

est très court, il dure moins d'une minute. C'est donc par déduction qu'il faut remplir les divers éléments de la grille, car ceux-ci ne sont pas mentionnés explicitement dans l'œuvre. Le spectateur, avide de fiction, tend à remplir les blancs dans un scénario comme il complète les formes dans une illusion optique. Le scénario n'est qu'un catalyseur qui permet de rendre explicites les attentes, les désirs et les fantasmes de puissance du public. Dans la structure narrative du film de Mesguish, on déduit que la compagnie de train (destinateur) promet à des passagers (destinataire) qu'ils vont se rendre à la gare (objet) [ou encore, à des entreprises (destinataire) que la marchandise va se rendre à la destination (objet)]. Greimas place le destinateur, l'objet et le destinataire sur l'axe des communications. Le sujet, qui dans le film de Mesguish prend la forme d'un chauffeur de train qu'on ne voit pas, mais qu'on devine être l'opérateur de cette machine en mouvement qui avance sur des rails à vive allure, rencontre dans sa quête des alliés et des obstacles20. Greimas place ces

19 Algirdas Julien Greimas (1986), p.180.

20 Pour que les spectateurs s'identifient à une machine, comme le train, dans le cadre d'une fiction, celle-ci doit emprunter des caractéristiques anthropomorphiques que la caméra de Mesguish ne possède pas dans le film « Passage d'un tunnel en chemin de fer pris de l'avant de la locomotive

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éléments sur la ligne de pouvoir, celle-ci est constituée d'adjuvants, du sujet et d'opposants. La locomotive (adjuvant) par sa force mécanique est le principal allié du chauffeur de train (sujet) qui doit franchir une montagne (opposant). Un tunnel (adjuvant) permet au chauffeur de train de franchir l'obstacle et de continuer sa route. Greimas situe sur l'axe du désir le sujet, l'objet et la quête, ce dernier élément étant celui qui relie les deux actants, soit le sujet à l'objet de désir. Le film de Mesguish se termine lorsque le chauffeur de train (sujet) arrive en gare (objet), permettant ainsi aux passagers de descendre sains et saufs lorsque rendus à destination (quête).

Traditionnellement, le cinéma expérimental formaliste tente par différents procédés et dispositifs de déjouer la structure narrative telle que définie par des théoriciens comme Gréimas. Je suis d'avis qu'on peut saisir le sens de ces films en appliquant la grille d'analyse de Greimas aux aspects formels du film. La durée du film, le fait que, dans une projection cinématographique, la pellicule se fraie un chemin dans le projecteur, est une histoire en soi. Un travelling cinématographique, par comparaison, est une saga. Voyons comment on peut appliquer la grille de Greimas à la structure formelle du film de Mesguish. Le cinématographe Mesguish (destinateur) propose un film (objet) à un public (destinataire). Pour ce faire, la caméra qui se déplace sur des rails dans une prise de vue subjective (sujet) anime le paysage (adjuvant) et compense pour le manque de personnage à qui s'identifier (opposant). La caméra en mouvement (sujet) devient un film (objet) lorsque celle-ci permet au spectateur de s'identifier (quête) avec ce qui se déroule sous ses yeux. Par identification, le spectateur devient cette caméra qui roule sur des rails, qui traverse le paysage; ce déplacement devient son déplacement et il n'arrive plus à s'en dissocier, les obstacles franchis par la caméra-train, il croit que c'est lui-même qui les a franchis.

Se déplacer, c'est nécessairement changer de point de vue; passer du point A au point B. Le travelling cinématographique est l'enregistrement de ce passage. C'est, au minimum, ce qu'il raconte lorsqu'il ne raconte pas autre chose, que ce dernier forme un tout, qu'il soit le film, ou encore qu'une unité du film, un plan parmi tant d'autres. Contrairement au plan panoramique, on le verra dans le chapitre suivant, le travelling ne constitue pas une conquête du territoire, ou encore un désir de conquête, ce n'est pas là son propos. Le travelling est toujours de l'ordre du récit; parce que le sujet (1898) ». Dans mon analyse de la structure narrative, je considère « un conducteur de train » comme étant le sujet représenté par la caméra et non le train lui-même. Cependant, dans mon analyse de la structure narrative hors diégèse, la structure formelle donc, j'abonde dans le sens de Jacques Rittaud-Huttinet et souscrit à cette idée que la caméra puisse être le train lui-même.

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se déplace, sa relation aux objets, à l'espace, se transforme, parce qu'il évolue dans l'espace et dans le temps qu'il est l'un des protagonistes. Il ne se contente pas de regarder le paysage; il le traverse, le transperce, l'anime, le fait naître et mourir à la fois.

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CHAPITRE 3 : LA MÉCANISATION

3.1 LA VISION FERROVIAIRE

Plusieurs auteurs, dont Clément Chéroux et Wolfgan Schivelbush, particulièrement dans son livre

Histoire des voyages en train, se font les portes-étendards du concept de la vision ferroviaire. Le

transport ferroviaire, qui permet un déplacement passif dans l'espace, est, selon Clément Chéroux et plusieurs autres, le catalyseur qui a initié la recherche vers une mécanisation de la vision. Ces derniers conçoivent le train comme un outil de vision qui s'inscrit dans l'histoire de la photographie et de ses dérivés.

Comme Schivelbush le rappelle, la révolution industrielle commence en Angleterre à la fin du XVIIIè siècle et coïncide avec l'invention et le perfectionnement de la machine à vapeur. Le charbon, carburant de cette révolution, est abondant en Angleterre et son extraction des mines est une activité économique importante du pays. Suite à l'installation d'une machine à vapeur sur des rails, ces dernières, présentes dans les mines depuis le Moyen Âge, sont connectées ensembles pour former en un réseau ferroviaire au début du dix-neuvième siècle21. C'est ainsi que naissent les premières voies ferrées et les premiers trains tels que nous les concevons aujourd'hui. D'abord utilisés exclusivement pour des usages industriels, les trains firent graduellement leur apparition dans l'espace public en Europe entre les années dix-huit cent trente et dix-huit cent quarante. Par ses tarifs abordables, le transport ferroviaire, d'abord conçu pour le transport de marchandise, a connu

un énorme succès avec le transport de passagers: « Contrary to expectation, passenger trafic was

more important than goods; the speed and cheapness of the new form of transport was such that not only did all passengers desert the road coaches, but additional passengers, who otherwise would not have travelled at all, flocked to the raiwail stations.22» Avec le train naissent les déplacements masses. Des villes autrefois éloignées se retrouvent maintenant presque voisines, des territoires immenses et lointains semblent se rapprocher; ils sont pour la première fois accessibles aux masses qui peuvent maintenant se déplacer de façon mécanisée.

21 Wolfgang Schivelbush (1990), p.11. 22 David S. Hamilton (1977), p. 36.

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3.2 LA PHOTOGRAPHIE

La photographie mécanise la vision tout « comme le chemin de fer accomplit la mécanique newtonienne dans le domaine des transports » et « crée les conditions d'une mécanisation de la perception des voyageurs23». Avec l'apparition du train, la locomotion humaine et animale est perçue par certains comme étant désuète, faillible et limitée. En art, la perspective mathématique, dont les premières théories furent échafaudées au début de la Renaissance, porte en elle les germes d'une vision idéale, mathématique, non souillée des imperfections humaines. L'œil et la main du peintre, sur ces points, paraissent suspects. Lorsque Nicéphore Niepce réalise la première photographie de l'histoire en 182224, plusieurs autres chercheurs font des recherches similaires, tentant eux aussi de fixer mécaniquement et chimiquement cette image captée par la camera

obscura. Daguerre, un peintre décorateur de théâtre, dirige avec son associé Bouton, un Diadorama,

un concept similaire aux panoramas. Pour créer ses décors, Daguerre travaille à partir de la chambre noire, «les dessins qui s'y forment le fascinent, mais le laissent insatisfait. Dès 1820, Daguerre rêve de pouvoir les fixer directement sans passer par le dessin 25». En collaboration avec Nicephore Niepce, Daguerre développe le Daguerréotype qui fût lancé en 1839, coiffant au fil d'arrivée une multitude d'inventeurs qui en étaient eux aussi à mettre au point un appareil similaire. La netteté des clichés obtenus par le Daguerréotype et sa qualité de fabrication en font une technologie dominante

pour les premières années de la photographie.26

3.3 LE PANORAMA

Un panorama est, selon le Nouveau Petit Robert, un : « spectacle constitué par un vaste tableau circulaire peint en trompe-l’œil et destiné à être regardé du centre 27». Ceux-ci sont destinés aux masses, ils proposent à ceux qui n'en ont pas les moyens de voyager, de rêver d'un ailleurs: « ainsi,

devant le panorama, le spectateur est comme le voyageur devant le paysage 28». Les propriétaires de

23 Wolfgang Schivelbush (1990), p.60. 24 Jean Roubier (1956), p.8.

25 Quentin Bajac (2001), p.15. 26 Quentin Bajac (2001).

27 « Panorama » In Nouveau Petit Robert, Dictionnaire de la langue française 1, (1993). 28 Bernard Comment (1993), p. 83, cité d'après Clément Chéroux (1996), p.8.

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panoramas s'inspirent régulièrement du voyage en train afin d'attirer des visiteurs29, les créateurs, eux, tentent, par divers stratagèmes scéniques, utilisant maquette, photographie et éclairage, de recréer l'atmosphère d'un voyage en représentant les villes et les monuments que ces lignes

ferroviaires traversent. Selon Chéroux, le train est une forme de camera obscura30 qui se déplace

dans le paysage, il préfigure la photographie et incarne le cinéma. Avec le transport ferroviaire de masse apparaît une vision nouvelle que les créateurs de panoramas tentent de reproduire fidèlement dans des dispositifs scéniques de plus en plus complexes : « d'ailleurs, dès les débuts du chemin de fer, les Américains proposèrent des spectacles intitulés Moving panorama qui simulaient les voyages ferroviaires ou fluviaux au moyen d'une longue toile peinte se déroulant latéralement entre

deux cylindres placés de chaque côté de la scène.31» Le train et le panorama donnent accès à de

nouveaux paysages en permettant aux voyageurs et aux spectateurs de se perdre dans ceux-ci, soit en personne, soit par personne interposée, en regardant les images captées par un photographe explorateur. Certains de ces panoramas simulaient même l'effet de vitesse des trains par l'utilisation de différents plans dans leur décor. Ces panoramas, par leur aspect grand public, populaire, voire forain, sont, en quelque sorte, une forme primitive des cinémas qui vont apparaître à la fin du dix-neuvième siècle et au début du vingtième siècle dans toutes les grandes villes du monde. D'ailleurs,

la popularité des panoramas va péricliter quelques années seulement après l'invention du cinéma32.

Fig. 8: Auteur inconnu, illustration du Panorama Transsibérien (1900).

29 Clément Chéroux (1996), p.8. 30 Clément Chéroux (1996), p.4.

31 Bernard Comment (1993). p. 83, cité d'après Clément Chéroux (1996), p.8. 32 Chéroux (1996), p.8.

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3.4 LE PANORAMA PHOTOGRAPHIQUE

Si la caméra en déplacement est une union corps/machine, la caméra fixe est celle maladroite de l'œil/machine. Car, à la différence de l'appareil photographique, l'œil ne saisit une scène que pour une fraction de seconde pour la remplacer aussitôt par une autre; la rétine n'a pas la capacité de la fixer dans le temps, de l'extirper du temps, de la reproduire à l'infini et d'en faire une icône. L'œil voit (et interprète), il ne capture pas une part du réel. À l'inverse de la photographie, il ne remplace pas le monde par une image-monde33; c'est-à-dire, une image figée se substituant au réel, parce qu'elle émane, justement, du réel. Le point de vue unique de la caméra photographique est problématique en ce sens, car il ne permet qu'un seul point de vue à la fois et ce dernier devient rapidement totalisant. Susan Sontag affirme que le geste photographique est toujours un moyen de contrôle : « the photographic exploration and duplication of the world fragments continuities and feeds the pieces into an interminable dossier, thereby providing possibilities of control that could not even be dreamed of under the earlier system of recording information : writing.34» Le panorama photographique s'inscrit dans cette logique totalisatrice de documentation du réel et de cartographie. Le panorama est une construction conceptuelle. Il s'agit de voir, à partir d'un point de pivot unique, l'ensemble d'un espace que l'on considère comme formant une entité. Dans le cas de Eadweard Muybridge, cette entité s'est incarnée dans la ville de San Francisco. En 1877, ce dernier a effectué une série de panoramas de trois-cent-soixante degrés de la ville dont le premier, intitulé

Panorama of San Francisco from California Street Hill (1877), est constitué de onze plaques

sensibilisées au colodium liquide de 20 X 25 cm. Se référant à un prospectus publié à l'époque pour faire la promotion des panoramas de Muybridge, le commissaire David Harris écrit : « the object of this entire description […] is to suggest that from one vantage point, the Hopkin house, the whole city could be perceived as a single entity in which all of its natural and urban features could be seen

and ordered.35» À l'époque, l'exécution de tels panoramas relevait de l'exploit technique et la prise

de vue s'échelonnait sur plusieurs heures36. Pour effectuer ces panoramas, Muybridge devait

déplacer sa caméra de quelques degrés entre chaque prise afin de couvrir la totalité de l'arc de

cercle37. Les images ainsi captées étaient placées bout à bout, créant, en quelque sorte, une carte

photographique de trois-cent-soixante degrés de la ville de San Francisco. Cartographié, le territoire 33 Susan Sontag (1977), p.154. 34 Ibid, p.156. 35 David Harris (1993), p.49. 36 Ibid, p. 48 et 49. 37 Paul Hill (2001), p.58.

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peut être plus facilement possédé. Michael Jakob souligne que la cartographie est une discipline qui permet de prendre possession d'un espace en se le représentant : « la cartographie transcrit et revendique le contrôle et la domination du monde. Elle implique l'existence d'un espace rationnel qui rend l'opposition entre nature domestiquée et nature sauvage caduque : tout s'équivaut sur la

carte38». La photographie, qui arrête le temps et qui aplanit les plans, impose à l'espace représenté

un relativisme similaire à celui dicté par la cartographie.

Fig. 9: Eadweard Muybridge. Détail : San Francisco from California Street Hill, (1878).

Les panoramas de Muybridge et les vidéos que je présente dans le cadre de l'exposition

Transcénique stéréo présentent tous deux des visions du réel impossible, quoique familières à la

fois. Cependant, ce serait une erreur de comprendre mes vidéos comme des panoramas partiels ou incomplets et de les amalgamer avec les travaux panoramiques de Muybridge. Les vues opposées présentées dans mon travail s'apparentent à des panoramas, mais leurs dispositions, par la discontinuité et la continuité des cadres, signalent le caractère construit des images présentées; elles ne se présentent pas comme substitut au réel, elles organisent plutôt le récit. La discontinuité/continuité des paysages présentés et le mouvement de la caméra contrecarrent toutes interprétations « naturalistes » de ces vidéos; ces dernières ne proposent pas aux visiteurs une cartographie fiable de l'espace représenté, elles génèrent plutôt une méfiance envers cette interprétation. Les panoramas de Muybridge offrent une vision linéaire de l'espace; chaque photographie, ou encore, espace photographique, se place en relation avec l'image précédente.

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Ordonnés ainsi, les panoramas s'offrent comme une entité, un tout unifié, qui peuvent prendre la forme, par exemple, de la ville de San Francisco en 1877. Dans un temps arrêté par la capture photographique, on peut saisir l'ensemble de l'image, ou encore une partie; peu importe comment on les regarde, ces images forment un ensemble unifié, cohérent, compris comme un monde en soi. À l'opposé, les vidéos issues de l'exposition Transcénique stéréo dépeignent un univers complexe, non linéaire, dans lequel les réalités sont multiples et simultanés. Il n'y pas, dans la diégèse, un espace unifié; il y a, dans le cas de Le Traversier, une vision bâbord, une vison tribord et une troisième qui inclut les deux et qui, normalement, devrait être unificatrice. C'est la position opposée des caméras qui contrecarre cette fusion. L'angle qui sépare les deux caméras dépasse les 180 degrés; la direction du mouvement est donc inversée à la projection et ce, même si les deux caméras se déplaçaient dans la même direction lors de la captation. Dans l'écran de gauche, le mouvement va de droite à gauche tandis que dans l'image de droite, l'image va de gauche à droite. Cette opposition des lignes de force causée par le non-respect de l'axe crée de l'agitation et rend visible un phénomène optique généralement invisible au cinéma. Cette inversion du mouvement des images au point de jonction de celle-ci souligne le caractère construit de l'image et rend visible le point de disjonction des images, la frontière visuelle qui met l'accent non pas sur ce qui est présent, mais sur la réalité absente de la représentation, révélant ainsi le caractère incomplet de toute représentation qui se voudrait totale.

3.5 LA CHRONOPHOTOGRAPHIE

Muybridge effectue des avancées spectaculaires en chronophotographie la même année qu'il réalise les panoramas de San Francisco. En effet, en 1877, Muybridge s'installe à Palo Alto sur une immense propriété appartenant à un homme d'affaires ayant fait fortune dans les chemins de fer, soit Leland Standford, ancien gouverneur de la Californie. Standford, un passionné de course équine,

croit qu'en étudiant les mouvements de l'animal, il pourra déceler les meilleurs coureurs39. C'est là

que Muybridge capte ses premières images à l'aide de douze appareils photographiques placés cote-à-cote et qu'il réalise une première série d'images d'un cheval au galop. Le dispositif qu'il perfectionne lui permet de prendre une série de photographies dans un laps de temps assez rapide pour décomposer le mouvement de l'animal. Action qu'il recompose par la suite à l'aide d'un

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projecteur qu'il a lui-même perfectionné et qu'il baptise le Zoopraxinoscope. Ce dernier « peut-être

considéré comme le premier projecteur de cinéma du monde 40». Les panoramas et les études sur la

chronophotographie de Muybridge sont deux faces d'un même phénomène. Pour la réalisation de panorama de 360 degrés, comme pour la captation du cycle de marche du cheval, Muybridge reconstitue, à l'aide de plusieurs caméras, une action complexe s'étirant dans le temps et l'espace, et ce, à partir d'images fixes. Par contre, l'effet est très différent. Les panoramas évoquent l'idée de possession, de cartographie tandis que les captations du cheval au galop relatent un événement simple; l'histoire, justement, d'un cheval au galop. L'aspect narratif du travail de Muybridge est plus explicite lorsqu'il met en scène des individus; comme dans Femme déshabillant une autre (entre 1885 et 1886), ou encore dans Un homme montant les escaliers (vers 1885). Ces captations se voulaient purement scientifiques, la documentation objective d'un événement de la vie quotidienne. En rétrospective, c'est leur aspect hautement narratif – et certainement le fait qu'elles annoncent l'arrivée soudaine du cinéma que l'on connait comme un médium qui raconte des histoires – qui saute aux yeux. Sur le plan formel, ces captations de Muybridge sont similaires aux travellings cinématographiques, chaque caméra utilisée pour la capture présente un point de vue différent de la précédente. Comme pour le travelling, le point de vue des séquences de chronophotographie se déplace. Cependant, l'ensemble des prises de vue réalisées dans ces circonstances ne constitue pas un récit en soi, ce dernier émerge de l'action des animaux et des modèles effectuant une action simple. C'est de l'action du sujet photographié que surgit le récit et non parce que ce dispositif capture le rythme du temps qui passe. Avec le dispositif développé par Muybridge, la caméra n'acquiert pas cette capacité de narrer de façon autonome, pour ce faire, il faudra attendre le cinématographe des frères Lumière et le film de Eugène Promio.

40 Paul Hill (2001), p.98.

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CHAPITRE 4: LES MODES DE PRÉSENTATION

4.1 LES MODES DE PRÉSENTATION

C'est Thomas Edison qui a inventé le premier système cinématographique, le Kinétographe en 1891, qui agit à titre de caméra cinématographique, et le Kinétoscope, qui permet le visionnement

des images captées41. Les premiers appareils d'Edison permettaient le visionnement pour une seule

personne à la fois, contrairement au dispositif des Lumière qui favorise une présentation publique des films réalisés. Les frères Lumière sont crédités comme les inventeurs du cinéma. Non seulement ils ont inventé et perfectionné une caméra légère, mobile et d'une simplicité extraordinaire et conçu un système de projection ayant les mêmes caractéristiques; les Lumière ont aussi inventé la façon de consommer le cinéma. Le mode de présentation des premières projections cinématographiques est fortement inspiré des panoramas de l'époque que l'on retrouve dans presque toutes les grandes villes occidentales au dix-neuvième siècle. Le 28 décembre 1895, dans une petite salle de projection au Salon Indien du Grand Café, eu lieu la première présentation publique d'une série de leurs films. Cette projection contient tous les éléments formels associés au cinéma moderne, soit une projection publique sur un grand écran de théâtre, c’est pourquoi les historiens du cinéma tendent à considérer cette date comme étant celle de l'invention du cinéma. Ce médium ne se définit pas seulement par sa capacité d'enregistrer des images en mouvement et de les projeter, il se démarque aussi par sa façon de le consommer. Depuis, le perfectionnement des technologies numériques et la capacité de transférer une image vidéo sur pellicule, et vice versa, ont considérablement ébranlé la catégorisation classique du médium cinématographique. Le cinéma contemporain ne se caractérise plus par l'utilisation du médium film; plusieurs films à l'affiche sur nos écrans sont entièrement produits avec des images numériques ou de synthèses, comme c'est le cas pour la plupart des films d'animation commerciaux. On peut circonscrire le cinéma actuel, au sens « traditionnel » du terme, comme toute œuvre monobande conçue pour être projetée dans une salle de cinéma et projetée sur un écran unique, et ce, indépendamment du médium utilisé au tournage ou à la projection. Les autres modes de présentation, soit les projections multiples ou interactives, diffusions web, installations vidéos ou autres, entrent dans d'autres catégories que l'on nommera art vidéo, art médiatique ou nouveaux médias, selon les idéologies. Les projections présentées dans le cadre de l'exposition Transcénique stéréo ne rencontrent pas cette définition du cinéma, et quoiqu'elles se positionnent face à ce médium, elles ne constituent pas une œuvre cinématographique. Le dispositif

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déployé en galerie s'inscrit plutôt dans la tradition des arts visuels et la vidéo d'art. Ce dispositif est la résultante d'une réflexion sur le médium vidéo et d'un désir de l'inscrire dans l'histoire de l'image en mouvement. En fait, à quelques variations près, le dispositif de présentation en galerie s'inspire plutôt de la tradition des panoramas; il n'y pas de sièges, les gens sont libres de marcher dans l'espace afin d'assister à une présentation qui a lieu en continu.

Fig. 11: Auteur inconnu, le Kinétoscope de Thomas Édison.

4.2 LE MONTAGE VERSUS LE PLAN

Il existe deux positions diamétralement opposées quant à la « nature » du cinéma ; elles s'incarnent cinématographiquement et théoriquement dans les films et les écrits des deux réalisateurs russes importants du vingtième siècle soit Sergei Eisenstein et Andréï Tarkovski. Le premier considère que le montage est l'étape de production qui différencie le médium des autres formes d'art, le second considère que c'est le plan cinématographique qui joue ce rôle. Le montage cinématographique consiste à couper, réorganiser, assembler les images captées à la prise de vue. Avant l'arrivée des suites de montages numériques, le montage était réalisé sur un banc de montage, une pellicule de travail était physiquement coupée, déplacée puis recollée. Lorsque le montage final était approuvé,

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les négatifs étaient coupés conformément à la copie de travail et une version finale du film était imprimée en laboratoire pour diffusion. Aujourd'hui, ces étapes préparatoires sont effectuées dans des suites de montage vidéo et un négatif du film est généré à la fin du processus ou encore, une copie numérique est mise en circulation. Il est intéressant de noter que plusieurs termes techniques utilisés en montage traditionnel, comme les expressions « couper », « coller », « insérer » par exemple, ont leur pendant virtuel et sont conservés pour décrire une action dans les programmes informatiques de montage. Les techniques de montage ont changé, mais pas les principes qui les régissent. Les théories de montage de Sergei Eisenstein ont eu une influence marquante dans l'histoire du cinéma et sont encore enseignées de nos jours. En réponse à un texte publié par N. Kaufman, Eisenstein rédigea en 1929 un article sur le cinéma intitulé Japanese Cinema, ce dernier est encore considéré aujourd'hui comme l'un texte des textes fondateurs dans l'histoire de cette discipline. Eisenstein, voulant jeter les bases de sa théorie de montage, trace un parallèle entre différents aspects de la culture japonaise, comme les idéogrammes du système d'écriture japonais, qui contiennent, selon lui, l'idée de montage et de montage cinématographique. Pour Eisenstein, le montage est un conflit, c'est-à-dire que les tensions formelles ou narratives contenues dans un plan, ou une série de plans, doivent exploser à l'étape du montage, se résoudre donc, par leurs juxtapositions. Eisenstein applique au montage les principes de la dialectique, ceux-ci peuvent se résumer dans l'équation suivante : thèse + antithèse = synthèse. Pour ce cinéaste, c'est le montage qui fait avancer le film : « if montage is to be compared with something, than a phalanx of montage pieces, of shots, should be compared to the series of explosions of an internal combustion engine, driving forward its automobile or tractor: for, similarly, the dynamics of montage serve as an

impulse driving forward the total film.42» Pour le réalisateur du Cuirassé de Potemkine, les conflits

inclus dans un plan peuvent prendre différentes formes. Il peut y avoir des conflits de direction du mouvement, des conflits d'échelle, des conflits de volume, des conflits de masse et des conflits narratifs, par exemple. Pour Andréï Tarkovski, cette approche théorique du montage et du cinéma de Eisenstein est une aberration : « the idea of 'montage cinema'- that editing brings together two concepts and thus engenders a new, third one – again seems to me to be incompatible with the nature of cinema. Art can never have the interplay of concept as it ultimate goal.43» Tarkovski considère le plan cinématographique, et non le montage, comme étant le matériel de base du cinéma. Dans sa conception du médium, l'esthétique du cinéma réside dans sa capacité de saisir le temps qui passe :

42 Sergei Eisenstein (1949), p.95. 43 Andréï Tarkovski (1986), p.116.

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The dominant, all-powerfull factor of the film image is rhythm, expressing the course of time within the frame. The actual passage of time is also made clear in the caracters' behavior, the visual treatment and the sound – but these are all accompagning features, the absence of which, theoretically, would in no way affect the existance of the film. One cannot conceive of a cinematic work with no sens of time passing through the shot, but one can easily imagine a film with no actors, music, décor or even editing. The Lumière brother's Arrivée d'un Train, already mentioned, was like that. 44

Pour Andréï Tarkovski, l'art du cinéma réside dans la prise de vue et non dans le scénario ou encore dans le montage. Cette conception du cinéma peut s'appliquer autant pour le médium vidéo que pour tout type d'image en mouvement qui aspire à devenir film :

I still cannot forget that work of genius, shown in the last century, the film with which it all started – L'arrivée d'un train en Gare de La Ciotat. That film made by Auguste Lumière was simply the result of the invention of the camera, the film and the projector. The spectacle, which only lasts half a minute, show a a section of railway and the train coming from the depths of the frame and heading straight for the camera. As the train approched panic started in the theatre: people jumped and run away. That was the moment when cinema was born; it was not simply a question of technique, or just a new way of reproducing the word. What came into being was a new aesthetic principle.

For the first time in the history of the arts, in the history of culture, man found the means to take an impression of time. And simultaneously the possibility of reproducing that time on screen as often as he wanted, to repeat, to go back to it. He acquired a matrix for actual time. 45

Pour le réalisateur de Solaris, parce qu'il capture le temps qui passe, le plan cinématographique est ce qui définit le cinéma, ce qui le différencie des autres formes d'art. Pour lui, le montage est subordonné à la prise de vue, au plan donc, et consiste seulement à harmoniser les différents rythmes d'une œuvre afin de lui donner un sens. Pour Tarkovski, le cinéma, c'est la capacité de capter le temps, des temporalités.

44 Ibid., p.113.

Figure

Fig. 1 :   Christian Baron. Vue d'ensemble de l'exposition Transcénique stéréo (2011) présentée à la  galerie  des arts visuels de l'Université Laval
Fig. 2 et 3 : Les frères Lumière. À gauche, image tirée de la première version de La sortie des  usines Lumière  (1895) et à droite, image tirée de l’une des deux autres versions  de La sortie des  usines Lumière (1895)
Fig. 4:   Eugène Promio. Image tirée du film de Eugène Promio intitulé Panorama du Grand Canal
Fig. 5: Félix Mesguish, image tirée du film de, Passage d'un tunnel en chemin de fer pris de l'avant  de la locomotive (1898).
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