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La question de la valeur de l’oeuvre dans l’art contemporain.

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Discours introductif, Musée GRANET, 29 janvier 2015 Patricia SIGNORILE

La question de la valeur de l’œuvre dans l’art contemporain

Depuis le début des années 1990, nombre de débats et forums ont pour thème « La crise de l’art contemporain »1 « Où va l’art ? », ou encore « Tout l’art contemporain est-il nul ? ». L’art contemporain suscite à la fois passion, perplexité, intérêt ou mépris.

De fait les critères esthétiques classiques permettant d’analyser, de reconnaître et de qualifier, l’art contemporain, sont totalement obsolètes. L’art contemporain semble exister à travers le “discours sur lui-même”, une forme d’intellectualisme persistant qui révèle que ce qui est en crise, c’est en définitive le discours sur l’art contemporain et non l’art contemporain seul.

En effet, malgré ces rumeurs concernant la disparition de l’art ou son absence de sens, les peintres peignent, les sculpteurs sculptent, les installateurs installent et les performeurs performent... Il reste qu’aujourd’hui l’art est pluriel et que de ce pluralisme découlent des interrogations non seulement en matière esthétique mais également économique et juridique, parce que l’art c’est aussi cela.

Il s’agit donc ici de relancer le débat sur l’art contemporain, de l’enrichir, sans prétendre y mettre un terme, en se concentrant sur ce triple aspect, qui rassemble les œuvres contemporaines entre elles en posant la question de la valeur et de l’originalité. Mais d’abord, qu’entend-on par art contemporain ? Par art contemporain, on entend d’abord l’art du moment, quelle que soit sa forme, qu’il prétende à la nouveauté ou y renonce. L’adjectif “contemporain” qualifie l’art qui à la fois hérite de la tradition dite classique (en tant qu’expression de la culture cultivée) et rompt avec elle par différentes mises en cause de sa définition. Cette nouvelle direction est apparue dès le début du XXe siècle avec comme précurseur Marcel Duchamp, pour s’épanouir après la Seconde Guerre Mondiale.

Aujourd’hui, cette catégorie des arts visuels repose sur la transgression systématique des critères artistiques, propres aussi bien à la tradition classique

1 Cf. Yves Michaud, La crise de l'art contemporain, « la fin de l’utopie de l’art (…) nous sommes entrés dans un autre

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qu’à la tradition moderne mais aussi contemporaine. En outre, l’art contemporain repose essentiellement sur l’expérimentation de toutes les formes de rupture, de mise à distance avec ce qui précède. L’art contemporain ne signifie donc pas forcément art actuel, ou art d’aujourd’hui.

Par ailleurs, l’esthétique, en tant que réflexion philosophique sur l’art et sur les relations que le spectateur entretient avec les œuvres, est chahutée par ce détachement persistant que représente l’art contemporain. En effet, comment répondre aux questions telles que : “Qu’est-ce que l’art ? Quand y a-t-il art ? Comment juger de l’art ?” face à un art qui a pour principe la recherche de voies inédites et la péremption de ce qui les précède ? L’historien de l’art Ernst Gombritch dit d’ailleurs de l’art qu’il n’existe pas, qu’il n’y a que des artistes. Si le règne des Beaux-arts est fini ; celui de l’Art au singulier a commencé : ainsi, aux cinq Beaux-arts canoniques (peinture, sculpture, architecture, musique et poésie), ont succédé une kyrielle de pratiques singulières et inclassables. Ni peinture, ni sculpture, les Tirs de Niki de Saint Phalle, les opérations qu’Orlan fait réaliser sur son visage, ou le gigantesque chien fleuri de Jeff Koons qui garde l’entrée du Guggenheim de Bilbao peuvent dérouter.

De plus, la dérégulation des modes d'existence des œuvres de l'art contemporain, et les critères contrastés de leur définition, paraissent influencés par les modèles néolibéraux de l’économie financière, qui semble intervenir directement sur la création artistique. Mais, l’économie de l'œuvre d'art peut-elle se calquer sur les notions de temporalité et d'obsolescence, en vigueur dans l'économie des biens et des services ? Qu'est-ce qui fait la valeur économique d'une œuvre d'art ? D'où provient l’aura attachée aux créateurs et aux œuvres ? L’originalité, -principe déterminant du droit de l’auteur-, tient-elle encore face au message des pratiques artistiques qualifiées d’appropriationnistes ?

Si Bourdieu s’est attaché non à désacraliser l’art mais à comprendre l’origine de ce caractère sacré, Bernard Lahire dans Ceci n’est pas qu’un tableau montre que le sacré n'a jamais disparu de notre monde mais que nous ne savons pas le voir. La magie sociale est omniprésente dans le domaine de l'économie, de la politique, du droit, de la science ou de l'art, autant que dans celui de la mythologie ou de la religion, car elle est l'effet d'enchantement produit par le pouvoir sur ceux qui en reconnaissent tacitement l'autorité. C'est cet enchantement qui transforme une sculpture d'animal en totem, un morceau de

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métal en monnaie, une eau banale en eau bénite ; et c'est cette même magie sociale qui fait passer un tableau du statut de simple copie à celui de chef- d'œuvre. La seule définition alors possible de l’art contemporain, se présente-t-elle sous la forme du constat dressé par Christine SOURGINS2 : « Est de l’art ce que l’artiste et le milieu de l’art déclarent être de l’art ? ». L’art contemporain désigne depuis les années 1960, une catégorie esthétique, un genre, voire un label. La caractéristique essentielle de cette forme artistique inédite, est de pratiquer la « rupture », en évoluant de « transgression en transgression », une avant-garde en chassant une autre.

Cette situation contribue à la redéfinition des fonctions des acteurs qui deviennent alors interchangeables ainsi que des lieux (marchands d’art, collectionneur, commissaire-priseur, conservateur de musée, agent d’artiste, forum, foire, biennale…). La permanente « transgression des frontières », se traduit dans les faits par un emballement du marché spéculatif de l’art contemporain. L’œuvre d’art s’assimile à un produit financier. La cotation des œuvres fluctue au gré de l’évolution des « bulles financières ». Le marché de l’art contemporain suit des « stratégies de développement », la promotion d’un artiste ou d’une œuvre à la mode, -comme preuve irréfutable de sa légitimite-́ qui s’avère souvent temporaire. Les nouveaux riches des nouvelles puissances économiques, à commencer par les Chinois, font flamber les prix. Leur engouement pour l'art contemporain favorise la montée en puissance d'un art de plus en plus « marketé », au risque d'un appauvrissement de la création.

Le commerce de l’art et la spéculation sur les œuvres, ne sont bien sûr pas récents. Ils existent du moment que la création artistique et la consommation artistique se sont individualisées.

A. Cauquelin3 analyse les dispositifs qui conduisent à à la complexification du réseau qui lie l’artiste à l’amateur-acheteur. Être actif dans ce réseau c’est disposer vite d’une grande quantité d’information. C’est ce qu’illustre de manière éloquente le Kunst Kompass. Willy Bougard économiste a crée cet indicateur afin d’établir le prix de l’art et l’estimation de sa valeur esthétique, il a établi une échelle de notoriété qu’il donne pour une mesure objective de la valeur esthétique initialement inqualifiable.

2 Les mirages de l'art contemporain, La Table Ronde, octobre 2005 3L'art contemporain, PUF, Coll. Que sais-je ? 2011

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D’ailleurs, bon nombre d’acteurs de l’univers de l’art sont issus du monde économico médiatique. Ainsi, pour les artistes, l’emblématique Andy WARHOL, ex-illustrateur publicitaire, pour les amateurs d’art, le publicitaire et communicant britannique, Charles SAATCHI, qui est aussi collectionneur, marchand d'art et galeriste. Jeff Koons d’autre part connaît bien les critères de l’économie de marché. L’osmose est aujourd’hui complète entre art contemporain, finance, commerce et communication. Cependant la notion d’originalité - principe déterminant du droit d’auteur - se trouve parfois bafouée.

En effet, durant les années 70 et 80, quelques artistes nord-américains, (nés entre 1938 et 1953), communément qualifiés d’« appropriationnistesi » dupliquent non des originaux mais des reproductions d’œuvres. Leurs créations sont-elles à interpréter comme des copies, des simulacres, des originaux ? Mettant en question la notion d’originalité, ces réalisations recherchent une dévaluation délibérée de l’invention. Outre Marcel Duchamp, c’est chez Roland Barthes, qu’il nous faut rechercher les sources d’une telle démarche. Défendue en son temps par le sémiologue, la « mort de l’auteur » trouverait dans la pratique de la copie l’une de ses manifestations les plus radicales en même temps que sa justification esthétique. Dans le domaine de l’écriture, l'auteur n'est pas l'origine, le « père », du texte car il ne fait que puiser dans le langage. Cet argument est facilement transposable au domaine visuel. À propos de la photographie, il constate que ce « (qu’elle) reproduit à l’infini n’a lieu qu’une fois », souligne Roland Barthes dans La chambre claire en écho à une forme de nostalgie benjaminienne face à la reproduction de l’œuvre par la technique.

La pratique des artistes dits appropriationnistes [ Sturtevant, Pettibone au milieu des années 60, puis Levine, Bidlo, au début des années 80] s’inscrit dans un contexte où l'emprunt et la citation, ainsi que le mélange des genres, prévalent. La Figuration libre française, la Transavant-garde italienne et le Néo-expressionnisme allemand en attestent également.

Bien sûr, dans l’histoire de l’art, les emprunts iconiques sont récurrents, ainsi l’usage fait de l’emblématique Mona Lisa. Outre les nombreuses copies réalisées au XIXe, Malevitch inclut La Joconde dans un collage en 1914,

Duchamp l’affuble d’une moustache en 1917, Fernand Léger l’associe à un trousseau de clefs en 1930, etc. Levine, conteste en la figure de l’auteur, la notion de paternité. Sturtevant et Levine semblent travailler à restituer l'aura

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perdue de leur modèleii par La copie. Celle-ci atteste toujours les qualités plastiques et la valeur historique d’un original, la signature initiale s’en trouve ainsi fétichisée et sublimée. Peut-être même s’agit-il du renouveau de l’ekphrasis, - qui désignait pour les anciens grecs la description poétique de la peinture - soit la sublimation d’un genre par un autre, une mise en mots qui serait ici une mise en images.

Pour Raymonde Moulin, l’originalité est une notion juridique qui découle de conceptions romantiques de la création. En effet, est considérée comme artistique « l’œuvre exécutée de la main de l’artiste (…), unique ou produite en un nombre limité d’exemplairesiii ». Les travaux des appropriationnistes sont foncièrement ambivalents et paradoxaux : à la fois dénués d' « originalité » puisque fondés sur la répétition d'une image originaire et pourtant nouveaux pour cette raison même.

Si l’on transpose ces quelques réflexions, certaines analogies avec la pratique des appropriationnistes apparaissent immédiatement. Le copiste-artiste peut-il être considéré comme le « père » – entendons l’auteur – d’une œuvre dont l’origine lui est totalement extérieure ?

Rien n’interdit donc de concevoir un style qui soit fondé sur l’élimination même des signes de la personnalité. C’est du reste ce à quoi se sont employés de nombreux artistes au cours des années 60 et 70, en réaction à des formes artistiques jugées subjectives.

Comme l’écrit Lévine4 :

« Un tableau est un tissu de citations tirées d’innombrables réservoirs culturels. (…) Nous voulons indiquer le profond ridicule de ce qui fait précisément la vérité de la peinture. Nous ne pouvons qu’imiter un geste déjà fait, nous ne pourrons jamais être originaux ».

A cet égard, Lévine rejoint Musset lorsqu’il écrivait :

« On m’a dit l’an dernier que j’imitais Byron... Vous ne savez donc pas qu’il

imitait Pulci ?... ». Mais aussi Lautréamont pour qui « Le plagiat est nécessaire, le progrès l’implique ». Si pour Valéry: « Le lion est fait de moutons assimilés »,

4 Sherrie Levine, citée par James Elkins, dans « La persistance du “ tempérament artistique ” comme modèle : Rosso Fiorentino, Barbara Kruger, Sherrie Levine », Ligéia, n° 17-18, octobre 1995–juin 1996, p. 25.

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Malraux constate que : « tout artiste commence par le pastiche [...] à travers

quoi le génie se glisse… ».

La copie sous toutes ses formes mais aussi la reproduction, le pastiche, la parodie, plus près de nous, avec les activités lettristes et situationnistes, le détournement, la notion de répétition affichée par les artistes américains de l’« appropriationnisme », tendent à débouter le concept romantique mais fort consensuel économiquement d’originalité.

L’originalité de l’œuvre d’art supposerait la production d’une chose entièrement nouvelle, absolument singulière, c’est-à-dire « première », et accorderait à l’auteur un crédit occulte de création ex nihilo. Ce principe entraîne, dans le cadre juridique du droit d’auteur, un rapport d’exclusivité de l’auteur à son œuvre, dessiné par la perspective de cette antériorité absolue, que l’on retrouve à l’œuvre dans la logique du droit des marques et des brevets. Déjà Hegel, dans ses Principes de la Philosophie du droit, interrogeait la validité de l’originalité de l’œuvre en prenant pour exemple le plagiat : « Dans quelle mesure la forme donnée à ces traductions répétées transforme le

trésor scientifique antérieur en une propriété intellectuelle pour celui qui reproduit, et lui confère par suite un droit ou non de propriété juridique - dans quelle mesure une telle production dans une œuvre littéraire est un plagiat ou non, c’est ce qu’on ne peut déterminer par une règle exacte et ce qui ne peut donc s’établir juridiquement et légalement. » L’honneur seul constitue pour Hegel l’ultime garde fou contre la tentation de commettre un plagiat, au sens le plus délibérément frauduleux du terme.

Jacques Soulillou, dans L’auteur, mode d’emploi, questionne la légitimité de l’auteur en tant qu’origine de l’œuvre.

« Dès lors que l’on admet qu’une œuvre d’art visuelle ou sonore ou un texte,

peuvent être entièrement originaux bien que constitués de morceaux provenant d’autres textes, d’autres œuvres sonores ou visuelles, c’est en dernier ressort sur la source émettrice que reposera l’originalité, étant entendu qu’elle doit se garder qu’on ne la confonde avec une autre source et devra veiller ainsi à garder ses distances. Elle doit toujours faire attention à préserver la fiction de

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son originalité entendue comme fiction de l’œuvre procédant d’une source unique. » Michel Foucault5 au cours d’une conférence a dit que paradoxalement c’est la censure qui est à l’origine de l’invention de l’auteur : « Les textes, les livres, les discours ont commencé à avoir réellement des auteurs (....) dans la mesure où l’auteur pouvait être puni, c’est-à-dire dans la mesure où les discours pouvaient être transgressifs. »

Ainsi, face aux problématiques contemporaines, au questionnement philosophique sur le statut et la fonction de l’auteur, à la question « Qu’est-ce qui fait la valeur de l’œuvre dans l’art contemporain ? » se surajoute la tendance forte d’une interrogation juridico-économique. Aude de KERROS6, (2008) constate qu’il ne faut pas poser la question : est-ce de l’art? mais plutôt répondre à la question : POURQUOI est-ce de l’art? 5 « Qu'est-ce qu'un auteur ? », Bulletin de la Société française de philosophie, 63e année, no 3, juillet-septembre 1969, pp. 73-104. (Société française de philosophie, 22 février 1969 ; débat avec M. de Gandillac, L. Goldmann, J. Lacan, J. d'Ormesson, J. Ullmo, J. Wahl.) Dits Ecrits Tome I texte n°69 , Qu'est- ce qu'un auteur ? Michel Foucault Dits Ecrits III texte n°258 http://1libertaire.free.fr/MFoucault319.html

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ii Sur ce sujet, voir notamment les textes de Jean-Paul Blanchet, de Jean-Michel Foray, de Catherine Francblin, d’Olivier Zahm, dans Aspects de l'art du XXème siècle : L'œuvre re-produite, cat. d’exposition, Meymac, Abbaye Saint-André, Centre d'art contemporain, 1991.

iii Raymonde Moulin, Le marché de l’art. Mondialisation et nouvelles technologies, Paris, Flammarion, 2000, p. 157.

Références

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