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Exploration de la notion de rituel au sein d'une pratique conçue comme laboratoire performatif et sculptural

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Academic year: 2021

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UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL

EXPLORATION DE LA NOTION DE RITUEL AU SEIN D'UNE PRATIQUE CONÇUE COMME LABORATOIRE PERFORMATIF ET SCULPTURAL

MÉMOIRE-CRÉATION PRÉSENTÉ

COMME EXIGENCE PARTIELLE

DE LA MAÎTRISE EN ARTS VISUELS ET MÉDIATIQUES

PAR

SÉBASTIEN GANDY

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Service des bibliothèques

Avertissement

La diffusion de ce mémoire se fait dans le respect des droits de son auteur, qui a signé le formulaire Autorisation de reproduire et de diffuser un travail de recherche de cycles supérieurs (SDU-522 - Rév.07-2011 ). Cette autorisation stipule que «conformément à l'article 11 du Règlement no 8 des études de cycles supérieurs, [l'auteur] concède à l'Université du Québec à Montréal une licence non exclusive d'utilisation et de publication de la totalité ou d'une partie importante de [son] travail de recherche pour des fins pédagogiques et non commerciales. Plus précisément, [l'auteur] autorise l'Université du Québec à Montréal à reproduire, diffuser, prêter, distribuer ou vendre des copies de [son] travail de recherche à des fins non commerciales sur quelque support que ce soit, y compris l'Internet. Cette licence et cette autorisation n'entraînent pas une renonciation de [la] part [de l'auteur] à [ses] droits moraux ni à [ses] droits de propriété intellectuelle. Sauf entente contraire, (l'auteur] conserve la liberté de diffuser et de commercialiser ou non ce travail dont [il] possède un exemplaire.»

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REMERCIEMENTS

Je tiens avant tout à remercier mon père qui m'a transmis sa curiosité sans fin, ma mère pour ses valeurs envers la justice sociale et mon frère qui m'a toujours encouragé à poursuivre mes rêves. Un merci particulier à mon directeur de recherche, Stéphane Gilot, qui a su m'aiguiller tout en me laissant l'espace dont j'avais besoin pour m'émanciper dans mon parcours artistique. Lors de mon cheminement à la maîtrise, je me suis permis de faire des faux pas, de prendre des risques, d'échouer, et c'est précisément grâce à cette liberté que j'ai pu raffiner mon propos. Mon univers artistique se nourrit de rencontres et de partages, voilà pourquoi je remercie très chaleureusement chacune des personnes croisées sur mon chemin.

Finalement, je tiens à remercier Léa mon soleil qui m'écoute, me comprend et me conseille depuis le début de cette aventure. L'amour que tu me portes fait vibrer mon corps et stimule mon imaginaire.

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LISTE DES FIGURES ...

···V

RÉSUMÉ ... vii

INTRODUCTION ... 1

CHAPITRE I - EXPLORA TI ONS PERFORMATIVE/ RITUALISA TION DU GESTE ... 5

1.1 Découverte de l'espace public ... 5

1.1.1 Confrontation inattendue avec le public ... 6

1.1.2 Conceptualisation de l'œuvre Le bousier ... 9

1.1.3 Redéfinition de ma pratique ... 12

1.2 Explorer l'espace social. ... 13

1.2.1 La marche, ritualisation du geste ... 14

1.2.2 Espace social/ espace politique ... 16

CHAPITRE II - CÉRÉMONIE DE THÉ QUÉBÉCOISE : PREMIÈRE UTILISATION CONSCIENTE DU CONCEPT DE RITUEL DANS UN PROJET PERFORMATIF ... 18

2.1 Cérémonie de thé québécoise ... 18

2.1.1 Recherche sur le thé et ses rituels ... 19

2.1.2 Élaboration de la cérémonie québécoise ... .21

2.2 Implantation du salon de thé portatif à Montréal ... 23

2.2.1 Déroulement des trois cérémonies ... 25 2.2.2 Développement de stratégies pour présenter l' œuvre dans une

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IV CHAPITRE III - CRÉATION DU MATÉRIEL PERFORMATIF ET CÉRÉMONIES

COLLECTIVE ... 30

3 .1 Matériel performatif ... 30

3.1.1 Objets transformés/ Objets mémoire ... .32

3.1.2 Création d'habits performatifs ... 34

3.2 Élaboration de cérémonies collectives ... 38

3.2.1 Première cérémonie collective ... .39

3.2.2 Cérémonie collective au Parc La Fontaine ... .42

3.2.3 Performance à Axnéo 7 et présentation finale ... .46

CONCLUSION ... 52

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Figure Page

Figure 1 - La nature reprend le dessus ... 8 Installation sculpturale, Métro Crémazie, Montréal, 2014. Crédit photographique: Marianne Saint-Pierre. Photo d'une rencontre inattendue avec une femme dans le métro.

Figure 2 - Le bousier ... : ... 11 Intervention performative, Square Victoria, Occupy Montréal, Montréal, 2011. Crédit photographique : Marianne Saint-Pierre. Photo témoignant de la rencontre avec un activiste du mouvement Occupy Montréal.

Figure 3 - Cérémonie de thé québécoise ... 22 Installation et performance, Métro Mont-Royal, Montréal, 2013. Crédit photographique : Martin Ouellette. Photo du matériel de cérémonie.

Figure 4- Cérémonie de thé québécoise ... 24 Crédit photographique : Martin Ouellette. Photo de la première cérémonie de thé québécoise.

Figure 5 - Cérémonie de thé québécoise ... 27 Installation et performance, Vieux-Port de Montréal, Montréal, 2013. Crédit photographique : Martin Ouellette. Photo de la cérémonie de thé.

Figure 6 - Cérémonie de thé québécoise ... '. ... 29 Installation et performance, Sainte-Brigide de Kildare, Montréal, 2013. Crédit photographique: Martin Ouellette. Photo de l'installation lors de l'exposition Architecture des possibles.

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vi

Figure 7 -Retour vers le futur québécois ... 32 Exploration du sensible, Montréal, Rimouski, Trois-Pistoles, 2016. Crédit photographique: Fanny Latreille. Photo prise lors d'une performance à Rimouski.

Figure 8 - Objet rituel ... 34 Bol en céramique, Montréal, 2017. Crédit photographique : Sébastien Gandy. Photo d'un bol cérémoniel prise dans mon atelier.

Figure 9 - Prêtre/ Priest ... 36 Costumes réalisé par Alfred Pellan, Montréal, 1968. Crédit photographique: Centre d'exposition Lethbridge. Photo tirée de la publication Pellan & Shakespeare. p. 70

Figure 10 - Thank you so much for the flowers ... 3 8 Installation et performance de Mike Bourscheid, Biennale de Venise, Italie, 2017. Crédit : Site web de Mike Bourscheid.

http://www.mikebourscheid.com/Thank-you-so-much-for-the-flowers

Figure 11 - Hommage à la pleine lune ... .42 Cérémonie collective, Mont-Royal, Montréal, 2017. Crédit photographique: Florence Jacob. Photo de la cérémonie dans le Cimetière Mont-Royal.

Figure 12 - Cérémonie sur le thé du Labrador ... 45 Cérémonie collective, Parc La Fontaine, Montréal, 2018. Crédit photographique: Pascal Seguel Reynolds. Photo du rituel d'habillement partagé avec les .invités.

Figure 13 - Cérémonie Rencontre du troisième type ... ... .47 Cérémonie collective, Centre d'artistes Axnéo 7, Gatineau, 2018. Crédit

photographique : Jean-Michel Quirion. Photo des deux participants lors de la cérémonie.

Figure 14 - Cérémonie Rencontre du troisième type ... 49 Cérémonie collective, Centre d'artistes Axnéo 7, Gatineau, 2018. Crédit photographique: Jean-Michel Quirion. Photo de l'installation rituelle lors de la cérémonie.

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L'élaboration du mémoire recherche-création représente un énorme processus d'autoréflexion réalisé sur trois ans. Cela comprend une analyse chronologique des différents rites de passage artistiques qui ont mené à l'aboutissement de la présente recherche. Le tout commence par la présentation de mes premiers projets exploratoires dans l'espace social. Au fil des ans, il m'a été possible d'effectuer des recherches de terrain grâce à l'implantation d'un laboratoire performatif dans la métropole montréalaise. Il est possible d'y observer l'évolution constante de mon intérêt en ce qui concerne la possibilité d'effectuer des rencontres avec un public non averti.

L'émergence de la notion de rituel dans mon processus créatif influence la façon dont les actions sont réfléchies. Les objets fabriqués et utilisés durant les interventions performatives guident les gestes qui sont posés. En dévoilant la construction des microrécits rattachés à mon parcours artistique, je souhaite partager la richesse des expériences vécues dans l'espace social. L'analyse du projet cérémonie de thé québécoise permet de saisir le profond enracinement du geste rituel dans ma pratique. De cette œuvre découle la série d'interventions actuelles qui représente un réel défi artistique. Les dernières expérimentations décrites dans ce mémoire témoignent de mon désir d'ouvrir mon univers créatif à d'autres personnes. Voilà pourquoi j'ai intégré dans ma recherche la pratique de cérémonies collectives.

Mots-clés : Interventions performatives; acteur social; pratique sculpturale; art rituel; espace public

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INTRODUCTION

Je vois les artistes comme des observateurs dotés d'une grande sensibilité leur permettant de transmettre autant la beauté que la laideur de l'univers qui les entoure. Les créateurs sont influencés par leur quotidien et leurs expériences de vie, lesquelles transparaissent dans leurs œuvres. Pour un artiste visuel, l'écriture d'un mémoire en recherche-création annonce une réflexion hors du commun quant au meilleur moyen de transmettre les connaissances acquises et l'expérience vécue à travers son parcours artistique. Le canevas du mémoire dans la recherche en art se diversifie de plus en plus, et certains artistes utilisent des formes qui font écho au contenu théorique employé. À titre d'exemple, Catherine Lescarbeau a choisi de présenter son mémoire sous la forme d'un PowerPoint. Sa pratique performative liée à la subversion et à l'infiltration institutionnelle justifie ce choix de présentation puisque ce dernier constitue en soi une critique du mode de présentation normatif d'un mémoire en recherche-création (Lescasbeau, Catherine (2015)). Cela démontre la possibilité d'employer une forme d'écriture qui s'harmonise avec le contenu théorique.

L'autoethnographie comme méthodologie de recherche me semble tout à fait à propos pour l'écriture de ce texte. Tout d'abord, l'ethnographie est une science qui étudie la culture, les mœurs et les coutumes d'un ensemble donné d'individus (Fortin, Sylvie ((2006)). Dans le champ de la recherche artistique, l'ethnographie s'intéresse plus précisément aux lieux où la pratique artistique se développe. Il peut s'agir du studio, de l'atelier, de la communauté ou même, dans mon cas, de l'espace social. Dans un essai sur l'ethnographie en art, Sylvie Fortin dénote trois types de données ethnographiques pouvant être utilisés : la saisie de la documentation prise sur le terrain même de la pratique artistique; le recours à l'entrevue pour recueillir les

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informations ciblées; «l'observation participante», stratégie permettant de s'immiscer à l'intérieur même de la pratique d'un artiste (Fortin, Sylvie (2006)). Selon moi, l'utilisation de l'autoethnographie en contexte de recherche en art représente la volonté de l'artiste d'analyser sa démarche de l'intérieur. En m'appuyant sur la documentation accumulée au cours des interventions performatives pratiquées dans l'espace public ainsi qu'en observant attentivement les traces recueillies, je compte dresser, un portait intime et juste de mon parcours.

La notion de rituel a toujours eu une importance dans ma vie, avant même de se retrouver au cœur de ma pratique. Cela a commencé dès mon plus jeune âge alors que j'assistais aux cérémonies cléricales de mon église de quartier. Les habits et les reliques utilisés par le curé comme matériel performatif religieux stimulaient au plus haut point mon imaginaire d'enfant. L'homme de foi utilisait des gestes codifiés connus et répétés par la congrégation. Depuis la Révolution tranquille, la situation sociale et politique a grandement évolué au Québec. La récente laïcisation a complètement changé nos rituels religieux et culturels. Dans ses études, le sociologue Christoph Wulf étudie l'évolution de la définition du rituel dans la culture moderne. Selon le sociologue, les rituels sont des comportements répétitifs qui nous permettent d'interagir avec d'autres individus dans notre société. La poignée de main, le salut, les baisers et les sourires en coin sont autant 4e gestes qui font office de rituels sociaux. Il énonce que le « rituel et la ritualisation prennent une importance croissante dans la situation politique actuelle marquée par les débats sur le déclin social, sur la perte des valeurs et sur la quête d'une identité culturelle» (Wulf, Christoph (2005 : p.11)).

D'où vient la création de ces comportements répétés individuellement ou collectivement en société? Selon moi, les gestes réalisés lors de mes performances représentent des rituels artistiques. Je me demande à travers mes recherches et expérimentations s'il est possible de créer de nouveaux rituels non religieux et plus

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3 inclusifs pour notre société actuelle. Est-ce qu'une pratique artistique peut favoriser la prolifération de ces nouveaux rituels? Afm de pouvoir répondre à ces questionnements, je dois d'abord analyser l'émergence de la notion de rituel dans mon univers créatif et ensuite décrire sa transition vers son utilisation consciente dans ma démarche. La forme du récit me permettra de conter l'histoire liée aux interventions performatives qui ont marqué un tournant dans mon cheminement artistique.

Le premier chapitre témoigne du moment clé de ma pratique où j'ai commencé à implanter des projets dans l'espace public. Cette exploration urbaine constitue un véritable point de rupture dans ma démarche. En puisant à même mes souvenirs et dans les traces recueillies au fil des ans, je dresse un portrait des impacts majeurs forgés par ces changements dans ma pratique. Deux installations, témoignant de mes premières tentatives de création réalisées à Montréal, sont analysées. dans cette section du mémoire. On y dénote d'ailleurs l'émergence d'une considération sociale qui vient transformer mon processus de création. La répétition du geste de la marche lors de toutes les interventions pratiquées dans l'espace social constitue la première apparition du phénomène de ritualisation. La dimension micropolitique des interventions observées dévoile un puissant désir de prendre activement part à la société. L'art devient à partir de cet instant, un moyen de communiquer et de comprendre l'univers qui m'entoure.

Le second chapitre met en lumière la première tentative consciente visant à créer de toute pièçe un rituel. Une recherche a été réalisée sur les us et coutumes liés à l'univers du thé dans différentes cultures. Cela m'a permis de créer une cérémonie à partir d'éléments provenant de notre culture. Mon regard se pose donc sur le projet

Cérémonie du thé québécoise en fractionnant les étapes qui le constituent. De cette façon, il est possible d'analyser le processus de conceptualisation, de réalisation et de diffusion de l'œuvre. Cette action performative a complètement bouleversé la

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manière dont je réfléchis mes interventions dans l'espace social. L'apparition de participant.e.s lors de la pratique de cérémonie constitue un nouveau paramètre dans mon travail. La notion de rituel a intégré ma pensée et influencé dès lors ma démarche artistique.

Le dernier chapitre aborde la création de nouvelles formes de matériaux performatifs. La fabrication de vêtements performatifs prend de l'importance dans l'élaboration de mes interventions. Certains parallèles entre ma pratique et celle d'autres artistes y sont suggérés. Dans ce chapitre, on dénote une transition dans ma démarche entre le rituel individuel et le rituel collectif. Plusieurs cérémonies collectives y sont présentées à la manière d'explorations performatives s'insérant dans le contexte de la présente recherche. La dernière partie du mémoire témoigne d'une réelle mise à l'épreuve du regard que je pose sur ma démarche. La réalisation de performances collectives annonce l'arrivée de nouveaux questionnements dans ma pratique. L'analyse de ses interventions réalisées dans différents espaces me permet de mieux saisir le désir d'inclure des participant.e.s dans mon processus de création.

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CHAPITRE!

EXPLORATIONS PERFORMATIVES I RITUALISATION DU GESTE

1.1 Découverte de l'esp~ce public

Mon désir d'exploration de l'espace public a vu le jour durant mon parcours au baccalauréat à l'UQAM. La sculpture retenait alors toute mon attention. Les projets que je concevais étaient présentés sous forme d'installations où les autres étudiant.e.s pouvaient intervenir. Je trouvais très intéressant d'offrir aux étudiant.e.s l'opportunité de manipuler les objets qui constituaient l'installation. La participation des étudiant.e.s aux projets éveillait en moi des questionnements sur les différents modes de présentations possibles d'une œuvre. En fait, j'avais envie de savoir ce qui se produirait si j'installais certains de mes projets dans l'espace public.

À cette époque, l'identité visuelle de ma pratique artistique commençait à se développer. Maintenant, lorsque je pose un regard sur l'esthétique ludique rattachée aux objets trouvés, fabriqués à la main ou trafiqués provenant de mes installations passées, j'y vois clairement l'influence du collectif d'artistes BGL. Mon imaginaire a été teinté par la propension de ces artistes à s'approprier l'espace public avec leurs installations sans demander la permission à quiconque. L'humour dont ce groupe fait preuve ainsi que la douce folie qui émane de leurs actions sans prétention ont eu raison des barrières psychologiques liées à ma vision élitiste du monde de l'art. Dans son article La subversion des origines, Isabelle Lelarge décrit l'univers de BGL:

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6 Chez· BGL (Jasmin Bilodeau, Sébastien Giguère, Nicolas Laverdière ), le spectaculaire et la communication animent les projets. Les motivations à conscience humanitaire, écologique, politique, sont teintées de questionnements sur nos habitudes de vie. On vise ce quotidien que nous ne voyons même plus tant il s'est inséré en nous (Lelarge, Isabelle (2001 : p.4-5)).

L'observation des œuvres de ce groupe d'artistes québécois avait ouvert mon esprit sur la possibilité de réfléchir l'espace public comme un laboratoire. La ville de Montréal est devenue vers la fin de mon baccalauréat un immense terrain de jeu où il m'était fréquent d'expérimenter différents concepts créatifs.

1.1.1 Confrontation inattendue avec le public.

La nature reprend le dessus est la première installation que j'ai réalisée en fonction

du contexte dans lequel elle allait être implantée. Selon Paul Ardenne, l'art contextuel rassemble 1' entièreté des pratiques qui s' émissent dans les circonstances et qui souhaitent tisser des liens avec le réel (Ardenne, Paul (2002)). Effectivement, mon intention était de sortir des lieux de présentation habituels qui s'offraient à moi, comme les salles de classe et les centres d'expositions de l'UQAM. Tout cela, afin d'investir des espaces qui correspondaient davantage à l'imaginaire de mes projets. Les sites où l'œuvre fut installée avaient été sélectionnés parce qu'ils représentaient des espaces transitoires du quotidien. L'installation fut répétée à plusieurs reprises dans différents lieux comme une station de métro, un passage piéton ainsi qu'un arrêt d'autobus. La première étape du projet consistait à récolter plusieurs branches dans les parcs de Montréal afin de les briser de façon à créer des formes humaines en mouvement. Les branches ont ensuite été positionnées au sol, une à la suite de l'autre, donnant ainsi à l'intervention une allure de petits corps ludiques en déplacement dans

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7 l'espace public. L'objectif était d'implanter des éléments inhabituels dans des lieux communs où les individus sont de passage.

L'expérience fut une révélation, car il m'a été possible d'observer pour la première fois les réactions des passant.e.s au contact de l'intervention. La dimension imprévisible, liée à la confrontation d'un public non averti avec des installations qui se déploient dans l'espace public, représente selon moi une grande richesse. Cette intervention a donné lieu à une rencontre qui a marqué ma pratique. Une dame est venue me demander sans détour ce que je faisais là avec mes branches, et j'ai trouvé la situation tout simplement merveilleuse. Quelques semaines après l'interaction éphémère avec cette interlocutrice inconnue, j'ai réalisé que cet instant de partage impromptu représentait ce que je souhaitais activer depuis longtemps à travers mes interventions. Un interstice dans la normativité favorisant la création de situations sociales fortuites, voilà qui a de quoi motiver la création artistique ! Avec un peu de recul, je considère que ce moment a été l'étincelle qui m'a mené à la réalisation d'actions performatives.

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9 1.1.2 Conceptualisation de l'œuvre Le bousier

-En automne 2011, le climat sociopolitique mondial était hyper stimulé avec le mouvement Occupy Wall Street qui a débuté à New York pour ensuite se propager dans divers centres économiques de la planète. Ici même à Montréal, ce mouvement avait alors suscité de vives réactions qui ont mené environ trois mille personnes à s'installer avec leur tente sur le sol bétonné du Square Victoria. Voilà le contexte dans lequel j'avais développé l'action performative Le bousier. La réalisation de cette intervention venait répondre à mon envie profonde de participer de manière créative à l'effervescence sociale qui prenait racine en plein cœur de l'île.

J'avais plié à froid des tiges de fer afin de fabriquer des axes circulaires assemblés de manière à créer une immense sphère aussi haute que moi. Par la suite, j'ai posé de la broche à poule sur le pourtour en prenant bien soin d'y laisser une fente. L'objectif désiré par la construction de cette structure brute était de représenter, le plus simplement possible, la forme de la planète terre. Tout d'abord, j'ai effectué différents trajets dans les rues du centre-ville afin d'y cueillir tous les déchets se trouvant sur mon chemin. Après quelques interventions de collecte urbaine, j'ai réalisé que l'état de présence dans lequel je me trouvais lors de ces parcours me permettait d'entrer en contact avec les passant.e.s. Les vêtements que je portais ainsi que l'attitude qui se dégageait de mon corps affectaient positivement ou négativement les interactions sociales sur ma route.

En élaborant cette intervention, j'avais misé sur la temporalité afin de favoriser une évolution en crescendo menant à une finale enlevante. À chaque nouvelle action performative pratiquée dans le cadre de ce projet, la sphère se remplissait davantage et cela avait pour effet d'accentuer la force que je devais utiliser pour la pousser. Les sons reliés à la quantité et à la diversité de déchets amassés suscitaient de plus en plus l'intérêt des passant.e.s croisant mon chemin. À plusieurs reprises, des personnes que je croisais ont ramassé des déchets au sol pour m'aider dans ma poursuite de mon

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nettoyage artistique. Après quelques parcours, j'avais choisi d'aller terminer le projet au Square Victoria dans le but de récolter tous les déchets générés par les habitations de fortune installées pour le mouvement Occupy Montréal. Ce fut pour ma part une expérience enrichissante puisque, dès mon arrivée sur place, l'intervention a tout de suite attiré l'attention des manifestant.e.s. Avant même que je comprenne ce qui se tramait, une petite formation d'autocueilleurs s'était formée afin d'augmenter la quantité de déchets à l'intérieur de ma sph~re. Il est important de préciser que la

veille, dans les médias, on blâmait les personnes de ce village éphémère de manquer de propreté. L'œuvre a donc servi à ramasser une quantité considérable de détritus dans le campement. Ma contribution créative à ce mouvement, si minime soit-elle, m'a permis d'exprimer mon opinion politique en engageant mon corps dans une action artistique.

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1.1.3 Redéfinition de ma pratique

Après plusieurs expérimentations réalisées dans l'espace public, je commençais à me demander où j'allais pouvoir trouver réponse à la multitude de questions qui foisonnaient dans mon esprit concernant la dimension performative de mes interventions. En posant des questions à mon professeur de sculpture, j'ai appris l'existence d'un cours de performance donné à l'UQAM par Hélène Doyon, etje m'y suis tout de suite inscrit. Ce cours était tout indiqué pour ma pratique artistique en transformation. La dimension théorique du cours offrait un survol fort intéressant sur l'histoire de la performance en arts visuels. J'ai pu y observer, entre autres, le mouvement Fluxus, le Black Market, le groupe Gutaï, les happenings ainsi que plusieurs artistes comme Joseph Beuys, Vito Acconci et Nam füne Paik. Le cours portait aussi sur le mouvement féministe rattaché à la performance observable chez des figures canoniques telles Orlan, Y oko Ono et Marina Abramovic.

En suivant ce programme, j'ai réalisé que je ne faisais pas de la performance au sens propre du terme, car les actions que je posais n'étaient pas pratiquées devant un public averti. Par public averti, je veux dire des personnes qui s'attendent à assister à un événement artistique et qui, la majeure partie du temps, ont des bases en arts visuels. Ce fut révélateur de comprendre que ce qui m'intéressait le plus dans la sphère performative en art était la confrontation avec un public qui n'est pas en position de spectateur conscient. Je me considère comme un artiste qui active et stimule la mémoire collective en pratiquant des actions performatives. Les actions que je développe se rapprochent de la définition de la manœuvre d'Alain-Martin Richard selon laquelle, il s'agirait d'un art performatif favorisant la participation active du spectateur (Richard, Alain-Martin (1990)). Je cherche en effet à susciter l'intérêt du public, sans pour autant exiger la participation de quiconque.

Dans son essai Antagonism and relationnal aesthetics, Claire Bishop émet une critique du concept d'esthétique relationnelle de Nicolas Bourriaud (Bourriaud,

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13 Nicolas ((2001)). Elle dénonce l'ambition de pratiques artistiques qui auraient des visées utopiques; souhaitant rétablir le lien entre le public et l'art contemporain (Bishop, Claire (2004)). Elle cite dans son texte Thomas Hirschhom qui affirme ne pas être

«

un animateur, un professeur ou un travailleur social

»

(Bishop, Claire (2004: p.79)). Selon Bishop, cet artiste est tout à fait conscient des limites entre art et société. Il est évident dans mon cas que je désire investir l'espace public avec des concepts assez forts pour générer des rencontres avec les passant.e.s. Cependant, il n'est pas primordial que j'entre en contact avec tout un chacun, car le simple fait d'intervenir dans l'espace public laisse des traces dans la mémoire des gens qui croisent le phénomène artistique sur leur chemin. Je ne prétends pas pouvoir réparer avec des interventions le tissu social qui s'effrite; mon objectif est avant tout de stimuler la réflexion sur les espaces que l'on partage.

1.2 Explorer l'espace social

Suite à la réalisation de plusieurs performances dans l'espace public, je me suis rendu compte que ce qui m'intéressait était plutôt lié à la dimension sociale. Cela soulevait des questionnements de tout ordre au regard de l'essence même de mes recherches. Pour un artiste, les rapports humains peuvent-ils être considérés comme une matière à travailler? Est-ce possible d'explorer l'espace social par le biais d'actions performatives? Ou encore, est-il possible de trouver une façon dynamique d'exposer mes interventions en milieu institutionnel? Hélène Doyon qualifie les pratiques in socius de «travail d'implémentation plus ou moins durable d'un artiste dans des espaces sociaux, voire au sein même des rapports sociaux » (Doyon, Hélène (2007 : p. 74)). La plupart des études qui sont faites sur les rituels pratiqués dans nos sociétés proviennent du champ de recherche de la sociologie. Comme l'objectif que je me suis fixé vise à explorer la possibilité de créer de nouveaux rituels plus inclusifs, il est donc tout indiqué que mon travail de terrain soit effectué dans la sphère sociale.

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Dans son article L'art vivant à tous les jours, Guy Sioui Durand nous parle du renouvellement de l'intérêt des artistes et des intellectuels envers un art pour tous, intégré dans le quotidien, un art qui ne serait pas seulement pour les élites (Sioui Durand, Guy (2003)). Il qualifie«« d'art centrifuge», l'attitude artistique dont la fmalité et l'existence tentent chaque fois de se situer délibérément hors des lieux institués de l'art au profit des milieux de vie quotidiens » (Sioui Durand, Guy (2003 : p.24)). Une multitude d'appellations artistiques, telles que la sculpture sociale, la manœuvre, l'art interactif, l'art (trans)actions, l'esthétique relationnelle, les formes de vie, l'art de la rencontre, l'art micropolitique, l'art des déplacements, le troc artistique et les pratiques infiltrantes entreraient selon lui dans cette défmition1• Je me retrouve parfaitement dans ce concept regroupant des pratiques qui s'intéressent à l'apport du social dans l'art et de l'art dans le social. La grande diversité des pratiques évoluant hors les murs représente, à mon avis, une solution concernant l'accessibilité de l'art actuel. En intervenant dans l'espace social, les artistes multiplient les modes de diffusion et vont ainsi chercher un plus large éventail de public. Comme la vente d'œuvres ne m'intéresse pas, je recherche davantage l'échange humain et la transmission d'une passion artistique.

1.2.1 La marche, ritualisation du geste

Mon désir d'explorer l'espace social se traduit en premier lieu par un besoin de prendre physiquement part au flux organique présent au sein des lieux publics de la ville. Tous les objets performatifs que je réalise sont conçus pour être transportés. Cela m'a pris un certain temps afm de comprendre l'importance du rôle que l'action de marcher joue dans ma démarche artistique. Dans son mémoire de maîtrise en

1 À titre d'exemple, la sculpture sociale est associée à Joseph Beuys, l'esthétique relationnelle à

Nicolas Bourriaud, l'art micropolitique à Paul Arden, la manœuvre à Alain Martin-Richard et l'art infiltrant au centre d'artiste 3e Impérial.

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15 études littéraires sur l'imaginaire de la marche dàns les Illuminations d'Arthur Rimbaud, Audrey Gauthier donne une magnifique définition de la figure du marcheur:

«

Le marcheur dans les Illuminations est un créateur d'espace qui traverse les lieux et les relie entre eux par son passage. II est aussi un mystique qui entame une quête entre le réel et l'onirique et enfin un marginal qui établit une distance volontaire avec le monde afin de mieux l'observer et le comprendre (Gauthier, Audrey (2011 : p.8)) » L'image du marcheur comme créateur d'espace est très riche. C'est effectivement l'impression que je ressens lorsque mes objets sont activés lors des parcours effectués dans divers lieux publics. J'entrevois de micros espaces sensibles créés suite aux actions « performées » dans l'espace social. Ces actions laissent des traces dans la mémoire des personnes que je croise sur ma route. La distance que j'ai parcourue lors de toutes mes interventions est considérable. Cependant, ce n'est pas la quantité de pas parcourus qui m'intéresse, ce sont plutôt les multiples découvertes liées aux situations sociales et géographiques qui m'étaientjusqu'alors inconnues.

En observant mes interventions dans l'espace social, je constate que l'action de marcher représente une contrainte majeure dans ma pratique. La répétition de cette action provoque, en quelque sorte, une ritualisation du geste. La marche me permet d'activer mon corps dans l'espace et de stimuler ma présence en me déplaçant. En effet, lorsque je me déplace avec mes objets dans l'espace public, j'ai la chance de choisir les endroits qui me semblent être les mieux disposés à accueillir ce genre d'intervention. La présence est nécessaire au développement d'une action « performée »dans l'espace public puisque l'on se doit d'être prêt à affronter l'imprévu à tout moment. Il peut s'agir d'une confrontation avec un individu, une altercation avec la police ou tout simplement une fatigue inattendue. L'action à marcher active automatiquement chez moi une sensibilité me permettant d'adopter une position d'ouverture. Cet état d'esprit favorise grandement les possibilités d'échanges avec

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autrui. À mon avis, l'artiste qui performe dans l'espace social se doit d'être disponible puisqu'il perturbe l'ordre naturel des choses.

1.2.2 Espace social / espace politique

Il est important de noter que mon intérêt pour la création découle avant tout du désir de comprendre l'univers qui m'entoure. Les enjeux politiques, les échanges entre êtres humains ainsi que les rituels pratiqués dans notre société sont autant de facteurs qui me fascinent. La présence de mes interventions dans l'espace social est directement liée à une quête personnelle sur l'identité collective. Dans son essai Art et

politique, Ève Lamoureux décrit certain.e.s artistes comme des « acteurs sociaux » (Lamoureux, Ève (2009: p.12)). Ceux-ci ou celles-ci seraient - selon elle - engagés dans les enjeux de leur époque et grandement influencés par le contexte social, culturel et politique. Pour l'historienne de l'art, «l'artiste ne détient pas une double identité d'artiste et de citoyen.ne. Les deux états ne peuvent que s'imbriquer. Autant l'artiste est influencé par la société, autant ses œuvres influencent celle-ci en retour

»

(2009: p.12). Je ne me suis jamais réellement considéré comme un sculpteur, un performeur ou un artiste d'art action, car cela semblait dresser un portrait incomplet de ma démarche. D'un autre côté, la définition d'acteur social semble me correspondre parfaitement. Ma pratique s'infuse et se diffuse2 à même la culture, le social et la politique. Ces termes suggèrent le désir de laisser libre cours aux possibilités d'influences mutuelles entre l'artiste et la société.

Mon parcours artistique est influencé par mes considérations sociales. L'achat local, l'agriculture de proximité ainsi que la collaboration citoyenne font partie de mes préoccupations quotidiennes. De plus, la possibilité de générer un impact positif

2 Cette expression proposée par le 3e Impérial, centre d'essai en art actuel, a été discuté lors d'un

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17 autour de soi a toujours été au centre de mes intérêts. Au sein de notre société où le rendement, la productivité et la performance font office de réussite, il est tout à fait normal - pour un artiste qui s'investit dans le social - de réfléchir aux impacts potentiels de ses projets artistiques. Dans cette optique, mes interventions s'incarnent plutôt dans une dynamique micropolitique. Ce terme d'abord utilisé par Guattari symbolisant la fragmentation et la dissémination de l'action politique a ensuite été appliqué au monde de l'art par Paul Ardenne (Guattari, Félix (1980: p.260)):

Quand on regarde l'évolution récente de l'art et des pratiques concrètes, on y note sans délai cette inflexion à aller vers le réel, vers la vie, vers les lieux que l'on habite, le monde qui est le nôtre, vers les contextes, donc. On relève aussi que bien des artistes, progressivement, abandonnent l 'holisme, qui relève de la vision globale et universalisante, tandis que . se périment les grandes représentations politiques du monde, celles dont Beuys, par exemple, a été une incarnation presque caricaturale (Ardenne, Paul (2006 : p.18) ).

Au même titre que ces pratiques artistiques, la simplicité volontaire, les Tiny House's et les petites communautés marginales qui émergent de plus en plus au Québec reflètent un désir de changement social. Ces modes de vie alternatifs ne seraient-ils pas réactionnels au système capitaliste en place? En tant qu'artiste, je souhaite prendre activement part à la dissémination de gestes micropolitiques. S'il est difficile de mesurer les impacts que peuvent générer mes actions sur l'ensemble de la société, il m'est toutefois possible de les observer à plus petite échelle. Comme je parcours les rues de la métropole depuis plus de sept ans avec mon matériel performatif, j'ai pu recueillir différents témoignages de participant.e.s ou simplement de personnes qui avaient croisé mon chemin. L'idée d'acteur social prend tout son sens dans de telles situations en considérant la portée du geste initial qui se veut un prélude à de nouvelles rencontres.

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CÉRÉMONIE DE THÉ QUÉBÉCOISE: PREMIÈRE UTILISATION CONSCIENTE DU CONCEPT DE RITUEL DANS UN PROJET

PERFORMATIF

2.1 Cérémonie de thé québécoise

Suite à la réalisation de différentes interventions dans l'espace social, la dimension rituelle du geste reproduit m'est apparue comme un élément majeur de ma pratique. Le désir de développer des rituels rassembleurs a déclenché une recherche sur des modèles existants dans nos sociétés. Ne souhaitant pas me tourner vers l'observation de cultes religieux - qui le plus souvent divise au lieu de réunir - j'ai entamé une réflexion sur les gestes porteurs d'harmonie et de partage. La cérémonie du thé m'est alors apparue comme un terreau fertile à étudier pour comprendre les mécanismes des ,, rituels sociaux. Lorsque j'évoque la notion de rituels en parlant du thé, je fais référence à la répétition de gestes utilisés dans les cérémonies, à l'utilisation récurrente d'objets ainsi qu'aux éléments naturels constamment retrouvés dans l'infusion du breuvage. L'histoire de cette plante originaire d'Asie fascine les Occidentaux depuis plusieurs siècles. Wenceslau de Moraes, un portugais qui s'est pris de passion pour le Japon, a écrit des ouvrages sur le culte du thé. Il utilise l'expression bric-à-brac afin de décrire l'ensemble des objets utilisés dans la culture du thé nipponne (De Moraes, Wenceslau (1998)). On y retrouve des boîtes en étain, des tasses en porcelaine, des bouilloires en fonte ainsi qu'une multitude d'autres

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19 objets nécessaires à la conception du thé. L'homme de lettres dresse aussi un intéressant portrait de la place occupée par cette boisson au Japon. Il décrit le thé comme un « compagnon inséparable de l'ouvrier et de l'artiste dans leurs tâches » (De Moraes, Wenceslau (1998: p.12)). Selon Moraes, les Japonais partagent le thé afin de favoriser la communion sociale, l'hospitalité et le plaisir de la rencontre. En prenant conscience de ces observations, j'ai pu constater que la_ cérémonie du thé . représentait un ensemble d'us et coutumes lié aux valeurs de partage que je cherchais.

Les différentes façons de pratiquer les cérémonies du thé aux quatre coins du globe me fascinent. À travers les recherches entreprises sur le ·sujet, je me suis intéressé aux rituels québécois liés à la consommation de cette boisson. Suite à l'enquête réalisée auprès de spécialistes de la boutique de thé Camellia Sinensis à Montréal, j'ai pu retracer la provenance du thé dans notre société. Selon ces spécialistes, notre rapport au breuvage nous viendrait des Britanniques. La Grande-Bretagne reconnue - pour son monopole quasi absolu des exportations de thé - apportait régulièrement des cargaisons du prestigieux produit à ses colonies. Voilà d'où nous vient cette plante que l'on a longtemps consommée ici selon la tradition britannique, avec le fameux «nuage de lait». En effectuant cette recherche et en constatant que notre rapport au thé nous provenait d'une culture coloniale, une idée a germé dans mon esprit. Serait-il possible de créer une cérémonie de thé québécoise à partir d'éléments symboliques appartenant à notre culture? De ce questionnement découle une série de recherches et d'expérimentations réalisées avec l'objectif de créer une cérémonie de thé québécoise.

2.1.1 Recherches sur le thé et ses rituels

Dans un premier temps, il m'est apparu utile de dresser un petit portrait historique du thé. Les plus anciens documents retrouvés démontrent que le peuple chinois est le premier à avoir réalisé des cérémonies autour du thé. Au tout début, le thé était réservé aux plus hautes sphères de la société, pour ensuite être consommé par toutes les classes sociales chinoises. On a vu apparaître en Chine des salons de thé dans les

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années 900 de notre ère. Les salons de thé de la ville Hangzhou étaient si populaires, que les habitants de contrées fort lointaines faisaient la route pour venir y vivre une expérience unique. Je m'intéresse particulièrement aux différents éléments qui suscitaient l'intérêt d'autant de personnes. La clé, semble-t-il, résidait dans l'ambiance des salons de thé qui était façonnée par la grande beauté des objets d'art utilisés pour pratiquer la cérémonie du thé. L'effervescence liée à la culture du thé de cette ville a donné lieu à des rituels sociaux; « on racontait qu'à Hangzhou, au début et au milieu de chaque mois, les gens rendaient visite à leurs voisins munis d'une théière afin d'entretenir de bonnes relations» (Becau, Nadia (2012: p.19)). Ce témoignage dévoile l'effet positif que peuvent avoir les gestes rituels dans nos sociétés.

Pour faire suite aux recherches théoriques entamées sur la boisson la plus populaire au monde, il m'est venu à l'idée de participer à une cérémonie de thé afin de vivre l'expérience de l'intérieur. En m'informant auprès des endroits spécialisés en thé au Québec, j'ai appris que le Camellia Sinensis, situé à Montréal, offrait des rituels sur le thé japonais. En constatant cela, je me suis inscrit à la prochaine représentation afin d'en apprendre davantage. La cérémonie était pratiquée par un maître de thé qui avait étudié les rituels japonais. L'expérience fut pour moi une révélation, l'ambiance qui se dégageait de la cérémonie était particulièrement intrigante. Le maître utilisait des objets d'une grande beauté, les manipulant avec respect et grâce. Je m'ouvrais aux parfums sublimes qui s'exprimaient à travers le savoir-faire ancestral acquis pat le maître de thé. En buvant ces délicieuses infusions lors de la cérémonie, j'ai ressenti un profond sentiment de bonheur. Il s'agissait en quelque sorte d'un moment de pureté, une pause pour le corps et un éveil de l'esprit. Cette sensation provenait de toute l'attention mise sur les détails et sur le raffinement de la technique. La qualité de la plante, la sélection des objets d'art ainsi que l'aménagement du lieu des cérémonies sont des éléments qui contribuent considérablement à la réussite d'un

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21 rituel de thé. Les découvertes réalisées lors de cette exploration sur le terrain ont été fort utiles pour définir les bases de mon projet de cérémonie du thé québécoise.

2.1.2 Élaboration de la cérémonie québécoise

Les rituels liés aux cérémonies de thé sont différents d'un pays à l'autre; ils sont influencés par la culture et les moeurs des personnes qui y habitent. À titre d'exemple, les peuples des montagnes entourant le Yunnan préparaient une décoction à base de thé, de beurre· rance et de sel. Cette préparation palliait les carences liées à leur alimentation pauvre en légumes frais et en fruits (Gautier, Lydia (2005)). Les investigations entreprises sur les rituels du thé ne m'ont pas permis de trouver une cérémonie de thé typiquement québécoise. Ce constat a mis en branle un processus de réflexion sur la possibilité de puiser dans nos racines afin de développer une esthétique propre au Québec. Mon attention s'est alors posée sur l'image du coureur des bois qui s'illustre au rang de légende dans le folklore de la province. Celui-ci était en fait un être nomade qui vivait de la trappe et de la chasse grâce aux techniques apprises à force de côtoyer les Premières Nations. Il m'est donc venu à l'idée de créer un salon de thé portatif afin de pouvoir le transporter un peu partout dans la métropole québécoise.

Considérant l'implantation de cette installation performative dans la ville de Montréal, je trouvais intéressant d'utiliser une esthétique inspirée de la nature afin de contraster

avec le béton des trottoirs et des immeubles. Dans les cérémonies de thé japonaises, la nature représente le zen et la pureté. L'image de la bûche de bois m'est venue en tête, ce petit tronçon d'arbre qui a chauffé tant de chaumières québécoises. De plus, mes origines sont directement liées aux colonies de bûcherons de l 'Abitibi où mon grand-père dirigeait d'ailleurs la drave sur les rivières du nord de la province. Il va sans dire que la coupe et la transformation du bois font partie de la construction de mon imaginaire de créateur. Voilà pourquoi, j'avais décidé de fabriquer de petits tabourets ainsi qu'une table à partir de rondins de bois bûché de mes mains. Ces

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éléments ont été conçus pour me permettre de les assembler et de les désassembler. Ce détail technique faciliterait la planification de mes futurs déplacements urbains. J'avais sculpté de petits bols à thé en bois en gardant l'écorce des branches. À cet ensemble de thé, s'ajoutait une théière en céramique façonnée à la main en imitant l'apparence d'une bûche. De vieilles planches de bois ont été utilisées pour construire une brouette qui me pennettrait de transporter le salon de thé où je le souhaitais. Afin de compléter la conception du salon de thé portatif, il était important de définir les composantes de l'infusion à servir lors des cérémonies de thé québécoises. J'avais sélectionné un thé indien pour son goût chocolaté, auquel s'ajoutait la baie de sureau qui pousse dans notre province. Ces deux ingrédients en décoction donnaient de merveilleux arômes floraux et terreux.

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23 2.2 Implantation du salon de thé portatif à Montréal

L'implantation du projet dans la ville a vu le jour au début du mois de février, en pleine période de froid hivernal. La température avait semé la peur dans mon esprit quant aux chances de réussite des interventions que je désirais effectuer dans l'espace social. J'étais loin de me douter de la force d'attraction que l'action allait exercer sur les passant.e.s. L'objet de l'intervention performative était d'investir différents lieux de la métropole avec le salon de thé portatif afm de diversifier les possibilités de rencontres avec le public. Comme l'attirail performatif se trouvait à l'UQAM, les trois espaces sélectionnés étaient à proximité de l'université. Chaque matin où je suis allé pratiquer une cérémonie de thé, je commençais d'abord par préparer la décoction dans mon appartement. Cette étape constituait le rituel d'amorce de la cérémonie. Ensuite, je me rendais à l'école pour récupérer le matériel performatif. Les trajets effectués avant d'arriver aux destinations sélectionnées avaient une grande importance pour moi. Ils me permettaient de continuer ma réflexion sur la fonction des lieux que je comptais investir. Ces parcours s'avéraient plutôt physiques en raison de la charge que je transportais et cela exigeait une attention particulière. Cet état d'esprit engendré par la marche activait mes sens et me préparait mentalement pour la suite de l'aventure.

Une fois arrivé sur place, j'installais le salon de thé en assemblant toutes les bûches de bois et en disposant les objets cérémoniels dans l'espace. L'esthétique naturelle très particulière de l'installation, lorsqu'assemblée dans un lieu public, avait des allures de conte de fées. La présence de cet élément mystérieux dissonait avec le paysage morne et triste de l'hiver en ville. L'implantation de cette incongruité dans l'espace social m'a semblé éveiller grandement l'intérêt des passant.e.s.

À

peine avais-je fini d'installer le salon de thé, que des gens s'attroupaient autour de moi. Lors de la conceptualisation de l'œuvre, je souhaitais développer une esthétique personnelle et chaleureuse afin de stimuler l'intérêt des passant.e.s. Je pensais que le

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contact avec le public aurait été beaucoup plus difficile à établir, mais ce ne fut pas le cas. En effet, les gens venaient d'eux-mêmes vers moi dans le but d'entrer en communication. Ainsi, la proposition que je leur faisais de prendre part à « une cérémonie de thé québécoise » était grandement facilitée. Le premier constat en effectuant ces interventions artistiques a été de réaliser l'intérêt des gens pour le thé.

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25 2.2.l Déroulement des trois cérémonies

La place extérieure du métro Mont-Royal a été le premier emplacement sélectionné pour pratiquer l'ensemble des rituels créés autour du thé. Ce lieu m'est apparu comme le parfait espace en raison de son dynamisme et de son affluence. Comme de fait, les passant.e.s commençaient déjà à me poser des questions alors que je n'avais pas encore fini l'installation du salon de thé. Une dame et un monsieur se sont particulièrement intéressés à l'assemblage, alors je leur ai proposé de participer à la première cérémonie de thé québécoise. Nous étions assis tous les trois sur un tabouret de bois autour de la petite table. La théière fumante était posée sur la table avec les petits bols à thé en bois. J'ai alors proposé à mes deux invité.e.s de choisir le bol qui leur convenait. Ensuite, j'ai pris la théière en forme de bûche et j'ai servi le thé aux participant.e.s d'abord, puis à moi. Malgré la température hivernale, nous sommés restés assis plus d'une heure à discuter autour d'un bon bol de thé chaud. La rencontre a en quelque sorte été figée dans le temps, les gens passaient autour de nous s'en perturber ce moment de partage entre inconnus.

Le deuxième lieu choisi pour une autre cérémonie fut la Place des Arts devant le Musée d'art contemporain. Comme je m'y attendais, cet espace très différent du premier changea complètement les interactions avec les gens. Cette fois-là, j'ai eu le temps d'installer tout le salon de thé avec les objets cérémoniels sans que personne ne s'approche de moi. Peut-être que les personnes pensaient que c'était une prestation organisée par la ville ou le musée. Néanmoins, quelques minutes après la fin des préparatifs, un jeune couple africain est venu s'installer avec moi autour de la table. J'ai pratiqué la cérémonie de thé québécoise pour eux en leur expliquant le concept et en partageant l'expérience vécue lors de la première exécution au métro Mont-Royal. Le fait de partager une infusion avec ces deux personnes a créé une atmosphère chaleureuse, détendue et propice à la discussion. Le couple s'est mis à parler de leur rapport au thé, de la façon dont il le consommait et de son importance au sein de leur

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culture. Cette conversation qui aurait pu ne jamais avoir lieu m'a grandement touché; mon intention comme artiste est de stimuler la création de petits instants de bonheur comme celui-là. Un véritable cocon social où des personnes provenant d'horizons divers sont amenées à vivre un moment unique.

La dernière des trois cérémonies de thé eut lieu dans le Vieux-Port. Un souvenir me revient de cette journée grise de mars : de gros flocons mouillés tombaient du ciel pour ensuite s'affaisser doucement sur le sol. Une fois arrivé sur place, j'ai installé tout l'attirail performatif sur le magnifique pavé que l'on retrouve Un.iquement dans ce secteur de la ville. L'endroit était très achalandé et les questions ont commencé à fuser de toutes parts sur le salon de thé. L'atmosphère était très différente des autres .. espaces visités. Beaucoup de personnes se sont assises et ont pris le thé, tandis que d'autres restaient debout autour de la scène à observer ce qui se passait. Il n'y régnait pas la même ambiance de partage et de calme comme ce fut le cas au métro Mont-Royal et sur la Place des Arts où les participant.e.s développaient une connexion plus profonde. Cette expérience m'a permis de comprendre qu'une même intervention peut se dérouler de manière très différente lorsqu'elle est implantée dans des espaces sociaux distincts. L'idée selon laquelle la réception des œuvres diffère en fonction du contexte dans lequel elles sont présentées est simple. Je crois toutefois qu'il faut effectuer un travail de terrain pour ultimement arriver à ressentir les effets réels des situations vécues.

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Figure 5 - Cérémonie de thé québécoise

2.2.2 Développement de stratégies pour présenter l'œuvre dans une exposition Les pratiques qui se développent dans la sphère sociale représentent parfois de réels casse-têtes lorsque vient le moment de les présenter dans une exposition. Il faut alors trouver des façons stimulantes de recréer la magie des moments vécus lors des interventions performatives pratiquées dans la ville. Une réflexion sur le contexte de présentation du salon de thé portatif s'impose. Cette intervention performative devait être exposée à l'Église de Sainte-Brigide-de-Kildare de Montréal avec l'ensemble des autres oeuvres étudiantes lors de l'exposition Architecture Des Possibles. L'église désaffectée, en voie d'être récupérée par différents organismes communautaires, était très fortement chargée des traces de son passé religieux. Des milliers de personnes ont pratiqué des rituels religieux en ce lieu de culte. Il m'est alors apparu important

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de trouver une stratégie me permettant d'exposer mon ·salon de thé de façon à dynamiser la dimension rituelle de ma pratique en lien avec le lieu. Il m'est alors venu l'idée d'installer le salon de thé dans l'église afin de pouvoir réaliser d'autres cérémonies durant l'exposition.

Les cérémonies ne se sont cependant pas déroulées de la même manière que lorsqu'elles ont été pratiquées dans l'espace public. Un nouveau paramètre s'est ajouté à l'ensemble des rituels exécutés lors de ces actions performatives. Une documentation a aussi été ajoutée à l'installation, et ce, sous forme d'un album photo. Plutôt que d'avoir imprimé les photos en grand format pour les placer au mur, j'ai opté pour une solution qui correspondait mieux à l'esthétique du salon de thé: sur l'un des tabourets se retrouvaient deux rondins reliés par une penture de bois formant ainsi un album photo disponible aux visiteurs. Une courte description rédigée au verso des photos accompagnait chacune d'elles. Les discussions avec les participant.e.s furent très intéressantes; il m'a été possible de décrire aux convives l'expérience vécue lors de mes explorations urbaines. Le récit s'est donc rajouté à la cérémonie de thé québécoise comme un geste rituel performatif.

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CRÉATION DU MATÉRIEL PERFORMATIF ET CÉRÉMONIES COLLECTIVES

3 .1 Matériel performatif

C'est en réalisant la cérémonie de thé québécoise que j'ai commencé à explorer la possibilité de créer tout le matériel performatif nécessaire pour mes interventions dans l'espace social. L'amorce de cette quête provient de mon désir d'aller à contre' sens de notre société de consommation où l'achat de produits préfabriqués prévaut sur l'action de créer des objets. La perte de savoir-faire manuel me préoccupe depuis longtemps, voilà pourquoi je me suis mis en tête de confectionner le plus possible les objets utilisés lors de mes actions performatives. Dans cet ordre d'idée, j'ai commencé à m'intéresser à la confection d'habits performatifs. À cet effet, je me suis d'abord investi pour mon projet cérémonie de thé québécoise. Les résultats obtenus n'ont toutefois pas été totalement à la hauteur de mes attentes.

Au début de la maîtrise, j'ai récupéré une ancienne roue de charrette de pompier dans le but de la transformer en un véhicule pouvant me permettre d'explorer le paysage social québécois. Cette roue est un témoignage vivant de notre passé collectif. Il m'est alors apparu intéressant de fabriquer un dispositif afin de pouvoir la transporter dans la ville de Montréal. J'ai aussi réalisé quelques expérimentations dans ce projet afin de fabriquer un habit performatif. Les premières tentatives visant à confectionner

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31 un vêtement performatif n'ont pas été particulièrement fructueuses. Dans le but de parfaire mes connaissances en art textile, l'idée m'est venue de m'inscrire à la résidence artistique L'auberge de la grève dans le Bas-Saint-Laurent. Ce lieu de création offre un accès à une salle de couture pleinement équipée. Ma candidature a été retenue, alors j'ai pris la route vers l'est pour me rendre à Rivière-Trois-Pistoles. Lors de ma première semaine de résidence, j'ai croisé un monsieur sur le chemin en réalisant ma promenade hebdomadaire avec la roue de charrette. Nous avons discuté un bon moment et celui-ci m'a indiqué que« tout ce qu'il manquait à mon projet était un .costume qui corresponde au concept de l'intervention». Cette interaction a été l'élément déclencheur qui m'a encouragé à apprendre à coudre.

L'atelier de couture de la résidence artistique fonctionnait selon des principes de base écoresponsables. Les machines ont été récupérées et réparées par le collectif responsable de cet espace de création. De plus, la plupart des créations de couture ont été réalisées à partir de tissus de seconde main. C'est à ce moment précis que j'ai développé un intérêt pour l'utilisation de tissus aux contrastes criants, car la contrainte du lieu de production me forçait à créer à partir d'éléments textiles disparates. De cette première expérimentation de couture est née une salopette rapiécée aux allures un peu bohèmes. Afin de compléter mon habit performatif, j'ai décidé de porter un beau chapeau noir que mon père avait trouvé dans un sous-sol d'église. Cet agencement bien particulier m'a conféré, à mon avis, l'esthétique parfaite pour stimuler la rencontre avec des inconnus lors de mes parcours dans le Bas-Saint-Laurent. L'habit a eu sur moi un effet bien particulier. Au moment de l'enfiler, mon état d'esprit changeait à chaque fois pour s'adapter à la nouvelle situation. Ce moment rattaché au processus de création constitue un geste rituel qui se retrouve maintenant dans chacune de mes actions performatives.

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Figure 7 - Retour vers le futur québécois

3 .1 .1 Objets transformés / Objets mémoire

Les objets transformés et utilisés lors des rituels pratiqués dans l'espace public représentent le cœur de ma pratique. Certains, comme la roue de charrette de pompier et la salopette, portent déjà en eux l'histoire d'une première existence. Les traces laissées sur ces objets témoignent de notre passé collectif. Dans son essai L'invisible

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33 patrimoine immatériel peut jouer dans le contexte de la muséologie (Bergeron, Yves (2010)). Il y présente entre autres l'importance de la charge sociale qui se développe autour des objets. Concernant ma démarche, le concept de patrimoine immatériel représente l'histoire qui se cache derrière chacun des objets utilisés lors de la pratique de rituels performatifs. Ces éléments du passé sont intégrés dans mes interventions comme autant de microrécits pouvant être dévoilés à qui sait regarder. L'ensemble de ces récits constituent en quelque sorte, un répertoire où je peux piger çà et là afin de stimuler l'intérêt des participant.e.s lors de la réalisation d'actions performatives. Dans ce contexte précis, l'objet agit comme un ciment social, facilitant l'échange entre l'artiste et les participant.e.s.

Les objets font partie de nos rituels sociaux et nous permettent de tisser des liens avec notre quotidien. Selon l'anthropologue Pascal Lardellier, les objets constituent des points de repère dans nos vies (Lardellier, Pascal (2005)). Ces points de repère permettent de réaliser certains rituels sociaux nécessaires à la vie en communauté. Tout comme ces éléments du quotidien, le matériel que je conçois oriente mes actions performatives. Dans les différentes interventions réalisées, il m'a été possible de réactiver la mémoire des objets utilisés. Un des habits performatifs a d'ailleurs été revêtu à plusieurs reprises lors d'événements clés de mon parcours à la maîtrise. Ainsi, j'ai porté ce costume pour la présentation finale au Forum de fin de programme, lors de la journée porte ouverte de l'UQAM, et pour une cérémonie initiée par une amie en l'honneur d'un enfant à venir. Ce dernier événement démontre que les objets fabriqués transcendent mon horizon artistique afin de se retrouver dans ma vie personnelle. Cette brève apparition d'un rituel artistique dans ma quotidienneté témoigne de mon désir incessant de continuer d'explorer les lieux et les contextes non dédiés à l'art.

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Figure 8 - Objet rituel

3.1.2 Création d'habits performatifs

Il existe un rituel profondément ancré dans le quotidien des êtres humains, et ce, depuis le début de notre ère. Ce rituel peut varier selon le temps qu'il fait, l'époque, la culture ou plus précisément la personne qui le pratique. Il s'agit en fait de l'action de se vêtir, cette activité journalière qui préoccupe certains individus plus que d'autres. Dans son ouvrage Rite et rituels contemporains, Martine Segalen énonce le récent intérêt des anthropologues pour l'étude du champ relationnel (Segalen, Martine (2009)). Cet intérêt a, semble-t-il, permis l'observation de rituels individuels, comme celui de l'habillement. Il est tout de même intrigant de s'imaginer la raison du choix vestimentaire de chaque personne en société. Qu'est-ce qui fait en sorte que la

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35 majorité des gens affichent un style esthétique similaire? Est-ce dû à la production massive de vêtements prêts-à-porter? Est-ce un désir inconscient qui nous amène à vouloir faire partie d'un groupe? Ayant une pratique qui se développe de plus en plus autour de la création de matériel performatif, le rituel de l'habillement est maintenant au centre de mes intérêts.

Mes récentes expérimentations ont été motivées par le désir d'explorer la possibilité de créer des habits performatifs qui dissonent avec l'esthétique des vêtements que l'on porte au quotidien. En effectuant des recherches sur les artistes visuels qui ont participé à la création de costumes, j'ai découvert le travail d'Alfred Pellan. Cet artiste québécois a travaillé de pair avec un chef costumier et des couturières afin de réaliser l'ensemble des costumes de la pièce Le théâtre des rois de Shakespeare. Le

Centre d'exposition Lethbridge a présenté en 2017 une exposition afin de mettre en valeur la richesse des créations textiles de Pellan. L'observation du catalogue d'exposition m'a permis de découvrir la dimension très colorée de l'esthétique que cet artiste visuel a développée pour la pièce de théâtre (Côté Cyr, Catherine (2017)). L'univers créatif du peintre se transpose dans la création de costumes en leur conférant un aspect ludique, vivant et brut. Au niveau de l'identité visuelle, l'esprit créateur de Pellan rejoint ma fibre artistique. Nous n'avons toutefois pas le même rapport au textile. Il m'importe de participer à toutes les étapes de confection afin d'assimiler un nouveau savoir manuel. À la différence du peintre, j'envisage aussi d'activer chacun de ces habits lors de mes explorations dans l'espace social.

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70

Figure 9 - Prêtre I Priest

Dans la pièce, il y a cieux prêtres: celul qui officie le mariage d'OIMa et Sébastien, et celui incarné par Feste. La grande s011tane et Je capuchon rappellent l'habit de prêtre des ordres mendiànts de l'époque médiévale. Ces costumes ont pu être portés par l'un

ou lautre des deux personnages.

ln the play, there are two priests: one wflo offlcfates the marriage of Olivia and Sebastian, and a disguised Feste.

The wtde white and blue cassock and the hood are reminiscent ·of the

cfoll'l/ng of medleval priests of the mendîcant orcfers. Both costumes

could have ôeen wom by eîther one

characters.

Prêtre 1 Priest

1968

Déguisement de prêtre pllrtê par Feste Costume of plriest used by fes!e

1968

Dans cet ordre d'idée, j'ai trouvé important que ma recherche comporte des exemples d'artistes contemporains dont la pratique se rapproche de la mienne. En observant plusieurs démarches artistiques qui s'articulent autour de la performance, de la sculpture et du textile, j'ai découvert le travail de Mike Bourscheid. Il s'agit pour moi

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37 d'une réelle révélation, tant sur le plan artistique que personnel. Ce Luxembourgeois d'origine a élu - depuis 2012 - Vancouver comme ville d'adoption au Canada. Il a représenté le Luxembourg lors de la dernière Biennale de Venise en 2017. Le portail officiel du Grand-Duché de Luxembourg donne une excellente définition du travail de cet artiste :

Mike Bourscheid, un jeune multitalent né en 1984, se considère comme un artiste-artisan qui aime fabriquer tous ses objets lui-même. Le processus du "do it yourself'' touche ainsi au cœur de son art et en constitue le noyau. Pour chaque nouvelle œuvre, l'artiste acquiert de nouvelles connaissances artisanales. Par conséquent, toutes ses productions sont dotées d'un caractère très personnel.( Le portail officiel du Grand-Duché de Luxembourg : Consulté en mai 2018)

http://www.luxembourg.public.lu/fr/actualites/2017 /05/08-biennale/index.html

Au même titre que Bourscheid, ma démarche est motivée par l'objectif de développer de nouveaux savoir-faire manuels afin de pouvoir créer le matériel performatif dont j'ai besoin. La description du caractère très personnel des performances de Bourscheid ajoute une dimension mystérieuse à sa pratique. Ses installations, dont la facture intime attire le regard, semblent contenir une histoire pouvant être dévoilée au public lors de ses performances. Malgré les similarités facilement observables entre nos deux pratiques, les· espaces d'interventions diffèrent. Bourscheid présente ses actions dans des contextes de musées et de galeries, alors que de mon côté j'explore les milieux non dédiés à l'art.

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Figure 10 - Thank you so much for the flowers

3.2 Élaboration de cérémonies collectives

La ville est pour moi un immense laboratoire où il m'est possible d'implanter de nouveaux concepts artistiques. Il y a maintenant plusieurs années que je réalise des interventions dans l'espace social. Même si la plupart de ces actions performatives ont favorisé la rencontre avec un public non averti, les gestes rituels pratiqués ont été réfléchis pour des interventions individuelles. Il m'est donc apparu pertinent de mettre ma pratique au défi en essayant d'inventer des cérémonies collectives. Mon intention derrière cette tentative consiste à élaborer des stratégies qui puissent me permettre de transmettre l'expérience performative. Ainsi, différents questionnements ont émergé de cette nouvelle orientation. Comment créer du matériel performatif

Figure

Figure 3 - Cérémonie de thé québécoise
Figure 4 - Cérémonie de thé québécoise
Figure 5 - Cérémonie de thé québécoise
Figure 7 - Retour vers le futur québécois
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