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Le thème de la guerre dans les contes de Voltaire /

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Texte intégral

(1)

Thèse de M.A. par F. Taboika

Un des thèmes le plus souvent soulignês dans les contes de Voltaire est celui de la guerre. Le patriarche de Ferney s'appuie souvent sur l ' histoire pour commenter sur l'avarice et les sottises qui ont causé ces "boucheries héro"iques". Pour démontrer cela il s'est exercé dans son style concis et ironique dans tous les domaines: philosophie, politique, religion et lit-térature.

-Voici un bilan de ces faits: (1) Les causes des guerres; sur ces pages défilent les nations, les rois, les conseillers, les officiers et les soldats qui ont causé ou perpétré des guerres. Par ailleurs, on y voit les gouvernements et les systèmes qui ont causé des hostilités. (2) Les observations générales de Voltaire sur les guerres; il attaque la vanité de l' homme en lui montrant son orgueil et sa petitesse. On observe que l'ironie voltairienne a quelque chose du comique moliéresque et de la satire de Swift.

(3) Les résultats de ces guerres; ces immenses souffrances attei-gnent des milliers d'innocents, comme l'ont fait les grandes guerres du XXe siècle.

On

outre,

s'l

trouvent les commentaires de cet auteur sur la religion, l'égchsme humain, le faux patrio-tisme. Voltaire nous dit que les hommes honnêtes doivent s'op-poser aux conflits d'armes et viser à l'amélioration de la con-dition humaine.

Voltaire voulait instruire tout le monde. i l croyait au progrès et

à

l'utilisation des inventions et des découvertes modernes pour des fins pacifiques.

En

outre, il recommande le respect d'autrui, la foi dans la civilisation, l'amour de la vie, et la clarté pour se faire entendre. Voilà le message de Voltaire

(2)

..

LE THEME DE LA. GUERRE DANS LES CONTES DE VOLTAIRE

par

FRANK TABOlKA

A thesis submitted to the Faeulty of Graduate Studies and Research in partial

!ul!illlnent of requirement for the degree or Master or Arts.

Department of Freneh -: anguage and Literature MeGill University

Montreal

April, 1968

(3)

Avant-propos

Introduction

Premier chapitre:

Observations sur les causes des guerres

Deuxi~me

chapitre:

Observations générales sur les guerres

Troisi~me

chapitre:

Observations sur les résultats des guerres

Conclusion

Bibliographie

Appendice: Romans et contes de Voltaire

(4)

AVANT-PROPOS

Les écrivains et les critiques ont écrit des quantités de livres sur Voltaire depuis deux siècles. Néanmoins, son oeuvre est et sera toujours discutée. Que peut-on dire de nouveau? Je suis persuadé, comme l'affirme René Pomeau, que tout n'a pas été dit sur François Arouet; en outre, j'ajouterai que mairIt.s écrivains qui l'étudient de nos jours tant6t lui attribuent des idées qu'il n'avait pas, tantôt soulignent seulement une partie de la vérité. Par exemple, Emile Faguet compih un livre de citations pour prouver qu'on ne pouvait pas prendre Voltaire au sérieux. Taine et Tocqueville 1 'accu-~de sp~culation philosophique qui n'avait aucune relation avec la politique de son siècle. Par contre, pendant l'elq:Sn-sion allemande,Nietzsche fit des reproches aux intellectuels qui s'opposaient

à

l'apôtre de la raison et il espérait que l'esprit du Siècle des Lumières triompherait sur leur esprit obscur. (1)

D'autre part, depuis la Première Guerre Mondiale il y a eu un grand changement d'opinion dans tous les pays en ce qui concerne le patriotisme et la. guerre. En général, on ne croit pas

à

l'hérdïsme sur les champs de bataille; on doute qu'il vaille la peine de sacrifier la vie des jeunes hommes pour

1. Gay,

P.

Voltaire's Fblitics, Princeton University Press, 1959, pages 7-11.

(5)

apaiser les dieux des théories politiques. Alors on cherche

une nouvelle orientation

qui

mènera

à des solutions d'un des

plus anciens fléaux du monde. Cette solution semble toujours

éc~r.aWt.·

organisations pour la paix. Mais il suffit de

se rappeler qu'on a fait beaucoup de progrès dans les sciences

afin de ne pas perdre l'espoir. Parmi les grands écrivains,

Voltaire est un de ceux

qui

ont attaqué

la

guerre le plus

vio-lemment et de

1&

manière

la

plus persistante. A travers ses

écrits, il souligne les causes et les résultats des guerres et

montre

la

stupidité des hommes

qui

les toll!rent. Je me propose

de présenter dans cette thl!se tout ce que Voltaire a exprimé

dans ses romans sur le thl!me de

1&

guerre. Cette idée l'a

pré-occupé pendant toute sa vie;

par

conséquent, j'ai eu besoin de

m'appuyer sur sa vie et ses oeuvres. Les premiers chapitres

traitent des différents aspects de

1&

guerre soulignés dans les

romans philosophiques.

La

conclusion est une synthèse des idées

que je me suis faites sur cet écrivain pendant mes recherches.

(6)

INTRODUCTION

Voltaire a toujours suscité idées et controverses;

la

plupart des jugements que l'on a portés sur lui ne sont que

des clichés répétés d'une génération

à llautre. On a analysé

son caractère, ses opinions et sa philosophie dans des

cen-taines de livres et d'articles.

n

va sans dire qU'il faut

se méfier des opinions trop simplifiées

à son sujet. Tenons

compte qu'il vécut longtemps, écn vit beaucoup et exprima ses

idées sur des quantités de sujets. De temps

à

autre, en

pé-nétrant dans un territoire ennemi (milieu traditionaliste),

il s'est fait tirer par ses propres "soldats". Pour comprendre

Voltaire, il faut connattre le Siècle des Lumières, les

acti-vités des philosophes, les guerres civiles et religieuses, et

surtout, comme le remarqua Montesquieu, les préjugés de son

temps.

On a reproché au XVIIIe siècle d1avoir parlé légèrement

des choses sérieuses et sérieusement des bagatelles. Ce fut

un siècle de réaction contre

ll~bsolutisme

et de

la

désagré-gation politique, religieuse et sociale. Après

la

Révocation

de l'Edit de Nantes en

1685,

un grand nombre de protestants

se sont exilés et

la

France en a été appauvrie. Les nombreuses

guerres et les dépenses de

la

cour de Versailles avaient

(7)

en-. detté le royaumeen-. Le XVIIre siècle fut une époque de négation et de scepticisme.

On

pourrait dire que Bossuet était l'in-carnation de l'esprit du

XVne

siècle et Voltaire le meilleur exemple de l'esprit du XVIIre. Dans celui-ci on souligne le sensualisme, selon lequel les idées ne sont pas innées et l'u-tilitarisme, selon lequel l'honune a le droit de poursuivre le bonheur dans ce monde. Le Siècle des Lumières semble avoir repris le mouvement d'émancipation conunencé pendant la Renais-sance.

Voltaire se rendit compte que notre mnde n'était pas le meilleur et fit de son mieux pour l'améliorer. Cette philoso-phie l'apparente

à

Montaigne, Saint-Evremnt et Bayle. Les philosophes admiraient Bacon et les rationalistes anglais.

Ils

devaient aussi beaucoup à Descartes, mais comme celui-ci avait été assimilé à la philosophie chrétienne par Malebranche, ils le maintenaient à l'arrière-plan pour des raisons stratégiques. Parmi eux Voltaire a suscité un grand intérêt jusqu'à nos jours. En faisant de son mieux pour le progrès de l'humanité, il toucha souvent le thème de la guerre. Dès sa jeunesse l' histoire l'in-téressa et il fit des observations sur ce sujet pendant toute sa vie.

(8)

-5-î.'act-galité poUtique de son époque.

n

s'est toujours rappelé les ravages des années de guerre du temps de sa jeunesse. Aussi essaie-t-il de composer à l'âge de dix-huit ans une ode sur les malheurs du temps.

n

relate les souffrances des Français pen-dant la guerre de Succession d'Espagne. Quelques annéesplus tard, en demi-exil au château de Saint-Ange, Voltaire compose le ~

de la Ligue, sur un thème guerrier. Dans celui-ci, il décrit une scène où les anges fabriquent de la poudre et des canons et se tuent entre eux. Voltaire mntre que l'influence du Pape se trou-vait derrière la Ligue, qu,'elle était responsable du conflit qui existait. En outre, La Henriade nous IIIOl!tre un roi héros, Henri IV, qui renforça son royaume en établissant la paix. Ce poème, composé en 1723, exprime le danger de tolérer un groupe puissant dans un état.

n

ne combattait pas la religion mais les diri-geants qui la représentaient. Henri de Navarre lutta contre une Ligue infestée de prêtres ambitieux. Après avoir vaincu la Ligue, il mit fin aux affreuses guerres en France pendant la dernière partie de son règne.

Pendant qu'il composait La Henriade, l'histoire de son temps s'imposait

à

lui peu à peu. L'esprit traditionnel commençait

à

changer et l'esprit critique s'affirmait. L'histoire pour lui _c'est étudier les opinions, les motifs et les passions des hommes.

(9)

crit avec compétence tant d'opérations militaires parce qu'il

furetait partout

r

par exemple, il fut au camp de Phillipsbourg

le premier juillet 1734; fréquenta les .officiels de La

Haye

dans

la guerre de 1741; visita, en 1750, les champs de bataille de

Fontenoy, Rocoux et Laufeld. Il connatt l'odeur de la poudre.

Voltaire est persuadé qu'une réalité historique existe, qu'il

faut étudier les faits en menant une

enqu~te.

Voilà la clef

qui

donne de la force

l

ses opinions sur la guerre.

C'est avec cet esprit de vérité historique qu'il compose

son Essai sur les guerres civiles en France (1727), quatre ans

après

La

Henriade et qu'il prépare L'Histoire de Charles XII

{1729). Celle-ci ne se limite pas l

la

Suède; elle inclut des

observations sur d'autres événements européens. Voltaire

~n­

contra des personnages importants et s'informa auprès d '.eux.

Le

roi Stanislas lui donna des renseignements; la duchesse de

Mal-borough lui écrivit à propos de

la

visite de son mari à la cour

de Charles XII. Ainsi obtint-il les détails nécessaires sur les

opérations militaires qU'il décrit dans cette oeuvre. Son

inté-rêt est dû au fait que ce conquérant suédois fut "excessivement

(10)

-7-grand, malheureux et fou".' Le but de cette biographie, selon Voltaire dans le Discours sur l'histoire de Charles XII (1731), est que ce livre tombe par hasard entre les mains de quelques princes et que ce~ci soient guéris de la folie des conquêtes.

On

peut remarquer que l'histoire fournit un argument de poids

à

son apologie personnelle. Par ces récits de guerre les faits et les motifs s'insinuent, et il touche la morale et la con-science de son siècle et du nôtre.

Le thème de la guerre se répète comme un leitmotiv

à

tra-vers les oeuvres et la correspondance de Voltaire. A ce propos il écrivit

à

la comtesse de Neuville que la guerre est un travail maudit et "Voilà, madame, la folie humaine dans toute sa gloire

et dans toute son horreur". L'admirateur de William Penn, dans les Lettres philosophiques (1729), reprend le thème et dit que les Quakers ne vont jamais à la guerre, non parce qu'ils craignent la mort, mais parce qu'ils ne sont ni loups ni tigres. Leur Dieu ne veut sans doute pas qu'ils passent la mer pour aller égorger leurs frères. Au lieu dE'! faire retentir le ciel de wndres d'actions de grâces pour célébrer des batailles gagnées, ils gé-missent en silence sur ces meurtres. Voltaire fait écho aux écrits de Rabelais et de Pascal qui condamnent la gloire des armes et exhortent les hommes à chérir la patrie sans aiguiser les armes contre qui que se soit.

(11)

Jour mémorable pour Voltaire, en aoa.t 1736 il reçut la première lettre de Frédéric II, roi de Prusse. Celle-ci marqua une étape importante dans sa vie. A un moment où Voltaire était accusé de tous les crimes possibles en France, il eut une com-munication d'un roi qui l'estimait le prince des po:~es et le plus remarquable écrivain de son siècle. Voltaire lui répondit d'un ton assuré, reconnaissant d'avoir l'honneur de son amitié. D'ailleurs les circonstances étaient insupportables dans son propre pays. Le Mondain fut scandalisé. "Quel siècle", s'ex-clama-t-il, "on m'accuse d'avoir commis un crime parce j'ai dit qu'Adam avait de grands ongles". En écrivant Mérope il y glisse quelques mots qui font penser

à

Frédéric: "Si le ciel l'a fait roi, c'est pour me protéger". En m8me temps il se rend compte que le roi de Prusse est un cynique. Voltaire, étant ~ aussi op-portuniste qu'humanitaire, considéra le cas de Frédéric comme une occasion de faire du bien. Il allait aider le roi

à

rédiger l'Anti-Machiavel et avait l'espoir d'influencer ce grand mnarque et de l'amener à éviter une politique de guerre et

à

contribuer aux arts.

n

ajoute quelques vers dans sa correspondance avec le roi:

"J e vous aime pourtant, malgré tout ce carnage dont vous avez souillé les champs de nos Germains, Malgré tous ces guerriers que vos vaillantes mains font passer au sombre rivage •••

(12)

-9-Au milieu des canons, sur les JOOrts entassés, affrontant le trépas, et fixant la victoire, du sang des malheureux cimentant votre gloire,

je vous pardonne tout, si vous en gémissez". (Correspondance:

26

mai

1742)

Pendant que ces deux g~ants discutaient de philosophie, de paix et de littérature, en mai

1742,

sans que Voltaire le sache, Frédéric envoya ses armées en Silésie et bouleversa l'Europe. Voltaire se trouva ébranlé pendant quelques lOOis, rencontra quand m3me le roi de Prusse

à

~la-Chapelle apr~s

la déclaration de la paix. Voltaire y était chargé par wuis

xv

de la mission officieuse de ramener Frédéric dans la guerre aux côtés de la France.

Là,

i l réprimanda le roi prussien de s'être mal comportél Néanmoins, ils maintinrent leur corres-pondance, mais ce ne fut que huit ans plus tard qu'il. alla faire un séjour

à

Berlin.

A

cette époque Voltaire rédigea en sa qualité d'historio-graphe l' Histoire de la guerre de

1741.

Il existe, selon René Fbmeau, un manuscrit authentique de celle-ci

à

la Bibliothèque Méjanes d'Aix-en~Provence qui n'a jamais été publié intégrale-ment. (2) Tombé en disgrâce, Voltaire n'envisagea pas de le publier. la France s'engagea

A

ce moment dans la guerre de Succession d'Autriche. Ce récit de guerre montre encore une

2. Fbmeau, R. Voltaire, Oeuvres historiques, Editions Gallimard,

(13)

fois l'intér8t constant de Voltaire pour ce sujet. Tous les événements de ses histoires s'imposent comme une vision: l'éclat des batailles, la vie de la cour, les activités des ministres, les beaux-arts et la religion. Chaque oeuvre se déroule selon une.exposition, un noeud d'intrigue et un dénouement dans l'his-toire comme dans la tragédie.

En ce qui concerne les tragédies de Voltaire, celles-ci sont pleines d'allusions aux idées génératrices de son époque. Brutus fait non seulement maintes références ! la politique, mais peint les conflits humains: liberté ou autorité, amour humain ou patriotisme, devoir! la patrie ou ! son prochain.

"La. gloire du Sénat est de représenter le peuple" est une nou-velle note en France. Il y a des allusions au droit divin des rois et o:n fait appel

à

la conscience de l'individu et ! la

mrale; on fait allusion ! la vie humaine sacrifiée sur les champs de bataille. Cela ne se trouve ni dans Corneille ni

dans Racine. ziire est le seul drame d'amour que Voltaire ait écrit. Cette pièce lui donne l'occasion de représenter divers aspects de la religion et de l'amour humain, les côtés incompa-tibles qui mènent aux grands conflits.

Le fanatisme religieux dans Mahomet concerne l'épée et la uonquête. Ce grand succès donna l'occasion aux goujats de

(14)

re-

-ll-procher

à

l'auteur de se moquer du Christ. Voltaire eut besoin d'écrire au Pape Benoit XIV pour se justifier. L'auteur riposta que ce drame ne pouvait représenter le Christ parce que Mahomet

négorge les ~res ••• et rassit les filles". Voltaire a m8me affirmé que la référence du Christ dans le Nouveau Testament au paradoxe de l'épée et de la paix

.fut

une faute de copiste. S'il Y a une allusion indirecte, c'est une attaque contre la po-litique guerrière du roi de Prusse pendant ces années. Mérope suggère l'atmosphère de Sophocle. Les scènes de Mérope et du tyran qui usurpa le trône d'Egisthe retiennent des échos de l'instinct primitif de sacrifice et des faits réalistes sur la mort et les hostilités politiques. Pendant la représentation de ce drame, la France se trouvait en grandes difficultés. Fré-déric l'avait entratnée

à

déclarer la guerre

à

l'Autriche. Le

roi de Prusse av~t abandonné son allié, et celui-ci était aussi menacé par l'Angleterre. louis XV, Richelieu et Madame de Châ-teauroux pensaient que Voltaire pourrait Gtre envoyé en mission auprès de Frédéric pour lui suggérer d'aider la France et lui faire remarquer que la Prusse aussi était en danger.

Quant au Siècle de louis XIV (1738) de Voltaire,

vingt-quatre chapitres d'histoire militaire y occupent la place prin-cipale. Selon l'auteur, ce récit sera l'histoire de l'esprit

(15)

humain puisé dans le siècle le plus glorieux. Exerçant un esprit critique, Voltaire procède

par

ironie dans les textes-préfaces comme,

par

exemple, les Nouvelles considérations SUl"

l'histoire (1742) où il implique qu'il faut savoir douter des faits du passé. Son oeuvre historique est une entreprise de démystification; cela donne plus de valeur à ses observations sur le thème de la guerre dans ses contes. Par exemple, il cite llarmée qai avait passâ un fleuve

à

la nage en présence dlune armée retranchée, malgré l'artillerie dlune forteresse imprenable appelée le TholilS; selo.n Bossuet, c.!était le prodige du siècle de louis le Grand. Ce Tholus, selon le récit de Vol-taire, nlétait qulune baraque de douaniers, le Thollhuys, occu-pée

par

dix-sept soldats; et llarmée retranchée était de quatre à cinq cents cavaliers, deux faibles régiments dlinfanterie sans canons quia''énfliirentâ.ès.Q.U8 les 20.000 hODDlles de louis XIV se mntrent sur l'autre rive. En outre, Voltaire s lest assuré qulen cette saison le fleuve est au plus bas. Dans toutes les circonstances il écoute seulement les témoins dignes de foi qui répondent

à

une exigence de lu.cidité.

Voltaire résolut d'incorporer le Siècle de Louis XIV

à

un vaste ouvrage sur l'histoire universelle qulil appela ll~ sur les meurs (coIlUIlencé en 1741 comme Essai sur llhistoire

(16)

-13-générale et fini en 1756). Cette oeuvre embrasse l'histoire du monde depuis Charlemagne jusqu'à l'époque de l'auteur. Elle montre les sottises du globe et les butorderies de cet univers; les causes des guerres civiles et religieuses qui ont ensanglanté l'Europe. Elle remarque que les civilisations se désintègrent quand on ne peut plus croire

à

la parole de son prochain. Vol-taire est historien plus engagé

à

mesure qu'il avance dans la

vie et ne cesse d'émettre l'idée que tout peut se faire, et qu'il faut seulement vouloir. La personnalité de l'auteur ap-parait dans l'ouvrage. Ressemblant

à

Zad1g, i l est l'ennemi alerte des hypocrites et des rois végétaux. Il fait passer la

réalité des événements par les divers prismes de son esprit.

On

pourrait encore aujourd'hui citer des passages de cette oeu-vre pour attaquer les abus actuels des gouvernements et des in-dividus.

Le Précis de lDuis XV (1768) semble jouer le rôle de

jour-nal de son époque. Pour lui, la vie concrète est tissée de me-nus détails. Il observait les plus petits traits; par exemple:

"Les alliés et les Français, les assiégés, les assiégeants m8rne, crurent que l'entreprise échoue-rait. wvendal fut presque le sell qui compta sur le succês. Tout fut mis en oeuvre par les alliés: garnison renforcée, secours de provisions de toute espèce par l'Escaut, artillerie bien servie, sorties des asiégés, attaques faites par un corps

(17)

considéra-ble qui protégeait les lignes auprês de la place, mines qu'on fit jouer en plusieurs endroits. Les maladies des assiégeants, campés dans un terrain malsain ••• " (3)

C'est le domaine de l' histoire dramatique: la prise d' as-saut de Berg-op-Zoom, les grands malheurs, les brutales subver-sions et l'inconstance humaine. Dans ce précis, Voltaire nIé-voque qu'en conclusion le progrès de l'esprit humain.

n

re-marque que la plupart des princes ont le malheur de ne faire que des ruines et des meurtres inutiles.

n

indique qu'il Y eut nombre de batailles et d'espérances trompées et, en fin de compte, rien ne s'est produit de décisif.

Ce fut pour la cour de lDuis XV qu'il composa le Temple de la gloire (1745) qui célébrait le triomphe des armées françaises

à

cette époque. La. représentation eut lieu

à

Fontainebleau de-vant le roi et toute sa cour. Isa "gloires" sont évoquées; les mauvais rois qui avaient sacrifié leurs peuples

à

leur ambition étaient repoussés

à

l'entrée du Temple de la gloire. A la fin, Trajan, le roi de Rome fidêle

à

la cause de son pays, fut cou-ronné de gloire par les muses. Voilà encore de la propagande pour· éviter les guerres etétablir la justice en poursuivant une politique progressive de paix.

(18)

-15-C'est un fait que tous les récits historiques et les oeu-vres littéraires jusqu'au séjour en Prusse avaient bien prépa-ré Voltaire à composer ses contes. Zadig souligne une nouvelle

étape de sa pensée. Il est encouragé

à

se servir de ce genre littéraire

par

le succès des Lettres persanes de Montesquieu et par la traduction des contes des Mille et une Nuits. On

dirait qu'il s'est rendu compte que ses documentations et re-cherches n'avaient pas produit les résultats qu'il espérait. D'autre part les contes d'imagination pourraient être utilisés avec plus de profit. Dorénavant il attaquera les ennemis du progès hwnain, la guerre et le fanatisme religieux dans ses con-tes philosophiques. Dans Micromégas l'habitant du monde de l'é-toile Sirius était fâché dans son coeur de voir que les hommes infiniment petits de la terre y aient un orgueil infiniment grand. Il attaque l'optimisme dans Candide où celui-ci proposait aux hommes de s'accommoder de leur condition misérable. Il souligne l'incohérence du monde et l'absurdité des conflits. Voltaire croyait que les grands problèmes dépassent l'entendement de l'homme. Celui-ci doit faire son propre bonheur et aider son prochain à être heureux au lieu de vouloir se battre. Il ne se limite pas à dénoncer les abus d'un type d'homme, ce qui est plus dangereux ce sont les cruautés des institutions établies. Les Abares et les Bulgares représentent les Français et les

(19)

Prussiens,

et

en quelques chapitres il déuontre l'absurdité des guerres entre eux.

Le chapitre sur la guerre dans le Dictionnaire Philoso-phique (1764) montre vigoureusement l'attitude de Voltaire au sujet de ce "très bel

art

qui désole les campagnes, détruit les habitaM,ons et fait périr quarante mille hommes sur cem. mille" • Et le comble de cet te entreprise in1'ernale, c'est que

ces princes orgueilleux se mettent d'accord sur un seul point.:

celui de faire tout le mal possible et d'invoquer Dieu solen-nellement avant d'aller exterminer son prochain. Tam. que les hommes feront loyalement égorger leurs frères, l 'héroisme dans la guerre sera ce qU'il Y a de plus affreux dans la nature hu-maine em.i~re. Où sont l'humanité, la bienfaisance, la sagesse et la piété tandis que les canons fom. fracasser les corps et que les villes se trouvent en 1'lammes? Les cris des fennnes et des enfants expirant sous des ruines. s'entendent pendant ces massacres - le tout pour les prétendus intérêts d'un homme ou d'un groupe d'individus que les victimes n'ont jamais connuJ Voilà le ton de cet article célèbre sur la guerre.

On di~cutera longtemps sur le sujet de la guerre. L'huma-nisme révolutionnaire de Voltaire ne sera jamais entièrement vé-rifié ni complètement contredit par les faits. La seule

(20)

justifi-

-17-cation de cette attitude se trouve dans sa valeur IOOrale. Ce

même sens de valeur humaine a inspiré

dans

cette thèse

la

re-cherche dans tous les contes de Voltaire des causes

qui

ont

suscité les guerres, des motifs

qui

ont prolongé et répété ces

sauvageries, et des résultats en perte de vies et de richesses

de ces affreux conflits.

(21)

Les contes de Voltaire s'élaborent autour d'un protagoniste parfois conunentateur philosophique. Son Zadig" par exemple" se promène tantôt dans divers niveaux de la société" tantôt dans

plusieurs pays.

n

fait des réflexions sur le monde afin de dé-couvrir l 'homme en sa vérité.

n

pose des questions et reçoit des réponses révélatrices; il analyse" abstrait et explique ce que la raison a besoin de savoir. En ce qui concerne les causes des guerres" l'auteur s'est excercé dans tous les domaines: la nature de l'honune" la politique, la religion, le commerce et le m:l..l1tarisme. Dans des cadres fantaisistes le lecteur averti ver-ra des ironies qu'il recollIldtver-ra, et sous la caricature des hommes, des institutions et des événements, se dégage un chapelet d'absur-dités.

la nature de l'homme

n

paratt" selon l'opinion de bien des gens, que le droit naturel nous enseigne

à

tuer notre prochain

Cl,,).

Le dialog\1e en-tre Candide et Martin est

à

ce sujet: "Croyez-vous que les éperviers aient toujours mangé des pigeons?".

"Oui,

sans doute"" répond

Candide. Alors, l'interlocuteur ajoute: "Si les éperviers ont toujours eu le même caractère" on ne peut espérer que les hommes

(22)

-19-changent le leurll • D'ailleurs" l'Homme aux quarante écus dit que la nature est comme ces grands princes qui estiment pour rien la perte de milliers d'hommes pourvu qu'ils arrivent l

leurs buts égoistes(5). En outre, on lit dans ce conte que leurs lois imitent leurs préjugés, q'Q,e leur ra:tsOl1 n '.est pas :nioins impitoyable que leur passion. L'avidité des plaisirs rend l'homme agressif et l'empêche de réfléchir sur ses besoins; il est plus empressé de vivre que de se diriger et plus poli qu 'humain (6). Le Sirien dans Micromégas frémit et s'exclame avec indignation. en observant la nature de l'homme sur cette planète: "Peut-on concevoir cet exclls de rage forcenée ••• ces horribles querelles entre de si chétifs animauxll •

n

avait envie d'écraser toute cette fourmilière d'assassins

(7).

Ces observations sur la nature de l'homme sont encore plus signifi-catives si l'on pense aux idées de Jean-Jacques Rousseau en ce qui concerne un retour

à

la ~e primitive et rustique. Peut-être cela rappelle-t-il MOntesquieu qui remarque dans l'Esprit des lois que la nature est la plus douce de toutes les voix (8).

Dans le poème Sur la loi naturelle" Voltaire met de cSté toutes les traditions et les cultures afin de découvrir la vraie nature humaine. llCherchons par 1& raison si Dieu n'a point parléll " dit-il. Cette intuition est la loi de la justice et de la conscience

5.

6.

7.

8.

Voltaire" l'Homme aux quarante ibid

Voltaire" Micromégas VII

MOntesquieu" l'Esprit des lois"

écus III XI

(23)

que tous ont reçu du ciel. Voilà l'arme que la nature a placée dans nos mains pour combattre notre ég01sme et maudire la guerre. De toutes les lois, dit l'ap8tre de la raison, celle qui est le moins obéie est: faire

à

autrui ce que tu voudrais qu'on te fasse.

Il paratt que le créateur a mis cette loi dans le coeur de l'homme pour empêcher qu'il ne s'extermine par la guerre. Pour Voltaire, l'humanité ressemble à des fourmis fébriles qui s'agitent pas sac-cades, pensant, quand elles pensent, par idées courtes, que l'ha-bitant de Sirius saisit dans leur bateau sur la Baltique. Quoique la cause des guerres soit souvent attribuée

à

la nature de l'homme, l'auteur de Candide est convaincu que si l'homme se regarde comme le voit Micromégas avec son diamant en forme de microscope - un grouillement hwnain - il se rendra compte de la bestialité des guerres.

La

politique

Le Siècle des Lumières, comme le ~ siècle, diffuse le goût des doctrines du progrès, découvre la diversité du monde et de l'espace, et attaque les abus de la société. Montesquieu fait entendre que dans la politique "le plus petit terrain s 'y dispute avec art, avec courage, avec opiniâtreté" (9). Si ceux qui diri-gent la conscience des hommes ou les conseils des parlements ne s'en tiennent pas

à

la justice, tout sera perd~. Lorsqu'on se

(24)

-21-fondera sur des principes arbitraires de gloire, des flots de sang imnderont la terre. Pour Voltaire c'est insuffisant de faire des observations; il lance des flèches satiriques contre les législateurs. Une des grandes sottises, c'est que les ho~ mes se sont battus depuis le commencement de l'histoire du monde. Selon certaines personnes dans la politique, il y a toujours eu un précédent. A ce propos Voltaire fait remarquer dans 2'adig:

"QUi osera changer une loi que le temps a consacrée? Y a-t-il rien de plus respectable qu'un ancien abus?" (10). Son protago-niste riposte que la raison est plus ancienne.

Voltaire excelle à dégager en quelques lignes l'absurdité des théories et des systèmes politiques qui ont été la cause des guerres affreuses. L'Ingénu remarqua que s'il était roi de France il exigerait pour ministre de guerre celui qui e'B.t été officier, car les officiers obéiraient cent fois plus à un homme qui aurait comme eux signalé son courage, qu'à un homme de cabinet qui ne pourrait que deviner tout au plus les opérations d'une campagne. En outre, il ne serait pas fâché que ce ministre rot généreux;

qu'un ministre eût ce caractère parce que cette belle humeur est incompatible avec la cruauté (11).

Au moment où Voltaire écrivait la Guerre civile de Genève, paraît la Princesse de Babylone. Dans ce récit il s'exprime

pas-10. Voltaire, 2'adig XI 11. Voltaire, l'Ingénu XIX

(25)

sionnément sur la politique des grands princes et des tyrans res-ponsables de boucheries hérolques. Les jeunes amoureux" Formosante et Amazan se poursuivent

A

travers divers pays" et ceci donne l'oc-casion à l'auteur de faire un bilan des crimes èt des hostilités. "On parla de la guerre que deux rois entreprirent; on déclara la condition des honunes que des monarques envoient par fantaisie s' é-gorger pour des différends que deux honnêtes gens pourraient con-cilier en une heure" (12). Un autre épisode dans ce conte décrit le roi des Indes lié avec celui del'Egypte. Ceux-ci conclurent que le roi de Babylone se moquait d'eux" et qu'il fallait le punir. Ils se dép8chèrent de rentrer dans leur pays pour assembler une armée de trois cent mille honunes pour attaquer le roi d'Egypte(13).

Les grandes f8tes de ce temps-là faisaient partie de la poli-tique et appartenaient aussi aux moeurs de l'époque. Le comte de Provence accueillit Marie-Antoinette

à

Brunoy dans un amphithéâtre de cinq mille spectateurs où il y eut des joutes et des tournois auquels vingt mille pages et jeunes filles servirent des rafraîchisse-ment. Voltaire remarque dans la Princesse de Babylone qu'il y eut la plus belle fête qu'on ait jamais donnée sur la terre. En même temps on se préparait à détruire l'Asie avec quatre armées de trois cent mille combattants. La. guerre de Troie n'était qu'un jeu d'en-fants en comparaison

(14).

D'un côté des célébrations" de l'autre

11.

Voltaire,

13.

14.

La. Princesse de Babylone V

ibid l

(26)

-2l-des préparatifs pour la guerre. Voilà le comble -2l-des absurdit&s humainesl Les folies dans les sphltres diverses de la capitale de France sont successivement évoquées dans,'Cette histoire. Quel fabuleux empire que celui du roi Bélus! Les caprices et les cupidités dans la politique de cet empire ont souvent été la cause des guerres.

Peu de contes sont aussi réalistes que le Monde comme il

!!.. La

France de lDuis XV y est décrite objectivement.

La

po-litique était désorientée et assaillie par l'état déplorable des

finances de la France et l'agitation janséniste. Le peuple était scandaleusement affecté par les prix élev&s de 1& marchandise; ailleurs, les dames du beau JOOnde . vivaient dans le luxe et l'im-JOOralité. A l'arrière plan, la guerre de 1& Succession d'Autriche dont Voltaire est occupé

à

composer l'histoire. Babouc, envoyé pa.r un des génies qui président: aux empires du JOOnde, marche,re-garde, at observe les folies et les excès des Perses.

n

s' in-troduit chez les généraux et demande la cause de 1& guerre qui désole l'Asie depuis vingt ans. On lui apprend qu'elle vient d'une querelle entre un eunuque d'une femme du grand roi de Perse et un commis du bureau des Indes. Il S'agissait seulement de quelques sous" mais le premier ministre des Indes soutenait les principes de leur politique. Les dévastations et les meurtres se

(27)

multiplient; l'univers en souffre terriblement. Le représentant du roi insiste sur le fait que son pays n'agit que pour le bonheur du genre humain, et à chaque protestation il y a toujours quelques villes ravagées. Ceci rappelle la situation du Vietnam de nos

joursJ

Le conte était l'arme de Voltaire pour combattre les abus dans la politique. L'Apôtre de Ferney était absolutiste, mais

pas arbi "traire. Dans une de ses dernières pièces de théâtre, ~

lois de Minos, il implique que le pouvoir suprême veut dire une autorité raisonnable; une autorité basée sur les lois qui ne

saeri-tient

pas la liberté et 1av.ie des citoyens

à

la malice des flat-teurs. L'honune ne doit pas ignorer la politique parce que c~est. l'organisation la plus effective pour améliorer sa situation.

La. religion

Voltaire retient sur la religion les mêmes idées que Montesquieu exprime dans les Lettres persanes: s'il y a un Dieu, il doit être

juste. Les hommes commettent des injustices, mais cela est impos-sible pour un Dieu tout-puissant. L'incomparable Poème sur le dé-sastre de Lisbonne soulève le thème de la religion. Des· milliers de petits enfants ont été tués par le tremblement de terre au mo-ment où ils priaient Dieu dans les églises. Selon l'auteur

(28)

de ce poème, aucun dogme ne peut expliquer cette catastrophe J puis il ajoute

à

la fin que c'est moins un blasphème de nier Dieu que de croire qu'il exi.ste· un créateur sans compassion,

injuste comme nous. Remarquer que Voltaire ne croyait pas en Dieu, c'est ne pas connaître son oeuvre.

n

possédait une croyance nue, dépouillée de traditions, comme celle de Newton, Locke et Danr.Ln; et comme Rabelais, il se moquait de la religion aveugle, fanatique et sans miséricorde. Rousseau lui reproche dans une longue lettre ses remarques sur la religion dans le Boème sur Lisbonne; Voltaire ne lui répond que par Candide J

parce que c'est un thème trop sérieux pour en parler sérieusement!

Le fanatisme religieux a souvent été la cause de cruauté et

de vengeance. Voltaire exprime cela dans un Catalogue de crimes commis au nom de la religion.

n

ne tombe pas dans l'erreur d'identifier les fanatiques avec les hypocrites. Les fanati~s sont dogmatiques parce qu'Us savent qU'ils ne peuvent pas être absolument certains. La psychologie moderne implique que si on est complètement convaincu,on. n'est pas intolérant. C'est leur sincérité qui est

à

craindre. Nous en avons un exemple dans la Princesse de Babylone. Amazan s'informait sur l'histoire de certain pays: un roi poussa la bassesse jusqu'à se déclarer su-jet d'un prêtre qui demeurait sur les bords du Tibre. Après ce~a

(29)

vinrent des temps d'avilissement et d'anarchie. Des "personnes portant un manteau 'ooir ••• ayant été mordues ~ des chiens enragés, communiquèrent la rage A toute la nation entière'~ Les citoyens furent meurtriers . ou égorgés au mm du ciel et en cher-chant le Seigneur" (15).

n

en résulta un chaos de dissensions, de fanatisme et la guerre civile. En outre, Voltaire cite souvent le fanatisme qui conduisit au massacre de la Saint Barthélemy.

n

fit pour l'Encyclopédie un bilan des meurt:.res causés par des chrétiens: 9,718,800 jusqu'A son époque.

n

est vrai, remarqua Voltaire dans ses cahiers, que la politique a versé plus de sang

que la religion, mais il ajouta que la religion prétendait amé-liorer le sort de tous les hommes.

L'hypocrisie dans la religion s'observe dans un épisode digne des romans voltairiens qui se passa à la cour de lDuis XV. Madame de Pompadour soudainement exprima un vif sentiment pour la reli-gion; c'était peut-être une disposition d'esprit du roi à ce mo-ment-là. Alors on Ut fermer temporairement le passage secret dans le palais entre les chambres de ces deux amants. Elle de-manda un jésuite comme confesseur et jeûna.. trois fois par se-maine - saur que cela ne dérangeât pas trop sa santé! Duvernet

remal'qua qu'elle s'entoura des belles jeunes dames de la cour,

(30)

-27

pelles qui au moins n'affichaient pas d'amants en public. Puis Madame s'intéressa

à

la musique sacrée" y participa durant le car@me et quand elle rendait visite à la chambre du roi. Ils partageaient ensemble un sentiment religieux que la. raison de-mandait dans leurs affaires. En outre" Madame de Pompadour in-vita l'apôtre de Ferney à faire des traductions des Psaumes et du Cantigue des Qantigues. Ces traductions seraient imprimées au Iouvre dans une édition superbe digne de la belle contrite. "Qu'est-il arrivé à Madame?n" écrivit Voltaire au duc de la Va-lière qui fut chargé de communiquer la demande de~Ma.dame. S'é-tant rendu compte qu'elle participait au culte religieux" Vol-taire répondit avec beaucoup de tact et un peu de satire qU'il n'était pas la personne appropriée pour traduire les Psaumes" mais qU'il essaierait de traduire le Cantique des Cantiques avec plaisir (16). Cette anecdote donne quelques mtions sur la

m0-narchie française

à

cette époque. On trouve un écho de la cour de louis XV dans la Princesse de Babylone: "Le roi revint avec le grand aumônier ••• le souper fut très gai; le roi et le prê-tre vidèrent les six bouteilles" et avouèrent qu'il n,'y avait pas de si bon vin en Egypte ... la princesse eut grande attention de n'en point boire" disant que son médecin l'avait mise au régime"

(17). L'histoire du XVIIIe siècle témoigne que Madame de

Pom-16. lbyes, Alfred, Voltaire XXXIII

(31)

padoU!" eut une influence énorme pendant quelques années. Elle recommanda certaines personnes au roi pour occuper des positions importantes dans les armées et dans la gouvernement. L'hypocrisie dans la religion fut souvent liée

à

la guerre: Candide se cacha du mieux qu'il put pendant une boucherie héro'ique, tandis que les deux rois faisaient chanter des Te Deum dans leurs camps (18).

Ce que Voltaire craignait le plus de la religion était l'in-nuence qu'elle exerçait sur les hommes. Les Jansénistes d'un côté avaient des pratiques qui ressemblaient étonnamment à celles du "vaudou", et dominaient non seulement les gens ignorants, mais beaucoup parmi les plus avertis et les plus raffinés du Siècle des

Lumi~res. D'autre part, les Jésuites, soutenus par Madame de Pom-padour et ses amis, luttaient contre les philosophes. Pour empirer la situation, le père de la Valette, supérieur général des missions françaises de l'Amérique du Sud, fit banqueroute étant engagé dans des opérations commerciales et dans la guerre de Sept Ans. Le par-lement de Paris en profita pour faire le procès de la compagnie de Jésus tout entière. En

1764

on annonça la suppression de cet

ar-dre en France. Ce même parlement qui supprima les JéSuites, et qui adressait au Roi des remontrances, fut dissout par louis XV. Tous ces conflits avaient leurs répercussions

parmi

le peuple.

(32)

-29

Néa.nJOOins, l'impôt de vingti~me qui remplaça ce lui du dixi.ème ne s'appliquait pas au clergé.

Dans ce cadre historique, Voltaire composa l'Ingénu, un roman

à

l'anglaise qui se passe à l'époque de l.ouis XIV. Les Jésuites au moment de la Révocation de l'Edit de Nantes avaient

jeté sur la France un réseau serré d'agents secrets. ns

exer-~ent un tel pouvoir que la terreur régnait sur toutes les au-torités. Les chapitres sur la religion dans ce roman indiquent assez fortement les ombres du Grand Siècle. Par exemple, la belle Sünt-Yves dit à son bon confesseur qu'un homme puissant lui propose de faire sortir de la prison son amant à condition d'un prix de service. Le père Tout-à-tous s'indigne au commen-cement,maisapprènant que cet hOlIDIle était cousin d'un grand mi-nistre, il explique que l'adultère est un péché énorme, mais que rien n'est plus pur que de délivrer son mari. D'ailleurs, son ami lui assure que même ceux qui sont à la tête des armées sont redevables

à;

leurs felIDIles. "Les dignités de la guerre ont été sollicitées par l'amour, et la place a été donnée au mari de la plus belle" (19). La religion est indirectement la cau-se des guerres dans une nation si elle ne soutient pas par exem-ple la morale et ne dispose pas las .. hommes

à,

là tolérance.

(33)

Le commerce

Il n'y a pas à douter que le commerce sans scrupule a été

la cause de bien des guerres. Les marchands ".fautômes" vendent des armes et des munitions

à

n'importe quel pays,

à

la seule con-dition qu'ils payent le prix requis. Le mBme principe s'applique aux fabriquants d'uniformes et

aux

fournisseurs de centaines d'au-tres articles pour le commerce consistant

à

tuer son prochain.

n

va sans dire que ceux-ci sont responsables d'une grande partie de la cause de ces "boucheries héro~ques". Voltaire signale dans ses contes les multiples formes de la douleur humaine attribuées aux rivalités commerciales. Une de ces observations se trouve dans Candide.

La

vieille racontait à Cunégonde et Candide ce qui lui était arrivé. Pendant une guerre affreuse elle fut sauvée par un capitaine;

à

son tour, celui-ci raconte

à

la Vieille co~

ment il avait été envoyé "chez le roi du Maroç par une puissance chrétienne, pour conclure avec ce m::marque un traité, par lequel on lui founirai t de la poudre, des canons et des vaisseaux, pour l'aider

à

extenniner le commerce des autres chrétiens" (20).

Le génie de Voltaire a surtout été d'explorer et de suivre

son si~cle. Rappelons-nous que c'était

à

l'époque de la Guerre

de Sept Ans qu'il fit paraître son Candide dans plusieurs centres 20. Voltaire, Candide XII

(34)

-31-d'Europe en même temps. Il est significatif aussi que la guerre tienne une place importante dans ce chef-d'oeuvre. Une dizaine d'années après le traité sur l'optimisme, l'apôtre de Ferney composa l'Homme aux quarante écus dans lequel il met de nouveau l'accent sur l'économie politique et la guerre. En ce temps-là les nouveaux économistes avaient pris le pouvoir. Ces théoriciens,

comme le marquis de Mirabeau et Dupont de Nemours, agaçaient Vol-taire. Pour passer son humeur et son irritation aiguisée, i l

écrivit ce roman. L'HoImlle aux quarante écus fait remarquer au chirurgien qu'il a lu dans Candide que quand de grandes armées de trente mille hommes marchent ensemble on peut parier qu'il ya vingt mille "Téro1tSs" de chaque côttS; 11 se demame s'il n'y a pas moyen d'extirper cette contagion qui désole l'Europe. Le médecin répond qu'il voudrait bien meux s'entendre pour re-pousser l'ennemi commun du genre humain, mais cela serait contre ses intérêts, car la guerre et la vérole font sa forttme (21).

D'ailleurs, l'Homme aux quarante écus hérita d'une petite fortune d'un parent éloigné qui "avait été sous-fermier des hô-pitaux des armées, et qui s'était foIt engraissé en mettant les soldats blessés

à

la diète" (22). Le famélique monsieur André fut obligé d'aller

à

Paris pour recueillir l'héritage de son

21. Vo Itaire, l ' Homme aux quarante écus nI

(35)

parent, "après quoi il se mit à satisfaire sa grande passion d'avoir une bibliothèque" pour se former en "pédant" (allusion aux théoriciens). Ce conte doit son succès aux références au commerce et

à

l'économie de son temps, et Voltaire impute

à

ceux-ci une grande partie de la culpabilité qui a été la cause d'affreuses hostilités.

Le militarisme

Le bilan des causes de guerres ne serait pas complet sans avoir noté la clairvoyance de Voltaire en ce qui concerne le -~le joué par les militaires. C'est dans Candide qu'on trouve ses plus amères critiques lancées avec tant de verve contre les institutions guerrières. Ce conte, en effet, est une méditation sur un sujet d'actualité. A cette époque la guerre se rallume en Europe. Une armée anglo-austro-hollandaise menace la fron-tière du Nord. L'armée française commandée par le maréchal de Saxe fut victorieuse. Sensible à la gloire des armées de son pays, Voltaire devint fou de joie à cette occasion (chose très

curieuse pour lui qui haIssait la guerre!). Fontenoy fut la dernière grande victoire militaire de la vieille France. Quel-ques années plus tard l'Angleterre eut sa revanche complète au cours de la Guerre de Sept Ans. Dans une autre bataille, le duc de Richelieu remporta une victoire sur les Anglais à

(36)

~loster-

-,3,3-Seven, et en plus de poursuivre la guerre, il pilla Hanover et imposa la perception de lourds impôts, appauvrissant ainsi les provinces conquises pour s'enrichir. Par ailleurs, Fré-déric II passa quelques mauvais m:>ments contre les Français, mais finalement il réussit, par une ruse de guerre, à écraser une grande armée française dans la bataille de Rossbach. Pour Voltaire ces conflits anéantirent tous ses espoirs de paix. Alors il n'est pas étonnant que Candide ait fait tant de réfé-rences aux exploits militaires qui finissent par s'identifier

A

une boucherie universelle.

Un des passages les plus satiriques sur le militarisme est le suivant: "Rien n'était si beau, si leste, si brillant, si bien ordonné que les deux armées. les trompettes, les fifres, les hautbois, les tambours, les canons, formaient une harmonie telle qu'il n 'yen eut jamais en enfer" (2,3). Après avoir fait des observations sur les armées, Voltaire les regarde de plus près pour analyser les motifs des officiers et des soldats. Il envoie son Babouc faire des enquêtes au sujet de la guerre. On demande à un capitaine la cause de la guerre où il est engagé.

n

répond que ce "beau sujet" est le moindre de ses soucis. Il entend dire que la guerre est déclarée et cela lui suffit pour abandonner ses responsabilités familiales (24). Continuant 2,3. Voltaire, Candide III

(37)

sa mission, Babouc pose la même question

à

un soldat. Celui-ci répond qu'il n'en sait rien; que la cause de la guerre n'est pas son affaire. Il ne s'occupe que d'exercer son métier de tuer pour gagner sa vie en servant n'importe qui. D'autre part, l'au-teur provoque le gros rire dans sa description des sergents re-cruteurs. Dans sa rencontre avec ceux-ci, Candide est stupéfait par leur générosité. Un des sergents en bleu l'invite

à

dtner; on le prie d'accepter quelques écus, parce qu'on ne souffrirait

jamais qu'un homme comme lui manque d'argent, ajoutant que "les honunes ne sont faits que pour se secourir les uns les autres". Alors le

naïf

jeune homme est assuré de son avenir, puis sur-le-champ on lui met les fers aux pieds et on le mêne au régiment(25). Ces scènes IOOntrent que l'ignorance, la simplicité et la trompe-rie sont en évidence en ce qui concerne une grande partie du mi-litarisme.. L'ironie voltairienne arrive

à

son comble dans la description suivante: "Un million d'assassins enrégimentés, cou-rant d'un bout de l'EUrope

à

l'autre, exerce le meurtre et le brigandage avec discipline pour gagner son pain parce qu'il n'a pas de métier plus honnête" (26). Tocqueville a bien remarqué que le militarisme tient

à

une inquiétude insatiable, et que ceux qui suivent la carrière des armes ne rêvent qu'aux champs de bataille (27).

25. Voltaire, Candide II

26. ibid XX

(38)

-35-Si les Trais prétextes des guerres ont. été souvent décou-verts, et si les masques imposteurs des castes privilégiées sont tombés, partout dans llhistoire où il est question des causes des guerres, on trouvera le nom de Voltaire ou llinflu-ence de son oeuvre.

(39)

Observations générales sur les guerres

Si l'on essaie d'analyser l'ironie voltairienne, on se rendra compte qU'elle consiste en la réduction de l'inconnu au connu; la démonstration par l'absurde d'une déduction ~ prévue. C'est ainsi que Voltaire a élevé à la perfection les qualités de malice et de netteté du conte philosophique. Par celui-ci il se propose de rendre justice

à

toutes les nations; toutes sont des pièces d'un vaste ensemble, l'humanité, le pro-grès, seul importe.

En

dehors des causes naturelles des guerres à quoi l'homme ordinnaire ne peut rien, il est convaincu qU'il y a certaines causes humaines contre lesquelles les hommes doués de talents doivent agir. Alors, voyant la docilité avec laquelle les humains continuent de chérir leurs bourreaux, l'impatience le saisit et il étale "l'excès de l'absurdè insolence de ceux qui gouvernaient les peuples et l'excès de l'imbécilité des gou-vernés" (28). Ainsi, c'est avec une ironie emportée que Voltaire fait des observations générales sur les guerres. Il les consi-dère dans leurs rapports avec les intellectuels, le patriotisme, l'héro!sme et l'état.

(40)

-37-La

guerre du point de vue des intellectuels

A l'époque de l'apôtre de Ferney l'attitude de la grande majorité des intellectuels

à

l'égard de la guerre était une attitude de passivité et de réSignation •. Pour eux il y a

tou-jours eu des .conflits entre les nations et seul un changement radical de la nature humaine pourrait améliorer son état. Ce-pendant un petit groupe du Siècle des Lumières comme,par exe~ pIe, MOntesquieu et les Encyclopédistes n'étaient pas d'accord sur l'acceptation du sort de l'homme. On croyait au progrès et

à

l'utilitarisme, et il y avait même quelques rayons qui se dé-ployaient sur la liberté et la dignité de la race humaine. Mais ce fut Voltaire qui attaqua le plus vivement la folie de la guerre avec qui que ce soit. On le remarque maintes fois dans ses romans inimitables.

Il ne s'agit pas de montrer des arguments simples contre les "bénéfacteurs" des guerres commes les banquiers, les fabri-cants d'armes, ni de plaider d'autres causes bien évidentes, mais les conséquences morales et l'appauvrissement intellectuel des nations guerrières. Ce thème, impliqué dans les romans de Vol-taire, a été repris effectivement par Randolf Boume dans ses essais intitulés ''War and the Intellectuals" (29), écrits entre 1915 and 1919. Cet auteur a remarqué que la guerre fait diminuer 29. Bourne, R. l'far and the Intellectuals, Harper and Row, 1964.

(41)

le vrai progrès et qU'après chaque conflit l'influence des intellectuels devient toujours plus faible et son rôle moins important clans la socièté. Pour lui, au lieu d'orienter le peuple hors des notions hystériques des guerres, les intel-lectuels, en général, se mettent désastreusement au service de l'état pour ouvrir ses vannes et inonder les nations de propagande infectieuse. Une politique guerrière des intel-lectuels mène toujours à des résultats stériles ou néfastes et

A

une interprétation. peu illuminante de la condition hu-maine. Il faut remuer les eaux stagnantesdes erreurs du passé télles qu'elles furent conçues dans l'histoire pour libérer le monde de cette peste.

Voltaire excelle

à

exposer les erreurs des faux philosophes de son époque. Micromégas, pendant son itinéraire, remarqua que l'Etre éternel s'était plu

A

manifester son adresse dans de si petits atomes intelligents et que sans doute le véritable bonheur existait sur cette planète. liA ce discours tous les philosophes secouèrent la têtè, et l'un deux, plus franc que les autres avoua de bonne foi que, si l'on en excepte un petit no~

bre d'habitants fort peu considéré, tout le reste est un asse~ blage de fous, de méchants et de malheureux" (30). Celui-ci 30. Voltaire, Micromégas VII

(42)

-39-l'assura que pendant leur conversation il y avait cent· mille hommes qui s'entle-tuaient dans toute la terre, et qu'il· en était ainsi de temps imménnria1. On lui apprit ensuite que les responsables de ces meurtres étaient "des barbares séden-taires qui, du fond de leur cabinet" ordonnaient ces massacres dans le temps de leur digestion. Les intellectuels, eux, n'y pouvaient rien; ils discutaient Aristote en grec. Pouxqoi. donc en cette langue, Micromégas demanda-t-il? Le savant lui répli-qua: "Qu'il faut bien citer ce qu'on ne comprend point du tout dans la langue qu'on entend le moins" (31). Tout cela était incompréhensible pour l'animal de Sirius. Avant de quitter la terre i l leur donna un beau livre de philosophie, écrit pour leur usage, où il verraient le bout des choses. "On le porta

à

Paris à l'Académie des sciences; mais quand le secrétaire l'eut ouvert, il ne vit rien qu 'un livre tout blanc" (32). Cela pourrait signifier que leur savoir ~e valait rien et qU'il fal-ait refaire la pensée de l'homme. C'était sans doute uœréponse aux philosophies de Malebranche et de Leibnitz

à

l'époque de Voltaire.

La

guerre considérée comme patriotisme

Le patriotisme selon le Dic"'c.:i.onnaire philosophique (1764), implique qu'on soutient par amour-propre sa ville ou sa patrie

31. Voltaire, Micromégas VII

(43)

parce que chaque citoyen veut être sûr de pouvoir coucher chez lui en sûreté. Puis Voltaire y ajoute:

"n

est triste que, pour être bon patriote, on soit l'ennemi du reste des hommes". En outre, qu'une nation ne peut gagner sans qu'1.Ule autre perde, et que celui qui aspire

à

ce que sa patrie ne soit ni plus gran-de ni plus petite est un vrai citoyen de l'univers. Dans les Questions sur l'EncYClopédie (1770) Voltaire remarque que la liberté de choisir la patrie de son choix est aussi 1.Ul des droits naturels de l'homme en quête du bonheur.

Alors, en France, à partir de 1740 jusqu'à la Révolution, il s'est formé un abîme entre le Roi et la nation; tenant compte que ce dernier mot signifie les habitants du royaume.

n

était impossible être fidèle aux deux en même temps parce que la

JŒ)-narchie ne soutenait plus les intérêts de la majorité de ses ci-toyens. Par conséquent, surgit la question palpitante de la fi-délité au Roi et de l'amour de la patrie. Néamnoins, Voltaire ne perdit pas l'espoir et écrivit:

"Qui croirait que de cet abîme épouvantable, de ce chaos de dissensions, d'atroCités, d'ignorance et de fanatisme, il est enfin résulté le plus parfait gouvernement, peut-être, qui soit aujourd'hui dans le monde? ••• La. tranquillité, la richesse, la féli-cité publique, n'ont régné chez nous que quand les rois ont reconnu qu'ils n'étaient pas absolus" (33).

33.

Voltaire, La. Princesse de Babylone VIII

(44)

-41-Voltaire estima que les pauvres et les destitués n'avaient pas de patrie ni de sentiment de loyauté pour leur patrie. Ceux-ci n'avaient aucun droit; l'Etat n'ayant pas de "contrat soCeux-cialll avec eux, avait manqué à son devoir. Par contre, les soldats et les intrigants Y' jouaient un rôle important et ceux-ci étaient toujours soutenus par l'Etat. Pourtant, les soldats, selon le MOnde comme il va, admettent que leur métier est de tuer pour ga-gner leur vie. L'un d'eux dit:

IIJe pourrais bien même dès demain passer dans le camp des Indiens, car on dit qU'ils donnent près d'une demi-drachme, de cuivre

à

leurs soldats de plu:3""que nous n'en avons dans ce maudit service de Persell

Ceci indique l'absence totale de sentiment pour la patrie.

Dans Rome sauvée (1759), l'auteur semble souligner un nou-vel aspect du patriotisme.

n

remarque discrètement que le bon-heur entier de la nation est plus important que l'administration de l'état. Un personnage dit que le devoir le plus sacré, la loi la plus chère est d'oublier la loi et de sauver la patrie. D'ailleurs, dans le Po~me sur Fontenoy (1745), Voltaire était alors au service du Roi et il exalta le patriotisme traditionel. Ce fut l'occasion d'une victoire militaire pour la France qui inspira ce poême. Pour atténuer son éloge de cette victoire et

(45)

éviter la haine d'autres nations, l'auteur publia un Discours (1745) qui servit de préface à ce poème dè3 sa septième édition. Dans celle-ci il remarqua que toutes les nations ont des offi-ciers et des soldats bien entraînés, que les Anglai3, les Autri-chiens et les Français avaient tous le même héritage de l'art militaire. Par conséquent, les guerres entre eux étaient des fraticides bestiaux. Voilà quelques observations de Voltaire sur le patriotisme et les exploits militaires de son époque.

Le point de vue de l'auteur de Candide sur les relations entre les pays montre qu'il était plutôt un patriote humanitaire. En

face de l'immense problème de réconciLiatiOn des intérêts sou-tenus par divers états, il voulait que la France fût forte pour faire pencher la balance en faveur de la paix internatio-nale. Répondant à. la question de M. André sur ce sujet dans l' Homme aux quarante écus, le chirurgien dit:

"n

vaudrait bien mieux s'entendre pour repousser l'ennemi commun du genre humain que d'être conti-nuellement occupé

à

guetter le moment favorable de dévaster la terre et de couvrir les champs de morts pour arracher à son voisin deux ou trois villes et quelques villages." (34)

Selon Voltaire le patriotisme est valide si sa manifesta-tion consiste à considérer le bien-être de la communauté des nations.

(46)

-43-La guerre du point de vue de l 'héro·:tsme

Selon Voltaire, la fidélité d'un citoyen pour la patrie ne peut se générer artificiellement par de grands spectacles pu-blics, ni par la glorification des h~ros nipar.le· droit di-. vin des rois.

n

faut avoir un roi comme Henri IV pour inspirer aux patriotes un sacrifice total de soi. L'apôtre de Ferney se rendait compte que l'hérolsme et la guerre faisaient partie de l'existence humaine et qu'il était plus facile de s'appuyer sur le droit de la force brutale que sur celui de la raison hu-maine. Néanmoins, il ne sanctionne même pas la guerre pour

éviter la guerre, telle que la conseillait Montesquieu dans un cas de nécessité. En outre, contraire

à

la doctrine chrétienne qui·implique que l'homme est dépravé par nature, Voltaire est d'accord avec Rousseau qu'il est doué d'une nature disposée à

vivre paisiblement avec ses semblables. D'abord il faut conte-nir les méchants, ceux qui mènent les hommes

à

se corrompre, et reconnaître que l'héro~sme est souvent exploité pour des fins égoïstes. Dans CandidE. XXIII on demanda qui était ce "héros" qu'on venait de tuer en cérémonie. "C'est un amiral anglais, lui répondit-on. - Et. pourquoi tuer cet. amiral? - C'est qu'il n'a pas fait tuer assez de monde." Ce militaire distinqué était l'Amiral Byng qui avait perdu un combat naval sur la Méditerranée en 1757.

(47)

Dans une· grande bataille le Candide de Voltaire se cache de son mieux et tremble comme un philosophe pendant que les . canons détruisent des villes entières. C'était

à

l'époque où l'on avait perfectionné la bâ::tbnnette et les soldats pouvaient se tuer en plus grand nombre en combat

à

main. Voltaire sou-ligne sous forme de satire les "héros" de cette boucherie en-tre les Abares et les Bulgares. Par exemple:

"Il passa pardessu des tas de merls et de mourants, et gagna d'abord un village voisin; il était en cen-dres: c'était un village abare que les Bulgares a-vaient brûlé, selon les lois du droit publiç. Ici des vieillards criblés de coups regardaient mourir leurs femmes égorgées, qui tenaient leurs enfants à

leurs mamelles sanglantes; là des filles éventrées après avoir assouvi les besoins naturels de quelques héros rendaient les derniers soupirs; d'autres, à demi brûlées, criaient qu'on achevât de leur donner la mort. Des cervelles étaient répandues sur la terre

à côté de bras et de jambes coupés. Candide s'en-fuit au plus vite dans un autre village: il appar-tenait à des Bulgares, et les héros abares l'avaient traité de même" (35).

Un auteur comtemporain, John Nef, a remarqué qu'un des plus tragiques développements depuis le Siècle des Lumières a été de penser que la guerre est une expérience spirituelle qui exal-te l'homme et qU'elle contribue au progrès du monde. Le fait d'imputer à la guerre un aspect héro1que en tuant son prochain est une nouvelle idée entre les peuples civilisés.

(36)

35.

Voltaire, Candide III

36.

Nef, J.1'l., War and Human Progress, Harvard University Press,

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