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L’initiation féminine dans l’oeuvre romanesque d’Anne Hébert

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Academic year: 2021

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Texte intégral

(1)

l'oeuvre romanesque d'Anne H&ert

par

~eve ~uldovv.oey

~emoire de maitrise soumis

a

la

Faculte des etudes superieures et de la recherche en vue de 1 'obtention du diplOme

~aitrise

es

lettres

Departement de langue et litterature fran~aises Universite ~cGill

~ontreai, Quebec

Juillet 1993

(2)

c

Je 1iena a remercier le professeur Jane Everett

pour sa pa1ience et pour r6c1airantc cliRction dont j'ai pu b6neJicier clans la r6aJisation de

ce

travail.

(3)
(4)

c

c

This master's thesis deals with the question of mmanon in Anne H6bert's novels. The critical analysis is based on the wotk of Simone Vieme and Mircea E1iade (among others). Vieme defines a three-phase scenario which she believes is common to

an

ini1ia1ions. This scenario includes a preparatmy phase, a symbolic death as wen as a rebirth. This division into initiatory steps seemed appropriate to this study, tllerefcR, each of the 1bree chapters in this thesis COI1'esponds to one of the phases defined by Vieme.

The first chapter deals with the preparatory phase of initia1ion, which each female character (as wen as certain male characters) must live through. In the second chapter we have dealt with the <<S)mboJic

deaths»,

or rites of passage. We also examine the motifs of

violence and rape which inevitably coincide with feminine rites of passage in Annc H6bcrt's novels. In the third chapter we have analysed the theme of <<rebirth>> and the link between this theme and motifs of death, as wen as attempts on the part of the female characters to break away from 1radi1ion.

This study does not deal exclusiwly with feminine initiation. We have examined some masculine initiations as well, not only because they rcscmblc the feminbtc cxpcricncc to a certain degree, but aJso because they bring to light certain constants in ini1ia1ions within

(5)

0

TABLE DES MATlERES

L Introduction 1

n.

Chapi1re premier. La formation ini1ia1ique 7

1.

Donnecs

1h6oriqucs 1

2. L'attrait du r6gime nocturne 9

3. La forma1ion et le con1r0lc 19

4. L'apprentissage des gestes 25

m.

Chapi1re deuxieme. La mort ini1iatique 33

1. Le lien mort-inida1ion 33

2. Le myst:Cre du sang: les sorcieres et 1es vampires 36

3. L'immcrsion daDS l'eau: l'ini1ia1ion sexuelle et la mort 43 4. La mort ini1ia1ique et 1'6tat civil de la femme 51 IV. Chapitre

1roisieme.

La nouvelle naissance 59

1. La nouvelle naissance 59

2. Le rOle matemcl: une interpr6tation

«sacrilege»

62

3. Le retour des marts 69

4. La nouve11o naiaaance: faire surgir le moi reel 78

V. Conclusion 89

(6)

c

Dans cc mCm.oirc de mai1risc, nous cxaminons lea miDations dans lea 1'0liiiiiS

d'Anne H6bert. Notre etude s'inspire des oeuvres de Simone Vieme et de Mircea Eliade (en1re autres). Vieme d6finit un sc6nario initia1ique en 1rois etapes, a sawir, la pr6para1ion, la mort initia1ique et, :finalement la nouveBe naissance. Ce d6coupage en 6tapes nous a

semble

appropri6

a

notre dCmarchc; nous avons done divis6 no1re 6tude en 1rois chapitres, chacun com:spondant

a

l'une des 6tapes d6crites par Vieme.

Nous 1raitons en premier lieu la p6riode pr6paratoire

a

l'initia1ion que chacun des personnages

f6mfuins

(ainsi que certains personnages masculins) doit passer. Au deuxieme chapi1re, nous abordons les «marts symboliques», ou les rites de passages. Nous cxaminons en

meme

temps les mo1ifa de la violence et du "viol, motifs iDs6parab1es des rites de passages f6minins clans les romans d'Anne H6bert. Daos le troisieme et demier chapi1re, nous ana1ysons d'unc part le thCmc de la <<noU\'Cilc naissancc» et le rapport cn1rc ccJlc-ci et

les motifs de la mort, et, d'autte part, les tenta1ives des pcrsonnages feminins de rompre awe la 1radition.

No1re etude ne se 1imite pas aux ini1ia1ions f6minines: nous examinons aussi certaines initiations masculines car non seulement ressemblent-eJles

a

certains 6gards

a

ceDes des fenunes, mais aussi parce qu'eBes mcttent en huniere ccrtaines constantcs des ini1ia1ions clans les soci6t6s pa1riarcales.

(7)

0

c

proprement dit, celui qui

evoque

le cheminement d'une ime, abou1it natureUement

a

la mort du myste, cette mort cons1ituant l'acces

a

une nouvene vie»1. Si nous consid6rcms les romans d'Anne Hebert

a

la 1umiCre de cette d6fini1ion, nous pouvons voir qu'i1s partagent

certaines caract6ristiques des romans ini1ia1iques. Anne Hebert pr6sente g6n6ralement des personnagcs qui, en passant de l'enfancc

a

l'igc adulte, tentcnt de conserver unc mcsurc d'autonomie, tout en essayant de s'int6grcr

a

la societe. Dans son oeuvrc, eUe «otfrc un 1rajct spirituel qui fait parallelc non sculement awe celui de scs compattiotcs quebecois,

mais aussi avec celui de ses contemporains de partoub>a.

En explorant les con1tits que vivent ces personnages face aux paradoxes de l'existence, Anne Hebcrt met

a

nu lcur r6alit6; ce faisant, clle <<fait douter de cette r6a1it6 en questionnant

jusqu'a

nos moycns de connaitrc ce monde qui nous cntourc, et cela m!mc depuis son premier roman»3. Dans son oeuvre, eUe questionne les mythcs qui detenninent la structure

meme

de no1rc monde, en particulier, nous semble-t-il, les rituels sociaux et rcJigicux quijalonncnt le passage de l'cnfancc

a

l'igc adultc.

Dans ce memoire nous examinons les inidations clans lcs romans d'Anne H6bert, plus pa:rticuliCrement mais non pas exclusivement, les ini1ia1ions f6mioines. Dans certains des I'01IUUlS, le scCnario iDitiatiquc fait partic plus ou mo.ins cxpJicitcmcnt de la tramc

natTa1ive (Les e'ffants du sabbat et Les fous de Bassan), tandis que daDS les au1les (La

chambres de bois, Kamouraska, Helolse, Le premier jardin et L'e'ffant charge de songes"f l'initiation est plus discrete. Toutefois, il y a en1rc chacun de ses romans et les

1 L. CeDier, «Le roman initiatique en Fmnce au temps du romantisme». in P~~rcours inltiatlques,

Neuchitel,

Edmons

de la Baconniere, 1977, p.125.

1 A.R. Chadwick et V. Hqer-Gring)ing, «Anne Hebert: metamorphoses lutetiennes», in CliiJIJdlon

Literature, 109 (ete 1986), p.l66.

3 A.R. Cbadwick et V. Harger-Gring1ing, «Anne Hebert: metamorphoses Iutetiennes», p.166.

4 A. Hebert, Les chambres de bois, Paris, Editions du SeuiJ, 1958, «Points»; Kamoureuka, Paris,

Editions

du

(8)

c

.

c

ac6narios initiatiques traditionnels «tme analogic structurale et symbolique suflisamment reconnaissable, prCcise et C1roite>~. pour reprendre la terminologic de S. Vieme.

Nous nous scrvirons justcment dans cette 6tude du Jivre de Simone Vieme, Rite,

roman, initiation, conune point de

repere

d6finissant le sc6nario ini1iatique dans la

JittCrature. S'inspirant surtout des

oeuvres

de :Mircea Eliade et de ccrtains au1res

etlmologues (Andr6 Vire], Robert Jaulin et Dominique Zahan, en1re au1res), Vieme analyse

les ini1iations rcligi.euses dans le but de montrer comment l'initiation «resurgi[t] et s'cxp~ime de

f'a9on

plus ou mains voilee dans les oeuvres Jitt6raires»6, et d6finit un sc6nario commWl

a

toutcs les initiations. Seton Vieme, toutc c6r6monie d'initiation comprend trois 6tapes,

a

savoir la prCparation, la mort initiatique et, finalement, la nouveUe naissance.

Nous nous sommes aussi inspirCe de plusieurs oeuvres de Mircea Eliade,

Naissances mystiquss, Initiation, rites, societes secretes et Mythes, rivfls et mysteres1•

Eliade examine surtout les initiations des

societes dites «pdmitifs» comme,

par exemple, les

societe& alchimistes, les <<SOCietes de chasse» afticaines et afio..asia1iqucs8 ainsi que la

societe

des indiens Kwaldutti9. B traite aussi des initiations qui persiste jusqu'aux temps modemes, comme celle de la F~e par exemple. L'anthropologuc roumain note que, dans les soci6t6s primi1ives, les rites de passage <<Sont obligatoires pom tous les jcunes du triblJ>>lO; l'inifiaUon in1roduit le

neophyte

a

la vie adu1te et 811X my1hes

tradi1ionnels de sa commuoaut6. L'apprenQssage de la mythologie de la 1ribu constitue un des CICments esscntiels de l'initiation rcligieuse, puisque cette histoire

Editions

du Seuil, 1980; Lea foua de Baaaan, Paris, Editions du SeWJ, 1982, «Points»; Lea premier

jardin,Pam, Editions du SeuiJ, 1988, «Points»;L'Biifant charge de songes, Paris, Editions du Seuil, 1992.

5 S. Vieme,Rite, 1'01111111, initiation, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 1973, p.S.

6 S. Vieme.Rite, roman, initiation. p.S.

7 M. EHade, Naisaances mystiques, Paris, Gallimard, 1966, «Les essais»; Initiation, rites, societb

secretes, Paris, Gallimard, 1959, «Les essais»; Mythes, revu et mysteres, Paris, Gallimard, 1957, «Les

essais».

8 Voir Naissances mystiques, p. 180-181.

9 Voir Naissances mysliques, p. 139-147.

(9)

0

[ ... ] raconte comment les chases sont venues

a

l'etre. [ ... ] ene fonde aussi tous les comportements humains et toutes les institutions sociales et culturenes. Parce que l'homme a Ctc5 cr6C et civiJisC par les

tttes

sumaturels, Ja somme de ses conduites et de ses activitCs appartient

a

l'<<histoire sacree»; cette histoire, i1 importera de Ja

conserver

soigneusement et de Ja trausmeUre intacte aux nouvenes g6n6rations.u

:Mircea E1iade explique

qu'a

Ja difference de l'homme <<primitiD>, l'homme modeme ne manifeste pas ouvertement une croyance dans l'origine «sumatureRe» de l'homme et son

univers. En con.sCquence, Ja mythologie et J';mtiation semblent avoir perdu lew- signification reHgieuse.

n

nous rappene d'ailleurs «qu'une des caract6ris1iques du monde modeme est Ja disparition de l'inmation. D'une importance capitale dans les

societes

traditionneD.es, l'inida1ion est pradquement inexistante dans Ja societe occidentale de nos jours»tz. Evidemment certaines des c6r6:monies qui jalonnent le passage de l'enfance

a

l'ige adulte comprennent un element ini1iati.que, mais le lien en1re ces c6r6monies et le sumaturel n'est plus tenement evident pour le neophyte. Leur signification pour l'honune modeme est surtout de nature sociale.

En examinant un grand nombre d'exemples, E1iade tente de dCgager une structure commune

a

tous les sc6narios inmatiques. D note d'ailleurs qu'il existe entre toutes les categories de l'initia1ion <<Uile sorte de so1idarit6 suueturale qui fait que,

wes

dans me

certaine perspective, toutes les iniDations se ressem.blent>>13. C'est justement dans cette perspective que nous aborderons notte 6tude des initiations f6minines dans l'oeuvre romanesque d'Anne Hebert.

11 M. Eliade, Initiations, rites, socleth secretes, p.l4.

12 M. EJiade, InltiatioNI, rites, societb aecritu, p.ll.

(10)

0

C

'

"

que c'cst «[ ... ] par ~'initiation [ qu']on dCpassc le mode

accede au mode cultureJ»l. D'apres Eliade, l'exp6riencc initiatique est fondamentale au passage de l'enfance

a

l'ige adultc; c'cst gricc

a

cUe que l'cnfant gagne le droit de participer pleinement

a

la vie retigieuse de sa communaute. AiDsi, au cours de la formation initiati.que, <d'CDSCillble des 1radi.1i.ons mythiques>Y. et la conception du monde qui t'Cgne clans la COlDilt1lllaUt6 sont graduellement rewl6s au

neophyte.

Dans ce premier chapitte, nous examinerons la fonna1ion iDiUatique de certains

pc1'IOIID8gCS f6minins des romans d'Anne H6bcrt. Nous montreroDs comment cdte p6riodc

de fonnation

rDarque

non seulement la fin de l'enfance, mais aussi une rupture awe le pass6 personnel des personnages. Nous vemms d'une part comment cet arrachement se manifeste, et, d'autre part, l'effet de cette rupture sur les penonnages f6minins.

1. Donn6es th6miQ.ues

Avant d'avoir le droit de pal1iciper pleinement

a

la vie spirituelle de la COJIIIIlUl18Ut6

en tant qu'adulte, I' enfant (le n6ophyte) doit apprendre la signification des traditions sacries de la cmmmmaut6» et le comportement que ceJ1e..ci exige de lui L 'instruction constitue une partie de la prcSparaUon des n6ophytes, mais l'essen1iel de cette Jriparation se 1rouvera clans

lGs cxpmicnccs Wcuca par lui:

[ ... ]ils assistent

a

des cc5r6monies SCCJCfes, subissent une scSrie

d'Cpreuves, et ce sont surtout celles-ci qui-- constituent l'exp6rienco de !'initiation: la renoontre 8\leC le sacr6. 3

Done la ~ de formation initia1i.que a tm.e double fonction. D'abord eUe pr6pare le n6ophyte pour sa mort symbolique

a

1rawrs 1.Dl endoc1rinement oral et 1.Dl

1 M. E1iade, lnltiatlon, rltu, societu aecretu, Paris, GaDimard, 19S9, «<dees», p.27.

2 M. Etiade,Ntdll~a IIJYIIlquu, Paris, Galtimrud, 19S9, «1.es essais», p. 11.

(11)

0

c

enseignement pratique. D'autre part, c'est durant cette p6riode que l'enfant cmilmence

a

compendrc l'ordre scion lcquel sa communaut6 fondionnc et le role qu'il doit y jouer.

Normalcment, l'initiatton se dCroule clans un lieu am6uag6 spCcifiqucmcDt

a

cctte

fin. Les caractCristique de ce lieu doivent le distiDguer de

respace

profane car c'est 18 que

le novice en1I'Cia en contact awe lcs <<forccs incoldr016cs de la naturc»4• Sculs lcs

ini1iateurs et

les neophytes

y ont droit d'acces. Afin de pouvoir int6grer cct endroit

sacre,

le

neophyte

doit se purifier. Souvent cctte purifica1ion n'cst qu'un actc symbolique, parcc que

le novice est consid6r6 comme ni bon ni mauvais avant 1a p6riode prCparatoire; c'est plutOt

1m innocent qui doit appl'CildR

a

«a1rc» socialcmcnt

Comme le soutignc Simonc Vicmc, la crCation d'un lieu sacr6 et la. purificadon du

n6ophyte ne sont pas essemiels

a

l'ini1ia1ion, alors que la mpture qu'eJles consacrent l'est. Ccttc s6paration n6ccssairc ·awe le mondc profane. se pr6scntc g6n6ralemcnt comme un arrachement, qui se manifeste par 1Dle rupture awe le

passe

personnel du novice, plus

prc5cis6mcnt par unc s6paration awe l'uuivcrs matcmeL Ccttc s6paration marque la fin d'un . certain mode d'&1re enfan1in.

Avec ce rite de s6paraUon, quelle que soit 1a forme qu'il prenne - dratDa1ique ou symbolique - est amorc6e }'initiation proprement elite.

n

s'agit desormais, pour le n6ophyte, de

dcSpouiDer sa conddion premiire, de mowir pour nai1re

au1re.'

La rupture est done le moment terminal de la p6riode pr6paratoire. La formation que ~ clans leur jeunesse les h6roines des romans d'Anne H6bert se confotme pour ·

l'essentiel au modCle decrit par Vieme et par Eliade.

4 S. VIeC~~a,Rite, 1'01IIQn, initiation, Gre.noble, Presses Universitaires de Gre.noble, 1973, p.14. 5 S. Vieme,Rlte, roman, Imitation, p.l9.

(12)

0

0

2. L'aurait du Rgimc nocturne

Dans les romans d'Anne HCbert, c'est surtout la mythologie et les rites chr6ti.ens qui

d6tetmincnt 1a concep1ion du monde des pcrsonnagcs et c1es

societes

qui

y

sont dCcrites.

Cela est parliculierement evident clans Les erifants du sabbat, o1i les rites et les c6r6monies

de la mcssc catholique ou «blanchc»ti sont juxtapos6s aux rites du sabbat noir. Julie, l'h6rorne, vit l'exp6rience initiati.que des deux cultes. Nous allons examiner ici la pr6parati.on

qu'cD.c fait avant d'etrc consid6r6c pour l'initia1ion aux deux cultcs; 1'616mcnt qui nous

semble le plus important est l'amchement que d6crivent Vieme et EHade.

Du fait de son isolement, le lieu o1i se d6roule l'ini1ia1ion figure de ~ tangible la rupture Uritimque. Dans la vie de C01IWI1t dCcrite clans Les erifants du sabbat, les socurs sont completement isol6es du monde profane. Le couvent est prCsent6 comme un lieu non seulemcnt coup6. de la nature, mais aussi, comme le constate Dcnis Bouchard, «coup6 de

tout

espoir»7• Lorsqu'eDe entte au couvent, Julie se Jivre avec d6tennina1ion

a

sa fonnation

de religieusc. EDe refuse la messe noire et cssaye d'effacer tous les souvenirs de son enfance clans la montagne de B ... ; eDe se fixe comme but de

[ s )e d6barrasser de la cabane de son enfance. S'en d6faire, 1me fois pour toutes. Et surtout, ah surtout! eU'e d6Jivr6e du

couple

sacre

qui pr6sidait

a

1a

destine

de 1a cabane [ ... ].•

Mais, Julio ne se Jiberera jamais de la cabane de son en:fance. ED.e est et sera toujOW'S

soumise

a

la loi de la sorcellerie. Nous

y

reviendrons.

Au couvent, le silence et l'oppression

regoeot.

Cc n'est surtout pas 1m lieu

ou

les novices peuvent s'exprim« librement. Au contlaire, la consigne du silence est s1rictement

6 J. Engtish et J. VlSWBilathan, «Deux Dames

du Precieux-Sang:

apropos

des E1ifonta du sabbm d'.Anne Hebert», mPrhence:frtmcophone, XXII (printemps 1981), p.112.

7 D. Bouchard. «Lea E'ffants du

sabbat,l'enveloppe des mythes», in Votz et imllgu, I-3 (avrill976), p.379. 8 A. Hebert, Lu e'ffants du 1abbat, Paris, Editions

du SeuiJ, 1975, «Points», p. 7. .Desonnais, tous 1es renvois ~ ce livre seront indiques par le sigle ES.

(13)

0

c

impos6e. <<Le rCgtement est formel Toute parole qui ftanchit lemur du silence, en temps et lieu pcrmis [ ...

1

doit etrc prononcCc

a

hautc et intdtigiblc voix, en vue de 1'6difica1ion du

plus grand nombre de nos soeurs. Les conversations en apart6 ou

a

voix basic sont

. rigourcuscment interdites» (ES p.l8).

Les buts de la rCgle du silence sont d'interdire aux novices de s'exprimer librem.ent,

mais surtout de les emp&her de mmifester leur individualit6. La

mere

Marie Clo1hilde joue le role de tutrice auprCs des postulantes et fait respecter lcs rCglcmcnts du couwnt «Je dis

a

l'une: va, et eDe va;

a

l'autre: viens, et elle vient; et

a

la nouwlle postulante qui entre ici: fiiis ccJa, et eJle le fait.» (ES p.l9) En tant que «ctirec1rice spirituelle», eRe s'occupc non seulement de la discipline des

soeu.rs.

mais aussi de !'effacement de leur personnalit6. La discipline rigide qu'imposc la mCrc Maric Cothildc cxige le d6pouillcmcnt. total de l'individualit6 :

<<Ne vous attendrissez plus sur vous-mame. Ne vous fiez pas

a

vous-m&me surtout.

n

faut, vous m'entende~ vous

abandonner

a

l'o~ la plus s1ricte. C'est vo1re demiCre

chance. Si vous n'at'livez pas

a

prononcor vos voeux

perp6tuels

a

la procbaine priie d'habit, en septembre, vous .

Stes pe.rdue.» (ES p.20)

Une fois

entrees

au couvent, Julie et les au1res novices s'engagent dans une voie

saua issue. Si eJles ne

reussissent

pas

a

garder le silence ou

a

effacer leur identite, eJles manquent

a

1eur voca1ion, et risquent de ne jamais CODDai1re la paix spiritueDe.

Mm

Marie Clotbilde les aVC11it qu'une <<religieuse qui manque

a

sa voca1ion ne 1rouw pas .facllement la

paix, en cette vie et dans l'autte» (ES p.20).

Le silence oppressif dont ces fenunes sont entourc5es n'est pas SIDS analogic avec la

situation des femmes a l'exterieur du couvent Mair Verthuy note ace propos que

[l]e couvent [ ... ] repr6sente la condition f6minine

a

1'6tat brut, une condition

a

l'int6rieur de JaqueHe cel1aines femmes,

(14)

c

c

gardes-cbiounnes, sont design6es pour ioi1ier 1es autres

a

leur devoir de serve et.les y maintenir.' ·

n

n'y a pas que l'isolement et le silence

vecus

au couwnt qui favorisent 1a rupture avec le monde profane. Les postu1antes doivcnt aussi subir des 6preuves d'lrurmliation et de purification avant d'etre CODSid6rCes dignes de prendre leurs voeux. Par exemple, lonque soeur JuJie refuse de se confesser

a

la mere sup6rieure, ene est punie. Marie Clothilde

insiste que l'ime de soeur Julie doit Ctre ouverte

a

la lecture de sa tutrice, qui doit pouvoir s'assurer de la puret6 de ses pens6es. M&ne soeur Gemma, la plus pieuse des postulantes,

est accus6e d'avoir lUlC ime «devenue aussi sale que ses c1aques,

a

fc5poque de Ja slusb, au

printemps» (ES p.46); la pauvre soeur est d6mise de ses fonc1ions de sacristine, et

co.ndamn6e au travail de cuisiniCre, Ja plus profane des taches. Le sommet de la peafection qu'on atteint par la purification et le d6pouillement total de l'etre est 1'6tat de <<non-parole absolue» (ES p. 50).

Bien que la structure symbolique de la messe noire soit l'inverse_ de ce11e de la messe blanche, les techniques de formation dans les deux cuJtes sont les m6mes. Chez ses parents comm.e au COU\ICilf, JuJie doit abdiquer sa JibertC pour se conformer au role qu'on lui hnpose. C'est une sorciCre/soeur qui doit glorifier m ctiableldieu se manifestant toujout'S sous me forme mascu1inelo ..

La forma1ion

que

J.'e90i1:

Julie avant d'&re ini1i6e au sabbat noir comprend 1es 1rois 616ments iden1ifi6s

pir

Vieme et Eliade.

Philomene,

la

mere

supCrieure de .la cabaDe, joue le role de tu1rice et de directrlce spirituelle

aupres

de sa fille. Si cUe n'enseigne pas une

9 M. Verthuy, «Ni verbe ni cbair/e? La religieuse et le cloi1re chez Michete Mailhot et Arme Hebert», in

Atlantu, XIV-1 (automne 1988), p.29.

10 Voir A. Hebert,Lu etffonta du sllhbat, p.ll9: «Le monde est en ordre,les patates et le foin viennent bien, tm an sur deux, 1es enfants poussent dru. Dix, quinze enfants

a

faire baptiser, clans une vie de femme, qu'y a-t-il de plus ordinaire? L 'hiver,le lard

sale,

c'est pour 1es hommes. Les patates et la metasse, 9'l suffit pour

(15)

c

c

catechese

comme cene

enseignee

au couvent, ene est neamnoins charg6e de l'expJication

des rites et des c6rCmonics du sabbat noir.

Avant sa proprc ini1ia1ion, J'ulic n'assistc

qu'a

me sculc c6r6monie, c616br6c daD8 m lieu am.6nag6 sp6cifiquement pour le sabbat: <<Les 1rois cercles magiques sont indiqu6s avec

des picrrcs, bicn · scrr6cs lcs uncs sur lcs autrcs.» (ES p.37) Pour la c6r6monie du sabbat,

les au1re fidetes doivent se tenir hors du cercle; seuls les ini1i6s ont le droit d'y p6nc5trer et

d'Ctre «en contact direct awe lcs pujssances sacrees»11• C'est sculement Ion de .son ini1ia1ion que J'ulie sera admise

a

l'int6rieur du cercle sacr6 et glorifiee comme 6gale

a

ses

parents. (ES p.66)

Mais avmt d'aue initi6c, cUe doit Ctre purifi6e et subir ccrtaincs 6preuws. De fait, la premiere c616bration du sabbat dCcrite daDS le roman est une c6r6monie de purification. Ad6Jard, le c616brant du sabbat, 6gorgc un cochon attache. au dos de

Pbilomene.

Le sang

du petit cocb.on est analogue au saug symboJique du Christ qui <<pUrifie les p6cheurs et rend possible la r6dempti0Jl)>I2. DaDS . Ja mcsse noire, le sang reel rcmplacc le sang symbolique comme agent purificateur. Les fideles de la messe noire sont tous des p6cheurs

du fait m!mc de participer

a

la c6r6monie. Ironiquement, le sabbat noir se donne comme but de «purifier>> les fidCles de l'intluence de la religion chr6tienne; le sang rCel est 1Dl

symbole non sculcmcnt de

riimrsion

des ·rites catholiques, mais du rcfus du cu1tc chrcSticn. Ad6Jard faitjurer

a

sa fille de«( ... ] ne jamais aller

a

l'eglise du village se confesser, de ne

jamais dire de priCre ni de se servir d'cau b6nitc» (ES p.45). Judith English et Jacquclinc Viswanatban ont fait remarquer que les rites et les paroles sacr6s des deux c6r6monies semblent se r6pondre. Ccpcndant, l'ambiance dans Jaquene se d6roule Ja messe noire est

1~ de cene de la messe blanche. Au couvent, lDle a1mosphere de silence 6touffante

11 M. E1iade, Naissances mystiques, p.l4. .

11 J. English et J. Vis~ «Deux Dames du Precieux-Sang: apropos des Enfants du aabbat d'Anne

(16)

0

me cCremonic caracterisCc rCgn.e, les gestes de la messe sont m6caniques et solennels. Par contre, la par me passion violcntc et des gestes encrgCtiqucs. ~esse Toujours noire. est dtapres English et Viswanatban, «[l]a vitalit6 de la messe noire semble C1re liee au role

dominant que la femme y joue»u; notant que ceUe c6r6monic glorifie la femme en particuJier, eU.es citent Michelet, qui affinne que

[l.}a messe noire semblerait C1re ceUe r6demp1ion d'Eve

maudite par le chris1iauisme. La femme au sabbat remplit

toui.

EDe est le sacerdoce, elle est l'autel, ene est l'hostie, dont tout le peup1e communie. Au fond, n'est-eD.e pas le

Dieu meme?14

Julie entre daDs la filiation des sorci.Cres et h6rite des pouvoirs de sa

mere

i travel's

l'inceste et le vioL Mais tout comme au COU\'ellf, ce ma1riarcat apparent s'insere dans un ordre ou la femme ob6it i l'homme qui, lui, est au service du diable. La s1ructure patriarcale domine. Direc1rice spirituelle, Philomene doit expliquer la signification du viol a sa fiJle: «Je

tavais

pourtant dit de te mcffier. Un homme est touj0111'8 un homme. [ ... ]

Braille pas, ma pe1ite ca1in. Tavais ben en

bene.

Tu ten sen1iras pas le jour de tes noces

[ ... ]» (ES p.64). Elle explique que le viol est quelque chose que JuHe doitvivre en tant que fenune; de plus, c'est gr4ce au viol qu'elle sera ini1iee et acc6dera a ses pouvoirs de sorciere.

Ainsi, bien que l'ambiance de la messe noire soit l'inverse de ceUe de la messe

blanche, le.ffet SUI' JuJie de la formation «re)igieuse» J'09UC dam les deux Jieux eat le

meme.

Au couvent, l'effet de separation est atteint par l'isolement et l'a1mosphere 6touffante du

cloitre;

a

la cabane, cet eft'et est le produit du viol.

Ce qui dis1ingue la s1ructure symbolique du sabbat noir de ceDe de la messe

blanche, c'est le renversement total des valeurs. La messe noire est 1'im8ge renvers6e, 13 J. English et J. V1Swanatban, «Deux Dames du Precieux-Sang: apropos des Enfants du sabbat d'Atme Hebert». p.ll3.

14 J. Michelet, La sorciire, Paris, Gamier-Fiammarion, 1966, p.l26. Cite par J. English et J. Viswana.Chan, «Deux Dames du Precieux-Sang: apropos des lbifants rJu sabbat d'Anne H6berb>, p.ll3.

(17)

c

c

comme en m miroir, de la messe blanche. U

ou

celle-ci

venere

la puret6 et exclut le mal,

la messc noir vCn.Crc la nuit et le p&he. Seton Juditb English et Jacquetine Viswana1h.an,

«[l]e monde des sorcieres est la survivance de cette religion plus ancienne qui accepte la

coexistence du Bicn et du Mal, alors que le Chris1ianisme ne con~ le Mal que comme une n6ga1ion du Bien»15•

La stnicture symbolique du sabbat noir s'insere dans ce que Gilbert Durand appeHe

le r6g1me nocturne des images. Dans cc r6gimc, dit-il,

[ ... ] la nuit est valoriscSe «ineffable et m:yst6rieux>>, parce

qu'elle est la source intime de la r6miniscence. [ ... ] [E1le est]

symbole de l'inconscient et pennet aux souwnira perdus de

«remonter au coeur» pareils aux brouiUards du soir. La nuit in1roduit 6ga1ement une doQce n6cropbilie entrainant me

valorisation positive du deuil et du tombeau.16

Juli~ est command6e par le r6gime nocturne, et en d6pit de tous ses efforts pour se 1rallsfmmer en nonne parfaite, elle ne peut pas se delivrer de son enfance ni 1rahir sa

formation premiere. EBe ne peut pas nier son conditionnem.ent primordial,

l'appren1ie-sorciCre commence

a

emerger.

Comme 1u1ie dans Les e'lfants du sabbat, Bemard (Helolse) est tiraill6 en1re deux.

mondes

opposes.

Dans Helolset nous dit Paul Raymond C6te, nous

assistons au drame de Bemard, tiraill6 entre les deux pulsions amiriondques que representent Christine et H6loise.

Que Chtis1ine soit (.~.]l'cxt6riorisation des forces vitales de

la psyche de Bemard, s'opposant aux. tendances des1ruc1rices qui le tourmcntcnt et le d6chircnt incam6cs par H6lolsc, ccla ne change en rien la 1utte f6roce en1re ces deux con1raires

qui cons1itue la 1rajectoire nma1iVe.11

u J. English et J. VJSwanathan, «Deux Dames du Precieux-Sang:

apropos

des Erifants du sabbat d'Anne

Hebert», p.ll4.

16 G. Dmand,.Lu structures anthropologiquu de l'imginalre, Paris, Bordas, 1969, p. 249-250.

(18)

c

C

. j

D appert done que meme si Heloise 1raite surtout de !'initiation d'un personnaae masculin, il

cxistc des pamDeles entre Les erif.ants du sabbat et Helofse. Nous verrons dans cc qui suit

que cette ressemblance s'etend jusqu'aux sc6narios ini1iatiques.

Chris1ine, Ja

fiancee

de Bernard, est d'un caractere joyeux, positive et en1housiaste

devant l'cxistcnce. <<Eile est ]a vie»la.

Bcm&rd,

tourmcnt6 par l'angoisse de la solitude et

par une peur envabissante de Ja mort, 1rouve sa prCsence rCconfortante. Cbris1ine rend

supportable sa solitude et lui fait oubli~ sa pcur.

Lonque tu me quittes Chrisfine, c'est comme si je mourrais.

Le 1rou d'air. Oui c'est cela la meme impression de tomber

dans le vide. Ma vieiJle hoaeur du m6tro me reprend. · le

m'enfonce au

plus

creux

de la terre. Son coeur de (eu et de glace. Au niveau des morts. (H p.19)

Bemard est aussi bant6 par le souvenir de sa

mere

dont l'image lui apparait lors de la c6l6bration des

:fian98illes

du jeune oouple. Selon Paul Raymond C6t6, cette image

<<repr6sente pour Bemard

-.in

danger; il ressent un besoin de r6affirmer imm6diatement la vie en refusant ce fantasme»19. La

mere

de Bemard dominait sa vie au point de l'emp&her de vivre; ce n'est qu'apris sa mort, que Bemard se 1rouve enfin d6livr6 de ce poids 6touffant.

N'6tait-n pas jusqu'a son grand corps d6gingand6 qui retrouvait soup1esse et libert6, . emp&h6 si longtemps par

mine pcti.1s fi1s invisiblcs, COU8U8 par sa

mere a

mamc

sa peau, quand

n

etait

enfant et dormait dans son pe1it lit con1re

le grandlitmatcmcl (H. p.l3-14) ·

, Sa relation avec sa

mere

6tait

tres

intense, de nature symbio1ique presque. AiDsi, la mort de sa

mere,

en lui rendent sa 1i.bert6, cr6e m grand Wle qu'il cherchCra constamment

a

comblcr. Bcmard n'est pas capable d'affronter le monde tout seul; il a besoin de 18 A Hebert, He/orae, Paris, Editions du Seuil, 1980, p. 14. Desonnais, tousles renvois

ace

livre seront

indiques

par le sigle H .

(19)

0

c

Cluis1ine pour l'aider

a

supporter son existence et soulager son angoisse vis-a-vis la. mort et la solitude. La prCsence de Cbris1ine l'ancre dans la r6alit6 et 1ui permet d'ignorer les

songes qui le tracassent tenement. Chris1ine, au fond, remplace la mere de Bemard.

Selon A.R. Chadwick et Virginia Halger-GtiDglin& Chris1ine est

[b]ien install6e clans Ull COidexte familial, elle n'a pas

a

douter de la va1idit6 de son existence; c'est done

a

parlir d'une base s1lre qu'elle pourra s'aventurer clans le

raw, raw

sans profondeur et qui reste solidement ancre dans une

rc5a1it6 banale. 20

· LA oU Cluistine peut imaginer \Ut bonheur parfait dans <d'espace clair et DU>> (H p.42) de

leur nouvel appartement, lUl endroit vide auquel ene pourra «donner vie» et ou ene peut

commencer sa llOUWUe vie avec son mari. Bemard cherche Wl appartement ayant d6ja sa propre histoire ou i1 pourra se cacher du monde et 6viter de faire face

a

sa propre vie.

Dans le nouve1 appartement, il n'y a aucWl refuge, et Bemard se retrouve tout seu1, oblig6 d'affi'onter sa solitude.

En vain i1 guette au plafond uni quelque mou1ure pour y

accrocher son regard. Tout g1isse ici.

n

n'y a prise sur rien. [ ... ] La nudit6 origineUe. Les limbes. Le n6ant. (H p.42)

La premiere 6tape de l'ini1ia1ion de Bemard au monde des marts (des vampires)

prcnd la forme d'une s6duction. Elle se d6roulera clans Ull lieu sp6cial qui a 6t6

minu1ieusement

prepare

par Bottereau et Heloise. D s'agit du deuxieme appartement de Cbristine et Bemard, appartcm.ent qui a tout le channe du vieux temps que Bemard 1rouve si attirant et si Rconfortant. <<L'appartement qu'offre Bottereau

a

Bemard est 1m s6pulcre,

une demeure protectrice contrc Ull monde [ ... ] insupponable~l; cc nouwau logcment

semble

etre

fige dans le passe et repr6sente pour Bemard Wle stabilite qu'il ne re1rouve pas

20 AR. Chadwick et V. Harger-Gring]ing. «Anne Hebert: metamruphoses luteti.ennes», in Canadian Literature, 109 (ete 1986), p.l69.

(20)

0

c

dans les appartements modemes. Bemard veut sy retirer <<pour y vivre et pour y mourir>> (H p.S4); c'cst \Ul 1ieu sacr6

ou

«ricn [ne] chang[e] [ ... ] sauf de

tres

pe1its d6tails~ (H p.98).

En chcrchant un refuge dans cct appartement ancien et sombre comme <<Ulle c:rypte» (H p.lO), Bemard, nous dit Paul Raymond COte,

[ ... ] valorise cc qui l'effi'aie. [ ... ] Cette euph6misa1ion, [ ... ]

passe par la voie de l'erotisation de la mort, processus qui exige l'id6alisation de ceDe qui. rqrisente la fata1it6· (H6lolsc) et qui sous-entend une d6pr6cia1ion de la repr6sentante de la

• (l""t....:...:... ) 22 VIe vWUJIWe ,

Heloise est le contraire de Chris1ine, elle «est la mort>> Q1 p.l OS). EBe semble

' '

incamer tout ce que Bemard craint, mais ilia trouve fascinante. Meme absente, H6loise domine l'appartement, et Chtistine avec ses «bouffes d'air frais, [ ... ] et ses nouvelles du monde» · (H p.62),

y

parait «une intruse» (H p.61). Au fur et

·a

mesure que cette fascination progresse, Bemard trouve Christine de plus en ·plus r6pugnante. D est totalement s6duit par cette ·<<fiDe au cheveux de la nuit» (H p.27), par le monde nocturne qu'elle repr6sente, par le fait qu'eUe ne manifeste aucune crainte face

a

la mort et aux t6nebres. Lorsqu'il se re1rouve tout seul dans le metro, sa ·voix lui est 61raugement r6confortante. EJle chante:

n

ne faut pas se d6soler Pour si peu, mon ami Unc de pcrdue Une de. retrouvee

CcUe qu'on n'attendait pas Sort de l'ombre

Creuse sa galerie profonde Au coeur noir de la terre Pour venir

jusqu'a

toi. (H p.20)

Cette premiere rencon1re dans le m6tro marque pour Bemard une mpture avec le monde, qu'il considCre c:lCs lors comme profane. La vie r6eUe 1ui semble banale et vulgaire,

(21)

c

c

et il a l'impression que sa <Maie vie est aiDeurs» (H p.25). Bemard en vient

a

vouloir romprc avec toutcs ses .ancicnnes habitudes et avec Christine. <<La sCparaUon a deja eu lieu CeUe :fiJle auxjoues 1rop rondes est devenue une etrangere» dira-t-il (H p.30-31) .

.

Son obsession avec Helolse l'a

1ransforme.

Lui ·qui, naguCre, avait peur de l'obscuritC et des pro,fondeurs du m6tro, va maintenant va1oriser les images nocturnes et l'idCe de la descente: <<Le goufli'e. L'absolue vCritC qui se cache au fond li ou aucun mcmsonge ni pitiC ne peuvcnt subsister.» (H p.40) Le mondc nocturne rcprCscntc

d6sormais le

sacre,

et HClolse remplace Chris1ine comme source de confort matemel pour Bcmard23• Mais Helolsc fait plus que rCconforter le jeune hommc tourmcntc5, elle lui o:ffre aussi l'immortalitC et la possibilit6 de <<S'installer dans le temps»24•

Au d6pays6 et au

dCracine

de nos jours, Paris/H6loise o:ffi-e un nouwau pays, celui de la connaissance de la mort. lieu de tourment int6rieur et de division profonde de 1'6tre, Paris saigne l'bnagination nounissante

a

blanc tout en o:ffrant les

tenta1ions d'un banquet

a

n'en plus finir. 25

. Dans Helolse tout comme dans Les erifants du sabbat, le regime nocturne des images domine la structure symboJique. La fonnation ini.1iatique clans les deux mondes consiste en le valorisation et l'acceptation des images nocturnes et le refus du r6gime <<SOI.aire». La fonnatidn initia1ique dans ces deux romans cornprend · me dimension d6te.aministe. Les deux perso.npages principaux, Julie et Bemard, tentent au depart de se hb6rer du monde nocturne, de faire comm.e s'ils

avaieni:

v6cu des initiations <<nonnales». Mais

deja

initi6e au sabbat noir, JuHe ne rCussit jamais

a

1ranscender son condi1ionnement premier, comme Bemard ne r6ussira jamais

a

se d61ivrer de son aogoisse et <<Vivre au grand jolll'» (H p.l 09).

23 AR. Chadwick et V. Hmger..Qringting, «.Anne Hebert metamorphoses J.utetienn.es», p.l70: «La presence d'Heloise

revete [ ... ]

la tentation de se reunir avec sa mere».

24 AR. Cha(J.wick et V. Harger-Oringling. «.Anne Hebert: metamorphoses lutetiennes», p.170. 25 AR. Chadwick et v. Harger-Oringting, «Anne Hebert metamorphoses ~ennes», p.l70.

(22)

c

C.

'

3.

La

formation et le con1r01e

La dimension d6terministe

a

laquelle nous venons de faire allusion est egalement en evidence dans Les fous de Bassan. Commc dans Les enfants du sabbat, le code du

comportement f6minin est ttansmis de

mere

en fille, mais c'est l'homme qui d61ient l'autorit6 absolue dans Ja communaute. Les jeunes fi1les de Gtiffen Creek apprennent 1rCs tOt quel doit

etre

leur role. Par exemple, les domestiques du pasteur Nicolas Iones, les jumcBcs Pat et Pam, ont 6tC <<rompUCS

a

l'obCissance par 1eurs parents dCs lcur plus jeune ige»26• Comme ses cousincs Pat et Pam, OJiviajoue elle aussi le role de serviteur

aupres

des hommcs de sa famille. Sur son lit de mort, Ja mere d'Oiivia lui a fait promettre d'etre . <<PIIfaitement obeissante» (FB p. 75) a ses ftCres et a son pere. Ayant accept6 d'asswner Ja fiche de sa

mere,

O.livia a accept6 du m&ne coup le sort de ccJ1e..ci, a acceptC. done que son identit6 soit 6tou:ff6e sous Ja tyrannie de l'autorit6 des honunes de sa famille. L'ordre pa1riarca1 est pr6iminent

a

Griffen Creek, et le code de comportement f6minin se conforme exactement aux: exigences de cet ordre.

La mort de sa

mere

et Ja promesse qu'eBe 1ui a faite marquent la fin de l'enfance, d'OJivia, temps dor6 et 1umineux

ou

les petites :fiD.es et le pe1its gat90DS se 1raitcnt d'6gal

a

6gal. Ce sont des camarades de jeux itmocents. La petite Olivia regarde son cousin, Stevens, avec franchise et admiration:

La petite :fille cligne des yeux, regarde le pe1it garc;on longuement, de bas en haut, lumineux et dor6 [ .•. ] comme un soleil pile echevelC, pense-t-eBe. (FB p.20S)

Des

qu'eUe atteint Ja puberte, ses rapports avec les hommes seront strictement

surveD16s. Ses frCres l'espionnent et les voix de ses meres et

grand-meres

lui cbucbotent des

26 A. Hebert,Lufmu th Bt181an, Paris,

Edition

du Seui1, 1982, «Points)), p.l9. Desonnais tousles renvois

(23)

c

c

awrtissements contre le danger du contact avec les hommes27• La :franchise et la confiance

de son cnfance n'e:xistent plus. Olivia est devenue 1Unidc et crain1ive devant le pouvoir des hommes et a appris

a

craindre sa J'I'OJJR sexualit6. Femme ob6issante, elle 6coute ses freres et les voix qui lui conjurent de cacher ses d6sirs deniere 1es tlches du quo1idien.

La m6fiance que lui enseignent les voix est bien en Cvidence lorsque Stevens vient lui rendre visite. Pour se proteger con1re le danger que cet homme rqrisente, elle <<se raccroche le plus longtemps possible aux mouvements prCcis du fer sur le Jinge humide, lDte cohorte de femmes dans l'ombre et le vent la priant de con1inuer

a

repasser comme si de ricn n'6tait» (FB p.21 S). Ccs mCm.es voix mythiques, auxquelles cUe est attentive, lui conseil1ent de ne pas exptimer le d6sir que Stevens 6veille en elle, ni les sentiments qu'eUe 6prouve pour lui. Mais la chose la plus importante que les voix essayent de lui expliquer, comme nousl~ rappelle Neil Bishop, c'est la r6a1it6 que

[ ... ] l'homm.e n'acceptera pas 1Dl rapport d'CgalitC dans le

deair et niera explicitement le droit de la femme de d6sirer l'homme, tout en cherchant

a

r6duire la femme

a

n'atre qu'un

objet sexuel, que de la chair rCduite

a

un d6sir qu'il

&.-: ... 28

m"l'1-·

Toutes les femmes

a

~en Creek semblent atre condamnCes

a

1Dl role

d'inf6rieure. Certaines l'accepteront. Maureen, par exemple, emit que sa vie serait sans aignffica1ion si elle n'avait pas d'homme. Stevens remarque

a

ce propos qu'elle «est heureuse de nounir un homme et d'atre command6e par lui>> (FB p.66). Irene, la femme

de Nicolas Jones, est consciente elle aussi de ses devoira feminins. Elle sait

tres

bien qu'elle n'a pas le droit d'exprimer son horreur des injures de son mari, qui la dent responsable du fait qu'ils n'ont jamais eu de fils. EUe se suicidera au lieu d'exposer le sectet coupable de

27 A Hebert,Lu foua de BIJ88an, p.219: «Les voix de mes meres et grand-meres me recommandent tout bas de ne pas lever les yeux vers lui.»

28 N. Bishop, «Eneegie textuelle et production de sens: images de l'enmgi.e dansusfous de BIJ88an d'.Anne

(24)

c

0

son mari, c'est-a-dire se relation incestueuse avec leur niece Nora. C'est \Ul geste que

Nicolas saura apprCcier:

La discre1ion d'lrCne a toujOUl'B 6t6 remarquable. Jamais \Ul

mot plus haut que l'au1re. Ni

scene,

ni dispute. La voici qui

s'Cfface comme \Ul dessin que l'on gomme. Sans \Ul mot

d'explication pos6 sur la table de la cuisine, elle est

allee

se pendre dans la grange. (FB p.48-49)

Au fond, ce que Nicolas Jones admire le plus chez sa femme, c'est sa capacit6 d'effacer sa propre iden1ite pour mieux.le servir.

L'atmophere dans laquelle les femmes de Griffen Creek doivent apprendre

a

exister en est une de silence et d'oppression. La franchise et la force avec lesquelles Nora exprime

ses 6motions et son d6sir marquent done \Ul

comraste

radical avec le comportement des

au1res femmes de la comm1m81Jt6. Nora semble refuser non seulement la forma1ion

ini1ia1ique, mais aussi le rate auquel ceDe-ci

prepare.

EDe se dc5clare 1'6gale de l'homme et ne cherche ni a comprendre ni a accepter la concep1ion du monde dominante. Elle tente

plutat de cr6er «[ ... ] sa propre mythologie qui integre celle des contes de fees et celle du

monde 6denique avant l'inwntion de la n6ga1ive»:Z9, Elle se veut <<Eve nouvelle» (FB

p.ll8) qui n'6tant ni soumise a Adam ni culpabilisee par lui, ne se dCfinirait pas non plus

par rapport i lui: elle serait «faite du Hmon de la terre comme Adam, et non 8011ie d'entte

les c&es

seches

d'Adam, premiere comme Adam>> (FB p.ll6). En refusant \Ul role suba1teme, Nora se d6clare <<SUjeb>, awe sa propre iden1it6 et ses propres d6sirs... tout comme l'homme30.

29 R. .Mesavap, «L'llenneneutique de l'ecnture: Lu fous de BQSiflll d~e Hebert», in Quebec Studies, V

(1987).p.117.-30 K. S1ott, «Submergence and Resmgence of the Female Other in .Anne Hebert's Lu foua de BQ88an>>, in Quebec Studiu, IV (1986). p.l59. Kathryn Slott y explique comment le paradigme du «Sqjet» et de «l'autre» defini par Simone de Beauvoir s'applique A la presentation de l'identite mascu1ine par rapport

a

l'identite teminine dansLesfoua de Baaaan.

(25)

0

c

Le refus de NoratEve repr6sente un danger a l'ordre patriarcal rCgnant

a

Griffen

Creek. De fait, toute manifestation d'autonomie, d'individua1it6 et d'energie f6minine constitue une menace au pouvoir de hommes de la

communaute.

Le seul moment ou les

femmes sont librcs de jouir de lour fCminitC est lors de la baignadc matinalc mpnisCo par

F6Jicity et

a

laqueUe participent Nora et Olivia. Seton Kathryn Slott, F6Jicity a voulu offiir

ainsi

a

ses pe1ites :fines un espace sacr6 clans lequel eUes poumient jouir librement de leur energie et de leur pouvoir f6minins31. Ce pouvoir est cependant tout

a

fait illusoire, car des

qu'eUes sortcnt de l'eau et qu'eUes marchcnt sur la gn)ve, eUes doiwnt n6cessairement se

soumeUre

a

l'autorit6 masculine.

Meme Non, qui refuse d'accepter teUe queUe la mythologie fondatrice de la soci6t6, doit s'y soumeUre.

A

la :fin du roman, sa voix et la 1ibert6 que ceUe-ci expdme seront

6touffees par Stevens. On notera par aiJI.eurs que ses id6es poten1ieUement Jib6ratrices ne

sont jamais cxpr:im6es

a

hautc voix, mais seulement clans sa tafc32, commc cD.c le constate enc-meme:

[ ... ] je me suis faite chair et j'habite panni eux, mes :treres et mes cousins de Griffen Creek. Le verbe

en

moi est sans

parole prononc6e ou 6crite, r6duit

a

un munnure secret clans

mes wines. (FB p.118)

Ka1bryn Slott

suggere

que

renergie

sous-jacente au roman s'exprime

a

travers la voix et une g6n6alogie m.ythique f6minines. Cependant, tout comme clans Les elffants du sabbat, les femmes-anc&res clans Les fous tk Bassan jouent un r6le paradoxal.. D'abord, cUes assistent clans la fonnation des neophytes, mais cette fonnation est

a

son tour un

31 K. Slott «Repression. Obsession. and R.e-emelaence in .Atme Hebert's Lea/ous de Ba88an». in The AmtlrlcanRtiVi.wofCanadianStudiu, XVII-3 (automne 1981),p.303.

31 M. R.andaD, «Les enigmes des Fous de Ba88an: teminisme, narration et cl6tore», in Voix et inuJgu, XV-1

(automne 1989), p.72. Marilyn Randall oonstate que «1a 1iberte naissante de la parole hberatrice des femmes» n'est qu'une illusion. D'une part Nora affiune elle-m8me que sa voix est muette, d'autre part. Olivia doit mourir avant de decouvrir sa voix.

D'apres

RandaD, le pouvoir des femmes dans Les fous de Bauan n'est qu'un «iiree1 mythologisant».

(26)

c

c

apprenDssage de la soumission. Les ancettes contn"buent done, indirectement,

a

l'opprcssion de lcun pctitcs-fillcs.

Dans L 'er( ant charge de songes comme dans Les fous de Bass an aussi, la fonna1ion des protagonistes (Julien et Helene VaDieres) a et6 s1rictement surveillee par une femme (lcur

mere).

Paulinc V

alliercs

garde scs enfants completcmcnt isol6s:

L 'univers dans lequel ils vivaient, tous 1es 1rois [ .•• ] 1es isolait du monde entier. On aurait pu croire qu c'etait 91la vraie vie, une eofance intenninable, une sorte de jardin suspendu, en1re ciel et terre,

ou

s'Cbattaient

mere

et enfants,

a

l'abri du mal et de la mort. 33

Comme 1es

metes

et les grand-meres a Oriffen Creek, Pauline V aDieres cherche surtout a

proteger

scs enfants. Ds se sentent cependant

etouffes

par sa sonicitude. La mC.re insiste

pour connai1re non seulement les d6tails de leurs activit6s quotidiennes, mais aussi leurs

pens6es les plus in1imes. <<Tu me ctis toujOUI'B

ou

tu vas, ce que tu fais, ce que tu penses, et je t'Ccoute et te questionne

jusqu'a

l'aube s'il le faut». (ECS p.37) Ene veut

a

tout prix

maintenir cette autorit6 absolue, car «[ s]euls ses deux enfants semblent lui assurer une certaine emprise sur la teJTe hos1ile et fuyante» (ECS p.31).

Lorsque Lydi.e Bnmeau vient

a Duschesnay

pour

rete,

Pauline craint tout de suite qu'eBe cherchera

a

affaibJir son emprise SUT ses enfants. Elle leur defend sttictement de :fu5quenter Lydi.e, voulant <des enfenner dans son giron, comme si [ ... ] l'e1raogCre venue a

Duchesnay pour changer la vie qui Ctait pourtant bonne et sans histoire» (ECS p.4S). Mais Helene et Julien sont tousles deux sCduits par cette fine survenue clans lcur UDivers clos et fade. Pour sa part, Lydi.e est consciente de son e1fet sur les deux enfants. Ene sait aussi qu'eBe provoque la panique chez Pauline, qui craint de les perdre. Lydie voudrait initier

33 A Hebert,L 'enfant charge de songes, Paris,

Editions

du SeuiJ, 1992, p.37. Desonnais, tous 1es renvois

a

ce livre Sero.nt indiqu6s par le sjg1e ECS.

(27)

0

c

Helene et Julien

a

l'ige adulte en les exposant

a

tout ce que Pauline 6vite: <<1e les

aftiancbirai, moi, ces Petits, tousles deux. Je serai leur mauvais g6nie.» (E.CS p.59)

Lydie encourage Julien et Hclene

a

quitter l'wlivcrs de l'enfance pour int6grer son

UDivers fabuleux

a

elle.

A

Julien elle Ccrit: <<Ie fapprendrai les

poetes

maudits et tu vems

comme

tu leur ressembles

au

fond de ton petit

coeur innocent.»

(ECS p.71) Julien est

perturb6 par la pr6sence de cette fille et par les senmnents qu'elle 6veiUe en lui; ilia 1rouve

a

la fois attirantc et rCpugnantc. At1irantc parcc qu'cUc est bcUc et 6lrangc, r6pugnantc parce qu'elle semble se moquer de son innocence et de son inexpCrience. Le vocu le plus

cher de Julien est de perdrc }'innocence de l'enfance et de vivre lcs experiences d'un adulte. <<Bientat je serai grand de toute ma taille d'hommc et je me mcsurerai avcc cette fille qui se moque de moi.» (E.CS p.71-72) En d6pit de l'opposdion manifeste de sa

mere,

Julien

con1inue

a

voir Lydie et

sera

ini1ic sexuellement

a

l'ige adulte par elle.

Lydie joue le

role

de tu1rlce et d'initia1rice

aupres

d'H6lene aussi. Elle }'encourage

a

sunnontcr sa peur de sa

mere

et d'abandonner l'univen s6curisant de l'enfance. Elle lui dit:

Si tu le veux, je femmenerai juaqu'aux partes de la mort

[ ... ]. Tu seras reine et mai1ressc i ton tour. Mais avant il faut

· que tu passes lea 6preuves que je te proposcrai. Apres seulement tu deviendras forte, ind6pendante et 111Sce, face

a

ta

mere

qui r!w de fetouffer dans son giron. Je te

d6barrasserai de ton enfance avant mon d6part. (ECS p. 74)

H61ene est completement d6vou6e

a

Lydie et passe chacune des 6preuves que

cene-ci lui propose. E11e apprend

a

faire de la bicyclette et elle 6crit des 1ettres

a

sa tu1rlce en

d6pit des awrlissements de sa

mere.

Chacune de ces 6preuves repr6sente me victoire pour

H61Cne, qui a !'impression de devenir plus confiante et independante, conune Lydi.e lui avait

(28)

c

c

Deux formes d'initiation en1rent en conflit dans ce roman. Pauline V aDieres semble

vouloir dCtoumer l'ini1ia1ion <<notmale» de ses fins <<ll011Dales»; en cherchant

a

enfermer ses enfants Julien et Helene dans leur condition d'enfants. L'ini1iation con~ue par Lydie est

plus <<nonnalc» daDS la mcsurc ou cnc "Viae l'acccsion

a

l'ind6pcndancc (il rcste que c'cst

une ind6pendence qui ne correspond pas

a

la d6finition res1ric1ive comrmmement acceptee

par la soci6t6). En fait, H6lenc et Julien se 1rouvent daDs une situation sans issue: d'une

part, leur

mere

ne les pr6parent pas ad6quatement

a

la vie adulte, et d'au1re part la voie que Lydie lcur propose et qui les oblige a 1rabir 1eur mCrc, n'est pas non plus acceptable aux. yeux de la soci6t6. Conune Nora et Olivia dans Les fous de Bass an, cette 1rabison aura de

1rCs graws consequences pour

Hclenc

et Julicn.

4. L'apprcn1issage des gestes

A

la difference de Julien et H61ene VaDiCres, E1isabeth d'Aulnieres (Kamouraska)

connait une libert6 exceptionneJle durant son enfance. AprCs la mort de son

pere,

sa

mere

ne s'occupe

guere

d'eUe, pr6f6rant se refugier derriere ses voiles de deuil au lieu de faire

face

a

une vie sans pr6sence masculine. Mais les tantes d'Eiisabeth voient d'un oeil d6sapprobateur la hbert6 dans laqueUe vit leur niece et considCrent ceUe-ci conune une <<Vnie sauvageonne»34. S'inquietant de son avenir et de son 6ducation, les soeurs de Mme

cl' Aulnieres vont done insister pour qu'Eiisabeth et sa mere d6m6nagent chez ettes. Ce

d6m6nagement marque le dCbut de la p6riode pr6paratoirc pour Elisabcth, ainsi qu'une rupture d6fini1ive par rapport

a

l'univers naturel de l'enfance. Fran90ise Maccab6e-Iqbal

rcmarquc trCs justcmcnt que <da capitulation de madame d'Aulnieres et sa rCintegra1ion au

gynecee

familial marquent une 6tape capitale dans I' orientation de sa :61le»3s. La libert6 et la

lumiere qu'EJisabeth a connues l11C Gemge sont rempJacees par !'atmosphere de rigidite

solenneUe qui domine rue Augusta. La jeune :6lle se souviendra de la maison de ses tantes

34 A. Hebert, KomourtUka, Paris, Editions du Seuil, 1970, «Points)), p.53. Desormais tous 1es renvois a ce

livre seront indiques par le sigle K.

35 F. Maccabee-Iqbal, «Kamouraska: La fiwsse reprc§sentation demasquee)), in Voi% et images, VI-3 (avril

(29)

c

comme d'un lieu ou «[t]out ce qui [se passe est] sans r6plique. Exact Sonnant sous

l'ongle. Pur et sans appeL Une sorte de jugem.ent>> (K p.S4). C'est dans cette atmosphere que la petite fille apprendra

a

C1re femme et

a

etre

f6minine:

EJisabe1h 1iens-toi droite, le buste bien d6gage. [ ••• ] N'oubJie

pas tes Piques. Ne

teve

pas tes yeux de ton ouvrage de

tapisserie. Ta beaut6 et tes bonnes manieres feront le reste. (Kp.S9)

La fonnation de leur petite

niece

est une tiche

a

laqueHe les soeurs Lanouette se

vouent joyeusement. En annexant la vie d'Elisabeth et ceUe de sa mere

a

la leur, «[e]lles

comblent le vide de leurs existences. Vivent profond6ment, par osmose, l'Ctat de veuve 6plor6e et toute une enfance sauvage» (K. p. SS). Mais c'est Elisabeth qui est le cen1re de

leur existence, et eDes lui enseignent les 1~ de la f6minit6 awe d6voucment Sans toutefois parvenir

a

supprimer son goftt de la Jibert6. Ni 1es tantes ni la mere d'Blisabeth n'auront le courage de lui expliquer les secrets les plus importants, les secrets de la

condition f6minin.e, <des mystCres [ •.. ] ins6parables du mariagc et de la mort>> (K p.68). Pour Mme d'AulniCres, qui a perdu son mari avant la naissance d'Eiisabeth, le mariage a

et61e deuil; pour sa fille, le mariage sera la mort, car i1 marquera la fin de sa Jibert6. En

effet i1 ne sera pas <de des1in fabuleux et romanesque» (K p. SS) qu'EHsabeth imagine, mais

plutat la r6p61i1ion continueBe des gestes m6caniques qu'eBe a appris au cours de sa

<<formation>>.

Elisabedt n'est pas une jeune :fil1e ordinaire, eDe aime la chasse et la nature.

D'ailleurs, c'est a la chasse qu'eBe rencon1re pour la premiere fois Antoine Tassy. Ses

tantes insistent que 1a cbasse <<n'est pas wt passe-temps convenable pour wte jeune fille» (K p.66), mais Elisabeth refuse d'y

renoncer.

Ce qu'eBe ne comprend pas, c'est que daDs le mariage, ene ne sera pas 1ibre de faire cc qu'ene veut; au con1raire,

ene

sera completement

(30)

0

c

lui permettrons plus tard

a

camoutler son moi reel, la chasseresse qui demeure toujoUtB en enc.

Comme EJisabcth d'Au1nieres

apres

sa premiere enfance, l'hcSroine de Le premier jardin est elevee daDs Wl.e a1mosphere de rigidit6. Nee Pierrette Paul, eHe est pensionnaire a l'hospice St-Louis

jusqu'a

1'8ge de onze ana. AprCs la des1ruc1ion de l'hospice clans un incendie, elle est accueiDie par la famine Eventurel et rebap1is6e Marie. Son intCgra1ion clans cette famille marque le d6but de sa formation ini1iatique et Wl.e IUpture awe l'univers <<matemel» de l'hospice (la seule figure de

mere

que Pierrette ait jamais connue, Rosa Gaudrau1t,

eSt

morte dans l'incendie ). Mais avant d'int6grer le foyer Eventurel, Pieuette Paul doit &Ire puri:fi6e de toutes les impuret6s de l'orphelinat. <<L'Cpreuve du bain ctesmfectant suit cene du feu et la petite se 1rouw, comme dans un camp de concentra1ion, 6maci6e, nue la tete ras6e, sans nom ni

passe.

Le couple l'appeHe Marie EventureL Chez cux, il s'agit d'apprcndre la langue et les

manieres

des gens bien 6lcv6s»J6. En cffct, afin d'&lre accept6e dans le monde des Eventurel, Marie doit se 1ransfonner complCtement:

On ne dit pas: «moe, fret, neinge, catin, beuscuit, confeture, bines, ensuite de te ~ prendre une marche». Mais on doit dire:

«moi,

froid, tinge, poup6e, biscuit, confiture, £eves au lard, aprCs 98, faire une promenade». On ne

reve

pas d'une robe en satin, couleur american beauty, parce que cela fait vuJgaire, mais on choisit une jupe

ecossaise

de chez R.enftew, aux audlentiques couleurs des clans 6cossais. Tout ce qui est cScossais ou ansJais d'ailleurs est

tres

b.ien. Pour ce qui est des lrtandais, c'est Wl.e autre paire de manches."

Les Eventurel sont des pr6tentieux et des «snobs», et considCrent comme profane et wlgaire tout cc que Marie a connu a l'orphelinat.

<<A

la maison des EventureJ, il s'agit de d6faire cc qui a 6t6 fait

a

l'hospice, de se conduire comme si ene n'avait jamais su vivre et

56 R. Mesavage, «L'archeologie d'un mythe: Le premier jardin d'Anne Hebert» in Quebec Studies, X

(printemps-ete 1990). p.70.

37 A. Hebert,Le premier jardin, Paris, Editions du Seuil, 1988, «Points», p. 136. Desormais tous 1es renvois

(31)

!"""·

commen~

a

peine

a

respirer>>. (PJ p.l38) Marie fait de son mieux polD' plaire

a

ses

\....~·

parents adoptifs; ene gagnc tous lcs prix

a

1'6colc et apprcnd tous lcs gestcs d'unc jcune fille de bonne famine. Mais, en d6pit de tous ses efforts, eDe ne reussit jamais

a

plaire

a

la

mere

de Madame Eventure~ qui. insiste que Marie ne sera jamais <<UDe lady». «La petite fi1le a

1rCs bien compris que la Reine de Coeur la condamnait a avoir la tete 1rancbee» (PJ p.139), qu'cUc ne serait jamais acccptc5c par la «bonnc sociCte».

Le jugement de la vieiD.e dame poussera Marie

a

chercher

a

se confonner encore plus s1rictement au code

sacre

de la fCminite impos6 par la famiJle Eventuret «Vingt fois par jOlD', Marie Eventurel se demande si elle marche bien comme une dame, si ene salue bien conune une dame, si elle mange bien conune lUle dame.» (PJ p.141) Elle 1rouve son scul refUge

comre

l'oppression de la maison Eventurel dans ses ~ de chant et de diction, «ou eUe s'ecbapp[ e] d'eJlc..mente pom devenir tour

a

tom .Angelique, Ophelie, Catar.ina, Bcline, Rosette, Armande ou Hemiette» (PJ p.152). La crise 6conomique des

annees

1rente oblige les Eventurel

a

mettre fin

a

ces ~ coliteuses. Forc6e d'abandormer les arts drama1iques, <<Malic Eventurel vit son adolescence comme si eUe s'enf01191it dans la nuib> (PJ p.152).

MaJgrC leurs ennuis financiers, Monsieur et Madame Eventurel 1ierment

a

compiCter la formation de lcor :fi1lc adoptive, afin d'assurcr qu'ellc soit «dignc de Lla] place qu'ils 1ui des1inent clans la societe» (PJ p.143). Voulant marquer officiellement sa dissocia1ion awe l'mpheJine, la

mere

de Mme Eventurel decide de lui o:ffiir UD baJ.

ou

Marie polD'I'Iit rencon1rer 1D1 mari convenable. Le bal signale que la famille est prete a

c6der la responsabiJit6 pour leur fil1e adoptive a 1m. 6ventuel mari: <<Et la bonne ac1ion des

Eventure~ commencee 1m. soir d'incendie, se tenninerait au son d'une marche nupitale.»

(PJ p.l60) Cependant, le bal n'cst que du th6itre. Marie Eventurel est maintenant

C

«fonn6e», mais i1 est clair qu'eDe ne sera jamais acceptee par la bonne societe.

(32)

c

c

EUe a dix-huit ans. On lui dit que le collier de pedes autour de son cou lui 'Yient de sa grand-mere matemene. Elle fait semblant de le croire, et autour d'eUe on fait semblant aussi. Mais penonne n'est dupe.(PJ p.160)

Made a appris

a

imiter tous les gestes d'une jeune fille de bonne famille et ses

parents adoptifs sont convaincus qu'eBe <<&'intCgrer(a]

a

la

societe»

(PJ p.161). Mais la jeune fine eUe-meme ne peut pas supporter l'hypocrisie de la bonne societe et refusera de s'y integrer, pr6f6rant quitter les Eventurel pour s'exiler en France, ou eUe poursu.ivera une

caniere

d'ac1rice.

La fonna1ion initia1ique de Catherine, l'h6roine de Les chambres de bois, consistera

clans l'apprentissage de certain& gestes propres au role f6minin tradi1ionnel auquel eUe est

des1in6e. Comme OJivia dans Les fous de Bassan, Catherine a dU remplacer

tres

jeune sa

mere

au foyer. Son enfance a 6t6

dominee

par les taches de m6nage recommencees chaque jour: <<D.ourrir, laver, peigner, habD.ler et repriser>~a. EUe ne remet jamais en question l'autorite de son pere et ne semble ni malheureuse, ni frustree dans ce role, qu'eUe parait accepter avec la

meme

rCsignaUon que toutes 1es autres femmes du pays. EUe incame toutes les quaJit6s positives - une force et une douceur toutes <<matemelles» -U'aditionnellement associ6es au role de la femme, du moins dans les societe& dites traditimmeUes.

Bien qu'eUe accepte son lot, Catherine, comme Elisabeth dans Kamouraska et Nora dans Les fous de Bassan,

reve

d'un certain bonheur conjugal; devant les attentions

des jeunes gens du quartier, eUe devient <dointaine, pleine de d6fi et de m:ystere comme cene qui :Oaire un prince barbare en secret» (CB p.37). Au debut, Miche~ le jeune seigneur, ressemble

a

cette image. Mais il n'est jamais question, clans ce mariage, du

38 A Hebert, Lea chambres de bois, Paris,

Editions

du SeW1, 1958, «Points», p.27. DCsmmais, tous les

(33)

c

r

bonheur ou des

reves

de Catherine: l'essenti.el sera plutOt d'apajser l'angoisse et la

soJitude dcMichcl.

Michel n'aime pas Catherine, i1 est at1ire plutOt par la force et la douceur qu'elle incame. Ce que Michel cherche avant tout, c'est Wle fenune qu'il

puisse con1roler et qui ne repr6sente aucWl danger pour 1ui. Un enfant faible qui n'a connu que le m6pris de son pCre durant son enfance, en tant qu'adulte, i1 veut C1re

le mai1re absolu clans son domaine

a

1ui. Toute manifestation d'Cnelxie done, 1ui semble contester son autorit6.

Catherine pour sa part <<S'appJiqu[e]

a

devenir

ce que Michel desir(e] qu'elle [soit]» (CB p.84). Pour eUe, la s6para1ion awe

la nature et le monde de son enfance est definiDve.

EUe

est non seulement prisonniere clans les chambtes

de bois, mais aussi condanm.6e

a

se tenir immobile afin de plaire

a

son mari. En se mariant avec Michel,

Cathcrine, commc Elisabeth, se croit obtigiee de se

confonner non seulement au code social de la f6minit6, mais aussi aux exigences de son mari.

<<Ca1herine est initi6e

a

l'univers · de Michel en une sorte d'exorcismc, de purification progressive de toutes les impuretCs>~9

Dans l'espace ferme des chambres de bois, la vitaJit6 et la force de Catherine constituent une menace pour MicheJ, cet homme qui se caracterise

par son refus de vivre. Par exemple, lorsque Catherine essaye de faire 1Dl peu

de m6nage, ill'arretera. Michel veut

exomscr

Ja vita1it6 naturelle de sa femme et 1ui imposer Ja

culture; il vcut cr6cr unc femme blanche et douce qui 6coutera sa musique, et lira les poemes et

fables qu'illui recommande .

•••

Les h6rornes d'Anne Hebert ~oivent

une fonnation qui les pr6pare uniquement pour la soumission

a

l'ordre mascuJin. Dans l'univers romanesque d'

Anne H6bert, tout ce

~

39 M. Emond,Lafomme

a

/afenetre, Quebec, Les Presses de l'Universite

La~

(34)

c

qui est fCminin et naturel est dans une

lumiere negative.

Avant d'etre au monde mascutin de

)a culture eDe doivent done C1J'e

puri.fiees ( «Civilis6es» ). La purification est n6cessaire, les soci6t6s qu'eBe d6crit 6tant «6rig6e[s] sur 1a

crainte [du pouvoir f6minin]»4o.

La rupture avec l'ordre nature! peut

aussi s'Cffectuer

a

travel's l'enfermement des personnages fCminins daDs des

Ji.eux sous domination mascuJine. Ces prisons prennent 1a fmme de maisons, d'appartements, de couven1s, de cabanes.

Les femmes sont en outre

prisonnieres

de leun roles, serves soumises

a

un maitre.

Les occasions ou ces femmes sont Jibres de s'exprimer sont

peu nombreuses ou n'existent tout simplement pas. Si eDes

ressentent des puJsions natureUes, elles doivent les cacher ou les refouler. Durant 1a formation initiatique, les protagonistes fCminins

font rapprentissage de Ja crainte: la crainte

de leur sexuaJitC, la crainte du d6sir masculin (des honunes) et Ja crainte des cons6quences de toute deviation par rapport

aux.

valeurs dominantes.

n

est evident que daDs les

soci6t6s ou habitent ces femmes, le naturel et le f6minin sont consi.dCrCs comme profanes et la culture

commc quclquc chose de

sacre.

Cependant, la culture r6prime l'individu et empCche le developpement de l'ind6pendence.

40 P. Smart,Ecrire Janslamaison Jupere,

Références

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