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Itinéraire de vie d'un textile : étude sur les usages locaux du tissu-pagne à Lomé (TOGO)

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Academic year: 2021

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Texte intégral

(1)

Itinéraire de vie d'un textile - Étude sur les usages

locaux du tissu-pagne à Lomé (TOGO)

Thèse

Anne-Sophie Deleuze

Doctorat en anthropologie

Philosophiæ doctor (Ph. D.)

(2)

Itinéraire de vie d’un textile

Étude sur les usages locaux du tissu-pagne à Lomé

(TOGO)

Thèse

Anne-Sophie Deleuze

Sous la direction de :

(3)

iii RÉSUMÉ

Le tissu-pagne est un textile emblématique de la culture matérielle d’Afrique de l’Ouest, et tout particulièrement du Togo et de sa capitale, Lomé, où il arrive pour être ensuite redistribué dans l’ensemble de la Sous-Région. Bien que majoritairement produit en Europe, il a fait l’objet d’une très forte réappropriation locale et se trouve aujourd’hui partout, utilisé pour tout et par tout le monde. Cette omniprésence est le résultat de son statut de tissu de base mais aussi du fort degré de valeur socio-symbolique qui lui est accordée à Lomé, accompagnant ainsi ses usagers tout au long de leur existence et systématiquement présent lors des grandes étapes de leur vie. Dans ce contexte, cette recherche vise à saisir la relation d’influence réciproque existant entre cet objet textile et son propriétaire à travers les usages locaux que ce dernier en fait, eux-mêmes déterminés par la valeur socio-symbolique accordée à cette étoffe. En adoptant une approche inductive centrée sur les usages du tissu-pagne en regard des nombreux critères sociaux auxquels ils sont conditionnés, notamment la catégorie de qualité de l’étoffe, le contexte de son utilisation et le profil social de son usager, j’ai pu discerner sa puissante fonction de communication visuelle. Marqueur social essentiel, le tissu-pagne s’inscrit au cœur des dynamiques socio-relationnelles de la ville. À travers l’analyse des multiples chemins que peut prendre l’itinéraire de vie local de cette étoffe en fonction des usages successifs qui peuvent en être faits, j’ai été capable de déterminer les logiques émiques conditionnant l’insertion de ces usages au sein de différentes sphères, soit socio-communicationnelle, utilitaire et mémorielle. Suivant une règle de confirmation réciproque entre la valeur socio-symbolique et l’usage fait du tissu-pagne, l’utilisation qui sera faite de ce dernier peut aussi bien le positionner dans une sphère spécifique ou dans plusieurs sphères simultanément. Majoritairement sociale, cette valeur socio-symbolique peut, par exemple, glisser vers une dimension personnelle via un processus d’appropriation de l’objet textile. Son usage, auparavant essentiellement social, sera alors lui aussi personnalisé. C’est ce type de dynamique, associé à la logique de transfert de valeur entre le tissu-pagne et son usager, qui dessine l’itinéraire de vie local de cette étoffe et en fait un objet profondément social. L’étude de ses usages donne ainsi accès au fonctionnement des dynamiques socio-relationnelles en vigueur à Lomé, confirmant de ce fait la réalité de l’existence d’une vie sociale des objets, ici illustrée par le tissu-pagne.

(4)

iv SUMMARY

The wax is an emblematic fabric in West African material culture, especially in Togo and its capital city, Lomé. Here it arrives to be redistributed to all other countries of the area. Mainly produced in Europe, this fabric is strongly reappropriated by the local population. Today, it is everywhere, used for everything and by everyone. Its omnipresence is explained by its function as a basic fabric but also because of the high socio-symbolic value people give to it. In fact, we can find the wax throughout Togolese lives, especially at significant life stages. In this context, the present research aims to understand the mutual influence relationship between the textile and its owner, through local uses, which are determined by the socio-symbolic importance given to this material. With an inductive approach based on the wax’s uses according to its several social criteria, for example the fabric’s quality (category), the context of its use and the social profile of its owner, I was able to demonstrate its powerful function in visual communication. The wax is an essential social indicator, which is anchored within the socio-relational dynamics in the city. Through the analysis of the many local life itineraries of wax, according to all its successive uses, I was able to show the local logics, which categorise these uses into three different spheres: socio-communicational, utilitarian and memorial. According to a rule of mutual confirmation between the socio-symbolic value and the use of wax, its usage may be categorised into one sphere, or more, at the same time. This socio-symbolic value is mainly social but it can take a personal scope due to a process of appropriation of the textile. Then its use becomes personalized also. This is the kind of dynamics which, adds to a transfer of value between the wax and its user, designs the local life itinerary of this fabric. That is why it is a social thing. The study of the wax’s uses gives us an understanding about the operating of the socio-relational dynamics in Lomé. All of this attests to the fact that just like other objects, wax fabric has a part to play in the social life of things.

(5)

v

TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ ... iii

SUMMARY ... iv

TABLE DES MATIÈRES ... v

LISTE DES CARTES ... viii

LISTE DES TABLEAUX ... ix

LISTE DES FIGURES ... x

LISTE DES ILLUSTRATIONS ... xi

ABRÉVIATIONS ET SIGLES ... xiv

REMERCIEMENTS ... xv

INTRODUCTION GÉNÉRALE ... 1

SECTION I – LE TISSU-PAGNE, DES ORIGINES A NOS JOURS ... 13

1.1. UNE HISTOIRE COURTE DE L’IMPRESSION TEXTILE ... 14

1.2. LA FABRICATION DU TISSU-PAGNE ... 18

1.2.1. Retour vers ses origines de fabrication ... 18

1.2.2. Deux processus de fabrication ... 20

1.3. QUELQUES POSSIBLES AMBIGUÏTES TERMINOLOGIQUES ... 23

1.3.1. Les spécificités du français et de l’anglais ... 23

1.3.2. Faire appel à la terminologie émique ... 24

1.3.3. Bilan définitionnel de mon objet d’étude : le tissu-pagne ... 27

2.1.1. L’Afrique de l’Ouest précoloniale, un « espace maillé » ... 30

2.1.2. La place des tissus dans les relations précoloniales ouest-africaines ... 36

2.1.3. Premiers contacts directs avec les Européens ... 39

2.2. A L’EPOQUE COLONIALE ... 41

2.2.1. Colonisation et transformation des dynamiques commerciales ... 41

2.2.2. Le cas des tissus de coton ... 44

2.3. DES INDEPENDANCES A NOS JOURS : L’EMERGENCE DE LOME ... 49

2.3.1. La place du Togo dans l’import-export de textiles ... 50

2.3.2. Le pouvoir des Nana Benz ... 52

2.3.3. La Chine : nouvel acteur clé dans le commerce des tissus-pagne ... 54

SECTION II - THEORIE DE LA MATERIALITE ET METHODOLOGIE ADEQUATE . 63 3.1. MON APPROCHE DE L’ANTHROPOLOGIE DE LA MATERIALITE ... 64

3.2. LA NOTION DE VALEUR SELON WARNIER ET APPADURAI ... 66

3.2.1. La valeur d’un objet définissant son usage ... 67

(6)

vi

3.2.3 Des « sphères d’échange » aux « sphères d’usage » ... 71

3.2.4 Un itinéraire de vie local ... 74

3.3. « LE MONDE SOCIAL DES OBJETS » DE KAUFMANN ... 78

3.3.1. Le monde matériel dépositaire de la mémoire collective ... 79

3.3.2. L’« appropriation personnelle » des objets ... 82

3.4. QUESTION DE RECHERCHE ... 85

4.1. LA DEMARCHE COMPREHENSIVE ... 87

4.2. POPULATION DE RECHERCHE ET ECHANTILLONNAGE ... 88

4.3. TECHNIQUES DE COLLECTE DES DONNEES ... 93

4.3.1 Définir les étapes clés des usages ... 93

4.3.2 Phase exploratoire : le procédé de recension ... 95

4.3.3 Des entretiens en situation ... 98

4.3.4 Des entretiens ouverts ... 98

4.3.5 L’entretien compréhensif ... 100

4.3.6 L’importance des données éclectiques ... 101

4.4. L’ANALYSE ITERATIVE DES DONNEES ... 102

4.4.1 Première phase d’analyse ... 102

4.4.2 Seconde phase d’analyse ... 104

4.5. MA GRILLE D’ANALYSE ... 105

4.6. CONSIDERATIONS ETHIQUES ... 106

SECTION III - DIALOGUES ENTRE USAGES ET VALEURS DU TISSU-PAGNE ... 109

5.1. UNE PLACE PARTICULIERE PARMI LA CULTURE TEXTILE ... 110

5.1.1. Par rapport aux autres étoffes locales ... 110

5.1.2. Par rapport aux produits textiles dits occidentaux ... 128

5.2. QUELQUES SPECIFICITES D’ENTRETIEN PROPRES AU TISSU-PAGNE ... 132

5.2.1. Un entretien particulier pour un tissu particulier ... 132

5.2.2. Des particularités d’entretien parmi les tissus-pagne ... 136

5.3. A CHAQUE ACTIVITE SOCIALE SON USAGE : RAPIDE APERÇU DES LOGIQUES D’INTERCONNEXION ... 141

5.4. CONSEQUENCES SUR SON ITINERAIRE DE VIE : LE « RECYCLAGE » ... 143

5.5. QUELLE PLACE POUR LE TISSU-PAGNE DANS LA CULTURE MATERIELLE LOCALE ? ... 159

6.1. LE TISSU-PAGNE, UNE BASE TEXTILE « INEVITABLE » ... 164

6.1.1. Comme compagnon de vie : l’omniprésence du tissu-pagne ... 165

6.1.2. Comme référent culturel ... 167

6.2. TISSU-PAGNE ET POSITIONNEMENT SOCIAL ... 175

6.2.1. Un effet d’homogénéisation sociale ... 175

6.2.2. Un effet de différenciation sociale ... 180

(7)

vii

7.1.1. Ce que dit la langue ... 193

7.1.1. Ce que disent mes interlocuteurs ... 195

7.2. DÉTENTRICES D’UN SAVOIR EN HÉRITAGE ... 196

7.2.1. Qui sont-elles précisément ? ... 196

7.2.3. Comment ce savoir(-faire) est-il acquis ? ... 201

7.2.4. Perte du savoir(-faire) ? ... 203

7.3. DYNAMIQUE DE TRANSFERT DE VALEUR ENTRE OBJET ET INDIVIDU : QUELS ENJEUX POUR LES FEMMES DE LOME ? ... 206

7.3.1. L’importance de posséder des tissus-pagne ... 206

7.3.2. Savoir faire usage du tissu-pagne : usage adéquat, femme respectable ... 210

8.1. RAPIDE RAPPEL THEORIQUE ... 215

8.2. LES CEREMONIES FUNERAIRES A LOME ET LA PLACE DU TISSU-PAGNE ... 217

8.2.1. Présentation succincte des cérémonies funéraires à Lomé ... 217

8.2.2. Éclaircir un aspect de la dynamique familiale au Togo ... 221

8.3. « ON NE PORTE PAS LES PAGNES COMME ON VEUT » : LE CHOIX DU « PAGNE DES FUNERAILLES » ... 222

8.3.1. Deuil ou célébration de la vie ... 223

8.3.2. « Enterrer sa mère dans du tsivi, c’est mal vu » : l’uniforme-pagne mis en scène ... 225

8.4. LA DIFFERENCIATION VIA L’HOMOGENEISATION : LA FONCTION DE L’UNIFORME-PAGNE ... 229

8.5. LE PROCESSUS DE PERSONNALISATION DE LA VALEUR ... 231

8.5.1 Rendre plus visible la personne et changer la nature de la valeur ... 232

8.5.2. Passer d’une sphère d’usage à une autre : quels enjeux et conséquences pour le tissu-pagne ? ... 236

8.5.3. Mais le social n’est jamais très loin ... 240

8.6. SAVOIR DISCERNER LES CAS D’APPROPRIATION PERSONNELLE DES RACCOURCIS ERRONES ... 241

CONCLUSION GENERALE : RETOUR A LA THEORIE ... 245

BIBLIOGRAPHIE ... 257

(8)

viii

LISTE DES CARTES

Carte 1 Afrique de l’Ouest et position du Togo

Carte 2 Le Togo et ses cinq régions

Carte 3 Les ethnies majoritaires du Togo

Carte 4 Indonésie et position de l’île de Java

Carte 5 Route maritime des épices

Carte 6 Les échanges transsahariens entre les VIIIe et XVIe siècles

Carte 7 Villes stratégiques du commerce précolonial sur le territoire togolais

Carte 8 Zone d’utilisation des tissus comme monnaie (« cloth money »)

Carte 9 Position stratégique de Lomé dans les dynamiques commerciales d’Afrique de l’Ouest

Carte 10 Délimitation du Grand Marché et de la zone principale de vente du tissu-pagne

(9)

ix

LISTE DES TABLEAUX

(10)

x

LISTE DES FIGURES

Figure 1 Figure 2

L’unité pagne

Mouvement itératif d’influence entre la valeur socio-symbolique d’un objet et son usage

Figure 3 Schématisation de la théorie d’Appadurai

Figure 4 Mouvement itératif entre la dimension sociale de la valeur d’un objet et son usage

Figure 5 Conséquence d’une « appropriation personnelle » de l’objet

Figure 6 Récapitulatif de mon échantillonnage

Figure 7 Profils de mes interlocutrices clés

Figure 8 Mouvement itératif entre la valeur sociale du tissu-pagne et son usage

Figure 9 Conséquence d’une « appropriation personnelle » du tissu-pagne

Figure 10 Mouvement itératif entre la valeur personnelle d’un tissu-pagne et son usage

Figure11 Hiérarchisation des activités sociales et points de départ possibles de l’itinéraire de vie local du tissu-pagne

(11)

xi

LISTE DES ILLUSTRATIONS

Illustration 1 Scène du Grand Marché de Lomé

Illustration 2 Rassemblement de village

Illustration 3 Boutique du Grand Marché de Lomé

Illustration 4 Objet-pagne et unité-pagne

Illustration 5 Impression hand-block

Illustration 6 Machines à impression

Illustration 7 Femmes javanaises portant le sarong traditionnel

Illustration 8 Sarong du Nord de l’île de Java (1900-1910) – Cincinnati Art Museum

Illustration 9 Sarong de femme à draper à la taille

Illustration 10 « Tissu-pagne » vendu par les revendeuses Illustration 11 Exemple du rendu final du veinage à l’indigo Illustration 12 Lokpo kabyè

Illustration 13 Costumes de chefs traditionnels au Togo Illustration 14 Exemple de tissu-pagne commémoratif Illustration 15 Le Grand Marché de Lomé (Assigamé)

Illustration 16 Exemple de lokpo (ou kente) porté des deux façons possibles chez les

hommes

(12)

xii

Illustration 18 Tenue de mariage d’une femme kabyè

Illustration 19 Jeune fille portant un lokpo noué sous les aisselles Illustration 20 Chef traditionnel kabyè

Illustration 21 Tissu-pagne utilisé à la façon du lokpo Illustration 22 Tenue batakali en tissu-pagne

Illustration 23 Tenue batakali en lokpo

Illustration 24 Apparence matérielle et vestimentaire du bazin Illustration 25 Exemples de tenues en bazin

Illustration 26 Togolaises de confession musulmane Illustration 27 Exemples de tableaux en batik

Illustration 28 Atelier de production artisanale d’adjoagnanki (teintés) Illustration 29 Apparence matérielle et vestimentaire du teinté

Illustration 30 Usages divers du tissu-pagne Illustration 31 Rangement du tissu-pagne

Illustration 32 Exemples de femmes portant un « pagne de maison » Illustration 33 Exemples de n’kↄvↄ

Illustration 34 Exemples de tenues de services pour hommes et pour femmes Illustration 35 Quelques tendances

(13)

xiii

Illustration 37 Exemples de variations de dénomination selon le pays Illustration 38 Exemples de variations de couleur dominante

Illustration 39 Exemples de motifs s’inspirant de la vie quotidienne Illustration 40 Exemples d’uniforme-pagne

Illustration 41 Vlisco, cinq points à vérifier

Illustration 42 Exemples de noms de n’kↄvↄ illustrant une certaine réalité des femmes Illustration 43 Exemples d’assanssan

Illustration 44 La « fashionisation » du tissu-pagne ou « pagnarisation » Illustration 45 Exemples de « pagnes de funérailles »

Illustration 46 Différence de tons selon le stock

(14)

xiv

ABRÉVIATIONS ET SIGLES

BM Banque Mondiale

CÉRUL Comité sectoriel pluridisciplinaire d’Éthique de la Recherche de l’Université

Laval

DGSCN Direction Générale de la Statistique et de la Comptabilité Nationale FMI Fond Monétaire International

GTP Ghanaian Textile Prints

INSEED Institut National de la Statistique et des Études économiques et

Démographiques

MPDAT Ministère auprès de la Présidence de la République chargé de la Planification,

du Développement et de l’Aménagement du Territoire

OCDE Organisation de Coopération et de Développement Économique

UAC United African Company

(15)

xv

REMERCIEMENTS

Avant d’aller plus avant, je souhaiterais vivement remercier certaines personnes sans lesquelles la présente thèse n’aurait pu voir le jour : Madame Marie-Andrée Couillard pour sa direction exceptionnelle, sa passion, sa patience et son soutien sans faille, Monsieur Serge Genest pour sa relecture et ses commentaires avisés, mes parents pour leur soutien sous toutes ses formes, et particulièrement ma mère qui a eu le courage de relire la totalité de cette thèse de façon assidue, Justin pour son soutien inconditionnel durant la dure phase finale de ma rédaction, Anne-Marie qui s’est chargée de la mise en page, l’ensemble de mes proches qui ont toujours su me remotiver dans les moments les plus difficiles, les membres du Comité d’Éthique de la Recherche avec des êtres humains de l’Université Laval qui ont validé mon projet de thèse, et le Département d’Anthropologie qui m’a guidé et permis d’assumer des cours à distance durant la durée de mon Doctorat.

Un remerciement tout particulier doit être adressé à tous les Loméens et les Loméennes qui ont très gentiment accepté de participer à mon travail de terrain et qui m’ont confié tant d’informations riches à exploiter. À Egome, également, qui a été mes yeux et mes oreilles à Lomé lorsque je ne pouvais pas être sur place. Un très grand merci à tous pour votre gentillesse, votre générosité et votre patience lorsque je vous posais inlassablement de nouvelles questions. Sans votre aide et votre soutien, rien de tout cela n’aurait été possible.

(16)

INTRODUCTION GENERALE

Les tissus ouest-africains aux couleurs chatoyantes et aux motifs divers font aujourd’hui partie intégrante de l’image que l’on se fait des populations de cette région du monde. En sciences sociales, et notamment en anthropologie, ces textiles particuliers, couramment appelés wax,1 mais que je nommerai « tissus-pagne »2 dans le cadre de cette thèse, ont fait l’objet de nombreuses études selon des perspectives diverses. Hodder (1980) et Johnson (1980) les ont, par exemple, appréhendés sous l’angle historique et commercial, comme marchandise ou monnaie. Coquet (1993) les a étudiés du point de vue de l’histoire de leurs techniques. Tranberg Hansen (2004) les a analysés par l’intermédiaire d’une étude centrée sur le vêtement et le corps habillé. Ayina (1987) et Bellow (1986) ont travaillé plus particulièrement sur le tissu-pagne au Togo comme outil de langage. Rivière (1984) s’est, quant à lui, centré sur les rites de mariage éwé et la place qu’y occupe cette étoffe, alors que Cordonnier (1987) s’est focalisé sur les revendeuses de tissus à Lomé (capitale du Togo). Quant à Cordwell (1979) et Nielsen (1979), leurs travaux sont centrés sur le wax print et son histoire. Or, l’anthropologue ayant le plus étudié les tissus togolais est Nina Sylvanus. Depuis sa thèse de doctorat en anthropologie, Des fils enchevêtrés. Les commerçantes togolaises dans les réseaux

mondiaux du textile (soutenue en 2001), elle multiplie les articles sur le sujet. Réflexion

identitaire basée sur la sémiotique du wax (2002, 2007b), logique entrepreneuriale des revendeuses (2007a) et leur adaptabilité suite à l’arrivée des textiles chinois (2009), elle réfléchit ensuite sur la question de l’authenticité face aux contrefaçons chinoises de wax (2012) en positionnant sa réflexion sur une échelle globale. Ces quelques exemples de recherche ayant été effectuées autour du tissu-pagne montrent la grande richesse de cet objet textile quant aux multiples manières dont il peut être appréhendé dans de cadre d’une analyse socio-scientifique. Cependant, un aspect central du tissu-pagne s’avère ne jamais avoir été réellement étudié, celui des usages qui en sont fait par les individus. Or, cette question dissimule, elle aussi, une abondance de connaissances, notamment pour ce qu’elle révèle d’une société et ce qu’elle dit de la manière d’être de ses usagers.

1 Il sera ici précisé dans la section I de la présente thèse en quoi le wax constitue plutôt une catégorie de

tissu-pagne et en quoi cette appellation peut parfois porter à confusion quant à l’objet spécifique dont il est question.

(17)

delà de mes intérêts personnels, c’est donc pour cette raison que j’ai choisi de consacrer cette thèse à l’étude des usages faits du tissu-pagne à Lomé (Togo). La décision de situer mon terrain de recherche dans cette ville spécifique relève de plusieurs facteurs contextuels. Ayant eu la possibilité de vivre dans cette ville quelques années, j’ai très vite constaté l’omniprésence de cette étoffe au sein des pratiques quotidiennes des Loméens : utilisé pour tout, partout et par tout le monde. Importé d’Europe, c’est pourtant bien en Afrique de l’Ouest qu’il prend vie, signification et valeur, et ce dès son arrivée sur les côtes togolaises via le port autonome de Lomé. C’est également dans cette ville que l’on peut trouver une zone commerciale importante lui étant entièrement consacrée, le Grand Marché de Lomé (Assigamé). Qu’il s’agisse de Loméens lambda ou de commerçants venus de toute la Sous-Région, tout le monde s’y rend en étant assuré

d’y trouver ce qu’il cherche.

Le Togo est un petit pays d’Afrique de l’Ouest de 56 785 km2 situé sur les côtes du Golfe du Bénin. Il est délimité, au nord par le Burkina Faso, à l’ouest par le Ghana et à l’est par le Bénin3. Malgré sa petite taille, le positionnement géographique du Togo en fait un point stratégique pour les échanges et le commerce. Il constitue, notamment, un couloir essentiel vers les pays de l’Hinterland (Burkina Faso en premier lieu, mais aussi le Niger et le Mali, respectivement desservit par le Bénin et la Côte d’Ivoire) avec comme point de départ sa capitale, Lomé4. Afin de planter au mieux le décor de cette recherche, faisons un rapide portrait chiffré de ce petit pays. Bien sûr, je tiens à préciser ici que l’ensemble des données présentées participent directement ou indirectement

3 Voir carte 1 ci-dessous.

4 Voir carte 9, point 2.3.1. du chapitre 2 de cette thèse.

(18)

dans la compréhension de mon sujet de recherche et de mes données de terrain. Qu’il s’agisse d’informations démographiques ou économiques, toutes prendront sens à un moment donné de cette thèse.

En 20135, sa population totale comprenait 6 928 719 habitants, avec une densité de 127,39 habitants/km2, dont 38,98% vivaient en zone urbaine. Pour cette même année, les moins de 15 ans représentaient 42,58%, les 15-64 ans 54,67% et les 65 ans et plus 2,75%, de l’ensemble (Banque Mondiale citée par USherbrooke 2017), sachant que l’espérance de vie était alors estimée à un peu plus de 59 ans6. La croissance annuelle de la population s’élevait à 2,68%, avec un taux de fertilité de 4,66 naissances par femme et un taux de natalité brut de 36,08‰ (Banque Mondiale 2017). Concernant la répartition de la population entre zones urbaines et rurales, ainsi que le pourcentage selon le genre, il faut remonter à 2010 pour obtenir des données complètes. Selon cette perspective, alors que le pays regroupait, à l’époque, 6 191 155 habitants, les femmes en

5 Il est à noter que l’ensemble des données démographiques présentées ici seront concentrées autour de

2013, année de réalisation de mon terrain de recherche.

6 Nous verrons dans le chapitre 8 de cette thèse que l’espérance de vie estimée par les Togolais

eux-mêmes se rapproche plus des 70 ans, croyance ayant une conséquence directe quant à certains usages spécifiques faits du tissu-pagne.

Carte 1 : Afrique de l’Ouest et position du Togo

(19)

constituaient 51,4%. La région maritime regroupait à elle seule 2 599 955 habitants, soit 42%7 de la population totale, dont 837 437 (ou 13,5%) vivant dans la capitale nationale, Lomé (Badjeck 2012)8.

La situation économique du pays s’est brutalement dégradée de façon significative en lien avec la crise socio-économique qui éclata en 1991. En 2013, son produit Intérieur Brut (PIB) s’élevait à 4,081 milliards $US, soit 1 269 $US par habitant, avec un Revenu National Brut (RNB) de 500 $US9 par habitant. Concernant le ratio de la population pauvre en fonction du seuil de pauvreté national, celui-ci était estimé à 58,7% de la population totale en 2011, et l’Indice de Développement Humain (IDH) à 0,43 pour cette même année (Banque Mondiale 2017). Depuis l’époque de la colonisation, l’économie du pays est principalement basée sur l’importation, dont les tissus-pagne

7 Les pourcentages ont été calculés par moi-même en regard des chiffres disponibles. 8 Voir carte 2.

9 Correspondant respectivement à environ 666 $CAN (soit 291 245 FCFA), 1 726,4 $CAN (soit environ

754 963 FCFA) et 5,436 milliards $CAN (soit 2 377,2 milliards FCFA).

Source : http://www.izf.net/upload/Documentation/Cartes/Pays/supercartes/togo.htm Carte 2 : Le Togo et ses cinq régions

(20)

font partie en tant que produits textiles. En guise d’illustration, le ratio mettant en relation les exportations et le PIB du pays était de 46,5% en 2013 contre 66,3% pour la ration importations-PIB cette même année (INSEED 2016 : II). En 2009 et 2010, seulement 6 pays regroupent, à eux seuls, 54% des importations togolaises. Par ordre d’importance, il s’agit de la Chine, la France, la Finlande, les Pays-Bas, le Ghana et la Belgique10 (Pare 2011). Pour ce qui concerne plus spécifiquement les importations de produits textiles, puisque c’est de ce type d’objet dont il est question dans le cadre de cette thèse, en 2009 elles représentent 9,021 milliards de FCFA (soit environ 20,628 millions de CAN$), soit une augmentation de 7,7% en valeur et de 6,7% en terme de volume par rapport à 2008. Alors que le premier trimestre 2010 présentait déjà une tendance fortement à la hausse, il est à noter que ces chiffres sont très probablement sous-estimés du fait des nombreux passages de frontières non répertoriés dont font l’objet les produits textiles (Pare 2011). Sur ce point, je préciserai tout de même que, concernant le tissu-pagne, dans la mesure où la quasi-totalité de ce produit textile provient des Pays-Bas ou de Chine, son arrivée sur le territoire togolais se fait principalement via le port autonome de sa capitale, Lomé. Bien sûr, il existe quelques succursales dans la Sous-Région et il est tout à fait possible que certains de ces produits franchissent la frontière nationale sans être systématiquement répertoriés11. Voilà donc pour le rapide portrait économico-démographique du Togo et de sa capitale, Lomé. Dans la mesure où cette thèse est centrée sur les usages que les Loméens font du tissu-pagne, il s’avère nécessaire, avant de poursuivre, de fournir une rapide présentation, essentiellement d’ordre technique, de mon objet d’étude, soit le tissu-pagne. Les explications proposées ici ne seront pas exhaustives car le tout sera repris et développé plus en profondeur dans la section I du présent travail.

En dehors de certains pays ouest-africains, dont le Togo et le Bénin, le produit textile dont il est question ici est couramment appelé « wax ». Ce terme générique est directement issu de son mode de fabrication, « wax » signifiant « cire » en anglais, un des éléments qui seront développés ultérieurement12. Mon choix initial d’utiliser le terme de « tissu-pagne » a pour objectif de différencier le type de textile du terme « pagne » en tant que tel qui, dans le langage commun, désigne une étoffe drapée, le

10 Voir annexe 1.

11 Voir le cadre contextuel dans la section I, chapitre 2. 12 Voir le chapitre 1 de la présente thèse.

(21)

plus souvent à la taille (voir Bellow 1986), sans préciser la nature du tissu. Ici, il s’avère nécessaire de se pencher plus précisément sur cette question terminologique afin d’apporter plus de précisions et de partir sur des bases solides. Pour cela, il faut se rendre directement au Togo afin de mieux saisir ce que l’utilisation locale du terme français « pagne » sous-entend. Dans un premier temps, il s’agit, en effet, d’un type de textile spécifique, soit une étoffe de coton imprimée présentant un design clairement identifiable du point de vue des motifs et des couleurs. C’est ce que, jusqu’ici, j’ai moi-même qualifié de « tissu-pagne »13.

Mais le mot « pagne » ne possède pas que cette signification au Togo car il peut également désigner un morceau de cette même étoffe pouvant être utilisé de

13 Nota Bene : sauf indication contraire, les photos présentées dans l’ensemble de cette thèse sont issues

de mon terrain de recherche.

Illustration 2 : Rassemblement de village

(22)

nombreuses façons, notamment, comme il est compris dans le sens commun, sous forme de drapé noué à la taille ou sous les aisselles. Dans ce cas, il ne sera plus question

de pagne, mais plutôt d’un pagne, passant ainsi d’un type de tissu à un objet textile bien

spécifique. Je parlerai alors d’un « objet-pagne ». Nous verrons d’ailleurs dans le présent travail que cet « objet-pagne » est loin de ne servir qu’à revêtir le corps d’un individu. Enfin, le terme « pagne » est également utilisé au Togo comme unité de mesure. Dans ce contexte, je le qualifierai donc d’« unité-pagne ». En effet, l’objet textile précédemment évoqué, l’« objet-pagne », présente globalement toujours la même dimension, soit environ 1,63 mètre de longueur sur 1,10 mètre de largeur14 (cette dernière étant absolument invariable car correspondant à la largeur du rouleau de tissu duquel sont coupées les pièces vendues). Ainsi, en regard de cette unité de mesure, on parle au Togo d’une « pièce » de tissu-pagne, ce qui correspond à 6 unités-pagne (on parle communément de 6 pagnes), et une ½ pièce revient donc à 3 unités-pagne (ou 3 pagnes dans le langage local)15. Généralement, pour confectionner une tenue féminine, ½ pièce suffit largement (une unité-pagne pour le haut, une unité-pagne pour le bas, et le dernier en guise de troisième pagne, qui devient ainsi un « objet-pagne » dont la signification et l’usage seront développés plus loin)16. De même, pour une chemise d’homme, une unité-pagne suffit, les 2 unités-pagne restantes pouvant servir à confectionner le pantalon dans le cas d’un complet.

14 Ce qui équivaut respectivement à environ 5,4 pieds sur 3,6 pieds.

15 La vente d’une pièce entière, soit 6 unités-pagne, se fait principalement chez les grossistes, alors que la

1/2pièce, soit 3 unités-pagne, peut se trouver chez toutes les revendeuses. De même, il est souvent possible de demander à couper la ½ pièce si, selon l’usage prévu, l’individu n’a besoin que d’une dimension d’une ou deux unité-pagne.

16 Voir le contenu de la section III.

Figure 1 : L’unité-pagne 1,10 m

≈ 1,63 m 1 unité-pagne

(23)

Maintenant que nous avons une meilleure idée de ce dont il s’agit, et avant de voir de quelle manière le présent travail sera découpé afin de répondre au mieux aux objectifs fixés, une légère digression est nécessaire ici17. Il s’agit d’expliquer succinctement la place du tissu-pagne au sein de la constitution d’une dot dont la remise à la famille de la fiancée est couramment appelée le « mariage traditionnel ». Ce détour permettra, par la suite, de comprendre des éléments importants présentés, notamment, dans les chapitres 7 et 8 de cette thèse.

Au Togo, lorsqu’un couple décide de se marier, une dot est demandée à l’homme par la famille de la future mariée. Celle-ci est constituée d’une somme d’argent, de liqueurs, parfois d’éléments de cuisine, mais aussi de tissus-pagne et de tout un ensemble d’accessoires visant à ce que la jeune épouse soit en mesure de bien présenter dans la société une fois mariée en portant des tenues complètes et de qualité : bijoux, chaussures, sacs, foulards pour nouer autour de la tête. Concernant le nombre (qui sera compté en demi-pièces) et la qualité des tissus-pagne qui sont demandés par la famille de la fiancée, on constate des différences selon la région d’origine de cette famille, reflet du degré d’importance accordée à cette étoffe18. Comme cela sera développé dans

17 La nécessité dont il est question ici prendra tout son sens à la lecture de la section III de la présente

thèse, plus particulièrement pour le chapitre 7.

18 Cette question de l’importance et de la place du tissu-pagne dans la société togolaise, et plus

particulièrement à Lomé, sera développée dans le chapitre 5 de la présente thèse. Le « pagne », à la fois objet textile (objet-pagne) et unité de

mesure (unité-pagne)

Le pagne comme objet textile (objet-pagne)

(24)

la contextualisation de la présente recherche19, le commerce des tissus-pagne a débuté et s’est développé dans le sud du pays, principalement entre Lomé et Aného (ville située en bord de mer, à la frontière avec le Bénin20). De ce fait, c’est tout particulièrement dans cette zone géographique, essentiellement peuplée par les ethnies éwé et mina21, que ce textile s’est profondément ancré et occupe aujourd’hui une place centrale au sein de la culture matérielle de ces groupes.

Cependant, Lomé est une capitale cosmopolite et son organisation spatiale quant à la répartition de groupes ethniques qui la constituent pourrait s’apparenter à une représentation miniature de ce que l’on trouve à l’échelle nationale. Ainsi, les groupes issus du nord se sont installés au nord de la ville, ceux de l’ouest, à l’ouest, etc. D’une façon générale, la logique locale veut que l’on s’installe au plus près de la route permettant de rejoindre sa région, voire son village, d’origine. Malgré cette division spatiale, il s’avère que les usages faits du tissu-pagne de façon globale se sont homogénéisés au fil du temps, faisant de Lomé le laboratoire idéal pour l’étude qui nous intéresse ici. Les pratiques entourant la constitution de la dot ne font ici pas exception, les principaux points sur lesquels on peut constater des variations sont, comme précisé

19 Voir chapitre 2. 20 Voir carte 2 ci-avant.

21 Voir carte 3. Les ethnies majoritaires sont les groupes Éwé-Mina (Guin) (18,6% de la population

totale), Kabyè (13,9% de la population totale) et Moba-Gourma (13,5% de la population totale) (DGSCN 2014 : 83-84).

Source : Damome (2005 : 388)

(25)

plus haut, le nombre de demi-pièces demandées ainsi que leur catégorie de qualité22. Ainsi, dans la mesure où chaque cas est différent, je prendrai ici un exemple général afin de pouvoir expliquer et illustrer la constitution d’une dot quant à ses critères. Il peut donc être demandé au futur marié d’apporter, par exemple, six demi-pièces de catégorie supérieure, deux demi-pièces de catégorie intermédiaire et deux demi-pièces de catégorie inférieure. Bien que, encore une fois, le nombre de demi-pièces de chaque catégorie puisse varier, les trois types de qualité restent toujours présents23. Concernant la sélection des demi-pièces présentes dans la dot, et bien qu’il revienne au futur époux (plus précisément à sa famille) de remettre celle-ci à sa belle-famille, celui-ci peut se rendre lui-même au marché, mais, dans la majorité des cas, cette tâche incombe à la fiancée (à qui son conjoint a remis l’argent nécessaire). Dans l’un ou l’autre des cas, une femme plus âgée sert toujours d’accompagnatrice et de conseillère à cette occasion24. Une fois la dot constituée, les aînés des deux familles se rencontrent pour présenter son contenu qui est évalué par la famille de la fiancée, les femmes se concentrant sur l’examen des tissus-pagne et des accessoires qui les accompagnent. Ce n’est qu’une fois la dot validée, et les tissus-pagne constituent l’un des principaux critères pour cela, que le futur époux vient finalement se présenter à sa belle-famille. On comprend donc dans quelle mesure ce textile occupe une place importante dans cette pratique locale et l’intérêt d’en étudier les usages en considérant la valeur socio-symbolique qui lui est socialement attribuée.

Avant de conclure cette introduction, et dans la mesure où j’ai ici évoqué la question ethnique en lien avec le tissu-pagne, il est un point que je souhaiterais éclaircir dès à présent. Du fait de l’homogénéisation des pratiques entourant cet objet textile dans la ville de Lomé, terrain de ma recherche, aucune réelle distinction ethnique ne sera soulignée dans cette thèse. En effet, bien que j’ai déjà souligné que certaines petites nuances pouvant exister quant aux usages qui peuvent en être faits, les bases de la

22 Il est à noter que l’on distingue aujourd’hui trois catégories générales, soit les tissus-pagne de catégorie

supérieure, intermédiaire et inférieure. Ces éléments, ainsi que la terminologie qui sera employée dans le cadre de cette recherche, seront développés dans la section I. De même, plus une ethnie accordera d’importance à cette étoffe, plus le nombre de demi-pièces de grande qualité demandé par la famille de la fiancée est susceptible d’augmenter.

23 Ce point sera expliqué dans le chapitre 7.

(26)

culture matérielle locale restent identiques25. De ce fait, je ne risque pas de tomber dans le piège du « paradigme ethnique » (Ravenhill 1996, cité par Bondaz 2014 :95) souvent attribué à l’étude des cultures matérielles, notamment dans le domaine de la muséologie où le piège d’une « équivalence entre le style des objets exposés et le groupe ethnique de leurs producteurs et utilisateurs » (Bondaz 2014 : 95) tendaient à être systématiquement mis en avant malgré les dénonciations anciennes des historiens de l’art tel Kasfir (1984). Bien évidemment, il serait possible de me rétorquer que cet écueil ne concerne que les disciplines n’étant pas centrées sur l’étude des objets en action. Or, je considère qu’il n’en est rien. En effet, je prendrai ici la suite aux propos de Jean-Paul Colleyn qui soulignait, en 2009, que : « [P]endant des dizaines d’années, l’amalgame « une race-une langue-une religion-un art » a été le postulat princeps de l’ethnologie africaniste. L’inanité de cette entreprise a été maintes fois démontrée, mais il s’en faut de beaucoup pour que ses effets seconds soient entièrement dissipés » (2009 : 734). De mon point de vue, cette situation, et surtout cet écueil du raccourci entre ethnie et art, peut tout à fait s’appliquer à l’ensemble de la culture matérielle. On pourrait ainsi dire qu’il est essentiel, pour réellement comprendre la matérialité d’une société, de ne pas tomber dans le piège classique de l’amalgame entre ethnie et culture matérielle. Cette thèse étant positionnée dans le domaine de l’anthropologie de la matérialité, et plus précisément dans le courant visant à mettre en exergue l’existence d’une vie sociale des objets à travers les relations étroites que les individus entretiennent avec eux, cet écueil du paradigme ethnique, tendant à figer les objets dans l’espace et le temps, s’avère d’autant plus important à éviter ici.

En regard des éléments présentés dans le cadre de cette introduction générale, il est d’ores et déjà aisé de saisir la pertinence d’une étude centrée sur le tissu-pagne, objet appartenant à la culture matérielle du Togo, et notamment de sa capitale Lomé, et plus particulièrement sur les usages qui en sont faits. Dans le but de fournir un apport théorique et ethnographique sur la question, l’objectif est ici de saisir les dynamiques d’influence réciproque entre les usages que les Loméens font du tissu-pagne et la valeur socio-symbolique qui lui est accordée dans cette société, le tout illustré par les multiples itinéraires de vie possibles de ce textile. Profondément ancrée dans la vie quotidienne de

25 Nous verrons notamment que l’appartenance ethnique, bien que notée systématiquement dans le profil

de chacun de mes interlocuteurs (voir annexe 7), n’a pas été prise en compte lors de la construction de mon échantillonnage (voir section II, chapitre 3).

(27)

Lomé, notamment du fait de sa grande historicité26, cette étoffe jouit d’une place de choix au sein de la culture matérielle locale et joue un rôle significatif dans les dynamiques socio-relationnelles en cours. Afin d’appréhender au mieux ce sujet et de pouvoir répondre à mon objectif, la présente thèse sera organisée de la manière suivante : dans un premier temps, une contextualisation sera effectuée par rapport au tissu-pagne, ses origines, ses modes de fabrication ainsi que ses liens historiques avec le Togo et, tout particulièrement, la ville de Lomé. Par la suite, je présenterai le cadre théorique ainsi que les démarches méthodologiques qui ont été mises en place dans le but de répondre au mieux aux objectifs de la présente recherche. Suivra ensuite une section consacrée plus directement à l’analyse de mes données de terrain qui seront progressivement ancrées au cœur de mon cadre théorique. Pour ce faire, je commencerai par établir le haut degré de valeur socio-symbolique qui est socialement attribuée au tissu-pagne en comparaison à l’ensemble des objets textiles présents dans la culture matérielle locale, ainsi qu’en considérant ses propres spécificités d’usage. Viendra ensuite un développement quant aux logiques de transfert entre cette valeur et celle accordée à ses usagers par la société à travers les usages qui sont faits du tissu-pagne. Cet aspect sera, par la suite, approfondi en regard des spécificités entourant la relation particulière que la femme entretient avec cette étoffe. Pour finir, je poursuivrai mon analyse toujours plus en profondeur en démontrant les mécanismes à l’œuvre dans une situation de transformation de la nature de la valeur socio-symbolique attribuée au tissu-pagne et de leur implication quant aux usages qui en sont faits et à son itinéraire de vie local. Un retour général à la théorie sera enfin effectué dans le cadre de la conclusion de cette thèse.

(28)

SECTION I – LE TISSU-PAGNE, DES ORIGINES À NOS JOURS

Afin d’assurer des bases solides à la réflexion que je me propose de développer dans cette thèse, il est avant tout essentiel de situer précisément l’objet de mes propos, soit le tissu-pagne, et plus spécifiquement les dynamiques d’influence existant entre la valeur socio-symbolique qui lui est attribuée à Lomé et les usages qui en sont faits. Pour cela, la présente section consistera donc en une contextualisation selon deux angles d’approche : technique et historique. Ainsi, je commencerai en situant le tissu-pagne au sein des techniques d’impression textile de façon générale, et par rapport aux origines de celles qui le concernent plus précisément. Par la suite, je retracerai l’histoire des tissus de coton en Afrique de l’Ouest et leur place au sein des sociétés concernées, pour contextualiser de façon solide l’arrivée de cette étoffe particulière au Togo, et plus particulièrement à Lomé. L’objectif visé consiste à offrir un cadre clair et précis des réalités actuelles dans lesquelles s’ancre la présente recherche, mais également de démontrer la pertinence d’une étude des usages du tissu-pagne au sein de la capitale togolaise.

(29)

Chapitre 1 – Qu’est-ce que le tissu-pagne ? Aspects techniques

Afin de commencer cette contextualisation sur les meilleures bases possibles, il faut avant tout définir de façon plus approfondie l’objet spécifique de mon étude, soit le tissu-pagne. De quoi s’agit-il exactement ? Quelle est sa spécificité matérielle par rapport aux autres objets textiles de par le monde ? Dans le but de répondre au mieux à ces questions, il s’agira, dans cette première partie, de décrire et d’expliciter les principaux aspects techniques concernant le tissu-pagne, qu’il s’agisse de sa nature matérielle ou de sa fabrication, le tout en considérant à la fois les données théoriques et les informations émiques issues de mon terrain de recherche27.

1.1. Une histoire courte de l’impression textile

Bien que l’ouvrage de Clarke date de 1974, sa nature de manuel pratique consacré aux techniques d’impression des textiles offre une bonne idée de base concernant la fabrication de tissu-pagne, tout en gardant à l’esprit les évolutions technologiques depuis cette époque. De façon générale, l’impression des textiles a connu trois grandes phases de développement dans l’Histoire. À l’origine, la technique d’impression revenait à peindre et/ou à teindre directement l’étoffe à la main. Par la suite, on développa plusieurs techniques d’impression par la création d’outils permettant d’appliquer la teinture sur le tissu, une couleur à la fois. C’est notamment le cas de l’outil appelé hand-block qui, comme son nom l’indique, correspond à un bloc, le plus souvent en bois (certains peuvent être en métal selon le rendu visuel souhaité28), muni d’une poignée, permettant ainsi sa manipulation manuelle. La partie prévue pour entrer en contact avec l’étoffe est gravée d’un motif spécifique selon le design final voulu29. Le principe de base est simple et fait directement écho à la technique du tampon. Une fois la cire teintée appliquée sur le bloc, il s’agit d’imprimer le motif sur l’étoffe, soit sur des zones spécifiques du tissu, soit en série sur la totalité de la surface textile. Pour cette dernière option, il est donc essentiel que la forme gravée sur le bloc permette une

27 Nous verrons, en effet, dans cette section, que les catégories émiques du tissu-pagne dépassent les

considérations théoriques faisant habituellement du terme wax un synonyme de notre objet textile. Il est tout de même à noter que cette appellation de wax comprend, même par rapport aux catégories émiques du Togo, la plus grande partie des tissus-pagne.

28 L’usage de blocs de métal permet, en effet, d’appliquer une couche de cire plus épaisse, intensifiant

ainsi certaines zones ciblées du dessin (voir Clarke 1974 : 31).

(30)

reproduction uniforme d’un seul et même motif30. Sachant que cette opération s’effectue manuellement et que la taille du bloc est limitée, ne pouvant être trop étendue sinon l’outil serait trop lourd pour être manipulé sur une longue période sans fatigue, cette technique d’impression est longue et fastidieuse. De plus, si le modèle final nécessite l’application de plusieurs couleurs, un bloc séparé est requis pour chacune d’elles, l’imprimeur devant ainsi répéter l’application sur la totalité de l’étoffe autant de fois qu’il y a de couleurs31.

30 Voir illustration 5. 31 Voir illustration 5.

Illutration 5 : Impression hand-block

Source : https://www.pinterest.ca/pin/551479916864262029/

Matériel hand-block

Impression en série

(31)

C’est en s’inspirant de cette technique du hand-block que la troisième phase de développement technique apparaît. Suivant la volonté d’augmenter la taille des blocs afin de permettre une impression de l’étoffe sur toute sa largeur, tout en ayant la possibilité de répéter le modèle sur sa longueur, différentes formes de mécanisation vont apparaître. L’impression par blocs de presse plats voit alors le jour (inspiration directe de la première machine de Gutenberg destinée à l’impression de livres)32, inspirant, à son tour, le développement de machines rotatives constituées de rouleaux cylindriques (en métal, bois ou, plus récemment, en polyuréthane), eux aussi gravés33.

C’est tout particulièrement cette dernière forme de mécanisation qui sera adoptée par l’industrie textile et qui évoluera avec le temps vers le « duplex printing » (Clarke 1974 : 28 ; Picton 1999 : 25), soit la possibilité d’imprimer de façon simultanée les deux côtés de l’étoffe. À l’heure actuelle, malgré quelques modifications techniques au fil du temps, c’est encore cette technique à mouvement rotatif qui occupe le devant de la scène de l’impression textile.

32 Voir illustration 6. 33 Voir illustration 6.

(32)

Illustration 6 : Machines à impression

Source : https://www.etsy.com/ca-fr/listing/153797109/vintage-lino-linoleum-bloc-impression

Source : https://www.alibaba.com/product-detail/Rotary-Screen-Printing-Machine_11763747.html

Source : https://textileaddict.me/impression-au-cadre-la-gravure-des-cadres/

Machine à impression par plaque

Cylindres gravés Machine rotative

(Chaque cylindre imprime une couleur liée à une partie du motif)

(33)

1.2. La fabrication du tissu-pagne

Il est reconnu que la technique utilisée pour la fabrication du tissu-pagne a pour ancêtre celle du batik javanais (Clarke 1974 ; Cordonnier 1987 ; Nielsen 1979 ; Picton 1999). C’est pourquoi il apparaît nécessaire d’effectuer un rapide détour vers les pratiques de confection de ce dernier afin de fournir les informations les plus claires et complètes possible. En effet, comment un savoir-faire textile est parti d’Indonésie pour arriver sur les côtes ouest-africaines ? Cette question sera développée par la suite34. Pour l’instant, commençons par nous intéresser à son mode de fabrication, toujours dans le but de définir au mieux cet objet textile.

1.2.1. Retour vers ses origines de fabrication

« Batik » est un mot indonésien décrivant une forme d’impression textile particulièrement résistante. Cette technique est, depuis longtemps, reconnue comme étant un savoir-faire inégalé de l’île de Java. À l’origine détenu par les jeunes filles de la noblesse javanaise, son principal usage consistait en la confection de sarongs, tenue traditionnelle de l’île.

34 Voir chapitre 2.

Source : httpwww.axl.cefan.ulaval.caasieindonesie-1_langues.htm Carte 4 : Indonésie et position de l’île de Java

(34)

Son processus de fabrication demandait patience et précision puisque, pour un seul sarong, plusieurs mois de travail étaient nécessaires. Aujourd’hui, la production de batik javanais a été mécanisée, mais certaines étapes de son impression se font parfois encore à la main pour plus de précision et un produit final de meilleure qualité. Sa principale caractéristique revient à l’application de cire (wax en anglais) des deux côtés du tissu. Une fois la cire déposée sur les zones devant être protégées, l’étoffe est teinte, la coloration ne prenant donc que sur les zones non recouvertes de cire. Celle-ci est ensuite ôtée à l’aide d’eau bouillante, puis le tissu est lavé et séché. Le premier cycle d’impression est achevé. L’opération est ensuite répétée selon le nombre de couleurs et l’intensité souhaités, les zones enduites de cire variant selon les besoins du motif (Clarke 1974 : 213-214). C’est donc en s’inspirant de cette technique particulière, appelée « duplex printing » (Clarke 1974 : 28 ; Picton 1999 : 25), que sont confectionnés les tissus-pagne présents en Afrique de l’ouest. C’est également de là que vient leur appellation anglaise de « West African Wax Prints » (Clark 1974 : 228), couramment raccourcie en wax (Nielsen 1979 ; Picton 1999)35. Ce processus d’impression sera plus amplement développé ci-après concernant la fabrication du tissu-pagne.

35 Comme cela a déjà été précisé, nous verrons par la suite que l’usage de ce terme, wax, porte parfois à

confusion concernant le tissu-pagne.

Illustration 7 : Femmes javanaises portant le sarong traditionnel

(35)

1.2.2. Deux processus de fabrication

À l’heure actuelle, la principale différence technique existant entre le batik javanais et le tissu-pagne, au-delà des considérations esthétiques telles que les motifs, revient à la taille de l’étoffe imprimée. En effet, alors que celle-ci est déjà coupée de façon à former un sarong en Indonésie, le coton qui constitue la base du tissu-pagne est, quant à lui, imprimé en rouleau continu pour ensuite être découpé selon des critères de mesure bien

Illustration 8 : Sarong du Nord de l’île de Java (1900-1910) – Cincinnati Art Museum

Source : httpswww.quiltofbelonging.cafrblocksindonesie

Source : httpswww.quiltofbelonging.cafrblocksindonesie Illsutration 9 : Sarong de femme à draper à la taille

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spécifiques, soit 1,10 mètre de largeur sur environ 1,63 mètre de longueur36. Je préciserai ici que le tissu-pagne arrive chez les grossistes par lots de plusieurs pièces prédécoupées (plusieurs fois six pagne) ; pour acheter ½ pièce, soit 3 unités-pagne, il faut se rendre chez les détaillant(e)s (boutiques, échoppes, étals ou commerçant(e)s ambulant(e)s).

Voyons maintenant plus en profondeur le processus d’impression spécifique au tissu-pagne. Via l’utilisation d’une machine rotative équipée de plusieurs duos de cylindres37, la principale technique utilisée est donc celle appelée « duplex printing » (Clarke 1974 : 28 ; Picton 1999 : 25). L’objectif consiste ici à imprimer l’étoffe sur ses deux côtés de façon à ce que les motifs correspondent parfaitement. Globalement, les différentes étapes sont les mêmes que celles présentées ci-dessus concernant la technique du

hand-block. Pour commencer, le textile est passé une première fois dans la machine afin

d’imprimer les contours du dessin. Une fois la couche de cire sèche, elle est craquelée et l’étoffe ensuite teinte à l’indigo (de façon plus ou moins accentuée selon l’effet désiré) qui ne s’imprègne que dans les zones non recouvertes de cire, créant ainsi un effet de

36 Voir figure 1 en introduction générale. Je rappelle ici que les mesure 1,10 m (environ 3,6 pieds) sur

1,63 m (environ 5,4 pieds) équivalent à ce que j’appelle 1 unité-pagne (il en fait 6 pour constituer 1 pièce).

37 Voir illustration 6 du point 1.1.

Illustration 10 : « Tissu-pagne » vendu par les revendeuses, correspondant à ½ pièce maximum, soit 3 unités-pagne.

(37)

veinage38. Plusieurs méthodes peuvent être utilisées pour obtenir les craquelures initiales nécessaires ; l’une d’elles consiste à amasser l’étoffe dans un bain d’eau froide et à la presser grâce à un rouleau. Ce n’est qu’après cette étape de veinage complétée que la résine, ou cire, est ôtée et que des couleurs supplémentaires sont ajoutées pour constituer le dessin final. Cet ajout de couleurs peut se faire, soit par l’utilisation de

hand-block, soit en ayant recours à des cylindres rotatifs gravés. Concrètement, chaque

duo de cylindres est consacré à une couleur spécifique, imprimée par forte pression de cire colorante. Pour ce faire, ces rouleaux sont constitués de telle façon que la cire peut être conservée chaude (Nielsen 1979 ; Picton 1999). Ce n’est qu’une fois cette étape terminée que la cire est retirée et le tissu lavé et séché. Dans la littérature anglophone consacrée à la question, c’est ce que l’on appelle couramment les « wax prints » (Nielsen 1979 : 468 ; Picton 1999 : 24).

L’une des principales différences de la seconde technique d’impression possible consiste à ce que l’étoffe de coton ne soit imprimée que d’un seul côté, mais toujours à l’aide d’écrans rotatifs montés en rouleaux. On parle alors non plus de « duplex

printing » (Clarke 1974 : 28 ; Picton 1999 : 25), mais de « roller print[ing] » (Nielsen

38 Voir illustration 11 ci-après. Il est à noter que les effets de veinage indigo sont particulièrement prisés

et valorisé en Afrique de l’Ouest alors que, pour le batik javanais, ils sont à éviter car non appréciés de la clientèle.

(38)

1979 : 468). Les tissus obtenus via cette technique sont appelés « fancies prints » (Nielsen 1979 : 468 ; Picton 1999 : 24). Il est également important de préciser que cette forme d’impression n’utilise pas de cire. Sur ce point, Picton (1999) parle, à juste titre, de « factory-printed textiles » (1999 : 24). Ruth Nielsen met tout particulièrement l’accent sur cet aspect technique en parlant même de « non wax prints » (1979 : 468). Ici, une question émerge : dans la mesure où la littérature anglophone, mais également, comme je l’ai déjà souligné dans l’introduction du présent travail, un certain nombre de pays d’Afrique de l’Ouest semblent utiliser le terme générique de « wax » pour parler de ce que, de mon côté, je nomme « tissu-pagne », et considérant que l’impression des « fancies prints » ne nécessite pas de cire, peuvent-ils être considérés comme faisant partie intégrante de mon objet d’étude ? Le tissu-pagne ne regrouperait-il que les textiles appartenant à la catégorie de « wax prints » ? La réponse à cette question se révèle en faisant appel à la terminologie émique.

1.3. Quelques possibles ambiguïtés terminologiques

Jusqu’à maintenant, j’ai parlé du tissu-pagne en tentant de clarifier sa nature du point de vue de sa technique de fabrication, ainsi que de certaines de ses caractéristiques matérielles. Nous allons voir ici que ces critères ne sont pas suffisants pour obtenir une définition précise de ce dont il s’agit. La présente section sera donc consacrée à la spécification de mes choix terminologiques en considérant quelques possibles quiproquos linguistiques et en tentant de les clarifier.

1.3.1. Les spécificités du français et de l’anglais

Il a déjà été souligné en introduction que le fait de parler DE pagne ou d’UN pagne ne recouvrait pas la même signification dans la langue française ; le premier qualifiant un textile spécifique, le second désignant à la fois une unité métrique et un objet textile particulier. C’est dans le but de clarifier cet aspect lexical que j’ai ici choisi d’avoir recours aux termes de « tissu-pagne » pour parler du produit textile, de l’« objet-pagne » pour qualifier l’objet en tant que tel, et d’« unité-pagne » lorsqu’il est question de la mesure métrique.

Or, cette possible équivoque ne se retrouve pas uniquement en français. En effet, dans la littérature anglophone consacrée à ce sujet, il s’avère que la tendance à utiliser le terme générique de « wax », que l’on retrouve également dans des appellations telles que

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« wax print » ou « wax fabric », conduit certains auteurs à donner l’impression qu’ils ne parlent que des textiles imprimés via l’usage de cire alors que, en lisant attentivement leurs propos, on se rend rapidement compte qu’ils étudient en réalité aussi bien ces derniers que les « fancies prints ». C’est le cas, notamment, de l’article de Nina Sylvanus, The fabric of Africanity, de 2007. Au-delà des motifs souvent identiques, certains parlent alors de reproduction du « wax authentique »39 (Picton 1999 ; Sylvanus 2007), cette catégorie textile rentrant ainsi parfaitement dans la définition globale adoptée ici, soit la considération du tissu-pagne comme un item spécifique appartenant à la catégorie textile des étoffes de coton imprimé produit en Europe et exclusivement destiné aux marchés d’Afrique de l’Ouest et Centrale. Partant de ce constat, le tissu-pagne serait alors partie intégrante des deux types de produits textiles concernés par cette dynamique commerciale, soit les wax prints (ou wax batiks) et les fancy prints (ou

roller prints) (Nielsen 1979 ; Picton 1999).

Mais au-delà de ces considérations, le principal élément permettant d’affirmer, dans le cadre de cette recherche, que wax prints et fancies prints constituent tous les deux du tissu-pagne se trouve du côté du langage émique des Togolais. En effet, de leur point de vue, le critère technique considéré par les auteurs ne constitue pas, en soi, un moyen de désigner ce qui est, ou non, du tissu-pagne, mais servirait plutôt à classifier les différentes qualités de ce dernier40.

1.3.2. Faire appel à la terminologie émique

Afin d’améliorer encore le degré de clarté, c’est, en effet, à la terminologique émique qu’il revient de faire appel. En langue éwé-mina41, le terme « avↄ » désigne les pagnes (en tant qu’objet textile) de façon générale, qu’il s’agisse de ceux dont il est question dans cette recherche, soit les tissus de coton imprimés, mais aussi des étoffes tissées plus traditionnelles comme les lokpos, par exemple42. Par comparaison, ce qui est nommé « avↄvi » correspond à toutes les autres sortes de produits textiles n’appartenant ni à la catégorie précédente, ni aux autres types de tissus locaux43. Je les qualifierai ici

39 Cette question de l’authenticité mériterait de faire l’objet d’une recherche en tant que telle et ne sera

donc pas approfondie dans cette thèse.

40 Cette question sera approfondie dans le chapitre 2.

41 Langue majoritaire du Sud du Togo. Elle constitue un mélange des langues éwé et mina. 42 Voir illustration 12 ci-dessous.

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de tissus « occidentaux » du fait de leur localisation traditionnelle d’usage et donc de leur culture matérielle d’appartenance. Si l’on part du principe que le terme « avↄ » désigne l’objet textile, l’ajout du suffixe « vi », c’est-à-dire « petit », permet de comprendre que, du point de vue des Togolais, tous les textiles autres que ceux précédemment cités sont considérés comme de « petits pagnes » ou, plus généralement, de « petits tissus », soit des textiles de moindre importance. Cette appellation reflète ainsi clairement la position que les Togolais leur accordent au sein de leur culture matérielle44. Mais cette distinction entre avↄ et avↄvi n’est clairement pas suffisante pour nous aider à définir au mieux le tissu-pagne dont il est question ici. En allant plus loin, il est donc possible de trouver un terme éwé correspondant exactement à ce que l’on cherche, celui de « nyonuvↄ ». Littéralement, il signifie « pagne de la femme » (nyonu signifiant femme ; avↄ équivalant à pagne) et désigne cette étoffe de coton imprimé, utilisé par tous, sans distinction de sexe (malgré son appellation)45, que j’appelle tissu-pagne. Ainsi, pour résumer, lorsque je parlerai, tout au long de ce travail, de tissu-pagne, je désignerai donc ce qui est appelé nyonuvↄ en éwé. Ma décision d’utiliser un terme français et non éwé relève simplement d’un souci de clarté et de simplicité quant à la terminologie utilisée pour les non-initiés à la langue éwé. Une dernière précision doit cependant être ajoutée ici. Comme je l’ai souligné précédemment, on différencie le tissu-pagne de l’objet-pagne. Cela se reflète également en langue éwé car, bien que le tissu-pagne corresponde au terme nyonuvↄ, le pagne en tant qu’objet est, quant à lui, désigné par le mot avↄ. Ainsi, de la même manière qu’il serait logique de dire en français que l’objet-pagne est constitué de tissu-pagne, en éwé le avↄ est constitué de nyonuvↄ.

44 Cette question de l’importance accordée au tissu-pagne par rapport aux autres textiles utilisés

localement sera approfondie dans le chapitre 5, section III, de cette thèse.

45 L’importance de cette appellation très spécifique en lien avec la femme sera questionnée et approfondie

(41)

Poursuivant avec cette réflexion quant à la terminologie la plus adéquate et le recours aux idiomes endogènes, j’évoquerai ici un point qui sera plus particulièrement développé dans le chapitre suivant de la présente recherche46 et qui concerne les différentes catégories de tissu-pagne en regard de leur qualité matérielle. Ainsi, il existe trois catégories émiques : tsiganvↄ, tsigan védomé et tsivivↄ47. Une explication linguistique suffit, pour l’instant, à saisir la signification globale de ces idiomes. Ainsi, en langue éwé-mina, « tsiganvↄ » est constitué du mot « tsi », qui signifie « la richesse » (surtout d’un point de vue économique), auquel on associe le suffixe « gan », pouvant être traduit par « grand(e) », puis le mot « avↄ » sous sa forme contractée « vↄ », signifiant, comme cela a déjà été précisé, « pagne ». De ce fait, on comprend aisément que ce terme regroupe les tissus-pagne considérés comme étant de qualité supérieure (et donc plus chers). Vient ensuite le « tsigan védomé » qui retrouve le même idiome de base que pour la catégorie précédente, « tsigan », auquel est ajouté « védomé », traduisible par « intermédiaire ». Il s’agit donc ici des tissus-pagne présentant un degré intermédiaire de qualité48. Pour finir, on trouve le « tsivivↄ » reprenant le même radical « tsi » (« richesse ») auquel est accolé le suffixe « vi », se traduisant par « petit(e) »,

46 Voir chapitre 2.

47 La lettre « ↄ » se prononçant en « o » ouvert, comme dans le mot français « pomme ».

48 Cette catégorie est relativement récente et fait directement écho à l’arrivée, sur la scène économique,

des tissus-pagne de confection chinoise. Pour plus de précisions, voir le chapitre 2.

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